Eau et Rivières de Bretagne

Transcription

Eau et Rivières de Bretagne
Conférence sur l’environnement (Bocage)
Intervention d’Arnaud CLUGERY (Eau et Rivières de Bretagne)
Animateur :
La parole est à Arnaud Clugery, d’Eau et Rivières de Bretagne. Il va nous donner la position de
son association sur la relation existant entre bocage et aspect quantitatif de l’eau.
Arnaud CLUGERY :
Nous allons prolonger le débat précédent, puisque je vais intervenir dans le droit fil de ce que vient
de dire Philippe Mérot.
J’aurai un angle d’attaque moins scientifique, mais plus pragmatique, les pieds sur le terrain.
Avant de débuter mon propos, je voudrais remercier le Conseil général d’avoir invité un
représentant du mouvement associatif à cette table ronde parce que les associations de protection
de la nature se sentent évidemment très concernées par la question du bocage.
Je suis animateur à Eau et Rivières de Bretagne et je remplace au pied levé un bénévole,
André Péron, qui pour des raisons de santé ne peut être présent à cette conférence, veuillez
l’excuser. C’est tout de même dans les pas de ce pêcheur que mon propos va vous mener.
Comme beaucoup d’autres, il a découvert, lors des inondations de 1974, que « le rouleau
compresseur » des remembrements mais aussi l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols qui
en résulte, poussaient à s’interroger sur le lien entre bocage et respiration naturelle, même si elle
est parfois traumatisante, de la rivière.
Une génération plus tard, nous sommes réunis ici pour évoquer cette question et réfléchir au
gâchis environnemental, esthétique et culturel (tout à l’heure j’ai entendu que les trois-quarts du
bocage breton ont disparu depuis la fin des années 1950) provoqué par ces aménagements.
Même si cette prise de conscience est réelle, à Eau et Rivières nous disons qu’il faut avoir la
lucidité de reconnaître que la dégradation du bocage n’est pas encore complètement derrière
nous. Et j’ai bien aimé tout à l’heure entendre parler de protéger et non de figer la situation. Nous
nous trouvons bien dans cet état d’esprit-là.
Protéger et non figer, c’est ce que de nombreux bénévoles associatifs font, au travers d’instances
de dialogue environnemental. Dans le public de cette conférence, on rencontre beaucoup de
techniciens qui connaissent ces sigles barbares : CDCEA*, CDAF**, CLE du SAGE***.
Dans ces instances, on discute beaucoup de nos actions menées collectivement sur le thème de
la politique de l’eau.
C’est justement comme cela qu’il y a un an, André Péron m’a emmené, le 24 décembre aprèsmidi, au bord du ruisseau de Langelin, ou Dour-Lez, à Landudal. Tout le monde se souvient des
conditions climatiques effrayantes de cette journée… Nous avons arpenté ce territoire, ce micro
bassin versant, à un moment où une vive polémique avait lieu à propos des dispositifs
envisageables pour se protéger des inondations. André Péron s’interrogeait : « si le bocage, a été
mis en place en Bretagne pour d’autres raisons que la régulation des transferts d’eau, notamment
pour accompagner l’émergence de production de céréales, de foin, et les protéger des troupeaux,
n’est-il pas finalement victime de la céréalisation » ? Il m’expliquait que l’agriculture locale est
susceptible aujourd’hui, avec l’évolution du machinisme, avec l’augmentation du prix des aliments,
d’emblaver un certain nombre de parcelles, qui devraient peut-être connaître un autre destin.
Et pour emblaver ces parcelles, on ne s’embarrasse plus de ce que la règlementation appelle « les
éléments fixes du paysage », parce que ces éléments fixes n’ont pas de vocation économique
directe. Ils ne sont pas intégrés à ce qui était primable dans le cadre de la PAC (politique agricole
commune).
En conséquence, à partir du moment où de tels éléments n’ont plus de valeur économique, cela
conduit souvent à une « simplification du paysage », expression que l’on rencontre aujourd’hui
dans diverses publications scientifiques.
