Territorialisation d`un nouveau quartier d`Oran - citeres

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Territorialisation d`un nouveau quartier d`Oran - citeres
Chapitre II.
LES CONSTRUCTIONS TERRITORIALES DES PÉRIPHÉRIES
Territorialisation d’un nouveau quartier d’Oran
via le logement social participatif :
le cas de Akid Lotfi
ZOUBIDA CHAÏB BENDEBICHE
Maître assistante, Département d’Architecture, Université des Sciences et Technologies d’Oran
[email protected]
Les différentes politiques urbaines pratiquées par l’État algérien après l’indépendance et
développant, notamment, des ensembles d’habitat collectif sur une échelle « industrielle », ont
fondamentalement modifié et remodelé le paysage urbain de nos villes. Cette croissance
urbaine — qu’accompagne souvent une dynamique de transformation et d’altération de
l’identité spatiale —, s’est particulièrement accélérée après le passage de l’Algérie à
l’économie de marché. Ce contexte est marqué par les exigences des programmes
d’ajustement structurel et la vulnérabilité financière de l’État, qui ont réduit les capacités
d’intervention des pouvoirs publics en matière de logement social, et ont remis en cause le
rôle des différents acteurs intervenant dans sa production.
En effet, à partir des années 1990, la ville algérienne se trouve engagée dans une double
dynamique de libéralisation du marché et d’accélération de la croissance urbaine. Cette
évolution, que traduit la mise en place de réformes en matière d’urbanisme, de politiques
urbaines et d’habitat, a accentué l’étalement urbain en périphérie, effet de la réalisation de
vastes programmes de logements dans le cadre de nouvelles formules d’accession à la
propriété, venues se substituer au logement social. Parmi ces politiques d’habitat consécutives
à la transition de l’Algérie vers l’économie de marché, nous trouvons la formule du Logement
social participatif (LSP), qui est confortée par des mesures incitatives : aide personnalisée de
l’État1, non remboursable, possibilité de crédit bancaire aux acquéreurs et abattements allant
1
L’aide financière accordée par l’État au terme de l’arrêté interministériel du 9 avril 2002 est fixée en fonction
du revenu des bénéficiaires, augmentés de ceux de leurs conjoints, comme suit :
Catégorie
I
II
III
(1)
(2)
Revenu
R < 2,5 SNMG (1)
2,5 < ou = R < 4 SNMG (1)
4 < ou = R < 5 SNMG (1)
Montant de l’aide
500 000 da (2)
450 000 da (2)
400 000 da (2)
SNMG = Salaire national minimum garanti
1 dinar algérien (da) = 0,0097 € en avril 2008
Source : Arrêté interministériel du 9 avril 2002.
L’aide financière accordée par l’État à titre non remboursable est réservée aux postulants :
- non propriétaires d’un bien à usage d’habitation,
- n’ayant pas déjà bénéficié de la cession d’un logement du patrimoine immobilier public,
- justifiant d’un revenu inférieur à cinq fois le SNMG,
jusqu’à 80 % du coût du terrain avec une prise en charge des travaux de VRD (voirie, réseaux,
divers) par l’État. L’analyse des textes réglementaires qui régissent la politique du logement
social participatif en Algérie nous éclairera sur les conditions d’accès au LSP. Cette approche
nous permettra de mieux cerner la notion de passage du « tout État » au « moins d’État »
possible car le désengagement des pouvoirs publics est à relativiser.
Ce désengagement ne concerne que certaines missions de l’État dans le champ urbain : il
continue, cependant, à produire les règles et les normes et à créer les organismes chargés du
contrôle et de la réalisation des nouvelles politiques urbaines2. Par conséquent, il procède à
une régulation sociale dans un contexte spécifique : « La persistance de cette liberté défait les
réglages les plus savants, faisant du pouvoir, en tant que médiation commune de stratégies
divergentes, le mécanisme central et inéluctable de régulation de l’ensemble »3.
