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6REPÈRES ET TENDANCES
4DOSSIER
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4LIVRES ET IDÉES
GESTION
coLette depeyre *
Pourquoi certaines
entreprises sont-elles
durablement plus
performantes
que d’autres ?
La théorie économique de la concurrence présente
les entreprises en situation d’égalité : maîtrisant les
mêmes processus de production, elles ont besoin
des mêmes quantités de travail et de capital pour
arriver à des produits identiques. Pourtant, dans la
vie quotidienne des affaires, certaines entreprises
sont plus performantes que d’autres, au point qu’il
en est qui accumulent les bénéfices et d’autres les
pertes. L’étude de ce problème par les spécialistes
des sciences de la gestion a fait en vingt ans de
recherche des progrès significatifs.
L
a question des performances relatives des entreprises devrait être au
cœur des sciences de gestion depuis
qu’elles existent. Paradoxalement, elle ne
fut posée qu’il y a une vingtaine d’années
par la théorie dite « des ressources »,
qui vient de connaître ces deux derniè-
res années des développements intéressants1. Jusque-là, l’approche dominante
(les travaux de Michael Porter compris)
était dominée par un schéma hérité de
l’économie industrielle classique : la performance des entreprises s’explique
principalement par la performance du
* Chercheur au Preg (Ecole polytechnique), enseignante à l’Université Paris X-Nanterre.
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secteur dans lequel elles sont situées ;
puis, substantiellement, par la place de
l’entreprise dans ce secteur (notamment
son pouvoir de marché) ; et enfin seulement, pour une part relativement
mineure, par la manière dont la firme
elle-même s’y prend pour exercer son
activité économique, l’accent étant plutôt mis sur les produits ou services
qu’elle met sur le marché.
La théorie des ressources va mettre un
coup de projecteur sur les ressources
internes à partir desquelles une firme
peut bâtir un avantage concurrentiel
durable. Penrose2 proposait déjà d’aller
au-delà de l’approche économique
traditionnelle en considérant le rôle de
1. Un numéro spécial du journal de référence
en stratégie, le Strategic Management Journal, lui a
été consacré en 2003 – Strategic Management
Journal, volume 24, n°10, suivi d’une série
d’articles complémentaires en 2004-2005.
2. E. G. Penrose, The Theory of the Growth of the
Firm,Wiley, New York, 1959.
POURQUOI CERTAINES ENTREPRISES SONT-ELLES DURABLEMENT...
Comment les firmes développent-elles
ressources autres que le capital, le
des ressources propres ? Wernerfelt part
travail ou la terre. Les auteurs qui
d’une matrice qui n’est plus la traditionsuivront vont s’appuyer sur l’idée de
nelle matrice marchés/produits, mais une
ressources essentiellement intangibles
matrice ressources/produits qui repose
acquises et déployées progressivement
sur l’idée qu’une resau sein d’une firme
source peut servir au
(compétences managédéveloppement et au
riales, relations inforlancement de plusieurs
melles
complexes
C’est dans un article
produits, alors qu’un
entre salariés, savoirs
fondateur de 1984 que
même produit peut
issus de partenariats,
Wernerfelt pose la
nécessiter plusieurs resfidélité du consommasources pour être conçu
teur par exemple). Le
question centrale de la
et développé. La stradéveloppement qui suit
persistance de
tégie sera alors celle
revient sur l’évolution
différentiels de
du « stepping-stone » (le
de la théorie, ses
fait de sauter d’une
enjeux, applications et
performance entre
pierre à l’autre pour tralimites, ainsi que sur
entreprises, cherchant
verser un gué). Il s’agit
l’ambiguïté inhérente à
une réponse qui ne soit
d’une stratégie séquenla définition même des
tielle qui consiste à
ressources.
