Term - 7
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Sous-partie 2 : Intégration et solidarité : Objectif : observer l’évolution des mécanismes sociaux et politiques qui permettent la cohésion sociale et l’évolution de leurs dysfonctionnements. Malgré les changements sociaux et les changements dans les conceptions de la justice qui ont lieu, comment la société fait-elle pour tenir ensemble malgré tout ? On va procéder en deux temps, en prenant d’abord la société dans un sens très large puis en focalisant sur la question des pouvoirs publics qui ont un rôle capital à jouer dans cette question (comme quoi, les impôts, ça sert !). Chapitre 7 : Cohésion sociale et instances d’intégration : Objectif : comprendre comment font les hommes pour vivre ensemble en observant l’évolution des mécanismes sociaux qui assurent la cohésion sociale et l’évolution de leurs dysfonctionnements. La question que l’on va se poser, c’est simplement : comment des hommes très différents peuvent-ils faire pour vivre ensemble ? I. Les principaux facteurs de l’intégration sociale : Rappels de Première : comment expliquer sociologiquement la coexistence pacifique des individus ? La sociologie a deux notions pour répondre à cette question : la socialisation et l’intégration. A. La création d’une cohésion sociale par la socialisation : 1. Qu’est-ce que la socialisation ? La socialisation désigne le processus par lequel l’individu reçoit et s’approprie les normes et les valeurs propres à un groupe social. On va simplement faire un petit exercice pour revoir ce que sont les normes et les valeurs. Document 1 de la FD. Leur passer la chanson en leur donnant les paroles, puis réalisation des questions. Document 1 – Les normes et les valeurs : Fais pas ci, fais pas ça / Viens ici, mets toi là / Attention prends pas froid / Ou sinon gare à toi Mange ta soupe, allez, brosse toi les dents / Touche pas ça, fais dodo / Dis papa, dis maman Fais pas ci, fais pas ça / A dada prout prout cadet / A cheval sur mon bidet Mets pas tes doigts dans le nez / Tu suces encore ton pouce / Qu’est-ce que t’as renversé / Ferme les yeux ouvre la bouche Mange pas tes ongles vilain / Va te laver les mains / Ne traverse pas la rue / Sinon panpan cucul Fais pas ci, fais pas ça / A dada prout prout cadet / A cheval sur mon bidet Laisse ton père travailler / Viens donc faire la vaisselle / Arrête de t’chamailler / Réponds quand on t’appelle Sois poli, dis merci / A la dame laisse ta place / C’est l’heure d’aller au lit / Faut pas rater la classe Fais pas ci, fais pas ça / A dada prout prout cadet / A cheval sur mon bidet Tu me fatigues je n’en peux plus / Dis bonjour dis bonsoir / Ne cours pas dans le couloir / Sinon panpan cucul Fais pas ci fais pas ça / Viens ici ôte toi de là / Prends la porte sors d’ici / Ecoute ce qu’on te dis Fais pas ci, fais pas ça / A dada prout prout cadet / A cheval sur mon bidet Tête de mule tête de bois / Tu vas recevoir une beigne / Qu’est-ce que t’as fait de mon peigne / Je ne le dirai pas deux fois Tu n’es qu’un bon à rien / Je le dis pour ton bien / Si tu ne fais rien de meilleur / Tu seras balayeur Fais pas ci, fais pas ça / A dada prout prout cadet / A cheval sur mon bidet Vous en faites pas les gars / Vous en faites pas les gars / Moi aussi on m’a dit ça / Fais pas ci fais pas ça / Fais pas ci fais pas ça Et j’en suis arrivé là / Et j’en suis arrivé là / Et j’en suis arrivé là Jacques Dutronc, « Fais pas ci, fais pas ça », Album Jacques Dutronc, 1968 Question 1 : Relevez dans le texte ce qui correspond à des normes et ce qui correspond à des valeurs. Question 2 : Quel est le principal agent (l’institution la plus importante) à laquelle on peut attribuer les paroles de la chanson et qui participe à l'inculcation des normes et des valeurs? 1 Question 1 : Relevez dans le texte ce qui correspond à des normes et ce qui correspond à des valeurs. Normes Valeurs Manger son repas, se brosser les dents, ne pas mettre ses Politesse, sagesse, propreté, respect, doigts dans le nez, participer aux tâches ménagères obéissance… Les normes sociales sont les règles et les usages socialement prescrits qui caractérisent les pratiques d’une collectivité ou d’un groupe particulier (mœurs). Attention, il ne faut pas confondre les normes avec les lois. Les valeurs sont les idéaux qui orientent les actions et les comportements d’une collectivité ou d’un groupe social. Elles s’incarnent dans les normes sociales. Ces définitions posées, nous pouvons ainsi s’arrêter sur la définition de la culture en sociologie. Au sens sociologique, la culture renvoie à un système de valeurs, de normes, de représentations et de comportements, transmis par les différentes instances de socialisation, et propres aux membres d’une collectivité humaine donnée (groupe, classe, etc.) Question 2 : Quel est le principal agent (l’institution principale) mis en évidence dans le texte qui participe à l'inculcation des normes et des valeurs? La famille est l’institution principale de la socialisation. 2. En quoi est-elle source de cohésion sociale ? On va directement entrer dans le vif du sujet en essayant de voir sociologiquement les choses. Document 2 – Le rôle de la socialisation pour un individu et la société : « Une fois les normes et les valeurs intériorisées par l'individu, celles-ci vont guider ses actions, et son comportement va spontanément correspondre à ce que le groupe considère comme normal, acceptable. L'assimilation des modèles culturels limite donc l'utilisation d’une contrainte explicite au sein du groupe : il n’est pas besoin d’user de la violence physique ou symbolique (moqueries, insultes, etc.) pour que les autres adoptent le ‘‘bon’’ comportement. L'individu aura alors le sentiment d'une totale liberté, même si son action ne sera en fait que le reflet de sa socialisation. Ce patrimoine culturel commun permet aux membres de la collectivité d’entretenir des relations sociales. Tous peuvent s’accorder sur le sens à donner à une action et les comportements deviennent prévisibles : chacun sait, par exemple, qu’il faut saluer son interlocuteur avant d’engager la conversation. La socialisation, et c'est sa fonction ultime, permet d'intégrer un individu dans un groupe ». M. Montoussé & G. Renouard, 100 Fiches pour comprendre la sociologie, 1997 « C’est le caractère contraignant des normes qui est au cœur de la cohésion sociale en permettant régulation et intégration. La cohésion d’un groupe est obtenue par la limitation des besoins individuels du groupe ou par le partage de valeurs et de buts communs (l’intégration) ». V. Pillon, Normes et déviance, 2003 Question 1 : Quels sont les effets de la socialisation sur le comportement d’un individu ? Question 2 : Donnez un exemple, différent de celui du texte, montrant que les comportements deviennent prévisibles par la socialisation. Question 3 : Quelle est la conséquence pour la société dans son ensemble ? Questions 1 et 2 : La socialisation permet l’intégration des individus dans la société, c'est-à-dire que, par la socialisation, chacun apprend comment communiquer avec les autres (savoir comment parler dans telle circonstance, savoir comment se comporter dans tel lieu, etc.) et être accepté par les autres (éviter les comportements « déplacés », les vêtements « démodés », etc.). En rendant l’usage de la contrainte