Enseignement en ligne: comment les professeurs
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Enseignement en ligne: comment les professeurs
Enseignement en ligne: comment les professeurs peuvent-ils y trouver leur compte ? Jean Poitras Professeur titulaire Département de gestion des ressources humaines 19 janvier 2016 Les cahiers des leçons inaugurales Jean Poitras Titulaire d’un doctorat de l’Université du Massachusetts à Boston (États-Unis), M. Poitras est un psychologue spécialisé en gestion de conflits. Il est l'auteur principal des ouvrages Psychologie de la négociation, Expert Mediators : Overcoming mediation challenges in workplace, family and community conflicts ainsi que Systèmes de gestion de conflits. Le professeur Poitras est également membre des conseils de plusieurs revues scientifiques. Depuis plus de 20 ans, M. Poitras aide les professionnels à développer leurs habiletés de négociateur et de médiateur. Particulièrement intéressé par les nouvelles technologies d’enseignement, il produit du matériel pédagogique en ligne pour EDUlib et l’École des dirigeants. Promus titulaires, les professeurs de HEC Montréal sont invités à donner un discours inaugural, appelé leçon inaugurale, à l’intention de la communauté universitaire. Dans le cadre de cette leçon, les professeurs font part de leurs réflexions sur leur carrière et sur la pratique de la gestion. COPYRIGHT, ©, janvier 2015, Jean Poitras ENSEIGNEMENT EN LIGNE : COMMENT LES PROFESSEURS PEUVENT-ILS Y TROUVER LEUR COMPTE? TABLE DES MATIÈRES Introduction ......................................................................................................... 3 L’enseignement en ligne, une vague de fond? .................................................. 4 Premier mythe : L’enseignement en ligne n’est qu’une mode ................. 4 Deuxième mythe : Rien n’égale l’expérience en classe ........................... 5 Troisième mythe : L’enseignement en ligne ne changera rien au métier de professeur ............................................................................. 6 Risques et avantages pour les professeurs ........................................................ 8 L’enseignement en ligne et le modèle d’affaires des universités ............. 8 L’enseignement en ligne et les intérêts des professeurs ........................... 9 Principes pour un enseignement en ligne gagnant-gagnant .................... 10 L’enseignement en ligne comme un produit dérivé ....................................... 13 S’inspirer du Metropolitan Opera de New York .................................... 13 Une stratégie de produits dérivés virtuels ............................................... 14 Défis de la mise en œuvre de cours gagnant-gagnant............................. 15 Conclusion ......................................................................................................... 17 Bibliographie ..................................................................................................... 18 Introduction Au début de mes études universitaires, dans les années 1990, il y avait deux types de professeurs. Ceux qui utilisaient des acétates manuscrites et ceux qui utilisaient le logiciel Powerpoint. À cette époque, de nombreux professeurs se plaignaient que l’utilisation de cet outil de présentation dénaturait l’enseignement. Aujourd’hui, j’en connais peu qui n’ont pas recours à Powerpoint. De même, au cours de mes 15 années d’enseignement, j’ai vu apparaître une nouvelle technologie qui, à terme, risque de modifier la pédagogie universitaire. Il s’agit de l’enseignement en ligne. Étant aux premières loges de cette révolution, c’est le sujet dont j’aimerais vous entretenir aujourd’hui. Je crois en effet que nous vivrons sous peu des changements importants dans le monde universitaire. Mes expériences avec ce nouveau médium pédagogique ont été positives : satisfaisantes sur le plan professionnel et accompagnées d’un certain succès auprès des étudiants. Je ne vous cacherai pas que j’aime l’enseignement en ligne. Malgré tout, je suis inquiet pour le métier de professeur. Voyez-vous, je pressens un certain conflit entre les intérêts des professeurs et ceux de l’administration quant à l’intégration de cette technologie dans le déroulement des cours. Comme nous le verrons au cours de cette présentation, je crains que les changements ne soient d’emblée défavorables aux professeurs. Qui plus est, j’ai l’impression qu’à l’heure actuelle les professeurs ne font rien pour profiter de tous les avantages de cette nouvelle technologie. Néanmoins, je crois qu’il est tout à fait possible pour les professeurs et l’administration d’en retirer des bénéfices. En effet, j’y vois une occasion de concilier leurs intérêts. Nous explorerons le phénomène de l’enseignement en ligne en trois temps. Dans un premier temps, nous en évaluerons l’amplitude pour déterminer s’il s’agit d’un phénomène marginal ou d’une innovation de rupture. Dans un deuxième temps, nous analyserons les impacts de ce nouveau médium sur le métier de professeur en nous penchant sur les risques et les avantages qu’ils représentent pour les enseignants. Puis, nous explorerons un modèle où les professeurs et les administrations universitaires peuvent trouver leur compte. En effet, l’enseignement en ligne peut être considéré comme un produit dérivé de l’enseignement traditionnel. 