ni le secteur (dans un
maîtriser d’abord une
même secteur, certaines
ressource afin de lancer
La première
firmes sont durablement
un produit, pour entrer
formuLation
ensuite sur des marchés
plus
performantes
que
de La thÉorie
que cette ressource
d’autres), ni la position
permet aussi de pénéest dans un artide la firme sur le
trer. Une telle stratégie
cle fondateur de
n’est pas mécanique :
1984 que Wernerfelt3
marché, ni les produits
elle ne consiste pas à
pose la question cenqu’elle développe.
remplir, case par case, la
trale de la persistance
matrice ressources/prode différentiels de perduits. En effet, une resformance entre entresource à emplois multiples n’est pas
prises, cherchant une réponse qui ne
soit ni le secteur (dans un même secforcément attractive si elle est facile
teur, certaines firmes sont durablement
à acquérir par les concurrents ; au
plus performantes que d’autres), ni la
contraire, une ressource plus spécialisée
position de la firme sur le marché, ni les
peut permettre de dégager un avantage
produits qu’elle développe. Il s’efforce de
plus fort et plus durable. Il s’agit donc de
trouver un facteur de performance
bâtir une stratégie à long terme autour
durable au sein même de la firme et a
de ressources créant des barrières et
recours à la notion de ressource : chaassurant un réel avantage concurrentiel
que firme s’efforce de créer et de dévedurable. à l’époque, la stratégie des
lopper des ressources qui lui assurent
entreprises japonaises était analysée ainsi.
un avantage persistant sur ses concurrentes. Cet avantage tient soit aux proLes dÉVeLoppements
priétés des ressources elles-mêmes, soit
de La thÉorie
à la capacité de la firme à acquérir ces
ressources en rendant difficile aux
arney4 reprend le développement
concurrentes
cette
acquisition
de la théorie là où Wernerfelt l’avait
(Wernerfelt avance la notion de « barlaissé. Pour lui, l’enjeu est de rendre
rière de ressource » qu’il rapproche et
l’idée de départ plus opérationnelle. Il
distingue à la fois des traditionnelles barprécise tout d’abord que la théorie s’inrières à l’entrée). Les fusions et acquisitéresse aux ressources organisationneltions peuvent être le moyen d’acquérir
les (le capital physique, le personnel sont
des ressources, par paquets, sur un marcertes nécessaires mais peuvent facileché qui reste imparfait.
ment s’acheter et ne constituent donc
C’
pas des avantages concurrentiels durables). Ces ressources organisationnelles
sont à la fois hétérogènes et immobiles.
D’une part en effet, les firmes d’un
secteur n’ont pas toutes des comportements identiques et connaissent des
performances diverses, ce qui provient
de l’hétérogénéité des ressources ; d’autre part cette diversité des performances peut être durable, persistante, du fait
de la faible mobilité des ressources. Puis
Barney cherche des critères qui peuvent
faire d’une ressource possédée par une
firme un avantage concurrentiel persistant. Ils sont selon lui au nombre de
quatre et constituent des indicateurs
empiriques de l’hétérogénéité et de
l’immobilité d’une ressource (on peut
parler des critères VRIN :Valeur, Rareté,
Imitation imparfaite, Non substituabilité).
Tout d’abord, la ressource doit être
créatrice de valeur, elle doit contribuer
de manière décisive à l’efficience de la
firme en permettant de saisir des opportunités ou de neutraliser des menaces.
(Cette définition exogène de la valeur
sera fortement critiquée.)
Elle doit deuxièmement être rare, en
elle-même ou dans sa façon d’être bien
exploitée.
Elle doit être aussi difficilement imitable,
ce qui peut provenir de conditions historiques particulières liées à l’entreprise,
d’un phénomène social complexe, ou de
ce que Barney appelle l’ « ambiguïté causale ». Par cette notion, il entend ceci :
les dirigeants de l’entreprise – et les
concurrents – savent qu’il existe un lien
entre telle ressource et la performance
persistante de l’entreprise, mais sans
être capables d’expliciter le processus
causal qui conduit de la ressource à la
performance ; et c’est cette ambiguïté
B
3. B. Wernerfelt, « A Resource-based View of
the Firm », Strategic Management Journal, 5(2),
pp. 171-180, 1984.
