Mars 2012 - CSS 10
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Mars 2012 - CSS 10
CogniScienceS CSS Le journal des sciences de la cognition N°10 – Trimestriel Mars 2012 Prix libre Sommaire ÉDITO Avec ce nouveau numéro, CSS atteint la marche symbolique des dix numéros publiés. Vous aurez beau retourner ce nombre dans tous les sens, il n'en ressortira jamais que ses diviseurs propres: 1, 2 et 5. Cinq collaborateurs motivés et passionnés, deux cofondateurs ambitieux et déterminés et un journal, unique en son genre. Loin de nous l'idée de venir révolutionner la sphère journaleuse (même si le Couvent des Cordeliers de Paris d'où nous lançons la distribution de ce nouveau numéro abrita il fut un temps le Club des Cordeliers dirigé par Danton luimême), nous n'en sommes pas moins fiers de publier régulièrement un corpus d'articles variés, pourvu qu'ils puissent éveiller, au mieux votre appétit d'amoureux des sciences cognitives, sinon votre curiosité intellectuelle. Revenons un peu sur l'évènement de ce samedi 31 mars 2012. Le Forum des Sciences Cognitives nous parlera cette année d’inné et d’acquis. Un concept en appelant un autre, le déterminisme et ses débats endiablés n’est plus très loin. S’il ne m’est pas permis de vous parler ici et maintenant du Démon de Laplace, alors jamais je ne le ferai. Voici comment son créateur le décrit : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée (…) embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. » Chez Laplace, il n’est plus question d’inné ou d’acquis mais de simples enchaînements de causes et d’effets inévitables. Dotez ce Démon d’une pensée moniste et vous verrez aussitôt votre liberté (de penser, d’agir, …) mise à mal, au point que vous préférerez penser que cette théorie est absurde. Mais ne vous méprenez pas : si ce Démon n’existe qu’en droit, ce n’est qu’une question de temps pour qu’il le devienne en fait. Que CSS en arrive à ce degré de liberté d’expression, ça, c'est acquis. La passion de son équipe et de ses rédacteurs est quant à elle innée. Nul doute là-dessus. p. 1 p. 2-3 Édito. Actualités : Forum des Sciences Cognitives 2012, Flupa UX-Day, calendrier, retour sur les cours en ligne de Stanford. p. 4 Compte-rendu : Retour sur un semestre de neurosciences computationnelles. p. 5-7 Comment apprenons-nous à aimer ? p. 8-10 Acquérir une réputation de confiance p. 11 Détente. p. 12 Contact et crédits. Boris Gambet, Coordinateur 1 ACTUALITÉS - ÉVÈNEMENTS Forum des Sciences Cognitives 2012 ! Le Forum des Sciences Cognitives aura lieu le samedi 31 mars 2012 au Couvent des Cordeliers à Paris de 9h30 à 18h en entrée libre. Cette année le thème de cet événement national est « Tout est inné, tout est acquis ». L’équipe de Cognivence explique : « L’inné, c’est notre ADN. L’acquis, c’est notre expérience. Comment s’unissent l’un et l’autre pour former ce que l’on est ? Sommes-nous le produit de nos gènes ou de l’environnement ? En s’appuyant sur les récents travaux de généticiens, de linguistes, d’anthropologues, de philosophes, de neuropsychologues et de sociologues, nous proposerons des éléments de réponse pour tenter d’éclaircir ce mystère vieux de nombreux siècles. » Quel programme ! « Comment apprenons-nous à aimer », de Thierry Kosinski, doctorant à l’Université de Lille, proposé dans ce numéro de CogniScienceS vous servira de mise en bouche au programme de conférences de cette année. CogniScienceS sera bien évidemment présent à cet événement incontournable dans la vie des sciences cognitives. Plus d’infos : http://cognivence.risc.cnrs.fr/ FLUPA UX-Day L’association FLUPA pour France Luxembourg Usability Professional’s Association organise un événement majeur dans le domaine de l’utilisabilité : FLUPA UX-Day le vendredi 11 mai 2012 de 8h30 à 17h30 au 10/18 rue des terres du curé à Paris. L’entrée y est payante, avec une réduction pour les membres de l’association FLUPA. De nombreux professionnels de l’utilisabilité s’y retrouveront afin d’échanger autour de conférences et d’ateliers comme « Design et ergonomie », « Sensibilisation à l’accessibilité dans le elearning », « Eye tracking » ou « Qu’en est-il du tactile dans l’automobile ? » etc. Plus d’infos : http://uxday.flupa.eu/ Calendrier Mai 2012 Juin 2012 Juillet 2012 Juillet 2012 2 La Conférence Francophone sur l’Apprentissage Automatique (CAp) aura lieu cette année à Nancy, organisé en partenariat par le Loria, l’INRIA et l’AFIA, du 23 au 25 mai. Plus d’informations sur le site de l’évènement http://cap2012.loria.fr. IC 2012, les 23èmes Journées