greco4 sia

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greco4 sia
Juliette Gréco – Ça se traverse et c’est beau
« C’est un objet très bizarre. Mais, évidemment, il ne fallait pas qu’ils
s’attendent à un disque classique. » Juliette Gréco se délecte des contours
inattendus de Ça se traverse et c’est beau, son nouvel album, de la matière
singulière dont il est fait, du casting improbable qu’il a suscité – Marc Lavoine,
Philippe Sollers, Féfé, Amélie Nothomb, François Morel, Melody Gardot,
Marie Nimier, Jean-Claude Carrière, Gil Goldstein, Christian Escoudé, Gérard
Duguet-Grasser, Alexandra Roos et, comme toujours, Gérard Jouannest. Des
écrivains de renom, des personnalités de la chanson ou du jazz, des créateurs
qui n’ont jamais été associés de leur vie et se trouvent aujourd’hui ensemble
sur cet album.
Ce qui les rassemble tous ? « Ils ont travaillé comme des anges », dit
Juliette Gréco.
Au commencement, une idée lancée en l’air : pourquoi ne pas faire un
disque sur Paris ? Petite moue de Gréco, qui appartient à Paris comme Paris
appartient à sa légende. On visiterait la Tour Eiffel, le Sacré Cœur et les
vestiges de Saint-Germain-des-Prés en compagnie de la légendaire Juliette ?
Non merci, dit la dame.
Mais il lui vient une idée joyeuse : et les ponts ? Les ponts de Paris qui
suturent ses deux rives, les ponts des poètes et des jeunes gens pressés, les
ponts des amoureux et des suicidés, les ponts des aubes lumineuses et des jours
noirs… La chanteuse rappelle que, si souvent entre les humains, on jette un
pont ou l’on coupe les ponts : « Les ponts permettent d’aller de l’un à l’autre.
Il faut des ponts pour les rencontres, il faut des ponts pour les séparations. Le
pont est poétique, le pont est humain. »
On fera appel à des auteurs de chansons, on ira jeter un œil dans le
répertoire. Et Juliette Gréco propose de demander des textes à des écrivains,
puisqu’après tout elle a commencé sa carrière, en 1949, en chantant trois
chansons d’écrivains – Si tu t’imagines de Raymond Queneau, Rue des BlancsManteaux de Jean-Paul Sartre, L’Éternel féminin de Jules Laforgue.
Ainsi Philippe Sollers médite sur Le Pont Royal, qui fut pendant des
décennies le pont le plus proche du domicile parisien de Juliette Gréco. Ainsi
François Morel avec Antoine Sahler rend hommage à un pont presque
anonyme, Le Petit Pont. Ainsi Amélie Nothomb rêve d’un nouveau pont à
Paris, un pont oblique et nécessaire auquel on donnerait le nom de Pont
Juliette. « Je n’imaginais pas qu’elle m’aimait bien. Et j’ai reçu cette chanson
d’amour. » Une chanson d’amour qu’elle n’ose chanter elle-même… C’est
donc Guillaume Gallienne qui lit cette rêverie que Gérard Jouannest a mise en
musique.
« On a fini par réunir des gens assez disparates », dit-elle avec son
sourire d’enfant évadé dans l’âge adulte. Car la voici en compagnie de Marc
Lavoine, un des plus grands magiciens de la chanson française depuis plus de
vingt ans. Un duo ? Non, deux duos, C’est la la la et Seule avec toi, qui
dévident la Seine comme un film radieux. « Marc est doué pour les autres,
s’émerveille-t-elle, il est doué pour la vie. Il est beau, il est sain, il est juste. »
Et, de ce romantisme radieux, elle s’aventure dans « la noirceur profonde » de
l’univers de Gérard Duguet-Grasser qui lui a donné La Petite Auto, qu’il
interprète avec Alexandra Roos et elle.
Cet album baguenaude dans Paris, sa mémoire, ses amours et son
présent. Un nouveau pont a été jeté sur la Seine il y a quelques années, tout à
l’Est ? Marie Nimier remarque que cette passerelle s’appelle Simone de
Beauvoir – que de symboles… La même auteure constate aussi, au détour de
son bouleversant Pont Marie quelle est la magie d’un pont : « Ça se traverse et
c’est beau », fait-elle chanter à Gréco. Elle lui donne enfin L’Homme du pont,
roman d’une vie ramassé dans les quelques minutes d’une chanson. Et JeanClaude Carrière, dans Mirabeau sous le pont, remémore à la fois Apollinaire et
cet autre pont à l’Ouest qu’il a chanté pour l’éternité… Pour le cœur de la ville,
Abd Al Malik lui a donné une chanson écrite sur le piano de Gérard Jouannest,
et qui se penche sur la balustrade du Pont des Arts – une chanson sombre
comme des eaux d’hiver et qui paraitra en bonus de la version numérique de
l’album.
La légende de Paris ? On l’entend dans une ébouriffante jeunesse, avec
Paris se lève, chanson de pavé aux accents parigots que Féfé offre à Gréco. Ou
dans la rencontre avec Melody Gardot dans Sous les ponts de Paris, créé avantguerre par Georgel et revisité avec la complicité du magnifique guitariste
Christian Escoudé – « exquise, radieuse beauté », commente Gréco.
Et, dans ce festin de mots, une voix que l’on n’a pas assez souvent
entendue, celle de l’auteure Juliette Gréco qui signe Le Miroir noir, un de ses
trop rares textes de chanson, et qui contemple « Ma Seine, théâtre de mes
larmes » dans un vaste mouvement du drame à l’espoir, un mouvement qui fait
écho aux grondements de l’histoire comme aux craquements du cœur.
Ce Miroir noir court sous tous les ponts de Paris et semble traverser
toutes les chansons de l’album – les félicités et les joies, les éclats de soleil et
les cieux d’orage, les âmes brisés et les cœurs ivres. On y entend la voix de
Gréco et on y sent battre le sang de la plus grande des villes…