maghrébines et fières de l`être
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maghrébines et fières de l`être
ÉCONOMIE REPORTAGE ENQUÊTE MALEK CHEBEL Algérie, objectif l’après-pétrole Les chibani, oubliés ici et là-bas Les Maghrébins des grandes écoles “Le plaisir charnel est une bénédiction” POLITIQUE N° 2 - Mars 2007 - Le magazine de la communauté maghrébine en France RECONNAISSANCE TARDIVE POUR LES MAGHRÉBINS DE GAUCHE • Enquêtes, JOURNÉE DE LA FEMME témoignages, reportages sur leurs luttes et leur incessante quête d’émancipation MAGHRÉBINES ET FIÈRES DE L’ÊTRE L 15364 - 2 - F: 2,50 € édito 4, rue Halévy, 75009 Paris Tél. : 01 53 43 33 40 Pour joindre votre correspondant, composez le 01 53 43 33 suivi des deux derniers chiffres entre parenthèses. Par mail, taper l’initiale du prénom suivie du [email protected] Site internet : www.lecourrierdelatlas.com Directeur de la rédaction et rédacteur en chef Hassan Ziady (46) Directrice artistique : Sandrine Cassagne (72) Secrétaire générale de la rédaction : Amélie Duhamel (77) Secrétaire de rédaction : Mireille Peña (78) Chef du service photos : Patrick Launay (63) Chef d’enquêtes : Yann Barte (47) Rubrique Culture : Yasrine Mouaatarif (75) Rédaction : Céline Fornali (76), Nadia Lamarkbi (73), Valérie Defournier (70) Chroniqueurs : Maâti Kabbal, Mounir Ferram Invités : Rachid Benzine, Malek Chebbel, Aïcha Sakhri Ont collaboré à ce numéro : Hanane Harrath, Houda Filali-Ansary (la Vie Eco), Ali Tizilkad, Siham Bounaïm, Fadwa Miadi, Caroline Boudet, Tiphaine Poidevin, Mireille Peña, Lina Rayan, Anne Deguy, Sophie Pasquet, Séverine Renaud, Yasmine Ouazzani, Clarisse Rebotier, Mohamed Idrissi, Leïla Meziane, Odile Malassis Directrice commerciale : Sophie Ageorges (51) Directrice du marketing : Sophie Mazet (50) Régie publicitaire : MediaObs, 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris. 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Et les médias de l’Hexagone vous matraquent jour après jour de révélations, de confidences, d’analyses, d’informations, toutes plus exclusives les unes que les autres bien évidemment. Méfiez-vous, car à de rares exceptions près, c’est aussi l’heure des manipulations qui a sonné. Les “liaisons dangereuses” entre certains médias et des candidats de premier plan – parfois assumées avec une aisance sidérante – sont aujourd’hui de notoriété publique et des spin doctors, qui ne veulent que votre bien, travaillent dans l’ombre. A défaut de raser gratis, on vous promettra la lune avec des programmes dont le chiffrage est parfois des plus fantaisistes ! Un lord anglais ne disait-il pas que “l’information, c’est ce que quelqu’un, quelque part, veut vous cacher ; tout le reste n’est que de la publicité”… La lecture de l’excellent travail de Paul Moreira, ex-patron de Lundi investigation et de 90 minutes sur Canal Plus (“remercié” depuis...) vous éclairera encore plus sur ces “nouvelles formes de censure”. Pour essayer de mieux cerner les enjeux, nous donnerons dans notre prochain numéro la parole aux principaux candidats. Nous leur soumettrons les questions de la rédaction, mais aussi les vôtres, que vous pouvez poser sur notre site (www.lecourrierdelatlas.com). Sans verser dans un communautarisme étriqué, nous les interpellerons sur les thèmes qui vous intéressent. Mais comme vous le montre Nadia (p. 16), qui s’est aventurée dans les coulisses de la gauche française après avoir titillé la droite le mois dernier, il n’existe pas en France de “vote maghrébin” ou de “vote arabe”. Et c’est tant mieux ! Citoyens à part entière d’une République de droit qui a ses lois et ses règles, nous avons certes des sensibilités proches sur certains dossiers, mais cela n’empêche pas les divergences d’exister. C’est l’essence même de la démocratie, et vous auriez tort de vous priver de ce droit à la parole pour lequel des hommes et des femmes se battent encore ! Dans ce numéro 2, Yann vous emmène à la rencontre de nos vieux (p. 54), ces chibani oubliés de tous ; Yasrine vous présente ces étudiants (p. 34) qui poursuivent des cursus impressionnants et qui sont appelés à œuvrer au plus haut niveau ici ou là-bas ; Valérie vous présente quant à elle de grandes fi- gures du Liban éternel (p. 30), celui que nous aimons si fort tant il représente depuis des siècles ces valeurs de tolérance et ces règles du “vivre ensemble” que certains ont perdues de vue en France… Ce qui n’est bien évidemment pas le cas de Rachid Benzine (p. 62), qui a une manière rare et paisible de vous parler de l’islam, de (re)poser les bonnes questions et de vous amener à engager une vraie réflexion sur un sujet complexe. Sur des thèmes aussi divers, et fidèles à notre ligne éditoriale, nous nous contentons de donner la parole au plus grand nombre. A vous de vous forger votre propre opinion. Et pour ce qui concerne la situation des femmes, vous avez de la matière. Qu’elles vivent en MÉFIEZ-VOUS DES MANIPS concubinage (p. 74) ou qu’elles soient “Françaises et voilées” (p. 68), nous leur accordons une large place. En France, mais aussi en Algérie, en Tunisie et au Maroc, sans oublier un coup de projecteur sur l’Egypte où la situation est dramatique. L’occasion pour moi de remercier pour leurs soutiens Leïla Benyassine, de Nissae, et Aïcha Sakhri, de Femmes du Maroc, un magazine comme on aimerait en voir dans la totalité des pays de la région et qui a tant œuvré pour bousculer un royaume… où il reste tant à faire. Et dans ce registre des remerciements, un exercice peut-être convenu pour une publication aussi jeune que la nôtre, mais auquel nous nous livrons avec un plaisir non dissimulé – vous verrez page 6 la liste de tous les confrères qui nous ont donné un coup de pouce –, la rédaction aimerait faire un clin d’œil particulier à l’ami Eric Revel, de LCI, pour son soutien appuyé et à Fabrice Lundy, de BFM, un nouveau venu dans le fan-club du Courrier de l’Atlas qui a donné un sacré coup de projecteur sur votre magazine à l’antenne d’un média pourtant tourné principalement vers le monde des affaires de l’Hexagone. Preuve s’il en fallait que notre refus de tout communautarisme et de toute crispation identitaire peut s’avérer payant ! ■ Hassan Ziady, rédacteur en chef LE COURRIER DE L’ATLAS 3 sommaire 6 L’essentiel Toutes les infos en bref sur le Maghreb, les relations bilatérales et internationales. 16 Dans les partis de gauche, 42 42 Dossier Maghrébines : l’incessante quête d’émancipation 54 Chibani : les oubliés 62 65 66 68 72 d’ici et là-bas Religion : entretien avec Rachid Benzine Robert Redeker persiste et signe Le plaisir charnel selon l’islam Française et voilée Kafala : ces enfants invisibles 74 “J’habite avec mon ami” 78 Alger, Oran, Annaba 84 Le Maroc d’hier vu par Frédéric Mitterrand et Abdellah Taïa 90 Livres 91 Scènes 92 Cinéma : Boulane, le satanique aux meilleurs prix 80 Avis d’expert : la circoncision 81 Le courrier des lecteurs 82 Pour ou contre le CV anonyme et “VHS Kahloucha” 84 94 Musiques 96 L’agenda culturel 98 Chronique par Mounir Ferram 68 16 54 Et retrouvez-nous sur www.lecourrierdelatlas.com 4 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Panoramic-DR-MaxPPP-Abaca 24 26 30 34 40 les Franco-Maghrébins doivent se battre pour être reconnus L’économie en bref Algérie : l’après-pétrole Liban : un espoir nommé culture Ils ont choisi les grandes écoles Elections : sprint final au Maroc l’essentiel Les relations Europe-Maghreb au centre du forum Paris 2008 de l’Unesco L e prochain Forum de Paris, prévu en 2008, sera consacré aux relations entre l’Europe et le Maghreb. “En proposant ce thème, les organisateurs témoignent de l’importance qu’ils accordent au renforcement des liens d’amitié et de coopération entre l’ensemble maghrébin et l’ensemble européen”, ont indiqué les participants à la réunion de cette année, organisée, elle, sur le thème “l’Union, cinquante ans après : quelle Europe pour quels Européens. La séance de clôture a été marquée par une déclaration d’André Azoulay, conseiller du roi du Maroc, sur le Proche-Orient que de nombreux participants ont jugée constructive pour les négociations en cours, alors que les tractations se poursuivaient en Palestine pour la formation d’un nouveau gouvernement d’union nationale, sous le parrainage des Saoudiens. Parmi les autres interventions très remarquées, celle d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et celle de Dominique Strauss-Kahn, son ex-homologue aux Finances. Chapeau à Albert Mallet, l’homme orchestre de cette réunion qui devient un rendez-vous de plus en plus incontournable. . des messages de soutien ou nous ont fait parvenir las l’At de r rrie Cou du 1 parlé du numéro liste des médias qui ont Longue, très longue est la ernational, s. La Rédaction ère sinc s plu les s egorynet.com, Courrier Int erciement di.net, casafree.com, cat bla , BFM Qu’ils trouvent ici nos rem TV, Presse de r la Beu ix, , Cro FM r , la Beu respondance de la Presse cultures.com, afrik.com, , Infosjeunes.com, la Cor africanmanager.com, afri roc orocco. Ma n-m du s de-i me ma m, Fem 2, ghrébin, lybertyvox.co arrakech.Infos, France ique, LCI, l’Economiste ma Demain TV, Europe 1, E-M ess, Pressenom apr Eco Pan Vie ib, la e, ghr cain Ma Al afri a iation de la presse di1, Medi1Sat, Nissae Min Mé s, Plu dia Mé ss, Tunisie, la Tribune, l’Assoc oo.be, 2M. pre Yen m, Point, L’Ex , Tel Quel, Yabiladi.co , Le Quotidien d’Oran, Le C Moyen-Orient, RTL, RTM RM a, Nov io com, Maghreb-in, le Monde Rad e, nal ernatio io Soleil, Radio France Int news, Radio-Orient, Rad 6 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Forum de Paris MERCI l’essentiel Les off du “Courrier” FRANCE Grande réussite pour le Salon du livre du Maghreb, le mois dernier à Paris. Même si les organisateurs ont dû passer de la très spacieuse mairie de Paris à une petite mairie d’arrondissement. L’affluence a été telle que, par moments, l’accès au Salon était bloqué Le colloque organisé par la BEI, à Paris les 22 et 23 mars prochains, sur les transferts de fonds des migrants est déjà complet. Les organisateurs pensaient recevoir 500 participants, mais ce chiffre est largement dépassé. La raison : l’argent des migrants L’ambassade du Maroc à Paris compte organiser une rencontre le 6 mars en marge de la journée de la femme. Parmi les invités marocains : Nezha Chekrouni, ministre chargée de la Communauté à l’étranger François Bayrou, le désormais fameux troisième homme, au grand dam de Le Pen, ne cesse de marquer des points auprès des “jeunes issus des quartiers”. Son passage le mois dernier à Mantes-La-Jolie a été des plus remarqués. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à vouloir importer le fameux modèle allemand : un exécutif politique regroupé pour mettre fin au sempiternel clivage droite-gauche. Qu’en pense l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine (à droite sur la photo), en grande discussion avec le patron de l’UDF lors du dernier Forum de Paris… Nîmes se met en quatre pour accueillir, le 31 mars et le 1er avril, les neuvièmes Journées méditerranéennes de l’Olivier. Une excellente initiative de nos amis gardois Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont discrètement entamé une opération de charme en direction des médias Maghrébins. Là-bas, mais aussi en France Seconde édition du Panorama du cinéma du Maroc à Saint-Denis, du 10 au 13 mai 2007.Le parrain est cette année Roschdy Zem L’Iris, que dirige Pascal Boniface,organise en mars un débat sur le thème : Peut-on débattre sur l’islam ? Un titre proche de l’un des ouvrages du prolifique auteur qui, lui, portait sur Israël… • • • • • • DR • NUMÉRO 2 MARS 2007 MAGHREB Tunisie : Chakib Nouira, le brillant PDG de La Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT), a été contraint de jeter l’éponge, pour une question de recomposition de son tour de table. Il y a plus de dix ans déjà, sa banque, taxée de sfaxienne, se voyait privée des fonds des sociétés publiques Les jeunes de Tunisie ont bouclé une consultation nationale qui a duré plusieurs mois ! Un exercice intéressant et plein d’enseignements sur nombre de questions cruciales, dont l’emploi, la famille, l’éducation et les enjeux de société. Nous reviendrons plus longuement sur le livre édité à cette occasion Maroc : François Bayrou, le patron de l’UDF, compte se rendre au Maghreb courant mars. Parmi les pays où sa visite semble d’ores et déjà acquise : le Maroc et l’Algérie Pour la première fois, la soirée Caftan organisée par nos confères de “Femmes du Maroc” se déroulera à Agadir le 5 mai prochain. La décision a été prise à la mi-février. L’événement se déroulera dans le magnifique cadre de la Marina Lors d’une soirée le mois dernier à Casablanca, un trader a informé le patron d’un grand groupe immobilier que son entreprise figurait désormais dans l’indice Morgan Stanley. Une major mondiale visiblement inconnue de notre grand bâtisseur Fès se mettra à l’heure du soufisme, du 27 avril au 2 mai Algérie : Vives tensions sociales au sein d’Air Algérie où les syndicats menacent de faire grève début mars. Outre les revendications classiques, ils dénoncent les accords passés avec une compagnie française qui, selon eux, bénéficierait de privilèges indus Malek Chebel, l’écrivain que tout le monde s’arrache, est de plus en plus courtisé dans l’Hexagone. Deux éditeurs se battent pour sortir son prochain livre, pour lequel ils espèrent obtenir autant de recettes que celles générées par son fameux Kama-Sutra. Pas moins de sept autres contrats traînent sur son bureau, le veinard Les financements de la Banque européenne d’investissement en direction d’Alger n’ont atteint que 14 millions d’euros, un petit 1 % du total des financements extérieurs de l’Institution basée à Luxembourg. Un montant très faible, même si les caisses du pays sont pleines à craquer grâce au pétrole, mais qui devrait progresser au cours des prochaines années. En attendant la création de la fameuse Banque euro-méditerranéenne, reportée aux calendes grecques… • • • • • • • • LE COURRIER DE L’ATLAS 7 l’essentiel Guerre du Rif L’Espagne s’obstine à nier les armes chimiques N on et non. C’est la réponse du parlement espagnol qui a refusé, mi-février, de souscrire à une proposition de loi portant sur la reconnaissance de l’utilisation par l’Espagne d’armes chimiques contre les populations civiles dans le nord du Maroc, au cours de la guerre du Rif (1921-1927) et l’indemnisation des victimes ou de leurs descendants. Seuls trois députés de la Gauche républicaine catalane ont soutenu le texte de loi, réfuté par le parti de la majorité présidentielle et l’opposition. Algérie Medgaz confié à cinq multinationales L a construction de Medgaz, le gazoduc transméditerranéen qui doit acheminer du gaz algérien en Espagne, a été confiée à cinq multinationales : les japonaises Mitsui et Sumitomo, britannique Rolls Royce, italienne Saipem et le consortium hispano-français Técnicas ReunidasAmec Spie. L’ouvrage, dont le coût est estimé à 900 millions d’euros, doit entrer en service en 2009, avec une capacité de transport de 8 milliards de m3 par an, augmentée à 16 milliards à terme. Il reliera Beni-Saf à Almeria. Les travaux, déjà débutés en Algérie, doivent s’accélérer en 2007 avec la construction du tronçon sous-marin, long de 200 km. Avec 36 %, la compagnie publique algérienne d’hydrocarbures Sonatrach est majoritaire dans le capital de Medgaz, suivie par les sociétés espagnoles Cepsa et Iberdrola (20 % chacune), par l’italienne Endesa et par Gaz de France (12 % chacune). “Les adjudicataires sont spécialisés dans ce type d’infrastructures, emploient les technologies les plus avancées et ont acquis une vaste expérience dans des projets similaires”, souligne Medgaz. La pose du tronçon sous-marin sera effectuée par la Saipem et la station de compression ainsi que le terminal de réception, en Espagne, par Técnicas Reunidas-Amec Spie. En 2003, Marrakech avait déjà abrité le Forum sur “Choc des civilisations et dialogue des cultures”. Nouakchott Le Maghreb tient son premier Forum social L e premier Forum social maghrébin pourrait se tenir en février 2008 dans la capitale mauritanienne, a annoncé à Nouakchott un responsable de la fondation française Charles Léopold Mayer, Gustavo Marin. Il a indiqué que ce forum, qui s’inscrit dans le cadre global du mouvement social mondial, vise à amener les décideurs politiques à impliquer les peuples du Maghreb dans les prises de décision. Fondé en juillet 2004 au Maroc, le mouvement social maghrébin regroupe un millier d’organisations de la société civile du Maghreb hors Lybie. maroc PIB industriel record P our la première fois depuis dix ans, la part du secteur industriel dans le PIB est passée de 16,6 % à 19,6 % en 2006, réalisant un “record historique”, a affirmé le ministre marocain de l’Industrie et du Commerce, Salah Eddine Mezouar. La nouvelle stratégie industrielle, dite “programme Emergence,” s’est fixée comme objectif de porter, au cours des dix prochaines années, le PIB industriel à 25 %, a précisé M. Mezouar. Le programme Emergence a ainsi boosté sept secteurs qui permettront de booster la croissance de l’économie marocaine et d’agir directement sur le gap de com- pétitivité, a-t-il ajouté. Concernant le déficit de la balance commerciale du Maroc, le ministre de l’Industrie et du Commerce a fait remarquer que tous les secteurs ciblés dans le cadre du programme Emergence sont essentiellement exportateurs, ce qui permettra au Maroc de réduire dans les prochaines années ce défit de 50 %. Selon des données publiées récemment par le ministère, le programme Emergence aura des retombées bénéfiques sur l’économie marocaine. Il se traduira par un PIB additionnel de 91 milliards de dirhams et la création d’environ 440 000 emplois. A suivre. 1 soit moins que la production d’une nation comme la Turquie ou Israël. Pourtant, les 22 pays arabes rassemblent près de 280 millions d’habitants. Un pourcentage très élevé : 17 % de la production sont consacrés aux ouvrages religieux contre une moyenne mondiale de 5 %. 8 LE COURRIER DE L’ATLAS DR % des livres du monde est produit par des pays arabes, l’essentiel Mauritanie Elections épiques en mars L e 11 mars 2007 se jouera le dernier round d’une épopée à rebondissements. Les Mauritaniens se rendront aux urnes pour élire leur président et sortir de dix-sept mois de transition. Après le coup d’Etat du 3 août 2005 qui a mis fin à vingt et un ans de règne sans partage de Maaouya Ould Taya, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, soutenu par son parti, le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), a du mal à passer la main. Ses dernières déclarations laissent planer le doute, appelant même à voter blanc dans son discours du mois de janvier dernier. “Nous ne soutenons personne et nous ne sommes engagés aux côtés d’aucun candidat”, se défendait-il en février dernier, alors qu’il est soupçonné de soutenir Sidi Mohamed Ouled Cheikh Abdallahi, ancien ministre de Mokhtar Ould Daddah et d’Ould Taya. Pour les candidats à la présidentielle, dix-neuf au total retenus par le Conseil constitutionnel, l’affaire n’est pas mince. Pour le candidat Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Alliance populaire du progrès (APP) et leader d’El Hor, le mouvement de défense des Haratines (descendants d’esclaves affranchis), Abdallahi ne semble pas déterminé à quitter le pouvoir. C’est également le sentiment d’Ahmed Ould Daddah, à la tête du parti d’opposition, la Coalition des forces pour le changement démocratique (CFCD). Difficile de faire des pronostics dans ce pays peu coutumier de la transparence électorale. Ces derniers mois, les Mauritaniens ont eu le temps de s’exercer. En effet, le processus de transition a été marqué par un référendum, des élections législatives, des élections municipales et des sénatoriales. Toutefois, Abdellahi part avec une longueur d’avance. Plusieurs fois ministres, il connaît les rouages du système et bénéficie d’appuis au sein du Parti républicain pour la démocratie et le renouveau démocratique (PRDR), majoritaire à l’Assemblée nationale. Dans ce foisonnement de candidats : Sidi Ould Cheikh Abdellahi, Messaoud Ould Boulkheir, Ahmed Ould Daddah, Mohamed Ould Haidallah, Mohamed Ould Maouloud, Zeine Ould Zeidane… Heureusement que les bulletins de vote porteront la photo de chacun. Sahara : Chirac et Zapatero soutiennent le Maroc D ébut février, sur instructions royales, une délégation ministérielle marocaine s’est rendue successivement à Paris et à Madrid pour présenter le plan que le Maroc soumettra en avril au Conseil de sécurité des Nations Unies. Opération réussie ! Chirac et Zapatero ont apporté leur soutien au projet. Le président français a qualifié de “constructif” le projet d’autonomie des provinces du Sud dans le cadre de la souveraineté du Royaume. NUMÉRO 2 MARS 2007 Anniversaire Les 20 ans de BEUR FM ! I ls seront célébrés en grande pompe le 3 mars prochain, avec une pléiade d’artistes invités, quelque 6 000 aficionados de la station et de sa tonalité si reconnaissable (voir sur beurfm.net). Parmi les nombreuses artistes qui seront de la fête : Amine, Assia, Leslie, Sinik, Sniper, Aklid, Rachid Taha, Cheb Tarik et les 113 ! Une consécration pour Nacer Kettane, qui se bat pied à pied dans un milieu pas toujours facile, et qui multiplie les projets : outre une compil Beur FM, il nous a annoncé un colloque à Paris, début avril. Tunisie La France fait du lobbying L ’économie française ne perd pas le s’étaler entre 2007 et 2016 et concerner nord. Même en période de rude course les avions qui, à partir de cette date, dépréélectorale, les responsables économi- passeront les 20 ans d’âge. Selon nos inques n’oublient pas d’assurer le suivi de formations, ce plan devrait comprendre leurs marchés traditionnels et de leurs trois A360, huit A320 et quatre Boeing prospects. Même s’il ne l’a pas clairement 737-500. Le coût global de cette opération dit lors de son dernier déplacement à Tunis de renouvellement de la flotte monterait à le 15 février 2007, Dominique Perben, mi- 1 milliard de dinars Evoquant ensuite les nistre des Transports, de l’Equipement, du perspectives de développement aéroporTourisme et de la Mer, semblait être essen- tuaire, en particulier le port en eau protiellement venu pour cela. fonde à Enfidha, Perben a précisé que ce Tenant conférence de presse en visite à Tu- projet “peut être l’occasion d’une coopéranis, Perben a axé ses interventions sur ce tion institutionnelle entre deux corporavolet économique et n’a pas trop caché tions et l’occasion pour les opérateurs qu’il était venu soutenir les candidatures et comme CMA-CGM d’intervenir immédiateles chances d’entreprises françaises de ment dans sa réalisation”. remporter certains marchés, et pas des Dans le ferroviaire, où la Tunisie a dernièremoindres. Il s’agit essentiellement du mar- ment annoncé un large plan d’extension ché de renouvellement de la flotte aérienne des lignes du métro léger et d’une ligne de la compagnie Tunisair, du renouvelle- RFR (similaire au RER français), Perben, qui ment d’un certain nombre de locomotives a longuement fait la publicité d’entreprises de transport ferroviaire en ville, ainsi que du projet de construction d’un port en eau LE PLAN DE RENOUVELLEMENT profonde dans la ville d’En- DE LA FLOTTE TUNISAIR DEVRAIT fidha (côte Est de Tunisie). S’ÉTALER ENTRE 2007 ET 2016. Une action de lobbying qui s’accompagne de promesses financières et industrielles. françaises telles “Alstom, avec une prati“Nous avons évoqué les perspectives de que ferroviaire importante, un savoir-faire renouvellement des flottes aériennes des en terme de production de matériel ferrocompagnies tunisiennes (…) et les possibi- viaire, de signalisation, de réalisation de lités de développement de la coopération voies ferrées et de gestion de réseaux”, a industrielle entre Airbus et la Tunisie puis- annoncé la décision de la France d’accorque la Tunisie est aujourd’hui un site pour der 23 millions d’euros pour l’achat de nouun certain nombre d’industriels dans l’aé- velles rames par la Société de transport de ronautique”, a-t-il précisé. Et Perben Tunis et a laissé miroiter des perspectives d’ajouter : “J’ai pris note du souhait de la de création de nouvelles sociétés mixtes partie tunisienne que l’on puisse travailler entre les deux sociétés de Tunis, la SNCF sur un développement d’activités indus- tunisienne, annonçant que des entreprises trielles sur le territoire tunisien.” françaises seront canLe plan de renouvellement de la flotte de didates à des appels Tunisair, qui compte 28 avions, devrait d’offres. LE COURRIER DE L’ATLAS 9 revue de presse SUR LE FRONT NATIONAL… J’ai toujours été allergique au FN, c’est quasiment physique, je ne peux supporter ce qui est racisme et xénophobie. Je hais ce que tout cela représente. Jacques Chirac cité par Pierre Péan, dans L’inconnu de l’Elysée (Fayard, 2007) C’est le souk à Gdyel ! Jour de marché à Gdyel. On y voit de toutes les couleurs et on sent toutes les odeurs. Et il n’y a pas que les marchands ambulants qui viennent vanter les mérites de leurs marchandises, il y a aussi les vendeurs de belles paroles. P ar tous les temps, en été comme en hiver, le mardi à Gdyel est jour de marché. L’animation est très dense, très tôt le matin, avec le vrombissement des moteurs des véhicules, des camionnettes chargées de marchandises en tout genre. Les plaques minéralogiques, parfois, renseignent suffisamment sur la distance parcourue, probablement toute la nuit, par ces marchands ambulants qui se bousculent pour prendre la meilleure place sur le terrain vague de 10 hectares situé à la sortie Est du village. crépitent de partout. A l’arrière d’une camionnette, un commerçant avec son haut-parleur fait la réclame de son insecticide du jour en utilisant le vers et la rime. De la puce jusqu’au rat en passant par le cafard, la prescription est jurée fatale par tous les saints. Un autre, haut décibel de musique lâchée dans les airs, vend une montagne de cassettes à vingt dinars l’unité. On y trouve à l’intérieur des pochettes jaunies par le temps : Ahmed Saber, Belkhayati, Oum Kalthoum et même Michael Jackson. La volaille LES PROPOS SONT APOCALYPTIQUES, DEVANT UN AUDITOIRE INSENSIBLE AU BROUHAHA DU MARCHÉ QUI GROUILLE. Huit heures du matin. Tout le monde a déjà pris son emplacement et les citoyens, dans leurs djellabas de ce matin de janvier froid, pressent le pas entre les étals afin de choisir le meilleur des légumes de saison ou tomber sur la plus belle des occasions. Le marché hebdomadaire de Gdyel est un grand bazar où l’on vient de partout pour faire les courses : de Fleurus, de Boufatis, d’Arzew, de Hassi Mefsoukh et Hassi Benokba, de Sidi Benyebka... La principale voie de circulation qui traverse le village de part et d’autre ne connaît aucun répit durant la matinée, les gardes communaux postés à l’entrée du marché régulent la circulation. Les haut-parleurs 10 LE COURRIER DE L’ATLAS vidée à l’arrière des camions frigorifiques, est accrochée tout juste audessus des yogourts ou des fromages aux marques et aux labels inconnus. Des herboristes vendent toutes sortes de plantes médicinales, les vendeurs dressant en boucle un inventaire de toutes les maladies que ses plantes guérissent. Des matelas en mousse, des ballots de vieux vêtements, des canapés en bois venus tout droit des ateliers de Médéa ou de Blida, la mousseline de Tlemcen. On marchande, on palabre, on joue du coude et, surtout, on regarde cette opulence dégouliner de partout : camions chargés et étals étoffés. Hamdache, un habitué du marché, vient chaque mardi de Béthioua. Il dira que “c’est devenu presque irrésistible de venir ici faire ses courses, déambuler ou carrément voir certains spectacles loufoques que des gens ordinaires, dans une spontanéité toute rurale, savent créer : une bagarre par là, un voleur à la tire débusqué par ici, des mendiants, des meddahs, des comiques...” Et le clou du spectacle, même pour les gens qui n’ont rien acheté, est sans conteste Si M’Hamed Essougri. A lui seul, il est tout un théâtre. Debout au milieu d’une foule aux aguets, ce troubadour dont nul ne sait d’où il vient ni quel âge il a, obnubile avec ses mots durs et ses sentences implacables. Bardé de prophéties, il égrène des vers à la gloire de Saddam, les visages acquiescent et le silence est lourd. Il passe vite aux fellahs pour les vilipender de ne plus s’occuper de la terre des aïeux. Il invoque encore une fois la Palestine et l’Irak, le cœur est attendri, les esprits accrochés. Après une demi-heure de harangue, coupure pub ! L’aide de camp de Si M’Hamed, silencieux jusqu’alors, passe devant les badauds pour les inviter à la générosité et par la même occasion proposer à la vente les cassettes de son maître. Eh oui, la cassette éditée parmi les maisons d’édition chez les plus huppées est proposée à cinquante dinars et on se fait, en guise de dîme, un devoir d’en ache- ter, en l’honneur du maître des lieux. Les gens payent sans rechigner, tandis que le maître, feignant ne rien voir, fait semblant de se reposer. Et il reprend de plus belle la rengaine avec l’évocation de l’Age d’or des Arabes et leur perdition actuelle, de l’islam, des temps modernes et des signes de la fin du monde. En d’autres lieux, il aurait été affiché comme “agitateur subversif”. Les propos sont apocalyptiques, devant un auditoire qui, tout accaparé par les paroles sentencieuses, semble insensible au brouhaha du marché qui grouille. Onze heures. Le marché se vide de plus en plus de ses visiteurs, les étals de légumes et de fruits sont presque vides. De vieilles dames, en apparence de modeste condition, viennent quémander ce qui reste des légumes invendus. Elles repartent avec des couffins pleins, grâce à la générosité des marchands qui n’ont en vérité que faire de leurs tomates un peu pourries dont personne n’a voulu. Les processions de voitures au milieu de la foule se frayent difficilement un chemin pour sortir au plus vite du village. Les gens pressent le pas, les transporteurs sont ravis et les commerçants satisfaits. Pour Si M’hamed, demain est un autre jour du côté de Mostaganem ou de Tlemcen pour aller prêcher la bonne parole auprès de ceux pour qui le jour de marché n’est pas un jour ordinaire. T. Lakhal NUMÉRO 2 MARS 2007 revue de presse Khalifa Local à louer Conduire en Tunisie : un respect du Code très… relatif Q uel champ de bataille, le trafic routier en Tunisie ! Croyez-moi, j’ai regretté d’avoir loué une voiture pour faciliter mes déplacements durant mon séjour, car j’ai vraiment du mal à conduire normalement !”, dit Layla, une Française d’origine tunisienne, venue au pays pour y passer les vacances. Ce témoignage constitue un point de vue objectif sur la conduite “à la tunisienne”. Ce malaise, certes, fait partie du quotidien des Tunisiens, qu’ils soient conducteurs ou piétons. Il est encore plus intense dans les grandes villes. La conduite anarchique atteint son apogée dans la capitale. C’est là où tous les types d’infractions sont commis avec “art”. Tarak est taxiste depuis quelques années. Il fait partie des jeunes professionnels dans ce domaine. Pour lui, le respect du Code de la route est relatif. “Certaines interdictions sont, à mon avis, indiscutables. Je cite, par exemple, le fait de rouler à contresens sur une autoroute. C’est trop dangereux.” En revanche, “opter pour un accès interdit peu fréquenté, pour faciliter la circulation ou dépasser les 90 kilomètres heure sur une route, dont le trafic est peu intense ou encore recevoir une communication téléphonique urgente font partie du quotidien”, avoue Tarak. Il ajoute qu’en Tunisie, personne ne respecte vraiment le Code de la route. “Chacun conduit comme il veut, suivant son intérêt et sa manière de voir les choses.” Même les chauffeurs de bus qui, à son avis, optent pour la plupart pour un comportement anarchique, égocentrique et très risqué. Pour Walid, un autre chauffeur de taxi, le respect du Code de la route dépend des moments. “Pendant la journée, mon respect pour la signalisation routière est infaillible, car le contrôle y est rigoureux. En revanche, la nuit, je ne respecte pratiquement pas ces règles, car le risque et le contrôle, tous deux sont faibles”, souligne-t-il. (…) A bon entendeur, salut ! D. Ben Salem Ces deux touristes nippons dans les rues de Paname ne prendront jamais Khalifa Airways pour se rendre en Algérie ! En cause : le golden boy Moumène Khalifa. Après avoir lancé la plus “space” des compagnies africaines – avec une flotte de 40 Airbus flambant neufs –, Khalifa est à l’origine de l’une des plus retentissantes faillites du continent africain. Valérie Defournier “ NUMÉRO 2 MARS 2007 Avoir moins de 30 ans en Algérie L ’annonce en a surpris plus d’un. Désormais, les Algériens de moins de 30 ans n’iront pas en Tunisie. Ni ailleurs, d’ailleurs, puisque c’était déjà le cas, de fait, pour l’espace Schengen, qui se méfie comme de la peste noire de cette catégorie à risques. Bien que la tranche d’âge majoritaire dans le pays, les moins de 30 ans, pose problème à tout le monde et pas seulement aux frères tunisiens qui ont décidé de limiter la fraternité à partir de la trentaine. A moins de 30 ans en Algérie, on est (presque) capable de tout, (presque) bon à rien, terroriste potentiel, corrompu en devenir, délinquant possible, harraga et émigré clandestin en puissance. A moins de 30 ans, on ne vote pas, on ne lit pas vraiment les journaux, on n’adhère pas au FLN. A moins de 30 ans, on n’a pas eu le temps d’avoir vraiment un passé et on n’a pratiquement pas d’avenir, même si, à cet âge, il est censé être ouvert. A moins de 30 ans, en Algérie, on ne voyage pas, même pas à côté, on n’a pas encore de logement ni vraiment un travail. A moins de 30 ans, on n’est pas marié ou si peu, on n’a généralement pas d’enfant et on déteste les vieux, surtout ceux qui ont pris le pouvoir. A moins de 30 ans, on vit chez son père et on est pris en otage par sa mère. Parce qu’à moins de 30 ans, on est encore un enfant en Algérie et on ne sait rien faire de particulier. Seule exception censée confirmer la règle, Abdelmoumène Khalifa, qui avait moins de 30 ans quand il a commencé sa fulgurante ascension. Aujourd’hui, qu’il a dans les quarante, il est poursuivi en justice pour l’ensemble de son œuvre. Que faire après cet âge critique ? Monter un parti politique, selon les propres dires de l’exgolden boy. Pour abaisser la limite d’âge à l’élection présidentielle ou augmenter celui de la majorité pénale ? Ou tout simplement pour proclamer une amnistie fiscale et judiciaire pour les moins de 50 ans ? Chawki Amari LE COURRIER DE L’ATLAS 11 l’essentiel Médias Censures toujours plus insidieuses A utrefois, la censure était brutale. Une méthode frontale aujourd’hui contre-productive : supprimez une info à la télé et vous la retrouvez dans un journal ou sur le net, démultipliée. Intoxiquer oui, mais dans la séduction, tromper, oui, mais de façon courtoise, comme l’exigent les règles de la communication. “On obtient toujours plus avec un mot gentil et un flingue qu’avec un simple mot gentil”, disait Al Capone. Aujourd’hui, on ne censure plus, on “gère la perception” du public. Dès lors les mots sont importants. Le “licenciement massif” devient “plan social”, la “vidéo surveillance”, “vidéo protection”, le “réchauffement climatique”, “changement climatique”, moins effrayant… et le “crime de guerre” se déguise en “légitime défense”. Paul Moreira, journaliste d’investigation et directeur de feu l’émission 90 minutes dévoile ainsi quelques techniques de manipulation de l’information dont il a été témoin, essentiellement à la télé, à travers des exemples concrets (l’achat de journalistes par l’industrie pharmaceutique, des politiques qu’on vend comme de la lessive…) car “le citoyen, comme le consommateur, est manipulable pour peu qu’on sache appuyer sur les bons boutons”. Les nouvelles censures, Paul Moreira, Ed. Robert Laffont, février 2007, 19 € En baisse Patricia Russo (Lucent) et Serge Tchuruk (Alcatel) L e mariage entre Alcatel et l’américain Lucent, donnant naissance au numéro 2 mondial des équipements télécoms, devrait laisser sur le carreau 12 500 salariés, dont 1 500 à 2 000 en France, au lieu des 9 000 prévus. Au nom de la compétitivité, les deux “nettoyeurs” ne font pas dans la demi-mesure. Les premiers touchés : les bas salaires et les salariés les moins qualifiés. France-Afrique Et si les Africains en venaient à regretter Chirac ? L e 24e sommet France-Afrique qui s’est tenu à Cannes laissera un goût amer aux militants des droits de l’homme du continent. En effet, cette réunion de chefs d’Etat n’avait pas pour ordre du jour l’amélioration des conditions de vie des Africains. Le bilan des relations entre l’Hexagone sous la présidence de Jacques Chirac et les pays d’outre-Méditerranée est très contrasté : la signature du traité d’amitié entre l’Algérie et la France n’est toujours pas d’actualité, l’aide au développement se réduit comme LE BILAN DES RELATIONS peau de chagrin, la question de l’attribution des visas est toujours laissée en suspens, FRANCO-AFRICAINES etc. Pourtant, celui que le président EST POURTANT Abdoulaye Wade appelle “le meilleur avocat ASSEZ PEU GLORIEUX. des Africains”, a toujours affirmé son amour pour le continent, contrairement à son successeur à l’UMP, Nicolas Sarkozy, qui n’a pas hésité à déclarer en 2006 lors de sa tournée africaine que “la France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique”. Avec ce type de déclaration, les chefs d’Etat africains vont regretter l’ère Chirac. L’avenir des relations entre Paris et les capitales du continent noir s’annonce sous de mauvais augures. A moins que Sarkozy fasse un bide à la présidentielle. Présidentielle Alain Duhamel sur la touche Alain Duhamel, éditorialiste de France 2, a été interdit d’antenne jusqu’au lendemain du deuxième tour de la présidentielle. La cause de cette suspension : une prise de position du journaliste en faveur de François Bayrou, lors d’une réunion organisée par des jeunes de l’UDF à Sciences Po de Paris. “C’est quelqu’un que j’aime bien, je voterai pour lui pour dire les choses” aurait déclaré Alain Duhamel sans savoir que des extraits d’une vidéo allaient circuler sur Internet… Total La flambée des prix du pétrole a souri à Total : le groupe pétrolier a enregistré un bénéfice record de 12,585 milliards d’euros pour l’année 2006. Ces superprofits auraient été dopés par la flambée des prix du pétrole. Ils viennent ainsi conforter le nouveau PDG Christophe de Margerie, successeur de Thierry Desmarest. Mais Total devra redorer son blason. En effet, la major devra d’une part répondre aux accusations de l’UFC-Que choisir ayant l’intention d’imposer une taxation sur les profits mirobolants de Total et, d’autre part, dédommager les soixante-dix parties civiles, victimes des 20 000 tonnes de fioul déversées en 1999 par le pétrolier Erika. 