LES RELIGIONS ET MONDIALISATION
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LES RELIGIONS ET MONDIALISATION
LES RELIGIONS ET MONDIALISATION Jean Boissonnat Cet intitulé éveille en moi deux questions : Pourquoi les religions monothéistes qui devraient être par construction un moteur de la mondialisation – et elles l’ont été – ne sont plus à l’origine de l’ébranlement décisif du phénomène dont nous mesurons aujourd’hui toute l’ampleur. Pourquoi la mondialisation semble aujourd’hui constituer une épreuve pour les religions monothéistes. Un seul Dieu, une seule terre. Par nature, les religions sont mondialistes. Par nature, elles s’adressent à l’ensemble de l’humanité. Nous n’allons pas détailler la manière dont elles ont vécu cette vocation mais nous allons brièvement le rappeler. La religion Juive La religion juive a pu pendant un temps avoir le sentiment d’être pour le peuple d’Israël une religion qui propose un Dieu unique mais pour le seul peuple juif, pas pour l’ensemble de l’humanité où il pouvait y avoir d’autres dieux. Ce n’étaient pas les dieux du peuple juif. Mais pour eux même, les juifs ne doutaient pas qu’il n’y ait qu’un seul Dieu. Puis dans son développement, dans sa maturation, le peuple juif a compris que ce Dieu unique était le Dieu de toute la terre, de toute l’humanité, c’est la raison pour laquelle le pape Jean-Paul II a pu dire, à plusieurs reprises, que les juifs étaient nos frères ainés dans la foi. D’ailleurs faut-il le 1 rappeler, Jésus était juif ; non seulement il l’était ethniquement, mais il l’était aussi religieusement et il ne l’a jamais renié. Jésus s’est toujours connu et voulu juif, à la fois par son enracinement dans le peuple et par son attachement à la religion. Donc c’est un phénomène tout à fait majeur pour nous chrétiens comme pour nous musulmans que de savoir que le peuple juif a été le premier à véhiculer cette idée fondamentale : l’humanité n’a qu’un seul Dieu et, à ce titre, elle est une. Elle n’est pas une par confusion des cultures, elle n’est pas une par confusion des civilisations, elle est une par le fait qu’elle a un seul père, un seul Dieu. La religion chrétienne Le christianisme, qui est complètement né du monde juif – et qui aurait pu continuer d’être un s’il n’y avait pas eu ces incompréhensions initiales entre Israël et les chrétiens - n’a fait que développer cette notion. D’abord par les orientations d’actions que lui a données Jésus quand il était sur cette terre. Jésus vrai Dieu et vrai homme. Je suis marqué par le fait que ce Jésus de Nazareth qui savait lire puisqu’il lisait les textes de la bible à haute voie et sans doute écrire, n’a rien laissé d’écrit. Il aurait pu être tenté de dire : attention on va défigurer mon message, on va le comprendre de travers, je vais laisser quelques textes, je vais dicter à mes apôtres des textes en leur demandant de les recopier, comme ce sera le cas six siècles plus tard pour Mohammed. Il ne l’a pas fait. L’évangile nous le présente, une fois, en train de tracer des signes sur le sable et on ne sait pas si c’est un message qu’il voulait laisser là. Pour nous enseigner, il ne nous a pas laissé de textes écrits de sa main ou dictés de sa bouche. Il nous a laissé plusieurs témoignages, certes convergents, mais par certains aspects un peu divergents, comme s’il avait voulu nous laisser de l’espace pour nos propres interprétations, en fonction de nos différents âges culturels ou des différentes civilisations. Il nous a laissé des témoignages à travers de la bouche des apôtres. En tous les cas je suis très frappé par ce phénomène d’un Jésus venant chez nous avec notre corps, avec le langage de l’époque et non pas un langage universel. Il nous a transmis son message à travers des témoignages pluriels, divers qui convergent mais ne s’uniformes pas. Il a là un signal sur le fait que son message était destiné à toutes les cultures, y compris celles qu’il ne connaissait pas ; qu’en tant qu’homme, il ne pouvait pas imaginer, mais dont il savait qu’elles viendraient dans la succession du temps. Certes nous avons une interrogation sur l’idée qu’il se faisait de 2 la durée. D’une certaine manière nous nous demandons si, en disant « vous ne savez pas l’heure » il ne disait pas « je ne sais pas l’heure » car c’était un homme qui nous parlait. Tous ceux qui étaient ses disciples, tous ses apôtres imaginaient que la fin pouvait être prochaine. Dans la façon dont il s’est comporté on a le sentiment que le Christ savait que