Panorama représentatif des usages des NTIC en Afrique
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Panorama représentatif des usages des NTIC en Afrique
6 Panorama représentatif des usages des NTIC en Afrique José DO NASCIMENTO S’informer sur les divers usages des NTIC en Afrique n’est pas chose aisée. Les monographies détaillées relatives à celles-ci sont encore rares. On trouve surtout des articles qui font mention d'exemples d’usages rapidement commentés. A partir de ces informations éparses et inégales nous avons tenté une synthèse descriptive des usages des NTIC en Afrique. Cette description ne vise évidemment pas à l'exhaustivité. Elle a pour seul objet de donner une idée représentative de la pratique des NTIC en Afrique. Le classement retenu est arbitraire. Il ne saurait répondre à une quelconque typologie. Il distingue : les usages dans le secteur de l’enseignement, dans le secteur marchand, dans le secteur de la prévention météorologique, dans le secteur médical, dans le secteur des accès publics aux NTIC, dans le secteur politique. 1. Les usages dans le secteur de l'enseignement Le secteur de l’enseignement en Afrique est ouvert aux NTIC. Parmi les usages que l’on y rencontre, trois sont particulièrement représentatifs des modes d’appropriation des NTIC dans ce domaine. Il s’agit de la formation universitaire par voie de vidéo-conférence, de la formation à la pédagogie des NTIC, de la consultation documentaire via l’Internet SOCIETE NUMERIQUE EN AFRIQUE 154 La formation universitaire par voie de vidéo-conférence L'Université virtuelle africaine (UVA) est illustrative de cet usage. Il s'agit d'un programme d’enseignement à distance dont le siège est à Washington. Ce programme porte sur les formations scientifiques et techniques. L’UVA a été créée par la Banque mondiale en 1997 sur une idée d’Etienne Baranshamaje, Burundais, expert et haut fonctionnaire au sein de cette institution. L’UVA forme en 4 ans des ingénieurs dans les filières de l’informatique, du génie informatique et du génie électrique. Les diplômes sont délivrés par l’institution et les enseignants appartiennent à des universités américaines, européennes et africaines. Les cours, reçus par satellite, sont dispensés à la fois en anglais et en français. Ils sont également enregistrés sur cassette pour permettre aux étudiants de suivre à nouveau le même cours en cas de nécessité. Les étudiants ont accès à une bibliothèque virtuelle. Ils peuvent interrompre le professeur en ligne pendant le cours, lui poser des questions et, à tout moment, échanger avec lui par courrier électronique. En 2001 l’UVA comptait 24 000 étudiants inscrits et diffusait près de 3500 heures de cours. Quinze pays anglophones et 7 pays francophones participent à l’UVA. Vingt six centres d’éducation localisés, répartis dans 15 pays du continent, ont été créés. L’UVA envisage de fonctionner comme une entreprise. Mais des centres d'apprentissage peuvent être ouverts au sein des universités nationales intéressées. C’est le cas pour l'université Gaston Berger de la ville de Saint Louis au Sénégal. Dans le cadre de l’UVA, le programme de la Maîtrise d'Informatique de l'université Laval (Canada) sera proposé à distance via l'Université Gaston Berger (UGB) à partir de la rentrée 20032004. Des bacheliers seront recrutés selon les critères de l'université de Laval et devront payer des frais de scolarité s'élevant à 600 000 Francs CFA. Les étudiants devraient cependant pouvoir bénéficier de bourses étrangères afin d'être en conformité avec la formation privée des universités canadiennes. L'UGB a été choisie comme Université partenaire africaine principale (UPAP) pour le programme de l'université de Laval et devrait être bientôt dotée de ressources techniques plus performantes : groupes électrogènes, micro-ordinateurs plus puissants, antennes VSAT, etc.1 1 Le Batik n°49. PANORAMA DES USAGES DES NTIC 155 La formation à la pédagogie des NTIC Les Campus numériques francophones (CNF) sont représentatifs de cet usage Il s'agit de plates-formes technologiques spécialisées dans l'ingénierie pédagogique et fonctionnant en réseau. Ces campus numériques forment aux Nouvelles technologies des enseignants et des chercheurs. Ils constituent dans le champ francophone une initiative équivalente à l’UVA. Les