12 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Patrick Kovarik/AFP Des bénéfices avant la tempête l’essentiel Débat Le Courrier de l’Atlas sort de ses murs C’est le 12 avril prochain, dans les locaux de l’Institut du monde arabe que le Courrier de l’Atlas fera sa première sortie officielle, dans le cadre des Jeudis de l’IMA animés par Maati Kabbal. Thème retenu : “Y a-t-il un vote arabe en France ?” Notre magazine y sera représenté par Nadia Lamarkbi. Drogue Cannabis mobilisation Une ligne pour les parents démunis face à ce fléau a été ouverte : 0 811 91 20 20. Ecoute Cannabis, tel est son nom, a été mis en place dans le cadre d’une campagne nationale visant à venir en aide aux familles. Salon du Livre 2007 DR L’Inde à l’honneur Le 27e Salon du Livre de Paris, se tiendra du 23 au 27 mars 2007, avec comme invité d’honneur l’Inde. Une trentaine d’auteurs indiens anglophones seront présents à ce rendez-vous dont Rupa Bajwa, Shyam Bhajju, Tarum Tejpal. NUMÉRO 2 MARS 2007 Politique Droite ou gauche : finalement, ce ne serait qu’une question d’épaule S preuve ? Les hommes, eux, portent leurs dossiers sous le aviez-vous que le fait de porter son sac sur l’épaule bras droit. Mais Dominique Voynet qui tient ses dossiers gauche ou, à l’inverse, sur l’épaule droite est un inserrés contre sa poitrine, prouverait par ce geste qu’elle dice révélateur de la personnalité de la femme qui le est une femme de cœur, en quête d’amour et d’affection. porte ? Joseph Messinger, en tout cas, en est convaincu. Ce Enfin, Ségolène sous-titre ses discours avec les mains en spécialiste de la communication non verbale a étudié de supination, c’est-à-dire les paumes tournées vers le haut : près la gestuelle de nos femmes politiques et a analysé le ce sont les mains de l’hospitalité et sens des petits gestes, volontaires ou de la compassion, le “venez à moi non, qu’elles nous offrent dans les mee- LE SAC À MAIN SUR les petits enfants” de Jésus. “La matings, sur les plateaux télé, ou en des- L’ÉPAULE DROITE SIGNIFIE cendant de voiture. done du Poitou a retenu sa leçon de FEMME D’ACTION, SUR Ainsi, Ségolène, à la ville, porte son sac à catéchisme postural”, conclut main sur l’épaule droite : cela signifierait L’ÉPAULE GAUCHE, FEMME l’auteur. Contrairement à Arlette Laqu’elle est une femme d’action capable RÉSERVÉE. ET SUR guiller, qui a tendance, lorsqu’elle de s’investir et de dominer une situation. LA TÊTE, ÇA DIT QUOI ? joint les mains, à croiser ses doigts Marie-George Buffet, qui porte son sac en désordre, de manière décalée, ce sur l’épaule gauche, serait, dès lors, plus réservée, même si qui évoque une “confusion ponctuelle” : Arlette serait elle n’en est pas moins une femme de tête. Les femmes de tiraillée entre ce qu’elle croit juste – ce qu’elle espère l’épaule droite aussi, plus souvent, des filles à papa… pour Lutte Ouvrière – et les directives du comité central En revanche, Ségolène porte ses dossiers sous le bras gaudirigé par Hardy ! “Pour tout dire, je suis un peu sceptiche, côté cœur donc : ce serait une façon de montrer que que. La manière de porter l’écharpe, le sac à main ou les les problèmes dont elle a la charge ne sont pas seulement dossiers peut-elle vraiment en dire plus long que les reinvestis par la logique froide et rationnelle, mais qu’ils gards et les paroles ?” possèdent aussi pour elle une charge émotionnelle. La (Christine Kerdellant, essayiste, sur blogs.lexpress.fr/femmes) Médias Le magazine Entrevue se sépare de Gérald Dahan L e mensuel Entrevue aurait cessé toute collaboration avec l’humoriste Gérald Dahan après son coup de téléphone canular à Ségolène Royal. La nouvelle a été publiée sur le site du magazine qui devait publier dans son intégralité le fameux échange téléphonique où il s’était fait passer pour Jean Charest, Premier ministre du Québec. “Nous soupçonnons Gérald Dahan, malgré tout son talent, de manquer d’éthique et d’honnêteté”, a estimé la rédaction. Câble Noos-Numéricâble “sous surveillance” L a Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a décidé de placer Noos-Numéricâble sous surveillance en raison des nombreuses plaintes de ses abonnés. Dans le cadre d’auditions entamées début février avec les principaux opérateurs sur les plaintes de leurs clients, les dirigeants de Noos ont été reçus par la DGCCRF et ont reconnu la réalité des dysfonctionnements à l’origine du mécontentement manifesté par les abonnés. Programme politique 35 milliards d’euros pour le pacte présidentiel de Ségolène Royal S égolène Royal devra chiffrer. Le 11 février, la candidate du PS avait annoncé son pacte présidentiel sans donner de chiffres sur le coût de son programme. En ce début de campagne, ce silence a fait mouche : la bataille des chiffres était lancée. Conséquence : face aux 30 milliards d’euros annoncés par Sarkozy au journal les Echos, mi-février, François Hollande a dû évoquer une estimation de 35 milliards d’euros pour le pacte de Mme Royal, c’est-à-dire un coût presque similaire… Edition Maroc, éclats instantanés Parution en mars du nouveau roman de notre collaborateur Maati Kabbal préfacé par Fouad Laroui. Nous reviendrons plus longuement sur ce récit le mois prochain. LE COURRIER DE L’ATLAS 13 l’essentiel Média raciste A u Japon, on trouve de tout dans les 7 500 konbini (supérettes ouvertes 24 h/24 de la chaîne Family Mart). Même des revues racistes. Les Dossiers secrets du crime de l’étranger, titre du sulfureux magazine mis en vente par la chaîne, a rendu furieux de nombreux étrangers vivant au Japon (2 millions). Caricatures grossières, photos tronquées, insultes (“nègres”, “cochons”, etc.), la revue appelle à “chasser l’Iranien” dans un Tokyo “dévasté par les étrangers”. Selon la police, la criminalité des étrangers au Japon a baissé de 16,2 % en 2006 (40 126 cas, sur plus de 2 millions de délits au total). Face à la menace de boycott des Family Mart, la chaîne a présenté ses excuses et retiré la revue des rayons (Source : Libération) Venezuela Liberté de la presse selon RSF D epuis l’élection de Hugo Chávez à la au blocage général de l’entreprise PDVSA, présidence de la République en 1998, qui a failli conduire le pays à la banquerouReporters sans frontières (RSF) a multiplié te, n’est pas une décision légitime, sage et les attaques contre le gouvernement véné- indispensable mais une “grave atteinte au zuelien, l’accusant notamment de porter pluralisme des médias”. Dans une situation atteinte à la liberté de la presse. Pourtant, similaire, n’importe quel autre gouvernedepuis 1999, près de cinq cents nouveaux ment aurait pris des mesures draconiennes organes de presse locaux et nationaux (jour- contre RCTV. Le président Chávez, lui, a prénaux, radios et chaînes de télévision) ont vu féré patienter jusqu’à l’échéance légale de le jour au Venezuela. Dernièrement, l’orga- la concession malgré la pression populaire. nisation parisienne s’est offusquée de la En effet, cette décision avait suscité la rédécision des autorités de ne pas renouveler probation de la part des Vénézueliens qui la licence au groune comprenaient pas pe audiovisuel privé POUR REPORTERS SANS qu’une chaîne putsRadio Caracas Techiste soit encore FRONTIÈRES, UNE CHAÎNE levisión (RCVT), qui autorisée à fonctionexpirera le 28 mai AYANT SOUTENU UN COUP ner. En outre, il ne 2007. RSF a qualifié D’ÉTAT A LE DROIT D’ÉMETTRE. s’agit nullement de ce choix tout à fait censure comme l’aflégal – car le choix de l’attribution des on- firme RSF puisque RCTV pourra continuer à des hertziennes appartient à l’Etat – en une fonctionner par câble et par satellite. L’orga“atteinte à la pluralité éditoriale”. RSF nisation parisienne feint d’ignorer la réalité confesse qu’elle n’ignore pas “l’attitude de médiatique du pays, alors que RCTV, GloboRCTV durant le coup d’Etat d’avril 2002” visión, Venevisión et Televen, qui contrôlent qui n’avait pas “caché [son] soutien” au près de 90 % du marché télévisuel, sont serenversement de l’ordre constitutionnel. lon RSF “clairement situés dans l’opposition Mais, selon l’organisation, le fait ne pas re- au gouvernement”. Elle omet également de nouveler la licence d’une chaîne qui a signaler que depuis l’accession d’Hugo ouvertement participé à un coup d’Etat – Chávez à la présidence, la principale activité qui a coûté la vie à de nombreuses person- de RCVT a consisté à diffuser de fausses innes – constitue une violation de la liberté de fos sur la politique du gouvernement et à la presse. Le fait de ne pas renouveler la li- inciter à l’altération de l’ordre constitutioncence d’une chaîne qui a également pris nel, en se faisant le porte-parole des militaipart de manière active au sabotage pétrolier res insurgés prônant un coup de force. de décembre 2002, en lançant des appels (Source : www.mondialisation.ca) Internet My Space en Chine L es internautes chinois pourront bientôt rejoindre les milliers de communautés de My Space. Le portail américain est en effet en train de lancer une version de son site à destination de l’empire du Milieu, MySpace Chine, en version 2.0 (Mai Sibei). Le fait que l’entreprise comporte des capitaux chinois pourrait impliquer que la maison mère de MySpace, News Corp, groupe de Rupert Murdoch, se contente d’une participation minoritaire, en conformité avec les restrictions imposées aux compagnies étrangères en matière de services télécom. La femme de Rupert Murdoch, née en Chine, pourrait néanmoins faire partie du futur conseil d’administration selon le Wall Street Journal. Pour le journal économique, News Corp pourrait s’associer avec l’implantation 14 LE COURRIER DE L’ATLAS Ingrid Betancourt Cinq ans déjà La fille d’Ingrid Betancourt a appelé la classe politique à s’engager “réellement” pour la libération de sa mère, retenue par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) depuis février 2002. Sans nouvelles de sa mère depuis maintenant cinq ans, la jeune femme attend toujours une action de la France. “Ce que j’attends de leur part, ce ne sont pas des mots. Ça ne suffit pas qu’un Premier ministre dise ‘je pense à Ingrid Betancourt tous les jours’. Ce que l’on attend de leur part, c’est qu’ils s’engagent réellement”, a-t-elle insisté. Suisses chinoise d’International Data Group (IDG) ainsi qu’avec une société d’investissement chinoise, China Broadband Capital Partners (CBC). A l’appui de son propos, le Wall Street Journal cite un ancien responsable de Microsoft, en charge jusqu’en décembre des services en ligne en Chine de MSN, Luo Chuan, qui a monté sa propre compagnie depuis et affirmé être en négociations pour faire équipe avec MySpace, aux côtés d’IDG et CBC. Avec ses 137 millions d’internautes fin 2006, la plupart jeunes, la toile chinoise, sur laquelle le gouvernement exerce un strict contrôle, suscite les convoitises étrangères. Mais l’entrée est difficilement accessible aux étrangers qui essaient parfois de contourner les obstacles politico-administratifs. La diversité aussi Même les Suisses commencent à s’intéresser à la question de la diversité. Le 13 mars prochain, ils organisent à l’Institut de Zurich, une grande conférence sur ce thème. Preuve que même au sein de la Confédération, le thème a le vent en poupe. Alamyl photo12.com Japon l’essentiel CRISE IRANIENNE Jacques Chirac et le prince Moulay Rachid, frère de Mohammed VI, roi du Maroc. Guinée La crise de régime alarme la communauté internationale L es chefs d’Etat africains et français rassemblés à Cannes, pour le 24e sommet FranceAfrique, ont “appelé les autorités guinéennes à honorer leurs engagements conformément à l’accord signé le 27 janvier avec les syndicats afin de préserver la paix et la sécurité de tous les Guinéens dans le respect des principes démocratiques.” L’état de siège de la Guinée s’est transformé en véritable crise de régime. Les exactions de militaires et les morts font partie du lot quotidien des habitants et ont amené près de 90 ressortissants marocains à quitter volontairement le pays. Etats-Unis Drôle d’association ! L Abaca Une Chinatown en Egypte Un site commercial chinois, comprenant restaurants, centres commerciaux, usines, etc., verra le jour en 2012 à la sortie du Caire. A l’initiative du projet, la holding de Walid Tawfik pour 40 % des parts, la National Bank of Egypt, 20 %, et quelques centaines d’industriels chinois. Le financement du projet n’est pas encore bouclé mais les partenaires ont déjà mis sur la table quelque 150 millions de dollars. NUMÉRO 2 MARS 2007 es déclarations de TFO, association américaine qui soutient les réseaux de distribution n’achetant pas de pétrole du Moyen-Orient, ne cessent de surprendre car elles sont un non-sens d’un point de vue économique. Ses dirigeants ont été obligés, récemment, d’admettre que leurs fournisseurs achetaient bien du pétrole au Moyen-Orient et TFO ne peut rien faire pour réduire les revenus des exportateurs, sauf à réduire le montant total de pétrole consommé. En fait, le porte-parole de TFO, Joe Kaufman, est le fondateur du groupe appelé Les Américains contre la haine, dont la principale activité est le soutien aux extrémistes israéliens de droite. Sa principale production semble être un flot incessant de déclarations sur les principaux organismes américains musulmans qu’il qualifie de “front terroriste”, et quiconque ose critiquer Israël est étiqueté d’“islamiste radical” ou de “soutien du terrorisme”. Le 4 janvier dernier déjà, dans un article diffusé sur le site d’extrême droite Frontpagemag.com, Kaufman déclarait que Keith Ellison, membre du Congrès nouvellement élu au Minnesota “était un porteur de valise islamiste radical” et il se réfère aux groupes musulmans américains comme “ennemis intérieurs de l’Amérique”. En décembre dernier, Kaufman a traité Barbara Boxer, sénatrice californienne, de “sénatrice pour la terreur” parce qu’elle accordait une récompense de service public à un militant social américain musulman qui avait auparavant critiqué les abus israéliens contre les droits de l’homme. Sous la pression de l’organisme de Kaufman, Boxer, soutien convaincu d’Israël, a annulé la récompense. (Source : Mondialisation.ca) Nous n’avons qu’une ligne rouge : le respect de notre droit à l’énergie nucléaire, qui nous est garanti par le traité de non-prolifération. Ali Akbar Velayati, conseiller diplomatique d’Ali Khamenei Espagne Attentats de Madrid : procès en cours L es auteurs présumés des attentats du 11 mars 2004 à Madrid comparaissent depuis le 15 février devant l’Audience nationale, le tribunal chargé des affaires de terrorisme en Espagne. Sur les vingt-neuf accusés à Madrid, seul dix-huit sont dans le box des accusés, les onze autres comparaissant, pour l’heure, libres. Le massacre du 11 mars 2004 avait causé la mort de 191 personnes autour de la gare madrilène d’Atocha, et fait 1824 blessés. Peu après ce drame, de Madrid, la découverte d’un sac n’ayant pas explosé, a permis aux enquêteurs de remonter à la filière islamiste responsable des attentats : un réseau proche du Groupe islamique des combattants marocains (GICM). Portugal La dépénalisation de l’avortement peine à mobiliser C ’est un fait : l’avortement ne sera plus considéré comme un crime au Portugal. Avec une majorité de 59,2 % de oui lors du référendum du 11 février, l’avortement ne sera plus puni par la loi. Si la victoire du oui est sans appel, l’engouement des Portugais est contestable, le taux d’abstention s’étant élevé à 68 %. Le gouvernement socialiste devrait finaliser sa proposition de loi dans les prochains jours, pour la présenter ensuite au parlement. Si le texte n’est pas adopté, il sera soumis à la signature, sous vingt jours, du président Anibal Cavaco Silva. La dépénalisation entrera alors en vigueur après publication officielle de la loi, c’est-à-dire dans plusieurs mois... LE COURRIER DE L’ATLAS 15 politique Reconnaissance tardive pour les Franco-maghrébins de gauche 16 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Axelle de Russe/Abaca Ségolène Royal et Christiane Taubira lors du Festival hip-hop de Suresnes le 21 janvier 2006. politique COMBATIFS ! Les Maghrébins de gauche affichent leur volonté d’en découdre avec les quadras de leur parti, peu portés à partager le pouvoir. Fini la politique à papa où ils étaient “bons pour la photo mais pas pour le fauteuil” ! Elus ou militants de base, leur combat se mène dans leurs propres rangs. A charge pour les partis de gauche d’entendre leurs revendications avant que la fronde ne se lise dans les urnes. par Nadia Lamarkbi DR L es convictions qui les animent sont longueur d’avance. Au compteur, un milouables : la solidarité avec les plus nistre délégué, deux secrétariats d’Etat et pauvres, la justice sociale… Tous se une porte-parole pour la droite. Un pied de réfèrent à cette tradition, devenue presque nez à cette gauche qui a toujours consicaricaturale, d’une France, patrie des droits déré les Maghrébins comme acquis à sa de l’Homme et de la Révolution. Seulecause et n’a pas cherché à satisfaire leurs ment, dans la dure réalité de la vie politibesoins de représentation et de visibilité. que française, ils se retrouvent confrontés L’UMP a joué un sacré tour aux socialistes aux mêmes préjugés que dans les autres puisqu’elle a réussi à les contrecarrer sur formations politiques. Qu’ils aient choisi leur propre terrain. En cette période électole Parti socialiste, le Parti communiste, les rale, la donne a changé. Il y a une surenVerts ou les listes alternatives antilibérales, chère autant à l’UMP qu’au PS sur les inils affichent tous leur déception face aux vestitures des candidats dits “de la manquements de la gauche au pouvoir. diversité”. Aujourd’hui, c’est avec eux qu’il Les promesses non faut compter. Et tenues sont légion : cela se ressent dans “LA DIFFÉRENCE SE FERA SUR du vote des immiles discours des préDES PROPOSITIONS CONCRÈTES grés à la double sidentiables. Reste COMME L’EMPLOI, LES INÉGALITÉS que l’incertitude sur peine, mais aussi SOCIALES, LE CHÔMAGE.” sur la politique inles choix des Franternationale avec çais issus de l’immil’engagement français lors de la première gration qui, contrairement aux dernières guerre du Golfe, sans oublier la question élections présidentielles, ont décidé de faire palestinienne. Mais leur détermination à valoir leur citoyenneté et de s’inscrire en ne pas quitter le navire atteste de la force masse sur les listes électorales, oblige les de leurs convictions. Et contrairement à hommes politiques à se repositionner sur d’autres, leur fidélité est quasi suicidaire. les questions sociales, principales préoccuPourtant, ils ont souvent un parcours mipations de la majorité de ces “nouveaux litant exemplaire. Leurs semelles se sont Français”. Désormais, la différence se fera usées sur les bitumes des villes de France sur des données politiques et les proposipour exprimer leur refus de l’injustice, tions concrètes qui seront faites sur des leurs voix se sont enrouées à force de crier sujets tels que l’emploi, les inégalités sociades slogans anti-tout. Bref, ils ont “prouvé” les, le logement, etc. La gauche, comme la leur attachement aux valeurs républicaidroite d’ailleurs, a tout intérêt à faire évones. Mais lorsqu’il s’est agi de leur donner luer son discours et à ne plus considérer les des responsabilités, ils n’ont pas été consipopulations issues de l’immigration comdérés comme “aptes à gouverner”. A me un groupe à problèmes, mais plutôt l’épreuve des chiffres, la droite affiche une comme force de proposition. NUMÉRO 2 MARS 2007 FAYÇAL DOUHANE, directeur général adjoint de l’association des maires d’Ile-de-France, membre du conseil national du PS “Les partis politiques traditionnels n’ont pas été capables de nous défendre contre le danger frontiste” L’ancrage à gauche : J’ai commencé à militer en 1986 avec un engagement syndical lors des manifestations contre la loi Devaquet. J’ai ensuite milité à Grenoble dans le syndicat étudiant Unef-ID, avant de devenir responsable des jeunes socialistes de l’Isère, puis membre du bureau fédéral du PS. Je suis passé au conseil national lors du congrès du Mans en 2004. La gauche et les Maghrébins : La gauche n’a pas été à la hauteur de nos espoirs. Il a toujours fallu lutter pour avoir le droit d’exister. En politique comme ailleurs, il y a un plafond de verre qu’il faut briser. Le PS : J’ai défendu Laurent Fabius lors des élections primaires au PS. Il proposait un programme proche de mes convictions, notamment concernant la régularisation des sans-papiers et le droit de vote des immigrés. Le PS a instrumentalisé la question pendant près de vingt ans. A chaque élection, le projet était sorti puis remis dans les tiroirs. Le PS souhaite que, dans les six mois, un référendum constitutionnel soit proposé sur le droit de vote des immigrés. Je suis d’ailleurs certain que si on explique vraiment aux Français que ce vote leur per- LE COURRIER DE L’ATLAS 17 politique Les Maghrébins en politique : Selon moi, cette lutte a pris de l’importance en 2002. Certains s’abstenaient ou votaient blanc car ils ne se sentaient pas représentés par la classe politique. Lors de l’arrivée de JeanMarie Le Pen au second tour de la présidentielle, les Français issus de l’immigration se sont rendu compte qu’ils devaient prendre leur destin en main. Ils sont maintenant plus visibles car ils se battent en s’organisant, en créant des structures comme le Club Averroes, qui agit pour la diversité dans les médias. Il leur a également fallu se battre pour un meilleur partage du pouvoir. Les partis politiques traditionnels n’ont pas été capables de les défendre contre le danger frontiste. Il y a eu une prise de conscience forte et la volonté de défendre les valeurs de la République, bafouées par ceux qui étaient censés les représenter. Les liens avec mes origines : Je ne vais hélas pas aussi souvent au pays que je le souhaiterais, et je le regrette. Je participe à la cérémonie donnée par l’ambassade d’Algérie lors de la fête de l’indépendance. Je garde aussi un œil sur l’actualité du pays, notamment en lisant régulièrement le quotidien El Watan. Mais je suis d’abord et avant tout un internationaliste. 18 LE COURRIER DE L’ATLAS NAJAT VALLAUDBELKACEM, conseillère régionale socialiste en Rhône-Alpes, membre de l’équipe de campagne de Ségolène Royal “Je suis une Française comme une autre, je n’ai besoin ni d’être intégrée ni qu’on m’intègre” L’ancrage à gauche : Je suis née après les trente glorieuses et la guerre d’Algérie. Je n’ai pas connu le plein emploi ni la croissance, mais plutôt le chômage. Je suis de gauche parce que je crois aux valeurs de Jaurès : la solidarité nationale, la modernité des mœurs, la justice sociale et le progrès sans oublier ceux qui restent sur le bas-côté, à qui il faut permettre de revenir sur le devant de la scène. La gauche et les Maghrébins : L’erreur de la gauche a été qu’elle avait une forte propension à penser que les immigrés sont un électorat acquis. Elle a été simpliste dans ses raisonnements et n’a fait aucun effort pour les faire participer à la vie publique. De plus, le PS a considéré que la question des banlieues était liée au problème colonial, une sorte de continuation de la guerre d’Algérie sur le sol français. Une sorte de “mythe du bon sauvage” a longtemps perduré. Et je pense qu’il ne faut pas hésiter à critiquer ces dérives de la gauche. Avec le renouvellement des générations, des gens nouveaux apparaissent. Il me semble évident qu’il faut défendre le vote des immigrés. Ce n’est pas normal qu’ils ne puissent pas se prononcer dans les villes dans lesquelles ils vivent. Le PS : Gérard Collomb, député maire de Lyon, m’a été présenté. Il avait envie d’étoffer son équipe et m’a demandé de la rejoindre. C’est plus intelligent de chercher à améliorer les réalités de l’intérieur que de l’extérieur. Pour les prochaines élections législatives en 2008, j’ai obtenu l’investiture du PS dans la quatrième circonscription lyonnaise, traditionnellement détenue par la droite. En face de nous, se présentent Dominique Perben, candidat investi par l’UMP, mais aussi le député sortant Christian Philip, également UMP. J’ai une carte à jouer en cas de triangulaire. Sinon, je ne veux pas être négative : je suis jeune, j’ai 29 ans, j’ai le temps. Il faut intégrer un parti même si souvent on n’est pas accueilli avec des roses. Malgré tout, il faut le faire. On est dans une République qui fonctionne sur le bipartisme, qu’on le veuille ou pas. Les Maghrébins en politique : Ségolène Royal n’est pas tombée dans le piège du communautarisme. Elle n’a pas adressé de discours spécifiques à l’adresse de telle ou telle communauté. L’origine n’est pas un critère, il faut les prendre sur d’autres caractéristiques : l’accès à l’emploi, le niveau des salaires, etc. Promettre des choses à chacune des communautés n’a pas de sens. L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Par expérience, je sais que lorsqu’on est issu de l’immigration, qu’on a grandi en France, on aspire à être traité de façon égalitaire en se fondant dans la masse. Je suis une Française comme une autre, je n’ai NUMÉRO 2 MARS 2007 DR mettra de mieux vivre et de créer une cohésion nationale, ils se prononceront en faveur de cette loi. Les Français ne sont pas aussi conservateurs que les hommes politiques, même sur les questions liées aux populations immigrées ou aux femmes. On a constaté qu’il y avait une plus-value électorale comprise entre 2 et 3 % lorsqu’une personne issue de l’immigration se présentait à une élection. Au PS, les dirigeants ont décidé de geler vingt circonscriptions pour les personnes issues de l’immigration, ce qui a provoqué des querelles au sein du parti. Certaines personnes ont été parachutées alors qu’il y avait depuis plusieurs années des militants sur le terrain. Le PS a investi des candidats sans légitimité. En corollaire, certains candidats se sont présentés à titre personnel. Nous avions demandé que toutes les candidatures soient soumises aux votes des militants. C’est l’unique moyen d’asseoir la légitimité du candidat. politique “PROMETTRE DES CHOSES À CHACUNE DES COMMUNAUTÉS N’A PAS DE SENS. L’INTÉRÊT GÉNÉRAL N’EST PAS LA SOMME DES INTÉRÊTS PARTICULIERS.” DR besoin ni d’être intégrée ni qu’on m’intègre. La discrimination positive va dans le sens contraire. C’est du racisme puisqu’on discrimine une personne du fait de ses origines. Mais il est vrai que l’idéal des idées révolutionnaires de 1789 où les citoyens sont sans visage, où chacun est l’égal de l’autre, n’est justement qu’un idéal. Dans la réalité, il y a des différences qu’on ne peut pas ignorer. Il faut renforcer toutes les lois qui punissent la discrimination. On ne peut pas se permettre de faire de la discrimination positive une finalité. On est toujours l’étranger de quelqu’un, comment faire pour fixer des quotas par nationalité ? Il faut une volonté politique ferme comme cela a été le cas pour lutter contre les accidents de la route. Et ça a porté ses fruits. Mes liens avec mes origines : Je suis née au Maroc dans le Rif. Nous sommes en France depuis 1982, mais le pays me manque beaucoup. Je viens d’une région magnifique. J’ai hâte d’y retourner. D’ailleurs, j’y vais cet été. Je suis l’actualité du pays régulièrement. J’ai été ravie quand on a eu la Moudawana (réforme du code de la famille). On a l’impression que c’est un pays qui bouge, mais comme je viens d’une terre pauvre, force est de constater que beaucoup de jeunes cherchent à partir. Pour ma part, je n’exclus pas d’aller travailler au Maroc pendant quelques années, comme juriste. NUMÉRO 2 MARS 2007 Le PS et les Maghrébins : une vieille histoire d’amour contrariée Vincent Geisser, sociologue et politologue, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Irenam-CNRS) Le PS est le premier parti à avoir joué la carte de l’intégration des Maghrébins. Dans les années 1985-1990, les socialistes ont tenté de monter des groupes autour de l’identité maghrébine. Georges Morin, le monsieur Maghreb du PS, est à l’origine de la création du Groupe des trente, devenu France plus. Le but était de créer une instance d’encadrement et de formation des élites maghrébines dans lesquelles puiser de futurs responsables politiques. Il a également créé la Conférence nationale des élus socialistes d’origine maghrébine, la Cnesom, en 1990. Ce groupe réunissait des élus piedsnoirs issus du Maghreb, des élus sépharades de confession juive et de confession musulmane. Cette association n’a duré que cinq ans. Elle a capoté d’abord parce que le PS n’a pas donné suite à cette initiative et ne l’a pas soutenue. Ensuite parce que 80 % de ces élus sont retournés dans la vie civile à la fin de leur mandat. Le PS a toujours ce rapport ambigu avec les minorités, particulièrement arabo-musulmanes. Il y a un certain conservatisme de gauche. Le PS a longtemps instrumentalisé l’idée que “l’on est tous frères, quelle que soit l’origine”, mais… toujours sous la tutelle du parti. Ce comportement s’apparente au “complexe de l’instituteur ”. Même avec leurs expériences, leurs compétences, leurs parcours, les personnes issues de l’immigration sont souvent considérées comme des élèves, des “jeunes” qui ont besoin d’un encadrement. Le problème de la gauche n’est pas tant le racisme que l’esprit paternaliste. Les socialistes ont pensé que les populations issues de l’immigration étaient leur électorat et que c’était à eux, cadres du PS, de les former. Alors que ce sont des Français comme les autres. Par exemple, la direction du PS a imposé des candidats “de la diversité” dans certaines circonscriptions sans tenir compte de l’avis des fédérations et encore moins des militants qui réclamaient d’être considérés comme les autres, qu’on les laisse faire leur chemin sur le terrain qu’ils avaient déjà largement investi. Il y a un sentiment de blocage et de discrimination au sein même du parti qui privilégie “les serviteurs de leur maître” au détriment des personnes intelligentes et compétentes. La direction du PS, aveugle, préfère un Malek Boutih, qui n’exprime pas la pensée des gens issus de l’immigration et qui ne prend aucune initiative pour faire évoluer les mentalités. Il n’a aucun courage politique et reste médiocre dans ses interventions. Le combat à mener par les militants du PS est d’abord à l’intérieur de leur propre parti. A gauche, la promotion des “minorités” est réelle, mais la vision du monde qu’elles proposent n’est pas pleinement prise en compte. A chaque fois qu’une personne issue de l’immigration obtient un poste, l’idée flotte que c’est un cadeau qu’on lui fait. On oublie qu’elle était déjà dans la boîte à cadeaux. Elle est toujours un peu la pièce exotique du parti. Les Français issus de l’immigration restent largement fidèles à la gauche, toutes les études le prouvent. Le vote social domine sur le vote ethnique. Même si les nouvelles classes moyennes, les profs, les instituteurs, les cadres moyens, ont un discours très radical et critiquent ouvertement leur propre parti, rien ne prouve qu’elles votent massivement à droite. Ce vote, par dépit, reste minoritaire. On note une dispersion des voix dans les attitudes et les comportements électoraux. Malgré tout, il reste un vote social, même si parfois il s’apparente à un vote de fidélité à la mémoire parentale. L’équation “droite égal racisme, gauche égal symbole de tolérance” est fausse, le racisme dépasse le clivage droite-gauche. Cet électorat est dans la confusion. Aujourd’hui, aucun candidat ne le satisfait. Tous les partis confondus ont un problème d’appréhension de cette France-là. Bilan : la gauche accumule les contradictions sans donner de réponse aux questions qui concernent les minorités. Vincent Geisser et Aziz Zemouri, Marianne et Allah, les politiques français face à la question musulmane, à paraître en mars 2007. LE COURRIER DE L’ATLAS 19 politique ALIMA BOUMEDIÈNETHIERY, sénatrice de Paris, les Verts “Le combat écologique fondamental est un repositionnement du combat des riches contre les pauvres” L’ancrage à gauche : Je suis née à Argenteuil, dans l’un des derniers bidonvilles. Mon père faisait partie de ces Marocains qui avaient vécu en Algérie. Il est arrivé en France en 1938. Il est ensuite monté dans le Nord et dans l’Est car c’est là que résidait la communauté venant de l’Orient marocain et algérien. Nous y sommes restés trois ans, puis mon père a acheté une petite parcelle de terre. Il a construit une maisonnette. Pendant longtemps, nous y avons vécu sans eau ni électricité. Vous comprenez pourquoi mon engagement ne pouvait être qu’à gauche. Le combat pour l’égalité des droits se situe à gauche. C’est l’éternel combat des pauvres contre les riches. Le combat pour l’égalité des droits. La gauche et les Maghrébins : Mitterrand m’a beaucoup déçue sur des questions cruciales telles que le droit de vote des immigrés, l’engagement de la France dans la première guerre du Golfe et la Palestine. Je ne pouvais donc pas adhérer au Parti socialiste. À l’époque, les communistes n’étaient pas prêts à accepter la différence culturelle. Quant aux autres partis d’extrême gauche, leur refus de participer au pouvoir et de gouverner les cantonne à un rôle revendicatif. Les Verts : Ce petit parti a beaucoup de courage. Il se bat pour faire bouger les choses. 20 LE COURRIER DE L’ATLAS Maghrébins en politique : Chaque parti politique veut montrer qu’il a “son Arabe ou son Noir”. On recrute tout et n’importe qui. Chacun doit savoir faire ses propres choix et refuser de jouer les épouvantails. Il y a une grande part d’hypocrisie et d’instrumentalisation électorale. A droite comme à gauche, il n’y a pas de vraie réflexion sur l’immigration en termes humains. Les partis traditionnels, l’UMP et le PS, ont du mal à sortir de cette logique. Nicolas Sarkozy est un homme dangereux pour la société française. Son objectif est d’être élu et d’avoir le pouvoir. Tout ce qui peut servir son intérêt est bon à prendre. Ce n’est pas parce qu’on a nommé un sous-secrétaire ou un ministre délégué issu de l’immigration que l’on a résolu le problème. On ne leur a pas donné de portefeuille, pas de cabinet, pas de bureau, pas de budget de fonctionnement. On a fait d’eux des “singes” que l’on exhibe. Et lorsqu’ils s’expriment, on les fait taire. Le problème est que certains ont accepté de jouer le jeu. Ils n’ont pas eu le courage de claquer la porte ! C’est pour cela qu’on les a choisis : ils ne font pas de bruit et n’inquiètent personne. C’est le niveau zéro de la politique. Pour ma part, si je suis ministrable, je n’accepterai aucun ministère hormis l’Intérieur ou la Justice ! Mes liens avec mes origines : Je retourne souvent voir ma famille en Algérie et au Maroc. Mon père est enterré à Ouled Bali, à la frontière entre ces deux pays. Mon seul rêve serait de contribuer à réconcilier ces deux peuples frères. Laissons-les vivre en paix. A titre professionnel, je mets mon statut de parlementaire au service de la défense des droits de l’Homme, que ce soit en Algérie, en Tunisie, au Maroc, en Palestine, au Liban ou en Irak… Je vais en Algérie et au Maroc pour soutenir toutes les personnes qui en ont besoin. J’interviens en faveur des subAfricains parqués aux frontières de l’Europe, en Algérie ou au Maroc. J’interviens lorsque les droits des citoyens sont bafoués dans ces pays. J’interviens lorsque le pouvoir du président Ben Ali en Tunisie prend en otage les militants associatifs locaux. Les programmes sur l’immigration PARTI SOCIALISTE • Instaurer un visa permettant des allers-retours multiples sur plusieurs années, afin que les migrations s’adaptent aux besoins réels du marché du travail. • Rétablir la règle des dix ans comme critère de régularisation. • Régulariser les sans-papiers à partir de critères fondés sur la durée de présence en France, la scolarisation des enfants et la possession ou la promesse d’un contrat de travail. PARTI COMMUNISTE • Respect du droit d’asile. • Régularisation de tous les sanspapiers. • Suppression des zones d’attente et des zones de rétention. • Faciliter l’acquisition de la nationalité française : rétablissement du droit du sol dès la naissance, suppression des lois récentes sur l’immigration. • Droits de vote et d’éligibilité accordés à toutes les élections (après trois ans de résidence pour les élections locales, dix ans pour les élections nationales). LES VERTS • Régularisation des sans-papiers. • Droits de vote et d’éligibilité aux résidents étrangers pour toutes les élections. • Garantie du droit d’asile et élargissement aux persécutions liées au sexe et au genre. • Reconnaissance de la citoyenneté européenne de résidence. • Application du droit de vivre en famille. • Garantie de la liberté de circulation et de la sécurisation du séjour des étrangers en France. • Assurance de l’égalité des droits pour tous, hommes et femmes, français ou immigrés, dès l’instant où ils vivent en France. • Abrogation de la double peine. LCR • Régularisation de tous les sanspapiers, abrogation des lois “antiimmigrés” et droit au séjour fondé sur la liberté de circulation et d’installation. • Reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections pour tous les habitants du pays. DR Le combat des Verts n’est pas qu’écologique. Quand on est pauvre, la malbouffe, c’est pour nous ! Les mauvaises conditions sanitaires, c’est pour nous ! La pollution a plus de conséquences sur nous. Le combat écologique fondamental est un repositionnement du combat des riches contre les pauvres qui englobe le droit à l’environnement, à l’eau, à une vie saine. NUMÉRO 2 MARS 2007 politique libérée de son passé colonial. Mais je reste optimiste. Car, en France, il n’y a jamais eu d’acquis sans rapport de force. Là, on est dans une situation inédite. Il y a de plus en plus de gens inscrits sur les listes électorales. Aujourd’hui, ils ont le pouvoir de faire ou de défaire un maire ou un député. S’ils sont conseiller régional d’Ile-decapables d’avoir du poids, ils auront cette existence. France, groupe Ce n’est pas exact de dire qu’il y a de plus Communiste-Alternative en plus de Maghrébins sur la scène politique française. Mais il y a une certaine panicitoyenne-Républicain que dans la classe politique. Les politiques sont incapables de dire combien de personnes d’origine étrangère sont en position éligible. C’est un danger pour eux. Pour cela, ils ont placé des faire-valoir sans compétences, des pots de fleurs chargés de ramasser des voix. Si c’est pour faire de la décoration, ça suffit ! Il faut “une réoxygéLe PC : La campagne des dernières législanation du rapport au pouvoir” et que les tives en Seine-Saint-Denis a été riche en compétences soient au rendez-vous. Il y a expérience pour moi. La liste Alternative bien sûr toujours des traîtres qui servent la citoyenne que j’ai menée a rassemblé les soupe à ceux qui veulent que les Mohamcollectifs antilibéraux et le PC. Le PS, lui, med ou les Sidibé n’existent pas. Je suis n’a pas voulu faire partie de cette alliance. pour le rapport de force, pour une politique Notre liste a remporté les élections dans plus volontariste en faveur des “minorités” plusieurs villes. Malautant que pour les gré notre large vicfemmes. C’est na“JE N’AI JAMAIS ENTENDU toire, Jean-Paul Huvrant de voir que la chon, président France, patrie de la PARLER DE NICOLAS SARKOZY socialiste du conseil déclaration des COMME D’UN FRANÇAIS ISSU régional d’Ile-dedroits de l’HomDE L’IMMIGRATION HONGROISE.” me, se retrouve France, a refusé que je sois le numéro 2 aujourd’hui derdu Conseil général pour des raisons que je rière la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou trouve obscures. Le Parti communiste a fait encore la Belgique sur la question de la de gros efforts. Il a présenté de nombreuses prise en considération des minorités. personnes issues de l’immigration. C’est aussi pour cela que j’ai décidé de tendre la Les liens avec mes origines : Je suis né dans main à Marie-George Buffet. J’ai pour oble village de Timezrit, en Kabylie. Je contijectif d’essayer de faire prendre en compte nue à avoir un lien fort avec le pays, j’y recette question. tourne régulièrement et j’y étais encore ces derniers mois. J’ai été surpris par l’accueil La gauche et les Maghrébins : Aujourd’hui, qui m’a été fait à l’aéroport d’Alger et en il y a une maturité politique et une exigence Kabylie. Les gens regardent les télévisions d’existence de la part des Français issus de françaises via le satellite et sont informés de l’immigration. Ils en ont assez d’avoir “les la vie politique. J’ai ressenti leur fierté de places d’aveugles” dans les instances natiovoir l’un des leurs faire son chemin sur la nales, les médias, les grandes entreprises… scène politique française. Et malgré les On accepte cette France dans le show-busicoups que l’on me porte, je puise ma force ness et dans le sport, mais pas dans les dans les manifestations de sympathie des lieux de pouvoir, les instances politiques. La gens de la rue, que ce soit à Alger ou à vraie question est que la France ne s’est pas Aubervilliers. MOULOUD AOUNIT, “Je suis pour le rapport de force, pour une politique plus volontariste en faveur des minorités autant qu’en faveur des femmes” DR L’ancrage à gauche : Militant des droits de l’Homme et pour la paix entre les peuples depuis plus de vingt ans, je crois aux valeurs de la République portées par la gauche : la solidarité, la justice sociale et l’égalité des droits. La gauche face aux Maghrébins : La France a reproduit une certaine “immigritude”. Je suis outré quand je constate que les hommes politiques qui parlent de “Français issus de l’immigration” parlent uniquement des Africains. Je n’ai jamais entendu ces mêmes personnes parler de Nicolas Sarkozy comme d’un Français issu de l’immigration hongroise. Même au bout de quatre générations, on est encore qualifiés par nos origines et pas considérés comme des Français à part entière. Ce type de message participe à la perpétuation de “l’immigritude”. C’est révélateur de l’état de cette société. Si un mot doit être enterré, c’est bien celui d’intégration. Comme s’il y avait des enfants de la République légitimes et d’autres illégitimes. Ils ont raison de dire que la gauche les a trahis. Le FN a avancé parce que la gauche a régressé sur la question du droit de vote des étrangers, de la double peine, etc. Sur le combat pour éradiquer la discrimination, ils n’ont rien fait ! Mais au sein de la gauche, il y a des gens qui ne capitulent pas devant le frein, le plafond de verre, qui peut se dresser devant eux. NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 21 politique du moment où ces initiatives ont pris de l’ampleur, le PS ne nous a pas soutenus. Ils ont eu peur de perdre le contrôle. de Toulouse, groupe Motivé-e-s “Même si brûler une voiture n’est pas un acte politique, il faut en avoir une lecture qui, pour le coup, est politique” L’ancrage à gauche : Mon engagement a démarré dans les années 80 avec les mouvements pour l’égalité, dans la mouvance des marches des beurs. A l’époque, nous avions lancé une association de quartier avec comme moyen d’intervention l’action culturelle. La préoccupation citoyenne était permanente. On était politisés dans nos propos, nos actions et nos interventions. En 1995, nous avons décidé d’arrêter l’action associative car on estimait en avoir atteint les limites. Le constat était simple : malgré la légitimité, il y avait un problème d’écoute de la part des élus et des organisations politiques. Les valeurs que nous défendons sont celles de l’égalité des droits civiques, sociaux, etc. Aujourd’hui, il y a, de fait, un système insidieux qui génère des inégalités. En plus de subir des inégalités de classes, on subit des inégalités de “race”. Un lien s’est créé entre les questions sociales et les questions identitaires. La gauche et les Maghrébins : Il ne faut pas confondre la gauche institutionnelle et les idées de gauche. La gauche a commis l’erreur de croire que toutes les personnes d’origine étrangère étaient de gauche et n’a fait aucun effort envers ces populations. La campagne du Parti socialiste pour le moment n’est pas vraiment à gauche. Même si les adhérents et les militants socialistes sont sincères, ce parti a renoncé à certains combats sociaux, à traiter des questions importantes comme l’immigration, le vote des immigrés ou le respect des initiatives politiques. Quant à ceux qui se sont tournés 22 LE COURRIER DE L’ATLAS vers la droite, il ne faut pas croire que tous sont des déçus de la gauche. Beaucoup adhèrent aux idées réactionnaires de la droite comme le refus du mariage homosexuel ou la suppression de certains acquis sociaux. Mes liens avec mes origines : Je ne me sens Mais se réfugier derrière une certaine dépas déraciné, je me sens très attaché à mes ception de la gauche pour voter à droite est origines algériennes. Je suis né en France une erreur. Celle-ci n’a pas les bonnes réet ma famille vient de Kabylie, j’y vais réguponses. Par exemple, la question de la dislièrement. Enfants, nos parents nous y crimination ne concerne que quelques diamenaient souvent. plômés qui pourront Je continue à aller y sauver leur tête. “À TOULOUSE, NOUS AVONS voir ma famille. Je Mais pour “sauver” PRIS L’INITIATIVE EN NOUS ne suis engagé ni beaucoup plus de ENGAGEANT POLITIQUEMENT. professionnelletêtes, il faut de réels ment ni politiqueprogrès sociaux, sur LES FRANÇAIS ISSUS DE ment là-bas, mais l’éducation, les serL’IMMIGRATION ONT UNE je continue à suivre vices publics ou VOLONTÉ ACCRUE D’INTERVENIR assidûment l’actual’habitat. Sur la SUR LES SUJETS QUI LES lité du pays. Mes question de l’immisentiments sont gration, on ne peut CONCERNENT.QUAND ÇA A PRIS partagés sur son pas être dans un DE L’AMPLEUR, LE PS NE NOUS évolution. J’ai de système où le derA PAS SOUTENUS. ILS ONT EU vraies inquiétudes nier arrivé ferme la PEUR DE PERDRE LE CONTRÔLE.” par rapport aux porte derrière lui. questions sociales, Dans l’état où est le aux écarts de richesse entre les habitants. monde, l’Afrique, rien n’empêchera des jeuC’est un pays riche qui a beaucoup de nes de risquer leur vie dans le détroit de moyens, mais il y a encore trop de pauGibraltar. Je suis sur le terrain. Les inquiévreté. Depuis quelques années, les gens tudes des gens au quotidien font que Nicocommencent à revivre. Il y a des problèmes las Sarkozy est leur oreille. d’argent, de chômage, mais aussi un petit bol d’air qui donne envie d’être optimiste. Les Motivé-e-s : A Toulouse, nous avons pris Le pays a des ressources, aussi bien natul’initiative en nous engageant politiquerelles qu’humaines, des gens formés et ment sur la liste des motivé-e-s. Nous avons volontaires. Il faut faire attention à ne pas réussi à lever les scepticismes en travaillant tout gâcher. ■ à améliorer les conditions de vie. A partir NUMÉRO 2 MARS 2007 DR SALAH AMOKRANE, conseiller municipal Les Maghrébins en politique : Les Français issus de l’immigration ont une volonté accrue d’intervenir sur les sujets qui les concernent. Il y a une réelle prise de conscience générale, une volonté de se prendre en charge. Il y a un mouvement de fond qui pousse de plus en plus de gens à s’intéresser aux questions politiques. Il y a une multiplication des initiatives en politique. Les événements dans les banlieues en ont été le révélateur. Même si brûler une voiture n’est pas un acte politique, il faut savoir en faire une lecture qui, pour le coup, est politique. Les gens ont adressé un message aux hommes politiques. La question du racisme d’Etat, de la discrimination est au cœur de ce qui s’est passé. www.lecourrierdelatlas.com ACTUALITÉS - AU MAGHREB - CULTURE Les dernières informations sur l’actualité politique, économique, sociale et culturelle en France et au Maghreb Blogs, Chats, Forums, le nouveau portail interactif de la communauté maghrébine en France www.lecourrierdelatlas.com économie Tata, l’alu jusqu’au cou Les Indiens lancent une offensive sévère sur le secteur de l’aluminium. Tata Steel, le conglomérat dirigé par le charismatique Ratan Tata, a racheté, pour la coquette somme de 10,6 milliards d’euros, l’aciériste anglo-néerlandais Corus, faisant trembler le marché boursier de Bombay. En effet, cette opération constitue la plus grosse transaction réalisée à l’étranger par une société indienne. Les 4,7 milliards d’euros déboursés par le nu- méro un des producteurs d’aluminium indiens, Hindalco, pour le rachat de l’américain Novelis, numéro un des produits laminés en aluminium, paraissent presque anecdotiques. Dans cette lignée, le fabricant d’éoliennes indiennes Suzlon Energy vient de se positionner sur l’OPA lancée sur le groupe allemand Repower Systems, offrant un milliard d’euros et coiffant ainsi au poteau l’offre d’Areva. A qui le tour ? femip Transferts financiers des migrants en débat A Une mission d’hommes d’affaires tunisiens se rendra à Istanbul du 20 au 25 mars pour la 4e édition de la Foire internationale des matériaux et des technologies des bâtiments, organisée par les chambres de commerce et d’industrie des deux pays. L’opportunité pour les entreprises de Tunisie et de Turquie d’établir des relations commerciales et des partenariats dans les domaines du bâtiment et des secteurs annexes. près Monaco, Paris accueillera les 22 et 23 mars la 2e Conférence Femip sur le thème : Transferts financiers des migrants dans l’espace euro-mediterranéen, un levier pour le développement. À l’initiative de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la Fédération bancaire européenne, tous les décideurs des secteurs bancaire et financier, les autorités de supervision, les experts et des représentants des communautés de migrants se réuniront avec des ministres des Finances des 35 pays du Partenariat de Barcelone. Le volume des transferts et leur coût élevé feront enfin l’objet d’une remise à plat. D’après le dernier rapport de la Femip, près de 8 milliards d’euros sont transférés chaque année et près de 15 si on compte les transferts informels. Pour plus d’infos, http://eib.org/femip immobilier Lulu à Marrakech Investissement intelligent en Mauritanie Le groupe Lucien Barrière, spécialiste du luxe et propriétaire d’hôtels et casinos dans le monde, va pouvoir installer un complexe au cœur de la Médina. Au programme, un domaine de 22 000 m2 composé d’un hôtel décoré par Pascal Desprez, d’un restaurant Fouquet’s, d’une piscine avec restaurant, d’un bar lounge, d’un spa de 1000 m2, d’un kid’s club et de trente ryads de prestige. Amis du faste, il faudra attendre 2008 avant d’y programmer vos vacances. La Mauritanie et la Commission européenne ont inauguré un ensemble d’ouvrages d’un montant de 3,5 millions d’euros à Chinguitti. A 600 km de Nouakchott, cette ville est classée Patrimoine mondial de l’Unesco. Ce projet comporte des ouvrages sportifs, des équipements pour les coopératives de femmes, des infrastructures routières et quinze bibliothèques pour accueillir des milliers de manuscrits inédits. 