plusieurs cultures, plusieurs âges de l’humanité auraient à comprendre son message, à le décrypter, à le mettre en œuvre et qu’il ne fallait pas figer les choses dans une proclamation dictée, précise, liée à une époque, à une culture, à un peuple, à une civilisation. Nous en avons une indication très importante pour ce que nous vivons aujourd’hui. Ce qui est toujours frappant, c’est que dans sa manière de se comporter le Christ nous donne l’impression de penser à nous, à des gens qui ne sont pas de son temps, de son peuple, de sa langue. Nous avons ce sentiment très fort qui nous donne l’impression qu’il avait le pressentiment de la globalisation même si, naturellement, il n’avait pas les outils pour la décrire à son époque. Toutefois, il y avait dans le message chrétien, quelque chose qui troublait les esprits de ceux qui croyaient un seul Dieu, une seule terre : la Trinité. Ainsi il n’y a qu’un seul Dieu mais voilà des gens qui viennent me dire : il y a dieu le père il y a le fils qui est aussi dieu – ce qui était intelligible pour le peuple d’Israël car il ne pouvait y avoir un fils qui était aussi dieu - puis il y a l’Esprit. La Trinité a toujours été vécue par d’autres peuples que le peuple chrétien comme une sorte de bavure sur l’image du Dieu unique. Ne croyons pas que cela a disparu aujourd’hui. Pour nous chrétiens instruits par l’Eglise, cela est devenu une évidence, mais pour les autres croyants, cela reste quelque chose d’inintelligible. Vous ne pouvez pas nous dire que vous croyez en un seul dieu et affirmer la trinité nous disent les autres croyants. C’est une difficulté pointée par Remi Brague (Express Octobre 2008 : Jésus et Mahomet) : « avec les musulmans il est plus facile de parler de la paix dans le monde, de la crise financière, de pétrole que de parler que d’Abraham et de dieu car nous n’avons pas du tout la même approche et la même vision des choses ». Pour les juifs, les musulmans sont plus intelligibles car ils viennent d’un seul dieu. Pour les juifs il n’y a pas de trinité. Pour les musulmans nous sommes inintelligibles en disant que nous n’avons qu’un seul dieu et, en même temps, que nous croyons en la Trinité. Sommes-nous, au clair, nous catholiques sur ce que signifie la Trinité. C’est n’est pas si simple d’expliquer – notamment aux 3 enfants - ce qu’est la Trinité avec un Dieu unique. Le christianisme croit en l’unicité de dieu mais doit sans cesse s’expliquer à luimême et au reste de l’humanité, en quoi un dieu peut être unique en 3 personnes. C’est une difficulté. La religion musulmane C’est, en partie, sur cette difficulté qu’est née la religion musulmane. Mahomet ou Mohammed (VIIème siècle), selon les coutumes, est à l’époque l’équivalent d’un transporteur routier avec des dromadaires, qui travaille, qui a épousé une dizaine de femmes et a eu une révélation. Il ne prétend pas avoir sorti de lui-même le message qu’il nous expose. Il dit « On m’a dicté cela ». Cela nous a donné le Coran avec des contraintes très fortes. C’est dans ce texte là, dans cette langue là, que nous devons comprendre le message de dieu. Donc un seul Dieu, un seul message, un seul texte, une seule langue. Cela ne veut pas dire que les musulmans n’ont en rien participé à la mondialisation, car ils s’adressent au monde entier et à toute l’humanité mais, curieusement à la manière d’Israël – un peuple qui a reçu un message unique valable pour tous les peuples - cela veut dire que la nation arabe a une vocation particulière puisque le message que dieu lui a adressé ne peut être transmis que dans la langue arabe. Alors que l’islam concerne plus de non arabes que d’arabes, la nation, la culture, la langue, la civilisation arabe ont une vocation particulière à l’intérieur de la religion musulmane. Ces grandes religions monothéistes, par construction, globalisent l’humanité et donc la terre et sont fondamentales dans l’origine de la mondialisation. Même si elles n'ont pas été le principal moteur de la mondialisation, ces religions ont contribué à donner une vision unifiée de l'humanité et de la Terre. Elles ont contribué à faire grandir la conscience d'une humanité, informée de son unité sur une seule Terre. Pourtant ce ne sont pas les religions qui ont joué le rôle décisif dans le passage d'un monde fragmenté à un monde globalisé. Pas davantage les forces politiques. C’est l’économie. L’économie Cette discipline a mauvaise réputation, notamment, aujourd’hui. Car l’économie représente l’intérêt, l’appétit, l’envie, la