3 L’enseignement en ligne, une vague de fond? Force est de constater qu’au cours des cinq dernières années notre institution a pris de plus en plus d’initiatives d’enseignement en ligne qui risquent au bout du compte de changer de façon importante le métier de professeur. À tort ou à raison, il semble que cette croissance soit plus ou moins prise au sérieux par les professeurs. Ce désintérêt traduit-il un signe de sagesse ou une forme de déni? J’aimerais examiner plus en profondeur certaines des croyances souvent exprimées par les professeurs sceptiques quant à l’impact potentiel de l’enseignement en ligne. Premier mythe : L’enseignement en ligne n’est qu’une mode L’enseignement en ligne est souvent comparé à la télé-université. L’argument implicite est que l’enseignement en ligne rappelle les cours diffusés par vidéo au cours des années 80. Or, comme les cours en vidéo n’ont pas bouleversé l’enseignement traditionnel, on présume que les cours en ligne n’y changeront rien non plus. Mais que suggère l’épreuve des faits? Année après année, l’enseignement en ligne gagne en popularité. Plusieurs rapports et études ont montré que l'industrie du eLearning ne donne aucun signe de ralentissement. Au contraire, le taux de croissance annuel composé sur 5 ans des inscriptions à des cours en ligne a augmenté de 9,2 % tandis que celui des cours en classe a diminué de -3,5 %1. Ces chiffres ne suggèrent pas une mode temporaire, mais plutôt une tendance lourde. De plus, de prestigieuses universités américaines ont adopté l’enseignement en ligne. Le Massachusetts Institute of Technology et la Harvard University ont lancé edX en 2012. Aujourd’hui, cette plateforme compte plus de 5 millions d’usagers.2 Le magazine U.S. News & World Report a désigné la Pennsylvania State University comme ayant la « meilleure université en ligne » (Penn State World Campus)3. Ces exemples démontrent que l’enseignement en ligne n’est plus l’affaire de petites universités obscures. Vu l’énorme investissement requis pour monter des programmes d’enseignement en ligne, il faut reconnaître que les grandes 1 2 3 e-Learning Infographics (2015, November 17). Top eLearning Stats and Facts For 2015 Infographic. Retrieved from http://elearninginfographics.com/top-elearning-stats-and-facts-for2015-infographic/ Wikipedia (2015, November 17). edX. Retrieved from https://en.wikipedia.org/wiki/EdX The Best Schools (2015, November 17). The 50 Best Online Colleges for 2016. Retrieved from http://www.thebestschools.org/rankings/best-online-colleges/ 4 institutions universitaires prennent ce nouveau mode de diffusion des connaissances très au sérieux. Alors que ces faits me portent à croire que l’enseignement en ligne pourrait potentiellement changer la donne quant à la manière d’enseigner, plusieurs professeurs regardent cette nouvelle vague comme si elles ne les concernaient pas vraiment. En effet, pour certains, l’enseignement en ligne ne fait pas vraiment concurrence à l’enseignement en classe. Deuxième mythe : Rien n’égale l’expérience en classe Pour la plupart des enseignants, rien ne peut égaler le bon vieux contact personnel entre étudiants et professeur. L’argument implicite est que l’aspect impersonnel de l’enseignement en ligne ne peut pas rivaliser avec les contacts humains en classe. Mais en réalité, l’expérience en classe que nous offrons est-elle si personnelle et si dynamique? Si une petite classe de 20 personnes avec un professeur expérimenté demeure une expérience pédagogique riche, qu’en est-il d’un enseignant qui narre son diaporama devant plus de 90 étudiants qui l’écoutent tout en étant connectés à leur compte Facebook? Peut-on parler d’une expérience exceptionnelle? Or, le nombre d’élèves par classe ne cesse de s’accroître, année après année, en raison des contraintes économiques qui forcent les universités à augmenter le ratio étudiantsprofesseur. N’est-on pas en train de diluer par le fait même l’expérience associée aux petits groupes? Ce faisant, peut-on encore parler de l’avantage concurrentiel de la classe traditionnelle sur l’enseignement en ligne? De plus, l’enseignement en ligne propose également d’importantes innovations pédagogiques qui ne sont pas nécessairement envisageables avec l’enseignement en classe. En effet, certains cours en ligne intègrent plusieurs médias et simulations qui rendent les apprentissages très dynamiques. En outre, il est souvent possible pour les étudiants de naviguer dans le contenu à leur rythme et parfois même au gré de leur curiosité ou de leurs