Pierre Fabre : «€L`indépendance est un
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Pierre Fabre : «€L`indépendance est un
Un labo au crible Pierre Fabre Pierre Fabre « L’indépendance est un fondement solide » Président et fondateur du groupe éponyme, le pharmacien d’industrie Pierre Fabre vient de recruter à Jean-Pierre Garnier, ex CEO de GSK, auquel il confie la direction générale de son groupe. Pierre Fabre défend son modèle. Vous avez résisté au puissant mouvement de concentration qui a traversé l’industrie du médicament ces dernières années. Pensez-vous défendre un « modèle » qui, fort de son histoire et de son ancrage régional, peut encore perdurer, voire revenir en force dans notre paysage pharmaceutique en plein bouleversement ? ● Notre modèle économique n’est pas conforme aux standards du secteur. Depuis la création de notre entreprise, j’ai toujours cherché à préserver son indépendance. Pour y arriver, il faut s’imposer certaines contraintes. La première règle, c’est de ré-investir ses bénéfices pour faciliter le développement de l’entreprise. Ensuite, sans sacrifier à des règles de bonne gestion, j’ai toujours essayé de privilégier le moyen terme à la rentabilité immédiate et donc de consacrer à la recherche et au développement des moyens importants. Enfin, compte tenu de notre taille assez modeste par rapport aux géants du secteur, j’ai souvent poussé mes équipes à cultiver une forme de réactivité et de curiosité. Dans certains cas, notre taille peut être un atout par rapport aux grandes firmes si nous savons l’utiliser. Notre 70 PHARMACEUTIQUES - NOVEMBRE 2008 développement initial en oncologie provient d’une collaboration avec le CNRS pour développer une molécule dont nous avons su très vite déceler le potentiel alors que de grands laboratoires l’avaient délaissée. Néanmoins, parler de « modèle » serait prétentieux dans le contexte actuel. L’indépendance, c’est une base, un fondement solide. La vraie réussite sera de démontrer que ce n’est pas une base figée et que nous pouvons nous adapter au contexte. Votre groupe possède un pilier solide avec la dermo-cosmétique qui lui permet d’envisager l’avenir avec sérénité et sécurité. La santé familiale progresse bien également. Seule la pharma marque un peu le pas. Comment pensez-vous rebondir dans ce dernier secteur, avec quels moyens et pour quelles ambitions ? ● Le développement de nos activités dermo-cosmétiques, qui représentent la moitié de notre chiffre d’affaires, constitue également un des facteurs déterminant de notre indépendance. Nous avons créé ce marché des produits cosmétiques vendus en pharmacie dont nous sommes les leaders. Notre culture PIERRE FABRE, PRÉSIDENT ET FONDATEUR DU GROUPE, VA PASSER LES COMMANDES DE LA S.A. À JEAN-PIERRE GARNIER. et notre expérience pharmaceutique ont largement contribué à asseoir ce succès. Nos produits séduisent mais sécurisent aussi le consommateur. Ils sont à la frontière de la santé et de la beauté. Certaines gammes comportent des produits de prescription, notamment par le dermatologue, et toutes sont délivrées avec le conseil du pharmacien. Le succès de ces marques repose très largement sur notre expérience pharmaceutique. Et c’est vrai qu’aujourd’hui, il nous permet d’assumer plus facilement les difficultés que connaît l’univers du médicament pour toutes les raisons que nous connaissons : déremboursements, baisses de prix, contraintes réglementaires et coût de développement de plus en plus élevé. Cela ne veut pas dire que nous abandonnons la pharmacie. Nos propres produits et ceux que nos réseaux ont en licence affichent une stabilité sur le marché que beaucoup de nos confrères nous envient. Nos gammes d’OTC progressent au rythme du marché. Nous devrions lancer deux nouveaux médicaments issus de notre recherche en 2009 et 2010, et enfin, nous avons gagné deux points en part relative à l’international cette année. ® DR Fondation Pierre Fabre. Ce montage est-il vraiment de nature à asseoir durablement « l’indépendance » de votre groupe ? Comment et sur quels objectifs ? ● C’est vrai qu’en matière capitalistique, nous sommes aussi précurseurs. Je pense qu’en apportant la majorité des actions du groupe à une fondation française reconnue d’utilité publique