L`actualité du fameux « paradoxe des technologies de l`information
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L`actualité du fameux « paradoxe des technologies de l`information
L’actualité du fameux « paradoxe des technologies de l’information » (IT productivity paradox) pour les entreprises françaises. Exemple de l’entreprise ZARA Stephane Bourlitaux-Lajoinie - Maitre de Conférences à l’IAE de Tours Eliane Zoghbi Harfouche - Etudiante en Master 2 à l'ISG de Paris INTRODUCTION Pendant de nombreuses années, les chercheurs en système d’information débattent de la question de l’impact de l’introduction des technologies de l’information et de communication (TIC) sur la performance des entreprises. Certains chercheurs sont allés loin en annonçant que les TIC n’ont aucun impact sur la performance des entreprises (Carr 2003), et ne contribuent pas au développement de l’économie en général (Solow 1987). Dans ce contexte, Nicholas Carr intitule son article, publié en 2003 dans la prestigieuse Harvard Business Review, « Les technologies de l’information n’ont aucune importance ». Il confirme ainsi les doutes de Solow (1987) qui, 16 ans auparavant, s’est interrogé sur l’efficacité des investissements massifs en informatique. Ce dernier avait annoncé que « les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques » (Solow 1987). Selon Carr (2003), les TIC sont devenues tellement omniprésentes qu’elles ont perdu leur caractère distinctif. Ainsi, il conseille les décideurs de ne plus investir dans les dernières innovations en Système d’Information (SI) et d’adopter une stratégie de suiveur. L’article Carr (2003) a réalimenté le célèbre débat sur le « paradoxe de la productivité » des années 90 (Strassman 1990, Brynjolfsson 1993). Qu’en est-il aujourd’hui de ce paradoxe au sein des entreprises françaises ? Les investissements en SI ont-ils des impacts positifs sur la performance des entreprises ? Pour répondre à ces questions, nous avons adopté une approche qualitative. En effet, ce genre d’approche favorise l’approfondissement et l’affrontement de la théorie et le terrain (Wacheux 1996). Ainsi, la méthodologie d’étude de cas nous est apparue comme la démarche la plus pertinente pour répondre à un tel objectif. L’approche que nous adoptons est de considérer que ce ne sont pas les investissements en TIC/SI qui peuvent améliorer la performance de l’entreprise mais que c’est l’alignement entre la stratégie SI de l’entreprise, la stratégie de l’entreprise, l’architecture en SI et la structure de l’entreprise qui permet le développement d’un avantage concurrentiel (Henderson et Venkatraman 1993, Sabherwal et Chan 2001, Sabherwal et al. 2001). Le cas sera constitué suite à l’analyse de deux entretiens semi-directifs centrés (ESDC) réalisés auprès de responsables de SI au sein de l’entreprise ZARA France. Zara France est une filiale de Zara internationale. Cette dernière appartient au groupe Inditex dont elle représente 68% du chiffre d’affaire à hauteur de 7,077 milliards d’euros en 2009. Les entretiens ESDC permet de nous rapprocher au mieux de la perception des managers de l’impact de la mise en place et de l’utilisation des SI sur la performance de l’entreprise Zara France. Cette méthode de recueil de données constitue une méthode de collecte de données en cohérence totale avec l’étude de cas. Les rubriques du guide d’entretien ont été réalisées à partir des principes de l’alignement stratégique de Henderson et Venkatraman (1993). Aux données collectées, nous ajouterons des données secondaires de plusieurs sources (information sur le site internet de l’entreprise Zara, comptes 1 rendus des réunions, rapports internes…). Le mode de raisonnement utilisé relève de la déduction, puisque nous cherchons à confronter la théorie au terrain. Ainsi, l’analyse des entretiens s’appuie sur les recommandations de Lee (1989). Si la validité externe de cette méthode est limitée, la généralisation des résultats ne constitue pas notre objectif premier (Maxwell 1996, Eisenhardt 1989). Dans ce qui suit, nous allons donc commencer par un petit historique expliquant les raisons du passage du déterminisme technologique au paradoxe de productivité. Ensuite, nous allons résumer le principe de l’alignement stratégique de Henderson et Venkatraman (1993) avant de présenter le cas Zara France. Nous terminerons par les apports et les limites de cette recherche. Du déterminisme technologique au paradoxe de productivité L’évaluation de l’impact des investissements en SI sur la performance des entreprises est un nouveau sujet de recherche académique qui a émergé durant les années 80. Au départ, beaucoup de chercheurs ont abordé la question sous l’angle du déterminisme technologique (De Vaujany 2005). Ce courant supposait que