RELATIONS VILLE

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RELATIONS VILLE
RELATIONS VILLE-CAMPAGNE :
L’ESPACE RURAL AMAZONIEN VU DE BELEM*
Helène RIVIERE D’ARC**
L’urbanisation de l’Amazonie brésilienne s’est développée sous l’action
de l’Etat pour qui les villes devaient représenter les points d’ancrage de
l’intégration mais aussi en fonction d’un processus spontané. Ce dernier s’est
déroulé sous l’impulsion d’une activité dominante qu’elle soit agricole ou
minière (l’or, la cassitérite, etc.). Deux dynamiques inverses donc ; l’une
volontariste à l’initiative de l’Etat ou des sociétés privées de colonisation où
la construction de la ville au moins sommairement, précédait la mise en
valeur, l’autre qui lui succédait. Cependant quel que soit le modèle, le
«centres urbains sont le lieu de l’action politico-idéologique de l’Etat, le
siège social de son appareil... Dans les villes s’effectue une resocialisation
des immigrants, principalement grâce au commerce qui pousse au désir et à
la consommation de biens, de services et d’information de tous ordres»
(Becker, 1987).
1. LES VILLES AMAZONIENNES
Et pourtant, ce semis de villes nouvelles amazoniennes sont
économiquement avant tout des villes rurales : y vivent des agriculteurs, les
détenteurs de services nécessaires à l’amont et à l’aval de l’agriculture, les
responsables de l’administration publique ou privée avec leurs employés ; les
commerçants ; et enfin un vaste secteur informel avec tout ce que cette
expression comporte de flou puisqu’il y va du petit entrepreneur non déclaré
à toute personne qui participe temporairement d’une activité et s’offre sur
tous les marchés de travail, qu’ils soient ruraux ou plus spécifiquement
urbains. Si les premières années de la grande opération amazonienne
déclenchée à la fin des années 60 avait mis l’accent sur l’exploitation
*
Cet article a été publié en espagnol dans Actas latinoaméricanas, Université de
Varsovie, novembre 1989.
**
Directeur de Recherche au CNRS, géographe (CREDAL).
Cahiers du Brésil Contemporain, 1990, n° 11
Hélène RIVIERE d’ARC
agricole, tous les plans élaborés récemment par les états fédérés se sont
attachés à promouvoir l’idée d’industrialisation des villes à partir des
matières premières agricoles. Or la relation entre matières premières
agricoles telles qu’elles ont été développées et chaîne agro-industrielle n’est
pas évidente (Aubertin. 1987). Ainsi, mis à part les grands projets industriels
qui échappent aux états fédérés (Carajás, par exemple), les villes
amazoniennes restent des villes agricoles ou d’extraction minière. Ce qui
n’empêche pas l’Amazonie brésilienne d’avoir connu entre 1970 et 1985, un
boom urbain considérable. Et malgré ce boom les colons amazoniens se
sentent éloignés des centres de décision ; ils ont souvent le sentiment de
perdre tout impact sur l’avenir de leurs productions et même sur leurs
moyens de production (Tavares dos Santos, 1987). Ces ville-champignons ne
joueraient-elles donc pas en Amazonie le rôle qui leur est assigné dans
l’organisation de l’espace ? C’est ici qu’intervient le problème des distances,
de l’inachèvement de la colonisation «rurbaine» de l’INCRA de la dépendance
vis-à-vis du sud etc. Autant de problèmes qui ont été souvent traités.
Ce qui caractérise les villes amazoniennes, c’est qu’elles attirent en fait
tous les groupes sociaux — colons et pionniers — qui participent de la mise
en culture agricole : les nouveaux producteurs ruraux qui appartiennent
souvent à une couche sociale différente de celle des premiers colons et
recherchent à la fois services et équipements. Les petits paysans qui se
sentent plus proches des organisations susceptibles de les soutenir dans leurs
luttes pour la terre lorsqu’ils habitent en ville ou dans les zones dites
«rurbaines» ; les travailleurs volants espérant une rémunération
supplémentaire dans des activités temporaires urbaines... Ainsi se
reconstituent en Amazonie des sortes d’archipels plus ou moins structurés
autour des petites-moyennes villes et qui sont en relation avec une seule
grande ville.
Le paradoxe est donc bien la dureté de la lutte pour certains espaces
dans cet immense ensemble géographique où les densités saisies globalement
au niveau des états restent faibles : autour d’un habitant au km2 en zone
rurale dans toute l’Amazonie en 1980 (Théry, 1986). En d’autres termes, ce
paradoxe est l’expression concrète de la non pertinence de la relation
espace/densité lorsqu’on pose les questions en termes socio-économiques.