non nécessaire, la socialisation permet également aux individus de croire que leur comportement est totalement libre et ne dépend en rien de la société. Leur faire ici la démonstration qu’eux-mêmes, dans les moindres détails, ont été socialisés et sont désormais intégrés. On peut commencer par parler de leur comportement global en 2 classe. Puis on peut même aller plus loin, sur la question de l’intériorisation des rôles sexuels (avec l’expérience des jambes croisées ou écartées). Question 3 : La socialisation permet alors aux membres d’une société de coexister et de vivre ensemble pacifiquement. Par la socialisation, il y a donc de la cohésion sociale : les individus partagent un ensemble de normes et de valeurs et acceptent les modes de fonctionnement de la société dans laquelle ils vivent. Par la socialisation, les individus ont donc entre eux des liens sociaux. Exemple par l’absurde. Pour bien montrer cela, prenons l’exemple d’un individu qui n’est pas intégré à la société par défaut de socialisation (il n’a pas appris les codes à respecter). A votre avis, que se passe-t-il quand on n’adopte pas le comportement attendu ? Soit gêne, soit rires, moqueries, etc. C’est exactement le principe de l’humour de M. Bean. Montrer la vidéo, M. Bean au Restaurant. Consigne : Relevez l’ensemble des comportements qui ne correspondent pas aux attentes sociales. B. Au sein de différentes instances de socialisation : Ce qu’on peut bien noter également, c’est que la socialisation a lieu tout au long de la vie en fonction de différentes instances de socialisation. On va voir un extrait de documentaire qui va nous montrer l’impact des différentes instances de socialisation. Montrez l’extrait de Mémoires d’Immigrés, documentaire de Yamina Benguigui, 1997. Document 3 – La socialisation des immigrés : Extraits de Mémoires d’immigrés. Les pères, de Yamina Benguigui, 1997. Question 1 : Quelle est la première réaction à l’arrivée en France décrite par le premier témoignage ? Question 2 : Que se passe-t-il avec le temps ? Comment le voit-on concrètement avec les extraits issus d’un journal télévisé des années 1960. Question 3 : Quelles sont les différentes instances de socialisation auxquelles sont confrontés les immigrés, et qui sont finalement les mêmes que pour l’ensemble des habitants du territoire ? Question 1 : Réaction de tristesse, de sentiment de difficulté, Question 2 : Au bout d’un moment, il y a une socialisation à la société française, notamment avec les cours du soir, et aussi le travail lui-même (apprendre à connaître le chef, respecter les consignes, éviter les accidents du travail). Question 3 : Les différentes instances de socialisation sont les groupes de pairs, l’école, l’emploi, l’armée, et la nation elle-même. Toutes ces instances de socialisation contribuent à l’intégration des immigrés à la nation française, et l’intégration des Français à la nation française. II. Comment évoluent les facteurs de l’intégration sociale ? Maintenant qu’on a rappelé les bases, on peut faire retour sur notre problématique centrale de l’année, c'est-à-dire comprendre comment évoluent les sociétés. Dans ce chapitre, le problème va être de comprendre comment peuvent évoluer les facteurs d’intégration, c'est-à-dire les sources de la socialisation. Pour comprendre comment la cohésion sociale et l’intégration sociale évoluent, on doit alors comprendre comment les socialisations évoluent dans le temps. A. Le mécanisme général du changement social : Avant de rentrer dans le détail des instances de socialisation et la présentation des grandes tendances sociales, on va s’intéresser simplement de manière générale au mécanisme social qui est source de changements sociaux importants. Quel est le mécanisme général d’évolution des socialisations ? 3 1. De la déviance… : On va dans un premier parler du phénomène de la déviance, qui est un phénomène commun à toutes les sociétés. Pour ce faire, on va rapidement faire le tour de la question en travaillant sur le document 4 de la FD. Document 4 – La déviance : des normes différentes étiquetées par la culture dominante : « A l’inverse de la normalité, qui tend à unifier les conduites, la déviance désigne l’attitude des personnes qui adoptent un comportement de transgression. La déviance peut être individuelle : c’est le cas de l’élève qui refuse d’obtempérer aux ordres du professeur, de l’original qui s’habille de façon excentrique dans un milieu conformiste, ou du dirigeant d’un grand groupe qui serait communiste. La déviance peut aussi être collective : c’est le cas des bandes de jeunes marginaux (punks, zoulous, hippies, etc.) ou des adeptes de la polygamie mormons ». J-F Dortier, Les sciences humaines, 2002 « H. Becker analyse la déviance comme la résultante d’interactions entre un individu, d’une part, et ses proches ainsi que les institutions chargées de faire respecter l’ordre social, d’autre part. Un individu qui commet un acte déviant (exemple : un vol) sera étiqueté comme délinquant par ceux de ses proches qui ont une connaissance de son acte et par la justice s’il se fait prendre. […] Un déviant n’est donc pas celui qui transgresse une norme (nous le faisons tous) mais ‘‘celui auquel cette étiquette sera appliquée avec succès’’ ». M. Montoussé & G. Renouard, 100 Fiches pour comprendre la sociologie, 1997 « Quand des individus qui participent à des activités déviantes ont la possibilité d’entrer en interaction, ils sont portés à développer une culture constituée autour des problèmes qui découlent des différences entre leur définition de ce qu’ils font et la définition acceptée par les autres membres de la société. Ils développent une conception d’eux-mêmes et de leurs activités déviantes, ainsi que de leurs relations avec les autres membres de la société [… Prenons l’exemple des fumeurs de marijuana :] En général, le novice ne ‘‘plane’’ pas dès la première fois qu’il fume de la marijuana, mais seulement après plusieurs tentatives. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’il ne fume pas ‘‘comme il faut’’, c'est-à-dire selon un dosage suffisant pour produire de véritables symptômes d’euphorie. La plupart des utilisateurs sont d’accord sur ce point : si l’on veut ‘‘planer’’, il ne faut pas fumer la marijuana comme on fume du tabac […]. S’il ne se passe rien, le fumeur ne peut manifestement pas élaborer une conception de la drogue comme source potentielle de plaisir, et il cessera donc de fumer. La première étape à franchir est donc nécessairement l’apprentissage de la technique requise pour produire, en fumant, des effets qui permettent une modification de la conception de la drogue. Comme on peut le deviner, c’est la fréquentation de groupes utilisant la marijuana qui entraîne une telle modification. C’est là que l’individu apprend à fumer comme il convient […]. Il reste encore une étape à franchir pour que celui qui sait maintenant ‘‘planer’’ continue à fumer : il doit apprendre à aimer les effets qu’il est devenu capable d’éprouver. Les sensations produites par la marijuana ne sont pas automatiquement, ni même nécessairement, agréables. Comme pour les huîtres ou le Martini dry, le goût pour ces sensations est socialement acquis ». H. Becker, Outsiders, 1963 Question 1 : Premier texte : Qu’est-ce que la déviance au sens commun ? Est-ce un phénomène qui est uniquement