jalousie, le matérialisme, l’athéisme. En tant qu’économiste, je me rebelle 4 contre cette vision réductrice et négative de l’économie. Il n’empêche que c’est bien sur cette vision que certains esprits nous ont alertés. Je citerai deux exemples, de la même époque : Sigmund Freud : « l’ancien monde est réglé par l’autorité. Le nouveau monde est régi par le dollar ». Et Charles Péguy : « pour la première fois dans l’histoire du monde, l’argent est maitre sans limite et sans mesure ». Voila deux grands esprits qui comprennent l’univers dans lequel nous sommes engagés et nous indiquent que l’économie est devenu maitresse du monde à travers l’une des trois grandes passions de l’homme : l’argent, le sexe et le pouvoir. Nos trois grandes passions Le sexe c’est pour tout le monde, l’argent n’est pas pour tout le monde et le pouvoir est pour peu de monde. Augustin nous éclaire dans ses écrits et au travers de sa vie : « Ces grandes passions sont ambigües ». De façon similaire à la physique quantique qui nous permet d’aborder des réalités plus subtiles que la physique classique de Newton, Augustin nous fait comprendre qu’il y a toujours quelque chose d’ambigüe dans les grandes passions humaines. Elles peuvent dégénérer en idolâtrie et elles le font aussi bien par le sexe, par le pouvoir ou par l’argent comme nous l’indiquent Freud ou Peguy. La dérive vers l’idolâtrie sera toujours présente dans la culture de l’humanité mais la mobilisation des énergies issues de ces passions permettent aussi de construire le monde, d’être des co-créateurs, avec le sexe en faisant des enfants, avec le pouvoir en organisant la société, avec l’argent en développant l’économie et le niveau de vie de chacun. La même passion peut être à la fois source d’idolâtrie et moteur de l’évolution. Teilhard l’avait parfaitement compris. Les origines L’économie va accélérer le processus de globalisation. Nous devons nous rappeler que nous nous situons dans la cohorte des 80 milliards d’êtres humains nés depuis l’apparition de l’homo sapiens sapiens, il y a cinquante mille ans. Tous différents les uns des autres mais tous uniques aux yeux de Dieu comme nous le disent les religions monothéistes. Nous avons franchi différentes étapes et notamment le pas de la socialisation. La globalisation que nous vivons aujourd’hui est une sous-étape de la socialisation de l’espèce humaine depuis que les hommes ont décidé il y a dix mille 5 ans de s’agréger en villages, en cités et, pour ne pas mourir, de cultiver de quoi se nourrir, la cueillette et la chasse ne suffisant pas. La globalisation est une nouvelle une étape fondamentale dans le franchissement du pas de la socialisation. Les grandes découvertes Cela a commencé avec les « Grandes Découvertes » au XVIème siècle. Il faut néanmoins avoir conscience de ce que représentaient ces grandes découvertes pour les hommes qui ont vécu à cette période. Les historiens nous rappellent qu’à l’époque, l’humanité ne savait pas lire et était informée de ce qui passait dans un rayon de 5km autour de soi ; au-delà, on ne savait pas ce qui se passait. Les navires de Magellan bouclent le premier tour du monde en 1522. Vu d’aujourd’hui c’est une étape majeure mais à l’époque cela n’était perçu comme tel que par un très petit nombre d’êtres humains. Puis au XVlIè siècle vient, la phase majeure des grands scientifiques : Descartes, Kepler, Newton, Galilée, Leibniz, Fermat ouvrent la voie aux révolutions techniques des siècles à venir en mettant les réalités en équations mathématiques. Après avoir mis le monde en équations, le XIXeme siècle est celui des innovations techniques : la machine à vapeur, le métier à tisser,…puis la révolution industrielle basée sur les transports (chemin de fer, bateau, voiture,…), l’énergie,… Nous traversons une époque nouvelle ramassée dans le temps : 200 ans sur les 50.000 ans qui nous séparent de l’homo sapiens sapiens, 200 ans au cours desquels le monde entier s’est rassemblé non pas autour d’un même dieu mais autour du progrès scientifique et technologique. Nous avons là un phénomène majeur, décisif qui nous a façonné tels ce que nous sommes aujourd’hui. D’après les travaux d’Angus Maddison (rapport OCDE), depuis les temps anciens jusqu’au 18eme siècle, la production mondiale par tête n’a quasiment pas augmenté (0,2% en croissance annuelle) mais depuis le 18eme siècle, la production par tête s’est accrue d’environ 2% par an alors qu’en même temps la population a 6 explosé. Au début du 19ème