intérêts. Dans certain cas, des tests permettent de diriger les étudiants vers le contenu approprié à leur niveau de connaissances. Certain auteurs parlent même d’enseignement personnalisé. Force est de constater que nous sommes loin des modèles d’enseignement à distance des années 80. Que dire de la génération d’étudiants appartenant à celle des millénaires. Plusieurs études rapportent que ces derniers abordent l’apprentissage d’une façon 5 très différente des autres générations4. En fait, plusieurs auteurs croient que ceuxci seront d’avantage attirés par un enseignement en ligne que par un enseignement totalement en classe. Si la technologie ne change pas notre enseignement, peut-être les préférences des nouvelles clientèles le feront. On ne peut que constater que l’avantage concurrentiel de l’enseignement en classe est en train de diminuer et par conséquent, que l’enseignement en ligne n’est plus nécessairement synonyme d’enseignement de moindre qualité. Si l’éclosion de l’enseignement en ligne est possible grâce à de nouvelles technologies, elle est également tributaire de nouvelles façons d’enseigner comme le morcellement pédagogique. Pourtant, pour plusieurs collègues, enseigner en classe ou en ligne, c’est la même chose. Troisième mythe : L’enseignement en ligne ne changera rien au métier de professeur Pour la plupart des professeurs, l’enseignement universitaire consiste à concevoir un cours selon ses préférences pédagogiques et à l’enseigner année après année en y apportant au besoin des modifications plus ou moins importantes. En ce sens, l’enseignement traditionnel relève de l’artisanat. Or ce modèle est peu compatible avec l’enseignement en ligne. En effet, avec ce type d’enseignement, la maîtrise du médium de communication et des principes pédagogiques sont des variables aussi importantes, sinon plus, que la simple maîtrise du contenu. Alors qu'un cours traditionnel se limite à un diaporama accompagné de textes à lire, un cours en ligne nécessite l’élaboration de modules multimédias complexes généralement préenregistrés. Puisqu’il est alors difficile d’y apporter des modifications en cours de route, une erreur de conception peut avoir un impact négatif important, notamment du point de vue de la rétention des étudiants inscrits. C'est pourquoi, il importe d'intégrer les meilleures pratiques d'enseignement fondées sur la recherche lors de la conception d'un cours en ligne. L’enseignement en ligne répond donc à des canevas d’enseignement particuliers. Puisque les stratégies d'enseignement d'un cours en ligne sont différentes de celles d’un cours traditionnel, il est important pour les professeurs d’adopter de nouvelles stratégies pédagogiques. 4 Northern Illinois University: Faculty Development and Instructional Design Center (2015, November 17). Millennials: Our Newest Generation in Higher Education. Retrieved from http://www.facdev.niu.edu/facdev/resources/guide/students/millennials_our_newest_generat ion_in_higher_education.pdf 6 De plus, la conception d'un cours en ligne exige beaucoup de temps. À l’inverse, donner un cours en ligne requiert parfois un peu moins de temps qu'un cours en classe puisqu'une partie du contenu est transmise à partir de capsules asynchrones. Par conséquent, une charge d'enseignement en ligne s’avère très différente de celle d'un enseignement traditionnel. Ces différences soulèvent plusieurs questions. Comment inciter les professeurs à investir plus de temps à la conception d'un cours? Comment calculer la rémunération d’un professeur pour rediffuser son cours, ou l’inclure dans sa charge d'enseignement? Tous ces éléments posent d’importants défis aux professeurs s’ils veulent y trouver leur compte. À cette étape de ma présentation, vous aurez compris que, non seulement je crois que l’enseignement en ligne est une vague sérieuse, mais que ce nouveau mode d’apprentissage va, à toute fin pratique, transformer le métier de professeur. Bien que je vous aie mentionné mon intérêt pour cette nouvelle manière d’enseigner au début de ma présentation, je vous avouerai que cela m’inquiète. Si l’enseignement en ligne est riche de possibilités, j’ai des doutes quant à ses avantages pour les professeurs. En effet, l’enseignement en ligne bouleverse non seulement la pédagogie, mais aussi le modèle d’affaires des universités. 