francophones d’Ingénierie des Connaissances auront lieu à Paris au Centre de recherche des Cordeliers du 25 au 29 juin 2012. Cette année, le thème principal de l’évènement sera « Modèles, outils d'évaluation en Ingénierie des connaissances ». Plus d’informations sur http://ic2012.crc.jussieu.fr. Du 9 au 12 juillet 2012 aura lieu la première conférence internationale sur les systèmes biomimétiques et biohybrides à Barcelone. Le thème sera « Machine vivantes ». On en a déjà des frissons ! Le site de l’évènement est http://csnetwork.eu/conf2012. Dans la continuité de notre précédent numéro spécial sur la conscience, vous pourrez assister au 16ème meeting annuel de l’Association pour l’Etude Scientifique de la Conscience, en Angleterre à Brighton, du 2 au 6 juillet 2012. Vous pourrez y rencontrer Kristopher Koch qui fera une intervention spéciale. ACTUALITÉS - ÉVÈNEMENTS Retour sur les cours en ligne de Stanford Nous avons eu la chance de suivre les premiers cours en ligne de l’Université de Stanford. Pour vous rappeler le principe, deux professeurs d’intelligence artificielle et un professeur d’apprentissage automatique ont décidé de mettre à disposition du monde entier leurs cours habituellement réservés aux étudiants s’étant acquittés des frais de scolarité de leur fameuse Université. Quels étaient les pré-requis pour s’inscrire ? Aucun, même pas le baccalauréat, seulement un nom et une adresse email. Les étudiants inscrits ont alors suivi exactement la même formation que ceux de Stanford, ont réalisé les mêmes devoirs à la maison et les mêmes examens ! Bien sûr, ils n’ont pas reçu à la fin le diplôme de Stanford mais bien un certificat mentionnant leurs notes et signé de professeurs internationalement reconnus ! Les cours ont été organisés sous forme de vidéos interactives. Les vidéos, visionnables 24h/24, étaient ponctuées de pauses avec des questions pour s’assurer que tout le monde arrive bien à suivre. Chaque professeur ayant fait des choix différents, les devoirs et les examens étaient sous la forme de QCM, mais aussi d’exercices de programmation. Un détail : savoir maîtriser l’anglais, malgré les sous-titres réalisés par les communautés d’étudiants de chaque pays. Ayant suivi les deux différents cours, nous avons pu observer des différences incroyables entre eux. En effet, comme un cours physique, un cours en ligne reflète grandement la personnalité et les qualités de son professeur. Ainsi, le cours d’intelligence artificielle donné par Sebastian Thrun et Peter Norvig, deux grands chercheurs en intelligence artificielle, auteurs de manuels sur le sujet, nous ont profondément déçus. En effet, ils étaient difficiles à suivre sur des sujets simples. Il suffit de faire une recherche rapide sur le forum mis à disposition des étudiants pour constater que ceux-ci pataugent complètement dans les explications peu claires des deux professeurs, sur des sujets aussi accessibles que les probabilités conditionnelles. À l’opposé, le cours d’Andrew Ng sur l’apprentissage automatique, une branche de l’intelligence artificielle, était d’une clarté incomparable. Même si vous n’aviez jamais fait de mathématiques, le professeur Ng reprenait toutes les bases élémentaires pour aller jusqu’aux réseaux de neurones artificiels. Il a su expliquer des concepts abstraits comme des espaces d’état, la descente de gradient et bien d’autres choses tout en restant clair et surtout en leur donnant du sens, élément pédagogique qui fait souvent cruellement défaut à certains enseignements abstraits en France. Pour conclure à la fin de son cours, il explique que vous comprenez certainement beaucoup mieux l’apprentissage automatique que la majorité des consultants de toute la Silicon Valley dans ce domaine. Nous recommandons donc l’expérience à toute personne ayant un peu de temps le soir ou le weekend pour découvrir un nouveau domaine et replonger dans les études. Enfin, cette approche semble avoir eu tant de succès que de nombreux autres cours en ligne ont fleuri sur internet pour ce deuxième semestre : model thinking, vision par ordinateur, traitement naturel du langage, … et bien d’autres sont en cours de développement ! C’est donc bien à une révolution de l’apprentissage que nous sommes en train d’assister. D’un côté, rien ne pourra jamais remplacer les réponses détaillées d’un bon professeur, le lien personnel qu’il tissera avec ses étudiants, et les interminables discussions de fin de cours. Mais d’un autre côté, savoir que le cours d’un des meilleurs professeurs du monde est réservé à une centaine d’étudiants fortunés et privilégiés n’est pas à la gloire de l’enseignement. Donner la possibilité de suivre ces cours en ligne est donc un immense don de connaissance à qui souhaite la recevoir sur Terre. C’est au-delà de l’enseignement, c’est de la transmission de connaissances. 