Explication de la démarche : en texte

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Explication de la démarche : en texte
Cartographie participative de la vulnérabilité aux séismes : entre dires d’expert et
savoir local.
Christelle Gaïdatzis1, Elise Beck2, Mariana Correas
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Association Images Solidaires, Grenoble
Politiques Publiques, Action Politique, Territoires - Université de Grenoble-Alpes
Mots-clés : cartographie participative, risque sismique, vulnérabilité, ressources, cartes
mentales, Mendoza.
Orientations : Géographie des risques
1 Introduction
L’étude présentée ici se place dans le contexte plus large du projet VUSIM, qui a pour
objectif d’évaluer la vulnérabilité aux séismes de la ville de Mendoza (Argentine). Cette
région, située dans l’une des deux provinces à la sismicité la plus élevée d’Argentine, est
régulièrement frappée par de petites secousses (INPRES 2014), et tous les trente ans en
moyenne par des séismes plus importants. Le dernier événement fort date de 1985 (I =VIII,
M=6,3). Cela signifie qu’une génération entière n’a pas vécu de tremblement de terre majeur.
Dans le cadre du projet VUSIM, une enquête (Beck et al., soumis) a été mise en place pour
évaluer les représentations cognitives, la connaissance du risque et des attitudes à adopter face
à un séisme et les stratégies de préparation mises en place par la population locale. Les
résultats ont montré entre autres une défiance envers les autorités, qui pourrait expliquer une
mauvaise appropriation par la population des outils de prévention provenant de sources
descendantes (kit d’urgence, plan familial), sur lesquels misent pourtant les autorités locales.
Par ailleurs, il a été observé que les moins de 30 ans, faute d’expérience de « vrai » séisme,
ont une moins bonne connaissance du phénomène, des stratégies à adopter pour y faire face.
En conséquence, lorsque s’est posée la question du transfert des résultats de la recherche vers
la société civile, trois types d’action ont été identifiées : 1) organisation d’atelier de partage
des résultats avec les décideurs, pour aboutir à la rédaction de propositions concrètes
d’action ; 2) création d’un jeu de rôle pour sensibiliser les adolescents de collèges de
Mendoza et ses environs ; après les sessions de jeu, organisation d’ateliers avec les collégiens
pour faire émerger des propositions concrètes de prévention du risque sismique ; les
propositions ont été capitalisées sur une page Facebook ; 3) organisation d’ateliers auprès des
référents des centres d’éducation populaire argentins (Centros de Actividades Infantiles – CAI
y Centros de Actividades Juveniles – CAJ) pour qu’ils soient eux-mêmes vecteurs de diffusion
de la connaissance et de sensibilisation au risque auprès des enfants et adolescents dont ils
s’occupent.
Dans le cadre de ces derniers ateliers, plusieurs activités ont été proposées : des sessions de
jeux, afin que les référents soient en mesure d’y jouer avec les enfants et adolescents ; un
atelier de travail pour rédiger des préconisations concrètes pour faire face au risque sismique ;
un atelier de cartographie participative.
La cartographie participative est ici prise dans son deuxième sens, comme un « support
iconographique au débat public et à la participation des communautés locales » (Hirt et Roche
2013). Le produit cartographique obtenu s’oppose dès lors à la carte dite « d’expert » (Palsky
2010) et relève davantage d’une approche ascendante. Le processus de cartographie et la carte
obtenue permettent une meilleure appropriation de la problématique étudiée et du territoire
appréhendé, une meilleure implication des acteurs. D’un point de vue scientifique, l’objectif
de cet atelier était de confronter le dire d’expert et le savoir local, et leur transcription
cartographique.
2 Méthodologie
Très développée pour régler les conflits d’accès et d’usage des terres et ressources (FIDA
2009 ; Gonda et Pommier 2006), la cartographie participative s’est également développée
pour impliquer les communautés locales dans l’identification et la prévention des risques et
vulnérabilités (Texier-Teixeira et al. 2013 ; Samaddar et al. 2011 ; Cadag et Gaillard 2012).
La carte produite peut prendre diverses formes : cartographie au sol, croquis topographique,
cartographie à échelle, modélisation participative en trois dimensions, cartographie par
images satellites et télédétectées, cartographie multimédia, SIG participatif… (FIDA 2009).