24 LE COURRIER DE L’ATLAS Maghreb United of patrons F aute d’accord entre les chefs d’Etat des pays du Maghreb, les chefs d’entreprise prennent les devants en créant l’Union maghrébine des entrepreneurs. Elle regroupera les organisations patronales de l’Algérie, de Libye, du Maroc, de Mauritanie et de Tunisie. Les entraves au bon fonctionnement des échanges dans cette zone sont légion : tarifs douaniers élevés, services “inefficaces et inexploités”, environnement des affaires contraignant, manque de contrôle et de certification, etc. “Il n’est pas normal qu’on signe des accords avec l’Union européenne alors qu’entre nous, pour exporter des tomates marocaines en Algérie, nous sommes obligés de passer par Marseille, et que la Tunisie doit passer par l’Egypte pour exporter ses produits en Libye”, a déclaré un homme d’affaires marocain dans le Figaro du 16 février. Ces “bonnes volontés” se donnent trois ans pour “lever les obstacles”. Premier signe positif : la création de la Banque maghrébine d’investissement et du commerce extérieur (BMICE). Les pays membres de l’Union du Maghreb arabe ont pour cela posé sur la table 150 millions de dollars pour financer des projets mixtes agricoles et industriels. Crédits photo Business TunisieTurquie en vue NUMÉRO 2 MARS 2007 économie Maroc Un code de bonne conduite pour les entreprises Crédits photo B ientôt un code de bonne pratique de gouvernance d’entreprise au Maroc. Ce thème a été longuement débattu le mois dernier par Rachid Talbi El Alami, ministre des Affaires économiques et générales, et Mohamed Chaibi, vice-président de la Confédération patronale. A la commission chargée de l’élaboration de ce code, siègent, entre autres, la CGEM (patronat marocain), le Centre des jeunes dirigeants (CJD), Bank Al Maghrib, le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM), la Bourse de Casablanca, l’Agence nationale des PME-PMI, ainsi que les ministères des Finances, de la Justice et des Affaires économiques et générales. L’élaboration d’un code de bonne conduite constitue désormais une priorité. La cellule de pilotage créée pour l’occasion compte associer d’autres parties prenantes de l’entreprise. Le Maroc dispose déjà d’un arsenal important de textes juridiques relatifs à l’environnement économique et financier. La plupart de ces textes incluent des dispositions liées à la gouvernance d’entreprise : les lois sur les sociétés, sur la Bourse, le Code de commerce, la loi relative aux offres publiques, la nouvelle loi bancaire, le Code du travail et le Code des impôts... L’élaboration d’un code national de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise constituera un complément à à la réglementation marocaines. La mise en place de ce code devrait promouvoir la confiance et la transparence des marchés, définir clairement les responsabilités liées aux diverses fonctions de l’entreprise, développer les flux d’investissement, favoriser le dialogue entreprise-Etat et contribuer à la lutte contre la corruption, tout en limitant le secteur informel et en redynamisant le secteur privé. NUMÉRO 2 MARS 2007 Le Souss marocain mise sur l’arganier U n programme de préservation et de gestion durable des arganeraies a été lancé dans la région du Souss, dans le Sud marocain, à l’initiative de l’Agence de développement, de l’Unité de gestion du projet arganier et de la direction des eaux et forêts du Sud-Ouest. Le contrat prévoit la plantation de plus de 40 000 plants sur 200 hectares. Le coût total étalé sur cinq ans sera de 45 millions de DH. Pour cette région aride et à la géographie accidentée, l’arganier, arbre exclusivement planté au Maroc, est une richesse longtemps ignorée. Il aura fallu attendre les années 1990 pour que la production se structure, notamment à travers les coopératives de femmes. Ticket électronique pour Air Algérie… en 2008 La nouvelle cotation pour l’emprunt obligatoire d’Air Algérie lancée le 12 février est un “réel succès”, d’après Makhloufi Rahni, directeur général de la Bourse d’Alger. Tayeb Benouis, PDG de la compagnie, précise qu’Air Algérie vise son extension à l’international avec la ligne Alger-Montréal dès juin 2007 et qu’un nouveau système de fidélisation de la clientèle, Air Algérie Plus, verra le jour. Quant au projet de e-ticketing, il déclare : “Nous nous attelons à le mettre en place avant le 31 décembre 2007.” Aujourd’hui, les producteurs ont été labellisés par des marques spécialisées dans le commerce équitable. L’huile d’argan est utilisée pour ses vertus nutritives. Elle soigne aussi certaines maladies de peau et fait fureur dans les enseignes bio qui prolifèrent dans les pays d’Europe occidentale. Sciences Po Paris à la pointe de la diversité A compter du 22 mars, entrepreneurs et organisations publiques pourront venir se former sur les questions de diversité et de management culturel dans le prestigieux Institut d’études politiques. L’intérêt tardif, mais croissant, pour ces problématiques pousse l’Institut, pionnier dans le domaine, à ouvrir le débat le 8 mars en organisant une table ronde consacrée aux propositions des partis en matière “d’intégration”. Politiciens, chercheurs, experts, journalistes répondront à la question : “Qu’est-ce qu’être Français ?”, posée par les initiateurs de cette conférence, le Club XXIe siècle. Algérie : surprofits des pétroliers étrangers taxés L a surtaxe appliquée aux surprofits des compagnies pétrolières en Algérie devrait rapporter un milliard de dollars pour l’année 2007, selon les estimations du ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil. Alors que la loi sur les hydrocarbures, votée en octobre dernier, prévoyait d’appliquer une surtaxe de 5 % minimum et de 50 % maximum à partir du mois d’août 2006, un amendement a été apporté, ramenant son application à mars 2006. Les recettes de cette taxe recueillie par la Sonatrach, société publique d’hydrocarbure et accessoirement agent fiscal, augmenteraient ainsi de 45 %. M. Khelil a en outre démenti l’existence d’un litige entre la compagnie américaine Anadarko et la Sonatrach à propos du paiement de cette surtaxe. Il a par ailleurs souligné que “le régime fiscal algérien est attractif et compétitif par rapport à celui d’autres pays”. Pourtant, le 5 février dernier, la direction de la société américaine avait envoyé un communiqué à ses actionnaires, faisant état d’un litige sur les modalités de calcul de cette surtaxe et avait provisionné 100 millions de dollars pour faire face à ce risque. ■ LE COURRIER DE L’ATLAS 25 Alger paraît jeune, moderne. C’est une vitrine. Fragile, comme le pétrole est volatil. Objectif : l’après-pétrole M. Colin/hemis.fr affaires L’économie de marché pointe son nez en Algérie. En témoignent les professionnels qui se pressent aux forums, les salons, les réunions d’entrepreneurs, de ministres... pour attirer les investisseurs du monde entier. Les potentialités du pays sont immenses et les opportunités se concrétisent… parfois. Mais l’économie algérienne saura-t-elle profiter de la rente pétrolière pour se développer et se diversifier ? Un véritable défi. par Nadia Lamarkbi 26 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 économie E n perspective pour ces prochaines années : l’entrée de l’Algérie comme acteur respectueux des règles du jeu sur le marché mondial. L’accord d’association avec l’Union européenne, en vigueur depuis le 1er septembre 2005, et la finalisation des négociations relatives à l’adhésion prochaine du pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) obligent le pays à donner un coup d’accélérateur à la privatisation de secteurs jusque-là détenus par l’Etat. Alors même que les indicateurs économiques sortent progressivement du rouge. Le pays connaît en effet une baisse continue du taux de chômage qui est passé, selon l’Office national des statistiques, de 29,5 % en 2000 à 15,3 % en 2005. Même si le taux de le cadre d’un Plan de consolidation de la croissance sur cinq ans (2005-2009) devrait soutenir l’activité du secteur non pétrolier”. Mais ces améliorations restent fortement liées aux plus-values tirées de la flambée des prix du pétrole. Les recettes pétrolières atteignaient en effet 12,7 % du PIB en 2005, selon les estimations du FMI. Les exportations pétrolières ont rapporté plus de 50 milliards de dollars en 2006, soit plus de 98 % du volume global des exportations. Cette manne a permis le remboursement par anticipation des 850 millions de dollars dus aux banques privées du Club de Londres et de la quasitotalité des dettes bilatérales vis-à-vis des pays membres du Club de Paris (6,7 milliards de dollars). Conséquence, le président Bouteflika a lancé une nouvelle straCHÔMAGE EN BAISSE, CROISSANCE EN HAUSSE... tégie : la réinjecMAIS TANT QUE L’ÉCONOMIE DEMEURERA BASÉE tion des recettes SUR LE PÉTROLE, L’AVENIR RESTERA INCERTAIN. pétrolières pour soutenir l’investissement et permettre à plusieurs secteurs chômage des moins de 30 ans reste excepimportants de bénéficier de cette rente. C’est tionnellement élevé : 73 % en 2004 et 75 % le cas de l’industrie, des télécoms, mais en 2005. Le taux de croissance, lui, est passé aussi du secteur bancaire via les “subvende 2,1 % en 2001 à 5,3 % en 2005 et devrait tions d’exploitation” accordées aux établissese situer autour de 5 % en 2006 d’après le ments de crédits. Fonds monétaire international (FMI). Enfin, Que fera le pays en cas de forte baisse du depuis 2000, le taux d’inflation reste sous la prix du pétrole ? Ne serait-il pas temps de barre des 5 %. repenser la stratégie globale de développeSelon la Coface, l’organisme privé de garanment et de miser sur les secteurs à forte vatie, incontournable pour les investisseurs leur ajoutée comme les nouvelles technolofrançais, l’économie algérienne connaîtrait gies, la recherche et développement et les pour 2007 “une bonne orientation compte tenu services qui, eux, seront à même de sortir le des perspectives favorables du marché pétrolier. pays de la dépendance pétrolière ? L’accélération des investissements publics dans LES TÉLÉCOMS L’EXPLOSION D’UN MARCHÉ À RÉGULER Depuis 2004 et l’octroi de la deuxième licence privée de téléphonie mobile, le secteur connaît une expansion sans précédent. Le nombre d’abonnés aux lignes fixes, encore propriété de l’entreprise publique Algérie Télécom, dépasse à peine les 3 millions, alors que les Algériens détenteurs d’une ligne de téléphone mobile sont plus de 7 millions. Djezzy, propriété de la holding égyptienne Orascom Telecom, détient le quasi-monopole sur le secteur avec plus de 80 % des parts de marché. Le réseau de sa filiale algérienne, OTA, compte environ 5 millions de clients, dont 90 % ont souscrit des formules dites prépayées. Mobilis, filiale d’Algérie Télécom, et le koweïtien SERVICES DR DES BANQUES NEW LOOK Avec une valeur ajoutée en progression de plus de 60 % en cinq ans, les services bancaires vivent des transformations menées au pas de charge. La modernisation du système de paiement bancaire votée en 2006 et la privatisation du Crédit populaire d’Algérie prévue en 2007 sont les pierres angulaires des réformes du secteur. Même si le système de carte bancaire reste rudimentaire et que la mise en place des distributeurs de billets automatiques a pris du retard, le traitement électronique des opérations bancaires et le développement de la monétique commencent à porter leurs fruits. Des distributeurs de change devraient être installés dès le premier semestre 2007. Mais les habitudes ont la vie dure. Dans ce pays en plein essor, 80,8 % des importations en 2005 ont été financées en espèces et seules 10 à 15 % des transactions ont été exécutées par virement. Le projet de modernisation de la Bourse d’Alger est en cours d’étude. Les scandales des banques publiques et privées, dont celui de la Khalifa Bank, ont poussé les autorités de régulation à adopter une batterie de mesures réglementaires et à renforcer les outils de contrôle. La mise en place de deux organismes, l’Algeria Real Time Settlement (ARTS) et l’Algérie télécompensation interbancaire, devrait permettre une meilleure traçabilité des opérations bancaires, et réduire ainsi les risques de détournement de fonds. Un pas significatif, même si les premiers résultats ne seront réellement visibles que dans quelques années. NUMÉRO 2 MARS 2007 Djezzy détient 80% du marché des télécoms. Wataniya se partagent difficilement le reste. Algérie Télécom projette toutefois d’investir près de 2,5 milliards de dollars d’ici 2010. Pour réguler ce marché et veiller à la transparence de la concurrence, l’Autorité de régulation de la Poste et des télécommunications (ARPT) a vu le jour. Les opportunités du marché sont nombreuses et les services associés comme les centres d’appels, la téléphonie via Internet (IP), les SMS offrent un large éventail de possibilités aux opérateurs. Signe des temps, un annuaire téléphonique sera enfin disponible en juin prochain. Il couvrira les régions d’Alger, Blida, Bouira, Boumerdès, Tipaza et Tizi Ouzou. LE COURRIER DE L’ATLAS 27 économie INDUSTRIE DES PERSPECTIVES À CONDITION D’INVESTIR Dominé à hauteur de 80 % par les entreprises publiques, l’industrie s’ouvre de plus en plus au privé. C’est le cas de l’agroalimentaire, de la chimie, pharmacie et pétrochimie. Le gouvernement affiche sa volonté de libéraliser et d’encourager l’investissement, avec, notamment, une fiscalité plus attractive. Le pays possède le plus important parc automobile du Maghreb : plus de trois millions de véhicules dont 80 % ont plus de dix ans d’âge. Dans la perspective d’un renouvellement nécessaire, les autorités ont interdit en 2005 l’importation de véhicules d’occasion et rendu obligatoires les contrôles techniques. De plus, l’accès au crédit automobile, autorisé depuis 2001, favorise l’acquisition de véhicules neufs. Toutefois, ce secteur est essentiellement un marché de distribution car seuls certains poids lourds et équipements sont produits localement. Les véhicules sont distribués par des firmes étrangères. Historiquement, Renault et Peugeot se taillaient la part du lion, mais les constructeurs asiatiques ont compris avant les autres les potentialités du marché. En 2005, pour la première fois, les français ont perdu leur leadership et le coréen Hyundai a pris la pole position, suivi par Toyota. Les géants de l’hôtellerie s’apprêtent à investir. Pour leur plus grand profit, pas forcément pour celui du pays. TOURISME UN NOUVEAU CRÉNEAU Signe encourageant lié à l’amélioration du climat général et au retour remarqué du pays sur la scène internationale , le tourisme commence à faire l’objet de l’intérêt des autorités. Il était temps car, chaque année, alors qu’un million et demi de personnes, dont 30 % de non-Algériens, visitent le pays, les infrastructures d’accueil, trois fois moins importantes que chez leurs voisins marocains et tunisiens, ne sont pas à la hauteur. Quatre-vingts pour cent des hôtels ne répondent pas aux normes internationa- les, la qualité du service est discutable et certains sites sont complètement laissés à l’abandon. Mais l’essor du tourisme dans le sud du pays, le retour de compagnies aériennes internationales (Air France, Aigle Azur, British Airways, Alitalia, Lufthansa, Qatar Airways…), l’ouverture d’un nouvel aéroport international à Alger en 2006 et les projets d’investissements annoncés par les géants du secteur de l’hôtellerie sont des signes forts d’un décollage prochain de cette activité. ■ Abdelkader Sid Ahmed*, économiste, spécialiste des économies des pays méditerranéens, professeur à l’université de Paris I. Le Courrier de l’Atlas : Quelle est la situation économique actuelle du pays ? Abdelkader Sid Ahmed : L’algérie marche à reculons vers le libéralisme. L’économie du pays reste une “économie de rente” liée aux hydrocarbures. Le niveau du prix du pétrole détermine beaucoup de choses et fixe le sens des politiques à mener. La rente inverse les hiérarchies. Mais est-ce que les réformes menées rentrent dans une stratégie globale de l’etat ? est-ce que le gouvernement tirera des enseignements du passé ? est-ce que le pays pourra créer une économie hors hydrocarbure ? Pour l’instant, cela semble peu probable. Peut-on parler d’un retour de l’algérie sur la scène internationale ? Oui et non. Oui parce qu’il y a des éléments 28 LE COURRIER DE L’ATLAS irréversibles qui font qu’on ne pourra pas revenir à la situation antérieure. Non parce que la croissance est fragile. elle provient principalement des termes de l’échange, c’est-à-dire la hausse du prix du pétrole. Or, si ce prix baisse, que se passera-t-il ? il n’y a pas d’industrie dynamique. L’enseignement et la recherche sont dans un état lamentable, les secteurs innovateurs sont quasi inexistants. Le problème majeur est que les ressorts de long terme d’une croissance durable non liée à un produit volatil et épuisable comme le pétrole ne sont pas en place. Les avancées actuelles sont dues à des interventions extérieures, à des investissements étrangers. Dans le meilleur des cas, l’économie tendra vers l’exemple saoudien. il y a également un problème de nature de l’etat, du sens réel de la démocratie. Y a-t-il une volonté de mettre en place des mécanismes qui assoient la croissance ? Ce n’est pas sûr. Pensez-vous que les négociations pour l’adhésion de l’algérie à l’OMC vont aboutir ? Tout dépend des sacrifices que consentira le gouvernement. Cependant, comme les décideurs finaux sont les etats-Unis et qu’alger entretient de très bonnes relations avec Washington, il y a de bonnes chances pour que ces négociations aboutissent. L’algérie a des atouts. etes-vous optimiste quant à la sortie de l’économie de rente ? Je ne suis pas très optimiste à court terme parce que les facteurs de blocage sont énormes. Les seuls à savoir gérer la rente pétrolière sont les pays développés, comme les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne. Ou encore des pays comme le Mexique, qui s’en sort parce qu’il a su exploiter la présence des élites espagnoles. Plus généralement, je suis pessimiste sur le monde arabe, dont les économies sont largement caractérisées par les rentes de l’immigration ou les rentes minières. Propos recueillis par N. L. * abdelkader sid ahmed : Le développement asiatique : quels enseignements pour les économies arabes ? eléments de stratégie de développement : le cas de l’algérie. ed. Publisud/isprom. www.publisud.fr NUMÉRO 2 MARS 2007 J. du Boisberranger/hemis.fr “Une croissance liée au pétrole ne peut pas être durable” décryptage Bombardements de Beyrouth Sud par l’armée israélienne, juillet 2006. MOYEN ORIENT Deux ans après la mort de Rafic Hariri, le 14 février 2005, le Liban peine toujours à retrouver le chemin de la paix. Face à la dure réalité des conflits dans cette région, les intellectuels nous livrent une vision plus optimiste que les images qui saturent nos écrans. En abordant leurs œuvres, films, écrits ou musiques, six personnalités se sont livrées, le temps d’un instant, en nous offrant ainsi et sans le savoir une leçon de courage et d’espoir, sous la forme d’une ode au Pays du Cèdre. par Valérie Defournier 30 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Eyup Coskun/Abaca un espoir nommé culture décryptage TOUFIC FARROUKH, MUSICIEN LA PUDEUR La pudeur est le sentiment qui ressort le plus souvent des conversations avec les artistes libanais. Domiciliés en France ou là-bas, ces hommes et ces femmes sont d’éternels amoureux de leur terre, marquée par sa triste réalité. Aucun d’entre eux ne souhaite s’aventurer à polémiquer sur la vie politique du Liban ; ils préfèrent se concentrer sur leur art. La magie s’opère alors dans le récit de leurs créations. En filigrane, une réalité douloureuse. Ce voyage dans la culture libanaise commence avec Toufic Farroukh, jazzman et auteur de Tootya (1), un périple qui allie avec habileté jazz et musique orientale. Le musicien libanais commence le saxophone à 10 ans en autodidacte. Il sera le premier saxophoniste libanais. A 22 ans, il pose ses valises à Paris où il fait des études au conservatoire. Le déclic viendra plus tard, par des rencontres et le retour au pays “pour trouver mon côté perso” et pour y côtoyer “les meilleurs musiciens pour jouer cette musique plus traditionnelle”. Le pont entre “ici et là-bas” est ainsi fait. Depuis, le musicien s’est imposé sur la scène jazz et ose le mélange. Entre jazz, tradition et musique électronique, n’en déplaise aux puristes. Toufic Farroukh ne veut pas faire partie de ceux qui s’inspirent du vécu ou de l’origine pour faire de la musique. Ce n’est pas faute de n’avoir “rien senti”, mais parce qu’il “a fait le vide”. Pour lui, “l’autre importe dans le choix des titres”. Face à son histoire personnelle, le jazzman préfère offrir un disque dans lequel il “pose des questions aux autres”. Il ne tient pas à faire des derniers événements tragiques, un “fonds de commerce”. Aujourd’hui, on parle de “la dernière guerre, de ce que dit le Hezbollah, de la division dans le projet politique libanais, et la culture passe au cinquième plan !”, regrette-t-il. Il s’insurge contre l’oubli de la culture. Le musicien est à mille lieues des prises de position politiques, non pas par égoïsme, mais par altruisme. Parce qu’après tout, sa musique “reflète” sa pensée. Les notes suffisent aux mots. Avec un brin d’amertume dans le regard, il constate le retour en arrière : “C’est du replay, il y a d’autres alliances, des ennemis d’antan qui sont des alliés, et ainsi de suite.” Si en 1982, pendant le siège à Beyrouth, il se disait “prêt à combattre”, la conjoncture actuelle lui semble “plus compliquée et plus sale”. Les choses sont claires, il n’a “ni envie d’écrire, ni de faire un disque sur la situation au Liban”. Le Beyrouth de Toufic est “une ville exceptionnelle, inégale, tantôt Soweto tantôt Las Vegas… mais qui marche”. Bien qu’il ne veuille pas parler du Liban dans ses compositions, son amour s’impose inéluctablement entre chaque souffle de saxophone et entre chaque vibration du oud. (1) Tootya : Toufic Farroukh, chez O + Music, mars 2007 ZEINA TOUTOUNJI-GAUVARD, ATTACHÉE DE PRESSE ARTISTIQUE L’OPTIMISME DR Parmi les écrivains, les cinéastes ou les musiciens, il y a aussi ceux qui cherchent à promouvoir les talents de leur pays. C’est le cas de Zeina Toutounji-Gauvard, atta- NUMÉRO 2 MARS 2007 chée de presse. Elle aussi est “viscéralement attachée” à son pays. Elevée dans une famille où la culture primait, la situation de sa terre natale l’a forcée à s’exiler en France. Elle n’a “jamais vraiment quitté le Liban” et le “bleu de sa mer”. Son pays lui a petit à petit enlevé les membres de sa famille. Il a fallu “construire, en acceptant de vivre sur un fil, comme une forme de vie avec les bombes”, et vivre “à l’excès” les bons moments. Elle aurait pu faire de la politique tant elle aime “défendre la scène libanaise” et aurait voulu “vivre bien” dans son propre pays. Mais elle a décidé de mettre tout son espoir dans la diffusion des arts puisque “défendre les créateurs, c’est la meilleure façon d’aider le Liban, pour que perdure cette énergie créatrice, ce bouillonnement”. Si les plaies du Liban restent ouvertes, les gens de la culture libanaise, humanistes dans l’âme et habités par la pudeur, la peur et la quête identitaire, restent de formidables vecteurs d’espoir et d’optimisme. Ils incarnent cette flamme dans le “black out” de la guerre. Le Liban invité d’honneur du festival Paris-Cinéma 2007 Dans le cadre du festival Paris-Cinéma, la ville de Paris accueillera du 4 au 14 juillet 2007 la cinématographie libanaise. L’actrice Charlotte Rampling présidera cet événement. LE COURRIER DE L’ATLAS 31 décryptage LA LÉGÈRETÉ Dans cette lignée, Philippe Aractingi, auteur de Bosta, sorti le 26 février dans les salles, a voulu faire de son film “un moyen de voyager à travers le Liban, en expliquant les identités libanaises”. Le but : insister sur ce qui “rassemble dans le sens positif” les peuples libanais. Le film, qui a déjà séduit cent quarante mille personnes au Liban, narre les aventures d’une troupe de danse traditionnelle, la dabké. Pour leur tournée, ils voyagent en bosta, un car scolaire. Riche en symbolique, Bosta est avant tout “le symbole d’une blessure commune”. Et pour cause, la guerre du Liban a commencé en 1975 par un massacre dans un autobus. Loin de tomber dans le fatalisme, ce road movie musical est léger, mais il a la force de donner une autre image d’un pays dévasté par la guerre. A travers le périple de cette troupe de copains d’école, on se surprend à ne plus penser à la guerre. Mieux, à rêver à une paix durable au Liban. La techno-dabké de ces jeunes et leurs rapports à leur père est riche en enseignements. “Il ne s’agit pas de dénoncer.” Il est donc “plus facile de parler aux gens quand on les fait rire que quand on les fait pleurer”. Puis il y a ce “regard thérapeutique”, qui “nous montre les choses de manière positive”. En 1997, le réalisateur avait fait un pilote de Bosta. Sept ans plus tard, les personnages initiaux “avaient vieilli”. C’est avec un nouveau casting, rajeuni, que le film voit le jour. Des acteurs comme Rodney El Haddad et Nadia Labaki, nouvelle vague libanaise, crèvent l’écran. Le drame, Philippe Aractingi le connaît : il en a même fait des documentaires. Il a lui aussi vu la guerre de ses propres yeux. Peu importe la profondeur de sa souffrance, avec Bosta, il donne “l’espoir que des choses sont possibles, même si elles sont noires”. Mieux, il offre “un semblant de réflexion”, en “ouvrant le débat”. Il va même jusqu’à poser la question au peuple libanais : ne faut-il pas se réinventer ? HODA BARAKAT, ÉCRIVAINE LA DISTANCIATION Hoda Barakat confirme dans ses écrits cette interrogation identitaire. Née à Beyrouth, installée en France depuis 1989, la directrice de l’information de Radio Orient (Paris) est une romancière confirmée. Son dernier roman, Mon maître, mon amour (1), nous plonge dans le Liban de Wadi’, héros et narrateur, celui des trafiquants d’armes et de drogues, de la passion et de l’ambiguïté des sentiments. Elle aborde les “questionnements sur des mythes de l’autre” qui, pour elle, “n’existe pas”. Face au temps qui passe, le roman devient le moyen de s’interroger. Ses enfants, issus d’un mariage mixte, vivent le retour au traditionalisme de manière plus complexe. Le regard de “l’autre” sur le mélange des cultures est très différent. L’auteur des Illuminés, son roman phare, campait déjà une histoire d’amour contrariée entre un chrétien et une musulmane. Trente ans après, il semblerait que les mêmes problématiques fassent leur retour au Liban. Par une sorte d’introspection perpétuelle, ses romans prennent place dans son pays natal, loin de son quotidien parisien. C’est justement tout ce travail de distance qui permet “de voir les failles de ce passé, truffé de véritables problèmes”. Tous les artistes ne sont pas dans ce même processus. Hoda Barakat a choisi des personnages “plus proches des démons que des anges”. “Tout mon bagage est à l’intérieur de moi”, préciset-elle, et “c’est pas plus mal, on peut habiter dans le cœur des gens”. Son Liban, elle ne l’oublie pas, souvenirs douloureux de voitures piégés. Malgré tout, elle s’ouvre “sur des histoires humaines” en faisant de “l’autre” son “miroir”. Elle essaye d’y retourner souvent, même si “ça fait toujours mal, comme une blessure à qui on ne demande plus de cicatriser”. (1) Mon maître, mon amour, par Hoda Barakat, mars 2007, et ses autres romans : les Illuminés, le Bus des gens bien, la Pierre du rire et le Laboureur des eaux sont tous publiés chez Actes Sud. 32 LE COURRIER DE L’ATLAS Chronologie • 1970-71 : Les combattants palestiniens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) installent leurs bases au Sud Liban. • 13 avril 1975 : Assassinat de Palestiniens dans un autobus qui marque le début officiel de la guerre. • 1975-1989 : Guerre civile. • Octobre 1989 : Signature des accords de Taef qui établissent un nouvel équilibre entre les communautés. • 1996 : Opération “Raisins de la colère” par Israël qui fait 175 morts parmi les civils libanais et 300 000 réfugiés. • 2000 : Retrait d’Israël du Sud Liban. • 14 février 2005 : Assassinat du Premier ministre, Rafic Hariri. • 2 juin 2005 : Assassinat du journaliste Samir Kassir. • 12 juillet 2006 : Le Hezbollah enlève deux soldats israéliens. Relance du conflit israélo-libanais. • 30 juillet 2006 : Bombardement de Cana par Israël : 62 morts dont 42 enfants. • 14 août 2006 : Résolution 1 701 du Conseil de sécurité de l’ONU, entrée en vigueur d’un cessez-le-feu. • 23 janvier 2007 : Grève générale de l’opposition libanaise. • 25 janvier 2007 : Conférence internationale dite de Paris III sur le financement de la reconstruction du Liban. • 7 février 2007 : Echange de tirs entre les forces armées libanaises et les forces armées d’Israël dans la région de Maroun Al Rass. • 13 février 2007 : Double attentat au nord de Beyrouth. NUMÉRO 2 MARS 2007 DR PHILIPPE ARACTINGI, RÉALISATEUR décryptage RACHID EL DAÏF, ÉCRIVAIN L’INTROSPECTION Une certaine névrose semble hanter la plume des écrivains libanais. Une névrose hors norme, résultant du souvenir, du passé et du présent bien sûr. Rachid El Daïf a choisi le Liban pour écrire. La réalité de son pays, il ne tient pas particulièrement à la commenter, mais elle se lit entre les lignes. Fais voir tes jambes, Leïla ! (1) est l’histoire rocambolesque d’un homme dont la vie bascule le jour où son père, âgé de 65 ans, décide de se remarier. Le couple, les mœurs, la tradition et la modernité sont passés au crible. Le héros est en réalité “inspiré d’une personne réelle” qui a littéralement “fasciné” l’auteur. Ce personnage, “à la limite gai, volontairement anti-situation”, s’éloigne des “histoires dramatiques” à une époque où “la littérature, en général, reflète la situation très difficile du Liban”. Le héros du roman est volontairement “centré sur ses problèmes et pas sur les causes”. Rachid El Daïf décrypte et apprécie “ces personnages centrés sur leur JOCELYNE SAAB, RÉALISATRICE DR LE COMBAT PERMANENT Journaliste et reporter de guerre dans le monde arabe et en Iran pendant quinze ans, Jocelyne Saab a réalisé une dizaine de films dont le très sensuel Dunia, en 2006. Tourné en Egypte, le film traite du thème de l’excision. La sortie en salle provoqua une levée de boucliers. Dunia, un admirable travail de sept ans pour “donner aux Arabes une vraie représentation de la femme affranchie”, a remporté le prix du Public au Festival international de films NUMÉRO 2 MARS 2007 individualité qui veulent vivre et ne pas se sacrifier pour les causes, qui prêchent la peur”. “Depuis des décennies, on assiste à une inflation des martyrs comme à l’inflation de la livre libanaise, on a besoin de gens qui aiment la vie !”, affirme l’écrivain. Le “travail de distance” de certains écrivains, il ne le trouve pas nécessaire, il se concentre sur “lui-même”. Il est “loin, très loin”. “Ecrire dans son pays, c’est comme une sorte de vengeance contre ceux qui nous gouvernent et nous forcent à vivre au bord du précipice”, commente le romancier. “Vivre dans des moments pareils, c’est apprendre à faire la sieste sur le dos de la tempête.” Si la guerre a longtemps été présente dans son œuvre, aujourd’hui, il a changé de “stratégie” tout en restant “le même homme”. “Dans le temps”, le professeur de langue et de littératures arabes de l’université de Beyrouth écrivait pour “dire que la guerre était très humaine car les hommes créent la guerre pour se convaincre que la mort peut être vaincue, pour se donner l’illusion qu’ils peuvent vaincre la mort, parce que l’homme a besoin d’illusions, sinon la situation devient intenable”. Si Rachid El Daïf a donné un tournant au ton de ses romans, le Liban reste au centre de ses histoires. Sa justification : “Avant j’écrivais pour dire, maintenant j’écris pour que ce que je dis soit lu.” (1) Fais voir tes jambes Leïla, par Rachid El Daïf, Ed. Actes Sud, septembre 2006. de Fribourg en mars 2006. Pourquoi parler de l’Egypte et non du Liban ? “Je me suis éloignée car les choses au Liban sont très caricaturales, mais les apparences sont aussi trompeuses.” Le pari n’était pas gagné d’avance face aux traditionalistes religieux égyptiens prompts à réduire à néant toute forme d’art jugée irrespectueuse. Si elle retourne au Liban aujourd’hui et qu’elle trouve la force de continuer à faire parler de son pays, c’est bien “parce que la blessure du terrain est tellement forte” qu’elle en oublie “la sienne”. Caméra à l’épaule, ce petit bout de femme à l’esprit si riche a non seulement couvert la guerre, mais elle a vu sa maison brûler et son pays se détruire politiquement et socialement. Face à cela, dit-elle avec beaucoup de recul, “on ne peut être que schizophrène”. Aux “questions à l’autre” que pose Toufic Farroukh, Jocelyne Saab ajoute que la culture de cet autre, “on l’ignore, du coup, on a peur”. En tant que cinéaste, elle “voit ce que les autres ne veulent pas voir”, mais en ce qui concerne le Liban, c’est “très difficile car tout est à nu, les choses sont crues, lorsque l’on est né là-bas, on garde un attachement viscéral” et, étrangement, on a un “besoin d’éloignement”. D’où la nécessité pour Jocelyne de voir du pays. Le temps a passé, mais elle reste persuadée que “les intellectuels et les artistes peuvent rapprocher et éclairer pour qu’il n’y ait pas de vie caricaturale”. Dans son appartement parisien rempli de souvenirs de son Liban natal, elle “a le corps malade, donc l’esprit malade” par les combats qu’elle mène. Récemment, celui de Dunia fut “une guerre plus violente que la guerre sous les bombes au Liban”. A l’évocation du pays, elle repense au moment “où l’on sort de l’avion et qu’on sent l’air du pays et de l’enfance, l’attachement à une lumière”. La mère de famille reste pensive, nostalgique, “elle se serait passée de la guerre”. Elle se dit “rester une incomprise” par son “exigence”, mais elle a ses “priorités”, “quand on a vécu la guerre, on est prêt à passer au-dessus de tout”. ■ LE COURRIER DE L’ATLAS 33 éducation ils ont choisi les grandes écoles ÉLITE Ils sont nés à Tunis, Paris, Alger, Casa ou Cergy. Ils se sont battus pour faire des études dans les plus prestigieuses écoles de la République. Ils y côtoient la fine fleur française et comptent bien en faire partie… Enquête. par Yasrine Mouaatarif p onts et Chaussées, Centrale, SciencesPo, les Mines, Polytechnique (l’X pour les intimes)… Des noms qui font rêver, ceux des écoles d’ingénieurs et de commerce françaises les plus prestigieuses, les plus convoitées, mais aussi les plus difficiles à intégrer. Et pour cause : la seule admission dans l’un de ces établissements est déjà un gage de réussite, et leurs cursus ouvrent une voie royale vers les postes les plus en vue. Elitisme ? Non : simple pragmatisme. Car si leurs diplômes sont synonymes “d’emplois assurés”, c’est que l’enseignement y est autrement plus pratique qu’à l’université, avec une forte ouverture sur l’international et une implication de plain-pied dans le monde du travail. Du reste, les entreprises ne s’y trompent pas : elles sont de tous les rendez-vous estudiantins et se battent sur les campus pour monter de véritables opérations séduction auprès des futurs diplômés. Résultat : 80 % des étudiants sortis d’une grande école en 2006 sont déjà en poste. Parmi eux, 82 % sont issus d’écoles de management et 79,1 % d’école d’ingénieurs. Mais un tel privilège, ça se mérite. A coups de sacrifices financiers et d’efforts intellectuels. Et dans ce véritable parcours du combattant, les frais d’inscription, les présélections, les entretiens, examens et autres concours d’entrée ne sont pas les seuls obstacles à surmonter. Surtout lorsque l’on n’appartient pas – encore – à cette “élite française”, mais qu’on vient d’un tout autre milieu, voire d’un tout autre pays. plus D’ÉtuDiants oRiginaiRes De casablanca… que Du 9-3 Avec deux mille sept cent douze inscrits pour l’année 2003-2004, les étudiants marocains représentent la première commu- 34 LE COURRIER DE L’ATLAS nauté d’étrangers admis dans les grandes écoles françaises, selon la dernière enquête menée par la Conférence des grandes écoles. Quant aux voisins maghrébins, ils sont mille trois cent six à être venus d’Algérie pour suivre ces cursus prestigieux, contre mille deux cent soixante-dix-huit pour la Tunisie, cinquante-sept pour la Mauritanie et tout juste vingt-quatre pour la Libye. La même enquête montre par ailleurs que tous ces jeunes Maghrébins ont un gros faible pour les grandes écoles d’ingénieurs où en moyenne 80 % d’entre eux ont choisi de s’inscrire, toutes nationalités confondues. trentaine d’étudiants maghrébins, aucun n’était né ou n’avait grandi en France !” Même constat pour Yasmine Boumghar, 22 ans, qui a obtenu son bac dans un lycée algérien avant de venir en France faire une prépa HEC, puis intégrer l’Ecole supérieure de commerce de Toulouse. Durant tout son cursus, Yasmine se souvient avoir croisé de nombreux camarades maghrébins, mais pratiquement aucun Franco-Maghrébin. “A mon arrivée, j’ai été sidérée de voir que moi, étudiante venue d’Alger, j’étais beaucoup plus au fait des différentes filières d’accès aux grandes écoles françaises que des jeunes Maghrébins nés en France. EN 2003-2004, PLUS DE 5300 ÉTUDIANTS SONT Pire : moi, l’étudiante VENUS DU MAGHREB POUR SUIVRE CES CURSUS. étrangère, je n’ai eu aucun complexe à viMais attention : cette étude comptabilise ser ce type d’école, alors qu’eux qui sont uniquement les titulaires d’un statut d’étufrançais semblaient à peine l’envisager, diant étranger et n’inclut ni les Français comme si ce n’était pas fait pour eux…” d’origine maghrébine, ni les binationaux. Yasmine est aujourd’hui à la tête du Reage Pour ces jeunes issus de l’immigration, il junior, branche estudiantine du Réseau des reste difficile d’estimer leur nombre, puisAlgériens diplômés des grandes écoles franque les statistiques en France ne permettent çaises, né il y a près de deux ans. Son but : pas ce type de distinction. créer du lien, lancer un pont entre les deux Pourtant, la grande majorité des étudiants rives et combler les fossés, tous les fossés. maghrébins que nous avons interrogés sont “Nous organisons des conférences-débats pour formels : ils n’ont côtoyé au cours de leurs mieux faire connaître le marché algérien qui études que très peu de Français issus de souffre de certains préjugés et nous sommes en l’immigration, comme s’en étonne Mokhtar train de mettre en place un premier forum pour Abdallaoui-Maan, jeune Marocain diplômé l’emploi à l’attention d’entreprises algériennes ou de multinationales souhaitant s’implanter de Polythechnique et des Ponts et Chausen Algérie. Mais nous souhaiterions également sées, fraîchement embauché à la Banque agir auprès des jeunes issus de l’immigration, mondiale. “Dans ma promo à l’X, il y avait faire des présentations des différentes filières très exactement dix-neuf Marocains, quatorze prestigieuses qui s’offrent à eux, voire, pourquoi Tunisiens et deux Algériens, pour seulement pas, faire du soutien à la préparation des deux Français d’origine maghrébine. Et à concours les plus difficiles, histoire de les motil’école des Ponts, ils étaient à peine plus. Mais ver et de les encourager à persévérer.” je me souviens qu’en prépa, c’était pire : sur la NUMÉRO 2 MARS 2007 Yasrine Mouaatarif Les recrues de Polytechnique, hommes et femmes, font partie de l’élite et à ce titre, paradent au défilé du 14 juillet. Des obstacles psychologiques plus que sociaux Il y a six ans, deux doctorants de SciencesPo, Madani Cheurfa et Vincent Tiberj, s’étaient intéressés aux liens entre inégalités sociales et inégalités d’accès aux concours d’entrée en grandes écoles. Se penchant sur les profils des admis au concours de leur propre établissement pour l’année 1998, ils ont identifié un certain nombre de facteurs contraignants, voire discriminants, qui tiennent pour certains du véritable conditionnement. Premier facteur déterminant, avant même de passer un quelconque concours : la profession des parents. En effet, cette année-là, à Sciences-Po, à l’instar des autres écoles françaises, les enfants d’employés étaient six fois moins nombreux qu’à l’université, et les enfants d’ouvriers douze fois moins nombreux. Outre le milieu social, cette même étude a mis en évidence trois obstacles fondamentaux sur lesquels trébuchent les étudiants issus des classes moyennes, avant même d’atteindre les portes des grandes écoles : tout d’abord, une méconnaissance du système éducatif et de ses différentes filières, puis une certaine prédilection pour les formations de courte durée menant rapidement à un emploi, et enfin un phénomène dit d’autocensure, sorte de sentiment d’incompétence qui découragerait ces jeunes NUMÉRO 2 MARS 2007 issus des milieux les moins favorisés… Rim Alaya est un parfait contre exemple de cette thèse. Cette étudiante de 22 ans née à Paris, qui se dit “autant parisienne que sétifienne”, n’a rien de la jeune “beurette” peu sûre d’elle qui aurait peur du challenge. Bien au contraire. Des ambitions, elle en a eu, et elle s’y est accrochée, envers et contre tout. Après avoir intégré l’Ecole privée des sciences informatiques du groupe Essec par admission parallèle, elle prépare actuellement un Master en sciences de gestion Ismail Talbi, 26 ans Ensam, HEC “J’ai eu mon bac avec mention en 1999 dans un lycée de la banlieue de Tunis. Cette année-là, j’étais parmi les 150 meilleurs bacheliers du pays. Généralement, le gouvernement prend en charge la scolarité des 50 premiers dans des prépas françaises, et les 100 suivants à l’Ipest, l’Institut préparatoire aux études scientifiques et techniques, à La Marsa. Mais j’avais déjà obtenu mon admission en prépa au lycée Lakanal, à Sceaux. J’ai donc opté pour la France. Sur le coup, j’ai failli regretter mon choix : les années de prépas sont très dures et arriver tout jeune dans de telles conditions, loin des siens, est assez éprouvant. Avec le recul, je me dis que cela m’a permis de me forger le caractère. Après la prépa, j’ai intégré l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers. J’ai choisi cette école généraliste parce que j’ai toujours visé une double formation d’ingénieur et de commercial. J’ai donc fait quatre ans à l’Ensam et, parallèlement à ma dernière année, j’ai obtenu un DEA en Aérodynamique à l’université Paris VI. Après quoi j’ai fait un master Finances à HEC, que je viens de terminer en janvier dernier. Actuellement, je suis en train de passer mes entretiens. J’ai eu des offres en France ainsi qu’aux Emirats Arabes Unis. Mais je ne me limite pas géographiquement : Paris, Tunis, Dubaï ou Johannesburg, c’est le poste qui est déterminant pour moi, pas le pays.” LE COURRIER DE L’ATLAS 35 mention finance, et compte bien enchaîner avec un MBA. Elle est également vice-présidente du Reage junior. Pourtant, si elle s’en était tenue à sa conseillère d’orientation du lycée, elle n’en serait sûrement pas là aujourd’hui. “Conseillère de désorientation !, corrige-t-elle en rigolant. Au lycée, les conseillers, ainsi que certains professeurs, n’arrêtaient pas de me répéter : ‘Ne tente même pas l’IUT, tu n’y arriveras pas. Si tu arrives à t’inscrire en BTS, ça sera déjà pas mal’. En gros : si on est technicien et qu’on gagne 1 200 euros, à notre niveau, on a réussi notre vie !” Loin de la décourager, ce discours a au contraire fini de la motiver. Mais ce qui inquiète Rim aujourd’hui, c’est de voir que, des années plus tard, dans ces mêmes lycées, rien n’a changé. “Dernièrement, ma sœur qui a 17 ans est allée voir une conseillère, accompagnée de ma mère. C’est une matheuse et elle est passionnée d’ingéniérie automobile. Elle rêve de faire Centrale, Supelec ou les Mines. Ce à quoi la conseillère lui a répondu qu’il ne fallait pas y compter, qu’elle n’arriverait jamais à y entrer, ni à se payer les études, et que de toute manière, ce n’étaient pas des filières pour les filles !” tRop cheR pouR toi, mon Fils… Les études, c’est connu, ça coûte cher, très cher. Et en grande école, plus qu’ailleurs. Du moins, c’est l’image qu’on en donne. Car si une année dans une école publique d’ingénieur coûte moins de 400 euros, il faut compter plus de 6 000 euros pour une école privée, entre 4 500 et 7 500 pour une école de commerce, entre 12 000 et 36 000 euros pour un MBA (Master of business administration), et le double pour se payer le luxe de le faire aux Etats-Unis… Des chiffres qui montent très vite à la tête, et qui n’incluent pas tous les frais annexes de la vie d’étudiant, comme le logement, les transports et le reste… De quoi finir de décourager les derniers motivés. La situation est pourtant loin d’être désespérée. Car le système même de ce type d’établissements offre bien souvent plus de solutions que de contraintes, comme nous l’explique Lina Hadj Hamou, 21 ans, qui a hicham belmaachi, 26 ans Euromed Marseille (ex-Sup de Co Marseille) “J’ai eu mon bac en 1999, au lycée français de Casablanca. Ma sœur avait fait la prépa HEC de Rabat, mais j’ai préféré venir directement en France. Après les classes préparatoires, j’ai intégré Euromed Marseille (ex-Sup de Co Marseille) en 2002 où j’ai tout de suite pris la tête de la Junior Entreprise. Ce fut une expérience très enrichissante, on gérait un volume d’affaires de 300 000 euros par an et on a même remporté le Prix d’Excellence en 2004. Durant mon mandat, j’ai notamment initié la création d’autres JE dans tout le bassin méditerranéen, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Espagne, au Portugal et en Turquie. Après quoi, je suis parti en échange universitaire à la Hong-Kong Polytechnic University, pour une durée initiale de six mois. J’ai commencé par chercher un stage pour financer mon séjour là-bas et, au bout de quelques mois, on m’a proposé un poste en CDI à la CMA CGM, 3e leader mondial du transport maritime. C’est un poste passionnant, dans une entreprise en pleine croissance, avec des perspectives d’évolution très intéressantes. J’ai toujours considéré qu’il ne fallait pas être esclave de ses diplômes et surtout ne pas hésiter à saisir les opportunités là où elles se présentent. Le Maroc de demain n’a pas besoin que de compétences en banque ou en marketing ; il faut également penser aux métiers de la logistique et du transport. J’encourage vivement les étudiants à se diversifier et à être attentifs à la montée en puissance de la Chine et de l’Asie, quitte à venir ici tenter de nouvelles expériences.” 