individuel ? Question 2 : Deuxième texte : Comment peut-on définir la déviance sociologiquement ? Question 3 : Deuxième texte : Que pouvez-vous en conclure sur l’existence de la déviance elle-même ? Existet-elle en soi ou seulement en fonction des normes et valeurs majoritaires ? Signifie-t-elle une absence de culture ou l’existence d’une culture différente ? Question 4 : Troisième texte : Quelle est la valeur spécifique aux fumeurs de marijuana qui est divergente de la valeur de la culture dominante dans les Etats-Unis d'Amérique des années 1960 ? Question 5 : Troisième texte : Montrez que cette valeur est l’objet d’une socialisation spécifique aux fumeurs de marijuana. Question 1 : Au sens commun, la déviance désigne le fait de transgresser une norme, ce qui peut être le fait d’un individu (voleur) ou d’un groupe (punks). Question 2 : Sociologiquement, selon H. Becker (1963), la déviance désigne un processus social par lequel quelqu'un qui a transgressé une norme est jugé par la communauté comme quelqu'un de « déviant ». Question 3 : La déviance n’existe donc jamais en soi mais dépend toujours de la culture majoritaire dans une communauté. Elle varie donc dans le temps et l’espace. De plus, elle est moins le signe de l’ignorance de la culture dominante que le signe de l’existence d’une autre culture que la culture dominante. 4 Question 4 : Par exemple, les fumeurs de marijuana aux Etats-Unis d'Amérique ont une conception de la drogue différente de celle de la culture dominante : alors que la culture dominante considère la drogue comme un poison, un mal, les fumeurs de marijuana la jugent comme une source de plaisir. Question 5 : C’est par la socialisation que les fumeurs de marijuana intériorisent cette valeur : les fumeurs doivent apprendre à fumer et doivent apprendre socialement à aimer les goûts ressentis. 2. … à la modification des hiérarchies culturelles : On voit donc avec l’exemple de la déviance et des fumeurs de marijuana que la déviance met en œuvre une autre culture que la culture dominante et que la déviance peut donc varier dans le temps et dans l’espace. On va le voir concrètement. Document 5 – De la déviance aux nouvelles cultures dominantes : « Notons que les normes sont toujours des règles relatives aux lieux et aux époques. Ainsi, dans les sociétés de chevaliers, la guerre, la lutte et le combat physique sont valorisés : le courage d’un homme se mesure à sa vaillance au combat, à son agressivité. Aujourd'hui, la violence est plutôt jugée négativement. Les normes d’une même société ne sont jamais figées mais se transforment sans cesse. Il y a un demi-siècle, le divorce était réprouvé socialement. Même si on ne s’aimait plus, un couple ne devait pas se séparer. Aujourd'hui, on réprouverait une personne qui resterait avec un conjoint uniquement par soumission, par habitude ou par intérêt ». J-F Dortier, Les sciences humaines, 2002 Question 1 : Quels sont les deux comportements jugés comme déviants, l’un au Moyen-âge, l’autre au milieu du XXème siècle ? Question 2 : Ces comportements sont-ils toujours considérés comme déviants de nos jours ? Comment sont-ils alors qualifiés ? Tandis qu’au Moyen-âge, on jugeait comme déviant le non usage de la violence, on considère désormais que c’est le comportement violent qui est déviant. Tandis qu’au milieu du XXème siècle, on jugeait comme déviant le divorce malgré l’absence d’amour dans un couple, on considère désormais l’absence de divorce lorsque le couple n’est plus amoureux comme un comportement déviant. Un comportement jugé déviant à une époque peut donc devenir, au cours du temps, un trait de la culture dominante. B. Comprendre l’évolution moderne de l’intégration sociale : Maintenant que nous avons simplement rappelé que les comportements jugés normaux évoluent dans le temps, nous pouvons maintenant voir que les manières dont la cohésion sociale se constitue évoluent également dans le temps. Comment ont évolué les manières de créer de la cohésion sociale dans les sociétés modernes ? 1. La modification des formes de solidarité : On va d’abord regarder la grande évolution sociale dans les manières d’obtenir de la cohésion sociale. Pour entrer dans le sujet, on va d’abord regarder un extrait vidéo analysant le fonctionnement d’une communauté particulière. Exemple : FourmiZ. Questions : 1. Quelle est la source de la cohésion sociale dans cette communauté ? 2. Quelle est la place de l’individu dans cette communauté ? 3. Quel type de société aurions-nous si tous les individus étaient comme Z ? 4. Quelle serait la source de la cohésion sociale dans cette société ? 5 Pour théoriser cet exemple, on va prendre la théorie d’un auteur très important, Durkheim, De la division du travail social, 1893, sur lequel vous avez déjà travaillé avec le document 6 et en Spécialité. Document 6 de la FD. Document 6 – La solidarité mécanique et la solidarité organique selon Durkheim : « La vie sociale dérive d'une double source, la similitude des consciences et la division du travail social. L'individu est socialisé dans le premier cas, parce que, n'ayant pas d'individualité propre, il se confond, ainsi que ses semblables, au sein d'un même type collectif ; dans le second, parce que, tout en ayant une physionomie et une activité personnelles qui le distinguent des autres, il dépend d'eux dans la mesure même où il s'en distingue, et par conséquent de la société qui résulte de leur union. « La similitude des consciences donne naissance à des règles juridiques qui, sous la menace de mesures répressives, imposent à tout le monde des croyances et des pratiques uniformes ; plus elle est prononcée, plus la vie sociale se confond complètement avec la vie religieuse, plus les institutions économiques sont voisines du communisme. […] Les molécules sociales qui ne seraient cohérentes que de cette seule manière ne pourraient donc se mouvoir avec ensemble que dans la mesure où elles n'ont pas de mouvements propres, comme font les molécules des corps inorganiques. C'est pourquoi nous proposons d'appeler mécanique cette espèce de solidarité. Ce mot ne signifie pas qu'elle soit produite par des moyens mécaniques et artificiellement. Nous ne la nommons ainsi que par analogie avec la cohésion qui unit entre eux les éléments des corps bruts, par opposition à celle qui fait l'unité des corps vivants. Ce qui achève de justifier cette dénomination, c'est que le lien qui unit ainsi l'individu à la société est tout à fait analogue à celui qui rattache la chose à la personne. La conscience individuelle, considérée sous cet aspect, est une simple dépendance du type collectif et en suit tous les mouvements, comme l'objet possédé suit ceux que lui imprime son propriétaire. Dans les sociétés où cette solidarité est très développée, l'individu ne s'appartient pas, nous le verrons plus loin ; c'est littéralement une chose dont dispose la société. « Il en est tout autrement de la solidarité que produit la division du travail. Tandis que la précédente implique que les individus se ressemblent, celle-ci suppose qu'ils diffèrent les uns des autres. La première n'est possible que dans la mesure où la personnalité individuelle est absorbée dans la personnalité collective ; la seconde n'est possible que si chacun a une sphère d'action qui lui est propre, par conséquent une personnalité. Il