4. J. Barney, «Firm Resources and Sustained
Competitive Advantage.» Journal of Management,
vol. 17, n° 1, pp. 99-120, 1991.
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qui rend difficile l’imitation par un
concurrent.
Enfin, quatrième critère, il ne doit pas
exister de ressource facilement substituable.
Par sa typologie des ressources, son analyse de l’hétérogénéité et de l’immobilité, et la formulation de ses quatre
critères, Barney a rendu la théorie des
ressources plus opérationnelle.
Makadok5 va poursuivre dans cette voie
en introduisant une nouvelle distinction :
celle qui fait se succéder deux étapes, la
sélection et l’exploitation des ressources. Au cours de la première, les
dirigeants d’entreprise s’efforcent de
repérer les ressources disponibles sur le
marché et sous-évaluées par lui, tout en
s’efforçant d’éviter les mauvaises ressources. La seconde consiste à déployer
les ressources pour en faire des capacités dynamiques qui optimisent la mobilisation combinée des ressources (ici
intervient la théorie des capacités dynamiques6, développée de façon conjointe
à la théorie des ressources).
Malgré ces approfondissements, le niveau
d’abstraction de la théorie et les problèmes d’opérationnalisation encore présents ont entraîné une série de critiques.
Les critiques
Priem et Butler7 adressent à la théorie
des ressources une série de critiques.
Tout d’abord, ils attaquent le caractère
tautologique du raisonnement. On cherche, disent-ils, à expliquer ce qui constitue l’avantage concurrentiel persistant
d’une firme à l’intérieur même de cette
firme. On identifie les ressources. On
nous dit qu’une ressource crée de la
valeur, n’est pas imitable, etc. Cette
approche est si vague qu’elle revient à
dire qu’une firme a un avantage concurrentiel parce qu’elle a un avantage
concurrentiel (des ressources propres
inimitables). De plus, cette approche
centrée sur l’intérieur de la firme sousestime les facteurs exogènes : l’emballement de la demande d’un produit peut
par exemple brusquement survaloriser
une ressource (qu’on pense au labo-
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ratoire pharmaceutique Roche qui, quelques années avant qu’on entende parler
de la grippe aviaire, envisageait de cesser
de produire son Tamiflu, alors que la simple menace d’une pandémie a fait exploser les ventes de ce médicament en un
an). Par ailleurs, se voulant une approche
dynamique à l’origine, la théorie des ressources débouche sur l’idée de ressources quasi-immobiles.
Barney a tenté de répondre à ces critiques8. Il écarte l’accusation de tautologie, en précisant que tout se joue en fait
dans le paramétrage des éléments de la
théorie et dans les études empiriques
qui confirmeront ou infirmeront ces
paramètres. Il estime que, d’ores et déjà,
la théorie peut éclairer des situations et
des stratégies d’entreprise : la notion de
ressource peut être un élément central
dans les processus de benchmarking ; elle
peut permettre d’aider une entreprise à
analyser sa situation concurrentielle,
à évaluer les décisions qu’elle prend.
Il reconnaît qu’aucune ressource ne
produit mécaniquement un avantage
concurrentiel et estime que la détermination exacte de ce que sont les ressources d’une entreprise est difficile
puisque l’on se heurte à l’ambiguïté causale : les dirigeants de l’entreprise euxmêmes ont de la difficulté à savoir d’où
provient l’avantage concurrentiel de la
firme en termes de ressources, mais
cette situation les protège – s’ils étaient
capables de lever cette ambiguïté, leurs
concurrents ne seraient pas loin de pouvoir la lever également. En conclusion,
Barney reconnaît que des approches
plus empiriques et plus dynamiques sont
nécessaires.