C’est ici l’Etat du Pará qui constituera notre champ d’analyse.
La lutte pour l’espace en milieu rural est un phénomène connu qui fut
analysé par de nombreux auteurs. Ils ont dénoncé particulièrement la
répression publique/privée qui s’est exercée sur les paysans, notamment dans
Relations ville-campagne
la vallée de l’Araguaia (nombreux travaux de Souza Martins et du NAEA).
Aujourd’hui, la dynamique se situe selon trois volets ; celle, timide, de la
réforme agraire, celle d’une tentative de mobilisation pour arrêter la
répression privée qui continue de frapper les populations paysannes, celle de
la planification au sommet (celui du Gouvernement fédéral) de l’immense
pan du territoire paraense que constitue la zone de Carajás.
A l’intérieur de ces archipels, les populations sont organisées en
communautés qui prennent diverses formes mais ont généralement une base
commune : la lutte pour l’établissement d’un statut stable du sol, qu’il soit
rural ou urbain, et la revendication d’accès aux services. La dynamique de
ces luttes dans le Pará depuis vingt ans reflète le paradoxe que nous avons
évoqué auparavant.
L’aspect le plus nouveau de ces luttes est dans le cadre de la démocratie
actuelle, le fait que ces organisations populaires, qu’elles soient syndicales ou
communautaires avec leurs corollaires, luttes ou revendications, sont
contraintes d’évoluer différemment que par le passé. En effet, la
reconnaissance des partis d’une part, certaines mesures de décentralisation
d’autre part, ont entraîné l’apparition de nouveaux interlocuteurs locaux pour
la société civile organisée. Ces interlocuteurs ont sollicité dans une certaine
mesure la participation des organisations populaires dans des débats
importants, notamment celui sur la réforme agraire, même si les blocages et
la timidité des résultats ont contraint ces dernières, après quelques mois
seulement à abandonner la table de discussion. Par ailleurs, partis politiques
et tendances à l’intérieur des partis ont tenté de prendre pour base les
organisations populaires jusque là le plus souvent animées par l’Eglise
catholique et s’efforcent de se poser en médiateurs entre les organisations et
les autorités locales.
Aujourd’hui si la répression directe, le plus souvent privée, s’exerce
dans le Pará contre les paysans, c’est à Belém qu’est concentrée l’information
sur le déroulement des conflits qui secouent et perturbent la mise en valeur de
l’Amazonie.
La ville de Belém joue-t-elle alors un rôle de concentration et de
diffusion des échos qui viennent de l’Amazonie ? C’est autour de cette
question que nous nous interrogerons.
Hélène RIVIERE d’ARC
2. LE ROLE DE BELEM DANS LA MISE EN VALEUR DE L’AMAZONIE
Lorsque l’on parle des relations villes-campagnes, on pense en termes de
flux commerciaux, de flux de populations, de distributions de services et
éventuellement de réseaux urbains. Ce peut être également l’analyse des
marchés du travail micro-régionaux ; ce dernier point étant d’autant plus
pertinent au Brésil que paradoxalement, l’occupation et le peuplement de
l’Amazonie ont tendance à se développer par la croissance urbaine plus que
par la dispersion de l’habitat dans les espaces défrichés par la mise en culture.
Plusieurs auteurs l’ont montré (Aubertin, 1987).
D’autres auteurs (Edna Castro, 1987) ont expliqué 1’importance de
l’intervention des grands groupes nationaux et internationaux dans les
mesures concernant l’Amazonie et la centralisation des décisions au niveau
du Gouvernement fédéral cela malgré les discours sur la nécessité de la
décentralisation proférés depuis le début des années 80 et l’ouverture
démocratique. Plus que partout ailleurs, la question de la
centralisation/décentralisation est un débat-clef en Amazonie en particulier
dans le Pará. Deux exemples mériteraient d’être approfondis pour
comprendre les contradictions qu’il pose et la traduction que l’on peut en
faire en termes géographiques, c’est-à-dire de localisation. Premier exemple :
la SUDAM située à Belém, malgré son appartenance directe au Ministère de
l’Intérieur, est constituée de fonctionnaires locaux, chargés d’études destinées
à donner une meilleure connaissance du milieu amazonien et chargés de faire
des propositions alternatives éventuellement compatibles avec les grands
projets. La crise de légitimité des institutions datant du gouvernement
militaire, mais plus encore le renforcement de l’Etat central (à travers des
commissions interministérielles) dans les programmes de plus grande
envergure (Carajás) entraînent l’affaiblissement de la SUDAM et le
désenchantement des fonctionnaires locaux qui croyaient pouvoir faire passer
au niveau des décisions un certain nombre de leurs suggestions. Deuxième
exemple : la décentralisation de la FUNAI semble se révéler un piège pour les
communautés indiennes dont l’action est très peu relayée en milieu urbain
amazonien (Bruce Albert et d’autres auteurs, 1987 et 1990).