faut donc que la conscience collective laisse découverte une partie de la conscience individuelle, pour que s'y établissent ces fonctions spéciales qu'elle ne peut pas réglementer ; et plus cette région est étendue, plus est forte la cohésion qui résulte de cette solidarité. En effet, d'une part, chacun dépend d'autant plus étroitement de la société que le travail est plus divisé, et, d'autre part, l'activité de chacun est d'autant plus personnelle qu'elle est plus spécialisée. « Sans doute, si circonscrite qu'elle soit, elle n'est jamais complètement originale ; même dans l'exercice de notre profession, nous nous conformons à des usages, à des pratiques qui nous sont communes avec toute notre corporation. […] A l'intérieur d'un même groupe de travailleurs, il existe une opinion, diffuse dans toute l'étendue de cet agrégat restreint, et qui, sans être munie de sanctions légales, se fait pourtant obéir. Il y a des moeurs et des coutumes communes à un même ordre de fonctionnaires et qu'aucun d'eux ne peut enfreindre sans encourir le blâme de la corporation. […] Les règles de la morale et du droit professionnels sont impératives comme les autres. Elles obligent l'individu à agir en vue de fins qui ne lui sont pas propres, à faire des concessions, à consentir des compromis, à tenir compte d'intérêts supérieurs aux siens. Par conséquent, même là où la société repose le plus complètement sur la division du travail, elle ne se résout pas en une poussière d'atomes juxtaposés, entre lesquels il ne peut s'établir que des contacts extérieurs et passagers. Mais les membres en sont unis par des liens qui s'étendent bien au-delà des moments si courts où l'échange s'accomplit. Chacune des fonctions qu'ils exercent est, d'une manière constante, dépendante des autres et forme avec elles un système solidaire. Par suite, de la nature de la tâche choisie dérivent des devoirs permanents. Parce que nous remplissons telle fonction domestique ou sociale, nous sommes pris dans un réseau d'obligations dont nous n'avons pas le droit de nous affranchir. […] « Mais, même dans ce cas, le joug que nous subissons est autrement moins lourd que quand la société tout entière pèse sur nous, et il laisse bien plus de place au libre jeu de notre initiative. Ici donc, l'individualité du tout s'accroît en même temps que celle des parties ; la société devient plus capable de se mouvoir avec ensemble, en même temps que chacun de ses éléments a plus de mouvements propres. Cette solidarité ressemble à celle que l'on observe chez les animaux supérieurs. Chaque organe, en effet, y a sa physionomie spéciale, son autonomie, et pourtant l'unité de l'organisme est d'autant plus grande que cette individuation des parties est plus marquée. En raison de cette analogie, nous proposons d'appeler organique la solidarité qui est due à la division du travail ». E. Durkheim, De la division du travail social, Livre I, Chapitres 3 et 7, 1893 Question 1 : Quelles sont les deux sources de la cohésion sociale selon Emile Durkheim ? (§1) Question 2 : Quel est le rapport entre la « conscience individuelle » et la « conscience collective » dans ces deux cas ? (§3) Question 3 : Expliquez pourquoi Durkheim dit que la similitude des consciences permet une « solidarité mécanique ». (§2) Question 4 : Expliquez pourquoi Durkheim dit que la division du travail social permet une « solidarité organique ». (§5) Question 5 : Est-ce que la « solidarité organique » signifie l’absence de contraintes collectives ? (§4) 6 Question 1 : Pour Emile Durkheim, dans De la division du travail social, 1893, il y a deux sources différentes à la cohésion sociale : la similitude des consciences (tout le monde a les mêmes normes et valeurs) ( solidarité mécanique) et la division du travail social (chacun a une fonction sociale – comme sa profession – bien précise) ( solidarité organique). Question 2 : Lorsque la similitude des consciences domine dans la société (solidarité mécanique), ce que pense chacun (la conscience individuelle) dépend énormément de ce que pense l’ensemble de la société (la conscience collective). Lorsque la division du travail social domine dans la société (solidarité organique), la conscience individuelle est beaucoup plus indépendante de la conscience collective : c’est ce qu’on appelle l’individualisme. NB : Moyen mnémotechnique : CIMO (Collective/Individuelle = Mécanique/Organique) Question 3 : Si la similitude des consciences domine dans une société, tous les individus partagent les mêmes normes et valeurs. Les décisions individuelles ressembleront donc beaucoup aux préférences de la collectivité. La solidarité mécanique est une forme d’interdépendance (propre aux communautés traditionnelles), mettant en jeu des individus fortement influencés par la conscience collective, et aux tâches faiblement différenciées. Question 4 : Si la division du travail social domine dans une société, les individus auront des normes et des valeurs différentes en fonction de leur profession. Les décisions individuelles seront donc bien différentes au sein de la société. La solidarité organique est une forme d’interdépendance (propre aux sociétés modernes), mettant en jeu des individus faiblement influencés par la conscience collective, et aux tâches fortement différenciées. Question 5 : La solidarité organique ne signifie cependant pas l’absence de contraintes collectives. Puisque chaque individu a une place dans la division du travail, sans occuper les autres places, il a besoin des autres pour vivre tout comme les autres ont besoin de lui. Par exemple, sans tanneur, le cordonnier ne pourrait pas avoir de cuir pour faire de chaussures. Et sans cordonnier, le tanneur ne pourrait pas avoir de chaussures à ses pieds. Il y a donc une cohésion sociale forte malgré le poids croissant de l’individualisme avec la solidarité organique. 2. La gestion moderne de l’individualisme : On va alors revenir plus précisément sur la question de l’individualisme. On a déjà vu que l’individualisme propre aux sociétés modernes ne signifie pas l’absence de cohésion sociale. Cependant, comment se gère concrètement la tension qui pourrait exister entre les préférences des individus et les préférences exprimées par la collectivité. Question : Comment les sociétés modernes concilient-elles concrètement l’individualisme et la cohésion sociale ? C’est en effet un problème car malgré l’existence de la solidarité organique rendue possible par la division du travail social, il y a toujours le risque de l’anomie. Pour Durkheim, il y a en effet un risque dans les sociétés modernes, celui de l’anomie. D’une manière générale, l’anomie désigne l’ensemble des situations dans lesquelles l’individu perd contact avec les règles communément acceptées, soit parce qu’il n’est pas assez intégré dans un groupe (défaut d’intégration), soit parce qu’il n’y a pas de règles communes (défaut de régulation). Exemple : demandez aux élèves de Spé d’en donner. Le problème – reformulé – est alors le suivant : les sociétés modernes caractérisées par l’individualisme parviennent-elles toujours à intégrer les individus et à assurer l’existence de règles communes ? 