Les développements récents
Un numéro spécial du Strategic Management Journal de 2003, et une série d’articles parus ces deux dernières années,
sont venus approfondir la théorie.
Dutta, Narasimhan & Rajiv9 ont proposé
de sortir du problème de la « tautologie » en utilisant une mesure des capacités indépendante de la disposition à
générer une rente. Par définition, on ne
peut pas observer les capacités d’une
entreprise. On ne peut qu’inférer leur
existence à partir de ce que les entreprises réalisent de manière observable,
grâce à ces capacités qui permettent de
combiner des ressources pour atteindre
un objectif. Se centrant sur l’industrie
des semi-conducteurs (échantillon de 64
entreprises cotées en Bourse), ils regardent pour chaque firme l’écart entre
l’objectif potentiel maximum et la performance réelle de la firme : plus l’écart
est important, plus faibles sont les capacités en R&D de la firme. Même si l’écart
a tendance à diminuer faiblement entre
1985 et 1995, l’étude montre que l’hétérogénéité est persistante. En outre, la
mesure des capacités concorde avec la
mesure de la performance par le marché : les firmes à forte capacité en R&D
sont mieux valorisées par le marché.
L’article est une des meilleures réponses
à la critique selon laquelle la théorie se
mordrait la queue. Il prouve en effet qu’il
est empiriquement possible de montrer
que les firmes disposent de capacités à
mobiliser des ressources, donc des performances, à la fois hétérogènes et persistantes.
Ray, Barney & Muhanna10 ont cherché à
mieux spécifier la théorie en montrant
que celle-ci est plus féconde si l’on ne
prend pas pour variable dépendante la
5. R. Makadok, «Toward a synthesis of the
resource-based and dynamic-capability views
of rent creation », Strategic Management Journal,
vol. 22, n° 5, pp. 387-401, 2001.
6. D. J.Teece, G.Pisano and A. Shuen, « Dynamic
capabilities and strategic management », Strategic
Management Journal,vol.18,n° 7,pp. 509-533,1997.
7. R. L. Priem and J.E. Butler, «Is the resourcebased “view” a useful perspective for strategic
management research? »,Academy of Management
Review, vol. 26, n°1, pp. 22-40, 2001.
8. J. B. Barney, « Is the resource-based “view” a
useful perspective for strategic management
research? Yes », Academy of Management Review,
26(1), 41-56, 2001.
9.S. Dutta,O. Narasimhan and S.Rajiv,« Conceptualizing and measuring capabilities:methodology
and empirical application »,Strategic Management
Journal, vol. 26, n° 3, pp. 277-285, 2005.
10. G. Ray, J. B. Barney and W. A. Muhanna,
« Capabilities, business processes, and competitive advantage: Choosing the dependent variable in empirical tests of the resource-based
view », Strategic Management Journal, vol. 25, n° 1,
pp. 23-37, 2004.
POURQUOI CERTAINES ENTREPRISES SONT-ELLES DURABLEMENT...
performance globale de l’entreprise,
ces et capacités peuvent avoir le plus
mêmes besoins pour les clients ? Seule
notion trop floue, mais la performance
d’effet.
la réponse à cette question permet d’ides activités (business processes). En effet,
dentifier correctement les substituts
les firmes peuvent avoir un avantage
Mais les travaux les plus prometteurs
potentiels et donc d’atteindre et de
concurrentiel uniquement au niveau de
paraissent être ceux qui repartent de la
maintenir un avantage concurrentiel au
certaines activités, effet qui est masqué
question centrale posée par
sein d’un environnement
par une analyse trop agrégée. En outre,
la théorie, celle de l’hétérodynamique. L’approche en
Il faut à la fois
une firme peut posséder des ressources
généité persistante des pertermes de fonctionnalité
savoir ce qu’il
stratégiques potentiellement créatrices
formances.