I. UNE ENQUÊTE SUR LE QUARTIER AKID LOTFI (Est d’Oran)
La ville d’Oran n’est pas en reste dans cette dynamique (voir tableau 1). En effet, animée
par des mouvements internes complexes, elle se transforme au gré des politiques urbaines
nouvelles mises en place par l’État pour mieux affirmer son désengagement vis-à-vis du
logement social et des mobilités des citadins impulsées par des stratégies résidentielles.
L’agglomération oranaise connaît, à son tour, une diffusion de l’urbanisation qui continue à se
dérouler dans les communes périphériques avec une redistribution de la population. Cette
urbanisation est un phénomène classique de desserrement en direction de l’espace périurbain,
elle est à la fois géographique et démographique. Néanmoins, il faut rappeler que, pour autant,
les migrations rurales ne se sont pas arrêtées.
Tableau 1. Le Programme LSP à Oran-Est, situation arrêtée au 31/12/2006.
Promoteur
Public
Privé
Public
Nombre de logements
Site
400
Oran-Est
3 846
Oran-Est
800
Oran-Est
Privé
6 119
Oran-Est
Privé
2 000
Oran-Est
Total
13 165
Source : Direction du logement et des équipements publics (DLEP).
D’où les questions à l’origine de cette recherche : à qui profite cette formule et quelles sont
les stratégies déployées pour acquérir et habiter un logement LSP ? Quelles sont les raisons
profondes de cette mobilité ? Comment se crée la ville dans ces nouveaux espaces4 ?
Autrement dit : comment les différents acteurs produisent, transforment, s’approprient ces
territoires et y vivent à leur manière ?
- justifiant d’un apport personnel qu’ils s’engagent à verser en trois tranches partielles auprès du promoteur
conformément aux délais de réalisation. Toutefois, le bénéficiaire peut prétendre à un prêt bancaire. De plus,
cette aide ne peut être octroyée que pour l’accession à la propriété d’un logement dont le coût est inférieur à
deux millions de dinars.
2
Création de la Caisse nationale du logement (CNL), organisme public chargé de l’octroi de l’aide financière et
de la promulgation de la loi sur la promotion immobilière autorisant les promoteurs immobiliers privés à réaliser
le LSP.
3
Crozier M. et Friedberg E., 1977, p. 504.
4
Nous éviterons de parler de « quartier » a priori, les enquêtes définiront si ces espaces sont ou non vécus
comme des quartiers par leurs habitants.
Ces questions ouvrent sur la problématique des stratégies des acteurs et des logiques
urbaines dans un processus de construction urbaine déterminé.
Nous partons de l’hypothèse que cette mobilité est la conséquence des nouvelles politiques
de l’habitat. Dans le même sens, J.-P. Frey5 rappelle que « les embryons d’économie de
marché engagent l’ensemble de la société dans un vaste processus de décantation et de
réajustement de la distribution de la population dans le parc immobilier ».
La vérification de l’hypothèse émise dans cette recherche se base sur la mise en œuvre
d’une démarche qualitative. Le dispositif technique utilisé est constitué d’entretiens semi
directifs avec les acteurs impliqués, de l’observation sur le terrain et de l’analyse de
documents administratifs6.
Ce travail s’appuie, aussi, sur l’identification des acquéreurs de ces logements et
l’éclairage des stratégies résidentielles déployées, en passant par le décryptage des motifs
réels de cette mobilité. Cette analyse constitue un outil de travail plutôt qu’une fin en soi, dans
cette recherche. Ce sont les processus de territorialisation ainsi que les multiples
configurations socio-spatiales qui en découlent qui sont mis en relief pour rendre intelligibles
les relations entre les citadins et leur ville.
Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes intéressés au quartier Akid Lotfi. Les
critères qui ont orienté notre choix sont les caractéristiques du site d’implantation (terrain
situé sur l’axe principal de l’extension de la ville d’Oran) et le caractère nouveau du quartier,
en cours d’élaboration en tant que construction sociale. En se référant aux orientations du
Plan directeur d’aménagement urbain, l’option retenue pour le développement urbain de la
ville d’Oran consiste en une extension linéaire longeant la mer vers le côté Est, dans l’optique
de désengorger le centre-ville d’Oran, actuellement asphyxié. Cette extension doit s’effectuer
dans un souci de continuité et de cohérence avec les tissus existants (le Front de mer)
impliquant la création d’autres pôles de centralité à caractère attractif dans la zone Est.
