Enseigner la naissance du christianisme et les sources de

Transcription

Enseigner la naissance du christianisme et les sources de
Enseigner la naissance
du christianisme et les
sources de l'antisémitisme
chrétien, et concrétiser
par l'analyse d'un
document iconographique
D ' après un cours de Haya Prys, donné
dans le cadre d 'une Journée pédagogique de l'IAN
Haya Prys était professeur de Kodèeh, lorsqu'elle a demandé à enseigner aussi l'histoire juive, « profondément marquée par les cours de
Marianne Picard » qu 'elle a « eu la chance de suivre en 6'-5'».
Consciente des difficultés de cette tâche pour qui n'a pas reçu une
formation d'historienne, elle s'est documentée par la lecture d'ouvrages sur le plan des connaissances événementielles comme sur
celui de la méthodologie.
Le cours décrit ici a été donné devant un public d 'enseignants, mais
il était conçu pour des élèves de 2""e
IMPORTANCE DE L ' ENSEIGNEMENT DE L ' HISTOIRE JUIVE
Cet enseignement permet de situer les principaux événements liés
au judaïsme dans l'espace et le temps et de donner des pistes pour
répondre aux interrogations de nos élèves concernant l'actualité :
- résurgence de l ' antisémitisme : quelles en sont les racines en
occident ? pourquoi le monde musulman en est-il porteur aujourd'hui ?
pourquoi tant de passion autour de la sortie du film de Mel Gibson : « La
passion du Christ » ?
- quelle est la place du judaïsme ? comment se définit-il par rapport au christianisme et à l'islam ?
LE CONTEXTE JUIF DE LA NAISSANCE DU CHRISTIANISME
Au 1" siècle de l'ère chrétienne, la Judée est sous domination
romaine (entrée de Pompée à Jérusalem en -63, intérim du règne d' Hérode jusqu ' en -4, puis province romaine gouvernée par un procurateur) . Le Sanhédrin (conseil des Sages et haute cour de justice) ne peut
14/HAMORÉ N° 174 - AUTOMNE 2004
plus prononcer de sentences de peine capitale . Après 70, il sera
reconnu comme l ' institution représentative suprême du judaïsme jusqu'à l'abolition du patriarcat au 5° siècle.
Entre le 1" et le 2` siècle, trois soulèvements importants des Juifs
contre Rome :
1. La révolte en Judée, en 66, qui met fin à l' existence nationale et à
celle du Temple de Jérusalem.
2. Soulèvement en 115-117 des communautés juives d 'Egypte et de
Cyrénaïque (l'actuelle Libye).
3. La révolte de Bar Cokhba, en Judée, en 132.
Si les Juifs sont unis dans la haine de l'occupant romain, ils sont
profondément divisés sur les plans politique (la guerre civile sera responsable de la chute de Jérusalem en 70) et religieux.
Trois grands courants coexistent :
1. Les Sadducéens, qui recrutent leurs adeptes dans l'aristocratie
sacerdotale et refusent les enseignements de la Loi orale.
2. Les Pharisiens, qui possèdent des connaissances exégétiques leur
conférant autorité reconnue en matière de Halakha . La plupart sont
pacifistes mais d'autres sont travaillés par l'espérance messianique,
comme les Zélotes.
3. Les Esséniens, qui forment une communauté solidaire organisée et
ascétique . Retirés de la vie politique, ils vivent en communautés
dans le désert.
C'est dans ce climat social très tendu, aux aspirations diverses,
qu'apparaît la personnalité de Jésus . C'est en Galilée, où vit sa famille,
qu'il déploiera l'essentiel de son activité . Il polémique avec les Pharisiens, mais s'apparente à eux sur le plan des idées, tout en étant proche
des Esséniens . (Marianne Picard, Juifs et Judaïsme, tome I, p .190).
Alors que la destruction du deuxième Temple est rapportée par les
sources juives, celles-ci ne font pratiquement pas mention de la crucifixion de Jésus . C'est en tant que « Roi des Juifs » qu'il est condamné à
mort par les Romains.
Mais c ' est Saül de Tarse, alias « Saint Paul », qui est l 'artisan de la
diffusion du christianisme.
LE RÔLE DE PAUL DANS LA PROPAGATION DU CHRISTIANISME:
LA NOUVELLE ALLIANCE
Né à Tarse, en Cilicie (la Turquie actuelle), en 5 ou 15 - mort en 64
ou 67, c'est un Juif de culture grecque, il ne sait pas l'hébreu . A la suite
d'une vision sur la route de Jérusalem à Damas, il « se convertit » et
rejoint les apôtres (il n'a pas connu Jésus) . Il répand l'idée que l'anHAMORÉ N° 174 - AUTOMNE 2004/15
tienne alliance conclue par Dieu avec Israël est caduque et remplacée
par une nouvelle alliance avec les chrétiens.