siècle 1 milliard d’individus vivaient sur la terre et nous serons bientôt 6,5 milliards d’individus. La démographie Néanmoins l’explosion démographique est en train de s’achever. Nous allons rentrer, dans les cinquante ans à venir, dans une implosion démographique. Tous les peuples, et pas uniquement les peuples occidentaux, sont en train de constater un effondrement de la fécondité. Il a fallu, dans les pays occidentaux, deux siècles pour que la fécondité passe de 6 à 1,5 enfants par femme alors que 50 ans ont suffi aux pays en voie de développement pour passer de 6 à 3 enfants par femme voire moins. La fécondité est actuellement plus élevée en France qu’en Chine. On comprend que, par tous ces éléments, cette évolution majeure a pu être vécue par des gens comme Teilhard, comme une révolution fondamentale. Le Père Teilhard de Chardin rapporte dans son livre sur « Le Phénomène humain » un propos que lui a tenu l'abbé Breuil : « Nous venons seulement de lâcher les dernières amarres qui nous retenaient au néolithique ". Et Teilhard d'ajouter : " Terre fumante d'usines, Terre trépidante d'affaires, Terre vibrante de cent radiations nouvelles. Ce grand organisme ne vit rien en définitive que pour et par une âme nouvelle. Ce qui en l'espace de quatre ou cinq générations nous a fait quoi qu'on dise si différents de nos aïeuls, si ambitieux, si anxieux aussi, ce n’est pas simplement à coup sûr d'avoir découvert et maîtrisé d'autres formes de la nature, tout à fait au fond, si je ne me trompe, c'est d'avoir pris conscience du mouvement qui nous entraîne, et par là de nous être aperçus des redoutables problèmes posés par l'exercice réfléchi de l'Effort humain. » L’explosion de cette mondialisation explique que Teilhard ait pu voir une compression, une avancée vers toujours plus de complexité et de conscience dont il faisait la flèche de l’évolution historique. Il voit dans cette évolution la construction d'une nouvelle sphère : après la biosphère, expression de la vie sur Terre, il imagine cette réalité qu’il nomme la noosphère, la pensée qui enveloppe le monde et qui accentue l’effort de compréhension de ce qui se passe. 7 Cette évolution a mis les religions à l’épreuve. Les religions à l’épreuve En même temps que la révolution industrielle et en liaison avec celle-ci, il s’est passé quelque chose de fondamental au niveau de la culture de la société, surtout dans les civilisations occidentales. Jusqu’au XVIIIème siècle, l’homme pensait qu’il était sur terre pour faire son salut. La religion l’enveloppait et avait construit des structures sociales et politiques - la religion du peuple devait être celle des rois très chrétiens – s’appuyant sur cette vision. A partir du 19ème siècle, de façon assez rapide, l’homme s’est vu sur terre pour faire son bonheur. Pour illustrer ce passage, il suffit d’écouter l’œuvre musicale de Haydn « La création » (1799) où dans la dernière partie un admirable dialogue entre Adam et Eve nous exprime de façon intraduisible en mots, le passage de la civilisation du salut à la civilisation du bonheur. On a eu la tentation, notamment chez les chrétiens d’opposer le salut et le bonheur. Je pense que ce qu’il nous faudra résoudre dans notre siècle c’est la question du rapprochement entre le salut et le bonheur. Il faudra expliquer qu’il n’y a pas d’opposition fondamentale, que Dieu ne nous a pas mis sur cette terre pour notre malheur. Il faudra approfondir ce qu’il y a de commun entre notre salut et notre bonheur et comment l’un peut aider à l’autre. Baisse du fait religieux De cette transformation, il en a résulté une désacralisation progressive de la société. En fait, moins un rejet qu'une indifférence à l'égard du fait religieux. Une enquête réalisée dans l'Europe des Quinze au début du siècle fait apparaître que seulement 57% des Européens " se sentaient religieux " avec des écarts sensibles selon les pays : 37% en Grande-Bretagne et en Suède, 44% en France, 52% en Allemagne, 83% en Italie. Nous voyons une grande diversité des comportements au sein de la même civilisation. Il n’y a donc pas de rupture de civilisation entre ceux qui croient en un dieu et ceux qui n’y croient pas. On peut ainsi appartenir à la même civilisation et avoir un degré de 8 proximité avec le fait religieux qui soit très différent. L’évolution des religions De même la géographie religieuse est en pleine mutation, essentiellement pour le christianisme. Le christianisme se déplace. La majorité chrétienne n’est plus