campus numériques francophones sont mis en œuvre dans le cadre du Programme technologies de l'information et de la communication et appropriation des savoirs. Ce programme de l'Agence universitaire de la francophonie(AUF) vise à intégrer les Nouvelles technologies éducatives (NTE) dans les pratiques pédagogiques des universités africaines. Selon l'AUF, ce programme, à l’origine appelé université virtuelle francophone, a pris le nom de Campus numérique francophone pour bien en marquer l’originalité. Il ne s’agit pas en effet d’une université de substitution, mais d’un plateau technique numérique dans lequel apprenants et enseignants travaillent ensemble pour améliorer leurs actes pédagogiques. L’un de ces campus a été inauguré le 24 octobre 2000 à Dakar. On trouve aussi des CNF à Abidjan, Bamako, Cotonou, Ouagadougou et bientôt à Niamey. Selon Olivier Sagna, directeur des formations pour les CNF de l’Afrique de l’Ouest, de tels cadres ne cherchent pas à se substituer aux universités africaines, mais les encouragent à mieux utiliser les Nouvelles technologies pour l'appropriation des savoirs. La consultation documentaire via l’Internet La consultation des bases de données documentaires par les universitaires africains est un exemple type de cet usage. Divers sites sur le web offrent cette possibilité. En particulier dans le cadre des Institutions de la Francophonie, le site de l’INTIF (www.intif.francophonie.org) qui donne accès à un fonds de documentation scientifique numérisé. Ce fonds qui est géré par le CIFDI (www.cifdi.francophonie.org) est abondamment consulté par les universitaires africains. Ce type de site donne au milieu universitaire africain un accès à des informations scientifiques qui leur restait jusque là fermé. Mouhamed Tidiane Seck de l'Université de Dakar écrit : « Pour des raisons essentiellement financières, les universitaires et chercheurs africains ne sont pas ou peu irrigués par les canaux d'information existants. Le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que les 156 SOCIETE NUMERIQUE EN AFRIQUE structures spécialisées dans la gestion de l'information, sont confrontés à la difficulté d'accès à l'information pour la transmission des connaissances existantes et l'élaboration de nouveaux savoirs d'une part et aux entraves à la diffusion, à la promotion et à la valorisation des résultats des travaux scientifiques d'autre part. Une série de problèmes qui ont pour conséquence de les marginaliser sur le plan scientifique et de saper les efforts qu'ils consentent pour accomplir leurs missions »2. L'AUF a pris une autre initiative visant à vaincre l'isolement documentaire des chercheurs africains. Il s'agit d'un système d'édition et de diffusion en ligne qui permet de décloisonner les universités du Sud en matière d'information scientifique et de favoriser l'expression des besoins et la diffusion des travaux scientifiques. 2. Les usages dans le secteur marchand Le secteur marchand en Afrique est ouvert aux NTIC. Parmi les usages que l’on y rencontre, quatre sont particulièrement représentatifs des modes d’appropriation des NTIC dans ce domaine. Il s’agit de l’information agricole via l’Internet, de l’information commerciale par courrier électronique, de la promotion commerciale via le WEB, de l’information commerciale en temps réel par le téléphone portable L’information agricole par Internet Le réseau de l’Afamin est illustratif de ce type d'usage : http://www.afamin.net/. C'est un Réseau d’échange d’informations relatives aux marchés agricoles. Il couvre le Bénin, le Burkina, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Sénégal et le Togo. Il a été créé en décembre 2002. Son objet est de fournir à divers acteurs (paysans, commerçants, décideurs et fournisseurs d’intrants, institutions financières, bailleurs de fonds, etc.) des informations fiables et actualisées sur les marchés et le commerce dans le secteur agricole. Il donne aussi accès à des rubriques d'actualité (informations générales, intrants agricoles, productions agrico2 Mouhamed Tidiane Seck, « Insertion d'Internet dans les milieux de la recherche scientifique en Afrique de l'Ouest », in Annie Chéneau-Loquay, Enjeux des technologies de la communication en Afrique, Karthala-regards, 2000. PANORAMA DES USAGES DES NTIC 157 les, environnement), à