élargit la vision des manad’un avantage concurrentiel persistant,
gers qui peuvent mieux
faut faire et
mais ne pas savoir les exploiter correcteHoopes, Madsen & Walker11
repérer d’éventuelles menasavoir motiver le
ment dans ses routines et activités.
cherchent ainsi à obtenir
ces au-delà même de leur
personnel de
Prenant un échantillon d’entreprises
une image plus complète de
industrie. Si la théorie des
nord-américaines d’assurance, les
l’émergence et de la persisressources insiste d’habitude
l’entreprise pour
auteurs essaient de tester l’impact des
tance de l’hétérogénéité
sur l’absence d’imitation, cet
qu’il le fasse.
ressources propres des firmes sur une
entre rivaux. Il s’agit d’idenarticle met plutôt l’accent
activité, le « service clients ». Seules des
tifier des sources d’hétérosur les menaces de subsressources intangibles et donc difficilegénéité autres que des simples barrières
titution et réintroduit ainsi l’importance
ment imitables, à savoir le climat du serà l’imitation. Toute stratégie qui augd’analyses extérieures à l’entreprise,
vice clients et les connaissances
mente l’écart entre la valeur créée et
ayant par exemple pour objet la technomanagériales sur les technologies de l’inles coûts permettra un meilleur posilogie et ses évolutions.
formation, ont un impact positif sur cette
tionnement concurrentiel, sachant que
activité. Cette étude montre ainsi comla persistance d’un avantage se fondera
Makadok13 associe quant à lui la dimenment des ressources peuvent conditionplutôt sur la création de valeur (les strasion du gouvernement d’entreprise à la
ner l’aptitude d’une firme à mettre en
tégies de baisse des coûts étant aisédimension des ressources, soulignant
œuvre ses activités et routines. Les
ment imitables). Selon le contexte,
la complémentarité des deux perspectiauteurs vont même plus loin en suggéune firme peut fonder sa stratégie sur
ves : il faut à la fois savoir ce qu’il faut
rant
l’intérêt
d’une
recherche
ses ressources propres mais aussi sur
faire et savoir motiver le personnel de
qui analyserait la relation inverse : en quoi
la structure du marché ou de l’industrie.
l’entreprise pour qu’il le fasse. Plusieurs
les routines et activités peuLes
auteurs
prennent
exemples sont donnés, dont celui de
vent-elles conditionner le
l’exemple de l’appartenance
Microsoft : d’un côté la firme a remarUne firme peut
développement et l’exploitaà un réseau : les liens tissés
quablement su développer en quinze ans
tion des ressources ? Ils
avec des entreprises partedes ressources et capacités distinctives ;
posséder des
visent ainsi à combiner l’apnaires peuvent être difficiet, en parallèle, la structure de gouverressources
proche par les ressources,
lement imitables et ne sont
nance a permis le développement d’un
stratégiques
qui met l’accent sur ce que
pas uniquement le fruit de
programme étendu de détention d’acles firmes sont, avec l’approressources propres à l’entretions par les employés. Pour l’auteur, les
potentiellement
che par les routines et actiprise.
deux dimensions sont liées, la perforcréatrices d’un
vités qui met l’accent sur
mance venant des synergies entre l’une
avantage
ce que les firmes font. Les
Partant de ce cadre intégraet l’autre, de leur combinaison.
ressources, pour se transforteur, présenté dans l’article
concurrentiel
mer en avantage concurrenintroductif du numéro spépersistant, mais
tiel, doivent en effet se
cial du Strategic Management
ne pas savoir les
traduire en routines, et les
Journal (2003), trois articles
11. D. G. Hoopes, T. L. Hadsen and G. Walker,
routines, pour procurer
introduisent alors de nouvel« Guest editors’ introduction to the special
exploiter
issue: Why is there a resource-based view?