36 LE COURRIER DE L’ATLAS intégré HEC après avoir fait sa prépa à Rabat, et qui est également à la tête de l’AMGECaravane, l’Association des Marocains en grandes écoles. “Pour les étudiants étrangers comme pour les étudiants français, il y a différentes façons de financer ses études. Quand on vient du Maroc par exemple, certaines bourses de coopération prennent entièrement en charge la scolarité d’étudiants ingénieurs à condition qu’ils soient inscrits dans les meilleures écoles et leur versent en plus 600 euros par mois. Le gouvernement marocain délivre également des bourses aux étudiants d’une cinquantaine de prépas d’environ 400 euros par mois, à condition qu’ils reviennent au Maroc une fois diplômés. Mais les grandes écoles françaises ont souvent elles-mêmes leur propre système de bourse, qui peut aller jusqu’à la gratuité totale de la scolarité. En réalité, une fois qu’une école a sélectionné un candidat, elle fait généralement tout pour qu’il puisse poursuivre ses études en toute quiétude, sans s’embarrasser de contraintes matérielles. En résumé : une fois qu’on est admis, il y a toujours moyen de s’en sortir, il suffit juste de bien se renseigner.” Les “grandes études” ne seraient donc plus l’apanage de quelques bourgeoisies, qu’elles soient parisienne, tunisoise, rabatie ou algéroise ? Tendraient-elles réellement à se démocratiser ? C’est effectivement dans l’air du temps. Preuve en est : les écoles de renom qui ouvrent une à une leurs portes aux élèves issus des ZEP, les fameuses zones d’éducation prioritaire. A l’origine de ce mouvement initié il y a près de six ans : l’Institut d’études politiques, plus connu sous le nom de Sciences Po, et son directeur Richard Descoings. Depuis, de nombreuses écoles lui ont emboîté le pas. Mais certaines critiques ont également dénoncé un diplôme jugé de seconde catégorie. Ce que Lewnis Boudaoui, 21 ans, “Promo ZEP 2007” à Sciences-Po, dément formellement. Après avoir obtenu son bac avec mention dans un lycée de Mantes-la-Jolie, Lewnis a d’abord fait une prépa HEC au lycée Louis-le-Grand avant de rejoindre la rue Saint-Guillaume où il prépare actuellement un Master en finances. “Tous les étudiants boursiers issus des ZEP, qui sont pour la plupart d’origine maghrébine, disposent d’une bourse de mérite de 6 000 euros par an, ce qui, à mon sens, est largement suffisant. Nous sommes vraiment très bien encadrés, et l’école fait tout pour nous émanciper de nos éventuelles contraintes. Quant à ‘l’étiquette ZEP’, personnellement, je ne l’ai jamais ressentie !” A ceux qui n’ont ni bourse sociale, ni bour- NUMÉRO 2 MARS 2007 DR éducation Yasrine Mouaatarif éducation se de mérite, ni parents fortunés, ni garant pour un prêt en France, il reste encore le travail, l’ingéniosité et une pointe d’audace. C’est la voie qu’a choisie Hicham Belmaachi, 26 ans, qui a pris l’option système D pour financer ses études. Après un bac S au lycée français de Casablanca, Hicham a choisi de faire sa prépa à Nantes, avant d’intégrer Euromed Marseille (exSup de Co Marseille) où il a pris la tête de la JE, la Junior entreprise de l’école. Très vite, sa petite entreprise remporte marché sur marché et, en 2004, il se voit même décerner le Prix d’excellence parmi les cent vingt JE de France. Ce qui lui vaudra la gratitude de son école, qui décide de le récompenser en lui accordant quelques délais de paiement pour ses frais d’inscription, à titre très exceptionnel. “J’ai eu beaucoup de chance car sans mon travail dans la JE, je ne sais pas comment j’aurai pu m’en sortir. Mais j’ai toujours fonctionné au culot, et ça m’a plutôt réussi. C’est aussi au culot que je suis parti en échange universitaire à Hong-Kong alors que je n’en avais absolument pas les moyens. Aujourd’hui, le stage que j’avais entrepris pour financer mes études s’est transformé en CDI, et je viens d’être embauché à Hong-Kong par la CMA CGM, troisième leader mondial du transport maritime.” Inabordables, impénétrables, élitistes… Les grandes écoles traînent souvent une image qu’elles n’ont pas méritée. Comme celle de “cours de récré pour fils à papa”, ce qui, sans être complètement injustifié, s’avère bien souvent erroné. “Il peut exister une certaine forme de snobisme, voire de mépris, confie Madjid Harkat, en dernière année à l’ESC Le Havre, mais paradoxalement, ce n’est pas de la part des étudiants les plus aisés, qui s’avèrent être bien plus ouverts qu’on ne pourrait l’imaginer.” Une autre étudiante garde quant à elle un souvenir amer de son passage en classes préparatoires : “J’étais la toute première Algérienne à faire cette prépa et, du coup, j’ai dû effacer certaines remarques désobligeantes de professeurs qui relevaient la moindre faute d’orthographe et qui me conseillaient vivement de passer les concours d’IUT, sachant que ça grillerait toutes mes chances d’intégrer une grande école. Par chance, j’étais soutenue par une professeure, amoureuse de l’Algérie, qui me mettait en garde. Mais je pense que ce sont les années de prépa qui sont les plus difficiles, car en école, c’est beaucoup plus hétéroclite et les étudiants sont généralement de nature curieuse et ouverte, apparemment bien plus qu’à l’université.” NUMÉRO 2 MARS 2007 nesRine aÏcha ghaRbi, 21 ans Ecole polytechnique “J’ai grandi à Bab-El-Oued, le quartier le plus populaire d’Alger. J’ai étudié dans un lycée où tout le cursus est en arabe, avant d’entrer à l’Ecole nationale préparatoire aux études d’ingénieur d’Alger, une école militaire qui existe depuis environ cinq ans et qui prépare aux concours d’entrée des grandes écoles. J’ai eu la chance d’être bien orientée parce que mon père connaît le système des grandes écoles françaises, mais ce n’est pas le cas de la plupart des étudiants algériens qui n’ont pas accès aux bonnes orientations. Au bout de trois ans, j’ai tenté une première inscription en France. On m’a alors convoquée pour les concours de l’ULM, mais je n’ai pas eu mon visa. Cela a fait scandale et l’école a même reporté exceptionnellement les dates d’examens pour moi, sans succès. J’ai donc intégré l’Ecole nationale polytechnique d’Alger, mais j’avoue que l’X me faisait toujours rêver. Déjà toute petite, je me voyais défiler en uniforme. J’ai donc tenté ma chance, sans trop y croire. J’ai envoyé des demandes de renseignements et, à ma grande surprise, on m’a tout de suite répondu en m’expliquant toutes les modalités. En novembre 2005, j’ai reçu ma convocation aux examens de décembre. Quelques jours plus tard – je me souviens que c’était le lendemain de l’Aïd –, j’ai découvert mon nom parmi la liste des reçus. A mon arrivée, le Reage m’a aidée dans mes démarches administratives et je leur en suis reconnaissante. Depuis avril 2006, j’ai la chance de faire partie de l’X, bénéficiant même d’une bourse grâce à la fondation de l’école.” les gRanDs RenDeZ-Vous 22e Forum Rhône-alpes, les 7 et 8 mars à lyon Le premier salon de recrutement des élèves ingénieurs en France et son Carrefour maghrébin ouvert aux élèves d’écoles d’ingénieurs et de commerce. 43, bd du 11 novembre 1918, Villeurbanne www.forum-rhone-alpes.com 11e Forum horizons maroc, le 10 mars à l’escp-eap paris Le Forum de l’Association des Marocains aux grandes écoles, l’AMGE-Caravane invite chaque année une trentaine d’entreprises marocaines à rencontrer les étudiants et jeunes diplômés marocains. ESCP-EAP - 79, av. de la République, Paris 11e www.amge-caravane.com Journée création d’entreprise au maroc, 24 mars à l’escp-eap paris Organisée par l’association Maroc entrepreneurs, cette journée de conférences clôture la mission d’accompagnement de l’association auprès des porteurs de projets. www.marocentrepreneurs.com premier Forum du Reage, le 26 mai à l’escp-eap paris Le Reage junior, branche estudiantine du Réseau des Algériens diplômés des grandes écoles françaises, organise son tout premier forum pour l’emploi en Algérie : une trentaine d’entreprises sont attendues, algériennes et internationales. www.reage.org 16e Forum de l’atuge au mois de juin à paris et à tunis L’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge) organise cette année encore une édition parisienne de son célèbre forum tunisien qui existe depuis quinze ans. Vingt-cinq entreprises tunisiennes avaient fait le voyage à Paris l’année dernière, et près de 500 visiteurs s’étaient déplacés pour l’occasion. www.atuge.org LE COURRIER DE L’ATLAS 37 éducation maDJiD haRKat, 27 ans ESC Le Havre - Ecole de management de Normandie leÏla benali, 29 ans “Je suis né en Algérie. En 1990, après les événements, mes parents ont dû quitter le pays. J’ai donc grandi en France. J’ai eu mon bac Sciences économique et sociale dans un lycée de Chartres. C’est après un BTS en Action commerciale que j’ai intégré L’Ecole supérieure de commerce du Havre, aujourd’hui l’Ecole de management de Normandie, par des admissions parallèles qui ont été très sélectives. Nous étions en effet près de 7 000 candidats pour seulement 90 reçus. Actuellement, je suis en master HEC Entrepreneur, un diplôme de commerce et de gestion ouvert vers l’entreprenariat. J’ai eu beaucoup de chance car je viens de trouver mon premier emploi, avant même d’être diplômé, qui plus est dans ma ville natale, Alger. En effet, lors des nombreuses rencontres avec des chefs d’entreprise qu’organise l’école, j’ai fait la connaissance d’un opérateur, qui m’a proposé un poste dans sa filiale algérienne. Mon profil et ma double culture ont joué en ma faveur, et je me suis vu proposer un poste de directeur de la filiale à Alger. Je m’apprête donc à partir dans quelques semaines en VIE (Volontariat international en entreprise) pour une durée d’au moins dix-huit mois.” “Au lycée, à Casablanca, j’avais déjà une idée précise de ce que je voulais faire. Il faut dire que mon père et mon frère sont ingénieurs. Je devais être admise au lycée français, mais mon père s’y est opposé, estimant que le système marocain était plus formateur en matière de sciences et de mathématiques. Avec le recul, je suis plutôt d’accord avec lui. Quoi qu’il en soit, j’ai donc fait mes classes prépa au lycée Mohammed V de Casa, avant de rejoindre l’école Mohammedia d’ingénieurs où j’ai obtenu un diplôme en Génie industriel. Après quoi, j’ai beaucoup hésité entre poursuivre mes études au Japon – un pays qui me fascine – ou aux Etats-Unis… et j’ai finalement intégré Centrale, à Paris. Je pensais que mon passage en France ne serait qu’un tremplin, mais les circonstances en ont voulu autrement. J’ai découvert à Sciences-Po un DEA en Analyse comparative des aires politiques qui correspondait à mes aspirations, et m’y suis inscrite. Grâce à une simple erreur administrative, je me suis retrouvée dans le programme “Monde musulman” alors que je m’étais inscrite dans celui de la zone “Asie”. Aujourd’hui, je boucle mon doctorat en Economie de l’énergie, tout en travaillant au Cambridge Energy Research Associates, où je conseille des gouvernements et des compagnies en matière de stratégie et de politique énergétique.” 38 LE COURRIER DE L’ATLAS sonia abDelJaouaD, 24 ans ESC Tunis, IAE Lille, HEC Paris “J’ai passé toute mon enfance entre la Bulgarie – où je suis née – le Qatar et la Tunisie. J’ai fini ma scolarité dans un lycée tunisien, où j’ai obtenu mon bac Math avec mention. Contrairement à la majorité de mes camarades, je n’ai pas choisi la voie prépa. J’aspirais à des études moins stres- santes. Ayant un goût prononcé pour le monde de l’entreprise, je me suis orientée vers des études commerciales en intégrant tout d’abord l’Ecole supérieure de commerce de Tunis, où j’ai obtenu une maîtrise en Finance avec mention « Très bien » et les félicitations du jury. Après quoi s’est posée la question des grandes écoles. J’en avais entendu parler, je savais que c’était le cursus le plus prestigieux, mais j’étais tentée par un Master. Etant bulgaro-franco-tunisienne, il manquait à mes origines quelques connexions asiatiques… Je me suis donc inscrite à un Master en gestion affaires internationales option Asie à l’Institut d’administration des entreprises de Lille, puis j’ai tenté les concours des grandes écoles. Pour moi, c’était HEC ou rien. J’ai eu la chance d’être reçue en deuxième année, avec une équivalence. Je me suis orientée vers les métiers du conseil et je cherche actuellement un poste pour mon année de césure. A plus long terme, je me vois bien rentrer travailler en Tunisie, car on a beau apprécier beaucoup de choses dans les pays qui nous accueillent pour nos études, on est toujours attaché à nos racines. La Tunisie reste le pays qui m’a le plus donné et il sera temps, à un moment ou à un autre, que je lui rende la pareille.” ■ NUMÉRO 2 MARS 2007 Yasrine Mouaatarif Centrale, Sciences-Po DM, LE MAGAZINE DÉCO DES AMOUREUX DU MAROC politique Les partis arriveront-ils à se mettre d’accord sur une date ? En attendant… le temps passe. politique Elections, sprint final au Maroc LÉGISLATIVES Hormis le PJD, les partis n’ont pas formulé d’objection sur le découpage électoral. Mais sur les dates, ça discute ferme. par Houda Filali-Ansary AP/SIPA S amedi 3 février, le ministère de l’Intérieur organisait une série de rencontres avec les partis politiques en vue de leur présenter ses propositions concernant la révision extraordinaire des listes électorales et le découpage électoral. L’on apprend ainsi que le ministère prévoit d’organiser l’ouverture extraordinaire des listes, votée par le Parlement en décembre dernier, pour la période du 5 mars au 3 avril prochain, leur arrêt définitif ayant été fixé au 23 avril 2007. Quant aux quatre-vingt-douze circonscriptions du pays, elles ne devraient pas connaître de modifications notables, sauf dans quelques grandes villes comme Casablanca, Rabat, Salé, Marrakech, Fès, Meknès ou Tétouan. Principal changement : la capitale économique (Mohammedia non comprise) devrait être divisée en dix circonscriptions contre sept en 2002, les communes de Hay Hassani-Aïn Chock, Ben M’sick-Mediouna et Moulay Rachid-Sidi Othmane ayant été divisées en deux. A Fès, les anciennes circonscriptions de Fès Médina (trois sièges), Fès Jdid Dar Dbibagh (trois sièges) et Zouagha Moulay Yacoub (quatre sièges) ont été remplacées par Fès Nord (quatre sièges), Fès Sud (quatre sièges) et une circonscription comprenant le seul Moulay Yacoub (trois sièges). Si les partis n’ont globalement formulé aucune objection par rapport au découpage, le PJD (Parti de la justice et du développement, islamiste) a manifesté son désaccord et y voit une manœuvre à son encontre. “Casablanca a été charcutée, il n’y a plus aucune circonscription de cinq sièges. Seule Anfa en comprend quatre, mais ailleurs, il n’y a que deux ou trois sièges à la fois. Autrement dit, il est impossible de remporter deux sièges par circonscription. Même chose à Tanger qui a été NUMÉRO 2 MARS 2007 découpée de manière à ce que le PJD obtienne, dans le meilleur des cas, deux sièges au lieu de trois. Idem à Fès”, proteste Lahcen Daoudi du PJD, qui aurait préféré avoir affaire à des circonscriptions plus larges et qui considère que les changements opérés au niveau de Moulay Yacoub à Fès et de Anjra à Tanger reviennent à mêler zones urbaines et rurales. La réaction du parti islamiste n’a rien d’étonnant : si les accusations de mêler zones urbaines et rurales reviennent souvent en période électorale, il ne faut pas oublier que le PJD est directement concerné par ces changements dans la mesure où son territoire de prédilection se situe justement dans les grandes villes du pays. Par ailleurs, la réduction dans certains endroits du nombre de sièges par circonscription limite l’effet du scrutin de liste, dans la mesure où il devient plus difficile pour les candidats ne figurant pas en tête de liste d’obtenir un siège, réduisant du coup les chances d’un parti de rafler l’ensemble des sièges en jeu. RENTRÉE SCOLAIRE, RAMADAN, RÉCOLTES, CONGÉS… AUTANT DE CONTRAINTES De toute façon, l’affaire est quasiment pliée… par manque de temps. Après que le Parlement a avalisé sa part de textes de loi, le ministère de l’Intérieur est sous pression. Il doit publier à son tour les dernières données concernant les élections, permettant aux partis de se lancer dans leurs préparatifs. Toutefois, il reste un hic, et de taille : la date des élections. En effet, si le ministère de l’Intérieur a jusque-là proposé deux dates, le 6 juillet et le 7 septembre, laissant aux partis le soin de faire le choix, ceux-ci sont loin d’être unanimes sur le sujet, chacun prenant une option selon la nature de son électorat. L’USFP (Union socialiste des forces populaires) et le PPS (Parti du progrès et du socialisme) font déjà état d’une préférence pour le mois de juillet. En effet, tenir “les élections en septembre coïncide avec le Ramadan et la rentrée scolaire”, deux périodes où le citoyen a autre chose en tête que les élections, explique Ismaïl Alaoui, secrétaire général du PPS. Toutefois, si le choix du 6 juillet a aussi pour avantage de permettre à l’USFP et au PPS de mobiliser professeurs et étudiants, la période n’arrangerait pas leurs alliés au gouvernement, notamment le Mouvement populaire et le RNI (Rassemblement national des indépendants), aux fortes assises rurales, puisque les élections coïncideraient avec les récoltes. Autre problème plutôt gênant : “En juillet, le Parlement sera ouvert. Si nous organisons les élections, les députés devront-ils être au Parlement ou sur le terrain ?”, s’interroge Lahcen Daoudi. En revanche, en cas d’élections en septembre, l’électorat rural serait plus disponible. Ali Belhaj, secrétaire général de l’Alliance des libertés, partisan d’une tenue des élections en juillet, souligne aussi les difficultés d’une campagne en plein mois d’août, période des congés. D’autres partis, enfin, rejettent les deux options : “Les deux dates ne conviennent pas, parce que le 1er juillet c’est le début des vacances, et septembre, c’est juste après. Par la suite, il faudra penser au mois d’avril ou de mai”, indique Mohamed Moujahid, secrétaire général du PSU (Parti socialiste unifié), qui montre tout de même une préférence pour le mois de septembre… Les partis finiront-ils par se mettre d’accord à temps ? Le ministère de l’Intérieur se retrouvera-t-il obligé de les départager ? En attendant, le temps passe. © La vie économique. LE COURRIER DE L’ATLAS 41 dossier La question de l’égalité des droits est un enjeu de démocratie essentiel. Pourtant, les blocages idéologiques restent puissants. dossier MAGHRÉBINES, L’INCESSANTE QUÊTE D’ÉMANCIPATION FEMMES Meilleur accès des filles à l’éducation, arrivée massive sur le marché du travail, recul de l’âge du mariage, régression de la polygamie, baisse du taux de fécondité, plus grande diffusion des moyens de contraception... Des avancées importantes qui ont changé la vie des Maghrébines. Du Maroc à la Tunisie, en passant par l’Algérie, cette amélioration s’est souvent accompagnée d’une évolution de leur statut juridique. Mais il reste beaucoup à faire, notamment pour faire évoluer les mentalités.. par Yasmine Ouazzani Corbis D ans le royaume chérifien, la Marocaine est, du moins dans les textes, de plus en plus l’égale de l’homme depuis l’entrée en vigueur d’un nouveau Code de la famille en février 2004. La nouvelle moudawana n’interdit certes pas la polygamie, mais exige du mari souhaitant prendre une seconde épouse (ou plus) de fournir “un argument objectif exceptionnel” et d’obtenir l’autorisation préalable d’un juge. Idem pour la répudiation qui n’est pas abolie, mais qui est restreinte au profit du divorce judiciaire. Plus récemment, depuis janvier dernier, la Marocaine peut s’enorgueillir d’un nouveau droit : celui de transmettre sa nationalité à ses enfants quand son époux n’est pas marocain. En Algérie, la “réformette” mise en œuvre en 2005 n’est certes pas satisfaisante. Les militantes qualifient ces novations de “brèches à l’intérieur du carcan du modèle patriarcal”. Mentionnons tout de même ces innovations : suppression du devoir d’obéissance de l’épouse, transmission par la mère de sa nationalité à son enfant et de l’épouse à son conjoint, invalidation du mariage forcé par l’obligation du consentement des deux parties. Si l’émancipation des femmes algé- NUMÉRO 2 MARS 2007 riennes se heurte à l’opposition des islamistes, celles-ci doivent aussi vaincre les réticences “du pouvoir dont les vues sur la question convergent”, estime la militante Feriel Lalami. Néanmoins, gardons l’espoir que le dynamisme et la mobilisation des Algériennes puissent induire un réel changement. Et l’exemple du Maroc, qui a d’abord connu plusieurs tentatives d’amendements avortées – suivies d’une pseudo réforme concoctée en 1993 par une commission royale exclusivement masculine –, est là pour rappeler que le chemin vers l’émancipation est souvent semé d’embûches. Sauf à avoir à la tête de l’Etat un dirigeant de la trempe de Bourguiba et à être dans les années cinquante... Epoque bénie qui visiblement était bien plus propice aux réformes audacieuses que la nôtre, à en croire les dispositions du Code du statut personnel édicté en Tunisie en 1956 et qui, aujourd’hui encore, et malgré le récent lifting qu’a subi la moudawana marocaine, reste le plus enviable de tout le monde arabe. Mieux encore, les Tunisiennes bénéficient depuis de nombreuses années de droits, celui d’avorter par exemple, dont certaines de leurs homologues européennes ne jouissent toujours pas. Bien que révolutionnaire pour son temps, le Code de la famille tunisien n’en est pas parfait pour autant. Aujourd’hui, la principale revendication des associations tunisiennes porte sur une “égalité sans restriction”, notamment en matière d’héritage. Même si l’arsenal juridique est de plus en plus favorable aux femmes, les militantes restent vigilantes : l’existence des lois ne garantit pas toujours leur application car les mentalités, les traditions, les procédures administratives bien ancrées ne s’amendent pas du jour au lendemain. Les réformes, récentes ou pas, restent donc à consolider. Les entretiens réalisés auprès de trois femmes maghrébines, la sociologue marocaine Soumaya Naâmane Guessous, la politologue algérienne Feriel Lalami et la journaliste et porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie Sihem Bensedrine, révèlent que si les Maghrébines ont des revendications spécifiques, elles se heurtent aussi à des problématiques communes à la gent féminine du monde entier : la violence conjugale, le harcèlement sexuel et un épais plafond de verre quand il s’agit d’accéder à des postes de décision. LE COURRIER DE L’ATLAS 43 dossier ALGÉRIE FERIEL LALAMI : militante féministe, politologue et journaliste “Nous voulons un statut autonome pour les femmes immigrées” Le Courrier de l’Atlas : Quelles sont les revendications actuelles des Algériennes ? Feriel Lalami : Les revendications sont de plusieurs ordres. Sur le plan juridique, nous demandons l’abrogation du Code de la famille dont la timide révision en février 2005 a laissé entier le problème. Nous voulons la suppression du tuteur matrimonial (wali), mais aussi l’interdiction de la polygamie, un divorce plus équitable, la légalisation de l’adoption et enfin l’égalité devant l’héritage. Nos revendications sont également économiques, d’autant que de plus en plus de femmes assument seules ou avec leur conjoint l’entretien de leur famille. Malgré un niveau d’éducation de plus en plus élevé, elles subissent le chômage plus que les hommes. Leur accès à l’emploi stable est difficile et elles se tournent vers l’emploi informel qui leur offre peu de garanties. D’autre part, nous nous battons contre les violences. L’affaire des femmes violées d’Hassi Messaoud en 2001 a porté au-devant de la scène les actions revendicatives des associations contre les violences faites aux femmes, notamment les agressions domestiques qui restent de l’ordre du tabou. Cela dit, de plus en plus d’enquêtes et de statistiques sont rendues publiques et montrent que la maltraitance subie par les femmes, notamment celle exercée par les proches, est fréquente. La nouveauté réside dans le constat et la dénonciation de ces violences. Reste à mettre en place un dispositif juridique de sanctions des agresseurs et de protection des victimes. Entre elles, les femmes maghrébines ont de tout temps laissé s’exprimer leurs corps censuré. Quels sont vos moyens d’action pour concrétiser ces revendications ? Nous travaillons en réseau (Apel, Asfad, ATF, Pluri-elles Algérie et Rajire) et notre activité essentielle est l’information. Nous organisons des débats autour de films ou d’invitées, des séminaires comme récemment sur l’histoire croisée des luttes de femmes maghrébines pour leurs droits. Par ailleurs, chaque association gère dans son domaine des dossiers liés à la situation de dépendance juridique des Algériennes. Pour vous donner un exemple récent, à Apel (Association pour l’égalité devant la loi), nous avons suivi le cas d’une femme résidant régulièrement en France et que son mari a emmenée en Algérie, où il l’a privée de son passeport et de son titre de séjour pour l’empêcher de revenir en France. Il lançait en même temps une procédure de divorce expéditif en Algérie. Il a fallu plus d’un mois et demi de démarches, d’appels et de courriers pour que le consulat de France, qui exigeait d’elle le titre de séjour de son mari, lui délivre finalement un document administratif lui permettant le retour. Voilà un autre axe de nos revendications : nous voulons un statut autonome pour les femmes immigrées et non pas dépendant de celui de leur conjoint. En regard du contexte actuel, peut-on espérer mieux que la “réformette” de février 2005 ? Cette réforme en “trompe l’œil” est bien sûr loin de satisfaire les aspirations des Algériennes à l’égalité et à plus de liberté. Elle est aussi en deçà de la réalité sociale en Algérie où les femmes essaient d’élargir leur champ d’intervention publique, de gagner plus d’autonomie grâce à des études plus poussées, à une augmentation du taux d’activité qui peut leur donner des moyens propres de subsistance et à une fécondité maîtrisée. Mais ce que l’on constate, c’est que les gouvernants ne suivent pas ce mouvement de fond de la société. Je ne suis pourtant pas vraiment pessimiste parce que les Algériennes font preuve d’une vraie vitalité, mais je pense que toutes les conditions sont réunies pour avancer... à l’exception des conditions politiques. “Les femmes ont besoin d’une situation financière stable, ce qui implique que l’Etat leur garantisse l’accès à l’éducation, à une formation professionnelle et à une infrastructure adéquate afin d’alléger le travail domestique qui bouffe une partie importante de leur journée.” Zineb, 60 ans, sociologue 44 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 S. Rasmussen/Sipa - PAROLES DE FEMMES Partant du principe qu’il fallait être “réaliste et exiger l’impossible”, nous avons demandé à des femmes vivant en France et au Maghreb ce qu’elles changeraient, si elles le pouvaient, dans leur vie de femmes. dossier TUNISIE SIHEM BENSEDRINE : journaliste, porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie “La revendication principale reste le droit à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière.” La Tunisienne passe pour la mieux lotie de ses consœurs maghrébines vu ses droits et son statut… C’est une évidence. Le Code du statut personnel (CSP) est le premier code édicté par la Tunisie indépendante en 1956, avant même la promulgation de la Constitution. Il établit le principe d’égalité entre l’homme et la femme en en faisant deux citoyens égaux devant la loi. Ce code a fixé l’âge minimum pour le mariage et institué le principe du consentement au mariage pour les deux époux comme principe de sa validité, interdisant ainsi toute forme de tutelle sur la jeune fille qui prévalait auparavant. La grande nouveauté de ce texte a été l’interdiction de la polygamie et de la répudiation, et l’abolition de la contrainte matrimoniale. Ce code légalise également l’adoption, fait exceptionnel dans le monde musulman... D’autres avancées significatives ont accompagné cette volonté égalitaire. Dès 1956, les femmes acquièrent le droit de vote. En 1973, l’avortement est dépénalisé pour toutes les Tunisiennes et le droit des femmes au travail est institué. De même, les parents se voient obligés de scolariser leurs filles. Le CSP a cependant conservé certains aspects droits des femmes a constitué pour le régime actuel une sorte de faire-valoir démocratique. Le pouvoir a développé un féminisme d’Etat qui tend à devenir un monopole, déniant aux composantes de la société civile indépendante le droit à promouvoir la non-discrimination à l’égard des femmes, en confisquant les libertés d’expression et de réunion notamment. inégalitaires dont il a été expurgé au fil du temps sans jamais les éliminer totalement. En 1993, l’obligation d’obéissance au mari est abrogée. Depuis 1998, la femme a le droit de transmettre à ses enfants son patronyme même si elle est mariée à un étranger et sous réserve du consentement du père. La tutelle parentale est instituée, ainsi que la gestion parentale des affaires de la famille. Quels sont les freins et obstacles empêchant ces revendications d’aboutir ? Essentiellement l’absence de libertés qui se conjugue avec une régression des mentalités favorisée par le manque de débats qui fait la place grande à l’influence des courants rétrogrades qui se développent dans un climat répressif. Quelles sont aujourd’hui les principales revendications des femmes tunisiennes ? L’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates), dont je suis membre, appelle à la levée des réserves formulées par la Tunisie à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle lutte pour l’application sans réserve de cette convention, notamment les dispositions relatives au droit de succession qui restent inégalitaires. Cette revendication est portée par la majeure partie du mouvement des droits de l’homme. Mais notre revendication principale reste le droit à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière pour la femme. Cette dernière est, au même titre que l’homme, privée de sa citoyenneté. La question des En Tunisie, scolarité obligatoire et droit au travail pour les femmes depuis 1973. DR PAROLES DE FEMMES “Je ne voudrais rien changer à notre nature de femme et je suis en particulier très fière des maternités que j’ai portées et de la rencontre avec ces petits êtres qui ne constituent nullement un ‘obstacle à la vocation humaine’ comme l’aurait dit Simone de Beauvoir, mais bien l’essence de notre vocation humaine. Mais si je voulais que quelque chose change, c’est bien l’implication des femmes dans… la constitution de deux groupes distincts lors de nos réunions mondaines où les hommes refont les matchs de foot et le monde, et les femmes parlent chiffons. Ça m’exaspère. J’abandonne aux hommes les matchs de foot, mais quand il s’agit de refaire le monde, je voudrais que les femmes participent, qu’elles expriment leur point de vue, qu’elles prennent position. Pour y arriver, il ne faut pas que la femme ait passé sa journée au supermarché et dans sa cuisine, mais à la direction de son usine et de réunions syndicales ou politiques. La question de la Femme ne doit plus être un combat de femmes, mais un combat de société pour faire évoluer notre communauté.” Saloua, 43 ans, chef d’entreprise NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 45 dossier MAROC SOUMAYA NAÂMANE GUESSOUS : sociologue et professeure d’université “Le quota est incontournable dans une société où nous n’accordons pas encore assez d’importance à la présence des femmes.” Le Courrier de l’Atlas : Quelles sont les revendications actuelles des femmes ? Soumaya Naâmane Guessous : Je voudrais d’abord parler des préoccupations avant de passer aux revendications. Elles concernent l’application effective des récentes réformes du statut personnel. Nous sommes confrontées à de grands problèmes de procédure et de non-reconnaissance, parfois même au niveau des jugements de l’esprit de la réforme de la moudawana. Le nouveau code existe, mais il n’est pas encore appliqué totalement parce que sa mise en œuvre se heurte à des rigidités. Or, il ne suffit pas de légiférer pour changer les mentalités. De plus, certaines procédures ne sont pas encore mises à jour ou unifiées au niveau de l’ensemble du royaume. Le divorce, le partage des biens, la reconnaissance de la paternité posent encore problème. La société civile reste aussi mobilisée pour lutter contre la violence à l’égard de la femme, la discrimination dans le milieu du travail, mais aussi le travail des petites filles. Ceci étant, à la veille des élections, émergent des revendications visant à encourager et promouvoir une meilleure représentation des femmes dans les postes de pouvoir. Nous sommes à moins de 1 % tant pour les assemblées communales que législatives. Actuellement, tous les efforts sont mobilisés sur ce chantier. Il s’agit de sensibiliser la population, mais de voir aussi ce que l’Etat peut faire pour favoriser la présence féminine. Seriez-vous pour l’instauration de quotas ? Le quota n’est pas démocratique, mais il est incontournable dans une société où nous n’accordons pas assez d’importance à la présence des femmes dans la vie publique. Les perspectives vous semblent-elles plutôt favorables pour les femmes ? Je suis optimiste malgré le contexte islamiste. Notre population est en train de s’instruire, de se former. Les femmes elles-mêmes sont très exigeantes : même lorsqu’elles méconnaissent les lois et leurs droits, elles s’opposent à l’oppression qu’elles subissent. Elles ne considèrent plus cela comme faisant partie de traditions sacrées. Plus elles sont jeunes, plus elles sont révoltées, plus elles ont envie d’obtenir leurs droits, y compris celles qui ont des idées islamistes. Même les filles voilées qui sont dans le fondamentalisme cherchent l’équité, l’égalité au niveau des droits ainsi que le partage des rôles dans les foyers. Une islamiste remet en question le machisme et l’attitude d’un mari qui va chercher à l’esclavagiser. Pour autant, je ne parlerais pas d’émergence d’un féminisme islamiste, mais plutôt d’une prise de conscience collective du rôle de la femme qui sait à présent qu’elle occupe une place prépondérante dans la société. Elle n’est plus cette femme qui va endurer en silence. Aujourd’hui, la Marocaine défend ses droits au quotidien sans forcément être liée à une structure associative ou à un parti politique. Parallèlement, la société civile se consolide et s’unifie dans ces revendications. Et le fait de travailler dans le cadre de réseaux donne plus de poids. En outre, la population féminine prend conscience de ses droits et veut les exercer. Sans oublier que parmi les jeunes hommes aussi il y a une évolution, certes moins spectaculaire que celle des femmes. Personnellement, elle ne me satisfait pas telle qu’elle est à l’heure actuelle, mais, en tant que chercheure, je la trouve prometteuse pour l’avenir. L’IVG, un sujet tabou au Maghreb L’interruption volontaire de grossesse ne figure aucunement sur la liste des revendications des féministes du Maghreb. Et une fois de plus, la Tunisie fait figure d’exception. L’avortement y a été légalisé en 1963 pour les mères ayant plus de cinq enfants. Et depuis 1973 (deux ans avant les Françaises), toutes les Tunisiennes, à condition d’être majeures, peuvent avorter. L’intervention est gratuite et ne nécessite pas d’autorisation du mari... Autrement dit, les célibataires aussi peuvent mettre un terme à une grossesse non désirée. En Algérie et au Maroc, seul l’avortement thérapeutique est permis, mais lorsque la vie de la mère est en danger et certainement pas en cas de malformation (même importante) du fœtus. Soumaya Naâmane Guessous, co-auteur avec Chakib Guessou de Grossesses de la honte (Editions Le Fennec), revendique pour sa part la “légalisation de l’avortement en cas de viol ou d’inceste”. L’interdiction d’avorter ne signifie pas que la pratique n’est guère de mise. Faute de statistiques, on ignore combien de femmes mettent clandestinement un terme à leur grossesse dans des conditions de sécurité et d’hygiène pas toujours irréprochables. Et l’on sait encore moins combien d’entre elles meurent ou gardent à vie des séquelles suite à ses interventions. Quant au nombre de nouveaux-nés abandonnés à la naissance ou retrouvés étouffés dans des poubelles, il y a hélas fort à parier qu’ils continueront à alimenter la rubrique des faits divers tant que l’avortement ne sera pas gratuit et accessible à toutes. “Il y a une chose toute simple et en même temps très difficile à réaliser que je voudrais voir changer au Maroc, c’est ce regard (au sens visuel) à la fois avilissant et vicieux, parfois même pervers, que portent les hommes marocains (tous âges et toutes catégories confondues) presque systématiquement sur les femmes. Le jour où ce regard changera, le Maroc fera un bond en avant...” Safaa, 34 ans, chargée d’activités culturelles 46 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 DR PAROLES DE FEMMES dossier SIHAME, chargée de l’orientation et de la formation dans l’équipe de Ségolène Royal Elle est chef d’entreprise, femme politique... Portrait d’une femme libre. D ifficile de croire que cette jeune fille bouillonnante n’a que 24 ans, tant son assurance affichée, son réseau de contacts sans limites et son aisance dans tous types de cénacles surprennent. Il est vrai que cette Franco-Marocaine se laisse difficilement impressionner. Quel que soit l’interlocuteur. Elle est aujourd’hui manager général de sa propre entreprise, Apim Consulting, une structure basée à Bruxelles, à proximité de la Commission européenne, pour faire du lobbying (elle déteste ce terme...) pour le compte de ses clients ou des gouvernements qui font appel à elle pour répondre à un besoin ponctuel ou pour tenter d’agir sur la durée, en fonction du pays qui occupe la tête de l’exécutif européen. Conséquence : elle vit entre Paris et Bruxelles, quand elle n’est pas dans un avion en partance pour le Maroc pour faire avancer un projet sur l’autre thème qui lui tient à cœur, la diversité. Après avoir décroché son bac à 16 ans, Sihame entre à Sciences Po Paris. Elle en sortira avec un master en Sciences politiques (option Relations internationales) pour entrer de plain-pied dans le travail politique de haut niveau. Elle a ainsi été tour à tour membre du staff de campagne de la députée Elisabeth Guigou, membre de la Commission de travail sur les banlieues créée par le Premier ministre Dominique de Villepin après les émeutes de novembre 2005, chargée de mission auprès de la ministre de la Défense, Michelle Alliot-Marie, et, enfin, collaboratrice de Ségolène Royal dans le cadre de la campagne menée sur le thème de l’orientation et la formation. Pas assez de boulot manifestement pour cette jolie brunette qui semble increvable. En 2003, après les attentats de Casablanca, elle décide en urgence de monter une opération pour redorer le blason du royaume (ne lui dites surtout jamais de mal de son Maroc !) : ce sera à Marrakech, excusez du peu, le fameux Forum international Choc des civilisations et dialogue des cultures. Elle fait partie aujourd’hui du Club de Rome (Bruxelles) et est membre du comité directeur de l’Alliance mondiale des Marocains du monde, tout en menant des opérations ponctuelles pour le compte du ministère marocain du Tourisme (Kounouz Biladi) ou pour celui du ministère chargé de la Communauté marocaine à l’étranger. Son nouveau défi : créer à Paris sa propre structure de réflexion. Un think-tank où figurent des personnalités de la communauté franco-marocaine de l’Hexagone dont, entre autres, Fatéma Hal et Abdellatif Benazzi, et dont vous avez déjà entendu parler dans le numéro 1 du Courrier de l’Atlas. A moins qu’elle ne dégaine encore une autre initiative. Sacrée Sihame dont le prénom (flèche en arabe !) suffit à la décrire... ■ Hassan Ziady Chargée de mission auprès de Michèle Alliot-Marie, membre de la Commission de travail sur les banlieues créée par Dominique de Villepin, collaboratrice de Ségolène Royal... DR L’héritage : des pratiques en avance sur le droit Pour Soumaya Naâmane Guessous, espérer l’égalité hommefemme en matière d’héritage est “de l’ordre de l’utopique en ce moment du fait de l’influence islamiste. Il est même impossible de mettre cette question sur le tapis. Cette mesure ne fait pas partie des revendications car, à chaque fois qu’on a osé l’aborder, les réactions ont été très négatives”. De plus, on croit à tort que cette revendication ne concerne que l’élite. “Et c’est faux, s’insurge Soumaya Naâmane Guessous. Les plus démunies pâtissent probablement davantage de cette inégalité. Prenons le cas d’un couple qui n’a que des filles. Si le mari décède, les oncles deviennent héritiers. Parfois, le père ne lègue qu’une chambre ou une humble maison que les enfants et la veuve vont être obligés de quitter pour se retrouver à la rue afin que les héritiers la vendent et obtiennent chacun leur part. Néanmoins, cette question semble aujourd’hui secondaire et ne fait pas partie des priorités.” Ceci étant, “dans les faits, on remarque un contournement de la loi, beaucoup de parents procédant de leur vivant à des ventes