Dans ce contexte, il nous semble intéressant de présenter un certain
nombre d’hypothèses sur le rôle de la ville de Belém en tant que lieu de
concentration des connaissances sur l’Amazonie et en tant que lieu de
rencontre des groupes d’acteurs dominants qu’ils soient économiques et/ou
politiques engagés dans l’opération amazonienne. Lieu enfin de rencontre
Relations ville-campagne
entre ceux qui sentent la nécessité d’organiser des contrepouvoirs face à des
processus qui leur échappent.
En résumé, c’est le rôle de Belém comme lieu producteur de
connaissances, d’informations et de débats que nous voudrions mettre en
relief avec son corollaire, l’impact au niveau local et national de formation de
ce rôle. Enfin, Belém est aussi un lieu d’alliances et de ruptures au niveau
politique.
A. Belém, lieu producteur de connaissances sur l’Amazonie
Les contradictions du modèle choisi pour intégrer l’Amazonie ont été
mises en évidence par une très grande quantité de productions scientifiques
extrêmement diverses qui vont des sciences de la nature aux sciences
sociales. Du problème écologique à celui de la dégradation de la situation des
communautés indiennes en passant par la description des relations de travail
et de pouvoir en milieu rural, université et centres de recherches ont apporté
une contribution considérable à la connaissance de la réalité amazonienne.
Nous croyons pouvoir dire que cette connaissance qui n’hésite pas à prendre
un parti souvent très critique a eu un fort impact sur les agents qui
interviennent selon des voies différentes en milieu rural : les fonctionnaires
des instances de l’Etat local, ceux des organismes décentralisés du
Gouvernement (comme la SUDAM), les ONG (comme la FASE), les partis qui
tentent de se constituer en médiateurs entre la société civile et les institutions
de l’Etat.
La multiplication des colloques qui se déroulent à Belém sur des sujets
touchant les problèmes de développement de la région, le dynamisme de
l’université créant un réseau international d’informations dans toutes les
villes confrontées aux contradictions de la mise en valeur, témoignent de la
volonté de Belém de peser sur les décisions des gouvernements centraux et
d’attribuer au niveau régional un rôle de vigilance, fondé sur la suprématie
qu’est censée donner la connaissance.
Il est aujourd’hui banal d’affirmer que la diffusion de l’information est
devenue une des fonctions-clef des villes influant considérablement sur les
processus de mises en place des relations régionales. Cette fonction est donc
un des éléments supplémentaires à prendre en compte dans l’analyse des
relations villes-campagnes. Pourtant, dans le cas qui nous intéresse ici, celui
de l’Amazonie, il est difficile de percevoir quel est l’impact du
développement des connaissances sur le milieu amazonien et de sa diffusion
Hélène RIVIERE d’ARC
sur les deux extrêmes de la pyramide des acteurs qui interviennent sur la
région : d’un côté les autorités de niveau national, les décideurs et agents
économiques du sud du pays ou de l’étranger qui se concertent avec elles et
de l’autre les mini-organisations, syndicales par exemple, que l’ampleur des
distances et de l’isolement géographique continuent de couper du brainstorming intellectuel dont elles sont pourtant souvent l’objet d’étude dans les
milieux universitaires et de recherche de la capitale du Pará.
B. Belém, lieu producteur de rencontres et de débats
Toutes revendications issues des micro-situations locales, pour acquérir
une certaine force, doivent s’organiser à Belém ; par ailleurs, l’adoption de
mesures prises au sommet mais requérant une application territoriale locale
étant prise depuis 1985 dans un esprit de nécessaire décentralisation, font tout
naturellement de la capitale du Pará un lieu de rencontres et de débats.