5
Frey J.-P., 2004, pp. 381-395.
L’entretien sera basé sur un travail de terrain à travers des entretiens semi-directifs avec les promoteurs
immobiliers privés et les responsables des organismes et services administratifs. Il permettra de faire émerger au
mieux les univers mentaux et symboliques à partir desquels les pratiques se structurent. Les sujets interviewés
représentent une variété de professions et de rôles sociaux :
- le responsable du Logement social participatif (LSP) à la Direction du logement et des équipements publics
(DLEP) ;
- le directeur régional de la Caisse nationale du logement (CNL) ;
- le responsable des crédits au financement du LSP à la Caisse nationale d’épargne et de prévoyance
(CNEP) ;
- le responsable de l’organisme de contrôle technique.
Ces entretiens seront complétés par :
a. des prises de photos et relevés de projets réalisés : ces données constituent la base d’une description des
pratiques des différents acteurs (promoteurs immobiliers privés, habitants…).
b. une recherche documentaire permettant l’examen de l’ensemble des matériaux collectés auprès des
organismes concernés tels que les procès verbaux relatifs aux taux d’avancement des travaux et aux
consommations financières (aides de l’État, crédits bancaires et apports des souscripteurs, dossiers administratifs
déposés par les habitants auprès des organismes institutionnels…).
c. la constitution d’un dossier de presse permettant de cerner le discours médiatique ainsi que la politique de
communication des acteurs institutionnels et des promoteurs immobiliers privés et, éventuellement, les réactions
d’autres acteurs, notamment les habitants. La dimension idéologique des discours officiels est indéniable. Elle
mérite pour cela d’être précisée par une analyse des différents supports et médias par lesquels ces discours
transitent (conférences de presse, interviews des responsables ministériels, documents d’urbanisme…) afin de
repérer ensuite, dans la manière dont ces programmes sont annoncés, comment ils se concrétisent. Il s’agit ainsi
de confronter les significations et les valeurs accordées à la formule LSP avec celles que leur confèrent, par leurs
pratiques, les habitants.
6
Par ailleurs, ce programme de 4 600 logements est le premier réalisé dans le cadre de cette
formule (lancement en 1996, livraison entre 2002 et 2003). En 2008, les occupants prennent
possession de cet espace et tentent de le façonner selon les images qu’ils partagent en tant
qu’acteur collectif. Notre travail s’articule autour de trois axes complémentaires.
1. Identification des habitants et de leur origine résidentielle
L’étude de cette mobilité peut être l’une des clés d’entrée pour la compréhension des
phénomènes de croissance urbaine et des rapports entre la société et son espace. Cette
démarche permet de mettre en exergue les jeux d’acteurs et les stratégies déployées pour
acquérir un logement social participatif. Elle constitue, également, l’instrument approprié
pour saisir l’un des aspects indispensables à la territorialisation des citadins, celui de la
fabrique de la ville en périphérie. Outre ces éléments, l’analyse des raisons réelles et
profondes de ce déplacement va mettre en relief les limites d’une politique urbaine.
2. Les luttes et les compétences habitantes
Elles visent à arracher une citadinité réclamée en déployant des savoirs et des stratégies à
s’approprier l’espace et à le modeler pour lui donner un caractère résolument urbain. L’étude
de cette dimension permet de mettre en exergue l’expérience qu’ont ces habitants de la ville :
« la notion de compétence comme outil conceptuel permettant de dépasser ou de compléter
l’approche de la ville et de ses habitants en termes de pratiques urbaines […] les savoirs et
les compétences comme autant d’arts de faire contribuant matériellement et symboliquement
à façonner, modeler et (re)qualifier l’espace urbain »7.