l’introduction des TIC au sein des entreprises améliore incontestablement la performance de l’entreprise. Par exemple, l’ERP (entreprise Ressource Planning ou Progiciel de Gestion Intégré) était présenté comme un système qui automatise et intègre l’ensemble des processus au sein de l’entreprise. Il permet le partage de données et offre la possibilité d’accéder aux informations en temps réel. Selon le déterminisme technologique, l’implantation d’un ERP au sein d’une entreprise est synonyme d’amélioration de la coopération entre les acteurs et d’amélioration de la prise de la décision. Mais rapidement, le déterminisme technologique a été remis en cause par le « paradoxe de la productivité ». En effet, au début des années 90, plusieurs études qui visent à comprendre les mécanismes qui relient les investissements en TIC/SI et la performance de l’entreprise ont abouti à des résultats divergents (Strassman 1990, Brynjolfsson). Ainsi, des chercheurs comme Lichtenberg (1995) et Lehr et Lichtenberg (1999) ont démontré qu’il existence une relation positive entre investissement en SI et performance de l’entreprise. Alors, que d’autres comme Loveman (1994) et KIM et Michelman (1990) ont démontré le contraire. Depuis, ce débat sur la relation entre TIC/SI est productivité continue. Aujourd’hui, il est clair que l’évaluation de l’impact des Systèmes d’Information est une tâche très difficile (De Vaujany 2005). Mais cette question reste d’actualité du fait que les entreprises continuent à investir en TIC /SI. Des récentes recherches ont montré qu’un même investissement en TIC/SI dans deux entreprises différentes peut avoir des impacts différents sur leur performance. Ainsi, on peut conclure que ce ne sont pas les TIC/SI qui ont un impact mais c’est plutôt le fait de bien utiliser les TIC/SI qui permet l’amélioration de la performance de l’entreprise. En effet, l’impact dépend de différents facteurs comme l’usage et l’alignement des SI avec la stratégie et la structure de l’entreprise (Jouirou et Kalika 2004). L’alignement stratégique et performance des SI Selon Henderson et Venkatraman (1993), la performance relative à l’utilisation des TIC/SI résulte de l’alignement à double sens entre quatre dimensions : la structure TI, La stratégie SI, la stratégie 2 d’affaires et la structure d’affaires de l’entreprise (Figure 1). La structure TI découle de l’architecture des SI de l’entreprise (Kéfi et Kalika 2003). La stratégie SI est formée des priorités et des objectifs Figure 1. L’alignement stratégique selon Henderson et Venkatraman (1993) des SI de l’entreprise. La stratégie résume les priorités dans les activités de l’entreprise. La structure est l’organisation de l’entreprise. La performance suppose donc un alignement externe (fit) et un alignement interne (intégration fonctionnelle). L’alignement externe ou la notion de ‘fit’ implique une harmonisation entre les priorités et capacités de SI avec celles de l’entreprise, alors que l’intégration fonctionnelle suppose une harmonisation entre l’architecture des SI et la structure et l’organisation de l’entreprise (Jouirou et Kalika 2004). Le cas ZARA France Zara est une entreprise qui cherche à bien maîtriser la notion du ‘Time To Market’. Cette notion résulte du changement au niveau du micro et du macro-environnement. En effet, l’arrivée de la concurrence fondée sur le temps (la Chrono-compétition, Stalk et Hout 1990) et la plus courte durée de vie du produit (l’hypercompétition, Aveni 1994) poussent Zara à essayer de maîtriser l’ensemble des maillons de sa chaîne logistique de la conception jusqu’à la production, la distribution et la commercialisation des produits finis auprès de la clientèle cible. Cette philosophie de gestion est une exception dans le secteur du textile. En effet, Zara est le seul producteur de ce secteur qui n’a aucun maillon de sa chaîne qui a été délocalisé dans des pays à faibles coûts de main d’œuvre. En réinvestissant 80% de son résultat annuellement, le producteur Zara cherche à soutenir continuellement sa qualité tout en développant de nouvelles tendances pour l’avenir. Son succès réside dans sa capacité à maîtriser ses approvisionnements tout en intégrant chacun des éléments de la supply chain. Le rôle des SI En 1985, l’arrivée de José Maria Castellano Rios en tant que directeur des SI a complètement changé la stratégie SI de Zara. Ainsi, il a mis les TIC/SI au cœur de la stratégie de l’entreprise. Il a développé un Business Model fondé sur la bonne utilisation des TIC. Ainsi l’alignement parfait entre la stratégie, l’organisation, la stratégie SI et l’architecture TIC a permis à Zara de s’adapter rapidement aux nouvelles tendances de la mode. En effet, dans ce secteur, les effets de mode ne se commandent 3 pas. Un T-shirt porté