En effet, devant le peu de succès de son apostolat auprès des Juifs,
il se tourne vers les « gentils » qu'il dispense de l'observance des mitsvot
(circoncision, lois alimentaires, etc .) et auxquels il promet le pardon de
leurs péchés et la vie éternelle . C'était de sa part un coup de génie que
de proposer un « judaïsme allégé » à des populations déjà attirées par le
monothéisme.
Le Jésus qu'il présente n'est pas le sauveur d'Israël de la tradition
juive, mais le fils de Dieu, mort sur la croix pour le salut de toute l ' humanité.
LA RUPTURE ENTRE CHRISTIANISME ET JUDAÏSME
Elle doit commencer aux environs de l'année 80 . C'est l'époque du
patriarcat de Rabban Gamliel II de Yabné, de l'introduction de la birkat
haminim, la bénédiction de la Amida concernant le sort des hérétiques . Du côté chrétien, c'est la rédaction finale des trois Evangiles
synoptiques.
Jusque-là, les sources romaines ne font pas la distinction entre les
deux groupes.
La Guerre de Judée et la destruction du Temple allaient fournir aux
chrétiens un argument de choix pour soutenir leur thèse du renoncement divin à l'alliance avec Israël au bénéfice d'un nouvel Israël,
« verus Israël » !
Les savants modernes ne s'accordent pas sur la datation de la rupture définitive entre les deux religions, mais elle se situe probablement
au courant du 2° siècle, après l'échec de Bar Cokhba et la prédominance des gentils par rapport aux chrétiens issus du judaïsme.
Jusque-là, le judaïsme avait bénéficié d'un statut particulier dans
l'Empire romain, l'apparition du christianisme paraissait donc suspecte et entraînait souvent persécutions et martyre pour ceux qui le
professaient.
Chez les théologiens chrétiens (Saint Justin, Saint Augustin), se
dégage la thèse de l'aveuglement des Juifs.
Mais le tournant véritable est marqué par la conversion de l ' Empereur Constantin qui fait du christianisme la religion d'Etat, au 4` siècle.
Les Juifs font alors l'objet de persécutions et de tentatives de conversion . Leur survivance en tant qu'entité religieuse remettait en cause la
vérité du christianisme, aussi fallait-il les maintenir le plus possible
dans un statut d'infériorité, comme si leur condition dégradante était le
signe du courroux divin.
16/HAMORÉ N° 174 - AUTOMNE 2004
Voici un document qui va illustrer cette situation . Mais pour nous
garder de tout anachronisme, il faut préciser qu'il date du 130 siècle !
Durant ces centaines d'années, les idées ont continué à faire leur
chemin . ..
L' ÉTUDE DU DOCUMENT
Elle se fait, pour les élèves, à partir d'un questionnaire :
1`° partie :
1. Laquelle de ces deux statues vous paraît la plus sympathique ? pourquoi ?
2. Qu' ont-elles en commun ?
3. Ces deux statues ornent la façade de la cathédrale de Strasbourg
(vers 1230) où elles sont placées comme sur ce document . Quel
était l'objectif des chrétiens en offrant ces sculptures au regard des
passants ?
2° partie :
1 . Ces deux statues sont les symboles de l'Eglise et de la Synagogue . A
travers elles, les chrétiens ont voulu affirmer que :
a) les Juifs ne voient pas la vérité dans le christianisme,
b) ils ne comprennent même pas leur propre Tora,
e) ils ne réalisent pas que le pouvoir leur a été retiré au profit des
chrétiens.
Comment le voyez-vous ?
2 . Pourquoi justement au Moyen Age, les chrétiens ont-ils jugé bon de
placer ces statues sur la façade des cathédrales ?
*
Pour compléter cette étude, nous reproduisons ci-dessous un
extrait de la leçon donnée en 1994 dans le cadre de PIAN par Raphaël
Rosner, directeur du Département de la Recherche au Musée de la Diaspora, Beth IIatefoutsot, à Tel Aviv. Le texte a été édité dans le n°142
de Ilamoré, p.ll . L'article est intitulé : De l 'utilisation de l ' image dans
notre enseignement.
La Synagogue aux yeux bandés de la cathédrale de Strasbourg
Pour comprendre cette confrontation classique entre l'Eglise et la
Synagogue, il faut en détailler les éléments pour les comparer un à un.
Pour cela, on commence par introduire les sujets principaux dans deux
rectangles et l'on conduit l'analyse dans le sens où le côté du rectangle
est le plus grand, ici de haut en bas ou de bas en haut.