un avantage concurrentiel,
les
dimensions
qui
contricorrectement
Toward a theory of competitive heterogeneity »,
doivent s’appuyer sur des
buent à l’analyse des sources
Strategic Management Journal, vol. 24, n° 10,
dans
ses
ressources propres. C’est
de l’hétérogénéité concurpp. 889-902, 2003.
l’interaction des deux
rentielle.
routines et
12.M.A. Peteraf and M.A. Bergen,«Scanning dynadimensions qui construit peu
mic competitive landscapes: A market-based and
activités.
resource-based framework », Strategic Manageà peu le sentier suivi par
Peteraf & Bergen12 abordent
ment
Journal, vol. 24, n° 10, pp. 1027-1041, 2003.
l’entreprise. Ils réhabilitent
la question de la substituabi13. R. Makadok, « Doing the right thing and knoainsi l’ambition dynamique de la théorie
lité des ressources, de même que leur
wing the right thing to do: Why the whole is
des ressources. Cette approche peut
valeur et leur rareté, en termes de foncgreater than the sum of the parts », Strategic
aider les dirigeants des entreprises : ils
tionnalité. La question que les managers
Management Journal,vol.24,n° 10,pp. 1043-1055,
2003.
peuvent centrer leur action sur les actividoivent se poser est la suivante : existetés et routines sur lesquelles les ressourt-il des ressources satisfaisant les
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En dernier lieu, Johnson & Hoopes14
essaient de montrer que des variations
dans les croyances des managers peuvent entraîner des différences durables
de performance, compte tenu de facteurs extérieurs à la firme. Ils s’appuient
pour cela sur la considération simultanée de la rationalité limitée des managers et de la structure économique de
l’industrie : la rationalité limitée se traduit par le nombre restreint de concurrents qu’une firme peut observer ; la
structure économique se retrouve dans
la présence ou non de coûts irrécupérables qui accroissent le coût d’un
changement de stratégie. Rationnellement limités, les managers focalisent
leur attention sur leurs concurrents
proches et ont alors une estimation
biaisée de leur environnement (un petit
groupe d’entreprises proches se forme,
partageant des croyances erronées). Si,
de plus, le coût lié à un changement de
stratégie est important, les managers
vont chacun rester bloqués dans leur
stratégie initiale. Il y a alors hétérogénéité concurrentielle persistante et elle
n’est pas due aux ressources différentes des entreprises. Mais plus les mana-
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2e trimestre 2006
gers pourront élargir leur champ de
vision et plus le coût lié à un changement de stratégie sera faible, plus ils
pourront apprendre d’eux-mêmes et
des autres, et corriger leurs choix stratégiques.
Les vingt ans de développement de la
théorie des ressources ont montré combien l’explication de la performance
durable de certaines entreprises était
complexe. La bonne nouvelle pour les
dirigeants d’entreprise est que l’importance du secteur dans lequel ils opèrent
est finalement sans doute moins forte
qu’on ne l’a longtemps cru. Il faut donc
tabler sur les ressources propres à la
firme pour trouver le secret d’une performance durable. Les dirigeants des firmes déjà durablement performantes se
trouvent protégés par une « ambiguïté
causale » : si eux-mêmes ne savent pas
vraiment d’où proviennent les profits
persistants de leur entreprise, leurs
concurrents ne le savent pas non plus, ce
qui rend l’imitation difficile. La mauvaise
nouvelle pour les dirigeants des entreprises qui voudraient devenir durablement
performantes est que si la théorie des
ressources peut leur donner quelques
indications (analysez vos activités, posezvous la question des fonctionnalités,
combinez mise en œuvre des ressources
et systèmes d’incitations), personne ne
peut leur dire exactement comment
faire : cherchez, et vous trouverez, peutêtre…, est le seul conseil qui leur est
donné. g
14. D. R. Johnson and D. G. Hoopes, « Managerial cognition, sunk costs, and the evolution of
industry structure »,Strategic Management Journal,
vol. 24, n° 10, 1057-1068, 2003.