ou NUMÉRO 2 MARS 2007 des donations pour mettre leurs enfants de sexes différents sur un pied d’égalité. Nous sommes dans des situations où la réalité est en avance par rapport au droit”, souligne Khadija Finan, chargée de recherche à l’Ifri (Institut français de recherche internationale), qui elle non plus n’est guère optimiste quant à une évolution sur ce point précis. “Compte tenu de la structuration de l’islamisme et de l’islamisation des sociétés, il ne faut pas s’attendre à des avancées dans ce sens”, prévientelle. Pour autant, à l’AFTD (Association tunisienne des femmes démocrates), on ne se résout pas au silence. En 1999, l’association a lancé une pétition réclamant l’égalité dans l’héritage entre les sexes. Elle n’avait alors recueilli que 1 000 signatures, essentiellement féminines. Le 13 août dernier, jour du 50e anniversaire du Code du statut personnel tunisien, a commencé à circuler une brochure sous forme de plaidoyer. L’objectif : “Venir à bout de ce bastion de la domination patriarcale qu’est l’inégalité des droits en matière d’héritage.” LE COURRIER DE L’ATLAS 47 dossier Un mélange entre les traditions du pays d’origine et celles du pays d’accueil. LES FEMMES, UNE AUTRE CATÉGORIE DE MIGRANTS FRANCE Depuis les premières vagues de migration des Maghrébins dans les années 60, le profil des femmes migrantes a énormément évolué. P lusieurs générations de femmes se sont succédé au cours des cinquante dernières années. Les femmes migrantes représentent 47 % de la population immigrée dans le monde. En France, elles constituent 41,1 % de la population immigrée tunisienne et marocaine, et 39 % des Algériens. Hafida Chekir, maître de conférence à l’université de Tunis et spécialiste de la question, recense trois catégories de femmes migrantes. Tout d’abord, celles entrées via le regroupement familial. Elles ont rejoint leur mari, 48 LE COURRIER DE L’ATLAS travailleur immigré de la première heure. Elles sont nombreuses à être issues de milieux ruraux, venues pour élever leurs enfants, entretenir leur foyer et s’occuper des affaires familiales. Elles ont eu à cœur de veiller au maintien des traditions et au respect des coutumes du pays d’origine. Ensuite, les femmes seules qui ont immigré pour des raisons économiques, de leur plein gré. Elles sont une entité économique autonome. Venues trouver un emploi ou poursuivre leurs études, elles sont aussi motivées par le désir d’échapper à l’emprise des contraintes culturelles, du religieux ou des problèmes politiques, et elles manifestent un désir d’émancipation par la migration. Enfin, celles nées en Europe, dans le pays d’accueil. Seconde génération de migrantes, elles continuent à porter les stigmates du déracinement transmis par leurs parents. Souvent de double nationalité, elles ont adopté leurs mœurs et leurs habitudes tout en restant attachées à leurs traditions familiales et sociales : un mélange entre les traditions du pays d’origine et celles du pays d’accueil. Plus que toute autre, elles sont NUMÉRO 2 MARS 2007 France Keyser/Invisu par Nadia Lamarkbi dossier confrontées aux dilemmes qui peuvent les mener jusqu’à des conflits familiaux douloureux. DES DISCRIMINATIONS AU QUOTIDIEN Ces femmes connaissent des discriminations qui peuvent porter sur l’exercice de la citoyenneté et la vie publique, et sur l’exercice des droits socioprofessionnels. Par exemple, le statut des femmes est pris en considération dans l’octroi du visa de séjour aux femmes puisque sont privilégiées les épouses et les mères qui ont droit au regroupement familial depuis la loi de 1974. Le célibat constitue souvent un frein à l’obtention ou à la régularisation du titre de séjour. Corollaire : le divorce entraîne le non-renouvellement du titre de séjour, plaçant les femmes dans une situation de dépendance vis-à-vis des maris. Quant aux femmes étrangères non ressortissantes de la Communauté européenne, elles ne peuvent être ni électrices ni éligibles, à l’exception des élections locales ou municipales dans certains pays de l’Union et ceux, contrairement au traité de Maastricht (1992), qui stipulent que le droit de vote aux élections locales leur est accordé si elles séjournent cinq ans au moins dans le pays d’accueil. Le seul droit qu’elles peuvent exercer pleinement est la liberté d’association. Elles peuvent y adhérer librement ou créer leur propre structure. Elles sont nombreuses, d’ailleurs, à avoir intégré des collectifs de défense des immigrés, des sans-papiers, des sans-logement, etc. Hormis la très médiatique association Ni putes ni soumises, elles sont dans les associations de quartier, dans des associations telles qu’Une chorba pour tous où elles mettent à contribution leurs savoir-faire. UN RÔLE ÉCONOMIQUE IGNORÉ Le rôle économique de ces femmes est peu mis en avant. Pourtant, elles contribuent, aussi bien dans le pays d’origine que dans le pays d’accueil, à l’amélioration des condi- tions de vie. D’après les données de “l’enquête Emploi” de l’Insee, en 2000, les femmes représentaient un tiers des actifs maghrébins en France. Femmes de ménage, assistantes maternelles, auxiliaires de vie…, plus de la moitié des migrantes travaillent dans le service aux personnes ou plus largement dans le secteur des services, permettant ainsi aux familles européennes d’améliorer leur qualité de vie. Dans ces secteurs subsiste encore une forte économie souterraine, avec tout ce qu’elle peut engendrer comme exploitation économique et discriminations. ELLES SONT PLUS ACTIVES DANS LE DÉVELOPPEMENT DU PAYS D’ORIGINE D’après le Rapport 2006 du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap), les salaires transférés par les migrantes sont utilisés principalement pour couvrir les besoins quotidiens, les frais de santé et d’éducation. Pour ces analystes, c’est un “schéma qui reflète les priorités des femmes migrantes en matière de dépense”. Elles seraient plus portées que les hommes à investir dans leurs enfants et dans les sociétés traditionnelles. Les hommes tendent à dépenser les salaires rapatriés dans des biens de consommation, par exemple des voitures et des appareils de télévision, ou pour investir dans des biens immobiliers ou du bétail. Toutefois, les femmes n’exercent que peu de contrôle sur la prise de décisions financières, la gestion des avoirs et de la propriété. Ces transferts de salaires auraient encore un plus grand rôle dans la réduction de la pauvreté et le développement si les femmes n’affrontaient pas une discrimination en matière de salaire, d’emploi, de crédit et de propriété, si elles n’étaient pas exclues de la prise de décision au sein de la famille. ■ Crèches, services aux personnes âgées, ménage sont les secteurs où les immigrées travaillent le plus. Nascimento/Réa PAROLES DE FEMMES “Je rêve d’égalité professionnelle, c’est-à-dire à travail égal, salaire égal ; à investissement égal, avancement égal. Et, petite cerise sur le gâteau, ne plus entendre la question : ‘T’es prête à mettre ta carrière en jeu pour avoir des enfants ?’ Pas de sacrifice individuel, mais un effort collectif !” Leila 30 ans, journaliste “Je voudrais que les hommes mariés portent également le nom de leur femme.” Zoulikha, 29 ans, artiste NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 49 Au Caire, 80 % des femmes portent le hidjab. rigorisme Avec un Code du statut personnel très restrictif vis-à-vis des femmes, des traditions rétrogrades comme l’excision, des mariages précoces et un taux d’analphabétisme élevé, les Egyptiennes vivent un quotidien particulièrement difficile. par Leïla Meziane 50 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Florence Durand/Sipa l’égypte est à la traîne dossier U ne femme drapée de noir de la tête aux pieds passe sous un panneau publicitaire qui vante les charmes d’une starlette cheveux au vent et sourire aguicheur... Scène banale dans une rue du Caire, qui illustre bien la situation complexe des Egyptiennes en ce début de XXI siècle : coincées entre renouveau islamiste et influences occidentales, tiraillées entre vie active et vie de famille, sous un régime autoritaire qui ne leur donne pas la parole. Aujourd’hui, un simple coup d’œil permet d’observer que plus de 80 % des femmes sont voilées au Caire. Depuis le 11 septembre, la recrudescence du port du hidjab concerne toutes les classes sociales. Si certains analystes parlent de repli identitaire, la première motivation avancée par les Egyptiennes est religieuse. Vient ensuite la sensation de se sentir “protégée”, “d’échapper aux regards des hommes”. “Les filles se sentent plus respectables quand elles portent le hidjab. Avant le mariage, c’est comme un signe de virginité”, explique Hind, une jeune journaliste de 25 ans, cheveux en liberté, en jean et tee-shirt. Signe des temps, la mode du voile a aussi fait un raz-de-marée chez les artistes. On les appelle les “repenties” : la danseuse Hala Safi, la speakerine Camellia al-Arabi, la jeune actrice Nisrine, la chanteuse et actrice des années 50 Chadia, la chanteuse Mona Abdel Ghani... toutes ont succombé au chant du muezzin, racontant leur “révélation” dans des autobiographies à succès et ne sortant plus tête nue. Le réflexe voile est aussi de plus en plus précoce : la poupée Fulla, version musulmane de Barbie qui porte le hidjab, fait un malheur auprès des petites Egyptiennes. Autre phénomène : un certain nombre de femmes de la classe moyenne, voire de la petite bourgeoisie, portent désormais le voile intégral, importation du wahhabisme, l’islam rigoriste pratiqué dans les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite. Ce qui n’empêche pas l’abbaya et le niqab de dissimuler des femmes actives, Musulmanes ou coptes, 96 % des femmes sont excisées selon la dernière enquête démographique et de santé (2005), 96 % des femmes mariées entre 15 et 49 ans sont excisées en egypte. le taux de prévalence est de 92 % chez les femmes ayant un niveau élevé d’éducation (secondaire ou plus) et vivant en milieu urbain. Il est de plus de 98 % chez les femmes analphabètes ou avec un niveau d’éducation primaire, et vivant en milieu rural. l’excision, justifiée par la tradition (elle existerait dans le pays depuis deux siècles), touche aussi bien les musulmanes que les coptes. Il n’existe pas de loi contre l’excision, mais un décret du ministère de la santé publique datant de 1997 qui interdit la pratique dans les hôpitaux publics. pour autant, 75 % des excisions sont pratiquées par des membres du corps médical dans les hôpitaux et cliniques, privées ou publiques, le reste étant le fait des dayas, les sages-femmes traditionnelles. le sujet des mutilations génitales féminines est encore tabou et la pression sociale très forte : le fait de ne pas être excisée peut être un obstacle au mariage. plusieurs campagnes de sensibilisation ont pourtant été mises en place par les autorités et l’Unicef observe une hausse du soutien en faveur de l’élimination de la pratique, notamment parmi les responsables religieux, ainsi qu’une tendance à la baisse. qui travaillent, conduisent leurs voitures, font leurs courses. Des MIgrantes plUs aCtIVes Dans le DéVelOppeMent HUMaIn “Certaines personnes laissent entendre que les femmes sont opprimées seulement par l’islam, c’est faux !”, tempête Nawal Al Saadawi, grande figure du féminisme égyptien. “Toutes les religions oppriment les femmes. En Egypte, les femmes sont opprimées par la religion mais aussi par la société patriarcale, la société de classe et le capitalisme”, soutient celle qui milite pour l’abolition d’un Code du statut personnel qu’elle juge “oppressif et quasi esclavagiste”. Ce dernier autorise notamment la polygamie qui, selon les chiffres officiels, ne toucherait que 3 % des ménages. Les Egyptiennes vivent au sein d’une société largement conservatrice. Surtout dans les campagnes, où les crimes d’honneur, quoique peu répandus, existent, et où nombre de fillettes sont retirées de l’école avant leurs dix ans et mariées de façon précoce, selon l’Unicef. Les femmes, surtout en milieu rural, souffrent de la pauvreté, de l’analphabé- tisme et de l’excision, une pratique qui les touche à 96 % (voir encadré). Les Egyptiennes sont également victimes d’une violence domestique et conjugale quasi institutionnalisée. Le système de divorce, “discriminatoire envers les femmes, selon l’ONG Human Rights Watch, les empêche de se séparer d’un mari violent”. Si les hommes jouissent d’un droit unilatéral et inconditionnel au divorce, sans passer par le tribunal, les femmes, elles, doivent recourir à la justice. Malgré tout, quelques avancées en matière des droits des femmes sont à noter. Depuis 2000, malgré des conditions peu encourageantes, les femmes peuvent demander le divorce sans avoir à prouver la “faute” de leur mari. Elles peuvent transmettre leur nationalité à leurs enfants nés de pères non égyptiens (sous certaines conditions aussi) et n’ont plus besoin de la permission de leur mari pour voyager. La loi qui permettait à un violeur de se disculper s’il épousait sa victime a été abolie. Les femmes ont aussi fait une petite percée en politique, avec quelques élues au Parlement et plusieurs députées nommées par le Président Hosni Moubarak. ■ parOles De FeMMes DR “Je voudrais que les femmes aient suffisamment confiance en elles pour qu’elles arrêtent de jouer la concurrence entre elles.” sanaa, 29 ans, comédienne “Je changerais l’horloge biologique.” Miriam, 34 ans, employée de banque “Je ne changerais rien. Je me plais dans mon rôle d’épouse, de mère et de femme active, et je l’assume... Je voudrais juste un peu plus de vacances.” yasmine, 47 ans, manager en télécommunications NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 51 a tunis, les femmes choisissent leur façon d’être au féminin. avant-garde En 1956, la polygamie et la répudiation sont interdits en Tunisie et les femmes obtiennent le droit de vote et d’éligibilité. Cette libération est-elle une réalité ou un leurre ? par Clarisse Rebotier T unis. Sur l’avenue Bourguiba, de jeunes couples déambulent en se tenant par la main. Les jeunes hommes draguent les passantes de façon très ostentatoire… Les terrasses des cafés sont pleines, des tables sont occupées par des groupes de femmes. Certaines fument. Là-bas, celle-ci boit même un Pastis. Les unes portent des pantalons et des pulls moulants, d’autres ont opté pour le hijab, d’autres encore se dissimulent complètement dans des tenues noires. Deux jeunes filles discutent : l’une style baba cool porte des cheveux à la garçonne, l’autre arbore le hijab. Dans les campagnes, la vie est encore très traditionnelle, mais Tunis nous apparaît 52 LE COURRIER DE L’ATLAS comme une ville moderne où les femmes semblent pouvoir choisir librement leur façon d’être au féminin : plutôt à l’orientale ou plutôt à l’occidentale. Certes, les femmes travaillent, beaucoup occupent même des postes très importants. Ce sont elles qui obtiennent le plus souvent tous les avantages du divorce. Certaines font parfois le choix de vivre seules. Le planning familial a permis de baisser de manière significative le nombre d’enfants. Les acquis du passé progressent vraiment en leur faveur. D’autant plus que le régime actuel s’est emparé du symbole de la femme tunisienne libre et s’en sert comme d’une icône symbolisant la modernité du pays. Critiquées, voire taxées de mécréantes par le Moyen-Orient d’un côté, séduites par les charmes de la liberté occidentale de l’autre, les Tunisiennes ne savent plus où elles en sont. Comme d’autres femmes arabes, elles subissent cette situation comme un écartèlement identitaire. Mais la spécificité tunisienne est le rapport ambigu que l’Etat entretient avec la religion dans sa fervente croisade anti-intégrisme. En effet, depuis les années 90, le port du voile, symbole d’une “appartenance politique qui se cache derrière la religion” est interdit dans les établissements publics, éducatifs et universitaires, ainsi que dans tous les espaces publics. Traditionnellement, les Tunisiennes n’ont jamais porté le hijab, mais depuis quelques années, la multiplication des voiles est frappante. Pour une femme, faire le choix du jean troué ou celui du voile, c’est vouloir affirmer socialement son indépendance ou son attachement à la communauté. Mais, en Tunisie, choisir le voile, c’est en plus une forme de contestation tacite contre le régime de Ben Ali. n nUMÉrO 2 MARS 2007 Alain Mounic/FEP/Panoramic les Tunisiennes enTre jean Troué eT hijab dossier “FeMMes (MiliTanTes) Du MaroC ” MagaZIne Le mensuel Femmes du Maroc accompagne depuis 1995 la lutte au féminin. Après les mutations, la stagnation à nouveau. Pour sa directrice, la laïcisation est urgente. par Yann Barte e “ n 2003, on s’est un peu gargarisé avec cette réforme du Code de la famille tant attendue. Une réforme des droits de la femme tenant compte de la charia et un peu… des conventions internationales ratifiées. Ça restait le maximum que l’on pouvait obtenir avec une telle approche, rien de totalement révolutionnaire !”, explique Aïcha Zaïmi Sakhri, directrice du magazine Femmes du Maroc. “Aujourd’hui, il faut sortir du religieux, passer le cap de la sécularisation.” Aïcha Zaïmi Sakhri annonce ainsi le prochain grand chantier, le seul possible aujourd’hui pour faire avancer la cause des femmes dans le royaume. Encore du pain sur la planche… Femmes du Maroc est né en 1995 “dans un contexte favorable à la liberté d’expression et à la revendication”. Durant toutes ces années, le magazine leader de la presse féminine francophone au Maroc devient un catalyseur et permet une mise en lumière des revendications des mouvements féministes. “C’est sûr qu’ici, à la rédac, le mot ‘moudawana’, l’ordinateur le reconnaît tout de suite et depuis le 1er jour !” La décennie connaît quelques faits marquants en matière de droits des femmes : “La nomination par Hassan II, à l’été 1997, de quatre femmes secrétaires d’Etat”, “le plan d’action national qui aura divisé la société en deux”, conservateurs d’un côté, progressistes de l’autre, “…et quand je dis en deux… Le rapport est plutôt de 70-30 ou 80-20 en défaveur des modernistes, sans compter les nombreux indifférents”. Les grands défilés du 12 mars 2000 révèlent en effet brutalement un rapport de force assez inattendu : alors que Rabat organise une marche bon enfant pour l’égalité hommes-femmes, les islamistes organisent le même jour une marche impressionnante à Casablanca, témoignant d’une puissance de mobilisation extraordinaire et remportant la guerre des images. Le mensuel islamiste Attajdid exulte. “Les modernistes sont toujours plus difficilement mobilisables, constate Aicha et préféraient peut-être dormir ce dimanche matin…” Arrivé en 1999, Mohammed VI prône l’égalité hommesfemmes et nomme une commission autour aïcha Zaïmi Sakhri. du plan d’action. “Nommer une commission, c’est souvent le meilleur moyen d’enterrer un projet. De plus, la commission allait travailler à huis clos et comprenait trois femmes et des oulémas… Pas vraiment moderne donc.” Puis “rien ne se passe” jusqu’en 2003, date à laquelle le roi entérine finalement en 2003 la version moderniste de la Moudawana, devenue l’actuel Code de la famille. “On passe alors d’un statut de mineure à celui d’adulte… à condition toutefois d’être mariée !” Les années qui suivent connaissent encore une démobilisation. Les associations se soucient moins de l’application du droit, de l’information de ces droits auprès des femmes, de la sensibilisation des juges, avocats… “Juillet 2005, suite à une rencontre avec Soumaya Naâmane Guessous, nous lançons une pétition dans le magazine pour la transmission de la nationalité marocaine par la mère. Près de six mille signatures sont recueillies !” et un résultat qui ne se fait pas attendre : “Lors du discours du Trône suivant, le roi accorde finalement – avec quelques restrictions – le droit de la transmission de la nationalité par la femme.” Depuis, la société civile semble obsédée par les élections prochaines. Ce sont bien deux projets de société qui se font face. Après des années de combat, les Femmes du Maroc ont compris qu’il n’y aurait “pas d’autres solution que la laïcisation, la séparation du religieux et du droit”. En douze ans, l’idée s’est peu à peu affirmée comme une évidence au sein du magazine. n Paroles De FeMMes DR “Ma version du pragmatisme féminin consiste à stresser beaucoup et agir peu. J’aimerais que ce soit le contraire. J’aimerais aussi accepter mon allergie profonde face à l’idée du couple au lieu de chercher au nom de je ne sais quel conditionnement personnel à rejoindre ce modèle qui n’est pas taillé pour moi.” iman, 31 ans, professeure nUMÉrO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 53 IMMIGRÉS Discrets, souvent résignés et mal représentés, les vieux migrants sont 70 000 en France à subir le mépris des institutions de l’Etat. Les derniers projets de loi (réforme des anciens combattants, texte Borloo), annoncés à grand bruit, n’ont strictement rien réglé. Comme les autres immigrés âgés, les “chibani”(1) restent les laissés-pour-compte des gouvernements successifs français, comme de leurs pays d’origine, la plupart du temps complices ou indifférents. Enquête. Par Yann Barte 54 LE COURRIER DE L’ATLAS (1) Vieux en arabe NUMÉRO 2 MARS 2007 L.Theillet/Sud Ouest/MAX PPP Enquête Chibani, les oubliés d’ici et là-bas NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 55 enquête 56 LE COURRIER DE L’ATLAS faux nom.” Abdallah fait l’inventaire de ses différentes vies : son service militaire, ses emplois dans le commerce, l’agriculture et puis la Hollande où il travaille dans la restauration… toujours au noir. “Je parlais bien l’espagnol, ça m’a aidé pour le néerlandais.” En 1981, il arrive en France : “Là, j’ai vécu l’enfer. J’étais terrassier pour un chef de chantier algérien, un escroc qui me demandait de lui payer problème, mais qui remplit sans doute aux yeux de certains trop d’espace, au détriment d’un réseau moins connu d’associations qui accompagnent ces vieux migrants… et il faut bien l’avouer, bien moins subventionné. Le café est en effet photogénique, accueillant et convivial : canapé aux jolis coussins jaunes, meubles en bois naturel, confiturier maison et expo de photos noir et blanc d’anciens combattants aux murs… “Un beau café À QUAND UNE RÉELLE RÉFLEXION SUR CE QU’EST pour de vieilles carcasses comme nous !”, me UN PROJET DE VIE POUR CES PERSONNES lance un chibani assis CONSIDÉRÉES AUJOURD’HUI EN FRANCE COMME près de la porte. C’est DES CITOYENS DE SECONDE ZONE ? que l’“on a besoin de beau pour refaire surfaà boire et à manger. Parce que je refusais, il me ce, m’explique le directeur des lieux, Moncef laissait seul sur le chantier et fermait la baraque Labidi. L’idée consistant à accueillir dans la qui servait à cuisiner et à nous changer pour précarité des personnes en situation précaire n’a que je mange ma gamelle dehors, dans le froid.” aucun sens”. Puis ce sont les ennuis de santé, la hernie Si l’endroit semble protégé, les problèmes discale qui lui interdit le port des charges que rencontrent ses visiteurs restent semlourdes, le diabète, les problèmes de nerfs, blables à ceux de tous les autres vieux mide sommeil, les accidents du travail qu’il grants du quartier. Une assistante sociale, doit cacher pour conserver son emploi, “les salariée du café, débroussaille tout un imjournées de quinze heures déclarées huit…” Debroglio administratif. “Jusqu’à l’âge de puis 2001, Abdallah est hébergé gratuite60 ans et la retraite, les personnes évoluent ment “par des Français”. Mais à la fin du dans différents dispositifs : le RMI, l’allocation mois, cette fois, il devra quitter les lieux. “Je adulte handicapé… Le passage d’un dispositif ne sais pas où je vais aller”, avoue-t-il. à un autre est souvent complexe et entraîne de nouveaux dossiers, de nouveaux interlocuteurs, LE CASSE-TÊTE ADMINISTRATIF des interruptions de versements…”, explique le A deux pas de la place, s’est créé il y a sept responsable. Mais ce sont les vieux eux-mêans un café social, le “café chibani” comme mes qui parlent le mieux des tracasseries beaucoup l’appellent. Un lieu qui a eu le administratives : la suspicion permanente mérite d’attirer l’attention des médias sur le aux guichets des caisses de retraite, de la Avec 400 euros d’allocation, Abdallah n’a pas le choix : il vend des bricoles dans la rue. NUMÉRO 2 MARS 2007 Yann Barte Ç a risque d’être long…”, soupire Abdallah. A deux pas du métro Couronnes, debout devant un parterre d’articles de toilettes étalés sur le trottoir, Abdallah, 59 ans, vient d’accepter de me conter son histoire. Autour de lui, une dizaine de personnes de toutes origines, âgées de 50 à 80 ans, assises sur des bancs ou accroupies par terre, vendent des lots de vêtements usés, shampooing, rasoirs, savons… C’est ici, devant l’enseigne Richbond, numéro 1 du salon marocain, qu’Abdallah tente d’arrondir sa maigre allocation de solidarité de fin de droit de 400 euros. Encore trop jeune pour bénéficier du minimum vieillesse et bien trop usé pour retrouver un vrai travail. “Je me fais 5 à 10 euros et quelquefois… rien de la journée !” C’est peu, d’autant que chaque mois, Abdallah donne 300 euros sur les 400 que lui verse l’Assedic suite à un emprunt de 7 000 euros pour aider un parent au pays : “Là-bas, sans argent, t’as plus qu’à crever !” Abdallah déverse sur ce trottoir ses espoirs de jeunesse, ses rancœurs, ses douleurs, comme sa rage toujours intacte contre tous ces employeurs qui ne l’ont jamais déclaré, ces experts de la Sécu qui ont menti… “Je rêve de flinguer tout ce monde”, lance-t-il, vindicatif, conscient qu’il n’aura qu’une retraite de misère. A 14 ans, Abdallah, originaire de Nador, au Maroc, quitte la maison familiale sans prévenir personne. Deux cents dirhams en poche, il traverse la frontière algérienne avec des contrebandiers. “Je voulais vérifier ce que me disait mon père sur la loi, la justice… Mais après avoir été un peu partout, en Algérie, en Espagne, en Allemagne, en Belgique, en France…, je sais aujourd’hui que la seule loi, c’est l’argent !” A Oran, le jeune Marocain vend dans la rue des articles de maquillage achetés chez un grossiste. Qui eût pensé qu’il ferait, plus de quarante ans après, quasiment la même chose sur les trottoirs parisiens ? “Trois ans après mon départ, j’ai contacté mon père à qui je n’avais donné aucune nouvelle. Il pleurait au téléphone. J’étais tombé amoureux à Oran et je voulais me marier, rester vivre là-bas…” Abdallah est interrompu par un client qui s’enquiert du prix d’un lot de deux brosses à dents. “Un euro ! Et 1,50 si t’en prends deux !” “Regarde le destin !, continue-t-il sur sa lancée, la femme avec qui je voulais me marier était en fait de ma famille ! Et elle ne le savait pas plus que moi puisque je lui avais donné un “ enquête Valérie Lefournier Sécurité sociale, de la CAF, les convocations à répétition, l’attente, les quittances de loyer refusées, les papiers impossibles à obtenir au bled, la remise en cause de la résidence en France par les services fiscaux… Face à ces difficultés, beaucoup d’anciens finissent même par renoncer à leurs droits. “Je voulais la nationalité, mais ils demandent trop de papiers, de mon père, mon grand-père… J’ai essayé il y a quelques années et puis j’ai finalement renoncé”, raconte Miloud, 64 ans, résident en France depuis quarante ans. Pour le regroupement familial, en revanche, pas question de lâcher. Il y a plus d’un an, il déposait une demande pour faire venir sa femme qui vit à Tataouine, en Tunisie. Toujours aucune réponse. “C’est trop long ! On me demande 1 200 euros comme revenu. J’en ai 1 010 de retraite avec ma complémentaire. On m’a dit que c’était trop juste. J’espère quand même... Pour l’appart, l’expert qui est passé chez moi m’a dit que c’était bon. J’ai un studio HLM pour ma femme et moi. Il faut 16 m2 pour deux et j’en ai 26.” Miloud a aussi trois enfants qu’il ne pourra jamais faire venir. Il le sait. Pas de regroupement familial pour les enfants majeurs (son dernier a 24 ans) et impossibilité pour eux d’avoir même un visa de tourisme. La loi Ceseda de Nicolas Sarkozy serre même un peu plus les vis, ajoutant toujours plus de critères restrictifs. L’achat d’un appart il y a quelques années au nom de son fils pour faciliter son arrivée n’aura servi à rien. Pire, “maintenant, je ne peux ni louer ni vendre cet appart qui est à son nom”. Miloud n’est certainement pas le plus mal loti parmi les chibani. Le constat est quand même amer : “En 1972, je touchais comme aujourd’hui.” PROJET DE LOI BORLOO : “UNE MESURE BRICOLÉE ENTACHÉE DE MESQUINERIES” “C’est un non-événement en terme de politique sociale dans ce pays, une bricole entachée de goujaterie et de mesquinerie. Et le tintamarre fait dans les médias est aussi indu que celui fait autour des pensions des anciens combattants.” Omar Samaoli, directeur de L’Observatoire gérontologique des migrations en France (OGMF), est déçu par le projet de loi Borloo. Un texte qui porte atteinte une fois de plus à la liberté de mouvement en assignant à résidence les vieux migrants. Pourtant, le chercheur était plein d’espoir. Il s’apprêtait même à écrire un article, De Saint Louis à Jean-Louis, pour louer ce ministre de la Cohésion sociale qui “aurait pu entrer dans NUMÉRO 2 MARS 2007 SALEM, 77 ans, Tunisien “Arrivé à Paris, j’ai été frappé par la luminosité et la propreté de la ville. Il neigeait ce soir-là et j’avais demandé à mon cousin ce que c’était que toute cette lumière jaune qui m’éblouissait”, se souvient Salem. Affaibli et fatigué, le vieil homme n’a qu’un souhait aujourd’hui : retourner dans sa Tunisie natale. En France, il est comme prisonnier. Sa famille est là-bas, lui est ici, seul… Il n’a pas le choix. Comment faire autrement sans perdre sa retraite et ses aides sociales (assurance maladie, allocation vieillesse, etc.) ? Retraité depuis dix-sept ans, Salem perçoit chaque mois 610 euros. Il en envoie la moitié à sa femme et ses deux enfants qu’il appelle régulièrement. Dès qu’il peut, il effectue aussi des va-etvient des deux côtés de la Méditerranée. Arrivé en 1967, en quête de l’eldorado, Salem a très vite déchanté. La barrière de la langue et son illettrisme ont d’emblée constitué des obstacles. “Quand je prenais le métro, je repérais les stations que je devais emprunter et je me faisais mon propre plan. Je comptais le nombre d’arrêts et j’écrivais en dessous de chacun leur nom en arabe.” Pour faire les courses, même galère ! A défaut d’exceller dans la langue de Molière, le chibani maîtrisait le langage des signes. C’est ainsi qu’au marché ou à la boulangerie, il pointait du doigt les produits choisis. Originaire de Zarzis, le vieil immigré a, durant plus de quatorze ans, exercé la profession de peintre industriel et en bâtiment, pour un revenu mensuel de 2 000 francs (soit 300 euros). Il souligne avec fierté que, pendant trois ans, il a travaillé durement au cœur de la grande Cité des l’histoire des avancées sociales en traitant de manière équitable et juste tous les migrants. Et pas seulement ceux de la Sonacotra !” Raté ! Cette loi, présentée en Conseil des ministres le 17 janvier dernier, les vieux migrants l’attendaient depuis longtemps. Elle aurait dû consacrer la liberté de circuler sans perte des bénéfices de certaines aides sociales accordées par la France. Unanimes, les associations travaillant sur le sujet dénonçaient le “coup fourré”. De quoi s’agit-il ? La mesure qui exclut plus de la moitié des vieux migrants (peut-être même 95 % selon le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), donne droit à une aide financière aux vieux travailleurs qui s’engagent à vivre jusqu’à neuf mois dans le pays d’origine et le reste de l’année en France. Elle remplacera l’Aide personnalisée au logement (APL). Pour résumer, ça ne coûtera rien à l’Etat qui pour- Sciences. “On doit remercier la France de nous avoir accueillis et de nous avoir donné du travail. Mais la France doit aussi nous être reconnaissante. On y a laissé notre santé et aujourd’hui on est bloqué ici.” Salem en a gros sur le cœur. Il vit durement l’injustice, seul au seizième étage de son petit appartement sans ascenseur du 19e arrondissement de Paris. Livré à lui-même, le vieil homme rencontre des difficultés pour faire sa cuisine, son ménage ou laver ses vêtements. Salem est néanmoins heureux d’avoir son petit chez lui : “Je vis tranquille et personne ne vient me déranger. Je suis libre de faire ce que je veux sans avoir de comptes à rendre… Je n’aurais jamais supporté de vivre dans un foyer.” Au café où il se rend chaque jour, Salem retrouve ses amis, ses compatriotes tunisiens avec qui il parle du “pays”. Aujourd’hui, l’ancien travailleur attend avec impatience de pouvoir retourner chez lui, en Tunisie, pour retrouver enfin les siens, sans sacrifier ses droits. Propos recueillis par Siham Bounaïm ra même gagner quelques sous, le migrant renonçant à son minimum vieillesse. Pour l’heure, en effet, seule la retraite contributive est exportable (l’allocation supplémentaire venant compléter les retraites inférieures à environ 600 euros, soit le minimum vieillesse, est toujours conditionnée à la durée de séjour dans le pays d’accueil). Et si l’assurance maladie, passée à la trappe dans la première mouture du texte, demeure finalement, après la montée au créneau des associations et la mobilisation de quelques sénateurs PS-PC-Verts, la complémentaire CMU reste, elle, soumise à la condition de résidence. Seuls seront éligibles les vieux migrants vivant dans les foyers ayant passé une convention avec l’Etat. “Mais combien vivent en foyer ? Certaines villes comme Marseille n’en comptent même pas.” Antoine Math, du Gisti, sent derrière tout cela le lobbying de LE COURRIER DE L’ATLAS 57 enquête la Sonacotra qui a besoin de libérer des places. “Presque une loi pour une société privée !”, dénonce le militant avant de dresser la liste interminable des personnes exclues du dispositif : les couples (une discrimination sur la situation familiale), tous ceux qui ne touchent pas d’allocation logement (le but étant de faire des économies), les ressortissants de l’Union européenne… sans compter “l’exigence scandaleuse d’une période de quinze années de résidence régulière et ininterrompue”. Combien de personnes concernées au total ? Quelques centaines peut-être, pour le Gisti. ANCIENS COMBATTANTS : UN MARCHÉ DE DUPES Le texte Borloo et la communication qui a suivi n’est pas sans rappeler la réforme, annoncée à grand bruit, des pensions d’anciens combattants, suite à l’émotion suscitée par le film Indigènes. Bernadette versait une larme. Jacques Chirac se souvenait soudainement qu’il était chef d’Etat. Jamel Debbouze s’enthousiasmait de la réforme annoncée. Mais doit-on reprocher à Debbouze de ne pas avoir lu le dernier alinéa très technique d’un texte que probablement pas même les députés et sénateurs n’avaient décortiqué ? La réforme se révèle être en ef- fet un vrai marché de dupes. Qu’a-t-on au ont donné leur sang. “Jacques Chirac doit juste décristallisé ? La retraite combattant et retourner au cinéma ! Il n’a pas dû tout comles pensions militaires d’invalidité. Sans ratprendre du film !”, lance Geneviève Petauton, trapage possible (le texte ne vaut qu’à partir présidente du Copaf (Collectif pour l’avenir de janvier 2007). La discrimination pour les des foyers). pensions militaires et civiles (on n’a pas que Si les politiques s’émeuvent quelquefois de des militaires dans les anciens combattants) leur sort, ils semblent dans le même temps est quant à elle maintenue. “On a même créé une nou- DOIT-ON REPROCHER À JAMEL DEBBOUZE DE NE velle discrimination PAS AVOIR LU LE DERNIER ALINÉA TRÈS TECHNIQUE pour les veuves de D’UN TEXTE QUE PROBABLEMENT PAS MÊME LES pensions militaires DÉPUTÉS ET SÉNATEURS N’AVAIENT DÉCORTIQUÉ ? d’invalidité, accuse le Gisti, qui se demande pourquoi on n’a pas tout simplement les amputer de leur condition d’hommes. décristallisé d’un clic de souris, certains perce“On ne parle que de gestion de flux et reflux vant déjà des prestations.” migratoires et des gens comme des marchandiNon, pour “grappiller” encore un peu, l’Etat ses que l’on transporte au gré des convenances français n’indemnisera que ceux qui en fepolitiques, s’insurge le gérontologue Omar ront la demande. Quand on connaît l’état Samaoli. On colmate, on pare à des urgences, de fatigue, de santé de ces vieux, leur mémais on n’élabore aucune politique publique connaissance souvent de leurs droits, l’imcohérente. Et surtout, on se garde bien de trapossibilité que beaucoup ont à se déplacer, vailler sur un projet de vie ! Pourtant, la à rédiger (certains sont analphabètes) et à vieillesse, ça a encore du temps…” simplement demander leur dû, on peut juIl n’y a qu’à écouter ces vieux pour comger cette dernière condition bien cynique. prendre qu’ils portent encore plein de rêves La France, qui a déjà réalisé de belles écoet même souvent de vrais projets de vie. Ennomies, continue donc à glaner encore touré de chibani, Math Samba est attablé au quelques sous sur le dos de ces vieux qui café. Le vieux monsieur d’origine sénéga- L “ e logement, point crucial pour ces vieux migrants, conditionne souvent l’attribution de pensions, le regroupement familial… Il vient juste après les pensions dans l’ordre des préoccupations de ces vieux”, remarque Carine Boisserie, assistante sociale au Café social de Belleville, régulièrement sollicitée sur cette question. “La plupart des vieux migrants habitent en hôtel meublé, en foyer ou sont hébergés chez des amis. Des conditions souvent très difficiles : toilettes sur le palier, hôtel sans douche…” Et rien ne facilite la vie de ces personnes qui se voient par exemple souvent refuser des 58 LE COURRIER DE L’ATLAS quittances de loyer, indispensables à leurs démarches. “Les logements sociaux de la mairie de Paris réservés aux retraités de plus de 65 ans restent chers (environ 500 euros par mois), comportent des contraintes (l’impossibilité par exemple d’inviter une personne chez soi) et constituent un engagement qui n’est pas toujours adapté à ces personnes. Beaucoup en effet ne visent pas l’installation définitive, note l’assistance sociale, préférant vivre entre les deux pays.” Il n’est pas rare que ces personnes se retrouvent du jour au lendemain à la rue, suite à une longue hospitalisation ou à un retour précipité au pays. “Expulsés, ils doivent alors faire le 115 pour trouver un hébergement d’urgence, généralement organisé en dortoirs et pas vraiment adapté à ce public âgé. C’est très difficile pour ces retraités qui n’ont jamais été à la rue.” Aujourd’hui, à Paris, le Café social projette de mettre fin au nomadisme de quelques-unes de ces personnes, hommes et femmes “célibatairisés”, en créant une résidence d’appartements de 150 à 250 euros avec accès à des espaces collectifs (cuisine, bureau, salle de soins…). Une solution, assure leurs auteurs, “beaucoup moins onéreuse et économiquement plus rentable que celle consistant à verser l’APL (Aide personnalisée au logement) pour les hôtels meublés ou des foyers”. Un projet qui nécessite cependant un véritable engagement politique et financier… NUMÉRO 2 MARS 2007 Max PPP Vieux et sans domicile fixe enquête laise prend son goûter, un lait chaud et des croissants. Ses problèmes ne diffèrent pas de ceux des chibani : une petite retraite (700 euros) et une résidence pour personnes âgées qui vient d’augmenter ses loyers. “Je viens de demander à déménager dans un foyer Sonacotra. Je paierai 92 euros.” Et tant pis pour la sale réputation de la Sona, ses contrôles, son flicage contre la surpopulation, ses expulsions… Math gagnera quelques précieuses dizaines d’euros. Né en 1926, il va fêter ses 81 ans cette année. Ouvert et curieux, il discute volontiers avec tout le monde et ne se fait pas prier pour parler de lui : Dakar, ses classes à Bamako, l’école de comptable de l’armée de l’air à HASSAN, J-P Guilloteau/L’Express/Editing server.com électricien en bâtiment, 64 ans, expulsé “Je suis arrivé en France le 29 décembre 1969. Ces dix dernières années, je louais un studio rue de la Mare, à Paris, dans le 20e. Un petit appartement insalubre avec des cafards partout. Le plancher était cassé et ça provoquait des fuites chez la voisine. J’en ai parlé au propriétaire, mais il a toujours refusé de faire les travaux et ce, malgré les multiples interventions du service d’hygiène. Finalement, voyant que le propriétaire persistait dans son refus, j’ai cessé de payer le loyer. Il a alors vendu le studio. Le nouvel acquéreur m’a NUMÉRO 2 MARS 2007 Nantes, puis Romorantin, Paris, son poste de géomètre, le racisme blessant et enfin ses tournées comme musicien, le cabaret des Champs-Elysées Le Perroquet où il se produisait, le djembe, le banjo, ses spectacles à Sofia, Osaka, ses rôles dans La vie devant soi avec Simone Signoret, Black Mic Mac… Math sort d’une pochette plastique quelques photos qu’il étale : des flyers, des scènes de spectacles le montrant jeune cracher le feu, danser, des copains du bout du monde… Puis Math sort deux CD. “Voilà, je cherche un producteur, si tu peux m’aider.” Math a un groupe qui porte son nom, Trio Math Samba, et il souhaite bien encore s’agrandir : “Je voudrais deux danseuses en plus.” plusieurs fois menacé physiquement pour que je parte, mais j’ai tenu bon. Un jour, en rentrant chez moi, j’ai eu la surprise de découvrir que l’entrée de l’immeuble avait été murée. En fait, j’étais le seul locataire à y demeurer, malgré mes multiples demandes effectuées au service logement de la mairie. Tous mes anciens voisins avaient trouvé à se loger ailleurs. L’assistante sociale n’arrêtait pas de me dire ‘patience, patience’, mais patienter jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que je meure ? C’est maintenant que j’ai besoin d’un logement. Si je crève, je n’en aurai plus besoin. Quand je me suis retrouvé à la porte, je n’avais que ma chemise sur le dos. Toutes mes affaires (vêtements, photos de mes enfants) étaient restées dans l’appartement. J’ai déposé DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MÉDITERRANÉE, COMPLICITÉ OU INDIFFÉRENCE “Si les pays subsahariens ont quand même quelquefois râlé auprès de leurs anciens maîtres de métropole, à l’image du président sénégalais Wade défendant ses ressortissants lésés, les pays du Maghreb semblent avoir beaucoup plus de mal à reconnaître la participation de leurs ressortissants à l’armée française.” Pour Antoine Math, du Gisti, “non seulement ces pays du Maghreb n’ont pas aidé leurs ressortissants, anciens combattants, retraités, mais ils ont tout fait pour enterrer les possibilités de revendication”. Comment s’étonner dès lors de l’accueil plutôt froid d’Indigènes par les autorités algériennes qui avait même refusé à Jamel Debbouze son visa d’entrée en Algérie où il devait présenter le film ? “On pourrait presque parler de complicité, dit Ali Abchi, militant à l’Association des travailleurs marocains de France (ATMF). Je reviens de Casa et, à l’annonce du projet Borloo, la chaîne 2M parlait de victoire pour les vieux Marocains. Sans être le porteparole de ces personnes, elle aurait pu montrer un peu plus d’esprit critique !” Omar Samaoli préfère se laisser aller à un peu plus d’optimisme : “Au Maroc, le regard change. Ceux qu’on appelle les ‘euros’ ou les ‘navettes’ ne sont plus seulement vus comme une plainte. Le tribunal a désigné un avocat commis d’office. Mais il ne me donne jamais de nouvelles. Chaque fois que je l’appelle pour savoir où en est l’affaire, si je vais bientôt être dédommagé, il me fait dire par sa secrétaire qu’il n’est pas là. Depuis maintenant trois ans, j’habite un meublé, boulevard de Belleville, qui n’a d’hôtel que le nom. Quand je repense aux caves où j’installais l’électricité du temps où je travaillais dans le bâtiment, je me dis que je préférerais encore y habiter plutôt que dans ce gourbi ! Je paye 238 euros par mois pour une chambre qui était une ancienne cuisine. Le buffet qui me sert d’armoire part en pièces détachées. Il n’y a pas de radiateur, pas de douche non plus. La chambre est infestée de cafards. Il m’ont déjà abîmé trois postes de télé. La journée, ils ne me dérangent pas trop, je les écrase. Mais la nuit, ils se promènent sur mon corps et ça me réveille. Je n’ai pas intérêt à dormir la bouche ouverte ! Je dépense un argent fou en insecticides, mais pas moyen d’en