De la plus simple à la plus technologisée, le choix de la méthode dépend de plusieurs
paramètres : coût, ressources à mobiliser, acteurs de la carte, usage envisagé de la carte
(validité ponctuelle ou à plus long terme), accès à la cartographie à échelle, qualité de la carte
à échelle, etc.
Dans notre cas, le choix a été fait de réaliser une carte à échelle sur feuille blanche. Les
participants ont été regroupés suivant leur commune de référence. La consigne suivante a été
donnée : « dessiner une carte de votre zone de travail représentant les faiblesses et ressources
territoriales », autrement dit les lieux de rencontres opérant comme levier positif, ainsi que les
faiblesses sociales et structurelles de la zone. Il est à noter que la problématique sismique n’a
pas été spécifiée, considérant que la vulnérabilité d’un territoire ne dépend pas nécessairement
du type de menace considéré.
Parallèlement, la carte des ressources et des vulnérabilités spécifiques a été créée afin de
procéder à une évaluation de la vulnérabilité urbaine, suivant une approche multicritère
intégrant entre autres la densité de population, la vulnérabilité physique du bâti, la distance
aux ressources. Les ressources et vulnérabilités ont été identifiées suivant une approche expert
(Beck 2006). Les catégories suivantes ont été recensées : autorités impliquées dans la gestion
de la crise, services de secours et de sécurité civile, refuges (espaces ouverts, établissements
scolaires…), lieux de vulnérabilité spécifique (établissement carcéral, établissements
scolaires, hospitaliers). Certains lieux apparaissent dans deux catégories différentes suivant
l’angle d’observation (ressource vs vulnérabilité).
3 Résultats
Parmi les 6 cartes produites par les référents des 6 communes, nous détaillons celle de Godoy
Cruz et présentons celle de Maipu.
Les référents de Godoy Cruz (Figure 1) ont identifié les institutions comme des ressources
(mairie, écoles, centre de santé, ludothèque, centre sportif…) ou des faiblesses (police). Les
quartiers populaires ont été mis en avant, et tous ont été caractérisés par une faiblesse socioéconomique : à l’inverse, d’éventuelles « populations ressources », pour des raisons
économiques ou non, n’ont pas été représentées. Les autres problématiques conflictuelles qui
affectent le territoire apparaissent nettement sur la carte : problématique liée à l’eau (surtout à
la rareté de la ressource : Mendoza est une oasis au milieu d’un désert), violences policières
(directement mises en relation avec les quartiers populaires). Les axes routiers majeurs,
souvent jugés structurant l’espace, sont considérés ici uniquement comme des frontières, ce
qui n’est pas le cas de la piste cyclable de Godoy Cruz (les axes dédiés aux cyclistes sont
rares dans l’agglomération de Mendoza), également fortement empruntée par les sportifs à
pied. Enfin, les parcs sont bien identifiés comme des lieux de ressources. Le territoire tel qu’il
a été cartographié semble cependant inégalement doté de ressources et faiblesses. Ceci est
probablement dû à l’homogénéité des concepteurs de la carte : une plus grande hétérogénéité
dans la composition du groupe aurait peut-être permis d’identifier d’autres
ressources/faiblesses.
Figure 1 : gauche : carte des faiblesses et ressources territoriales de la commune de Godoy Cruz réalisée par les référents
du Centro de Actividades Infantiles de Godoy Cruz. Droite : légende de la carte.
Ceci explique également qu’en comparaison avec les ressources identifiées par vision
d’expert, les institutions sans vocation sociale ne sont pas systématiquement identifiées
(sécurité civile…). Par contre, les ressources ayant un rôle social ou sanitaire ou impliquées
dans la gestion ou la génération de conflits (hôpitaux, police…) apparaissent bien sur les
cartes. Le niveau local (clubs sportifs, écoles) est également bien identifié comme un lieu de
refuge potentiel (Figure 2).
Par ailleurs, malgré des différences socio-économiques entre les six communes, les contrastes
sociaux sont bien identifiés au sein de chacune d’entre elle et les catégories de ressources
représentées sont assez similaires.