3. Sociabilité et urbanité
Éclairer ces dimensions passe nécessairement par la prise en considération des
représentations et de la façon dont ces habitants définissent leur quartier en essayant de
recomposer le modèle urbain à partir de la mémoire résidentielle et des références identitaires.
L’intensité de la mobilisation pour un ancrage et une appropriation de ce territoire en tant que
manifestation d’une culture spécifique sont les traces d’une « urbanité en marche » 8. Le
décryptage des pratiques et des représentations des habitants pourrait permettre de découvrir
et d’éclairer ses composantes en vue d’une éventuelle reconstitution. L’urbanité, autant que la
sociabilité, se manifeste à travers les rapports établis par les différents groupes sociaux qui
s’approprient un espace ou un territoire avec et dans la ville.
II. MOBILITÉ ET STRATÉGIES POUR L’ACQUISITION D’UN LSP
Nos investigations au niveau du quartier Akid Lotfi dévoilent un fait étonnant : celui de la
transgression de la première condition d’éligibilité (voir tableau 2) :
• sur un groupe enquêté de 19 ménages venant de maisons traditionnelles
individuelles, 11 étaient propriétaires, soit 57,9 %,
• sur 86 ménages ayant occupé des logements collectifs, 37 l’étaient également
soit 43 %.
7
8
Berry-Chikhaoui I. et Deboulet A., 2000.
Madani M., 1997, p. 125.
Tableau 2. Statut juridique des anciennes habitations.
Statut juridique
Ancien logement
Propriété
Location
Gratuit
Autres
Total
Maison traditionnelle
11
2
6
0
19
Appartement
37
30
15
4
86
Haouch
18
20
6
4
48
Bidonville
0
0
0
0
0
Autres
12
1
5
0
18
Refus de réponse
0
0
2
0
2
78
53
34
8
173
Total
Source : Enquêtes personnelles.
Cet état de fait, en contradiction avec la réglementation en vigueur, est à mettre en relation
avec les défaillances des services des domaines publics et leur mode de fonctionnement
archaïque où un seul fonctionnaire doit gérer, sans outil informatique, les dossiers de tous les
propriétaires de la wilaya d’Oran. Il est donc aisé d’obtenir un certificat négatif dans ces
conditions.
Quant au justificatif du revenu inférieur à cinq fois le SNMG, nos premières investigations
ont mis en relief des stratégies déployées telles que :
• la présentation du dossier au nom de l’épouse, femme au foyer, avec une
déclaration sur l’honneur attestant l’exercice de la couture à domicile,
• la présentation d’un dossier au nom de la fille ou du fils étudiant avec la bourse
d’étude comme revenu. Il est à préciser que la réglementation n’a pas fixé le revenu
minimum pour bénéficier de l’aide de l’État.
Concernant les origines de ces habitants, les premiers résultats de notre enquête confirment
la prédominance d’une migration intra-urbaine : sur 83 ménages enquêtés, nous avons obtenu
les résultats suivants :
• 38 % des habitants enquêtés viennent du centre-ville, en particulier des quartiers
dégradés de St-Pierre, Plateau St-Michel et Sid El Houari
• 33 % viennent des quartiers périurbains proches tels qu’El Hamri, Boulanger et
Choupot
• 12 % arrivent des villages de la wilaya d’Oran, notamment El Kerma et Tafraoui
• 17 % viennent des autres wilayates.
À la question « Pourquoi avez-vous déménagé en périphérie ? », la réponse la plus
fréquente était bien entendu : « l’aide de l’État » :
Un habitant : « Un F4 neuf et ensoleillé dans un quartier calme m’est revenu à 120
millions (12 000 € environ), alors que le même, mais beaucoup plus vieux au
centre-ville, se vend à 500 millions et plus ».
La localisation est une des raisons qui revient également dans les propos des habitants :
Un autre habitant : « Je suis à 15 minutes du centre-ville et sur le prolongement du
Front de mer et à côté des coopératives (lotissements individuels) ».