7 On va le voir en analysant trois instances de socialisation : la famille, l’emploi (ou « travail ») et l’Etat. NB : dans tous les sujets du type : « peut-on parler d’une crise de… la famille ? du travail ? de l’Etat ? etc. », la conclusion générale à donner est de dire qu’il y a moins une disparition qu’une transformation. Cf. a.b.c. a. Une crise de la famille ? On va dans ce petit a comme dans ce petit b essayer de faire un travail identique à celui qu’on donne dans une QS ou une dissertation. A partir de différents documents, cinq ou six, on va simplement relever les arguments nous indiquant ce que l’on peut dire sur l’évolution contemporaine de la famille et l’évolution contemporaine de l’emploi et du « travail ». Document 7 – Dossier documentaire sur le rôle intégrateur de la famille : Document 7a : C’est à la fin du XIXème siècle que Durkheim théorisa, dans son dix-septième cours de sociologie de la famille intitulé La famille conjugale (1892), le modèle qui va progressivement devenir dans les faits le modèle dominant de famille. Ce modèle conçoit la famille comme une unité close sur elle-même et spécialisée fonctionnellement dans la socialisation des enfants. Il y règne une division sexuée des tâches dans laquelle l’homme est l’unique source de revenu du ménage. Ce modèle se constitue en rapport avec un type précis d’organisation du lien social qu’est la solidarité organique fondée sur l’interdépendance fonctionnelle des membres qui composent la société. Document 7b : Document 1 page 215 Document 7c : « Depuis environ vingt ans, la société française a connu de profondes transformations des structures familiales. Les signes avant-coureurs remontent aux années 1960, mais c’est au cours des deux décennies suivantes que le changement s’amplifie. […]. Les changements vont dans le sens d’une diversification des formes de vie familiale. L’époque, encore récente, où prédominait un modèle unique, celui du couple marié avec enfants, est révolue. De plus, ces nouveaux comportements ont pour effet de modifier le calendrier familial : report de la mise en couple, report de la première naissance, séquences de vie solitaire […]. Les trajectoires familiales connaissent à la fois des retards et une plus grande instabilité ». J-H. Déchaux, « Dynamique de la famille : entre individualisme et appartenance », in La nouvelle société française, 1998 Document 7d : Document 2 page 215 Document 7e : « L’évolution récente pousse à la fois à l’accroissement des obligations entre membres du réseau de parentèle (parents et enfants n’appartenant pas [au même ménage]) et, du côté [du ménage], à un relatif desserrement de la solidarité objective de ses membres (accroissement de l’individualité économique de ses membres, comptes séparés, lignes de téléphone séparées par exemple) mais aussi, dans d’autres domaines, à son renforcement (concubinage ouvrant des droits sociaux) ». F. Weber, « Pour penser la parenté contemporaine », in Les solidarités familiales en question, 2002 Document 7f : Document 6 page 216 Consigne : faites un tableau pour relever dans les documents les différents arguments (AEI : Affirmation + Explication de l’affirmation + Illustration de l’affirmation) montrant les affirmations suivantes : (1) le rôle intégrateur ‘‘traditionnel’’ de la famille ; (2) la disparition du rôle intégrateur ‘‘traditionnel’’ de la famille ; (3) la simple transformation du rôle intégrateur de la famille. Le rôle intégrateur traditionnel de la famille La disparition du rôle intégrateur traditionnel de la famille (a) : la famille socialise les enfants à la division sexuelle des tâches ; exemple : le père est le seul à ramener un revenu (a) : la famille socialise les enfants à la division sociale du travail ; exemple : la division des fonctions entre homme et femme est un prélude à la division des fonctions dans la société (b) : la famille intègre moins avec la baisse des mariages ; exemple : passage de 7 mariages pour 1 000 habitants en 1960 à 4,5 en 2004 (b) : la famille intègre moins avec l’augmentation des divorces ; exemple : passage de 2,85 divorces pour 1 000 habitants en 1960 contre 10,87 en 2004 (c & d) : la famille intègre moins avec la disparition du modèle unique de famille ; exemple : passage de 36,4% en 1990 à 31,5% en 1999 des ménages qui sont des couples avec enfants (c & d) : la famille intègre moins avec la modification du calendrier familial et donc 8 La transformation du rôle intégrateur de la famille l’existence de repères communs ; exemple : report de la mise en couple et de la première naissance, séquences de vie solitaire (d) : la famille se constitue et intègre d’une nouvelle manière en prenant bien plus en compte les aspirations et les choix des individus ; exemple : la réalisation de soi passe par la relation avec les autres. (e) : les relations entre membres de la famille se resserrent malgré les logements différents habités ; exemple : existence d’échanges entre les différents membres (e) : les relations entre membres de la famille se desserrent dans certains domaines ; exemple : comptes téléphoniques et comptes bancaires distincts (e) : les relations entre membres de la famille n’ont plus besoin d’un cadre institutionnel lourd pour être fortes ; exemple : le concubinage suffit pour fonder une famille (f) : il n’y a pas de disparition du rôle intégrateur traditionnel de la famille car ce modèle ‘‘traditionnel’’ n’a jamais véritablement existé en France, à l’exception de la parenthèse des années 1950 ; exemple : les familles monoparentales étaient plus fréquentes dans les années 1930 que dans les années 1950, ce qui fait que l’augmentation post-1960 est un retour à la situation antérieure b. La fin de la « valeur travail » ? Document 8 – Dossier documentaire sur le rôle intégrateur du « travail » : Document 8a : « Un certain nombre de travaux historico-sociologiques ont bien montré comment l’on était passé, au long du XIXème siècle, d’une intégration ‘‘communautaire’’, fondée sur la proximité (familiale, domestique au sens large, géographique) à de nouveaux regroupements organisés autour de lieux artificiels (la fabrique, le magasin, le bureau, l’entreprise, bref, le lieu de travail totalement distinct des autres lieux) ; et comment, de ce fait, une partie des fonctions d’apprentissage, de socialisation et de constitution des identités avait été peu à peu prise en charge par la sphère du travail. On peut, sans crainte de trop simplifier, dire que le travail s’est constitué, au XIXème siècle, en champ d’intégration à un triple niveau, ou en faisant participer les individus à trois types de ‘‘systèmes de coappartenance’’ : l’entreprise, le syndicat, le salariat. « Le XIXème siècle voit se diffuser à grande échelle un mode particulier d’organisation du travail et de la main-d'œuvre (celle-là se trouvant concentrée dans des lieux particuliers – la fabrique ou l’usine – où les travailleurs sont regroupés), même si subsistent tout au long du siècle des formes d’organisation du travail plus traditionnelles. Unis dans un même lieu, contre un même pouvoir, dans un système autonome de répartition des tâches, les travailleurs sont évidemment fondés à se considérer comme un collectif, qui acquerra d’ailleurs une reconnaissance progressive à travers le droit du travail. Peu à peu, le collectif des salariés dans l’entreprise sera institutionnalisé par le biais d’instances multiples (délégués du personnel, comités d’entreprise, délégués syndicaux, etc.) « A l’entreprise – comme lieu concret