en Europe mais aux Amériques et en Afrique. Cette évolution s’accélère. La terre compterait aujourd'hui environ 2 milliards de chrétiens (dont la moitié de catholiques et l’autre moitié des églises protestants) et 1,2 milliard de musulmans. A l’intérieur des églises protestantes, nous constatons l’explosion des Eglises évangéliques – pentecôtistes – notamment en Amérique latine où elles mordent sur le catholicisme et en Afrique où elles mordent en partie sur l’islam. Quelles sont les caractéristiques de ces églises évangéliques qui paraissent être le moteur du développement du christianisme dans le monde ? Ce sont des chrétiens - Dieu unique, Jésus, homme et vrai Dieu, mort et ressuscité - qui pratiquent une religion simplifiée avec une tendance à une lecture plus littérale des textes évangéliques et de la bible, notamment de la création du monde. Les évangélistes ont surtout une approche plus directe, plus prosélytique que celle du catholicisme. Ils sont là pour évangéliser ceux qui ne sont pas chrétiens alors que le prosélytisme semble gêner les catholiques. Les défis de la mondialisation D’un coté, nous avons donc des religions secouées, mises à mal, transformées par la mondialisation ; d’un autre coté le moteur de la mondialisation qui se grippe avec la crise du capitalisme. Nous sommes engagés dans des défis nouveaux pour maitriser la crise du capitalisme (voir l’intervention de M. Camdessus) mais aussi par rapport à la structure politique de notre société qui repose sur l’Etat-nation. Alors qu’est prôné un dépassement de cette notion d’Etat Nation et la création de structures qui gèrent la globalité du monde, les questions de l’identité des peuples, de l’unité de nos sociétés sont posées. En 1947, Teilhard sur ce thème disait à l’Unesco : 9 « Que nous le voulions ou non l'humanité se collectivise. Elle se totalise sous l'influence de forces physiques et spirituelles d'ordre planétaire d'où le conflit moderne au cœur de chaque homme, entre l'élément toujours plus conscient de sa valeur individuelle et des liens sociaux toujours plus exigeants. » Dans l’évolution que nous allons connaitre, quels vont être le rôle des Etats nations, le rôle des structures intermédiaires entre la globalisation et l’état national ? Quelles sont les vocations de l’Europe ? L’Europe La vocation de l’Europe est d’inventer un fédéralisme nouveau, un fédéralisme d’Etats nations. Ceux-ci ne se dissolvent pas dans un ensemble plus grand, car nous en avons besoin pour conserver l’unité de nos sociétés. L’Europe doit être un laboratoire pour le monde entier, celui d’un fédéralisme d’Etats nations qui permettra une gouvernance mondiale sans faire disparaitre les rivalités nationales. Enfin dans le domaine des cultures, se pose la question de savoir si l’Europe n’a pas une mission particulière, celle d’ouvrir sa porte à la nation turque, héritière de l’empire ottoman. Nous devons nous donner comme mission d’ouvrir cette fédération d’Etats-nations à une nation d’origine musulmane et de construire quelque chose ensemble. On ne construit la paix entre deux peuples que lorsque l’on a quelque chose à faire ensemble. Nous ne pouvons donc pas simplement fermer notre porte à la Turquie. C’est une chance que l’Europe dans sa construction d’étatsnations puisse inclure la nation turque avec toute sa richesse car il n’y a pas d’autre lieu dans le monde où la culture chrétienne et la culture musulmane peuvent se marier pour construire ensemble. Certes cela peut prendre du temps et nous devrons surmonter de nombreux obstacles. La pensée de Teilhard nous aide à nous rappeler que la création n'est pas achevée, qu'elle se poursuit sous nos yeux et, pour une part, de nos mains. Il nous invite à regarder devant nous et à voir le Christ comme un achèvement et pas seulement comme une référence .Cela ne signifie pas qu'il n'a pas conscience des difficultés et du mal qu’il nous faudra surmonter. En 1941, Teilhard écrit à Pékin : "La véritable difficulté posée par l'homme n’est pas ce savoir s'il est le siège d'un progrès continue : c'est bien plutôt de concevoir comment ce progrès va pouvoir se poursuivre longtemps au train où il va sans que la vie n' éclate sur elle-même ou ne fasse éclater ta terre 10 sur laquelle il est né ". Pour conclure deux pensées qui m’accompagnent. La première de Jean-Paul II : « Une foi qui ne pense pas n’est rien » et l’autre du pasteur Bonhoeffer : « Devant Dieu, soyez comme étant sans dieux : libre adulte et responsable. » 11