venir à bout. Je pourrais appeler le service d’hygiène, mais je me ferais jeter par la propriétaire. Déjà qu’elle n’est pas contente parce que je refuse de payer cash, mais en mandat, pour avoir une preuve de mes règlements. Je voudrais chercher autre chose, mais je ne gagne que 430 euros par mois et je ne peux pas me permettre de payer plus pour me loger. Je ne touche pas encore ma retraite, il faut que j’attende d’avoir 65 ans, l’été prochain, inchallah.” Propos recueillis par Y. O. LE COURRIER DE L’ATLAS 59 enquête des devises qui transitent, mais comme des hommes vieillis, avec de nouvelles aspirations. Nous sommes dans une phase de reconnaissance politique de leur existence.” La problématique doit se poser avec d’autant plus d’acuité de l’autre côté que “la question de l’avancée en âge se pose aussi dans nos pays d’origine. Vivre, consommer, être rassuré sur la présence d’un plateau technique sanitaire à la moindre alerte… Il faut aussi préparer l’accueil de ceux qui souhaitent retourner au pays, dans les modes de vie qu’ils souhaitent.” nes, lançant des pétitions avec le Catred, le entre associations”. La mise en réseau de touGisti, l’ATMF, multipliant les contacts avec tes ces énergies est sans aucun doute le des associations de retraités en France ou prochain chantier : “Nous allons travailler soumettant des propositions comme celle davantage ensemble et intervenir de la façon la du chèque-logement. Elle espère aussi plus plus collective possible sur la scène publique en d’argent : “On aimerait sortir un guide des alertant par exemple les parlementaires.” droits pour ces personnes”, dit Boualem. Par des réponses étriquées et mesquines, D’autres associations préfèrent instrumenempreintes de calcul, la France a certainetaliser la question, donnant à ces revendicament raté l’opportunité de solder tout un tions une coloration ensemble de frustrations d’une population plus identitaire et qui a beaucoup donné à ce pays et ne deLA FRANCE A CERTAINEMENT RATÉ L’OPPORTUNITÉ communautariste. mande rien. Une attitude de mépris qui C’est le cas des Indisera mise au passif de la France sur la maDE SOLDER UN ENSEMBLE DE FRUSTRATIONS gènes de la Républinière dont elle aura traité les anciens. “Ces D’UNE POPULATION QUI A BEAUCOUP DONNÉ que, d’ailleurs totaleinjustices à l’égard des vieux, des anciens comÀ CE PAYS ET NE DEMANDE PAS GRAND-CHOSE. ment absents sur le battants cumulés aux discriminations à l’emterrain et préférant la bauche, au logement... constituent une vérita“cybermilitance”. “Ces chibani n’ont justement ble bombe à retardement, acculant les intéressés dence sans famille, logés dans des endroits à la aucun ressentiment pour la France. Ils sont à chercher d’autres formes de solidarité, mais limite de l’indignité. Il est scandaleux de ne pas même extrêmement indulgents. Et puis il s’agit aussi d’autres références comme la commuchercher aujourd’hui de solutions pour faciliter de déni de droits, pas d’une situation coloniale !”, nauté ou le refuge dans la religion”, prévient leur va-et-vient ! Et qu’attend-on pour prendre précise encore le militant de Ghorba, égaleali El Baz, président de l’ATMF. Un mépris des mesures sur les transports, les rapatriements ment responsable associatif à DiverCité. qui pousse à “une crise de confiance dans les de corps, les transferts d’argent… ?” Face aux résistances et à la léthargie politivaleurs de la République, en particulier l’égaSi les revendications des vieux migrants ne que, les associations réfléchissent à des lité entre les citoyens”. sont quasiment portées par personne, l’inmodes d’action et de sensibilisation nouCe que demandent ces vieux ? Peu de chotérêt qu’elles suscitent, comme la populaveaux. Au Gisti, on reconnaît une “absence ses au fond : aller et venir comme bon leur tion concernée, est croissant. On observe de lobbying continue” au sein du mouvesemble tout en conservant leurs droits. Rien même sur le terrain de nouvelles associament, mais aussi une “faiblesse des échanges de plus. ■ tions, souvent de quartiers populaires, comme DiverCité, Ghorba… Longtemps, les jeunes ont été pris dans l’engrenage de leur propre survie. Aujourd’hui, ils ont perçu l’iniquité que subissent leurs parents Et les chibaniat ? On ne sait quasiment rien d’elles. Aucune étude ne s’est et grands-parents et, quelquefois même, portée sur ces femmes en France, à la différence d’autres pays européens, comme quelques similitudes avec leur propre vie et l’Espagne où cette émigration s’est très tôt féminisée. Si ces femmes migrantes l’ostracisme dont ils sont aussi l’objet. L’asmaghrébines aujourd’hui âgées n’ont pas été directement concernées par les grandes sociation Ghorba (ex-Ici et là-bas) milite vagues d’émigrations ouvrières des années 60-70, elles ont quelquefois accompagné pour les chibani et tous les vieux migrants. leur mari, dans le cadre du regroupement familial. De ce fait, elles sont aussi moins “Le syndrome Benguigui, on n’en veut pas ! dans ce va-et-vient perpétuel avec leur pays d’origine qui caractérise les chibani, leurs prévient Boualem Azahoum, 39 ans, milienfants vivant généralement en France. On compte aussi un certain nombre de veuves, tant à l’association. Faire pleurer, c’est bien, souvent dans des situations de grande précarité. Et quelques femmes, enfin, arrivées agir c’est mieux.” Et l’association est justeseules, en rupture avec leur milieu d’origine, divorcées, etc. Aujourd’hui, elles vivotent, vendent des m’semen dans la rue pendant le ramadan, font des ménages… ment sur tous les fronts, visitant des foyers, interpellant les producteurs du film Indigè- Les femmes aussi 60 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 J-P Guilloteau/L’Express/Editing server.com UN COMBAT DÉSORMAIS AUSSI PORTÉ PAR DES JEUNES Les premières associations à avoir soutenu les vieux migrants sont celles présentes sur leurs lieux mêmes de vie. “Ça fait trente ans qu’on les accompagne. On a vieilli avec eux.” Geneviève Petauton, présidente du Copaf, est remontée contre le traitement qui leur est réservé. “Ils ont travaillé ici dans des conditions déplorables, ont été assignés à rési- 1 an 20€ seulement abonnez-vous ! OFFRE SPéCIALE LANCEMENT: 3 numéros offerts Je profite de l’offre spéciale lancement. Je m’abonne pour un an (11 numéros) au prix de 20 € au lieu de 27,50 € (soit 7,5 € d’économie et 3 numéros offerts) Le magazine de la communauté maghrébine en France Bulletin d’abonnement photocopiable, à compléter et à retourner sous enveloppe à Courrier de l’Atlas/Logodata - service abonnements - 50, rue Notre-Dame-de-Lorette - 75009 Paris NOM ET PRéNOM : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ADRESSE : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CODE POSTAL : . . . . . . . . . . . . . . . . . vILLE : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PAyS : . . . . . . . . . . . . . . . . . . E-MAIL : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . TéLéPhONE : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ci-joint mon règlement de 20 € par chèque bancaire ou postal à l’ordre de DM SARL Paiement par carte bancaire. CB Date d’expiration : Cryptogramme (les 3 derniers chiffres du numéro figurant au dos de la carte bancaire) : / SIGNATURE OBLIGATOIRE : Je préfère m’abonner et payer sur internet sur le site http://abo.logodata.fr Offre d’abonnement réservée à la France métropolitaine et valable jusqu’au 30/04/2007. Pour les tarifs étrangers, appelez le 0033 1 555 31 03 15. Conformément à la loi informatique et libertés du 06/01/1978, vous disposez d’un droit d’accès, de suppression et de rectification des données vous concernant en vous adressant au service abonnements du Courrier de l’Atlas. Celles-ci pourront être cédées à des organismes partenaires, sauf si vous cochez cette case religion RACHID BENZINE, chercheur associé à l’Observatoire du religieux (Aix-en-Provence) “La communauté maghrébine en France est encore dans un islam identitaire” RÉFLEXION A 36 ans, Rachid Benzine détonne dans le paysage des nouveaux penseurs arabomusulmans, notamment depuis la parution de son livre, Les nouveaux penseurs de l’Islam. Ce chercheur a l’art des formules qui font mouche. Au risque de se faire un peu plus d’ennemis, il balaie les discours démagogiques ou manipulateurs au sujet du Coran. Que leurs auteurs soient des barbus ou des pouvoirs politiques qui jouent avec le feu. Entretien. L e Courrier de l’Atlas : Vous êtes l’un des nouveaux penseurs modernes de l’islam. Comment essayez-vous de repositionner les débats passionnés qui entourent cette religion et de nous prémunir contre les manipulations ? Rachid Benzine : Souvent, lorsque l’on parle de l’islam, que ce soit au sud ou au nord de la Méditerranée, on ne prend pas la peine de clarifier les concepts, comme s’il était évident que derrière chaque mot on mettait tous la même chose. Tant que nous n’aurons pas démonté tous les discours pour déconstruire le mot “islam” et essayé de comprendre ce qu’il recouvre, l’islam continuera à fonctionner comme un fantasme, de part et d’autre. On continuera ainsi à participer au “choc des imaginaires”. D’un côté, on a une sorte d’apologie défendue par des gens qui n’ont plus que l’islam comme recours identitaire, qui se sentent agressés, et pour qui l’islam est une espérance, un refuge et même, pour certains, 62 LE COURRIER DE L’ATLAS un tremplin politique. De l’autre côté, occidental, on a tendance à prendre un fragment court de l’histoire des sociétés arabomusulmanes et à en tirer des conclusions “essentialistes” en disant : “Vous voyez, c’est ainsi que fonctionnent les pays musulmans…” On est vraiment dans le court terme et tant que l’on n’aura pas déconstruit cela, on continuera à fantasmer de part et d’autre. Plusieurs discours sur l’islam peuvent-ils cohabiter ? Oui, il y a plusieurs discours, mais la véritable question est : est-on est prêt à écouter ces différents discours ? Nous avons en effet à chaque fois un discours qui s’élève pour se proclamer le seul véritable, l’authentique, se référant pour cela à des ancêtres éponymes, à des ouvrages classiques de la tradition musulmane, ou directement à des versets du Coran qui vont dans le sens de ce qu’il souhaite démontrer. Le texte devient un instrument pour prouver ce que l’on avance, que l’on soit réformiste, moderniste, traditionaliste conservateur ou intégriste. Le rapport au texte n’est pas pensé. Il y a un accès sauvage au texte, renforcé par le fait qu’aujourd’hui, dans les sociétés du Sud, le seul vocable “islam” est mobilisateur de la masse, alors qu’il y a trente ou quarante ans, c’était plutôt le socialisme ou le marxisme qui mobilisait. Donc si nous ne montrons pas aux gens comment l’islam apparaît, comment il mobilise, comment il prend en charge aujourd’hui un certain nombre de problèmes, nous continuerons à naviguer sans savoir où nous allons. Par ailleurs, dès qu’on parle de ces sociétés-là, on n’utilise plus les sciences sociales et les sciences humaines : elles disparaissent complètement au profit du seul facteur “islam” qui expliquerait toutes les situations, qu’elles soient économiques, politiques, sociales ou juridiques. Or, pour appréhender des pays comme le Maroc, NUMÉRO 2 MARS 2007 DR Propos recueillis par Yann Barte et Hassan Ziady avec Mohamed Idrissi et Valérie Defournier religion l’Indonésie ou la Jordanie, il faut faire appel à toutes les sciences sociales et humaines : l’économie, la démographie, la sociologie, l’anthropologie. Au lieu de quoi, nous pensons qu’en prononçant le mot “islam”, on a tout expliqué. Or, sans le passage obligé par les sciences sociales, nous n’avons en fait que participé davantage à la confusion. Pire, on joue le jeu des fondamentalistes qui, dans une vision totalisante des sociétés, veulent que tout passe à travers la variable religieuse. Pour vous, tous les sujets doivent-ils être mis sur la table ? Ou y a-t-il des limites, comme la croyance ? On peut parler de tout à condition de savoir de quoi on parle. Il faut d’abord définir les termes du débat. Je rappelle que la croyance en Dieu relève de la confiance, c’est la définition même de la foi. Si vous avez confiance, vous pouvez alors interroger et déconstruire tous les systèmes de croyance élaborés par la tradition. La religion relève-t-elle d’un espace individuel ? Il faut distinguer la foi de la religion. La religion est une institution humaine, au sein de laquelle un groupe social va revendiquer un monopole. La foi c’est autre chose, c’est une démarche individuelle et, là, personne ne peut absolument rien dire. Chacun sait ce qu’il a à faire ou ne pas faire, mais nous n’avons pas à définir qui est croyant et qui ne l’est pas, car ce serait se considérer comme juges. Or, devenir juge, c’est peut-être le plus grand des péchés : c’est se prendre pour Dieu ou pour le prophète. Vous revenez du Moyen-Orient, notamment de Syrie : ce discours est-il bien reçu là-bas ? J’arrive à dire dans le monde arabo-musulman des choses qui, ici en France, devant un parterre de musulmans, ont plus de mal à passer. En France et en Europe, nous sommes encore dans un islam identitaire. Il ne faut donc pas croire que les pays musulmans sont incapables de recevoir ce type de discours. La seule chose qui empêche encore le développement de la pensée dans ces pays-là, c’est l’état de la société ou plus précisément ce qu’on appelle les “cadres sociaux de la connaissance”. Les régimes politiques empêchent ce type de pensée de progresser. Des théologiens, nous en avons, des penseurs, nous en avons aussi, mais on ne met pas encore suffisamment en avant leurs travaux. NUMÉRO 2 MARS 2007 C’est quasiment une approche marxiste ? que nous nous focalisons uniquement sur C’est une approche qui repose sur les science type de phénomène. Comme dit un proces humaines, qui permettent d’analyser verbe africain : “On entend l’arbre tomber, l’homme en société : nous avons pour outils mais on n’entend pas la forêt qui pousse.” On n’entend pas l’islam vécu des gens, l’histoire, l’anthropologie, la démographie, vécu dans l’intimité, quand la foi est quelet je ne vois pas pourquoi je ne les utiliseque chose d’intérieur. Aujourd’hui, nous rais pas ! C’est comme si vous demandiez à retenons uniquement ceux qui se lèvent et un médecin d’opérer sans le matériel à sa qui prennent la parole pour dire que l’isdisposition ! Le problème, c’est que des lam “c’est ceci ou cela”, ou pour dire “cela gens sont dans une concurrence pour le est permis et cela est interdit”. Lorsque je monopole de l’interprétation. Car il ne faut regarde l’histoire de l’islam en tant que pas oublier que ce qui est fondamentalereligion, je m’aperçois qu’il a toujours trament en jeu, c’est l’interprétation, car qui versé des crises : il est une construction détient l’interprétation détient le pouvoir. sociale et historique. Les gens qui fantasLa question est donc de savoir qui a la légitimité pour interpréter et dire la norme. On peut reconnaître “DÈS QU’ON PARLE DES SOCIÉTÉ MUSULMANES, que les savants ont ON N’UTILISE PLUS LES SCIENCES SOCIALES ET un savoir, mais LES SCIENCES HUMAINES POUR LES ANALYSER : aujourd’hui, il faut que les musulmans ELLES DISPARAISSENT COMPLÈTEMENT AU PROFIT se réapproprient DU SEUL FACTEUR ISLAM QUI EXPLIQUERAIT leur texte, leur hisTOUTES LES SITUATIONS, ÉCONOMIQUES, toire et qu’ils fassent POLITIQUES, SOCIALES OU JURIDIQUES.” de l’ingérence interprétative. On ne peut pas dire que ment sur un islam pur des origines se font telle personne seulement est habilitée à dire des illusions. Ils s’inventent une tradition la véritable interprétation. Pour moi, la et un héritage. Or, une société doit pouvoir “bonne” interprétation n’existe pas. Celui clarifier son passé pour s’ouvrir à l’avenir, qui énonce une interprétation, aussi savant justement. Vis-à-vis du présent, elle doit soit-il, aussi admirable soit-il, ne peut pas donner la capacité aux nouvelles général’imposer, car elle reste la sienne propre. tions de réinterpréter l’héritage. Or, S’il l’impose, cela devient une violence symaujourd’hui, nous ne réinterprétons pas bolique, et s’il a recours à la force, cela del’héritage, tout simplement parce que nous vient une violence physique. considérons qu’il n’y a rien à interpréter. Nous sommes enfermés dans un miméTout le monde est donc légitime pour poser tisme répétitif. ce genre des questions ? Tout le monde est légitime à partir du moPour vous, tous ces nouveaux courants trament où l’on crée un espace de discussion duisent-ils la situation économique et soutile et rigoureux. Les savants musulmans ciale des pays arabes ? sont légitimes, la population est légitime, à Le monde arabo-musulman est en crise condition que nous trouvions un cadre dans parce qu’avec l’introduction de la moderlequel débattre, avec des outils adéquats. nité, les sociétés ont été obligées de s’acculturer de manière très rapide par rapport Dans quel cadre ce débat peut-il être à l’Europe qui avait eu le temps, depuis la mené ? Renaissance, de faire un travail sur ellePour l’instant il n’y a pas de structure. En même. Les sociétés arabo-musulmanes même temps, on sent dans les pays muont été sommées de rentrer dans la “mosulmans qu’il y a de plus en plus de débats dernité”, notamment la modernisation sur le texte coranique, même si nous avons technologique. Tout le problème est que encore du mal à le voir. Je crois que l’isnos cultures ne sont pas prêtes à avaler lam, en tant que religion, traverse une autant d’apport : cela déstructure le tissu crise très grave qu’il va falloir gérer. Pour social, traditionnel. Au bout d’un moment, le moment, les réponses sont recouvertes la réaction est de dire : “Stop à l’échange, par le bruit très fort que font les fondanous allons nous perdre et perdre notre mentalistes. C’est aussi notre faute parce LE COURRIER DE L’ATLAS 63 religion spécificité ! C’est dans ce cadre qu’il faut penser l’intégrisme, le fondamentalisme et le fanatisme. L’intégrisme répond à un besoin identitaire, à un moment où les sociétés arabo-musulmanes doivent concilier l’ouverture et la fermeture en même temps. Le fondamentalisme, lui, répond à un besoin de morale interne, pour endiguer la déliquescence des valeurs de ces sociétés. Enfin, le fanatisme comble le besoin de vérité : le fanatique a du mal à accepter que la notion de vérité ne puisse plus être aussi absolue face aux sciences qui ont rendu cette notion de vérité très floue. Et la perception de l’islam comme étant plutôt violent ? Je ne dis jamais que l’islam est une religion de violence ou de paix. Il n’y a pas d’essence religieuse : la religion est toujours liée à la manière dont les gens la vivent. Pour moi, il n’existe pas de religion sans que les gens se l’approprient. Pourtant, l’Occident a tendance à penser que l’islam est une religion violente… C’est une fausse lecture, car on construit la réalité sociale à partir d’images et de discours, et on nous dit que c’est la réalité. Les gens s’entre-tuent avec ou sans la religion. Le siècle passé nous l’a suffisamment montré. Le religieux ne devient qu’un mobile. Ce qui s’est passé en Algérie à la fin des années 80, par exemple, est une guerre civile dont on n’a pas su saisir les tenants et les aboutissants. On a expliqué cela comme un conflit entre l’islam et l’armée. Or, les enjeux étaient d’abord politiques. Au lieu de faire appel à des historiens qui nous donneraient des clés de lecture pour appréhender le phénomène dans sa complexité, on réduit tout à un simplisme extrême. Si l’on a vraiment envie de vivre ensemble, on a intérêt à montrer aux gens la complexité 64 LE COURRIER DE L’ATLAS “LES SOCIÉTÉS ARABO-MUSULMANES ONT ÉTÉ SOMMÉES DE RENTRER DANS LA MODERNITÉ. MAIS NOS CULTURES NE SONT PAS PRÊTES À AVALER AUTANT D’APPORT. CELA DESTRUCTURE LE TISSU SOCIAL, TRADITIONNEL. LA RÉACTION EST DE DIRE : STOP À L’ÉCHANGE. NOUS ALLONS NOUS PERDRE. C’EST DANS CE CADRE QU’IL FAUT PENSER L’INTÉGRISME, LE FONDAMENTALISME, LE FANATISME.” des phénomènes. Nous avons absolument besoin de subvertir toutes les catégories que nous utilisons : “Vous pensez que le problème est là ? Et bien, on va le déplacer et vous donner un autre regard et ce regard-là, c’est ce qui va vous empêcher d’aller vers ce choc des imaginaires.” Voilà quelle doit être notre tâche. Le débat progresse-t-il au Maghreb ? La Tunisie de Ben Ali est le pays le plus avancé en terme de recherche. Et c’est surtout dans le milieu universitaire, entre intellectuels, que les débats ont lieu. En Algérie, on a été pour l’instant davantage préoccupé par la réconciliation nationale après la guerre civile. Cela n’a pas encore laissé de place pour le débat. Le Maroc est un troisième cas qui me semble vraiment très intéressant. Dans ce pays, le débat progresse parce qu’il y a de plus en plus d’espaces où on peut débattre de ces questions même si ces espaces restent encore très fragiles. Pourtant, les obscurantistes gagnent du terrain partout… On raconte aux musulmans des histoires qui ne sont pas le fruit de la raison analytique, mais de l’imaginaire religieux dégradé. En Syrie, j’ai consacré une bonne partie de mes interventions à décortiquer les histoires dans le Coran. Je prenais quelques histoires et je demandais aux auditeurs : “Pensez-vous que le Coran raconte des histoires au sens de l’Histoire que nous avons aujourd’hui ? S’agit-il d’histoires ou de récits à vocation pédagogique ? Il faut faire très attention à ne pas prendre ces récits pour de l’Histoire, sans quoi nous allons au-devant de sacrés problèmes. Prenons le récit de Noé : il nous vient de la Mésopotamie, et il a ensuite été retraduit par le texte biblique qui l’a réinterprété, puis par le texte coranique qui, lui aussi, en a fait autre chose. Il faut donc lire le texte coranique selon son propre système interne, car il n’a pas vocation à dire l’histoire, mais à enseigner des choses au travers de récits. Le passage de la mer, par exemple, il faut le lire d’abord comme une métaphore, car dans l’Antiquité, le chaos primitif était figuré par de l’eau partout sur la terre, et cette eau représentait la mort, le déluge. La séparation de l’eau correspond donc à l’idée d’une création, d’une nouvelle naissance, un peu comme si l’on passait de la mort à la vie. Métaphoriquement, l’ouverture de la mer fait passer le peuple hébreu de la mort à la vie, de la servitude au service de Dieu. NUMÉRO 2 MARS 2007 DR Comment votre discours est-il reçu en France ? La communauté maghrébine en France est encore dans un islam identitaire. Les parents des enfants actuels n’avaient pas ce problème : ils savaient d’où ils venaient et, pour eux, l’islam comme religion ne posait aucun problème. Leurs enfants en revanche se posent la question. En sociologie, c’est un processus normal, renforcé par les crises que traversent les pays européens, avec le 11 septembre ou la guerre d’Irak. polémique Robert Redeker persiste et signe POLÉMIQUE Quatre mois après sa diatribe provocatrice contre l’islam, on attendait du prof un essai philosophique. Ce n’est que le journal intime d’un enseignant qui règle ses comptes. par Hanane Harrath Abaca L e 19 septembre 2006, Le Figaro publiait dans ses colonnes le texte d’un prof de philosophie qui voulait sauver la France, l’Europe et le monde dit libre, de “l’islamisation des esprits”. Dans ce pamphlet consternant, Robert Redeker comparait l’islam au communisme soviétique, La Mecque à Moscou, et en appelait à la plus grande vigilance quant à cette religion violente et conquérante qui voulait plier “le monde libre à sa vision de l’homme”. Le jour même, il recevait, en même temps que les félicitations d’un collègue suisse et d’un prof de Sciences Po Paris, les menaces de musulmans indignés de voir leur prophète qualifié de “chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame”. On ne peut que regretter que cet homme soit aujourd’hui contraint de vivre caché avec sa famille et condamner avec force les appels au meurtre dont il a fait l’objet – il s’agit bien d’appels au meurtre et non de fatwa (2), comme il le reprend dans le soustitre de son livre Une fatwa au pays de Voltaire. Il ne va dorénavant plus enseigner et rejoindra bientôt le CNRS. Dans son livre, il raconte la fuite à laquelle il a été contraint. Il compte, aussi, beaucoup : les gens qui l’ont soutenu et ceux qui lui ont tourné le dos, les journaux qui l’ont défendu, comme Le Monde, et ceux qui l’ont critiqué, comme L’Humanité. Il redit sa colère contre le ministre de l’Education nationale, Gilles de Robien, qui lui avait rappelé “le devoir de mesure et de réserve de tout fonctionnaire”, et remercie Sarkozy qui, le 9 octobre, lui apportait un soutien net en affirmant : “En démocratie, on a le droit de parler de ce qu’on veut (…). La démocratie n’a pas à se laisser impressionner.” Avec lui, Redeker NUMÉRO 2 MARS 2007 retrouve foi en cette République française qu’il ne reconnaît plus. Il répète à l’envi combien il est étonné de se retrouver dans le rôle de la victime alors qu’il n’a fait qu’exercer “un droit constitutionnel des plus élémentaires”. Il ne fait aucune concession : soit on est avec lui, soit on est contre. Il jette ainsi son opprobre sur tous ceux qui disent : “Nous condamnons les menaces, mais ses propos haineux n’avaient pas lieu d’être.” Etrange, pour celui qui condamne les pensées totalitaires, sans nuances. A l’époque, un an après la publication des peu partout dans le monde. Or, on est encore loin du compte. Ensuite, ce schéma de pensée conforte l’idée qu’il y aurait un ennemi commun homogène qui serait le monde musulman. Or, non seulement ce dernier est extrêmement divers, mais plus encore, ceux qui, en son sein, portent des discours extrémistes sont une minorité. Ce sont justement ceux-là que Redeker choisit d’ériger en porte-parole représentatifs de l’islam. Il se plaît ainsi à agiter un épouvantail de terreur pour le plus grand bonheur de ceux qui cherchent la rupture de communication Occident-Orient. En faisant cela, il nie REDEKER SE PLAÎT À AGITER UN ÉPOUVANTAIL DE le droit à l’existenTERREUR POUR LE PLUS GRAND BONHEUR DE CEUX ce de tous ceux QUI CHERCHENT LA RUPTURE ORIENT-OCCIDENT. qui, dans le monde musulman, fameuses caricatures et au moment de l’afœuvrent au dialogue et à l’ouverture. faire du discours du pape (3), on aurait pu Car contrairement à ce que pense et répète attendre d’un professeur de philosophie Redeker, “l’ouverture à autrui” et la liberté qu’il analyse avec recul, sans démagogie ni d’expression ne sont pas l’apanage de l’Occipolémique, la complexité de ces situations. dent judéo-chrétien. A l’époque classique de Mais Redeker choisit de se complaire dans l’islam, les philosophes étaient bien plus crila vision manichéiste véhiculée par des protiques et bien plus subversifs : aujourd’hui, phètes de malheur, Huntington (4) en tête. dans le monde musulman, beaucoup d’écriLa marche du monde est pour eux réduite vains et de chercheurs défendent cet héritage à la plus extrême des simplicités : l’opposiet prolongent ce travail. Mais avec finesse, tion entre un monde de justice et un monde intelligence et pertinence, pas avec mépris, de violence, entre un monde de libertés et simplisme et perfidie. un monde d’oppression. En un mot, entre (1) Il faut tenter de vivre, éd. du Seuil, 12 €. le monde civilisé judéo-chrétien et celui, (2) Une fatwa est un avis juridique qu’émettent musulman, de la barbarie. par consensus des autorités religieuses Ce n’est pas sérieux. D’abord, ce monde habilitées. Dans le cas de Redeker, aucun avis officiel de ce genre n’a été émis, comme ce fut le “libre” dont parle Redeker n’existe pas. Car cas pour Salman Rushdie ou Taslima Nasreen. dans un monde libre, et vraiment libre, on (3) Dans son discours de Ratisbonne le pourrait tout dire des injustices, des viola12 septembre 2006, le pape interpellait l’islam tions des droits de l’homme et du droit insur son rapport à la raison et à la violence. ternational qui se passent sous nos yeux un (4) L’auteur américain du Choc des civilisations. LE COURRIER DE L’ATLAS 65 sexualité ENTRETIEN AVEC MALEK CHEBEL, spécialiste de l’Islam Le plaisir charnel selon l’Islam Propos recueillis par Lina Rayan L e Courrier de l’Atlas : Après avoir écrit L’islam et la raison, un ouvrage un peu ardu, pourquoi ce livre Le Kama-Sutra arabe ? Malek Chebel : J’ai constaté depuis vingt ans que l’univers de la sexualité ne cesse de se rétrécir. Deux raisons essentielles expliquent ce phénomène : la croisade morale menée par les fondamentalistes de tous les pays sous l’influence intégriste et la perte de confiance qui s’ensuit chez les jeunes dans la plupart des pays arabes et musulmans. Le Kama-Sutra arabe montre que la sexualité a toujours été un lieu de ressourcement pour la pensée, pour les jeunes, pour les femmes et même pour les théologiens. Il faut revenir à cette période plus jouissive, et je prétends plus imaginative. La sexualité dans l’Orient arabe ou musulman suscite une littérature qui se situe entre folklore et fantasme. Qu’en est-il au juste ? Il y a certes le folklore (Les mille et une nuits, les anecdotes licencieuses, les orgies supposées), il y a aussi le fantasme (les Arabes sont des étalons qui n’arrêtent pas de faire l’amour et de jouir), mais il y a aussi la réalité, celle de l’émotion sexuelle, aussi bien sentimentale que physique. Il ne faut pas oublier que nous parlons à des jeunes (la société arabe dans son ensemble enregistre un taux de jeunes infiniment plus développé qu’en Occident, par exemple). Or, les jeunes ont beaucoup d’appétit sexuel. A cela, il faut ajouter que parmi eux, les femmes cultivent une curiosité très active pour la question de l’amour (ce qui englobe chez elles le sexe). Le Kama-Sutra arabe répond à ces besoins, car la société a besoin d’éléments d’appréciation technique et d’évaluation qui lui permettent d’entrer dans la vie sexuelle sans trop d’angoisse. Votre ouvrage, qui reproduit de larges textes d’auteurs musulmans, dessine la géographie de la sexualité en terre d’islam. Comment expliquez-vous cette liberté de parole ? Le constat premier qui s’impose à tout lecteur objectif, c’est que nos ancêtres ont été 66 LE COURRIER DE L’ATLAS de meilleurs musulmans que nous. Pourtant, la sexualité n’était pas chez eux quelque chose d’impur ou d’antireligieux. Les limites qu’ils s’étaient érigées étaient seulement culturelles. Mais ni l’imam, ni le gouvernant, ni le juge ne voyaient d’un mauvais œil cette curiosité, qui, je vous le rappelle, est à la base de la civilisation humaine. On peut d’ailleurs considérer cette liberté de parole dans le domaine sexuel comme un indice de la liberté tout court, politique, intellectuelle et spirituelle. Elle est un instrument de mesure précieux pour comprendre les mutations de nos mœurs, en particulier le rapport des individus à leur corps, et au corps du partenaire. Pourquoi le monde musulman s’enferme-til dans une vision apocalyptique dès que l’on parle d’amour et de sexe alors que la vie réelle est tout autre ? Qu’est-ce qui explique ce décalage ? Chaque fois qu’une civilisation a le temps de s’acclimater dans une région du monde, l’élégance entre les sexes, le goût de la beauté, la recherche des plaisirs, le recours aux parfums, la poésie amoureuse et finalement l’amour lui-même sont des acquisitions tardives. Chaque fois qu’une civilisation amorce son repli, ce sont ces acquis complexes, parce que très raffinés, qui disparaissent en premier. Avez-vous jamais vu un designer se lancer dans une grande création lorsque des troupes ennemies assiègent sa ville, son pays ? Le monde arabe sort à peine de sa perte de personnalité collective pour entrer dans une période de mimétisme de l’Occident ou d’opposition frontale, ce qui revient au même, car c’est le déni dévastateur. Il lui faut un apaisement de longue durée pour retrouver son innovation propre, son souffle créateur, son génie. En attendant, la sexualité et l’érotisme sont affectés de tares, comme pour tous les peuples assujettis ou traumatisés. Cet assujettissement peut n’être que moral, mais ses effets sur l’individu sont particulièrement handicapants. NUMÉRO 2 MARS 2007 DR LIVRE Essayiste et pédagogue comme il se qualifie, le chercheur algérien Malek Chebel s’est imposé à travers une approche dépassionnée et sereine de la civilisation islamique. Auteur de L’imaginaire arabo-musulman et de L’islam et la raison, il vient de publier Le KamaSutra arabe dans lequel il explique que le plaisir charnel est une composante essentielle de l’islam. Entretien. sexualité Leemage Aujourd’hui, le monde arabe semble plus frileux que jamais : les femmes se voilent, le pouvoir de séduction est bridé, le sentiment amoureux contrôlé… Il existe une volonté marquée de se purifier, de se détourner des plaisirs licites de la chair. Que se passe-t-il et comment expliquez-vous ce raidissement ? Refuser les plaisirs liés à la chair est une technique de survie utilisée depuis l’Antiquité. Il faut rappeler que cette attitude est surtout chrétienne, car ce sont les pères de l’Eglise qui l’ont théorisée. Aujourd’hui, le problème du mariage des prêtres est une réminiscence de cette période. L’islam n’a pas condamné la chair, mais beaucoup de musulmans peu sincères font du zèle dans l’espoir d’acquérir une promotion supplémentaire aux yeux de Dieu. Cette tendance n’a pas eu besoin de recruter, ils sont tous là, tous solidaires pour refuser à l’amour de devenir la nouvelle religion de tolérance, la religion de la beauté : les misogynes, les machos, les hommes archaïques, les polygames, les ennemis de la tendresse. Mais la réalité est tout autre : Dieu ayant créé l’organe, il lui a affecté une fonction. En jouir, c’est bien, mais cela ne justifie ni l’absence de prière, ni la faiblesse de la foi ou la désertion des mosquées. On peut même dire l’inverse : l’obsession de quelqu’un qui ne pense qu’au sexe parce qu’il n’arrive pas en jouir, l’empêche systématiquement d’être un musulman modèle. Personnellement, je trouve plus sain que le musulman sincère soit aussi épanoui à la mosquée que chez lui. La sexualité est vraiment un facteur d’équilibre personnel et de promotion spirituelle. Le Coran le dit, le prophète Mohammed l’a vécu, les hadiths le rappellent sans cesse. Conclusion : il n’y a aucun recours à la chair qui ne se réclame peu ou prou d’un texte sacré, Coran, Sunna, Hadith, etc. La chair est une bénédiction. Comment interpréter le retour à une orthodoxie stricte qui déploie ses ailes partout dans l’aire musulmane ? La peur, l’ignorance, la manipulation et, peut-être, ce goût particulier de vouloir diriger l’âme des croyants. Cela donne un NUMÉRO 2 MARS 2007 “L’OBSESSION DE QUELQU’UN QUI NE PENSE QU’AU SEXE, PARCE QU’IL N’ARRIVE PAS À EN JOUIR, L’EMPÊCHE SYSTÉMATIQUEMENT D’ÊTRE UN MUSULMAN MODÈLE. JE TROUVE PLUS SAIN QUE LE MUSULMAN SINCÈRE SOIT AUSSI ÉPANOUI À LA MOSQUÉE QUE CHEZ LUI ?” pouvoir démesuré à ceux des imams qui ne savent pas se contrôler. Pour le reste, instruisez les gens, lâchez-leur la bride, faitesleur confiance, vous verrez comment ils vont changer, évoluer, se surpasser… Pourquoi le choix très marketing du titre du livre ? Racontez-nous concrètement les dessous du Kama-Sutra arabe. C’est une longue histoire. Elle a commencé au Canada, à Montréal. Je travaillais sur une anthologie de textes érotiques arabes lorsque je me suis trouvé face à la vitrine d’une librairie anglaise où il n’y avait que des Kama-Sutra. Dans la mesure où Le Kama-Sutra, c’est aussi une étiquette du lit, une politesse et une courtoisie amoureuses, et dans la mesure où, dans le monde arabe, les manuels dans ce domaine manquent cruellement, j’ai décidé de changer l’orientation de mon travail pour l’amener vers un Kama-Sutra authentique. Résultat, vous avez des chapitres sur les positions amoureuses, les aphrodisiaques, les recettes de beauté, le massage, le coït, la vulve et le vagin, la sodomie, la zoophilie, les noms des organes génitaux et même un truculent chapitre sur les anecdotes liées à l’amour. Il y a aussi un index complet d’expressions amoureuses et une bibliographie, tout cela en partant de textes issus de la tradition arabo-persane et maghrébine. Ce livre fera date dans mon parcours. Au moment où je parle, il connaît un vif succès de librairie. Il vient d’être réédité pour la seconde fois en un mois et demi d’existence. Le Kama-Sutra arabe, de Malek Chebel, éditions Pauvert, 22 . LE COURRIER DE L’ATLAS 67 s e s i a ç n a Fr & voilées reportage C Rémi Ochlik/IP3 Press/MaxPPP - Sophie Pasquet e n’est pas un rendez-vous amoureux, téléphonique ou télévisé que la jolie et pulpeuse Mariette, 21 ans, ne veut pas rater en cette fin de samedi quasi printanier, mais une prière : “Celle de 18 heures 08 est la plus importante des cinq quotidiennes car elle débute au coucher du soleil et dure plus longtemps”, explique la jeune fille, cheveux et épaules cachés par un foulard marron, pour justifier la fin de l’interview. Elevée par une maman chrétienne et un père totalement athée, Ma riette s’est convertie à l’islam à l’âge de 20 ans, en septembre 2005. Un mois plus tard, elle enfilait le foulard sur son crâne et son buste. C’est sa meilleure amie, Sara, musulmane d’origine, qui l’ouvre à cette religion qu’aujourd’hui elle qualifie, en toute sérénité, comme la “plus véridique et la plus scientifique de toutes”. Mariette, “gauloise” convertie, ne serait pas une exception en France : “Il y en a de plus en plus comme elle qui viennent chez nous”, remarque une jeune vendeuse de voiles de la rue Jean-Pierre Timbaud, un quartier du XIe arrondissement parisien très fréquenté par les musulmans. “Du reste, un grand nombre de mes amies, françaises de souche, en font partie.” “Quand je me suis convertie il y a six ans, j’étais la seule. Aujourd’hui, je suis entourée de dizaines de filles comme moi”, raconte Jennifer, 34 ans, française traductrice d’arabe, musulmane, voilée depuis six ans. “J’ai vu des chiffres : c’est beaucoup”, insiste-t-elle. Des chiffres ? Il n’y en a pas. Certes, si celui de 100 000 convertis (hommes et femmes) circule en France, il est de l’ordre de l’extravagance. En effet, comment évaluer le nombre de ralliés à une religion qui n’exige qu’une simple attestation orale devant Dieu pour en devenir membre : “En 1984, on disait en comptabiliser 40 000. C’est certainement exponentiel, mais dire combien ne signifierait rien”, confirme Bernard Godard au bureau des cultes du ministère de l’Intérieur. Augmentation naturelle que le spécialiste explique par le nombre croissant de mariages mixtes et par la proximité, dans certains quartiers de banlieue, de la population avec des groupes prosélytes. “Quant au port du voile par les non-musulmanes d’origine, ce n’est pas une nouveauté : c’est un geste militant qui est apparu en Allemagne dans les années quatre-vingt pour accompagner la révolution iranienne.” le voile CoMMe Une “oBliGaTion” C’est en février 2001, au large du Brésil, sur un bateau emporté à la dérive par une tempête, que l’aventurière Jennifer, totalement athée, se convertit à l’islam. “J’avais rencontré trois ans auparavant, en Tunisie, des musulmans qui m’avaient parlé de leur foi. Intéressée, j’ai alors lu quelques livres. Voilà, sans plus… Jusqu’au jour où, trois étés plus tard, je me suis retrouvée terrifiée à bord de cette em- HIJAB En France, où la religion musulmane est souvent stigmatisée, des jeunes femmes venant de familles “gauloises de souche”, embrassent l’islam et adoptent les codes dictés par la plus stricte orthodoxie : foulard ne laissant pas dépasser un cheveu, tuteur, prière cinq fois par jour... Crise d’adolescence ou d’identité, analysent les uns, choix parfaitement assumé, rétorquent les intéressées. Reportage et analyse. par Anne Deguy NUMÉRO 2 MARS 2007 Mariette-Mayriam : “La première fois que j’ai porté le voile au su et au vu de tous, je me suis fait insulter par ma belle-mère. Et le regard des autres est toujours aussi pénible à supporter.” barcation sur le point de chavirer. J’ai pensé à la mort et à Dieu. Là, j’ai attesté ma foi musulmane. De retour à Paris, et après voir lu le Coran, j’ai réalisé que je ne pourrais pas vivre comme avant. J’ai donc appris l’arabe, fréquenté quelques musulmans qui m’ont instruite et entrepris mon premier Ramadan… toute seule.” Quant au voile, il lui apparaît quatre mois plus tard comme une “obligation”, en Tunisie, après une journée sur une plage du Club Med. “Je l’ai toujours. Il est rose fuchsia avec des impressions cashmere. Je l’avais acheté sur un marché”, se souvientelle. La douceur du rose est vite assombrie par la réaction de ses parents : si sa mère ne tique pas – “Elle est comme toutes les mamans, elle veut mon bien !” –, son père, en revanche, ne supporte pas cette “obligation” posée sur sa chevelure. “Il juge mon attitude ridicule et est persuadé que l’on m’a bourré le mou… De toute façon, il ne croit pas en Dieu, il est donc inutile que je discute avec lui, se désespère cette trentenaire aux grands yeux bleus. Nos relations sont depuis très tendues.” Annoncer aux parents la conversion avec, en plus un désir de se “hijabiser” est une étape extrêmement délicate pour ces jeunes filles. “Au tout début, ma belle-mère [après la mort de sa mère, son père s’est remarié, ndlr] est allée écouter les cours de religion que je suivais à la Mosquée de Paris. L’expérience n’a pas duré longtemps, raconte Mariette, désormais LE COURRIER DE L’ATLAS 69 reportage l’aUToriTé DU DisCoUrs orTHoDoXe Il n’est pas le seul. Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux et auteure du très médiatique L’une voilée, l’autre pas (1), se rebiffe, elle aussi, à l’évocation du port du hijab : “Pour moi, l’islam n’a pas de clergé pour responsabiliser l’humain : on rend des comptes directement à Dieu. Si cacher sa beauté a pu être le seul moyen de se faire respecter à une certaine époque, le but est quand même d’être respectée, pour ce que l’on est. Ce qui veut dire à mes yeux que mettre un foulard aujourd’hui, c’est tout bonnement aller contre l’objectif de Dieu et contre l’éthique de responsabilité de l’islam.” La scientifique s’inquiète donc pour ces jeunes filles converties qui poussent ainsi leur nouvelle entité à l’ex- pareilles. Ils se présentent comme spécialiste… mais de quoi ?”, s’énerve Sofia, assistante sociale de 22 ans dans la banlieue parisienne. “Ce sont des vendus de l’islam (sic), comme Malek Chebel (voir page 66), qui portent de tels jugements sur nous. Que savent-ils de moi ? J’ai décidé toute seule, sans aucune pression, de me revêtir des pieds à la tête du djilbab. Aucun homme – je ne suis pas mariée – me m’a forcée.” C’est à 18 ans que cette très bonne élève normande, née d’une mère yougoslave et d’un père catholique, fait la connaissance de Mahomet et du Coran. “Ayant découvert la philosophie, je me posais des questions sur la nature humaine et la futilité de ma vie qui m’ont dirigée vers l’islam et COMME TOUTES LES FILLES DE SON ÂGE, emmenée à Paris où ELLE S’OFFRE DES RAZZIAS CHEZ H & M ET SEPHORA, il y a plus d’occasions “PARCE QUE J’AIME ME FAIRE BELLE QUELQUEFOIS”. et de lieux pour l’accès au savoir”, raconte-t-elle, avant trême : “La vraie question est : pourquoi le de décrocher son portable dont la sonnerie discours orthodoxe fait-il autorité sur elles ? reprend la tonalité de l’appel à la prière. A Elles pourraient devenir musulmanes en s’ap21 ans, la jeune fille est convertie et entièrepropriant le Coran et en se demandant ce ment voilée. “C’est l’attribut de la foi, assènequ’elles, elles comprennent de ce que Dieu leur t-elle. Je me préserve des regards, je ne suis pas dit à travers le texte sacré… Au lieu de ça, elles un objet d’érotisme. Je veux seulement être traine pensent plus et se soumettent non pas à tée d’égal à égal avec les hommes …” Dieu, comme elles le disent, mais à des prédiMalgré cette tenue noire qui l’enveloppe de cateurs qui prétendent détenir la vérité.” Bien la racine des cheveux aux chevilles, Sofia entendu, ce genre d’argumentation révolte n’a jamais rencontré de regard désapprobales Mariette, Jennifer, Sofia… Toutes déclateur de la part de sa meilleure amie, de ses rent être en totale possession de leurs parents et ses quatre sœurs. “Au restaurant, moyens pour s’impliquer dans un tel choix : avec ma famille, le regard gêné des gens autour “Mais qui sont ces gens pour dire des choses de nous ne me met pas mal à l’aise. Pourquoi 70 LE COURRIER DE L’ATLAS en serait-il ainsi : je suis bien, je suis moi. Par ailleurs, tant que cela suscite chez eux de la réflexion, j’approuve.” Sofia, le nez percé d’un brillant – “un souvenir d’Irlande quand j’avais 16 ans” –, avoue avec légèreté ne plus avoir besoin de se distraire dans les boîtes de nuit, les cafés, autour d’un pot avec des copains… En revanche, ses relations avec sa meilleure amie, restée en Normandie, n’ont pas changé d’un iota : “C’est ma copine, elle me comprend. On parle de la même façon, sauf quand elle aborde ses histoires de mecs. J’essaye de voir avec elle si vraiment elle tient à eux…” Sofia, qui estime “être bien aujourd’hui”, dévore chaque mercredi Le Canard Enchaîné, “pour leur regard satirique”, et les autres jours Le Monde, “pour leur savoir”. Comme toutes les filles de son âge, elle s’offre des razzias chez H & M et Sephora, “parce que j’aime me faire belle quelquefois”. Elle va moins au cinéma faute de temps, mais s’est débrouillée pour aller voir plusieurs fois le spectacle de Dieudonné : “Il a le culot de dire tout haut ce que les gens pensent tout bas.” Dans son studio habillé de photos de La Mecque, d’un matelas posé à même le sol, d’un calendrier musulman et d’une bibliothèque très portée sur la question musulmane, la jeune fille prépare actuellement son mariage. Si elle a flashé sur Michael Scofield, le très craquant héros télévisé de la série Prison Break – “pour me rencontrer, il faut, comme tous les hommes qui souhaitent m’aborder, qu’il appelle mon tuteur pour prendre contact avec moi”, dit-elle en rigolant –, c’est finalement un converti, rencontré il y NUMÉRO 2 MARS 2007 Sophie Pasquet baptisée Mayriam. En revanche, mon père, âgé de 49 ans, archi athée, qui a des peurs irraisonnées, n’a jamais cherché à comprendre ce qu’était ma nouvelle religion. Dès que je lui ai annoncé ma conversion, il a accusé les musulmans d’être des barbares. A ses yeux, j’ai plongé dans l’islam avec mon voile par désespoir, suite à la mort de ma mère, pour le faire chier, par signe de faiblesse…” Et l’étudiante en troisième année de sociologie à la Sorbonne de regretter : “D’accord, il me donne l’argent pour que je m’achète ma propre viande, mais il reste persuadé que je suis endoctrinée.” Sofia : “Le voile est l’attribut de la foi. Je me préserve des regards, je ne suis pas un objet d’érotisme. Je veux seulement être traitée d’égal à égal avec les hommes. Les regards ne me mettent pas mal à l’aise. Je suis moi.” reportage a deux mois et qu’elle a vu juste trois fois, qu’elle épousera dans quelques semaines. “Je le présente ce week-end à mes parents”, confie-t-elle, certaine de sa bonne démarche de croyante. Une démarche sans la bénédiction de Mustafa Tougui, professeur de théologie à la Mosquée de Paris : “Mais qu’est-ce que c’est que ce genre de mariage ? Où est le romantisme dans cette relation ?, s’offusquet-il. Le prophète a non seulement dit aux musulmans de ne pas se comporter comme des bêtes, mais de s’harmoniser avec les bonnes traditions de l’endroit où ils vivent. Et en France, il y a dans le domaine des relations hommes-femmes de très bonnes traditions. Certainement pas de cet ordre-là. Qui a éduqué cette Sofia ? Je la plains, elle autant que son éducateur.” Si le théologien ne peut accepter ce type de comportement radical de la part d’une musulmane qu’il attife gentiment du surnom d’artiste, pour ne pas dire énergumène, en revanche, il n’admet pas cette bronca contre le port du foulard – mot auquel il tient tout particulièrement. “C’est un habit de la femme musulmane. Le prophète dit qu’il est plus digne d’en mettre un sur la tête. Evidemment, si elle ne le fait pas, ce n’est pas grave… Mais qu’on foute la paix à ces ‘foulardées’ : alors qu’elles ne demandent qu’à être oubliées, imaginez qu’elles doivent parfois raser les murs pour éviter les regards mauvais posés sur elles.” Mariette-Mayriam se souvient encore de cette douloureuse étape que fut de porter le hijab pour la première fois au vu de tout le monde : “Je me suis fait insulter par ma bellemère… Il n’empêche que, même encore, le re- la démarche du port du voile relève d’un caractère extrême. Elles veulent s’affirmer à travers quelque chose”, note Philippe Yacine Demaison, ancien président des Scouts de France et auteur de L’islam dans la Cité (1). “Il faut regarder ce phénomène en France avec les outils sociologiques modernes : le voile équivaut à un signe distinctif. Celles qui le portent sont différentes de ceux et celles qui les entourent. CHEZ LES CONVERTIES, DE MANIÈRE GÉNÉRALE, Elles se mettent ainsi en évidence. Cela me LA DÉMARCHE DU PORT DU VOILE RELÈVE DU fait penser à ces ados CARACTÈRE EXTRÊME. ELLES VEULENT S’AFFIRMER violents : ils ne casÀ TRAVERS QUELQUE CHOSE. sent pas tout pour le plaisir de casser, gard des autres est toujours aussi pénible à mais pour traduire un malaise psychologique. supporter.” C’est bien à cause de ces regardsC’était la même chose avec la minijupe dans là qu’Anne, 26 ans, documentaliste dans les années 60 : une façon pour les jeunes filles une société de production audiovisuelle, élevées aux tenues étriquées et aux cheveux élevée dans le catholicisme et convertie delaqués de se sortir de ce carcan gaullien – pompuis deux ans, n’entend toujours pas se pidoulien de l’époque.” “hijabiser”. “Je ne suis pas encore prête, d’autant plus que je sens bien en France les Une QUesTion De PlaCe réactions hostiles au voile.” Et si, tout simpleConcernant la quête spirituelle, certains, ment, la conversion d’Anne ne nécessitait comme Dounia Bouzar, en doutent, préfépas d’être marquée au fer rouge… contrairant voir dans ce voile un aspect psycholorement à l’ensemble des nouvelles ralliées ? gique : “Quand on gratte un peu les profils “Chez les converties, d’une manière générale, psychologiques de ces jeunes filles, on découvre souvent qu’en fait de recherche spirituelle, elles ont des problèmes plutôt existentiels de place : leur entrée dans un groupe religieux orthodoxe leur donne le sentiment d’avoir une place et une fonction, ainsi que d’être utiles. Elles ont l’impression de ressentir les mêmes sensations que les autres filles du groupe et, à terme, l’identité du groupe remplace l’identité de l’individu. On entre alors en religion, non pas pour se ressourcer et aller vers les autres, mais pour se protéger des réalités extérieures et s’enfermer dans une bulle... Non pas par la pensée et par le cœur, mais par régression.” Et la chercheuse de conclure : “On se refait là des délimitations et des frontières avec le religieux. Qui dit place dit inscription dans un territoire, dans une histoire, dans une mémoire. Bref, la question de la filiation est fréquemment sous-jacente dans le profil des jeunes sensibles au discours orthodoxe, quelles que soient leurs origines ethniques.” ■ Sophie Pasquet Jennifer : “Quand je me suis convertie il y a six ans, j’étais la seule. Aujourd’hui, je suis entourée de dizaines de filles comme moi”, raconte cette Française de 34 ans, traductrice d’arabe. NUMÉRO 2 MARS 2007 (1) Editions Albin Michel LE COURRIER DE L’ATLAS 71 adoption Ces enfants invisibles… KAFALA Impossible d’“adopter” un enfant algérien ou marocain dans l’Hexagone. Nés dans des pays qui ne permettent que la tutelle, la France ne leur reconnaît aucun statut et vient de rejeter l’amendement les concernant déposé dans le cadre de la loi “protection de l’enfance”. par Mireille Peña L La kafala est accompagnée d’un jugement de legs et de la concordance des noms. examinaient avec bienveillance la situation de ces enfants que leur pays d’origine laissait partir avec leurs nouveaux parents français pour vivre et grandir en France. Elles déterminaient au cas par cas si leur situation antérieure permettait le prononcé d’une adoption plenière ou simLA FRANCE AFFICHE CLAIREMENT SA POSITION ple. Depuis, la loi DE VICTIME DE L’IMMIGRATION, MÊME LORSQU’IL du 6 février 2001 S’AGIT D’ORPHELINS. interdit l’adoption d’enfants nés dans des pays qui prohibent l’adoption. Convention internationale des droits de Cette loi vise sans les nommer les pays de l’enfant (Cide) qui érige en principe fondadroit coranique et exclut de facto les orphemental la protection de tout enfant en lui lins, en majorité de filiation inconnue, que permettant de grandir en famille. La kafala beaucoup de Français musulmans souhaiest une mesure de protection reconnue tent adopter dans leur propre pays d’origicomme telle par cette même Convention. ne. Conséquences : les enfants nés en AlgéJusqu’en 2001, les juridictions françaises 72 LE COURRIER DE L’ATLAS rie ou au Maroc ne peuvent plus être adoptés par des Français. La France, pays laïque, fixe ainsi dans ses lois un principe d’exclusion automatique fondé sur la religion. Elle est le seul pays d’Europe à avoir organisé et permis d’appliquer au moyen de circulaires puis de lois toujours plus restrictives une telle exclusion. LE PARCOURS DU COMBATTANT Les enfants accueillis par des familles françaises sous le régime de la kafala judiciaire ayant vocation à vivre sur le sol français, ils devraient bénéficier du droit de leur pays d’accueil. Si l’Algérie et le Maroc leur octroient des autorisations de sortie du territoire, la France refuse systématiquement de leur délivrer des visas longs ou même courts séjours. On en arrive à des aberra- NUMÉRO 2 MARS 2007 Saïd Fortas e terme de kafala est intraduisible. L’adoption au sens français du terme est interdite par le droit coranique qui proscrit la création de tout lien de filiation. La kafala est ce qui permet l’accueil par une famille d’un enfant dans les pays musulmans, excepté en Tunisie où est reconnue l’adoption. Elle consiste en un “tutorat”. Le kafil (“plus que tuteur, moins que parent”) s’engage à élever le makfoul “comme son propre enfant”. Le Maroc et l’Algérie connaissent deux formes de kafala, la judiciaire et la notariale, cette dernière relevant plus du domaine intrafamilial. La kafala judiciaire s’applique essentiellement à des enfants nés sous X ou irrévocablement abandonnés. A la différence de l’adoption, la kafala, même accompagnée d’un acte d’abandon, ne crée pas de lien de filiation. Son obtention relève d’une procédure stricte : agrément par l’Aide sociale à l’enfance du pays des adoptants, enquête au pays avant acceptation par le juge. Une des conditions exigées est d’être musulman. Le Maroc, l’Algérie et la France ont ratifié la adoption DR tions tant juridiques qu’humaines, avec des enfants encore une fois non reconnus qui attendent des mois, voire des années, pour entrer en France. Il faut préciser que leurs parents adoptifs ne peuvent bénéficier du congé d’adoption et doivent prendre sur leur propre temps pour aller chercher leur enfant. Une fois en France, les choses ne s’arrangent guère : pas de Sécurité sociale, la nationalité française qu’ils ne peuvent demander qu’après cinq ans de séjour en France depuis la loi Sarkozy de novembre 2003, problèmes en cas de divorce des parents, toute demande d’adoption rejetée, même après obtention de la nationalité française… Ces enfants n’existent pas. LA FRANCE CONFIRME SON REFUS L’article 3 de la Cide affirmant la primauté de l’intérêt de l’enfant est bafoué. D’autant que les autorités algériennes et marocaines n’ont jamais refusé d’autorisation de sortie du territoire à ces enfants et n’ont jamais contesté les adoptions prononcées en France. Pourtant, un des arguments phares mis en avant à l’Assemblée nationale en janvier dernier pour rejeter le jeu complet d’amendements qui balayait tous les aspects de la question défendue par la députée du Finistère Patricia Adam et le groupe socialiste était que “cela nuirait aux relations diplomatiques de notre pays avec l’Algérie et le Maroc”. Ce à quoi Patricia Adam répond : “C’est en parfaite connaissance de notre droit que l’Algérie et le Maroc ont accepté qu’ils y soient accueillis. La Suisse permet que les enfants algériens ou marocains soient adoptés conformément à sa propre législation, et cela n’empêche en rien l’Algérie et le Maroc de continuer à confier des enfants à des familles suisses. Il en va de même en Espagne où seule existe l’adoption plénière. La Belgique elle aussi vient de modifier sa législation en ce sens. Trêve donc des faux-semblants ! Ce n’est pas une question diplomatique. Ce qu’ont fait des pays voisins, notre pays peut le faire. Il est regrettable que cet amendement ait été repoussé, à une voix près. Les familles s’en souviendront. Pourtant, un enfant est toujours un enfant, quelle que soit son origine ou sa couleur.” Au final, selon Valérie Pécresse, députée UMP, “la kafala pourrait, si nous retenions l’adoption simple, se transformer en une voie de regroupement familial supplémentaire non souhaitée (...). Cet amendement présenterait peut-être un risque”. Un risque ? Le risque de devoir gérer une invasion de “gremlins” maghrébins ? NUMÉRO 2 MARS 2007 “Nos enfants sont privés d’un passé, nous leur devons un avenir” Amal Benazzouz, présidente de l’Association pour les parents adoptifs d’enfants nés en Algérie ou au Maroc (Paraenem) Le Courrier de l’Atlas : Quelle est l’action de la Paraenem ? Amal Benazzouz : Nous sommes des parents ou des futurs parents d’enfants en kafala. Binationaux ou Français d’origine maghrébine. Nous nous battons pour la reconnaissance de la kafala judiciaire par la loi française. Pour que ces enfants puissent avoir un statut, dans le respect des droits de l’enfance. Nous vivons des situations inextricables. En France, on aborde trop souvent la kafala à travers le prisme de l’immigration. Nous soutenons les familles, qui vivent un véritable parcours du combattant, dans leurs démarches et leur besoin de solutions au quotidien. Nous tentons aussi d’expliquer ce qu’est la kafala et quelles sont les conséquences dramatiques de la loi française sur le plan humain. Cela est particulièrement difficile dans le contexte actuel où racisme et communautarisme s’alimentent mutuellement. Combien d’enfants sont-ils actuellement concernés en France ? Il est très difficile de répondre. Notre association a recensé environ trois cents enfants, ce qui constitue maintenant le chiffre officiel. Mais il ne comprend pas ceux qui sont cachés par leurs parents parce qu’ils ont trop peur qu’on leur retire leurs enfants. Voilà d’ailleurs une des conséquences de la loi française : une clandestinité qui alimente le discours de suspicion. Nous sommes parfois même taxés de trafic d’enfants alors que le parcours de la kafala est un parcours réellement sécurisé et rigoureux. Voir la méfiance jetée sur notre démarche d’adoption est profondément choquant et blessant. Vous sentez-vous écoutés ? Notre association est désormais identifiée comme un interlocuteur légitime et fiable. Nous avons été auditionnés par le Conseil supérieur de l’adoption. Nous avons reçu des soutiens de poids. Ainsi Claire Brisset, défenseure des enfants, s’est largement inspirée de nos entretiens pour sensibiliser les députés. Mouloud Aounit du Mrap, Fadéla Amara, membre de la Halde, Marie-Christine Le Boursicot, magistrate détachée auprès du ministère des Affaires sociales, Martine Gazel, présidente d’honneur du Masf, fédération internationale regroupant seize associations de parents adoptifs, le Gisti et de grandes associations européennes de familles adoptives nous ont apporté leur soutien. Tentez-vous d’infléchir les positions de l’Algérie et du Maroc ? Nous avons conscience que notre démarche doit aussi être tournée vers les pays d’origine de ces enfants. Leur statut a été là-bas grandement amélioré, jusqu’à ressembler à une adoption simple. Pourquoi alors ces pays ne vont-ils pas jusqu’au bout en choisissant l’adoption simple puisqu’ils acceptent le départ vers l’étranger de ces enfants ? Nous avons dans cet objectif participé au colloque international sur l’enfant privé de famille qui s’est tenu à Rabat en 2006. Et nous avons le soutien de la mosquée de Paris, du mufti de la mosquée de Marseille, du ministère de la famille au Maroc, de militants des droits de l’enfant en Algérie et au Maroc, du bâtonnier de Rabat… Quelles sont vos attentes après le récent rejet de l’amendement à l’Assemblée nationale ? Nous sommes très déçus de devoir continuer à vivre cette exclusion. Pourtant, lentement, les esprits s’ouvrent. Certains élus français prennent clairement position en célébrant par exemple des baptêmes républicains. Ils proposent de cette manière une image originale de l’intégration. Des familles d’origine maghrébine et des élus décident d’inscrire ainsi des enfants, fièrement et joyeusement, au cœur de la société française. Cela rappelle également que l’arrivée d’un enfant dans une famille est un acte mûri qui doit avant tout être considéré comme de l’amour et de l’espoir après beaucoup de souffrance. Site Internet : www.paraenam.org LE COURRIER DE L’ATLAS 73 vous vous E “J’habite avec mon ami” CONCUBINAGE Vivre en couple sans être marié est, encore aujourd’hui, mal perçu dans la communauté maghrébine. Certaines choisissent toutefois ce mode de vie, très répandu en France. Comment le vivent-elles ? Quelles sont les réactions de leur famille ? Cinq jeunes femmes racontent leur histoire. Royal Free/Corbis par Tiphaine Poidevin n France, plus de 4,8 millions de personnes vivent en concubinage. Le couple se construit de plus en plus en dehors des liens du mariage et la cohabitation s’est imposée dans les générations les plus récentes comme principal mode d’entrée en union. Aujourd’hui, seules 10 % des personnes se marient sans vie commune préalable. Dans la communauté maghrébine, la vie en concubinage est encore mal perçue et, de ce fait, peu répandue. Selon une étude de l’Insee Portrait social 2003-2004, les migrants venus du Maghreb restent très attachés à l’institution du mariage. Par exemple, moins d’un tiers des immigrés tunisiens de la génération 1960-1969 ont formé une union sans se marier. “Dans l’islam, il est interdit d’avoir des relations sexuelles en dehors du mariage. Cela pourrait notamment avoir des conséquences graves sur la filiation et l’héritage. Le concubinage est donc très mal vu d’un point de vue religieux et culturel”, explique Mohamed Cherif, vice-président du Conseil régional du culte musulman de Haute-Normandie. Selon la sociologue Elise Lemercier, les minorités ont, de surcroît, tendance à donner une place très importante au modèle culturel d’origine. “C’est surtout par peur de voir disparaître leur culture ; ces populations migrantes vont souvent l’affirmer davantage. Cela peut passer par l’interdiction d’un mariage mixte, par exemple, qui représenterait la perte de leur culture.” Ainsi, pour les jeunes femmes d’origine maghrébine, décider de vivre avec leur ami est un choix qui peut être lourd de conséquences. Certaines prennent même le risque de perdre toute relation avec leur famille et leur communauté. “Les parents se sentent en général trahis parce que cela va à l’encontre de leurs croyances. C’est également dur à vivre pour eux d’un point de vue social. La communauté maghrébine s’inquiète beaucoup du qu’en-dira-t-on”, avance Mohamed Cherif. Mais le concubinage peut aussi être vécu de manière plus sereine. Et ce, principalement pour les jeunes femmes qui font des études. “Il peut y avoir un accord tacite entre les membres de la famille ; les parents se doutent que leur fille vit avec quelqu’un, mais décident de ne rien dire tant que cela reste secret. Ces relations sont possibles si l’enfant est parti suivre ses études dans une autre ville. Il faut ajouter qu’être bonne élève permet d’être perçue comme une fille bien. Ainsi, chacun vit dans le respect de l’autre pour éviter le conflit”, conclut Elise Lemercier LE COURRIER DE L’ATLAS 75 vous SAFIA, 27 ans, travailleuse sociale, Rouen “Cet été, nous partons en famille et avec Nicolas en Algérie” SALIMA, 32 ans, assistante dans une association d’aide aux adolescents, Paris “Mon père m’a dit : ‘Le principal, c’est que tu sois heureuse’” J’ai habité sept ans avec Fethi avant de me marier. Pendant tout ce temps, seuls mes frères et sœurs étaient au courant de cette relation. Je rendais visite à mes parents toute seule. Quand ils venaient chez moi, je cachais les affaires de Fethi. Ce n’était pas facile de vivre dans le mensonge, je m’en voulais. Mais il était hors de question que je parle de concubinage à mes parents. Je crois que c’est le poids de la communauté maghrébine qui m’a poussée à agir de la sorte. Il faut dire que les Maghrébins sont très soucieux de la réputation. Ils observent et jugent les comportements de leurs voisins ou des membres de leur famille. Ainsi, il arrive que des parents, par peur d’être mal perçus par leur entourage, renient leurs enfants parce qu’ils ne respectent pas les principes de la religion. Je ne voulais pas qu’on en arrive là. Cela n’a pas été dur de cacher ma relation à mes parents parce qu’il y a beaucoup de pudeur chez nous. Certains sujets ne sont pas abordés en famille. Par exemple, mes parents ne m’ont jamais demandé si j’avais un ami. Et quand je leur ai présenté Fethi, ils ne m’ont posé aucune question. Pourtant, ils devaient se douter que je vivais avec lui. Fethi, d’origines algérienne et réunionnaise, m’a demandée en mariage au bout de six ans de concubinage. Si j’avais été seule à décider, j’aurais officialisé notre relation bien plus tôt. J’ai toujours eu envie de me marier et d’avoir des enfants. Et j’en avais marre de mentir à ma famille. J’avoue que j’ai vraiment été soulagée quand mes parents m’ont donné leur accord pour le mariage. J’avais peur qu’ils refusent parce que Fethi n’est pas croyant. Mon père m’a simplement dit : “Le principal, c’est que tu sois heureuse…” C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’avais de la chance d’avoir des parents assez intelligents pour accepter mes choix de vie. Cela n’a pas toujours été facile et nous avons souvent été en conflit. Mais, en fin de compte, ça se passe plutôt bien. 76 LE COURRIER DE L’ATLAS J’habite avec Nicolas depuis un an, mais j’avais déjà vécu trois mois avec lui au début de notre relation il y a trois ans, pour des questions financières. Comme mon frère et ma sœur, je n’ai jamais caché la vérité à ma famille de France et d’Algérie. Je crois que cela nous vient de notre mère. Elle est c’est le père de famille qui transmet la religion et mon père s’en voulait de ne pas avoir rempli sa mission. D’ailleurs, à chaque fête musulmane, il se repliait sur lui-même parce que cela lui rappelait qu’il était le seul croyant de sa famille. En plus, il avait l’impression que nous rejetions aussi notre pays d’origine, l’Algérie ; ce qui était faux. “POUR TROUVER UNE ISSUE AU CONFLIT, NOUS C’est dans ce contexte AVONS RENCONTRÉ EN FAMILLE UN REPRÉSENTANT que je lui ai présenté DE LA RELIGION MUSULMANE. ÇA NOUS A AIDÉS.” Nicolas. Il était froid et ne lui adressait presque pas la parole. française et nous a toujours poussés à assuNicolas connaissait la situation et la compremer nos opinions et nos choix de vies. nait bien. D’ailleurs, il n’a pas laissé tomber Mon père, en revanche, a eu du mal à supavec mon père et a toujours fait l’effort de porter qu’aucun de ses trois enfants ne s’intéresser à lui ou de lui dire quelques suive les principes musulmans et ne soit mots en arabe. croyant. Le fait de vivre en concubinage, Un jour, alors que mon père n’allait pas avec un Français, non musulman de surbien, nous avons rencontré, en famille, un croît, faisait partie de ces choses qu’il n’acreprésentant de la religion musulmane afin ceptait pas. Il faut dire qu’il est très pratide trouver une issue à ce conflit. Cette réuquant et qu’il a une activité importante dans nion nous a aidés. Mon père s’est remis en la communauté musulmane. question et nous avons beaucoup discuté. Il y a environ deux ans, nos relations étaient Désormais, il m’accepte comme je suis. Bien très tendues. Il est même parti de la maison sûr, il préférerait que je me marie, mais il plusieurs fois parce qu’il ne supportait pas comprend qu’il y a des choses plus impornos vies et que ma mère nous soutenait. Je tantes pour moi, comme avoir un travail et crois qu’il culpabilisait et qu’il avait peur un logement. Cet été, nous partons même d’être un mauvais musulman. Dans l’islam, en famille et avec Nicolas en Algérie. AMEL, 28 ans, ingénieure production, Rouen “Cette vie hors du mariage ne correspond pas à mes croyances” Je n’ai pas choisi de vivre en concubinage. Mon ami me l’a imposé, trois mois après notre rencontre. Je prenais un nouvel appartement alors qu’Eric quittait le sien. Et il s’est installé chez moi. J’étais mal à l’aise parce que cette situation ne correspondait pas à mon éducation. Mais je n’ai pas osé lui dire que je voulais que l’on ait chacun notre appartement. J’étais tiraillée entre mes convictions religieuses et culturelles, et le fait que j’aimais vivre avec lui. J’ai fini par accepter ce mode de vie parce qu’Eric m’avait demandée en mariage deux mois avant. Je savais qu’il voulait s’engager et cela me rassurait. Nous devions nous marier en novembre 2005. J’ai rapidement dit à ma mère – mon père est décédé il y a quelques années – que j’avais rencontré un jeune homme et que nous voulions officialiser notre union. Je lui ai bien sûr expliqué qu’Eric n’était pas musulman, mais qu’il avait l’intention de se convertir. Et je le lui ai présenté. Eric et moi, nous étions paniqués avant la rencontre. Mais tout s’est merveilleusement bien passé et ma mère s’est dite heureuse pour nous. En revanche, je ne lui ai jamais parlé de ma vie en concubinage. Je ne voulais ni la décevoir ni lui faire de la peine. Cela m’a coûté de lui mentir. Il m’est même arrivé de cacher les affaires d’Eric parce que ma mère venait me rendre visite. Je n’étais pas fière de moi. En plus, le concubinage a été prolongé d’au moins un an et demi parce que la famille et des amis d’Eric l’ont convaincu de ne pas se convertir à l’islam. Cette histoire m’a rendue très malheureuse. Pour moi, c’était impératif qu’Eric devienne musulman et il le savait avant même de faire sa demande. Cette période a été difficile, nous nous sommes même quittés quelques semaines. Heureusement, il est revenu sur sa décision et nous nous marions dans deux mois. Je dois avouer que plus la date approche, plus je me sens légère. NUMÉRO 2 MARS 2007 vous SAMYA, 29 ans, femme au foyer, Dieppe “Ma famille me fait payer durement mes choix” MOUNIA, 26 ans, avocate, Paris Royal Free/Corbis “Mes parents sont très ouverts” Je me suis installée avec Jean un mois après l’avoir rencontré. Il venait de prendre un nouvel appartement. Nous avions envie d’être tout le temps l’un avec l’autre, alors j’ai déménagé chez lui. Et c’est tout de suite devenu chez nous. Cela fait désormais un an que nous vivons ensemble. Je l’ai rapidement dit à mes parents, et ce, sans aucune appréhension. Ils sont très ouverts et se sont réjouis de me voir heureuse. Ma mère trouvait normal que j’aie envie d’être en permanence avec la personne que j’aime. Elle est consciente que l’on a changé d’époque et qu’il est courant, aujourd’hui, de vivre en concubinage. En revanche, même si toute ma famille connaît Jean, seuls mes parents savent que je vis avec lui. Nous avons décidé de ne rien dire à mes tantes et à ma grand-mère, par pudeur et aussi parce que ce n’est pas très bien vu chez les Maghrébins. Ils pensent en effet que si la relation est sérieuse et que les personnes ont envie de vivre ensemble, elles doivent montrer leur désir de s’engager en officialisant leur union par le mariage. Personnellement, même si je suis musulmane pratiquante, je vis avec sérénité le concubinage. J’ai grandi entre deux cultures (française et marocaine) et je les respecte toutes les deux. J’ai la possibilité en France d’habiter avec mon ami avant de me marier. Je vois cela comme une chance ! Je crois qu’il est important de se connaître au quotidien avant de s’engager. Cela permet d’éviter les mauvaises surprises. Jean, de son côté, vit la situation un peu de la même façon que moi parce qu’il est issu d’une famille catholique pratiquante. Ses parents ont eu une réaction équivalente à celle de mes parents. Ils acceptent que l’on vive ensemble, mais ils n’en ont pas parlé au reste de leur famille. Quand nous dormons chez nos parents, il est impensable que nous fassions chambre commune. Avec Jean, cela se passe très bien, notamment parce que nous respectons nos religions respectives. Nous ferons par exemple deux mariages, un catholique et un musulman. NUMÉRO 2 MARS 2007 J’ai toujours dit à mes parents qu’à partir du moment où l’on vivait en France, je voulais vivre comme une Française. Je voulais être libre. Ils ne m’ont jamais comprise et me font durement payer, depuis dix ans, mon mode de vie. Ils m’ont rayée de leur existence. Et ma mère, qui est une personne très autoritaire, a incité mes frères et sœurs à ne plus m’adresser la parole. La plupart l’ont écoutée. Cette haine vient du fait que je suis partie de chez eux à 18 ans et que je me suis installée trois ans plus tard avec Toni. Je n’ai pas agi dans le respect de leur culture et de leur religion ; ils m’ont reniée. Si j’ai quitté leur maison, c’est parce qu’un de mes quatre frères me suivait partout et me frappait à la moindre occasion. J’allais mal et je faisais beaucoup de bêtises à cette époque. Je crois que j’étais perdue entre deux cultures. insultes des personnes que je croisais dans la rue, mais pas l’hostilité de ma famille. Un jour, une de mes sœurs m’a téléphoné. Elle voulait arranger la situation. Pour cela, il fallait que j’accepte de me marier avec une de ses connaissances marocaines. J’ai dit non, même si je savais que cela aurait amélioré les relations avec mes parents. Quand j’étais petite, mon père me disait tout le temps qu’il fallait que je me marie avec un Marocain musulman. Du coup, ça se passait mal avec Toni. Je l’ai quitté plusieurs fois, j’étais déprimée et imprévisible. Il fallait que j’apprenne à vivre sans ma famille et que je me trouve. J’ai donné naissance à Leïla à 23 ans, mais ce n’est qu’un an plus tard que mon couple avec Toni s’est stabilisé. Nous nous sommes mariés et j’ai eu Lilia à 28 ans. Aujourd’hui, mes parents ne me parlent toujours pas. Pourtant, je les “J’AI CROISÉ MA MÈRE AU SUPERMARCHÉ. JE L’AI vois de temps en temps en ville. MONTRÉE À MA FILLE, MAIS SA GRAND-MÈRE EST PASSÉE À CÔTÉ DE NOUS COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT.” Une fois, j’étais avec Leïla au supermarché et Quand j’ai rencontré Toni, je suis tout de nous avons croisé ma mère. Je l’ai montrée suite tombée amoureuse de lui. Je pensais à ma fille, mais sa grand-mère l’a ignorée. que vivre avec lui serait une libération et que Elle est passée à côté de nous comme si de je pourrais enfin être moi. Mais ce ne fut rien n’était. Cette attitude m’a rendue très pas le cas. J’étais trop instable pour bien vimalheureuse et je crois que je ne pourrai vre ma relation de couple. Je souffrais du jamais lui pardonner son indifférence visfait que mes parents refusent de me parler. à-vis de mes enfants. En ce qui me concerJe rêvais d’eux tout le temps et je n’arrêtais ne, je ne regrette rien et je suis beaucoup pas de pleurer. En plus, mon frère contiplus sereine qu’avant. Je n’ai jamais voulu nuait à me harceler. Je pouvais supporter les faire semblant. Grâce à ça, je suis moi. LE COURRIER DE L’ATLAS 77 vous TARIFS Dans la série bancs d’essai des vols à destination du Maghreb, voici une sélection de tarifs aériens pour l’Algérie. Le mois prochain sera consacré à la Tunisie. Alger, Oran, Annaba aux meilleurs prix par Caroline Boudet O ubliée la période où la plupart des vols vers l’Algérie étaient suspendus suite à des attentats ou prises d’otage, comme en décembre 1994, sur un vol Air France. Les avions sont revenus, les passagers aussi, et le trafic est en constante expansion. Treize compagnies desservent l’aéroport d’Alger et leur nombre devrait augmenter depuis l’inauguration, l’été dernier, du nouvel aéroport international Houari Boumediene destiné à accueillir dans un premier temps 2,3 millions de passagers pour arriver à plus de 6 millions à long terme. ÉLARGISSEMENT DE L’OFFRE L’Algérie est désormais beaucoup mieux équipée, notamment pour répondre aux pointes de trafic qui ont lieu durant les vacances d’été (400 000 passagers l’été dernier). Il y a fort à parier que l’offre de vols vers le pays devrait s’élargir puisque plusieurs compagnies chinoises ainsi qu’Iberia (Espagne) et Etihad (Emirat arabes unis) négocient pour entrer sur le marché, tandis qu’un vol Montréal-Alger doit voir le jour cet été. Une réussite pour ce chantier aéroportuaire lancé il y a vingt ans, qui a coûté 327 millions de dollars et est géré par la société française Aéroports de Paris. Ce nouvel équipement donne à l’Algérie la dimension touristique internationale qui lui faisait défaut jusqu’à présent. En effet, en 2005, près de 96 % des “touris- 78 LE COURRIER DE L’ATLAS tes” se rendant en Algérie y avaient des attrois millions de passagers chaque année. taches familiales, les 4 % restants effectuant Elle peut compter sur ses adeptes, comme des voyages d’affaires et culturels. Le nomMichel, qui n’avait pas voyagé sur Air Algébre de visiteurs augmente de manière régurie depuis quelques années, et a constaté lière depuis plus de cinq ans. “de nets progrès” : “A l’aller comme au retour, Outre Alger, nous avons choisi de comparer aucun problème, je me suis senti en sécurité les vols vers Oran et Annaba, deux destinatout le temps ! La compagnie nationale algétions appréciées par les touristes. Annaba, rienne s’est améliorée en matière de ponctuala capitale de l’Est algérien et quatrième lité. C’est triste, mais suite à l’accident affreux ville du pays par le nombre d’habitants, est de Tamanrasset (le crash d’un avion qui a surnommée “la coquette”. Pour découvrir fait 103 morts en 2003), la compagnie va le magnifique littoral de la région, il suffit continuer de moderniser sa flotte. J’espère qu’eld’atterrir à l’aéroport d’Annaba-les-Salines, le continuera à nous faire passer de bonnes qui accueille quatre vols quotidiens depuis vacances !” En revanche, ses tarifs s’avèrent Alger et des vols internationaux L’ALGÉRIE EST DÉSORMAIS ÉQUIPÉE hebdomadaires. POUR RÉPONDRE AUX POINTES DE TRAFIC Deux solutions : DES VACANCES D’ÉTÉ. opter pour un vol direct ou voler jusqu’à Alger pour ensuite emprunter les moins attractifs que ceux d’Aigle Azur en lignes intérieures. Quant à Oran, seconde période de pointe même si la compagnie ville du pays et capitale du raï, sa corniche n’est pas encore en mesure de communiet ses plages en font une destination attracquer ses tarifs. tive pour les touristes. Attention cependant, seule Air Algérie dessert directement Oran LA MOINS CHÈRE de Paris tous les jours. Comme le montre notre comparatif, Aigle Azur est souvent la compagnie qui offre les MODERNISATION tarifs les plus attractifs au Maghreb, quelle Air France et Air Algérie se taillent la part que soit la période de l’année. L’Algérie est du lion sur les vols entre les deux pays. Air d’ailleurs la destination phare de cette comAlgérie, forte de son expérience – son ancêpagnie qui propose plus de 110 vols par setre, la Compagnie générale de transports, maine au départ de Paris, mais aussi de fut créée en 1947 – transporte pas moins de Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille, Mulhouse, NUMÉRO 2 MARS 2007 vous Nice et Toulouse. Et visiblement, ses utilisateurs ne sont pas déçus des services à bord : “C’est la meilleure au niveau du rapport qualité-prix”, affirme Mohamed, un habitué. Enfin, pour ceux qui ne se soucient pas du temps, il est possible d’opter pour des vols avec escale, comme ceux proposés par Ali- AIGLE AZUR talia ou Lufthansa. L’avantage : des tarifs très compétitifs… mais un temps de trajet qui va de cinq heures à une journée si les correspondances l’exigent. Reste British Airways qui dessert également l’Algérie avec une escale… pour des tarifs qui paraîtront totalement prohibitifs au voyageur moyen. Difficile, en effet, de justifier des prix deux à quatre fois plus élevés que les compagnies concurrentes, même en avançant un service à bord irréprochable. ■ ERRRATUM Dans le n° 1 du Courrier, nous avons indiqué par erreur qu’Aigle Azur était une compagnie low cost. AIR ALGERIE ALITALIA AIR FRANCE LUFTHANSA BRITISH AIRWAYS 321,89 € 694,83 € PARIS-ALGER Périodes creuses 298,19 € 301,08 € 256,57 € 287,19 € Périodes de pointe 435,19 € 420,44 € 258,71 € 440,19 € 1182,13 € MARSEILLE-ALGER Périodes creuses non desservi 284,42 € 224,73 € 278,19 € 249,37 € 515,91 € Périodes de pointe non desservi 341,15 € 224,73 € 332,62 € 305,37 € 522,08 € PARIS-ORAN Périodes creuses 328,19 € 331,38 € Périodes de pointe 462,19 € 431,23 € MARSEILLE-ORAN Périodes creuses 263,62 € 273,71 € Périodes de pointe 357,62 € 1 199 € PARIS-ANNABA Périodes creuses Périodes de pointe 315,80 € 462,19 € 375,46 € 1 114,32 € Air Algérie MARSEILLE-ANNABA Périodes creuses 258,22 € 328,27 € Périodes de pointe 315,22 € 374,91 € NUMÉRO 2 MARS 2007 Avant de partir : les formalités indispensables Pour entrer en Algérie, les ressortissants de l’Union européenne doivent être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa. Pour l’obtenir, adressez-vous au consulat d’Algérie le plus proche (un site utile : http://www. algeriantourism.com/pratique/consulats.php). Le ministère français des Affaires étrangères a récemment publié sur son site ces recommandations aux futurs voyageurs : “Un enregistrement vidéo attribué au GSPC contient de nouvelles menaces contre les autorités algériennes mais aussi contre les intérêts étrangers, notamment français, en Algérie. Cet élément conduit à renouveler les consignes de grande prudence et de vigilance déjà réitérées en décembre dernier après l’attentat commis contre un autobus transportant des employés d’une société algéro-américaine.” LE COURRIER DE L’ATLAS 79 vous 3 questions sur la circoncision J’ai peur de circoncire mon fils J’aimerais savoir si mon enfant va beaucoup souffrir lors de la circoncision et s’il y a des risques d’infections post-opératoires ? Dr Salim Hilab : Ça ne fait pas plus mal qu’un vaccin. Cet endroit ne s’infecte que très rarement car il est bien vascularisé (beaucoup de vaisseaux sanguins). Comme cette intervention ne provoque qu’un léger saignement, il n’y a pas de croûte, et donc pas d’infection. Dès le lendemain, l’enfant peut remettre sa couche et/ou marcher normalement. Il n’aura qu’une légère cicatrice qui disparaîtra au bout d’une semaine. Dans des cas exceptionnels, certains enfants ont peur d’être touchés lorsqu’on s’approche d’eux, d’où l’intérêt de pratiquer cette intervention lorsqu’ils sont bébés. Il faut également attirer l’attention sur le fait qu’on doit pratiquer cette intervention dans de très bonnes conditions d’hygiène. Il faut cesser les circoncisions traditionnelles, car les personnes qui les pratiquent utilisent souvent des ciseaux non stérilisés et elles coupent quelquefois le mauvais vaisseau, ce qui peut provoquer des complications. Ces interventions sont devenues plutôt rares en France, mais il est important de le rappeler. Le rôle de l’urologue est de rassurer les parents en leur expliquant exactement ce qu’il va faire et en les faisant participer à cette opération. La circoncision diminue-t-elle les risques de maladie ? Est-ce vrai que la circoncision facilite l’hygiène et diminue le risque de maladies sexuellement transmissibles ? Dr Salim Hilab : Etant également dermatologue et spécialiste des maladies sexuellement transmissibles, je peux témoigner que les gens circoncis ont à long terme beau- 80 LE COURRIER DE L’ATLAS dangereux de le faire avant, bien au contraire. Plus l’enfant est petit, mieux c’est. Personnellement, je conseille de circoncire le plus tôt possible car la plaie cicatrise beaucoup plus vite. C’est pour cette raison que, dans mon cabinet, je pratique cette intervention sur des nouveau-nés dès leur septième jour. Dans une clinique, les circoncisions ne se font pas avant un an car ils procèdent à une anesthésie générale. Je trouve cela inutile pour une opération chirurgicale qui ne dure que dix minutes. C’est pour cela que je ne fais qu’une anesthésie locale. Je bloque les nerfs et je retire partiellement ou totalement la muqueuse et la peau du prépuce. Il y a un léger saignement que je stoppe assez rapidement. Et pour finir, afin que la plaie cicatrise plus vite, je mets quatre points de suture pour coup moins de problèmes que ceux qui ne le sont pas. Cela ne retire rien au rôle de protection du préservatif. Des études qui ont été faites en Afrique du Sud montrent que la circoncision protège du cancer de la verge. Quand le prépuce recouvre le gland, le pénis est protégé par une fine peau qui le rend plus fragile et beaucoup plus poreux. Lorsqu’on retire le prépuce, la peau s’épaissit et devient moins poreuse, ce qui empêche le passage de bactéries et de mycoses. Le 14 avril 2005 : 5 000 enfants circoncis à l’occasion de la cérémonie prépuce crée un de circoncision du prince Moulay Hassan, fils du roi du Maroc. milieu favorable aux maladies. Il faut préciser que la circoncision n’est pas rapprocher les deux peaux. De plus, les fils prise en charge par la Sécurité sociale. étant solubles, les parents n’ont même pas Dans mon cabinet, je pratique cette interbesoin de les retirer. Quelques heures après vention pour 140 euros, mais en clinique, l’opération, l’enfant se sent bien et ne subit c’est beaucoup plus cher. Je pratique ce pas les effets secondaires d’une anesthésie prix parce que je sais que les gens de la générale. Ce qui est important dans cette communauté maghrébine n’ont pas forcéintervention, c’est la présence des parents ment les moyens de payer plus. qui réconfortent leur enfant, alors que dans le bloc opératoire d’une clinique, les parents Puis-je circoncire mon fils n’ont pas le droit d’être présents. de 6 mois ? C’est probablement pour cette raison qu’ils Je me suis rendu dans une clinique afin de anesthésient pour ne pas avoir à supporter circoncire mon fils de 6 mois, mais on m’a les pleurs de l’enfant. refusé cette intervention chirurgicale en Propos recueillis par Siham Bounaïm m’expliquant qu’il n’était pas possible de le faire avant l’âge d’un an. Est-ce dangereux de CONTACTEZ-NOUS : le faire avant ? [email protected] Dr Salim Hilab : Non, il n’est pas du tout NUMÉRO 2 MARS 2007 Sipa CONSEIL Chaque mois, un expert vous conseille dans différents domaines : acheter un bien au Maghreb, contracter un mariage mixte, mieux connaître les lois… Ecrivez-nous. Dans ce numéro 2 du Courrier de l’Atlas, les questions tournent autour du thème de la circoncision. Les réponses sont celles du docteur Salim Hilab, dermatologue-urologue qui pratique la circoncision depuis plus de quinze ans dans son cabinet de Colombes, en région parisienne. vous Courrier des lecteurs J ’ai adoré votre nouveau magazine !!! Avec un seul numéro, vous m’avez conquise ! Ça y est, je suis devenue une de vos plus fidèles lectrices ! Je me permets cependant de vous faire deux petites remarques. Vous n’auriez pas dû afficher la caricature (du prophète) pour illustrer votre article de la page 14, sachant que la grande majorité des Maghrébins sont musulmans, et que l’histoire a déjà fait beaucoup de polémiques. J’ai adoré le fait que l’on ne parle pas que du Maroc, c’est d’ailleurs ce que je reproche aux autres magazines dits “pour les Maghrébins”. J’espère que vous continuerez sur cette voie, en nous parlant non seulement du Maroc, mais bien sûr aussi de l’Algérie et de la Tunisie. Jerbi, de Lille Chère lectrice, Merci pour vos encouragements et vos remarques constructives. Pour répondre à vos impressions, le dessin que vous avez vu page 14 est une reprise de la une de notre confrère Charlie Hebdo qui a publié les caricatures de Mahomet. N’y voyez aucune provocation. Par ailleurs, vos souhaits concernant l’ensemble des pays du Maghreb ont été réalisés, le Courrier de l’Atlas se voulant sans ambiguité celui la communauté maghrébine dans toutes ses composantes. DR B A près avoir vu la couverture de votre magazine et son prix peu élevé, j’ai cru enfin trouver la revue qui nous représenterait, nous, Maghrébins de France. Cependant, cinq minutes de lecture m’ont suffi pour me rendre compte de l’imposture : articles centrés principalement sur