7 Risques et avantages pour les professeurs Tout processus de changement comporte à la fois des risques et des avantages pour les acteurs d’un système, dans ce cas-ci, l’administration universitaire et la communauté des professeurs. Il suffit de combiner les intérêts de ces deux groupes pour entrevoir un modèle d’enseignement en ligne gagnant-gagnant. Pourtant, ce métissage des intérêts ne se fait pas automatiquement. J’aimerais donc prendre le temps d’explorer ici les risques et avantages liés à l’enseignement en ligne pour ces deux acteurs clés, ainsi que les bases d’une éventuelle formule favorable aux deux parties. L’enseignement en ligne et le modèle d’affaires des universités Le fait que les universités cherchent à équilibrer leur budget n’est un secret pour personne. L’enseignement en ligne, tout en proposant une révolution pédagogique, a aussi un impact économique pour les universités. C’est ce qui explique pourquoi l’enseignement en ligne influencera le modèle d’affaires des universités. Il serait naïf de croire que ce dernier n’aura pas d’impact sur la charge de travail d’un professeur. D’abord, l’enseignement en ligne peut être utilisé pour réduire les coûts associés à un cours. Les cours hybrides (moitié en ligne, moitié en classe) réduisent l’utilisation des infrastructures physiques d’une université. Cependant, ces économies sont souvent annulées par les coûts technologiques, comme ceux liés à l’utilisation de la bande passante. L’expérience a d’ailleurs démontré que certains cours hybrides à HEC Montréal pouvaient être plus coûteux que des cours traditionnels! En fait, une économie significative n’est possible qu’en réduisant le temps d’enseignement donné par un professeur ou un chargé de cours grâce à des cours entièrement automatisés (c.-à-d. asynchrones). Bien qu’intéressante d’un point de vue financier, on peut se demander s’il s’agit d’une stratégie gagnante pour les professeurs. Quand plusieurs cours seront automatisés, que leur restera-t-il comme charge d’enseignement? Heureusement, l’enseignement en ligne peut aussi être utilisé pour augmenter les revenus des universités. On parle alors d’aller chercher une nouvelle clientèle en éliminant les barrières géographiques et les contraintes d’horaire. Pour être efficace, cette stratégie doit utiliser du matériel pédagogique complètement asynchrone (c.-à-d. entièrement en ligne). Quelle sera alors la place des professeurs dans ce modèle? Quel sera le rôle des professeurs dans de tels cours? Comment inclure la facilitation de l’apprentissage en ligne dans une charge d'enseignement? 8 Le risque pour les professeurs tient au fait que les forces du marché à elles seules, poussent les universités à tenter de réduire leurs coûts en offrant des cours entièrement automatisés et à augmenter leurs revenus en visant une nouvelle clientèle à distance, sans toutefois tenir compte des intérêts des enseignants. Certains professeurs risquent alors de donner des cours entièrement à distance avec une charge d’enseignement qui ressemble davantage à une assistance de cours (c.à-d. modération des discussions). Pour d’autres, il leur sera difficile de remplir leur charge d’enseignement traditionnel, à cause des nombreux cours automatisés. Bref, laisser les forces du marché dicter à elles seules l’avenir de l’enseignement peut s’avérer risqué pour les professeurs. Loin de moi l’idée de convaincre quiconque que l’on doive s’opposer à l’enseignement en ligne. En fait, si notre institution ne s’intéresse pas à ce nouveau créneau, d’autres nous dameront le pion. Je veux simplement amener les professeurs à s’impliquer dans la transformation du modèle d’affaires de leur institution. Sinon, en restant passifs face aux futurs changements, les professeurs ratent une occasion de s’assurer que le nouveau modèle d’affaires respecte leurs intérêts. Mais que recherchent-ils au juste? L’enseignement en ligne et les intérêts des professeurs Plusieurs études ont recensé l’opinion de professeurs ayant enseigné en ligne pour déterminer les principaux avantages associés à ce type d’enseignement. Bien entendu, les incitatifs financiers, sous forme de bonus, de royautés pour le matériel développé ou de décharge d’enseignement, sont des facteurs importants à considérer. L’arrimage entre la charge d’enseignement et l’enseignement en ligne est une variable clé. Néanmoins, il semble que les sources principales de motivation des professeurs ne soient pas monétaires. La plupart des études démontrent que la principale source de motivation est l’accès à un nouvel auditoire. Imaginez que vous puissiez transmettre vos connaissances à un auditoire qui normalement ne serait pas en mesure de suivre vos cours. L’enseignement en ligne permet en effet de diffuser son enseignement à la grandeur du Québec, du Canada, voire de la francophonie. De même, l’aspect asynchrone des capsules permet aux étudiants qui travaillent à temps plein de suivre vos cours au moment qui leur convient. Du coup, ils peuvent par exemple « assister à » vos cours malgré le fait qu’ils ne soient pas libres durant la journée. Pour plusieurs professeurs, la possibilité de diffuser leur enseignement à un large auditoire est très stimulant. Cet intérêt n’est pas surprenant, car après tout, il y a un petit fond de narcissisme chez la plupart d’entre eux. 9 La deuxième source de motivation est le développement professionnel, notamment l’acquisition de nouvelles manières de transmettre les connaissances. Imaginez que vous puissiez présenter une explication parfaite et que vous n’ayiez plus jamais à répéter les