Comme on l’a dit précédemment, ce transfert de niveau des débats au niveau
régional ne concernent bien évidemment que certaines mesures et
paradoxalement, la faiblesse traditionnelle des instances publiques de ce
niveau confrontées à/ou complices d’agents économiques qui pèsent d’un
poids nettement supérieur, font qu’elles s’enlisent et découragent parfois
leurs meilleurs partisans.
Nous voudrions ici donner deux exemples du type de rencontres et de
débats dont Belém est le lieu d’expression : l’un est issu de la revendication
locale, c’est le débat sur l’autonomie municipale, en somme la résurgence du
mouvement municipaliste. Celui-ci n’est pas une caractéristique propre à
l’Amazonie, mais le Pará a pris dans le mouvement une orientation assez
militante et radicale surtout à partir de 1986, à 1’initiative du maire de
Belém. On peut comprendre cette dynamique du mouvement municipaliste
dans une région où la politique d’exemption fiscale a attiré en Amazonie —
comme l’on sait — des capitaux spéculatifs et des sociétés étrangères à la
région, en présence desquelles les autorités locales étaient totalement
frustrées d’un quelconque pouvoir de négociation et dont l’arrivée n’apporte
que peu de revenus supplémentaires aux budgets municipaux le plus souvent
exsangues. Cette frustration sur le plan économique est doublée par une autre
d’ordre structurel : les bourgeoisies locales, traditionnelles détentrices du
pouvoir économique et politique conjoints selon des modes de
fonctionnement définis par leur histoire, héritage du coronelismo, sont
souvent confrontées à de nouvelles règles imposées par le poids économique
des nouveaux arrivants, qui ont bénéficié le plus souvent de l’appui de
l’armée et de la police fédérale. Coroneis locaux, concessionnaires de terres
Relations ville-campagne
de l’Etat du Pará ou bénéficiaires de la municipalisation de ces dernières dans
les années 50, avaient l’habitude de mettre des membres de leurs clientèles à
la tête du pouvoir municipal, et se sont sentis évincés et impuissants. Un
exemple de cette rivalité nous est donné par Marilia Ferreira Emmi (1985)
qui montre dans une étude sur le pouvoir local à Marabá comment vers les
années 80, l’oligarchie traditionnelle des donos de castanhais s’est éloignée
du pouvoir fédéral qui a apporté son soutien au nouveau pouvoir industriel,
symbolisé par le GETAT et le projet Carajás. Elle a invoqué dans un discours
régionaliste la qualité de brasileiros natos de ses membres et tenté de
s’appuyer sur les autorités locales, notamment les juges et la police
municipale et à l’échelon supérieur, sur l’association des exportateurs de
Belém. Mais elle n’a pas rencontré l’appui des autorités du Pará «qui ont
penché pour l’alliance avec le capital industriel».
Ainsi peut-on dire dès à présent que la relance du municipalisme, qu’il
s’agisse du résultat d’un réel constat d’impuissance dans les conditions
actuelles de centralisation des revenus régionaux et locaux entre les mains du
gouvernement central, ou du résultat d’antagonismes entre la bourgeoisie
terrienne et exportatrice locale qui se sent écartée du pouvoir et les
entreprises extérieures à la région, s’est traduite par la création de plusieurs
associations de municipes qui ont toutes leur siège à Belém. Les maires ont
ainsi rapidement pris acte des recommandations de la SAREM, une instance du
Ministère de la Planification, et proposé au cours d’un symposium qui a eu
lieu en 1987 à Belém, un certain nombre de mesures qu’ils souhaitent voir
appliquer immédiatement et d’autres qui semblent avoir été introduites dans
la nouvelle constitution. Dans ces propositions qui prétendaient dépasser les
idéologies partisanes, mais qui ont été élaborées en présence des députés à
l’assemblée du Pará et ont suscité l’intérêt des partis de gauche (PSB, PCB et
PTB), on trouve dans l’énoncé de certains articles des allusions claires à des
questions qui sensibilisent tout particulièrement les pouvoirs locaux
d’Amazonie. Et le maire de Belém s’est posé en leader du mouvement,
faisant siennes les revendications de ces responsables sans grand pouvoir, de
l’aménagement du territoire paraense. Il n’est pas possible d’énumérer ici ces
revendications mais les suivantes traduisent une volonté locale de résister à
un «offensive» extérieure à la région: souhaits de voir le municipe intervenir
sur les décisions d’attribution d’exonération d’impôts sur le paiement de
royalties aux municipes où l’on pratique l’exploitation de richesses du sol et
du sous-sol, représentation des municipes dans les conseils de direction des
institutions publiques de développement régional, révocation du décret-loi
qui avait «fédéralisé» les terres de part et d’autre des routes, indemnisation de
ces terres dont ont été spoliés les municipes, enfin transfert de terres de l’Etat
Hélène RIVIERE d’ARC
du Pará pour une municipalisation des mesures de réforme agraire (cf. 1er
Symposio municipalista da Amazonia, mars 1987).