un répertoire comportant les adresses et les contacts des principaux grossistes importateurs et détaillants pour l’agriculture dans chacun des pays couverts, ainsi qu’une série de liens utiles. Son objectif est de rendre l’information disponible aux intéressés pour les aider à prendre des décisions motivées en matière d’agriculture et d’alimentation. L'Afamin fait ainsi office de base analytique aux études comparatives sur les marchés, la productivité et la rentabilité agricole. Le site de l'Afamin est en anglais et en français. L’information commerciale par courrier électronique Le Réseau REAO (Réseau de l'Entreprise en Afrique de l'Ouest) est un exemple type de cet usage. Il s'agit d'une association de 300 entrepreneurs de 12 pays de l’Afrique de l’Ouest. Il a été créé en 1992. Son objet est de faciliter les échanges d‘informations, notamment celles à caractère commercial, en reliant ses membres par courrier électronique. Plus rapide et moins coûteux que les moyens de communication traditionnels, le courrier électronique est également utilisé pour les contrats au niveau international. Le REAO dispose de 12 réseaux nationaux : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Tchad. Il dispose d’un Centre régional d’informations commerciales situé à Accra. Ce centre est chargé de centraliser la documentation sur les régimes légaux et réglementaires relatifs au commerce en Afrique de l’Ouest. Il doit fournir, à tout moment, des informations fiables et mises à jour aux membres des réseaux. Les informations qui concernent les flux commerciaux, les prix, les volumes des échanges et les coûts et disponibilités de transport sont fournis aux membres par le Bulletin commercial mensuel transmis par courrier électronique. Le Centre d’informations répond aussi par l’intermédiaire du courrier électronique à des demandes individuelles d’informations sur des points particuliers qui peuvent toucher, par exemple, les sources d’approvisionnement, les prix sur les marchés mondiaux, les standards de qualité pour les exportations, les normes en matière d’emballage et d’étiquetage. Le REAO dispose d’un équipement qui lui permet d’avoir accès à des bases de données nationales et internationales grâce à ses liaisons Internet. 158 SOCIETE NUMERIQUE EN AFRIQUE La promotion commerciale via le Web Un exemple représentatif de ce type d'usage est le site du village artisanal de Thiès au Sénégal. Ce site a été réalisé par l’antenne du Trade Point Sénégal de Thiès avec l’appui financier de l’USAID via Dyna Entreprises. En janvier 2003 ce village a procédé au lancement officiel de ce site web dont la vocation est d'assurer la promotion commerciale des produits artisanaux réalisés localement (cf http://www.senartisanat.sn/). C’est la styliste Oumou Sy qui, au Sénégal, a été pionnière dans ce type d’usage. C’est elle qui en 2000 avait créé une boutique en ligne pour vendre une partie de ses créations : boucles d’oreilles, chaussures, colliers, sacs et gilets. L’information en temps réel par le téléphone portable Deux exemples informent sur ce type d'usage. D’un côté le système Manobi d’information sur les prix des produits agricoles en cours sur les marchés urbains. De l’autre, le réseau informel d’information sur les besoins des marchés urbains en produits halieutiques. - Le système Manobi d’information sur les prix La société Manobi France, créée en octobre 2000 par Daniel Annerose, a ouvert depuis septembre 2001 au Sénégal un service d'information agricole reposant sur le protocole Wap (Wireless Application Protocol). L'application consiste à mettre à la disposition des maraîchers et des horticulteurs un observatoire des prix pratiqués sur les principaux marchés de Dakar3. Elle permet à ceux d’entre eux qui approvisionnent Dakar en fruits et légumes, de connaître le cours de leurs produits sur les principaux marchés de la capitale et d'être ainsi en meilleure position pour négocier avec les grossistes qui viennent acheter leur production. Le système repose sur un réseau de collecteurs qui font le tour des principaux marchés dakarois, relèvent les prix pratiqués, les entrent dans une base de données et les rendent ainsi immédiatement disponibles pour les abonnés qui les consultent via leur téléphone portable. Le service offert par Manobi est la première application de « l'Internet sans fil » à être opérationnelle au Sénégal. Pour l'utilisation de cet observatoire des prix, Manobi ne facture pas directement à ses abonnés, mais est rémunéré par la Sonatel sur le trafic généré. 