mêmes explications de base, année après année. Imaginez que vous puissiez dorénavant concentrer votre enseignement sur l’explication des nuances, sur des exercices et des discussions qui facilitent la compréhension et l’intégration des connaissances. Pour nombre d’enseignants, la possibilité d’automatiser les explications de base et de canaliser leur enseignement sur le développement des capacités d’analyse, de résolution de problème et d’évaluation des étudiants est très attrayant. Après tout, le coaching, la facilitation d’exercices et de discussions sont les aspects les plus intéressants de l’enseignement. Enfin, la flexibilité de l’enseignement et de la charge de travail constitue une dernière source de motivation importante. L’enseignement en ligne permet non seulement aux étudiants de profiter d’un horaire flexible, mais également aux enseignants. La production, la mise en ligne du matériel pédagogique et la gestion du cours, par exemple, peuvent être faites au moment qui convient le mieux à ces derniers. Plus besoin d’enseigner les soirs et les fins de semaine pour attirer les clientèles professionnelles. Il est également possible de combiner l’enseignement en classe complémentaire avec les capsules sur un horaire condensé, comme lors d’une journée de cours intensif. En fin de compte, l’horaire d’enseignement en ligne peut s’avérer beaucoup plus flexible que celui d’un cours traditionnel. Pour plusieurs professeurs, ce type d’horaire est davantage compatible avec leurs autres tâches, comme la recherche, le service à la communauté ainsi que les activités de rayonnement interne et externe. Comme on peut le constater, l’enseignement en ligne ne constitue pas seulement un risque pour le métier de professeur, il offre aussi des possibilités intéressantes. À condition bien sûr qu’on tienne compte des intérêts des professeurs dans la formule d’enseignement en ligne développée par l’administration universitaire. Cela dit, comment concilier les intérêts des professeurs avec ceux de l’administration universitaire? Principes pour un enseignement en ligne gagnant-gagnant Compte tenu que l’enseignement en ligne est un moyen et non une fin en soit, l’introduction de ces nouvelles technologies doit servir un projet commun. L’objectif est donc double : assurer une croissance des revenus pour les universités tout en assurant une prestation d’enseignement de qualité pour les professeurs. Pour ce faire, la conception d’un cours ou d’un programme en ligne doit reposer sur les trois principes suivants : 10 Le premier principe porte sur la stratégie de développement de cours en ligne qui doit viser les revenus supplémentaires et non seulement les économies. D’abord, une stratégie ciblant une nouvelle clientèle diminue les risques que les professeurs soient remplacés par des capsules asynchrones, car l’objectif visé consiste à accroître les revenus et non simplement de réduire les dépenses. De plus, cette stratégie est compatible avec le désir des professeurs d’élargir leur auditoire. Afin qu’ils restent au cœur de la pédagogie, que leur rôle et leur charge d’enseignement demeurent pertinents, les cours devraient revêtir une certaine forme hybride : une partie en ligne et une partie en classe. Cette idée présente néanmoins un défi important. Comment en effet, concilier le décloisonnement temporel et géographique des cours nécessaire à un large auditoire avec une portion de cours en classe qui s’adresse alors à un auditoire plus restreint? Ne risque-t-on pas de réduire grandement le marché de ces nouveaux cours et par le fait même de limiter la croissance des revenus? La solution à ce problème, repose sur l’application du deuxième principe soit l’élaboration de cours en plusieurs formats imbriqués. Ainsi, en séparant la partie théorique de la partie pratique d’un cours, il serait possible d’enseigner la partie théorique sous forme asynchrone à un large auditoire et la partie pratique à un petit groupe en classe. Le contenu du cours asynchrone serait donc commun à tous les étudiants. Par contre, la partie pratique (étude de cas, simulations, discussions, etc.) serait exclusive aux étudiants réguliers. On pourrait, par exemple, proposer différentes versions d’un même cours (c.-à-d. théorie seulement, théorie et pratique) avec divers niveaux de reconnaissance : attestation, 1,5 crédit ou encore 3 crédits selon les versions. Si la partie en différé d’un cours permet de générer des revenus avec des auditeurs virtuels, il n’en demeure pas moins que la partie en classe doit aussi être un investissement pour assurer la pérennité de cette forme d’enseignement. C’est dans cette perspective que le troisième principe porte sur l’expérience en classe. Les experts sont unanimes : il y aura toujours des personnes prêtes à investir pour suivre des cours de qualité en classe. De plus, plusieurs d’entre eux croient que le branding de l’enseignement en ligne dépend entre autres de la qualité de l’enseignement en classe. En d’autres mots, les étudiants s’inscrivent à un cours en ligne donné par une université entre autres parce que celle-ci est réputée pour l’excellence de ses cours en classe. Ainsi, plutôt que d’être en compétition, les deux modes d’enseignement doivent être complémentaires. Plus spécifiquement, l’enseignement à distance devrait générer des revenus permettant de mettre sur pied des cours en classe de qualité, donnés à de petits groupes. Il importe également de miser sur la valeur ajoutée lors de la conception de la partie en classe d’un cours hybride. Cette dernière devrait par exemple mettre l’accent sur l’expérientiel : discussions, cas, exercices et simulations. 