Je reviens sur notre tournée de terrain, la veille de Noël, avec André Péron. Dès la tête de ce
bassin versant, nous constatons que les parcelles sont emblavées, que le bocage, n’existe plus. A
ce stade, nous ne voyons pas encore de choses très navrantes ; puis, en descendant dans le
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micro bassin versant, nous constatons que le ruissellement se fait de plus en plus net ; ensuite,
nous rencontrons une route, laquelle est assortie d’une buse pour évacuer l’eau le plus rapidement
possible ; et puis, quand on descend un peu plus bas, en fond de vallée, on se trouve dans une
portion de talweg cultivée. On se dit à ce moment-là qu’il manque peut-être quelque chose dans le
paysage… Je suis d’accord avec Philippe Mérot : le manque de bocage induit certainement un
problème d’érosion, mais il réduit aussi considérablement le cycle de l’eau. Selon nous, dans un
paysage comme celui-là –celui du petit bassin versant du Dour-Lez-, le bocage qui a été détruit
avait pour fonction d’allonger le circuit de l’eau. Or aujourd’hui, après arasement, nous sommes
dans un paysage où tout est fait pour que l’eau rejoigne le plus vite possible le cours d’eau…
En bref, nous sommes persuadés que les infrastructures bocagères servent à allonger le temps de
transit de l’eau et ce temps gagné est parfois le temps nécessaire pour éviter le pic de crue en
aval.
Animateur :
Qu’en dit M. Mérot ?
Philippe MEROT :
Eau et Rivières et moi n’avons pas des discours tellement différents. Je pense que, localement, le
bocage peut-être un obstacle au ruissellement et à l’érosion. Mais il est me semble plutôt illusoire
d’utiliser le bocage pour gérer tous les cas de crues. Lorsqu’on a affaire à des crues fréquentes,
donc les crues qui ne causent pas de gros dégâts, le bocage peut jouer un rôle régulateur
important.
Cependant, on ne peut pas écrêter en amont des crues résultant de pluies de très forte intensité
tombées pendant un temps très court.
Arnaud CLUGERY :
Je vous entends bien, et notre association ne dit pas qu’il est possible de gérer toutes les crues
grâce au bocage. Ce serait d’ailleurs mentir que de laisser croire qu’on peut gérer des évènements
climatiques de forte ampleur par un coup de baguette magique.
L’intérêt du bocage par rapport à d’autres solutions proposées, c'est que le bocage a une vertu
systémique, il propose d’autres services.
Nous sommes prêts à dépenser des millions d’euros pour des barrages, des ralentisseurs de
crues, des infrastructures qui n’ont pas révélé toute leur utilité, alors qu’on peine à trouver des
mécanismes économiques qui pousseraient les agriculteurs à redonner une valeur au bocage au
sein de leur système d’exploitation. Nous pensons, à Eau et Rivières, que c’est dans cette
direction qu’il faut travailler. En schématisant, dans un souci de solidarité entre la ville et la
campagne, il serait bien que les villes soient capables de financer la perte de revenu que
l’agriculteur imagine subir en ne cultivant pas l’espace occupé par le bocage.
Et pour terminer, voici une bonne nouvelle. Ce matin, notre association s’apprêtait à poster un
courrier destiné au ministre de l’agriculture, pour le soutenir dans la démarche qu’il a faite auprès
de Bruxelles en début de semaine. Il demande en effet à l’Europe de permettre aux agriculteurs de
considérer les différents éléments boisés présents sur les terres agricoles ou à leur périphérie
comme des surfaces d’intérêt écologique et de les intégrer dans les BCAE (« bonnes conditions
agricoles et environnementales »).
Nous soutenons cette approche, nous disons qu’il ne faut pas uniquement y inscrire les haies ; il
convient d’y placer tous les éléments du bocage. J’ai ici une copie de notre courrier, elle est
destinée à Mme la Vice-présidente, je suis sûr qu’elle soutiendra cette démarche.
* CDCEA : commission départementale de consommation des espaces agricoles
** CDAF : commission départementale d’aménagement foncier
*** CLE du SAGE : commission locale de l’eau du schéma d’aménagement et de gestion des eaux
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