3 Le Batik N° 42, janvier 2003 (http://www.osiris.sn). PANORAMA DES USAGES DES NTIC 159 - Le réseau informel d’information sur les besoins des marchés urbains en produits halieutiques On fait ici référence au réseau créé par la filière de la pêche artisanale au Sénégal. Dans ce pays les bancs de poisson se déplacent le long des côtes et il est difficile de savoir à l'avance quelles seront l'ampleur et la répartition des prises. Les pêcheurs ont mis en place un système informel d’information par téléphone portable qui permet aux premiers pêcheurs qui arrivent sur une plage au nord et au sud de Dakar, d'appeler les mareyeurs pour les informer de la qualité et de la quantité du poisson qui va être débarqué. Ce qui permet ainsi d'envoyer le nombre de camions et la quantité de glace au bon endroit et d'éviter par conséquent les pertes4. On est ici en présence d'un usage particulièrement inventif du téléphone portable en termes de rationalisation d'une activité économique. 3. Les usages dans le secteur de la prévention météorologique Les secteurs économiques dont l’activité est conditionnée par les aléas climatiques sont en Afrique ouverts aux NTIC. Parmi les usages que l’on y rencontre, deux sont particulièrement représentatifs des modes d’appropriation des NTIC dans ce domaine. Il s’agit de l’information météorologique en zone rurale par la combinaison de l’Internet et de la radio, de l’information météorologique en haute mer par la combinaison de l’Internet et du téléphone portable L’information météorologique en zone rurale par la combinaison de l’Internet et de la radio Le système Ranet est une bonne illustration de ce type d'usage. Il s'agit d'un réseau innovateur de transmission d'informations météo en zone rurale grâce à Internet. Il a été créé en Ouganda. Ranet donne la possibilité aux météorologistes d'annoncer le climat aux villageois. L'information est relayée par les Centres Ranet, équipés en ordinateurs pour télécharger les prévisions. Des stations de FM sont contactées pour diffuser les prévisions en anglais, voire les traduire en langues locales. 4 Annie Chéneau-Loquay : « Les territoires de la téléphonie mobile en Afrique », in Revue Netcom, vol.15,n° 1-2, sept.2001 160 SOCIETE NUMERIQUE EN AFRIQUE Cette utilisation combinée de la radio et d'Internet permet aux paysans de zones rurales reculées d'anticiper sur leur travail journalier. Dix sites ont été établis en partenariat avec World Vision dans les sousrégions de Kabale, de Masaka, de Nakasongola, de Mukono, de Hoima, de Tororo, de Soroti, de Gulu, d'Arua et de Mpigi. D'autres ONG et établissements ont manifesté de l'intérêt pour diffuser l'information en partenariat. L’information météorologique en haute mer par la combinaison de l’Internet et du téléphone portable Le système Manobi de sécurité en mer illustre ce type d'usage. Ce système a été créé au Sénégal par la Société Manobi France dont la filiale locale est Manobi Sénégal. Il concerne aussi l’information météorologique. A la différence du système Ranet, il ne s’adresse pas aux agriculteurs mais aux pêcheurs. Il faut se souvenir qu'au Sénégal comme dans beaucoup de pays africains côtiers, aucune donnée météorologique appropriée n'était disponible pour les pêcheurs-artisans. Ces derniers partaient en mer, affrontant tous les risques. Selon le directeur de Manobi Sénégal, Daniel Annerose, avec le service créé par Manobi France, le pêcheur accède depuis son téléphone à un bulletin météo détaillé. Ce bulletin est préparé en ligne par les prévisionnistes de la Direction de la météorologie nationale. Le pêcheur en prend connaissance sur l’écran de son téléphone portable sous la forme d'un ensemble d'icônes simples facilement interprétables par un non-alphabétisé. Ce bulletin peut être consulté par les groupements interprofessionnels responsables de la gestion des plages et des quais de débarquement qui disposent aussi d'un Web sécurisé (à partir duquel, ils peuvent aussi consulter le bulletin) pour mettre en œuvre les mesures de sécurité locale. Le système créé par Manobi-France est