11 Vous vous demandez probablement à cette étape à quoi peut bien ressembler un cours en ligne qui répond à ces paramètres? Bien que l’enseignement en ligne existe depuis plusieurs années et qu’on expérimente fréquemment de nouveaux modèles, je n’ai pas encore trouvé de cours qui satisfait à ces trois principes. Cela est probablement dû au fait que jusqu’à maintenant personne ne s’est préoccupé de concilier les intérêts des professeurs et de l’administration universitaire au moment de concevoir les cours. Néanmoins, il existe des modèles intéressants dont pourrait s’inspirer le milieu universitaire. 12 L’enseignement en ligne comme un produit dérivé À mon avis, la clé d’une stratégie d’enseignement en ligne gagnant-gagnant consiste à ne pas concevoir l’enseignement à distance comme un substitut à la classe traditionnelle, mais plutôt comme un produit dérivé. Bien entendu, je ne fais pas référence ici à la vente de t-shirts ou de tasses à café, mais plutôt à des connaissances dont la diffusion revêtirait plusieurs formes. C’est une avenue d’autant plus intéressante que HEC Montréal compte sur une image de marque forte. En fait, notre institution possède les atouts nécessaires pour déployer une telle stratégie. Il ne nous manque plus qu’un modèle. C’est dans le domaine de la gestion des arts que l’on trouve un modèle particulièrement inspirant. S’inspirer du Metropolitan Opera de New York On compare souvent les professeurs à des divas. J’irais plus loin en comparant la classe à un opéra et l’université à une salle de spectacle. C’est dans cette perspective que nous utiliserons le cas du Metropolitan Opera de New York. En 2005, les revenus de la prestigieuse institution étaient en chute libre et plusieurs s’inquiétaient de son avenir.5 Pour boucler son budget, le Metropolitan disposait de quelques options. La direction aurait pu décider de réduire les coûts en engageant moins de chanteurs lyriques, en les payant moins ou encore en diminuant le budget de production en général (p. ex. décors, nombre de musiciens, etc.). Elle a plutôt choisi d’innover en exploitant les nouvelles technologies pour générer de nouveaux revenus. La stratégie adoptée par le Metropolitan a donc été de vendre des places virtuelles grâce à la diffusion en haute définition de ses productions dans différentes salles de cinéma partout dans le monde. La vente de places virtuelles a connu un réel succès et ses revenus ont été substantiels. Résultat, aucun poste n’a été aboli et les productions ont bénéficié d’un plus gros budget d’opération. De plus, les chanteurs ont performé devant des auditoires plus vastes et participé à des spectacles à grand déploiement. Les spectateurs ont non seulement acheté des places virtuelles, mais la diffusion des opéras a augmenté la notoriété de l’Opéra créant, dans la foulée, un engouement pour celui-ci. Du coup, même le nombre de productions affichant complet a augmenté! La vente de places virtuelles n’a donc pas cannibalisé la vente de billets mais s’est en fait avérée une formidable publicité pour l’Opéra. À mon avis, non seulement les opéras virtuels présentent des 5 Huffington Post (2015, November 17). The Metropolitan Opera: Turnaround Case Study. Retrieved from http://www.huffingtonpost.com/ben-rosen/the-metropolitanopera_b_107924.html 13 similitudes avec les principes d’un enseignement en ligne gagnant-gagnant, mais ils peuvent nous servir de modèles. Une stratégie de produits dérivés virtuels À cette étape de ma présentation, j’aimerais examiner avec vous à quoi pourrait ressembler une stratégie de produits dérivés en ligne pour une classe traditionnelle. Il s’agirait, plus précisément, de rendre une partie d’un cours en classe accessible à des auditeurs virtuels (produits dérivés). Ainsi, la partie en ligne d’un cours hybride pourrait être accessible à plusieurs auditeurs (réguliers et virtuels) alors que la partie en classe serait réservée à un groupe restreint (réguliers). Les revenus additionnels proviendraient donc de la vente d’accès au matériel en ligne. Pour revenir à notre analogie de départ, les auditeurs virtuels seraient donc les spectateurs de l’Opéra en salle de cinéma et les étudiants réguliers, les spectateurs en classe. Il s’agirait donc de concevoir un cours