où des individus travaillent ensemble, sont liés par les mêmes intérêts et sont constitués, en fait et en droit, comme collectif – s’ajoute un autre type de lien : l’appartenance syndicale ou plus généralement à des associations, ou à des regroupements par le biais desquels s‘est exprimé le mouvement ouvrier. Même s’il a fallu attendre 1864 pour que le délit de coalition soit supprimé, et 1884 pour que la liberté syndicale soit reconnue, les formes d’association, de regroupement et de constitution d’intérêts communs aux ouvriers étaient nombreuses dès avant. Il y a eu là, à l’évidence, un lien extrêmement fort entre les ouvriers ». D. Méda, Sciences Humaines, HS n°13, 1996 Document 8b : Document 6 page 207. Document 8c : « On observe une décollectivisation généralisée des formes d’organisation du travail et de structuration des carrières professionnelles qui se manifeste principalement à deux niveaux : « - sur le plan technique de la division du travail d’abord, s’impose ce que l’on traduit généralement par une exigence de flexibilité […]. Le travailleur acquiert ainsi une marge d’indépendance. Mais il est en même temps surexposé. […] L’individualisation des tâches met en concurrence les travailleurs, y compris s’ils ont le même niveau de qualification. Se trouve ainsi brisée l’homogénéité des catégories professionnelles et chaque travailleur se trouve souvent livré à lui-même, sommé de réussir, au risque d’être invalidé s’il échoue ; « - cette exigence de mobilité se ressent sur le plan des carrières professionnelles qui deviennent discontinues, au lieu d’être programmées d’une manière stable comme lorsque l’on entrait dans une entreprise à 9 la sortie de la scolarité et qu’on y restait jusqu’à l’âge de la retraite. C’est maintenant souvent au travailleur luimême que revient la responsabilité de gérer les aléas de son parcours professionnel, de savoir opérer des reconversions, changer d’orientation, quitte, là aussi, à se tromper et à devoir en payer les conséquences en se retrouvant, selon l’expression actuellement consacrée, ‘‘inemployable’’. « Comme pour les nouvelles formes d’organisation du travail au sein des entreprises, ces trajectoires professionnelles à haut risque sont la conséquence du caractère profondément ambigu de cette dynamique d’individualisation qui domine actuellement le monde du travail […]. Elle agit ainsi comme un puissant facteur de décohésion sociale ». R. Castel, Manuel de SES, La Découverte, 2003 Document 8d : Document 4 page 207. Document 8e : « Depuis une dizaine d’années, on pourrait schématiquement dire qu’il y a eu passage de la précarité au précariat. En effet, il faut repenser la précarité qui ne peut plus être conçue seulement comme une situation provisoire, dont on sort en règle générale. Je crois que le phénomène nouveau, qui ne l’est certes pas complètement, est une sorte d’installation dans la précarité pour beaucoup de jeunes et de moins jeunes. L’hypothèse que je pose est la constitution d’une nouvelle strate de la division du travail qui serait en deçà du salariat à proprement parler, si l’on entend par salariat une forme stable d’emploi sous forme de contrat à durée indéterminée. Or, il existe de plus en plus d’activités qui ne sont pas des emplois au sens fort du mot, mais qui se caractérisent par l’intermittence, par l’alternance de périodes d’activité et de non-activité. Cette strate infrasalariale est une sorte de nouveau régime de l’organisation du travail qui introduit une précarité permanente. On peut retenir cette formulation de « précariat » pour désigner ce qui ressemble à une condition dans laquelle un nombre croissant de gens sont obligés de s’installer. « L’une des conséquences est l’existence de gens qui se trouvent dans une position intermédiaire entre travail et demande d’assistance. Il s’avère que le travail n’assure plus pour eux l’indépendance économique et sociale. […] Finalement, cette « crise » dont on a commencé à parler dans les années 1970 n’était pas provisoire et elle a entraîné un nouveau régime d’organisation du travail dans lequel ce dernier n’est plus l’emploi. Pour dire les choses autrement, ce type de travail ne fournit plus les conditions de base de l’autonomie des travailleurs ». R. Castel, « Les ambiguïtés de l’intervention sociale face à la montée des incertitudes », Informations sociales n°152, 2009 Document 8f : Document 5 page 207. Consigne : faites un tableau pour relever dans les documents les différents arguments (AEI : Affirmation + Explication de l’affirmation + Illustration de l’affirmation) montrant les affirmations suivantes : (1) le rôle intégrateur ‘‘traditionnel’’ du travail ; (2) la disparition du rôle intégrateur ‘‘traditionnel’’ du travail ; (3) la simple transformation du rôle intégrateur du travail. Le rôle intégrateur traditionnel du travail La disparition du rôle intégrateur traditionnel du travail (a) : le « travail » intègre par le biais de l’entreprise ; exemple : coordination des employés au sein de l’entreprise les fait se considérer comme un collectif (a) : le « travail » intègre par le biais des syndicats ; exemple : l’existence d’intérêts communs a conduit au regroupement et à la coordination des salariés dans des associations (a) : le « travail » intègre par le biais du salariat ; exemple : existence de tout un ensemble d’institutions étatiques comme la Sécurité Sociale dont l’appartenance au salariat ouvre les droits (b) : l’absence d’emploi conduit au relâchement des liens dans une communauté, ce qui montre bien le rôle intégrateur de l’emploi ; exemple : Les chômeurs de Marienthal, livre de Lazarsfeld paru en 1932. (c) : la flexibilité imposée de plus en plus dans le processus de production introduit de la concurrence et diminue l’intégration sociale par le « travail » ; exemple : à niveau de diplôme identique, la concurrence casse l’homogénéité des catégories sociales (c) : il y a une individualisation des carrières qui réduit l’intégration par l’emploi ; exemple : les employés sont de plus en plus soumis à l’obligation de gérer une carrière passant par différents employeurs plutôt que de gérer une carrière interne à une entreprise (d) : la précarité ressentie par de plus en plus de salariés en raison de la croissance des FPE et de flexibilité diminue le rôle intégrateur de l’emploi ; exemple : le plan de licenciement IBM de 2005 a connu plus de départs volontaires que de licenciements 10 La transformation du rôle intégrateur du travail imposés, signe d’un écart croissant entre employés et employeurs (e) : Robert Castel utilise l’expression « précariat » (La montée des incertitudes, 2009) pour désigner la situation dans laquelle se place certains individus alternant les périodes d’emploi, de chômage et d’inactivité sans accéder de façon durable à l’emploi typique et ne pouvant de ce fait pas accéder à l’autonomie financière ; exemple : les actifs de plus de 50 ans cumulant des emplois courts en CDD ou intérim et bénéficiant dans le même temps de minima sociaux (selon la CAF, en 2007, 4 ménages pauvres sur 10 en Ile-de-France ont un emploi au moins 6 mois dans l’année). (f) : l’emploi reste une source centrale d’intégration même si le rapport est désormais modifié en raison des cas plus fréquents de précarité ; exemple : le risque de chômage est toujours plus mal perçu que l’obtention