3 COMPTE-RENDU Retour sur un semestre de neurosciences computationnelles Nous avons eu la chance d’assister au « Semester on Theoretical, Mathematical and Computational Neuroscience » d’octobre à décembre 2011 au Centre International de Rencontres Mathématiques (CIRM) de Luminy. Le semestre a été organisé suivant deux axes : une série de 6 séminaires donnés par des chercheurs de renommée internationale pour les doctorants et une série de 4 workshops destinés aux discussions entre les chercheurs euxmêmes. Voici un aperçu des quelques présentations auxquelles nous avons eu la chance d’assister. Un neurone, une équation Nous avons découvert de nombreux modèles déterministes de neurones, qui sont en réalité des équations qui permettent de calculer le potentiel de la membrane d’un neurone en fonction des échanges ioniques avec son milieu extracellulaire. Nous pouvons citer le modèle historique de Hodgkin-Huxley, inspiré de l’axone de calamar géant, ou encore le modèle « integrate and fire » aujourd’hui largement utilisé dans les simulations. Cependant, nous regrettons la rusticité de ces modèles, qui prennent rarement en compte la dimension spatiale des neurones. Ajouter de la complexité aux modèles Ainsi, Stephen Coombes, de l’Université de Nottingham, nous a expliqué l’importance d’intégrer l’arbre dendritique à ces équations. Collaborateur de Paul Bressloff, ils sont parmi les seuls chercheurs en neurosciences computationnelles à prendre en compte les effets non-linéaires induits par la structure dendritique des neurones sur leur activité. Il intègre son modèle d’arbre dendritique dans ses équations de champs de neurones (neural fields). Bruit et attracteurs De plus, les neurones émettent parfois un signal électrique de manière aléatoire, sans avoir reçu aucune entrée le justifiant. Cela viendrait du bruit de fond aléatoire dans la circuiterie des neurones, un peu comme dans les 4 câbles de nos installations électriques. En effet, même si le seuil d’activation d’un neurone est élevé, une série de perturbations aléatoires pourrait permettre de l’atteindre. Or, nous ne savons pas si ce bruit est seulement gênant pour le bon fonctionnement des neurones ou s’il a un rôle plus global dans le cerveau. Ainsi, selon Gustavo Deco et Viktor Jirsa, le bruit serait un moyen de passer d’un attracteur du cerveau à un autre (un attracteur étant un état stable du cerveau). Cela permettrait d’explorer le répertoire d’attracteurs possibles, qui pourraient ensuite être réutilisés si nécessaire. Avec le temps, les attracteurs les plus utilisés seraient de plus en plus faciles à atteindre avec la plasticité et l’apprentissage. Anthony McIntosh soutient également l’utilité du bruit dans le cerveau. Selon lui, le bruit serait nécessaire pour maintenir le cerveau dans des états multistables, c’est-à-dire pour qu’il puisse changer d’état facilement. Ajouter du bruit (c’est-à-dire de l’aléatoire) aux modèles déterministes de neurones permettrait donc au cerveau de mieux se connaître lui-même… Hebb revisité Nous avons assisté à une présentation d’Eugene Izhikevich, l’auteur du célèbre manuel « Dynamical systems in neuroscience » mais aussi le créateur de Scholarpedia.org. D’après lui, la STDP (Spike-Timing Dependent Plasticity, l’équivalent moderne de la règle de Hebb), pourrait permettre d’associer une action à une récompense, bien qu’elles soient espacées de plusieurs secondes grâce à la synchronisation de l’activité neurale. Synchronisation absente dans le cas d’une activation aléatoire… Surprise ! Enfin, Karl Friston nous a exposé sa théorie sur le but de tout système vivant : minimiser sa surprise. En effet, mieux un système connaîtra son environnement, plus il pourra prédire ses évènements, moins il aura de surprises, et plus il aura de chances de survivre ! White Rabbit COMMENT APPRENONS-NOUS À AIMER ? Nos préférences jouent un grand rôle dans l’orientation de nos comportements quotidiens. Cela peut aller du comportement le plus anodin, comme le choix d’un chocolat parmi d’autres dans une boîte qui nous est présentée, à des comportements plus importants comme le choix d’un candidat politique dans le cadre d’une élection. Nos préférences nous guident, dans nos choix, nos relations sociales, nos habitudes