d'une grande portée sécuritaire pour le pêcheur-artisan africain. Il permet de suivre son départ, son retour effectif, alerter de son absence et organiser les recherches. L'information est accessible en temps réel par le responsable de la sécurité du groupement interprofessionnel gérant le quai de débarquement. De ce fait, quand un pêcheur accuse du retard, par rapport à une limite fixée, le responsable de la sécurité peut lancer avec trois niveaux d'urgence des alertes au pêcheur lui-même et à ses collègues en mer pour organiser les recherches et les secours éventuellement nécessaires. Pour ce qui est du secours, un bouton d'alarme est installé sur le téléphone couplé au GPS. PANORAMA DES USAGES DES NTIC 161 C'est sur ce bouton que le pêcheur en danger appuie pour déclencher l'alerte. Le signal est reçu par l'opérateur qui gère à travers sa plate-forme tout le circuit d'information permettant d'alerter, en temps réel, l'ensemble des responsables de la sécurité en mer.5 4. Les usages dans le secteur médical Le secteur médical en Afrique s’ouvre progressivement aux NTIC. Parmi les usages que l’on y rencontre, deux sont particulièrement représentatifs des modes d’appropriation des NTIC dans ce domaine. D’une part, l’information médicale via l’Internet, d’autre part, la télé-médecine. L’information médicale via l’Internet : la Health InterNetwork Access to research Initiative Illustratif de cet usage est la Health InterNetwork Access to research Initiative. Il s'agit d'un système de bibliothèque médicale en ligne, lancé en février 2002 par l’OMS et six des plus grands éditeurs mondiaux de journaux médicaux. Son objet est de permettre aux experts médicaux des pays en développement d’avoir accès, via l’Internet, à la littérature médicale qu’ils ne pouvaient obtenir jusque là qu'en payant un ou des abonnements à prix élevés. Abonnement qui était donc inaccessible par le moyen du seul salaire des médecins africains ou par celui des ressources financières de leur organisme national de rattachement. La télé-médecine La science médicale s’est appropriée les NTIC à travers une procédure d’intervention médicale nouvelle : la télé-médecine. Les principales applications des NTIC dans ce domaine sont : la télé-consultation, le télédiagnostic, la télésurveillance, la télé-expertise, la télé-formation (consultation des informations médicales), la création de réseaux de télémédecine (transmission de dossiers), la télé-chirurgie (permet de manipuler du matériel à distance et d’avoir une action du praticien sur le patient). 5 Fatou FAYE in Le Quotidien, 23 septembre 2003. 162 SOCIETE NUMERIQUE EN AFRIQUE L’Afrique connaît actuellement diverses expériences pilotes de télé-médecine. Certaines visent à pallier l’isolement médical de certaines populations. Elles consistent à implanter des réseaux de télé-médecine par satellite sur sites isolés afin de mettre à la disposition des populations les plus éloignées les compétences des meilleurs experts, notamment en matière de prévention de la mortalité maternelle et infantile. Cela a été le cas au Sénégal en janvier 2002 dans un projet associant la FISSA (Force d’intervention sanitaire satellitaire auto-portée) et le CNES (Centre national d'études spatiales) sur les sites de Ninéfesha (district de Kédougou) et Bala (district de Goudiri). Au cours de cette expérience, des patients à risques, situés dans des zones isolées, enclavées et dépourvues de structure de santé, ont été examinés grâce à une station portable de télé-médecine mise au point par le Médès (Institut français de médecine et de physiologie spatiale). Les données recueillies étaient transmises par satellite vers le Centre Hospitalier régional de Tambacounda et vers la clinique gynécologique et obstétricale du CHU Le Dantec, à Dakar. Les spécialistes dans les diverses disciplines sécurisaient ainsi le diagnostic à distance et renvoyaient les résultats des données vers le médecin traitant ou l'auxiliaire de santé (infirmier, sage-femme) qui avait pratiqué l'examen. D'autres expériences visent à pallier l'inégale répartition du personnel médical sur le territoire national. C'est le cas en Ouganda depuis août 2000 avec le Programme de télé-médecine reliant l'hôpital universitaire de Mulago en province et l'hôpital Mengo de la capitale Kampala. Il