Il est important de mentionner que cette expérience de cartographie participative a été
l’occasion pour les groupes de travail d’échanger autour de diverses problématiques annexes
au risque sismique : décharge à ciel ouvert, pauvreté de la ressource en eau, routes
dangereuses à proximité des écoles, discrimination... Ce fut également l’occasion de mettre
l’accent sur les forces : appui municipal, articulation entre institutions et organisations, appui
aux familles des étudiants participants aux CAJ et CAI.
Figure 2 : carte des faiblesses et ressources territoriales de la commune de Maipu réalisée par les référents du Centro de
Actividades Infantiles de Maipu.
Conclusion – perspectives :
Finalement, dans le cadre de cette expérience de cartographie participative, la carte (comme
d’autres outils) sert avant tout à faire émerger la discussion, la conscience des richesses et
faiblesses d’un territoire et faire naitre un débat sur des thématiques annexes au problème
central à l’étude, celui du risque sismique. Si l’outil cartographique en lui-même n’est pas
réutilisé par la suite, c’est surtout la conscientisation de ses producteurs et la manière dont ils
vont se faire eux-mêmes vecteurs de connaissance et de sensibilisation qui doivent être
gardées en mémoire.
Les catégories de ressources et vulnérabilités identifiées par voie d’expert sont logiquement
plus institutionnalisées, celles identifiées par les acteurs de la carte (référents de centres
d’éducation populaire) mettent en avant la dimension sociale de la ressource.
En guise de perspective, cette étude pose surtout une question fondamentale : comment
prendre en compte le savoir local dans l’évaluation de la vulnérabilité ? Comment intégrer les
connaissances des communautés dans des outils d’évaluation à vocation de gestion ?
L’approche participative doit franchir un nouveau cap, celui de la conception des cartes de
risques en réunissant autour d’une table experts, décideurs et communauté locale.
Références
Beck E., Tangui T., Vila B., Bustamante M., Colbeau-Justin L., Quiroga S., soumis :
Représentations cognitives et spatiales du risque sismique à Mendoza (Argentine).
XIIe Rencontres de Théo Quant, 20-22 mai, Besançon.
Beck, E. 2006. « Approche multi-risques en milieu urbain. Le cas des risques sismique et
technologique dans l’agglomération de Mulhouse (Haut-Rhin) ». Thèse de doctorat,
Université Louis Pasteur, Strasbourg I.
Cadag, J.R., et J.-C. Gaillard. 2012. « Integrating knowledge and actions in disaster risk
reduction: the contribution of participatory mapping ». Area 44 (1): 100‑109.
FIDA. 2009. Cartographie participative et bonnes pratiques. FIDA (Fonds International de
développement agricole).
Gonda, N., et D. Pommier. 2006. Prevencion y resolucion de conflictos en torno a la tierra y
los recursos naturales. Manual practico de mapeo comunitario y uso del GPS para
organizaciones locales de desarrollo. Accion Contra el Hambre/TROCAIRE.
Hirt, I., et S. Roche. 2013. « Cartographie participative ». In Dictionnaire critique et
interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation,. Casillo I.
Barbier R., Blondiaux L., Chateauraynaud F., Fourniau J-M., Lefebvre R., Neveu C. et
Salles D. (dir.).
INPRES. 2014. « Sismologia, Terremotos historicos ».
http://www.inpres.gov.ar/seismology/historicos.html.
Palsky, G. 2010. « Cartes participatives, cartes collaborative. La cartographie comme
maïeutique ». Comité Français de Cartographie, no 205: 49‑59.
Samaddar, S., R. Chatterjee, B.A. Misra, et H. Tatano. 2011. « Participatory risk mapping for
identifying spatial risks in flood prone slum areas, Mumbai ». Annals of Disas. Prev.
Res. Inst., Univ. Kyoto, no 54B: 137‑46.
Texier-Teixeira, P., F. Chouraqui, A. Perillat-Collomb, F. Lavigne, J.R. Cadag, et R.
Grancher. 2013. « Reducing Volcanic Risk On Fogo Volcano, Cape Verde, Through
A Participatory Approach : Which Outcoming ? ». Natural Hazards Earth System
Sciences (NHESS) Discussions 1: 1‑34.