hybride pour le groupe d’étudiants en classe tout en prévoyant la diffusion de son contenu en ligne. Cependant, l’accès à des capsules asynchrones implique deux éléments : une reconnaissance des apprentissages à plusieurs paliers pour un même cours et l’organisation d’un cours avec des modules imbriqués pour être en mesure de satisfaire plusieurs clientèles. C’est ainsi qu’une stratégie de vente de places virtuelles doit pouvoir répondre aux attentes et aux besoins de divers clients. Les personnes désireuses d’acquérir des connaissances, sans toutefois être en quête de crédits universitaires formeraient la première catégorie d’auditeurs. On pense aux professionnels qui ont besoin de compléter des heures de formation obligatoire. Pour ces derniers l’obtention d’une attestation serait suffisante. On pourrait alors élaborer une version « exécutive » d’un cours. Quant aux personnes motivées par l’obtention de crédits universitaires s’intégrant ou non à un diplôme, elles appartiendraient à la deuxième catégorie. Ces « étudiants » pourraient suivre toute la partie du cours en ligne mais être soumis à des évaluations et être tenus de remettre des travaux pour obtenir des crédits. Comme la partie en ligne d’un cours hybride représente à peu près la moitié d’un cours en classe, on pourrait accorder une valeur de 1,5 crédit. Un tel format serait idéal pour créer un portefeuille de cours au choix. L’objectif pour la troisième catégorie d’étudiants, serait de suivre tout le cours avec le professeur en classe pour faciliter le développement de leurs compétences. C’est ce groupe qui s’inscrirait au cours hybride de 3 crédits. Enfin, on pourrait aussi prévoir certaines passerelles permettant à des gens ayant suivi des cours en ligne de pouvoir transiter vers les cours en présentiel. La nécessité d’organiser les cours autrement est également sous-jacente à une stratégie d’auditeurs virtuels. Il serait bon, dès l’étape de leur conception, de prévoir 14 une division entre contenu et activités en tenant compte des modes d’enseignement et des diverses clientèles. Ainsi, on devrait garder le contenu théorique pour les capsules asynchrones et le contenu pratique pour la partie en classe. Cela implique une division des activités pédagogiques en deux parties distinctes. De plus, le contenu en ligne devra être modulaire pour permettre différentes versions : court pour le format exécutif et long pour le format crédité. Dans cette perspective, on peut dire que la conception d’un cours passe d’un mode artisanal à un mode plus structuré, voire industriel. En résumé, avec la stratégie d’enseignement en ligne gagnant-gagnant, les professeurs conçoivent leur cours de façon hybride pour un groupe restreint d’étudiants, tout en voyant à rendre la partie en ligne accessible aux auditeurs virtuels. Les revenus supplémentaires provenant des auditeurs virtuels permettent aux universités à la fois de boucler leur budget et de réinvestir une partie des profits dans la qualité de l’enseignement en classe. Cependant, cette forme d’enseignement requiert plus que de la créativité, elle nécessite également des changements structuraux. Défis de la mise en œuvre de cours gagnant-gagnant La mise en œuvre d’une stratégie gagnant-gagnant remet en question divers paradigmes en vigueur dans nos universités quant au métier de professeur. Notamment en ce qui a trait à la charge d’enseignement et à la pédagogie. Comme ces changements sont relativement importants, ils susciteront certains malaises, voire la résistance des administrations universitaires et des professeurs. Néanmoins, tant que ces questions ne seront pas résolues, il sera difficile d’aller pleinement de l’avant. Réfléchir à ce que représente une charge d’enseignement en ligne constitue un des premiers défis. La conception d'un cours en ligne exige en effet énormément de temps. Tandis que son enseignement en ligne en nécessite parfois un peu moins qu'un cours en classe puisqu'une partie du contenu est transmise à partir de capsules asynchrones. Par conséquent, la charge d'enseignement en ligne diffère donc grandement de celle de l’enseignement traditionnel. Ces différences soulèvent plusieurs questions : Comment inciter les professeurs à investir beaucoup de temps dans la conception d'un cours? Comment rémunérer un professeur pour la rediffusion d'un cours, ou encore inclure celle-ci dans sa charge d'enseignement? Sans une réponse claire à ces questions, il sera difficile d’embarquer les professeurs dans l’aventure. Il faut ensuite réfléchir à la manière de concevoir la pédagogie. La formule d’un cours en ligne est très différente de celle d’un cours donné en classe. La rétention 15 des étudiants dans un cours en ligne constitue un enjeu. Un des principaux facteurs de rétention repose sur la perception que le cours est utile et développe les compétences. Il est donc nécessaire d'intégrer une approche centrée sur les compétences au moment de concevoir un cours