alimentaires, nos réactions émotionnelles, etc. De manière générale, les études en psychologie expérimentale ont mis en évidence que nous avons tendance à approcher les éléments plaisants de notre environnement, alors que nous aurons tendance à éviter les éléments déplaisants. Cependant, les études montrent aussi que la majorité de nos préférences ne sont pas innées, mais acquises. Cela implique que nous apprenons à aimer (ou à détester). La question est de savoir: comment ? L’effet de Conditionnement Evaluatif (Evaluative Conditioning) est défini comme le changement de la valence émotionnelle d’un stimulus neutre, résultant de son association avec un stimulus affectif. Par exemple, une marque inconnue sera évaluée comme plus attrayante après avoir été associée à des images agréables dans une publicité. Dans ce domaine, le stimulus initialement neutre est appelé Stimulus Conditionnel (SC) et le stimulus affectif, Stimulus Inconditionnel (SI). Le Stimulus Conditionnel déclenchera une réponse émotionnelle à condition d’avoir été associé à un stimulus entrainant une réaction émotionnelle. Nous apprenons donc, en partie, à aimer par le biais des associations. Bien que ce phénomène soit en apparence très simple, il soulève une myriade de questions. S’agit-il d’un apprentissage conscient ou inconscient ? S’agit-il d’une simple association ou d’une relation plus complexe ? La valence émotionnelle estelle la seule propriété du stimulus affectif à être transférée ? Cet effet se maintient-il dans le temps ? Telles sont quelques questions qui ont fait l’objet d’études en psychologie ces trente dernières années. Afin de mieux comprendre les conditions dans lesquelles l’association de stimuli mène à un changement de valence émotionnelle, voici quelques réponses brèves aux questions soulevées. S’agit-il d’un apprentissage inconscient ? Cette question renvoie à la problématique de la conscience de l’association. La conscience de l’association correspond ici à la connaissance qu’a l’individu des relations particulières existant entre stimulus neutre et stimulus affectif, c’est-à-dire à la connaissance explicite que nous avons à propos du fait qu’un SC donné (par exemple un produit) ait été associé à un SI particulier (par exemple une personnalité appréciée). De nombreuses recherches suggèrent que l’effet de Conditionnement Evaluatif est observé uniquement avec les SC pour lesquels nous avons conscience des associations. Par exemple, le fait que la marque CocaCola® soit associée à des mots agréables (le slogan actuel étant « Coca-Cola® ouvre du bonheur »), mais aussi à des images, des musiques, des saveurs et des souvenirs agréables aura pour effet de rendre la marque elle-même plus agréable ; à condition que nous ayons ces associations en mémoire. Pourtant, cela n’implique pas que ces connaissances influen5 COMMENT APPRENONS-NOUS À AIMER ? cent nos évaluations de manière intentionnelle. La connaissance des associations est nécessaire au changement et au maintien de la valence, cependant, lors de la présentation de la marque, le déclenchement de la réponse émotionnelle se fera de manière automatique. S’agit-il d’une simple association ou d’une relation plus complexe ? L’une des approches théoriques actuellement en vogue dans ce domaine est l’approche propositionnelle de l’apprentissage associatif. Cette théorie stipule que nous n’apprenons pas de simples associations entre les éléments de l’environnement, mais que nous apprenons de manière spécifique le type de relation existant entre des stimuli. Ces dernières années, de nombreux résultats expérimentaux sont venus étayer cette perspective. Dans une de ces études, des photographies d’individus évaluées comme neutres étaient associées à des images évaluées comme plaisantes ou déplaisantes (photographies de paysages, d’animaux, etc.). Dans cette étude, au-delà d’une simple association, les participants apprenaient comment les stimuli étaient liés. Ainsi, les participants apprenaient qu’un individu (SC) aimait (ou détestait) un stimulus plaisant (ou déplaisant) (SI). Les résultats montrent que l’établissement d’une relation « positive » entre SC et SI (par exemple SC aime SI) mène à un effet de conditionnement évaluatif classique (changement de valence du SC dans le sens de la valence du SI), alors que cet effet est inversé lorsque la relation apprise entre SC et SI est « négative » (par exemple SC déteste SI). Concrètement, un même individu paraitra plus déplaisant si vous apprenez qu’il aime les pitbulls, que si vous apprenez qu’il les déteste (à condition de ne pas aimer les pitbulls). Il s’agit pourtant des mêmes stimuli, cependant, c’est la manière dont ils sont liés qui influence le changement émotionnel. 