Par ce jeu d’images et de représentations, les habitants de ce quartier démontrent leur
aptitude à maîtriser, sur le plan symbolique, la morphologie sociale de chaque localisation.
Sur ce même registre, d’autres motifs de cette mobilité sont évoqués comme l’état de
délabrement et de vétusté du bâti, le manque d’ensoleillement et l’humidité de l’ancien
logement situé généralement dans les quartiers centraux de la ville.
Une autre raison glisse subtilement entre les réponses : celle d’avoir un revenu
supplémentaire en louant l’ancien logement pour des fonctions libérales ou tertiaires (le
montant du loyer en ville est égal, voire supérieur, au salaire d’un cadre (ingénieur,
médecin…). En effet, 18 % des personnes interviewées affirment avoir loué leur logement
après le déménagement.
Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’acquisition de ce type de logement par une
population à laquelle il n’était pas destiné initialement n’a été possible qu’en l’absence d’une
population solvable. Le versement initial moyen pour un LSP est d’environ 500 000 da
(environ 5 000 €), une somme dont ne disposent pas tous les demandeurs de logement, alors
que de nouveaux programmes LSP sont lancés chaque année et confiés essentiellement à des
promoteurs immobiliers privés qui engagent des capitaux et veulent les récupérer augmentés
d’un bénéfice. Cela implique le recours à des stratégies que ces acteurs mettent en œuvre dans
une marge de manœuvre autorisée par la réglementation. Des compromis sont désormais
arrangés entre les institutions de l’État, les promoteurs immobiliers et les habitants, comme
l’acceptation de la bourse d’étude par la Caisse nationale du logement (organisme chargé de
l’octroi et du contrôle de l’aide financière) en tant que justificatif de revenu minimum, ou
encore, dans certains cas, l’intervention du promoteur immobilier auprès des services des
domaines pour la remise du certificat négatif pour des futurs acquéreurs déjà propriétaires
d’une habitation.
III. LUTTES ET COMPÉTENCES HABITANTES
Les premiers résultats de l’enquête démontrent l’origine urbaine de la majorité des
habitants de Akid Lotfi. Ils possèdent par conséquent une expérience de la ville dont ils se
servent pour réaliser leur insertion dans l’espace urbain, élaborant des stratégies d’ancrage
aux lieux, d’appropriation spatiale, et développant des sentiments d’appartenance au monde
urbain par la production matérielle et symbolique de leur quartier.
En effet, ils usent de multiples voies de lutte et de négociation pour réaliser l’ancrage au
quartier. La première étape dans cette lutte fut la constitution du comité de quartier, dénommé
El Moussalaha, ce qui signifie « la réconciliation »9. Ce comité est composé en majorité de
cadres dans l’administration disposant d’un niveau universitaire. Cette composition signifie
un réseau de relations étendu dans toutes sortes de milieux, ce qui constitue un atout de taille
dans un quartier.
Ce comité se mobilise pour quatre objectifs :
— l’expertise des logements par des organismes publics de contrôle pour détecter les
anomalies et les défaillances techniques ;
— l’amélioration du cadre de vie par l’aménagement d’espaces verts et aires de jeux
pour enfants ;
— le revêtement de la chaussée et la réalisation des travaux de VRD ;
— le transport et les équipements (école, centre de santé et marché).
9
Le nom d’El Moussalaha n’a pas été choisi par hasard. La création de cette association correspond au projet de
réconciliation nationale lancé par le président de la République : « Avec cette dénomination, nous avons réglé
beaucoup de problèmes » (un habitant).
Cette mobilisation revendicative s’est faite à travers les différents médias pour dénoncer
les pratiques spéculatives des promoteurs immobiliers privés, mais aussi par l’organisation de
rassemblements des habitants devant les administrations concernées (la Wilaya, la Direction
du logement et des équipements et la mairie d’Oran). Des réunions périodiques sont
organisées pour débattre des divers problèmes du quartier et des démarches à entreprendre. La
logique de ces acteurs s’appuie sur l’optimisation des réseaux disponibles pour atteindre
l’objectif recherché, à savoir un cadre de vie qui corresponde à l’image qu’ils se font du
quartier à partir de leur vécu.