HAMORÉ N° 174 - AUTOMNE 2004/17
La Synagogue
L'Eglise
Cathédrale de Strasbourg
18/HAMORÉ N° 174 - AUTOMNE 2004
Mais en procédant à la comparaison terme à terme, il faut savoir
que la coupe représentée dans la main de la femme qui symbolise
l'Eglise, c'est le graal qui contient le sang de la crucifixion.
La lance brisée tenue par la Synagogue évoque celle dont le soldat
romain a percé le flanc du crucifié : mais elle est brisée, donc devenue
inoffensive.
Le livre représenté, c'est l'Ancien Testament.
La statue de l'Eglise regarde vers le portail : cela signifie que pour la
Synagogue, tout espoir n'est pas perdu, il lui suffit d'entrer dans
l'Eglise !
Les deux « femmes » représentées dans la pierre sont semblables, ce
sont des parentes - mère/fille ou soeurs ; aucune gestuelle n'est liée ici à
la violence : l'Eglise veut faire retirer à la Synagogue son bandeau pour
qu'elle voie . . . la vérité du christianisme - ce qui correspond à la théorie
de Saint Augustin.
Cette analyse n'est-elle pas plus intéressante qu'un exposé théologique ?
Bibliographie
Marcel Simon : Verus Israël. Ed . E . de Boccard . 1983.
Elie Barnavi : Histoire universelle des juifs. Ed . Atlas - Hachette
1992.
Léon Poliakov : Histoire de l'antisémitisme, I. L'âge de la foi . Calmann-Lévy, Point Histoire . N° 143 - 1996.
Gilbert Dahan : La polémique chrétienne contre le judaïsme au
Moyen Age . Albin Michel, Présences du judaïsme . 2000.
Mireille Hadas-Lebel :
Hillel, un sage au temps de Jésus . Albin Michel, Présences du
judaïsme . 1999.
Flavius Josèphe, le juif de Rome . Fayard . 1989.
Sources juives de référence autour du sujet du christianisme :
Deutéronome 18, 15-22 avec commentaire de Rachi.
Rambam, Hilkhot melakhim, eh . 11.
Arié Kaplan : Le vrai Messie . Ed . Emouna . 1995.
I .M .Choucroun : Le Judaïsme a raison. 1991.
HAMORÉ N° 174 - AUTOMNE 2004/19
La journée du livre d'histoire
et de recherche juives
« Quatre ans de passion »
Un entretien avec Lucien Khalfa
Pour la quatrième année consécutive, le 17 octobre, s'est tenue la
Journée du livre d'histoire et de recherche juives, organisée par le
département Culture du FSJU. Hamoré, qui a prouvé maintes fois
son intérêt pour cette discipline, a donc interviewé le directeur de ce
département, Lucien Khalfa, sur cette importante manifestation.
« Lorsqu'en 2001, l'équipe du département Culture du FSJU initiait «La journée du livre d'histoire et de recherche juives», écrivait
Lucien Khalfa, elle savait qu'elle répondait à une demande du public,
mais n'imaginait pas l'ampleur du succès qui serait le sien . La passion fut et demeure son guide . »
HAMORÉ : Qu ' est-ce qui vous a amenés à organiser cette Journée ?
L . KHALFA : Nous croyions que le grand public ne s'intéressait pas
à l'I-Iistoire, mais les questions qui se posent aujourd ' hui au peuple juif
font qu' on s ' aperçoit que les réponses qu ' on attend - aussi bien concernant l'antisémitisme que la connaissance d'Israël et les problèmes liés à
l'identité - passent par la connaissance de son histoire . On s'en est
aperçu, en particulier, quand des problèmes graves ont concerné la
France, il y a quatre ans, et qu 'on s ' est adressé à nous pour avoir des
argumentaires . Or nous n ' avions rien à proposer car on n ' enseignait pas
l'histoire du peuple juif dans une Europe en train de s'ouvrir . Nous nous
sommes réunis à quelques-uns, dont en particulier Paule-Henriette
Lévy (journaliste à RCJ, la radio du FSJU), pour créer une manifestation à l'Espace Rachi, à Paris, comprenant trois Tables rondes : histoire
des Juifs de France, des Juifs d'Europe et d'Israël, avec cette notion de
l'unité du peuple par-delà les frontières . Le débat serait confié à des historiens de grande renommée et parallèlement un carré d ' écrivains présenterait des livres d'Histoire . Dans le même esprit, pour soutenir une
vocation éducatrice, pédagogique et créatrice, pour inciter d'autres
personnes à écrire à leur tour, nous avons créé un Prix du Livre d'histoire et de recherche juives . Cela a porté ses fruits puisque, dès la première année, l'affluence était grande pour un dimanche après-midi !
HAMORÉ : Le public de Paris est-il resté le seul bénéficiaire de ces
journées?
20/HAMORÉ N° 174 - AUTOMNE 2004