6 La valence émotionnelle est-elle la seule propriété du stimulus affectif qui soit transférée ? Nous avons vu que la valence émotionnelle d’un stimulus pouvait être influencée par association. Cependant, les éléments de notre environnement se caractérisent rarement uniquement en termes plaisants/déplaisants. Une personne peut par exemple être considérée comme plaisante, mais aussi comme intelligente, athlétique, etc. De récentes études suggèrent qu’au-delà de la valence, le stimulus conditionnel peut acquérir par association certaines caractéristiques du stimulus affectif. Dans ces études, il a été mis en évidence que des individus initialement neutres (SC) devenaient plus plaisants après avoir été présentés plusieurs fois avec des personnes plaisantes (SI). Lorsque ces personnes plaisantes étaient athlétiques (photographies de personnes réalisant une activité sportive), l’individu initialement neutre (SC) était ensuite lui aussi évalué comme plus athlétique (qu’il s’agisse de mesures explicites comme des échelles de jugement, ou des mesures implicites basées sur des tâches d’amorçage). Les associations d’éléments dans l’environnement vont donc influencer nos préférences mais aussi la représentation que nous nous faisons de ces éléments. Cet effet se maintient-il dans le temps ? La dernière question soulevée ici sera celle de la durabilité de l’apprentissage. S’il est admis qu’un stimulus (qu’il s’agisse d’une personne, d’un objet, d’une marque etc.) peut devenir plus plaisant ou déplaisant par association, que se passe-t-il lorsque par la suite, ce stimulus est présenté seul de manière répétée ? En Conditionnement Evaluatif, la majorité des études ont montré que le fait de présenter le SC seul après l’apprentissage affectif ne menait pas à une extinction de la valence acquise du stimulus. On parle alors de résistance à l’extinction. Les récentes avancées expérimentales suggèrent qu’il y a une légère tendance à la diminution de la COMMENT APPRENONS-NOUS À AIMER ? valence affective acquise du SC suite à sa présentation seul, cependant, cette présentation seule n’abolit pas l’apprentissage affectif. Il semble que l’effet perdure tant que la connaissance de la relation SC-SI est présente. Thierry Kosinski, Doctorant en Psychologie, Université Lille, Nord de France, [email protected] Conclusion : Compte tenu de l’importance de nos préférences, il est nécessaire de comprendre comment elles sont créées et influencées, cela permet de mieux contrôler, prédire et modifier les comportements. L’Effet de Conditionnement Evaluatif renvoie au fait qu’un stimulus initialement neutre deviendra plus (dé)plaisant après avoir été associé à un stimulus affectif. Cet apprentissage serait un processus coûteux en ressources cognitives car il nécessite la connaissance de la relation existant entre stimulus neutre et stimulus affectif, et dépend du type de relation apprise. Cependant, il se manifeste de manière automatique (par exemple lors de mesures implicites). Une fois apprise, la valence demeure relativement stable dans le temps, même lorsque le stimulus n’est plus associé à des éléments affectifs. Enfin, cet apprentissage va au-delà du simple changement du caractère plaisant/déplaisant. Certaines caractéristiques propres au stimulus affectif peuvent aussi être transférées à un stimulus initialement neutre. Cette problématique trouve des implications dans de nombreux domaines comme, la psychologie sociale (comment allons-nous apprendre à aimer/détester un individu, un groupe social ?), la psychologie clinique (comment rendre certaines situations, certains stimuli moins déplaisants), la psychologie du consommateur (comment rendre une marque attractive ?), ou encore la politique (quelles caractéristiques allons-nous attribuer à un candidat et comment en changer ?). L’effet de Conditionnement Evaluatif peut s’avérer être un outil très utile en psychologie. Cependant, d’autres recherches sont nécessaires afin de comprendre, de manière plus fine, les mécanismes en jeu dans cet apprentissage affectif. Pour aller plus loin : Corneille, O. (2010). Nos préférences sous influences : Déterminants psychologiques de nos préférences et choix. Editions Mardaga. De Houwer, J. (2011). Evaluative Conditioning: A review of procedure knowledge and mental process theories. In T. R. Schachtman & S. Reilly. applications of learning and conditioning. Oxford, UK: Oxford University Press. Förderer, S. & Unkelbach, C. (2011). Beyond Evaluative Conditioning! Evidence for Transfer of Non-Evaluative Attributes. Social Psychological and Personality Science. 