s'agit avec cette expérience d'installer un système de liaison point par point entre les deux hôpitaux pour permettre au personnel médical d'échanger rapidement des connaissances, des données d'expérience et des renseignements. Ce projet s'inscrit dans une stratégie visant à mettre à disposition des services de télé-consultation en chirurgie, en pédiatrie, en obstétrique, en gynécologie et en médecine interne dans des hôpitaux régionaux dont les équipes médicales ne comptent qu'un ou deux spécialistes. On estime que la moitié des 800 médecins exerçant en Ouganda se trouvent à Kampala et que 60% des infirmières se trouvent dans des zones rurales. Ce projet est le deuxième projet mis en place en Afrique avec le concours de l'UIT. Le premier projet inauguré en janvier 1998 se trouve au Mozambique. Il a consisté à installer un réseau de radiologie à distance entre l'hôpital central de Maputo et celui de Beira, en utilisant une simple connexion téléphonique transmise par un système à hyperfréquences et de télécommunications par satellite. PANORAMA DES USAGES DES NTIC 5. 163 Les usages dans le secteur des accès publics aux NTIC En Afrique, les formules d’accès public aux NTIC sont encouragées pour des raisons diverses tenant tant à la sociologie qu’à l’économie des pays. Les cybercafés et les télécentres constituent des exemples types de ce genre de formule L’Afrique connaît actuellement une explosion des cybercafés dans les centres urbains. La petite ville de Lomé compte à elle seule plus de 200 cybercafés. Dans la capitale du Burundi, au cours de la seule année 2002, cinquante cybercafés ont été ouverts. L'Algérie compte désormais plus de 4000 cybercafés. L’attraction pour le cybercafé est directement liée à un besoin de communication (échanges avec l’extérieur : courrier électronique) mais surtout à un besoin d’informations (consultation de sites qui informent sur les cursus scolaires, les opportunités d’émigration etc.). En Afrique de l'Ouest la fréquentation des cybercafés est d’une telle ampleur que les bureaux de poste subissent une perte de recettes en ce qui concerne le courrier et les mandats postaux. Pour faire face à cette situation inattendue, les postes des différents pays de l'Afrique de l'Ouest se concertent pour revoir leur stratégie commerciale, notamment par la création de cybercafés de la poste. L'ampleur de l'usage de l'Internet via les cybercafés conduit à une remise en cause des indicateurs classiques qui servent à mesurer la diffusion de l'Internet en Afrique. Ces indicateurs ne prennent absolument pas en compte les utilisations collectives de l'Internet pour la mesure quantitative de la pénétration de l'Internet en Afrique. Un certain nombre de chercheurs travaillent désormais à l'élaboration d'indicateurs nouveaux à même de rendre compte de ces utilisations collectives de l'Internet. Bernard Conte de l’Université de Bordeaux propose d’ores et déjà un indicateur synthétique du développement de l'Internet en Afrique qu’il appelle l’IDIA. Pour toute information sur cet indicateur, on consultera utilement le site suivant : http://www.conte.montesquieu.u-bordeaux.fr 164 6. SOCIETE NUMERIQUE EN AFRIQUE Les usages dans le secteur politique En Afrique, les acteurs politiques ont un rapport ambivalent aux NTIC. L'Etat se montre favorable aux usages de type administratif (c’est le cas pour la numérisation des actes de l’état civil), mais il se révèle réticent face aux usages touchant à la compétition politique (c’est le cas pour l’informatisation du fichier électoral). L’opposition politique en revanche est largement intéressée par les usages touchant à la compétition politique mais paradoxalement prend peu d’initiatives pour encourager les usages de type administratif. On ne traitera ici que des usages touchant à la compétition politique. Les personnes intéressées par les usages de type administratifs (egouvernement et e-administration) peuvent utilement consulter le site de la Fondation COMNET (http://www.comnet/mt/unesco). Ce site est l’œuvre d’un travail effectué en commun par l’Unesco et COMNET. Il donne accès à un état des lieux de la gouvernance en ligne dans le monde, au sens des initiatives prises par les Etats pour assurer par des moyens électroniques la prestation de services d’information et