C’est à Belém que le mouvement prend consistance et une certaine
ampleur et cherche le soutien du Gouverneur. Mais s’il doit passer
impérativement par la capitale pour se faire entendre, il peut également s’y
perdre dans les méandres d’autres alliances qui s’y nouent, qui s’y font et s’y
défont.
Le programme régional de réforme agraire (celui de l’Etat du Pará, post1985) réalisé à Belém par tout ce que la ville comptait comme représentants
des populations concernées et comme professionnels «éclairés» est un autre
exemple très ambigu des rapports villes-campagnes. Paradoxalement, l’Etat
du Pará était de ceux où les tensions sociales en milieu rural étaient fortes et
l’application de mesures de réforme nécessaires. Cela fut affirmé aussi bien
par le premier ministre de la réforme agraire de la Nouvelle République,
originaire du Pará que par le gouverneur d’alors qui reconnut que 35 % des
plus graves conflits ruraux du pays, en 1981, avaient eu lieu dans son état
(Plano de Reforma agraria, Estado do Pará, 1986). La réforme agraire avait
été un thème de sa campagne, malgré le traditionnel abstentionnisme
électoral dans les campagnes isolées. «La réforme agraire que tous les
amazoniens attendent pour notre région, présuppose une révision et un
revirement de la politique qui a été tracée, de façon à lui donner une
dimension sociale qui corrige ses cruelles distorsions, faisant aussi de
l’homme de la région le bénéficiaire de ses immenses richesses naturelles»
disait Jader Barbalho, gouverneur du Pará, en 1986.
Ce consensus régional autour de la nécessité impérative de la réforme
agraire en faveur de l’homme amazonien a entraîné la mobilisation
d’intellectuels, centres de recherches locaux et ONG. L’université a délégué
des experts à l’INCRA. La composition dont on attendait l’élaboration du plan
régional devait être particulièrement large et démocratique : FETAGRI, CUT,
CONCLAT, Sans Terres, CPT, CIMI... Il s’est cependant vite avéré que les
experts de la SUDAM se sont sentis mal à l’aise dans le projet et n’y ont pas
participé, et que les représentants des syndicats de travailleurs ruraux se sont
retirés considérant que le projet n’allait guère au-delà d’un programme de
régularisation (plan d’urgence pour 8 000 personnes, programme national
pour 8 000 autres).
Relations ville-campagne
On sait que l’accomplissement de la réforme agraire ne suit nullement
aujourd’hui le programme qui avait été fixé. Donc, depuis deux ans,
l’opération d’aménagement du territoire dans cette partie de l’Amazonie qui
capte l’intérêt de tous les milieux, c’est le projet Carajás. Déjà, les
organigrammes de gestion de cet espace par le gouvernement central sont
bien connus. Les scientifiques étudient les contradictions socioéconomiques
et géographiques qui y apparaissent. Réforme agraire et mobilisation autour
de la réforme agraire paraissent relayées au second plan. Il reste qu’une
impressionnante documentation sur les conflits, les irrégularités foncières
etc., est accumulée à Belém, pouvant à tout instant rappeler que la question
de la terre n’est pas du tout résolue ; mais cette documentation bien entendu
peut aussi se réduire à l’état d’archive.
CONCLUSION
On peut dès lors s’interroger sur l’impression de versatilité que donne le
milieu urbain dans sa perception et son engagement vis-à-vis du milieu rural :
ce n’est peut-être pas une caractéristique de Belém, mais sans doute des
grandes villes. Faut-il retenir l’hypothèse de l’impuissance des niveaux
intermédiaires de la fonction publique locale et des organisations
professionnelles urbaines pour créer et maintenir des solidarités, ou bien celle
de la difficulté qu’elles éprouvent à établir des priorités dans les actions.
En fait, au pouvoir qui émerge des alliances politiques successives, entre
la classe politique et les forces économiques dominantes, ne s’est pas encore
substitué celui de la connaissance et de la diffusion de l’information qui est
pourtant devenu une des fonctions clef de Belém.
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