2011.vol. 2 no 5, 479-486. Förderer, S. & Unkelbach, C. (2011). Hating the cute kitten or loving the aggressive pit-bull: EC effects depend on CS–US relations. Cognition & Emotion. 2011, 00 (00) 1-7. Hofmann, W., De Houwer, J., Perugini, M., Baeyens, F. & Crombez, G. (2010). Evaluative conditioning in humans: A meta-analysis. Psychological Bulletin. 2010, Vol. 136, No. 3, 390–421. Mitchell, C. J., De Houwer, J., & Lovibond, P. F. (2009). The propositional nature of human associative learning. Behavioral and Brain Sciences, 32, 183-198. Pleyers, G., Corneille, O., Yzerbyt, V. & Luminet, O. (2009). Evaluative conditioning may incur attentional costs. Journal of experimental psychology: Animal behavioral Processes. Vol. 35, No. 2, 279–285. 7 gfdfgd ACQUERIR UNE REPUTATION DE CONFIANCE Approche comportementale et neurologique de la confiance et de la réputation de confiance. Imaginons un jeu où deux personnes face à face sont sur le point d’entamer une partie. Le premier joueur est appelé l’investisseur, le deuxième un « fiduciaire » ou simplement « mandataire ». Avant de commencer la partie, ils ont chacun le même nombre de points en main, équivalent à une somme d’argent (prenons 100 points pour 20euros). Le premier joueur, l’investisseur, peut transférer n’importe quel montant qu’il souhaite au deuxième joueur (de 0 à 100 points) en sachant que cette somme sera « investie », c'est-àdire que durant le transfert elle sera multipliée par un facteur, par exemple quatre. Donc si le premier joueur a décidé d’investir 80 points, le second joueur reçoit 80*4 = 320 points donc 64euros. Celui-ci, à ce moment de la partie, peut décider de restituer n’importe quelle portion de cette somme à l’investisseur et une fois que cette décision est prise, le jeu s’arrête. Chaque joueur compte ses points et l’argent qu’il va recevoir et repart avec. La décision du premier envers le second joueur est une décision de confiance, ce qui explique pourquoi ce jeu, si simple, appelé « jeu de la confiance » est autant employé en psychologie, sociologie, économie et plus récemment en neurosciences pour tenter de comprendre le phénomène de confiance au niveau comportemental et neurologique, dans différentes situations. En fait, plus l’investissement transféré est important plus il pourrait porter profit à chacun des joueurs. Mais le premier joueur doit obligatoirement faire confiance au second et croire que celui-ci lui rendra au minimum l’argent investi pour que le jeu lui soit rentable. Mais qu’est ce qui empêche le second joueur de tout garder ? Ce jeu représente très clairement le dilemme fondamental que la confiance impose dans tous les échanges interpersonnels humains. La décision de faire confiance comporte toujours une grande part de risque : de se faire trahir ou d’être exploité, alors même que si elle était partagée, tout le monde en tirerait bénéfice. Ainsi, pour apprécier les avantages que peut apporter une confiance partagée, la personne 8 qui investit sa confiance en autrui doit surmonter sa peur naturelle du risque d’être trahie. Les théories économiques classiques soutiennent que les hommes, agents économiques, se comportent toujours de manière à optimiser leur gain, et donc de manière purement égoïste (e.g. la théorie du choix rationnel - TCR). Pour eux, dans ce jeu en particulier, cela n’a pas de sens de faire confiance puisque celle-ci ne sera pas honorée. Et pourtant, les chercheurs comme Berg, Camerer, Zak ou autres psychologues et économistes, ont à maintes reprises constaté que la majorité des investisseurs transfèrent au moins la moitié de leur dotation initiale et que les fiduciaires renvoient majoritairement l’argent investi, voire plus. A l’inverse, les comportements indignes de confiance entraînent fatalement des sanctions, dans le but de rappeler aux joueurs les obligations qu’ils ont les uns envers les autres. Ces études ont démontré que la confiance est extraordinairement enracinée chez l’Homme, et ont permis d’améliorer notre compréhension des comportements de réciprocité qu’elle implique, indispensable à la stabilité et à la cohésion des sociétés. Ce jeu a permis expérimentalement de mettre en évidence un certain nombre d’autres facteurs sociaux qui semblent infléchir la confiance. Bien sûr, la familiarité entre individus favorise le