la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Concernant les usages touchant à la compétition politique en Afrique, deux d’entre eux sont représentatifs des enjeux que constituent les NTIC pour la scène politique en Afrique : la transparence électorale via l’informatisation des fichiers, le contournement de la censure politique par l’Internet La transparence électorale via l’informatisation des fichiers Le Mali et le Sénégal constituent deux bons exemples relatifs à cet usage. Au Mali : en 1997, le gouvernement a eu recours au procédé de l'informatisation des listes électorales pour éviter les risques de fraude et de contestations susceptibles d'entacher le processus électoral6 Au Sénégal : lors de l'élection présidentielle de l'année 2000, les radios privées, l'Internet et les téléphones portables ont joué un rôle fondamental pour garantir la transparence des résultats.7 6 Pascal Baba Coulibaly : « L'utilisation des TIC dans les élections générales de 1997 au Mali », in Annie Chéneau-Loquay, Enjeux des technologies de la communication en Afrique, Karthala-Regards, 2000 7 Le Batik n° 8, mars 2000, p.2 : http://www.osiris.sn PANORAMA DES USAGES DES NTIC 165 Annie Cheneau-Loquay écrit à propos de l'expérience sénégalaise : « …téléphones mobiles, radios et Internet ont été associés pour assurer la transparence des dernières élections présidentielles au Sénégal. Le fichier électoral était consultable en ligne. La transmission des résultats du dépouillement depuis des bureaux de vote disséminés à travers le territoire, par des correspondants équipés de téléphones mobiles, a permis aux radios privées de les retransmettre aussitôt sur l'antenne »8. La combinaison entre téléphone portable et radios privés au cours de cette élection a été soulignée par maints observateurs des NTIC en Afrique9. Le contournement de la censure politique via l’Internet En Afrique la liberté de la presse a longtemps été muselée du fait du système du parti unique. Avec le processus de transition démocratique ouvert dans le contexte de la fin de la guerre froide, le pluralisme des médias a fait son apparition et, avec lui, une liberté de ton dans la presse. Cette liberté de ton est très mal tolérée par les gouvernements qui accordent à la presse une zone de liberté dont il ne faut cependant pas franchir les lignes rouges. Ainsi au Maroc en mai 2003, Ali Lmrabet, directeur de Demain Magazine, a franchi ces lignes en osant débattre dans les colonnes de son journal d’un sujet tabou : le budget du Palais Royal. Il a été pour cela condamné à quatre années de prison ferme pour outrage à la personne du Roi10. Face à cette censure politique, les journalistes africains et les opposants politiques tentent chaque fois que faire se peut de mettre à profit le caractère trans-frontière de l'Internet pour contourner l'intolérance du pouvoir11. L’opposition politique tunisienne a été pionnière en la matière avec le site : Takriz (ras le bol). Il a été démantelé en 2002 après deux années d'existence et de succès. 8 Annie Cheneau-Loquay, « Les relations entre l'Etat, le droit et les réseaux techniques sont-elles obligatoires dans le processus de modernisation ? » Réflexion à partir du cas africain. 9 « Médias et Elections, leçons de la présidentielle au Sénégal », in Bulletin pour le pluralisme médiatique en Afrique de l'Ouest, N° 24-25 janvier-mars 2001 10 Le Monde du 23 mai 2003, p.3 11 « Internet, nouveau territoire de lutte pour les opposants politiques en exil », in Revue, Hommes et Migrations n°1240, Novembre-décembre 2002. 166 SOCIETE NUMERIQUE EN AFRIQUE Conclusion : Ce panorama nous montre combien l’inventivité est au cœur des usages des NTIC en Afrique. Inventivité de la part des opérateurs économiques qui conçoivent des applications en phase avec les besoins réels des consommateurs africains. Inventivité des populations africaines qui assignent aux NTIC des fonctions inattendues mais particulièrement en phase avec leurs préoccupations quotidiennes. Nul doute que cette inventivité qui marque les usages de NTIC en Afrique trouve son origine dans une logique d’appropriation inhérente aux contraintes de l’environnement politique, économique et social. Il importe, de ce point de vue, de mettre au jour les tenants et aboutissants des logiques d’appropriation des NTIC en Afrique.