en ligne. Étant donné que le contenu d'un cours traditionnel est généralement élaboré à partir des connaissances et des préférences du professeur, il peut s'agit ici d'un important changement de paradigme pour certains. De plus, les cours en ligne sont généralement préenregistrés et il est parfois difficile d’y apporter des modifications en cours de route. Une erreur de conception peut avoir un impact négatif significatif. Or, la plupart des professeurs utilisent une approche artistique et intuitive lorsque vient le temps de concevoir le contenu d'un cours. Il importe alors qu’ils s’approprient ces nouvelles méthodes pédagogiques, même si cela les oblige à sortir de leur zone de confort. Enfin, le troisième défi est relié à la manière de produire un cours en ligne. Pour élaborer un cours de qualité, il faut, en effet, une multitude de connaissances et d'habiletés pédagogiques ainsi qu'une bonne connaissance de l'environnement multimédia. Alors que le cours traditionnel se limite bien souvent à un diaporama accompagné de textes à lire, le cours en ligne fait appel à des modules multimédias complexes. Ce qui explique que son élaboration est le fruit d’un travail d'équipe. Non seulement le professeur doit-il apprendre à travailler en équipe, mais l'institution universitaire doit lui offrir un solide soutien professionnel (expertise multimédia, conseillers pédagogiques, gestion de projet pour les échéanciers, etc.). Le fait d’avoir à travailler en équipe, relève du défi pour certains professeurs habitués de travailler seul et de manière autonome. Pour les universités, ce sont les coûts de production d’un cours qui augmentent considérablement. 16 Conclusion Ma leçon inaugurale se résume en trois points. D’abord, les technologies d’enseignement en ligne sont à mon avis des innovations de ruptures. Nous n’en sommes vraisemblablement qu’au début de la vague. Puis, l’enseignement en ligne va modifier le modèle d’affaires des universités et par extension le métier de professeur. En fait, cela ne sera pas la première fois que le numérique aura changé une industrie. Bref, si les professeurs ne s’impliquent pas dans la transformation du modèle d’affaires des universités, non seulement risquent-ils de ne pas y trouver leur compte, mais aussi de ne plus se trouver au centre du modèle. Outre le fait que je suis convaincu qu’un certain renouvellement du métier de professeur est inévitable à cause de l’enseignement en ligne, je crois également que ce mode d’enseignement offre des opportunités intéressantes pour les enseignants. Il n’y a qu’à penser à l’accès à de nouveaux auditoires, au développement pédagogique et à la flexibilité que permet l’enseignement en ligne. Mais ces avantages ne sont pas automatiques et dépendent en partie du modèle d’affaires qui sera adopté. C’est à mon avis les cours hybrides qui offrent le meilleur potentiel à la fois pour les enseignants et les universités. Mais les défis sont énormes. Comment augmenter les revenus avec un cours hybride? Comment garder l’enseignement en classe au cœur du modèle? Le modèle de l’enseignement en ligne comme produit dérivé me semble prometteur. Mais bien humblement, il y en a peut-être de meilleurs. Nous sommes toujours en quête de la formule gagnante. L’idée de ma leçon n’était pas de proposer un modèle unique, mais de susciter une réflexion sur l’importance de planifier l’enseignement en ligne de façon stratégique afin de permettre à la fois aux professeurs et à l’administration universitaire d’y trouver leur compte. Je crois que le problème de fond réside dans le fait qu’on considère généralement l’enseignement en ligne comme une solution de rechange à l’enseignement en classe. Or, l’avenir se situe plutôt dans la complémentarité de ces deux modes d’enseignement. Il faut donc réfléchir collectivement aux nouveaux modèles d’affaires que permet la technologie. Mais pour cela, il est primordial que les professeurs s’intéressent d’un peu plus près à l’enseignement en ligne. 17 Bibliographie CAREY, Kevin. The end of college: Creating the future of learning and the university of everywhere. New York: Riverhead Book, 2015. CHRISTENSEN, Clayton M. et EYRING, Henry J. The innovative university: Changing the DNA of higher education from the inside out. John Wiley & Sons, 2011. CROW, Michael M. et DABARS, William B. Designing the new American university. JHU Press, 2015. DEMILLO, Richard A. Abelard to Apple: The fate of American colleges and universities. Mit Press, 2011. MCCLUSKEY, Frank Bryce et WINTER, Melanie Lynn. The idea of the digital university: Ancient traditions, disruptive technologies and the battle for the soul of higher education. Westphalia Press, 2012. MILLER, Gary, BENKE, Meg, CHALOUX, Bruce, et al. Leading the e-learning transformation of Higher Education: Meeting the challenges of technology and distance education. Stylus Publishing, LLC., 2013. SELINGO, Jeffrey. College unbound. New Harvest, 2013, vol. 256. 18