sentiment de confiance, et elle s’instaure, de fait, rapidement lorsque deux personnes, même inconnues au départ, jouent ensemble un certain nombre de coups successifs. A l’opposé de cette confiance qui peut s’instaurer de façon directe lorsque deux personnes interagissent, d’autres types de facteurs peuvent influer son acquisition: par exemple la réputation respective des personnes qui peut être connue à l’avance. Si une personne est connue pour être une personne morale, engagée dans de nombreuses causes sociales ou simplement réputée pour être digne de confiance, il semble plus aisé de lui faire confiance dès le début d’un échange. Au contraire si quelqu’un a une très mauvaise réputation, de la gfdgfd ACQUERIR UNE REPUTATION DE CONFIANCE réserve semble plus appropriée au début d’un échange. Est-il possible d’identifier ces différences comportementales au niveau cérébral ? Existe-t-il des structures corticales humaines qui ont évolué dans le but de prendre en compte la réputation d’autrui et ainsi d’aider l’homme à évaluer rapidement le niveau de confiance qu’il peut offrir à un inconnu? Plus explicitement, peut-on isoler les bases neuronales du modèle mental qui guide le comportement de l’investisseur dans la condition où il ne sait rien de son interlocuteur et dans la condition ou il connait sa réputation ? Répondre à ces questions constitue un des objectifs de l’équipe pluridisciplinaire de Neuroéconomie du Pr. Coricelli au sein de laquelle je conduis mes recherches. Les scientifiques de cette unité utilisent les approches standard d’analyses IRMf, les études sur les patients cérébrolésés et atteints de troubles psychologiques, ainsi que les neurosciences computationnelles pour apporter différentes perspectives de recherche à ce domaine scientifique. En fait, les études sur la confiance et la réputation corroborent, au niveau neuronal, l’étroite relation qui existe entre la confiance et le risque. Lors d’une expérience que nous avons menée, nos sujets ont participé au jeu de la confiance dans le rôle de l’investisseur pendant une séance d’IRM. Dans la moitie des cas, ils connaissaient a priori la réputation du second joueur et dans l’autre, ils devaient l’acquérir au fur et a mesure des échanges. Lorsqu’ils se trouvaient face à des personnes dont ils ne connaissaient pas la réputation - au début des échanges - nos analyses ont rapporté de fortes activations au niveau du striatum ainsi que l’insula, zones qui régissent respectivement l’apprentissage et les situations d’incertitude. Au fur et à mesure des échanges, lorsque la confiance ou la méfiance s’instaurait, ces activations se sont trouvées de plus en plus réduites. De la même manière, lorsque la réputation du second joueur (qu’elle soit bonne ou mauvaise) était connue au départ, alors ces deux zones étaient très peu actives chez l’investisseur. Au contraire d’autres zones, celles notamment qui administrent le contrôle cognitif ou la régulation des émotions, étaient fonctionnellement corrélées avec les décisions de faire confiance ou non au début des échanges lorsque les participants connaissaient la réputation de leur adversaires (activation partant de l’aire tegmentale ventrale et projetant sur les cortex pré et dorso-préfrontaux). Ces résultats démontrent à quel point les hommes, hautement sociaux, ont développé au cours de leur évolution une sensibilité accrue à ce vecteur d’information sociale et sont capables de le prendre en compte pour optimiser leurs décisions. La réputation a un impact sur l’acquisition de la confiance et peut aider a surmonté la méfiance qui peut exister au début d’une relation. Mais de la même manière, elle peut freiner l’acquisition de la confiance si la réputation du partenaire est mauvaise. Et que se passe t-il lors d’une trahison ? A-telle un effet moins important lorsqu’elle est infligée par une personne qui a une bonne réputation ? Pardonnerions-nous plus facilement à Mère Theresa ? Est-ce qu’une trahison a plus d’impact au début d’une relation ou après de longs échanges ? Pour étudier tous ces phénomènes influençant la dynamique de l’acquisition de la confiance, notre équipe travaille maintenant sur la modélisation des manifestations comportementales et neurologiques liées à la confiance et aux réputations grâce aux modèles d’apprentissage. Nos résultats préliminaires suggèrent que la confiance est basée sur une représentation mentale probabilistique qui s’initialise sur des a priori explicites. Par exemple, les revues Ebay sur les vendeurs, les cotations d’une marque ou