Suite à cette mobilisation, une partie des travaux de VRD a été effectuée par les
promoteurs avec quelques aménagements extérieurs et le problème du transport a été pris en
charge par les collectivités locales : aménagement d’un arrêt de bus à l’entrée de la cité mais
aussi création d’une ligne spéciale pour desservir ce quartier. Quant à l’école, le projet est en
cours de réalisation. Notons, également, que des commerces de proximité ont été créés au rezde-chaussée des immeubles par les habitants qui ont acheté ces locaux auprès des promoteurs.
Cette construction matérielle et symbolique du quartier témoigne d’une aspiration à appartenir
ou à ré-appartenir à la ville et à la société urbaine. Nous assistons, alors, à l’émergence d’un
processus d’édification du quartier accompagnée des premiers éléments du territoire tels que
la clôture de la cité, les espaces publics aménagés et l’arrêt de bus : « l’ancrage résidentiel
constitue les prémisses indispensables de la territorialisation »10.
Photographie 1.
Réalisation de deux routes à l’intérieur de la cité avec une partie de l’éclairage public.
Cliché de l’auteur.
IV. SOCIABILITÉ ET URBANITÉ
Pour éclairer cette dimension, nous avons posé la question : « Gardez-vous des relations
avec votre ancien quartier ? ».
Sur les 83 ménages enquêtés, 74,6 % répondent « oui » et 18,07 % « non ».
10
Florin B., 1999, p. 11.
Tableau 3. Réponses à la question
« Gardez-vous des relations avec votre ancien quartier ? ».
« Oui »
« Non »
Refus de réponse
Total
62
15
6
83
Ces réponses se justifient en premier lieu par des raisons professionnelles, en deuxième
lieu pour des raisons familiales ou amicales (visites) et, en troisième lieu, pour des raisons
relatives à la scolarité des enfants, l’école n’étant pas encore construite.
Quant à la question « Comptez-vous quitter l’actuel quartier ? », 17,55 % des habitants
interviewés désirent revenir à l’ancien quartier, 36,36 % ne comptent pas quitter leur
logement tandis que 50,82 % sont indécis et préfèrent attendre.
Par ailleurs, et suite aux pressions exercées par le comité de quartier, un marché
hebdomadaire est organisé et fréquenté par les habitants, notamment par les femmes. Cet
espace est devenu un lieu de rencontres où se tissent, graduellement, des relations de
voisinage :
Une habitante fonctionnaire : « Au marché, j’ai fait la connaissance d’une voisine
qui m’a proposé de garder mon bébé parce qu’elle m’a vu le trimbaler tous les
matins chez ma mère en ville ».
Sur ce même registre, une autre ajoute :
Une habitante, femme au foyer : « Avec le marché sur place, je descends moins
souvent en ville, il y a de tout et ça me change de la maison et du ménage, je
rencontre les voisines, c’est important les voisins, vous savez ! ».
Les réunions du comité de quartier, organisées à partir de 20 heures, constituent également,
pour les hommes, l’occasion de se connaître entre voisins et de se côtoyer.
Un habitant : « C’est pendant la réunion du comité que j’ai appris que nous avons
un voisin professeur de mathématiques, cela m’a permis de le solliciter pour des
cours de soutien pour ma fille ».
Les quelques espaces extérieurs aménagés par les promoteurs et entretenus par les
habitants sont fréquentés par les hommes et par les femmes les après-midi pour promener les
enfants :
Un habitant : « Je m’occupe de l’arrosage de l’espace vert le soir quand je rentre du
travail et j’ai demandé à ma femme de le surveiller pendant la journée. J’aime
ouvrir le matin ma fenêtre et voir d’un côté la mer et de l’autre la verdure, chose
que je n’avais pas en ville ».
Nous avons observé, également, des pratiques d’appropriation des espaces limitrophes aux
immeubles par l’aménagement de clôtures légères, ou encore par la plantation de végétations.