par une chanteuse ou un jean par une actrice peuvent très vite faire exploser la demande. Grâce aux TIC/SI mise en place, la force de Zara provient de sa réactivité face aux nouvelles tendances de la mode. Ainsi, la stratégie de la marque correspond à de la conception sur demande en un délai record. L’utilisation efficiente des TIC/SI à chaque étape de la chaîne permet à l’entreprise de sortir 12 collections par an contre 3 ou 4 pour ses concurrents directs (H&M, GAP, Mango...). En effet, Zara a produit 30 000 modèles en 2009 contre 8 à 12 000 produits par ses concurrents. Contrôler en même temps la production et la distribution permet à Zara d’optimiser les flux d’informations tout au long de la chaîne, de limiter les stocks, de réduire les délais grâces à des séries de production limitée et de livrer les magasins en direct depuis l’usine. Zara : alignement et performance La stratégie de l’entreprise développée par le fondateur Amancio Ortega veut que les étagères des boutiques soient renouvelées tous les quinze jours. De plus, un produit ne doit pas rester plus de quatre semaines en magasin. Ce turnover de produits associé à des vêtements toujours à la mode, incite les consommateurs à acheter car ils savent que le produit va bientôt disparaître des rayons, mais aussi à revenir en boutique grâce au renouvellement permanent des modèles proposés. Cette stratégie impose un rythme rapide à tous les maillons de la chaîne logistique. Ainsi, le système d’organisation en J-15 a été mis en place dans le but de réduire le délai maximal entre la création d’un modèle et sa mise en rayon à 15 jours. La figure 2 résume ce processus. Les TIC/SI mis en place avaient comme mission de réduire les délais. A J-15, on a la création du modèle et les modèles sont dessinés (inspiré des marques de luxe et des attentes des clients). A ce niveau, des systèmes de Conception Assisté par Ordinateur (CAO) ont été mis en place pour permettre de tester virtuellement à l’aide d’ordinateur et de techniques de simulation numérique les modèles conçus. Les designers bien formés à ce genre de système précisent avec l’aide de l’intelligence artificielle les méthodes et les outils de fabrication. Figure 2. La chaine logistique simplifiée de Zara 4 A J-13, les coupes automatiques gérées par ordinateur sont lancées. Le MRP (Material Requirement Planning) ou le système de coupes entièrement automatisées permet de tailler n'importe quel dessin à partir des patrons qui leur sont transmis numériquement depuis les plateaux des 200 stylistes localisés quelques mètres plus loin, au siège. Ce système de coupe permet de découper par couches de 100. Chaque machine est programmée afin de produire l'ensemble des pièces nécessaires à l'assemblage d'un vêtement, dans toutes les tailles disponibles. Une trentaine de tables de découpe tournent ainsi en permanence à Arteixo, afin de produire les quelque 200000 unités qui sortent chaque jour des usines. Les machines de production sont programmables à volonté permettant de produire à la demande. La Fabrication Assisté par Ordinateur (FAO) décrit précisément les mouvements que doit exécuter la machine-outil pour réaliser chaque pièce demandée. Ensuite, à J-5, les coupes sont envoyées auprès des sous-traitants de couture et de confection qui sont implantés à coté des usines de Zara. L’ensemble des sous-traitants sont reliés à l’entreprise par des systèmes de Collaborative Planning, Forecasting and Replenishment (CPFR) connectés par extranet. Les habits reviennent ensuite à la Corogne où ils sont repassés, inspectés, étiquetés puis transférés dans un des 2 centres logistiques situé à Saragosse et à la Corogne pour y être expédié. A j-3, les nouveaux modèles sont expédiés par camion ou par avion vers les magasins Zara France. Au jour j, les nouveaux modèles sont étiquetés et mis en rayon. L’utilisation de l’ERP SAP R3 permet la traçabilité parfaite de tous les modèles par SKU (stock keeping Unit). Conclusion Le cas Zara nous montre qu’il est vrai que les SI n’ont pas un impact direct sur la performance de l’entreprise. Mais c’est plutôt la bonne utilisation de ces SI qui permet d’améliorer les résultats. En effet, Zara tient son succès grâce à l’alignement entre sa stratégie, son organisation, la stratégie et l’architecture SI qu’elle a adopté. Grâce à sa rapidité de gestion des stocks et la vitesse de la mise sur le marché de ses nouveaux modèles Zara est aujourd’hui une entreprise très compétitive face à ses concurrents. L’entreprise a ainsi su se développer des compétences internes lui offrant aujourd’hui sa place parmi les grandes enseignes. Références: Carr, N.G. "IT Doesn't Matter," Harvard Business Review (81:5), May 2003, pp 41-50. Wacheux, F. 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