même les simples rumeurs au sein d’un groupe de travail, qui sont ensuite dynamiquement réactualisées selon la nature des échanges consécutifs. Mais nos analyses mettent aussi en évidence que les décisions de faire ou de ne pas faire confiance ne sont pas déterminées par la bonne ou la mauvaise réputation des entités morales, mais sont le résultat complexe d’un outillage cognitif qui permet, ou non, de prendre en compte ces informations. Un certain 9 gfdgdfgd ACQUERIR UNE REPUTATION DE CONFIANCE contrôle cognitif gouverne la confiance, un processus conscient qui peut moduler nos modèles mentaux de prise de décision sociale et qui peut, ou non, se fonder sur la réputation d’autrui. La découverte des zones cérébrales responsables de l’acquisition de la confiance, ainsi que de celles qui régissent les composantes sociales de réputation, est susceptible d’avoir d’importantes applications pour les patients souffrants de troubles mentaux comme la phobie sociale ou l’autisme. La phobie social est classée troisième trouble mental le plu répandu, après la dépression et les problèmes addictifs. Les personnes souffrant de ces pathologies ont des difficultés à interagir avec autrui et sont souvent incapables de ressentir les bases les plus élémentaires de la confiance envers les autres. Les résultats de ce champ de recherche aident à redéfinir les thérapies comportementales en mettant l’accent sur l’importance de considérer les a priori qu’ont les patients envers autrui, ou la manière dont ceux-ci leur ont été transmis. Parallèlement aux nôtres, d’autres études ont montré qu’une hormone, appelée Ocytocine, modifiait notre aptitude à faire confiance à quelqu’un en aidant à surmonter la méfiance. Son administration, de concert avec une thérapie comportementale, pourrait avoir des effets positifs sur les patients, en particulier en induisant un état de relaxation en situation sociale. Pour conclure, toutes ces découvertes montrent que nos comportements sociaux et notre propension à faire confiance sont influencés par un grand nombre de facteurs biologiques, cognitifs et environnementaux certes complexes mais identifiables. Les recherches futures devraient nous aider à mieux comprendre les interactions entre ces processus qui façonnent nos choix de faire confiance et de coopérer, éléments essentiels au fonctionnement social. Car connaître ces mécanismes de prise de décision ne devrait jamais servir à manipuler la confiance des autres, dans le but de calculer et de maximiser des intérêts égoïstes et opportunistes. A nous seulement de les mériter. 10 Elsa Fouragnan, PhD student in Neurosciences CIMeC Center for Mind/Brain Sciences (Italy) Email: [email protected] Bibliographie: Berg J, Dickhaut J, McCabe K (1995). Trust, reciprocity and social history. Games Econ. Behav. 10: 122-142. Biele G, Rieskamp J, Krugel L. K, Heekeren H. R (2011) The Neural Basis of Following Advice. PLoS Biol 9(6). Boudo, R (1996), The “Rational Choice Model”: A Particular Case of the “Cognitivist Model” Rationality and Society 8 (2): 123-150. Cho J (2006) The mechanism of trust and distrust formation and their relational outcomes. J Retailing 82(1):25– 35. Coricelli G, Dolan R. J, Sirigu A (2007) Brain, emotion and decision making: the paradigmatic example of regret. Trends in Cognitive Sciences 11: 258–265. 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Expérience utilisateur. V. Récits relatant de faits imaginaires. VI. Syndrome d’une surdité associée à une cécité ou célèbre chanteur de R’n’B. VII. Sa diminution est caractéristique de la maladie de Parkinson. VIII. Réseau local en anglais. IX. Méthode utilisée pour obtenir un tirage aléatoire. Solutions du numéro précédent (CSS 9, Décembre 2011) HORIZONTALEMENT 1. Effet 2. Enigme 3. Us 4. Cristallisée 5. Yogique 6. Tz 7. BDD 8. Enigma 9. Soul 10. Ecrans VERTICALEMENT I. Descartes II. Jiminy III. Mot IV. Gödel V. NL VI. Queue VII. Fluide VIII. GTA IX. Tumeur X. Mars 11 WANTED ! CSS recherche des rédacteurs réguliers (3-4 articles annuels de 2 pages) Écrire à l’adresse de contact ci-dessous CSS, un journal unique, un contact unique [email protected] www.cognisciences.fr Crédits Coordination et mise en page : William Hirigoyen, Boris Gambet. Rédaction : White Rabbit, Marion Labadie, Boris Gambet. A collaboré à ce numéro : Thierry Kosinski, Elsa Fouragnan. Illustration : Emeline Racon. Mots croisés : Marion Labadie. Mentions légales ISSN 2106-6442 Directeur de la publication : William Hirigoyen CogniScienceS, 31 Rue du Général Crémer, 33130 BÈGLES 12