et par l’intermédiaire d’une société holding, Pierre Fabre Participations, j’ai tout fait pour le préserver quoiqu’il arrive, de changements brutaux. La volonté, c’est d’assurer non seulement la pérennité de l’indépendance, mais aussi des valeurs historiques de l’entreprise, les implantations françaises et régionales importantes, la pluridisciplinarité des métiers, des investissements conséquents en recherche et développement. Votre recherche affiche dans son pipeline des promesses. Pour autant, vos investissements sont limités, même s’ils sont importants en proportion de votre chiffre d’affaires. Quelle est selon vous la clé du succès et la bonne méthode à suivre en la matière pour un laboratoire indépendant de taille moyenne ? ● Dans le contexte actuel la créativité des équipes de recherche ne suffit plus. Un groupe comme le nôtre ne peut assurer le développement de multiples produits sans nouer des partenariats avec des firmes internationales. L’inflation du coût des études cliniques et l’importance du marché américain, mais aussi la nécessité de maîtriser au mieux le facteur temps, rendent nécessaires ces alliances et nous allons les développer, comme d’ailleurs celles nouées en amont avec la recherche publique. Vous avez choisi de pérenniser l’œuvre d’une vie en faisant don de la majorité des parts de votre entreprise à la Ce nouveau montage s’accompagne d’une nouvelle direction générale du groupe, confiée à Jean-Pierre Garnier ? Comment allez-vous répartir les tâches ? Compte tenu de ce que je vous ai indiqué sur la nécessité de développer nos activités pharmaceutiques à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis, JeanPierre Garnier a le bon profil pour nous permettre de remplir nos objectifs. C’est lui qui va assurer cette mission et qui, plus généralement, dirigera nos activités dans le cadre d’une stratégie que nous aurons élaborée ensemble. Nous serons complémentaires et je me consa- crerai un peu plus au développement de notre filiale dermo-cosmétique. Estimez-vous que les conditions cadres de l’industrie du médicament sont de nature à maintenir une réelle attractivité de la branche dans notre pays ? ● Je crains que cette question ne soit déjà un peu derrière nous tant les conditions du marché et d’exercice de notre métier en France se sont dégradées ces dernières années. Avec le G5, nous publierons prochainement des chiffres vérité sur cette question. La France, 1er producteur européen du médicament, peut-elle rester selon vous un pays qui comptera longtemps encore dans la pharma mondiale. Que lui manque-t-il dans le concert de la compétition mondiale ? ● Aujourd’hui, les entreprises sont là et elles sont performantes. Et je pense notamment à celles du G5. Les collaborateurs et l’environnement scientifique sont de qualité. Pour rester dans la compétition, il ne nous manque qu’une chose. A savoir, que les gouvernements européens nous permettent d’agir dans un environnement au moins équivalent à celui de nos principaux concurrents qui sont aujourd’hui les Suisses et les Anglo-saxons. ■ Propos recueillis par Jean-Jacques Cristofari Jean-Pierre Garnier à la tête de Pierre Fabre SA En août dernier, Pierre Fabre a fait don des actions qu’il détenait dans la société holding, Pierre Fabre Participation, elle-même détentrice de 60 % du capital des laboratoires Pierre Fabre, à la Fondation Pierre Fabre. Cette dernière est une fondation d’utilité publique créée le 8 avril 1999. Présidée par Pierre Fabre, elle œuvre pour la bonne pratique des médicaments et l’amélioration des soins dans les pays en voie de développement. Cette donation a pour objectif de pérenniser l’indépendance de Pierre Fabre SA, société transformée en société à conseil de surveillance dont le fondateur conserve la présidence, tandis que Jean-Pierre Garnier préside désormais le directoire et assure la direction générale de Pierre Fabre SA. Ce franco-américain, docteur en pharmacologie, diplômé MBA de Stanford, a présidé les destinées de GSK jusqu’en mai dernier, après une longue carrière internationale au sein de big pharma (Schering Plough, SmithKline Beecham). Il a désormais pour mission de relancer les activités des laboratoires Pierre fabre. 71 NOVEMBRE 2008 - PHARMACEUTIQUES