d’un emploi atypique c. Une crise de la solidarité nationale ? Cf. Chapitre 8 III. Les dysfonctionnements centraux de la cohésion sociale : pauvreté et exclusion : On peut maintenant se pencher sur les deux problèmes contemporains qui accompagnent la transformation des instances d’intégration et de leurs manières d’intégrer. Ces deux problèmes ne sont pas nouveaux, au contraire, mais on va simplement s’intéresser à observer leur configuration et leur évolution récente, ainsi que l’image dominante qu’on en a. Quelles sont les conséquences négatives des formes modernes de cohésion sociale ? On doit distinguer la pauvreté de l’exclusion sociale. A. La pauvreté… 1. Définition et mesure de la pauvreté : On va dans un premier chercher à définir la pauvreté. Il y a trois définitions habituelles de la pauvreté : - pauvreté absolue : situation dans laquelle on ne peut pas satisfaire les besoins essentiels (se nourrir, se loger). Cette définition est peu utilisée dans nos sociétés. - pauvreté relative : situation dans laquelle on ne peut pas satisfaire les besoins jugés ‘‘normaux’’ dans la société. o On mesure généralement la pauvreté relative à partir de la pauvreté monétaire, c'est-à-dire les individus dont le niveau de vie est inférieur ou égal à 50% ou 60% (selon les choix) du niveau de vie médian. o On peut également la mesurer à parti de la pauvreté en conditions de vie, c'est-à-dire les individus dont une partie ou tout des conditions de vie (qualité du logement, quantité de biens d’équipement, etc.) sont inférieures aux conditions de vie jugées ‘‘normales’’. - pauvreté subjective : situation dans laquelle un individu se déclare pauvre. C’est généralement à partir de la pauvreté monétaire qu’on étudie la pauvreté en France. Qu’en est-il ? Documents 2 et 3 page 223, question 3 et 4 page 223. Aidez-vous de la définition du seuil de pauvreté sur la même page pour lire le tableau. Attention, selon le seuil adopté (50% ou 60% du revenu médian), on obtient des chiffres différents de la pauvreté monétaire en France. Au seuil de 60%, elle représente 13,4% des individus en 2007 (niveau de vie de 908 €/mois, ce qui fait environ 8 millions d’individus). Au seuil de 50%, elle représente 7,2% des individus en 2007 (757 €/mois, ce qui fait environ 4,2 millions d’individus). 11 Remarque 1 : en 2007, le Smic à temps plein est de 1005 €/mois net ; le Smic à temps partiel pour 31 heures est de 889 €/mois ; le RMI est de 455 €/mois. Remarque 2 : l’évolution de la pauvreté monétaire est alors la suivante, quelque soit le seuil : elle diminue en France des années 1970 au milieu des années 2000 (rapide dans les années 1970, lente depuis le début des années 1980) et a tendance à remonter depuis 2005 notamment pour des raisons statistiques (en raison de la meilleure prise en compte des revenus du patrimoine qui font monter le seuil du revenu médian). Qu’observe-t-on si on regarde l’ensemble des définitions en même temps ? Document 9 de la FD. Document 9 – Les différentes définitions de la pauvreté et leur fréquence en France en 2001 : Définitions adoptées dans ce tableau : Pauvreté monétaire : Revenu égal à 50% de la médiane des revenus Pauvreté de condition de vie : Cumul de 7 difficultés de conditions de vie ou plus Pauvreté subjective : Pauvreté déclarée par le ménage au cours de l’enquête Fall & Verger, « Pauvreté relative et conditions de vie en France », Economie et statistique, n°383, 2005 Question 1 : Quel pourcentage des ménages français correspond à au moins une des trois définitions de la pauvreté en 2001 ? Question 2 : Correspond aux trois définitions en même temps ? On constate qu’il y a en France environ 21,9% des ménages qui répondent à au moins une des définitions de la pauvreté (pauvreté monétaire, de conditions de vie, subjective). Il n’y a par contre que 1,1% des ménages qui répondent aux trois en même temps. 2. Les raisons de la pauvreté : Comprenons d’abord le mécanisme général à l’ensemble des ménages qui explique la pauvreté. Document 10 de la FD. Document 10 – Les sources générales de la pauvreté : « Si l’on se place du point de vue de l’ensemble de la famille, la pauvreté menace lorsque la ligne des ressources n’évolue pas parallèlement et au-dessus de celle des dépenses nécessaires. « Le risque de tomber dans la misère rapidement augmente à plusieurs reprises au cours du cycle de vie : dans les familles nombreuses, au moment où le dernier enfant commence sa scolarité ; au moment du passage à l’adolescence des enfants, surtout s’ils sont d’âges proches ; quand le départ à la retraite du chef du ménage coïncide avec le départ des enfants hors de leur famille d’origine. Cette périodisation est valable pour tous les ménages, quel que soit leur niveau de vie. Mais pour les familles ouvrières qui ont peu d’épargne et ne peuvent compter ni sur le crédit des banques ni sur l’aide financière de la parenté ou du voisinage aussi démunis qu’eux-mêmes, ces périodes ne sont pas seulement ‘‘difficiles’’, ce sont celles ou le moindre incident supplémentaire (perte d’emploi ou accident de santé du père de famille notamment) conduit à la misère. « A cette ‘‘rupture de l’ordre’’ s’opposent les cas de lente dégradation sur plusieurs années, de ‘‘complexification d’un désordre’’, avec éventuellement des paliers ou des périodes de ‘‘rémission’’. « Dans tous les cas, le niveau et surtout l’évolution des revenus restent le phénomène central, même si la santé et l’entente familiale sont fréquemment évoquées ». Herpin & Verger, « La pauvreté une et multiple », Economie et statistique, n°308, 1997 Question 1 : Pour quelles raisons un ménage peut-il devenir pauvre ? Question 1 : La pauvreté est un risque pouvant toucher tous les ménages. Elle a lieu si les ressources du ménage ne suffisent plus pour gérer les dépenses courantes. Ce risque peut arriver de manière brutale lors de certains événements de la vie (augmentation brutale des dépenses courantes avec les changements de vie des enfants ou avec les dépenses de santé, diminution brutale des revenus avec les pertes d’emploi ou l’inactivité). Il peut arriver également de manière lente lorsque les revenus ne croissent pas suffisamment pour maintenir le niveau de vie à l’identique. 12 Quelles sont les caractéristiques sociales des pauvres ? Document 11 de la FD et document 4 page 235 avec exercice. . Document 11 – Les caractéristiques sociales des pauvres : « On pourrait se hasarder à dire qu’être pauvre sous un seul angle dénote soit une erreur de mesure soit une fragilité et qu’il faut cumuler plusieurs formes de pauvreté pour être vraiment qualifié de pauvre. Le cumul de deux ou trois formes dessine ce qui ressemble à un noyau dur de la pauvreté. « Ainsi, par exemple, les ménages cumulant trois formes de pauvreté ont toutes les caractéristiques des populations défavorisées. Ils sont formés surtout de personnes ayant un faible niveau de diplômes, qui dans la période récente sont aussi celles qui sont le plus touchées par le chômage. Les configurations de famille les plus concernées par ce cumul sont d’une part les familles monoparentales et d’autre part les personnes seules et parmi celles-ci les hommes seuls. Les ménages affectés par des problèmes de santé sont aussi des ménages exposés au risque de pauvreté multiforme. Ce cumul des trois formes de pauvreté concerne