Les raisons évoquées sont principalement la sécurité, l’intimité, mais surtout une extension du
logement par un espace vert :
Un habitant : « J’ai clôturé cet espace et j’y ai mis de la verdure. Je récupère ainsi
une petite cour et, surtout, cela fait beau. Comme je suis propriétaire de mon
logement personne ne va me l’interdire ».
Les discours des habitants révèlent l’image du quartier symbolique comme étant des
espaces cohérents traversés par des rapports sociaux intenses. Par conséquent, ils tentent de
construire cette image en vue d’un ancrage profond par des pratiques d’appropriation spatiale.
En effet, les pratiques observées dans ce quartier attestent de la volonté d’édifier un quartier
matériellement et symboliquement : la protection des espaces verts et leur entretien
témoignent de la défense de l’intégrité du territoire et confirment la capacité des habitants à
construire la ville en lieu et place des responsables et des pouvoirs publics.
CONCLUSION
Au terme de ce panorama complexe des dynamiques qui font les nouvelles réalités
urbaines en Algérie, tout semble converger dans le sens de l’hypothèse de l’émergence d’un
processus de territorialisation dans la périphérie de la ville d’Oran. Ce phénomène, impulsé
par les nouvelles politiques de l’habitat, est illustré par une mobilité résidentielle comme effet
de ces politiques.
L’origine résidentielle de ces habitants nous renvoie au constat de B. Florin11 : « La ville
s’alimente de plus en plus elle-même. ». Un fait qui ne cesse de s’amplifier, la migration intra
et interurbaine qui dépasse en intensité ce qu’on appelait, autrefois, l’exode rural, génère la
naissance de nouveaux quartiers où se déploient des stratégies et des compétences animées
par les enjeux de la localisation du logement dans la trame urbaine et par le statut de
propriétaire, dans un processus de construction du territoire et de la ville. À l’instar d’I. BerryChikhaoui et d’A. Deboulet12, le postulat de base se vérifie : l’habitant ordinaire est un acteur
à part entière ayant des compétences avérées pour agir, produire et s’approprier l’espace
urbain. Ce territoire produit des effets de sociabilité : l’écoute du discours des habitants du
quartier Akid Lotfi montre l’intégration d’une expérience riche et le développement de liens
affectifs avec le milieu : « Plus l’établissement dure, plus les effets des actions multiples de la
ville sont importants et plus l’enracinement devient palpable. »13.
La construction matérielle et symbolique du quartier s’est faite par l’apprentissage des
modes de cohabitation avec les autres et le déploiement d’un savoir vivre urbain, une synthèse
des héritages du passé (la cotisation pour l’achat d’une grande tente à utiliser lors des veillées
des décès) et des innovations en cours (les réunions de l’association). L’observation et
l’analyse des pratiques des habitants et leurs modes de sociabilité mettent en relief l’existence
de solutions composites partout présentes. Changement dans le mode de vie communautaire,
dans l’usage des espaces extérieurs, notamment par les femmes, cette démarche a donné plus
de consistance à l’hypothèse d’une urbanité en marche et a conforté en même temps le
postulat de « la fabrique de la ville en périphérie et que la ville se “fait” de plus en plus dans
et avec ses périphéries »14.
Le logement social participatif, qui devait initialement permettre à l’État de répondre à une
crise du logement tout en réalisant des économies substantielles par l’implication financière
des habitants et des promoteurs immobiliers privés en tant que maîtres d’ouvrage, s’est
retrouvé dévié de son objectif initial en provoquant un nouveau modèle de mobilité15 sociospatiale. Ce phénomène engage la périphérie Est de la ville d’Oran dans un vaste processus de
térritorialisation.
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11
Florin B., 1999.
Berry-Chikhaoui I. et Deboulet A., 2000.
13
Madani M., 1997.
14
Extrait du FSP.
15
Cette mobilité concerne donc des CSP engagées dans des pratiques spéculatives et dans une dynamique de
promotion sociale et spatiale.
12
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