A nos lecteurs

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A nos lecteurs
A nos lecteurs
Parmi les singularités du Monde diplomatique, il en est une que la lecture seule ne suffit pas à
discerner : la disproportion entre la popularité d’un journal imprimé chaque mois à plus de
deux millions quatre cent mille exemplaires — diffusés dans quatre-vingt-douze pays en
langue française et, grâce à ses éditions internationales, en vingt-sept langues étrangères — et
le caractère presque artisanal de son mode de production ; le décalage entre l’image parfois
altière d’une publication qui s’emploie depuis des décennies à maintenir l’exigence d’une
presse indépendante, curieuse du monde, émancipatrice, et le travail quotidien d’une petite
équipe de vingt-sept personnes qui s’attache à fabriquer chaque numéro dans les règles de
l’art, à l’heure où tant de journaux suppriment les emplois de correcteur, de documentaliste,
de photograveur. Dans le paysage médiatique, Le Monde diplomatique demeure une
anomalie. Ses lecteurs aussi.
En octobre 2009, nous leur avons demandé de nous verser des dons, de s’abonner et
d’abonner leurs amis, d’acheter plus régulièrement encore Le Monde diplomatique en
kiosques. Deux ans plus tard, nous avons reçu 2 923 dons pour un montant de 288 510 euros.
Cet effort témoigne à la fois d’un attachement et d’une attente. Il nous encourage et nous
oblige. Une fois encore, nous faisons donc appel à vous pour que vous contribuiez
financièrement à notre développement et à la défense de notre indépendance.
N’inventons pas un péril imaginaire : nous ne courons aucun danger immédiat. Et nous
n’ignorons pas par ailleurs que la situation financière de nos lecteurs est elle aussi fragile, en
partie à cause des politiques d’austérité salariale que nous analysons régulièrement dans nos
colonnes. Mais, chacun le comprend, l’avenir d’un journal exigeant n’est pas assuré, surtout
quand il ne dispose d’aucun appui promotionnel dans les grands médias et que ses recettes
publicitaires, traditionnellement faibles, ne cessent de se dégrader.
A priori, notre horizon pourrait paraître dégagé. Nos comptes ont retrouvé l’équilibre en 2010
et nous ne sommes pas endettés. Au demeurant, si la tendance des huit premiers mois de
l’année se poursuit, 2011 marquera une nouvelle progression de nos ventes en kiosques, en
France et à l’étranger. Elle s’inscrirait alors dans la lignée de nos résultats de 2010 (+ 1,67 %),
voire les améliorerait. Les ventes de notre numéro d’août, par exemple, ont été les plus fortes
que nous ayons réalisées depuis quatre ans.
Toutefois, notre optimisme est tempéré par deux faits. D’une part, nos prévisions de recettes
publicitaires ne cessent d’être revues à la baisse, même lorsqu’elles sont peu ambitieuses.
Nombre de nos lecteurs, hostiles par principe à la publicité, ne s’en plaindront pas... Mais un
journal dont l’équilibre financier demeure précaire ne peut perdre sans conséquences les deux
tiers de ses recettes publicitaires. Or c’est bien cette situation que nous affrontons puisque,
entre 2007 et 2010, celles-ci sont passées de 724 000 euros à 256 000 euros. S’il dépend
moins que jamais de ses annonceurs, Le Monde diplomatique doit toujours plus compter sur la
fidélité et l’attention de ses lecteurs. Lesquels savent que l’information gratuite n’existe que
dans les fables.
Notre deuxième préoccupation concerne les abonnements. Leur nombre a baissé depuis le
début de l’année. L’une des raisons était prévue et même désirée : nous avons réduit le
nombre des souscriptions réalisées par des prestataires tiers, les « collecteurs » qui vendent les
journaux à des prix sacrifiés. Ces « soldes » permanents permettent de doper la diffusion d’un
titre, en général pour que celui-ci se tourne ensuite vers les annonceurs en prétextant d’une
popularité fictive afin d’augmenter les tarifs de la publicité. D’autres publications, des
magazines cossus en particulier (Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Point, etc.), proposent
à leurs lecteurs des cadeaux (radio, stylos, télévision, ordinateur, etc.) comme prime à un
abonnement dont le prix est lui-même bradé. Elles clament ensuite que leurs résultats
s’expliquent par la qualité de leur contenu, par leur indépendance… Assurément, si nous
proposions un abonnement de 1 euro par trimestre au Monde diplomatique et à Manière de
voir, avec, pour les mille premières réponses, un séjour d’un mois dans un palace des
Bahamas, notre diffusion augmenterait. Mais notre vocation serait trahie — et notre trésorerie
n’y survivrait pas.
C’est toutefois un autre motif qui a provoqué la baisse principale du nombre de nos abonnés.
La faillite du prestataire d’abonnements du groupe Le Monde (qui gère ce service pour nous)
a conduit ce dernier à faire appel à une autre entreprise qui, à l’évidence, peine à trouver ses
marques. Résultat : une minorité d’entre vous, mais en nombre significatif, ont reçu leur
journal avec retard, ont été requis de diligenter un paiement déjà effectué, ou attendent encore
une livraison commandée depuis plusieurs semaines. Ces problèmes ont suscité l’exaspération
légitime de ceux qui en ont été victimes.
Et parfois la nôtre, car une prestation aussi décevante a conduit certains de nos lecteurs à se
détourner de l’abonnement. Or celui-ci constitue pour nous un mode de soutien décisif,
d’autant que nous ne bradons pas son prix. Il nous faut donc insister pour que vous ne
renonciez pas à cette façon, efficace, de nous lire et de conforter notre indépendance. Nous
nous employons à résoudre vos problèmes éventuels. Mais chaque fois que vous optez pour le
prélèvement automatique, vous nous épargnez l’envoi de coûteuses lettres de rappel.
Vous le constaterez dès ce mois-ci, nous sommes en train de rénover le site Internet du
journal. Son nouveau graphisme s’allie à un menu plus clair facilitant la navigation à travers
nos milliers d’articles. Nous avons également modernisé le moteur de recherche et procédé à
une indexation minutieuse de toutes nos archives depuis 1954, dont la numérisation vient de
s’achever. De nombreux textes resteront disponibles en accès libre. Pour les autres, diverses
formules alliant abonnement et achat à l’unité vous seront progressivement proposées. Enfin,
nous comptons développer les « bases de données ouvertes » — sommaires de revues,
critiques de livres — au cours de l’année, ainsi qu’un site consacré à la cartographie.
Un nombre croissant de titres rivalisent à qui publiera le dernier sondage inutile, l’écho
scabreux qui « fait du buzz », l’éternel « débat » entre experts ou essayistes de compagnie.
Nous ne sommes pas fatigués, nous, d’aller voir, d’analyser, de rendre compte. Ces mots
signifient autre chose à nos yeux qu’une concurrence asséchante, le plagiat et la connivence,
le copier-coller de l’air du temps. Pontifier sur la mondialisation est évidemment plus facile
(et plus économique) que de l’analyser en y consacrant enquêtes et reportages. Journal
décidément singulier, Le Monde diplomatique continuera d’accorder une place prioritaire à
l’information internationale et financière. Et y consacrera les moyens nécessaires.
Lesquels ne viennent que de vous.