aussi relativement plus souvent les ménages de jeunes que de personnes âgées. […] » Fall & Verger, « Pauvreté relative et conditions de vie en France », Economie et statistique, n°383, 2005 « En 2006, 9,8 % des personnes actives au sens du Bureau international du travail (BIT), c’est-à-dire occupant un emploi ou en recherchant un, ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, alors que 15 % des inactifs sont dans cette situation. Parmi les actifs, le risque d’être pauvre est 4,8 fois moins élevé pour les actifs en emploi que pour les chômeurs. Avec un taux de pauvreté de 35,4 %, les chômeurs sont en effet les plus atteints par la pauvreté monétaire. Toutefois, occuper un emploi ne met pas complètement à l’abri de la pauvreté : 1,8 million de personnes actives et en emploi vivent en dessous du seuil de pauvreté ». INSEE, Les revenus et les patrimoines des ménages, Edition 2009 Question 1 : A partir de ce document et du document 4 page 235, décrivez les caractéristiques des pauvres en France. Question 2 : Mettez en relation ces caractéristiques avec les constats du document 10 de la FD. Question 1 : On constate que les pauvres sont souvent (au seuil de 60%) : - dans l’ensemble, ce sont plus souvent des ménages monoparentaux, et surtout pour les mères seules. o Familles monoparentales, TP de 30,2% en 2007. o Mères inactives seules avec leurs enfants, TP de 46,2% en 2006. o Mères actives seules avec leurs enfants, TP de 14,3% en 2006. - dans l’ensemble, ce sont des personnes avec de faibles niveaux de diplôme qui sont plus soumis au risque d’absence d’emploi (chômage ou inactivité). o Chômeurs : TP de 35,4% en 2006. o Inactifs, TP de 15% en 2006. - dans l’ensemble, ce sont désormais plus souvent des ménages jeunes que des ménages âgés. Phrase-type : Selon l’INSEE, en 2006, en France, 30,2% des familles monoparentales disposent d’un niveau de vie inférieur à 60% du niveau de vie médian, c'est-à-dire avec environ moins de 900 euros/mois et par personne. Question 2 : On constate dans l’ensemble que c’est l’inactivité qui est souvent liée à la pauvreté : l’absence d’emploi et de recherche d’emploi est une source majeure de pauvreté. Cela renvoie à l’idée d’une rupture brutale. Mais on peut également essayer d’expliquer pourquoi des actifs (dont les jeunes) sont également concernés : on peut essayer de l’expliquer par l’existence de ressources insuffisantes malgré l’emploi pour survivre, ce qui fait soupçonner le rôle de l’emploi à temps partiel sur contrats courts qui contribue aux emplois « à bas salaires ». Ce que Robert Castel appelle le « précariat » (La montée des incertitudes, 2009). B. … et l’exclusion sociale : Qu’est-ce que l’exclusion ? Document 12 de la FD et document 6 page 224 avec exercice. Document 12 – Définir l’exclusion comme un processus et non comme un état : « Les individus ne sont pas une fois pour toutes ‘‘exclus’’, moins encore ‘‘des exclus’’. Mais il existe des populations en état de fragilité ou de précarité qui ont une forte probabilité de connaître, ou qui connaissent effectivement, un processus susceptible de 13 les exclure de la vie collective, professionnelle et relationnelle […]. Le cumul des handicaps sociaux – familles modestes et désunies, échec scolaire, absence de formation, chômage – risque toujours de déclencher ce processus, mais cela ne signifie pas que tout individu qui perd son emploi soit nécessairement conduit jusqu’au terme d’une trajectoire qui le mènerait inexorablement à la rupture de tous les liens sociaux. […] Il ne faut pas oublier que beaucoup de ceux qui connaissent des épreuves sociales restent susceptibles de sortir de l’engrenage. La majorité de ceux qui ont fait l’expérience de la drogue ne finissent pas victimes d’overdose ». D. Schnapper, « Intégration et exclusion dans les sociétés modernes », in L’exclusion, l’état des savoirs, 1996 « Plus précisément, l’exclusion peut être analysée à la suite de Robert Castel comme le produit d’une double rupture : l’une liée à la perte d’emploi, l’autre liée à la remise en cause des relations sociales et familiales (rejet des parents, divorce, séparation…). On peut ici parler de l’existence d’un ‘‘risque solitude’’ lié non seulement à la fragilisation psychologique mais aussi à la perte du revenu et des formes de protection familiale : entraide financière, aide quotidienne, dons, garde d’enfants, économie informelle, hébergement, facilitation de l’accès au travail et au logement […]. Quant au chômage, il s’accompagne de la constitution d’identités définies en creux par rapport aux normes sociaux dominantes, allant jusqu’à […] un fort sentiment de déclassement et d’indignité, la perte des références collectives et l’annihilation de la ‘‘personnalité sociale’’. « Robert Castel parle de désaffiliation pour désigner cette double sortie de l’axe de l’intégration à la société par le travail et de l’axe d’insertion à la société par la sociabilité socio-familiale. La désaffiliation est ainsi un processus qui va de la vulnérabilité définie par la précarité du travail et la fragilité des relations sociales à une absence de travail et à l’isolement. Cette dynamique du cumul des handicaps, de décrochage progressif par rapport à une situation antérieure plus stable, conduit à un repli sur soi […] résultant d’une dynamique de stigmatisation liée en particulier aux institutions d’assistance consacrant une infériorité sociale et définissant des normes de comportement qui débouchent sur l’intériorisation d’une identité négative coupée de l’identité citoyenne. Le repli sur soi correspond à une perte d’identifications collectives ». P. Hassenteufel, « Exclusion sociale et citoyenneté », in Les cahiers français n°281, 1997 Question 1 : A partir des deux textes et du document 6 page 224, définissez et faites un schéma montrant les étapes de l’exclusion. L’exclusion sociale est un processus multiforme dont l’aboutissement est la rupture du lien social. (Paugam, L’exclusion, l’état des savoirs, 1996). On peut également parler de désaffiliation (Castel, Les métamorphoses de la question sociale, 1995) quand on met l’accent sur le rôle central du travail et de la famille dans le déclenchement du processus multiforme qui aboutit à la rupture du lien social. Attention, la pauvreté est une donc notion différente de l’exclusion. On peut être exclu sans être pauvre, de la même manière qu’on peut être pauvre sans être exclu. Quelles sont les étapes classiques du processus d’exclusion ? Schéma. Quelques exemples : Document 1 page 234. Question : pour quelles raisons peut-on dire que Gilles n’est pas arrivé au bout du processus d’exclusion sociale ? Question : Gilles n’est totalement exclu car il dispose encore de relations de sociabilité au sein des cours de poterie et de nutrition qu’il suit chaque semaine, malgré son absence d’emploi et son divorce. Document 3 page 225. Question : pour quelles raisons peut-on dire que les sans-abri parisiens enquêtés ici sont arrivés au bout du processus d’exclusion sociale ? Question : Les sans-abri parisiens enquêtés pour le livre La France invisible donnent de forts signes d’exclusion sociale. Leur désocialisation est telle que la majorité d’entre eux ne perçoivent pas le RMI : ils n’ont plus les compétences sociales pour réclamer et obtenir le RMI auprès des organismes d’assistance sociale. 14