le Maroc et échine courbée devant la France. J’ai oublié de vous préciser que je suis d’origine algérienne, musulman, et le type de discours que vous véhiculez est la raison pour laquelle nous ne sommes rien en tant que “communauté” (soumission à l’excès devant cette France, nationalisme poussé en faveur de nos pays d’origine). (...) Je suis un jeune diplômé en droit des affaires et management qui risque de s’imposer d’ici peu dans le milieu sportif. (...) J’ai un frère qui, lui, est en place dans la haute finance et dont l’avenir est des plus radieux. Notre point commun, c’est que nous savons que nous sommes assez fort pour réussir sans nous fourvoyer, tout en pensant, dès maintenant à tous ces jeunes et moins jeunes issus de l’immigration dans toute sa diversité. Hocine Bonjour, Je souhaiterais me procurer votre magazine. Est-il en vente en France ? Je vis en région parisienne. Merci et bonne route au Courrier de l’Atlas. Fouzia Kais Merci Fouzia Le Courrier n’est disponible “QUE” en France, mais ce n° 1 a été rapidement épuisé. Pour le second, nous vous conseillons d’aller sur notre site internet à partir du 1er mars : vous y trouverez la liste complète de TOUS les points de vente où nous sommes. onjour, je ne suis pas maghrébin, mais j’ai été choqué, aujourd’hui, par la une du magazine. Il y a quand même plus de cent Maghrébins qui comptent en France ! Le Courrier de l’Atlas étant écrit par des Maghrébins, je doute qu’il y ait du racisme làdessous. J’ai cru encore tomber sur un magazine pro FN. Harold Cher monsieur, La comparaison avec le FN nous surprend. Nous comprenons que cela puisse vous choquer, mais nous avons souhaité attirer l’attention sur ces personnalités (c’était une liste non exhaustive) qui représentent la communauté maghrébine. Nous doutons, à notre tour, que vous ayez pris le temps de lire notre magazine. Il n’est pas très judicieux de faire des comparaisons qui, in fine, font le jeu du Front national… NUMÉRO 2 MARS 2007 (...) J’ai 25 ans, je suis née en France de parents venus de Tunisie et je me rends bien compte que les connaissances que j’ai sur ce pays qui fait partie de ma vie sont quelque peu limitées. Je vous avoue qu’en feuilletant le Courrier, j’ai un peu déchanté en constatant qu’il est plus marocain que maghrébin. (...) J’espère que les prochains numéros parleront plus de Maghreb et un peu moins de Maroc. Bonjour, Je trouve intéressant votre concept, censé être une passerelle entre le Maghreb et la France. J’aime le Maroc ainsi que les Marocains, mais sans être rabat-joie, c’est un magazine qui fait l’éloge du Maroc, de la banque à l’immobilier, en passant par les people et les traditions. Quelle place occupent l’Algérie et la Tunisie ? Mohamed Bacem, Lyon Chers lecteurs, nous espérons qu’en lisant le n° 2 du Courrier, vous estimerez que nous avons répondu à vos attentes en accordant une place équilibrée aux pays du Maghreb. CONTACTEZ-NOUS : [email protected] Le courrier de l’Atlas 4, rue Halevy, 75009 Paris LE COURRIER DE L’ATLAS 81 Pour ou contre Le CV anonyme Emploi Prénom, origine ethnique, lieu d’habitation : en France, la ségrégation à l’emploi se fonde sur ces éléments. Pour lutter contre le délit de discrimination dans le domaine du travail, le CV anonyme est une des solutions envisagées. Progrès essentiel pour certains, démarche insuffisante pour d’autres. Débat. par Caroline Boudet ous vous remercions de votre intérêt pour notre entreprise, mais votre profil ne correspond pas au poste proposé.” Qui n’a jamais reçu ce genre de lettre qui tombe comme un couperet ? Certains plus souvent que d’autres. Djamila ou Aboubacar davantage que Françoise ou Pierre. Sujet longtemps tabou, la discrimination à l’embauche est devenue un enjeu national. Il a longtemps été difficile dans l’Hexagone de prouver qu’elle était de mise sur le marché de l’emploi puisque la législation interdit de recenser dans les fichiers l’origine ethnique des employés. Mais les cas traités par la Halde (lire encadré) ou les tests menés par SOS-Racisme donnent une idée de l’ampleur du problème. Le principe : envoyer exactement le même CV, une fois avec un patronyme à consonance bien “gauloise” et une fois avec un nom qui fleure un peu plus l’Afrique ou le Maghreb… Lequel des deux, 82 LE COURRIER DE L’ATLAS à compétences égales, sera rappelé ou pas. Le constat est souvent effarant. L’une des solutions préconisées est de généraliser l’usage du CV anonyme. Toute indication sur l’origine sociale, le sexe, l’âge ou même l’adresse du candidat y sont masquées. Les recruteurs ne peuvent se baser que sur l’expérience et les compétences. En novembre 2005, le PDG d’AXA, Claude Bébéar, a remis au Premier ministre un rapport proposant vingt-quatre actions pour lutter contre la discrimination à l’embauche. Parmi elles, le CV anonyme, dont AXA a généralisé la pratique pour ses recrutements. Mais les parlementaires de la majorité se sont montrés très réticents à rendre le CV anonyme obligatoire par le biais d’une loi. Aucune obligation, donc, pour les entreprises, d’y avoir recours. Depuis, le débat est toujours aussi rude entre partisans et opposants au CV anonyme. la Halde Née en mars 2005, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité peut être saisie sur simple courrier et mène des enquêtes, notamment dans les entreprises. Elle peut, après avoir constaté une discrimination, aider les victimes à constituer leur dossier en justice. Dans son premier rapport annuel, la Halde a constaté que l’origine ethnique était à la base de la majorité des discriminations à l’emploi (39,6 %), suivie de loin par la santé puis le sexe. Elle a enregistré pas moins de 1 822 réclamations, dont 600 ont été traitées. Mieux : plus de 7 000 appels ont été enregistrés sur le numéro Azur spécialement mis en place pour lutter contre les discriminations. NUMÉRO 2 MARS 2007 M.Nascimento/Rea N “ vous Pour Sylvain Breuzard, pDG de Norsys, société informatique qui recrute sur CV anonyme Je n’ai pas attendu le rapport parlementaire et le débat sur le CV anonyme pour faire de la lutte contre la discrimination dans l’entreprise un des enjeux professionnels les plus importants à mes yeux. En septembre 2005, nous avons lancé un projet nommé “manager la diversité”. Il comprenait quatre axes d’étude : l’égalité de traitement des candidats, la discrimination, le management et les responsabilités de l’entreprise par rapport à la société civile. Le CV anonyme était pour nous le meilleur moyen d’être certain de ne pas discriminer au cours de la première partie du processus d’embauche. Nous avons traité mille deux cents CV dans l’année, mais pas de façon informatique. Dans chaque site de Norsys, une personne est chargée de les rendre anonymes : nom, prénom, adresse, âge, état civil, sexe… C’est très rapide : il suffit d’effacer coNtre toute la partie supérieure du CV ! Nous d’abord de réussir à se retrouver face à son ôtons également les expériences professionclient. C’est la même chose pour le CV anonelles qui datent de plus de quinze ans nyme qui donne à certains l’accès à un enainsi que les dates des diplômes. Ces CV tretien, une chance pour eux de convaincre sont ensuite présentés au manager qui opède visu leur employeur potentiel. re sa sélection. Cela force le recruteur à s’inJe ne suis pas radicalement pour le fait de téresser d’abord à la compétence et aux exrendre le CV anonyme obligatoire. Ce que périences professionnelles de chaque je regrette, c’est que les partenaires sociaux candidat(e). ont répondu qu’ils n’en voulaient pas. Je Aujourd’hui, après un an de recrutement n’admets pas qu’ils ne proposent rien à la sur CV anonymes, je peux déjà donner des place. Il règne en France une volonté de reschiffres très positifs. Norsys n’est pas une ter dans les grands discours et de laisser les grosse entreprise ; en un an, nous avons entreprises livrées à elles-mêmes. Que va-ttraité mille deux cents CV et recru“IL SUFFIT D’EFFACER LA PARTIE SUPÉRIEURE té quarante perDU CV ET LA PROPORTION DE FRANÇAIS D’ORIGINE sonnes. La proporÉTRANGÈRE PROGRESSE DE FAÇON REMARQUABLE.” tion, parmi ces embauches, de Français d’origine étrangère a connu une il se passer ? Quelques personnes vont esprogression remarquable (1) et le nombre de sayer de faire bouger les choses, et l’énorme femmes a presque doublé. Tout cela sans majorité ne va rien faire. Pourtant, la lutte avoir recours à la discrimination positive ! contre la discrimination me semble un enLes détracteurs du CV anonyme prétendent jeu incontournable dans l’entreprise. que cela n’aide pas à mieux “passer” la se(1) Les statistiques fondées sur les origines conde étape, celle de l’entretien. Je suis en ethniques étant interdites, Norsys n’est pas total désaccord avec eux. Prenons l’exemple en mesure communiquer de pourcentage d’un commercial : le plus dur pour lui, c’est de progression. pas applicable dans les cabinets de recrutement. Comme le dit le rapport Fauroux, les cabinets de recrutement sont plutôt des empêcheurs de discriminer en rond. Nous redominique Bienfait, secrétaire cevons essentiellement des cadres, une cagénéral de Syntec recrutement, la tégorie professionnelle dans laquelle le taux chambre syndicale des entreprises de chômage est de 3,3 % seulement. On de conseil en recrutement nous confie des missions sur lesquelles les profils recherchés sont rares et il faudrait En tant que secrétaire général de Syntec être fou pour pratiquer la discrimination. recrutement, je ne suis pas franchement Nous avons intérêt à en savoir le maximum pour le principe du CV anonyme. Nous parsur les personnes si on veut bien défendre tageons plutôt la position du député Roger leur candidature. J’ai en tête l’exemple Fauroux : ce CV anonyme a son utilité, mais d’une jeune Turque, diplômée et parlant il ne faut pas le rendre obligatoire en bien français. Elle était réticente à répondre croyant qu’il résoudra tous les problèmes. à mes questions car je la recevais pour un poste au-dessous “LE CV ANONYME A SON UTILITÉ, MAIS IL de ses compétences. Depuis qu’elNE FAUT PAS LE RENDRE OBLIGATOIRE EN CROYANT le était arrivée, on QU’IL RÉSOUDRA TOUS LES PROBLÈMES.” ne lui proposait Certes, une partie de la population est en que ce genre de poste. Pour bien défendre situation de plus grande difficulté face à sa candidature, j’avais besoin d’en savoir l’emploi. Certains pensent que le vrai proplus que ce qui était inscrit sur son CV. blème est le “plafond de verre” et que le fait Le CV anonyme peut donc s’inscrire dans de camoufler les origines ou le lieu d’habiune certaine démarche, mais pas dans celle tation peut les aider à accéder à un entreque nous menons en tant que cabinets de recrutement. Il existe déjà un CV européen, tien. C’est probablement vrai, mais ce n’est NUMÉRO 2 MARS 2007 l’Europass, préconisé par l’Union européenne. Le CV universel, que nous prônons avec l’association Ethique et recrutement, est sa reprise pure et simple : il permet de présenter d’une même façon dans tous les Etats européens les compétences du candidat. L’association fait circuler ces CV entre des entreprises et des cabinets de recrutement qui se sont engagés à ne pas avoir de pratiques discriminatoires. Nous souhaitons qu’un maximum d’organismes rejoignent cette organisation. Nous avons décidé d’entretenir des relations avec des associations qui favorisent l’insertion de personnes en difficultés : personnes de plus de 50 ans, d’origine étrangère, etc. Nous prenons des engagements citoyens, même si certains pensent que nous fonctionnons de façon élitiste. Nous avons monté des actions qui visent à lutter contre les discriminations dans les cabinets. Tous les salariés sont passés par une formation : on leur a appris les interdictions juridiques, expliqué ce qu’est un stéréotype projeté et un stéréotype vécu. Cela aide à identifier chez soi-même ce qu’on peut projeter de manière inconsciente sur l’autre… et finalement, de s’en débarrasser. LE COURRIER DE L’ATLAS 83 livres Ce n’est pas un livre d’histoire. Ni un livre d’images. C’est l’œuvre très personnelle de deux Marocains, l’un de cœur, Frédéric Mitterrand, l’autre de naissance, Abdellah Taïa. Ensemble, le réalisateur et l’écrivain ont puisé dans leurs souvenirs, nous livrant cet album photo intimiste retraçant plus d’un demi-siècle de l’histoire du royaume. Des clichés historiques empruntés aux ministères français, des obsèques du sultan Moulay Abdelaziz au retour d’exil du roi Mohammed V. Mais également des portraits de tous ces Marocains qui ont fait l’histoire, parfois malgré eux – résistants, paysans ou anonymes. “Ces photos sont belles, fortes, historiques. Elles sont aussi l’instrument du discours colonial. Mais elles disent aussi autre chose. Elles racontent une autre histoire, d’autres histoires. Nous avons essayé de les révéler, ces histoires secrètes, de les réveiller par le choix des photos, dans les légendes et les commentaires.” Y. Mouaatarif Maroc 1900-1960 : un certain regard. Actes Sud, Malika Editions, 45 euros. 84 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Jacques Belin/Rabat “Les comédiens de Radio Maroc en tournée avec Le Médecin malgré lui, Molière en arabe. Le contraste entre les Montgomery Clift d’un côté et les rescapées du harem de l’autre me semble incroyable. Il est vrai que L’Ecole des femmes n’est pas encore au répertoire. Habiba Madkouri est-elle dans le car ?” Abdellah Taïa DR livres “Elle est très belle, encore l’Atlandide et sa reine Antinéa. Pourtant, la mise en scène réussie de cette photo sert à l’enfermer dans un folklore romanesque qui contribue au rêve colonial. On pourrait s’amuser à recenser tous les personnages de belle Berbère fière et amoureuse qui ont peuplé le cinéma, à commencer par Annabella dans La Bandera de Duvivier.” Frédéric Mitterrand NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 85 “La rue Souika est encore aujourd’hui les Champs-Elysées de la médina de Rabat. J’y passais régulièrement pour traverser la ville, entendre les bruits, regarder les nouvelles cassettes de musique sans avoir assez d’argent pour les acheter. J’avais l’impression excitante d’y prendre le pouls du Maroc tout entier.” A.T. “Ce qui m’étonne, c’est que la femme prenne le bras de l’homme. Je n’ai jamais vu ma mère faire un tel geste avec mon père, mais leur complicité est belle à voir. Il y a une évidence de l’amour entre eux.” A.T. “Fête du Zem-Zem, les enfants s’aspergent d’eau pendant leurs jeux. Les petits frères marocains de Tom Sawyer, que j’ai découvert enfant à la télévision dans un dessin animé diffusé en feuilleton. Aujourd’hui, les enfants des rues de Casablanca ou de Tanger qui dorment dehors et sniffent de la colle me semblent plus misérables que ces jeunes porteurs d’eau sagement alignés pour la photo.” A.T. 86 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 DR - Jacques Belin/Rabat. Page de droite : DR - Jacques Belin/Rabat livres livres “Oui, les embouchures du fleuve, les ports, les rochers le long des digues, avec les épaves, les morceaux de ferrailles rouillées, les égouts qui dégorgent, cette ambiance de soleil, de gaieté et de crasse. Mettons que cela ait changé, même s’il existe encore d’autres ports de la Méditerranée où les enfants n’ont que des récifs industriels pour profiter de la mer.” F. M. “La République veille sur ses petites protégées marocaines en leur apprenant un métier qui leur permettra d’améliorer leur ménage. Bonne conscience, paternalisme et condescendance : la broderie c’est joli, c’est marocain, c’est féminin, surtout qu’elles ne sortent pas de leur boîte passablement surchargée et qu’elles ne s’avisent pas de vouloir apprendre autre chose !...” F. M. Crédits photo “Le sport, stade ultime de la libération féminine. Le volley-ball comme un substitut plus mesuré mais très physique quand même du football. Les corps des filles dénoués et musclés comme ceux des garçons. C’est un fantasme qui a marché parce qu’il correspondait malgré tout à la réalité : de Farah Diba à Nawel El Moutawakel, on ne compte plus les femmes musulmanes que le sport contribue à libérer.” F. M. NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 87 livres “La Fête du Trône est suspecte aux yeux des Français, mais le succès de Moulay Hassan au bac est de bon augure. Juin est un adversaire de premier plan, aussi intelligent que brutal. Il éprouve une réelle estime pour le souverain qu’il considère comme un danger majeur. En vérité, ce pied-noir d’origine modeste pense sans cesse à l’Algérie quand il lui faut prendre un ensemble de décisions où alternent réformes ambiguës et mesures répressives.” F. M. 88 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 Jacques Belin/Rabat “C’est le moment où les patriotes marocains rassemblés dans le parti de l’Istiqlal admettent définitivement que le chemin de l’indépendance passe par la légitimité du roi. C’est aussi celui où les officines de la résidence lancent contre lui une campagne de rumeurs fielleuses pour tenter de le discréditer auprès de l’opinion et des amis français dont il a bien besoin pour les temps difficiles qui s’annoncent.” F. M. livres “Lalla Aïcha, fille aînée du souverain, prononce également un discours politique à Tanger lors du voyage de son père. Un autre choc qui frappe les imaginations comme un tremblement de terre. C’est la première fois que l’on voit une princesse dévoilée, prenant la parole en public. La beauté de Lalla Aïcha évoque aussi une star de cinéma comme dans les films romanesques que l’on tournait au Caire ou l’une des héroïnes des livres de Georgy Zaydan, prolifique et talentueux auteur libanais très populaire dans le monde arabe.” A.T. DR - Jacques Belin/Rabat “Le roi Mohammed V et ses fils Moulay Hassan et Moulay Abdallah descendent de l’avion. S’il n’y avait que deux événements à retenir de l’histoire du Maroc pour quelqu’un de ma génération, ce serait le retour de Mohammed V, que l’on m’a raconté, et dont cette photo est devenue une icône pour nous tous, et la mort d’Hassan II en 1999, qui a suscité l’émotion que l’on sait. Une écrasante majorité de Marocains sont viscéralement attachés à la monarchie, sans arrière-pensées et avec fierté.” A.T. “Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de petits crieurs de journaux et que La Vigie, le grand quotidien du protectorat, a disparu de l’éventail de la presse en langue française qui demeure pourtant très importante au Maroc. En revanche, les jeunes cireurs de chaussures sont toujours là ; mystères de la politique pour la protection de l’enfance.” A.T. NUMÉRO 2 MARS 2007 “La liberté guidant les peuples, Eugène Delacroix dans les rues de Meknès, les figures héroïques de la Révolution française mêlées aux jeunes manifestants marocains ; d’un côté comme de l’autre, on reste fidèle aux mêmes références et c’est peut-être cela qui permettra d’éviter la catastrophe. La jeune femme qui harangue la foule, avec le mystérieux bandeau patriotique barrant son corsage, annonce le rôle déterminant que joueront les femmes dans l’évolution de la société marocaine après l’indépendance.” A.T. ■ LE COURRIER DE L’ATLAS 89 livres La Kabylie en vers et en photos J “ ’ai considéré la terre d’Amazighe / Jugurtha, j’ai vu ton visage / Dans la brume où j’étais / J’ai senti ton nom porté par le chant / Ton message depuis que je l’ai lu / Je suis fier d’être ton fils.” Extrait de Jugurten, poème de Ben Mohamed. Dans ce livre magnifique, œuvre du photographe-reporter Yazid Bekka et du poète Yalla Seddiki, c’est une autre Kabylie qui est donnée à voir, toute en portraits et en poésie. Aux photographies d’hommes et de femmes, de plaines et de villages, se succèdent les proses – textes initiaux accompagnés de leur traduction – de poètes anonymes comme de célèbres auteurs kabyles tels que Mouloud Zedek, Hanifa, Cheikh Mohand Ou-Lhoucine ou encore Chérifa, mais aussi de chanteurs et artistes-interprètes plus contemporains comme feu Lounès Matoub, Slimane Azem, El Hasnaoui, Ferhat, Aït Menguellet et même Takfarinas. Une coédition franco-algérienne. Y. M. Yazid Bekka et Yalla Seddiki, Kabylie, belle et rebelle, éd. Non lieu, 160 pages, 38 €. Un mariage en Kabylie, terre d’Amazighe. Cri urgent : à vos plumes ! Envie d’écrire ? De vous exprimer ? De vous raconter ? Les éditions du Grand souffle viennent de créer Cri urgent, une nouvelle collection dédiée aux auteurs en herbe, tous âges et tous styles confondus. La maison d’édition se propose d’éditer des manuscrits d’anonymes qui ont décidé de prendre la plume, à condition qu’ils répondent aux critères de la collection “qui ne tient ni du défoulement ni de la provocation gratuite, mais du contact conscient avec l’éprouvé d’une situation intenable”. Les manuscrits sont à faire parvenir à l’adresse suivante : Grand souffle, 24, rue Truffaut, Paris 17e. www.legrandsouffle.com VIENNENT DE PARAÎTRE Après un premier roman intitulé Sarraounia, la conteuse et écrivaine marocaine Halima Hamdane reprend la parole pour mieux la donner à d’autres… Dans Laissez-moi parler ! l’auteure imagine une galerie de portraits, un enchevêtrement de destins, des vies de femmes marocaines qui se racontent, entre conte et dure réalité. Halima Hamdane, Le grand souffle éditions, 12,80 € “Palestine, terre promise, journal d’une ville assiégée” Payot réédite en format de poche cet ouvrage paru en 2003, qui reste – hélas – toujours d’actualité. Palestine, terre promise est le journal de bord que l’écrivain et avocat palestinien Rajah Shehadeh a tenu dès avril 2002, en pleine incursion de l’armée israélienne à Ramallah. Rajah Shehadeh, traduit de l’anglais par Karine Léchère, éd. Petite bibliothèque Payot, 6,50 € 90 LE COURRIER DE L’ATLAS “Viscéral” Une romance sombre sur fond de barres de béton, racontant les amours contrariées de Lies, gérant d’un taxiphone en banlieue parisienne, et de sa belle princesse Shéhérazade. Viscéral est le second roman de Rachid Djaïdani qui avait déjà fait parler de lui avec Boumkœur, paru en 1999 chez le même éditeur. Rachid Djaïdani, éd. du Seuil, 15 € “Oubliés de guerre” Un film, quelques débats et plusieurs décennies après qu’ils se soient sacrifiés pour la République, les anciens combattants sont enfin en passe d’obtenir un semblant de reconnaissance. Ce livre leur rend hommage et leur donne la parole, à travers les photographies en noir et blanc d’Olivier Pasquiers et le texte de l’écrivain Michel Séonnet. Olivier Pasquiers et Michel Séonnet, éd. Créaphis, 19 € Yazid Bekka - DR “Laissez-moi parler !” NUMÉRO 2 MARS 2007 scène ZAPPING TV Amel Brahim-Djelloul aux Victoires de la musique Amel Brahim-Djelloul, soprano formée au Conservatoire d’Alger, faisait partie des trois nominés aux Victoires de la musique classique diffusées en direct sur France 3 et France Inter le 28 février dernier dans la catégorie “révélation artistique lyrique”. La belle Amel vient par ailleurs de sortir son premier enregistrement des Mélodies de Delage, Aubert et Szymanowski, et travaillerait également sur un projet d’opéra arabo-andalou pour l’automne 2007 aux Bouffes du Nord, à Paris. “La caravane des enfoirés 2007” Le 2 mars sur TF1, près d’une quarantaine “d’enfoirés” nous embarquent dans leur caravane pour un spectacle magique enregistré au Zénith de Nantes en janvier dernier. Cette année encore, Patrick Bruel, JeanJacques Goldman, Muriel Robin, Garou, Nadiya et bien d’autres fidèles des Restos du cœur ont été rejoints par des petits nouveaux comme Chimène Badi, Raphaël ou Bénabar. Le double CD et le double DVD La caravane des enfoirés, comprenant l’intégralité du spectacle et de nombreux bonus, seront dès le 3 mars dans les bacs. Rappelons que, pour chaque CD vendu, ce sont dix-neuf repas distribués par les Restos du cœur… Ils “comptent sur vous” ! “Concert de la Tolérance” sur NRJ 12 NRJ 12 diffusera le dimanche 4 mars à 22 h 25 la seconde édition du “Concert de la Tolérance” présentée par Nathalie Vincent et T-Miss. Ce grand événement musical s’est tenu le samedi 4 novembre dernier sur l’une des plus belles plages d’Agadir, devant plus de 120 000 spectateurs. Une vingtaine d’artistes prestigieux de la variété française et internationale, du rap et du raï étaient réunis pour l’occasion, parmi lesquels Florent Pagny, Zucchero, Samira Saïd, Faudel, Amine et Abdel Malik. Avec un seul mot d’ordre : défendre la paix, célébrer l’amitié entre les peuples et lutter contre toutes les discriminations. DR Le MAP à l’Eurovision C’est le groupe de rap lillois MAP (Ministère des Affaires Populaires), actuellement en tournée dans toute la France, qui a été sélectionné par France 4 avec les Wampas pour représenter la France à l’Eurovision. De quoi dépoussiérer un peu cette véritable institution. Rendez-vous le lundi 5 mars sur France 3 pour connaître le grand gagnant. Pour plus d’informations : www.eurovision-fr.net NUMÉRO 2 MARS 2007 Théâtre Psychanalyse de la torture La question, texte dérangeant d’Henri Alleg sur la torture durant la guerre d’Algérie, est repris au théâtre. A l’origine de ce projet, l’acteur Jean-Pierre Bodin, qui revient sur l’importance de ce document et de sa transmission. Le Courrier de l’Atlas : Pourquoi avoir adapté ce texte au théâtre ? Jean-Pierre Bodin : La raison est au départ familiale. Ma femme est née en Algérie. Elle a réalisé une fiction, C’était pas la guerre, sur les quinze derniers jours avant l’indépendance de l’Algérie à travers les yeux d’une petite fille. Ce film a été présenté régulièrement en première partie d’Un rêve algérien, du réalisateur Jean-Pierre Lledo, sur le retour d’Alleg en Algérie quarante ans après. Ma femme est revenue un jour à la maison avec La question dédicacé. Quand je l’ai eu fini, cela a été instinctif. Je me suis dis : je veux faire cela au théâtre. Comment avez-vous convaincu François Chattot de le mettre en scène ? Je travaille avec lui depuis vingt ans. Il a fait tous mes spectacles. Alexandrine Brisson, ma femme, a fait les musiques et les chansons. Parlez-nous de cette mise en scène. Au début, on voulait adapter tout le texte, mais on s’est aperçu que c’était trop long. Les mots sont tellement incroyables. L’écriture d’Henri Alleg est phénoménale, presque clinique. Le but était que les gens entendent le texte, nous voulions le transmettre aux jeunes générations. On a donc fait un montage en gar- dant à peu près les deux tiers. Et il y a des pauses, des respirations à double tranchant, comme des petites chansons écrites avec les mots des tortionnaires. L’important n’était-il pas de faire ressentir ce regard des tortionnaires ? On le voit bien aujourd’hui encore en Irak. On se souvient des photos d’Abou Ghraib où ils mettent en scène leurs jeux d’humiliation. Estce une façon pour les bourreaux de s’en sortir ? Le texte d’Henri Alleg révèle vraiment cela. Régulièrement, il emploie le mot “spectacle“. Il y a même une reconnaissance pour la victime qui tient le coup. On vient la féliciter. Quel public tenez-vous à toucher ? Nous avons joué dans des cadres très différents. Il y a des gens qui connaissent le texte, des anciens appelés qui ont pratiqué la torture... Des lycéens aussi. Les jeunes sont hypersensibilisés. Après le spectacle, ils discutent de l’Irak, de la Côte d’Ivoire. La pièce génère des débats. Séverine Renaud Théâtre national de Chaillot, au Studio, Du 8 mars au 7 avril 2007, 20 h 30, dimanche 15 heures Pour les débats organisés autour de la pièce, renseignements et réservations : 01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr LE COURRIER DE L’ATLAS 91 cinéma Hommage à Lakhdar Hamina Boulane, le satanique L’affaire des quatorze hard-rockers, condamnés pour satanisme en 2003, avait mobilisé comme jamais la société civile marocaine. Ahmed Boulane décide d’en faire un film : Les anges de Satan. Sortie prévue le 7 mars au Maroc. Entretien. O n a essayé de me refuser toutes les autorisations de tournage dans les lieux publics : au tribunal, en extérieur devant la Wilaya…”, autant de lieux généralement autorisés à d’autres réalisateurs marocains ou étrangers. Ahmed Boulane ne se démonte pas pour autant. C’est un dur à cuire… Qu’importe les bâtons dans les et les autres…, Boulane en a vu de belles. Aussi porte-t-il toujours plusieurs projets en même temps. “J’avais écrit un film sur le mariage mixte, refusé trois fois à l’avance sur recette. Alors j’ai attaqué, avec peu d’argent et d’une traite, Les anges de Satan que j’avais aussi en tête.” La Tunisie vient en renfort et surtout ses “amis artistes et techniciens”. Les anges de Satan rappel“CE FILM EST UNE ‘FACTION’, UN lent un fait diMÉLANGE DE FAITS ET DE FICTION.” vers, qui semble toujours déranroues mis par le ministre de la Jus- ger, de l’histoire récente du Maroc. tice, il ira jusqu’au bout. Au passage, Début 2003, quatorze musiciens son porte-monnaie en prend un comparaissaient pour “dégradacoup : des autorisations sont reti- tions des mœurs, incitation à la dérées en plein tournage, comme à la bauche et actes attentatoires à la prison casablancaise d’Oukacha, oc- religion musulmane”. L’annonce du casionnant des centaines de milliers verdict (jusqu’à un an de prison ferde dirhams perdus ! Boulane a le me pour les musiciens) crée un vésoutien du ministre de la Communi- ritable tollé ! Une grâce royale metcation et celui, plus étonnant, de la tra fin à ces dérapages de la police : “C’est incroyable, s’amuse- Justice. t-il, mais finalement c’est elle qui a Les anges de Satan est-il une rele mieux collaboré !” Depuis la cen- constitution ? “Je parlerais plutôt sure qui a frappé son film Ali, Rabia de faction, un mélange de faits et “ 92 LE COURRIER DE L’ATLAS Tournage au tribunal ? Refus des autorités. Tant pis, Boulane tournera dans une église. de fiction (également citoyen irlandais, il affectionne les néologismes anglo-saxons). J’ai eu accès aux dossiers de la police et du tribunal. Mais il ne s’agit pas pour autant d’un documentaire. Comme dans Bloody Sunday, Au nom du père, JFK…, j’ai raconté les faits avec de la fiction. On sait que Kennedy a été assassiné, mais si on veut raconter l’histoire, il faut bien l’imaginer…” Il rencontre alors certains musiciens de l’affaire, leurs parents et des journalistes. Le réalisateur, la cinquantaine aujourd’hui, dénonce un fossé entre les générations, celle des années de plomb qui a dû se battre et celle actuelle qui a eu, presque d’emblée, accès à la liberté d’expression. “Dans les années 60-70, le Maroc était moderne. On était libéré. On fumait du shit, on écoutait du rock, on faisait les vendanges, on baisait dans les toilettes des trains… et il n’y avait pas de visa ! C’était beau. En 2000, on aurait dû en finir avec la religion. On aurait été heureux et on n’aurait pas à se faire fouiller le cul comme aujourd’hui dans une putain de douane américaine.” Boulane est à l’image de ce cinéma marocain qui bouge. Un cinéma qui rassemble précisément dans un même élan ces deux générations autour d’une même aspiration à la liberté de filmer, d’exprimer. “M’exprimer, c’est ma manière à moi de prier”, termine le cinéaste dans une dernière provocation. Yann Barte Ben Barka : après le film, le téléfilm France 2 a commandé à Jean-Pierre Sinapi (Vivre me tue et Camping à la ferme) un téléfilm en trois épisodes sur l’affaire Ben Barka. En 1965, au plus fort des “années de plomb” au Maroc, le leader tiers-mondiste et principal opposant à Hassan II, disparaît en France. L’affaire n’a jamais été élucidée. Le tournage a lieu en ce moment à Paris. Dans le rôle de Ben Barka, Atmen Kelif, et Simon Abkarian dans celui d’Oufkir. Suite au prochain épisode… Cinéma du Réel : le Maroc à l’affiche Le Festival international de films documentaires qui se tient au Centre Georges Pompidou de Paris du 9 au 18 mars, donne carte blanche aux directrices de la nouvelle cinémathèque de Tanger : les cinéastes Yto Berrada et Bouchra Khalili. www.cinereel.org NUMÉRO 2 MARS 2007 DR A propos des “Anges de Satan” L’IMA propose une rétrospective de l’œuvre du réalisateur algérien Mohammed Lakhdar Hamina du 11 au 25 mars avec la projection entre autres du Vent des Aurès (1966) et du fameux Chroniques des années de braise (1974). IMA, 1, rue des Fossés-SaintBernard, place Mohammed V, Paris 5e . Tél. : 01 40 51 38 38 www.imarabe.org cinéma Un ovni débarque dans le cinéma tunisien. Son nom : VHS Kahloucha Tunisian underground C DR ’est l’histoire vraie d’un peintre en bâtiment de Sousse, fan de Bruce Lee et de Clint Eastwood, acteur-réalisateur à ses heures, suivi en plein tournage de sa dernière œuvre intitulée Tarzan El Arab. Un documentaire d’ores et déjà culte en Tunisie ! Trois questions à Nejib Belkadhi, le réalisateur. Le Courrier de l’Atlas : Comment est né “VHS Kahloucha” ? Nejib Belkadhi : En 1997, mon ami de toujours, Imed Marzouk, qui allait devenir mon producteur et associé dans Propaganda Production, me parle pour la première fois de Moncef Kahloucha, un personnage qu’il a connu à travers Lassaad, le photographe de mariages et cadreur de ses films. Ce soir-là, j’ai eu une envie folle de filmer ce peintre en bâtiment qui fait des films de genre en VHS dans son quartier pauvre de Kazmet, à Sousse. En 2000, je réalisais et présentais une émission qui passait sur feu Canal+ Horizons, et on s’est décidés à partir filmer Kahloucha. En allant sur place, j’ai été frappé par la richesse du quartier et la générosité de ses habitants. Il n’y avait pas qu’une, mais plusieurs histoires à raconter. On s’en est sortis avec un reportage de dix minutes, mais l’envie de faire un film autour du personnage et du quartier ne m’a pas quitté depuis. En 2002, nous avons fondé avec Imed Propaganda Production, et nous avons fini par tourner le film en 2003 avec des fonds propres, de la façon la plus indépendante possible. Le tournage s’est étalé sur une année et le montage a duré presque dix mois. On a cherché des financements pour kinescoper le film en NUMÉRO 2 MARS 2007 2006 (opération consistant à transférer le film de la vidéo en 35 mm afin de l’exploiter dans les salles de cinéma). Le ministère de la Culture nous a accordé une aide à la finition qui nous a permis de terminer le film dans de bonnes conditions et de l’exploiter dans les salles tunisiennes où il est projeté depuis le début de l’année. Le film a eu un succès phénoménal en Tunisie. Vous vous attendiez à un tel engouement du grand public pour un format documentaire ? C’est la première fois qu’un longmétrage documentaire sort dans les salles de cinéma en Tunisie. Nous avons toujours cru à notre histoire, et nous avons pu tester l’enthousiasme du public tunisien à travers notre participation au festival Doc’ à Tunis en avril 2006. C’est à partir de là que nous avons commencé à croire au potentiel commercial du film et à la possibilité de l’exploiter dans le circuit des salles, secteur qui connaît beaucoup de difficultés vu que les Tunisiens ont déserté les salles de cinéma depuis maintenant près de dix ans… Voir ce film réconcilier le public tunisien avec les salles obscures a été très gratifiant pour nous car nous avons beaucoup travaillé à la campagne de communication qui a surtout été axée sur l’utilisation des nouvelles technologies de communication : vidéos sur Internet, blogs, site interactif… Les festivals ont eux aussi été très réceptifs au film. Nous sommes déjà allés à Cannes, au festival international du documentaire de Marseille (prix des médiathèques), au festival de Dubaï. Dernièrement, nous étions au festival de Sundance 2007 du cités musicales et leur style, j’ai Film Indépendant aux Etats-Unis et montré quelques extraits du film à au Festival de Göteborg qui s’est Skander. Il a été emballé. Une pretenu le mois dernier en Suède. Nous mière maquette a été enregistrée sommes également en train de pla- dans un appartement parisien en nifier la sortie du film en France d’ici compagnie de Jamloun, membre juillet 2007, ainsi d’un autre groupe qu’une éventuelle underground tuni“CE FILM A distribution aux sien, Zemeken. On Etats-Unis dans le RÉCONCILIÉ a tout fait en deux LES TUNISIENS jours. A l’écoute des courant de l’année. premiers extraits, AVEC LES SALLES j’ai compris qu’on La bande – très – OBSCURES.” tenait notre BO. Les originale du film, Neshez ont fait un et notamment le titre Io sono tunisino, ont égale- travail formidable ! La musique colle ment contribué à ce succès. parfaitement aux images, sans les Comment avez-vous fait le cas- écraser ni les dénaturer. C’est une des forces du film. Ils sont en train ting ? Je connaissais déjà Skander Bouas- d’enregistrer un nouvel album. On sida, du groupe Neshez, mais je croise les doigts pour eux ! n’avais pas pensé à lui. D’ailleurs, je Propos recueillis par me demandais même si j’allais metYasrine Mouaatarif tre de la musique dans le film. Un Le site du film avec “Makingouf”, ami commun m’a suggéré Neshez “Banda Nouss” et “Inédiyet” : pour la BO. Connaissant leurs capa- www.kahloucha.com LE COURRIER DE L’ATLAS 93 musique UNE JOURNÉE AVEC… Kenza, le petit trésor de Marseille ’est à Aubagne, près de Marseille, que nous sommes allés à la rencontre de Kenza. En pleine séance studio, la chanteuse est concentrée sur l’enregistrement de son album. Casquette militaire, look hip-hop, mais allure féminine, Kenza est plutôt de nature joviale. Elle travaille avec assiduité, mais n’hésite pas à rigoler avec ses collaborateurs entre deux prises. De parents kabyles, cette jeune femme de 20 ans a grandi dans les quartiers Nord de Marseille. Aujourd’hui encore, elle a beaucoup de mal à réaliser ce qui lui arrive. “Après tant de déceptions et de désillusions, je réalise enfin mon rêve ! confie-t-elle. Depuis toute petite, je n’ai jamais conçu ma vie autrement qu’en chantant. J’ai toujours eu cette petite voix qui me disait de m’accrocher à la musique et de persévérer.” Kenza a toujours aspiré à “toucher un jour du doigt” la carrière de chanteuse. C’est très tôt qu’elle attrape le virus de la musique. Petite, elle chante dans des guinguettes, à des fêtes de quartiers et participe à de nombreux concours de chant. Ne disposant pas encore de son propre répertoire, la gamine se distingue, dans ce milieu très masculin, en interprétant les chansons de Céline Dion. Ce sont les victoires à ces compétitions qui lui permettent d’effectuer ses premières séances de studio. Très vite, la jeune fille va profiter de cette aubaine pour enregistrer ses propres titres. C’est ainsi que ses premiers morceaux comme Il m’a trahi, Mon ange ou Seul sans toi vont voir le jour. Mais ce que n’avait pas prévu la jeune Kenza, c’est le retentissement qu’allaient connaître ses chansons. Initialement enregistrées pour ses proches, elles tourneront grâce au bouche à oreille, de quartier en quartier dans sa ville natale… avant de connaître un succès fulgurant sur le net, L’aventure d’une jeune chanteuse de R’n’B devenue célèbre grâce au net. De Marseille à Paris, Kenza (trésor en français) a su séduire le cœur d’un large public un peu partout en France. Elle sort son premier single, Je me bats, un essai avant la sortie de son album prévue au mois de mai. 94 LE COURRIER DE L’ATLAS C’est l’année du de jongler en bac et ça n’est pas to ujo tre une nou velle carrière urs évident et les cours . bien au-delà des frontières marseillaises. “Internet est un outil de communication incontournable. Il m’a permis de me faire un nom et de diffuser ma musique.” Grâce au Web, Kenza tisse des liens solides avec son public, boostant ainsi sa carrière au niveau national. Plus qu’une simple chanteuse de quartier, elle devient un vrai phénomène dans le cœur de nombreux fans… qui iront jusqu’à lui dédier plus d’une trentaine de skyblogs. Quant à son blog officiel, il dépasse chaque mois le million de connexions. Le secret de son succès ? Sa musique a la spécificité de toucher aussi bien un public masculin que féminin, à Marseille comme à Paris. L’engouement qu’elle suscite est tel que Laurent Bouneau, le patron de la radio Skyrock, qui fait la pluie et le beau temps dans le hip-hop français, et des directeurs de maisons de disques la sollicitent. Membre du label aulnésien Karismatik, Kenza devrait d’ailleurs rejoindre sous peu une major parisienne… Malgré cette notoriété soudaine, la jeune femme garde la tête sur les épaules. Elle a su rester simple et naturelle. “Ça me fait plaisir quand les gens me reconnaissent et viennent me voir. Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à Dieu et à mon public. C’est pour ça que souvent, quand on me demande un autographe, je coupe la feuille en deux et je demande à la personne de m’en faire un aussi, parce qu’on est pareilles”, raconte-telle en souriant. En effet, Farah de son vrai prénom ne se prend pas au sérieux et continue de mener une vie ordinaire. Pour ses proches, elle reste une jeune fille dynamique et souriante, une grande sœur attentionnée et responsable. Pour eux, elle n’a pas changé. Elève de terminale au lycée Saint-Exupéry, elle poursuit tant bien que mal ses études. C’est l’année du bac et ce n’est pas toujours évident de jongler entre une nouvelle carrière et les cours. D’ailleurs, elle doit déjà nous quitter pour rejoindre ses danseurs qui répètent à Marseille pour mettre au point son prochain show. Et ce n’est qu’un début… Car après la sortie de son premier album prévu au printemps prochain, Kenza a prévu une minitournée dans tout le Maghreb. Une artiste à suivre de très près… Siham Bounaïm http://kenza-farah-zik.skyblog.com NUMÉRO 2 MARS 2007 Grégoire Bernardi C musique Malouma, la diva mauritanienne en tournée Jil Jilala : le grand come-back Un petit vent de nostalgie plane sur les charts marocains… Entre les légendaires Nass El Ghiwan qui sortent un nouvel album et les mythiques Jil Jilala qui en préparent un, les seventies reviennent en force ! DR J il Jilala, c’est une légende, née à Marrakech à l’aube des années 1970 autour du maître de cérémonie Moulay Tahar, mais c’est aussi une époque, un certain Maroc en noir et blanc, pattes d’éléphants et coupes hippies, où il faisait bon chanter l’amour et la paix sur des airs de sentir et de bendir. Trente ans et des dizaines de tubes plus tard, leur chanson rebelle et leur musique de transe font toujours autant d’adeptes, au Maroc, dans tout le Maghreb, et même au-delà… Car el hal ou l’état de transe est en passe de conquérir un tout nouveau public, issu d’univers musicaux diamétralement opposés. Tout a commencé en juin 2006, à Rabat, au Chellah Jazz Festival. Les Jil Jilala partagent alors la scène avec des rockers allemands, The Dissidents, et reprennent ensemble leur morceau Rih el bal. Depuis, est née entre les deux groupes une grande complicité musicale, et The Dissidents travaillent même sur un album consacré à la fusion rock-jilala qu’ils comptent sortir cette année en Europe et au Maroc. En attendant, nos quatre Marrakchis dans le vent concoctent leur propre come-back et c’est dans le sud de la France qu’ils sont actuellement en plein enregistrement d’un nouvel album qui devrait sortir à l’automne 2007. “Nous travaillons sur environ sept titres, parmi lesquels quelquesunes de nos plus célèbres chansons comme Lklam elmressaa, Laâyoun Ainiya, Echamâa et Al Aar a Bouya. Ce ne seront pas de simples reprises, car la grande nouveauté, c’est l’introduction d’instruments comme le saxophone, le violon, et même le oud, nous confie Abdelkrim El Kasbaji. Nous préparons également des morceaux totalement inédits, certains écrits par Moulay Abdelaziz Tahiri qui a assisté à la genèse du groupe, et d’autres par des poètes avec lesquels nous travaillons pour la toute première fois, comme Mohammed Benaissa et Mohammed Nmila.” Vivement la sortie… En attendant, le groupe profite de sa venue en France pour entamer une petite tournée dans le sud de la France, de Montpellier à Avignon en passant par Nîmes. Yasrine Mouaatarif Infoline : 04 67 92 35 26 NUMÉRO 2 MARS 2007 Un port de reine, une voix majestueuse, des doigts de fée qu’elle balade avec grâce sur son ardin, instrument du désert à mi-chemin entre la harpe et le luth. Malouma Mint El Meidah est une véritable diva. Celle qu’on appelle en Mauritanie “la chanteuse du peuple” nous revient ce mois-ci avec un tout nouvel album intitulé Nour, qu’elle présentera sur scène lors de sa tournée française. Elle y chante l’amour, mais aussi les femmes de son pays, leurs rêves et leurs revendications, dans une musique mêlant tradition hassania, jazz et électro-pop. A découvrir sur scène : le 10 mars au Festival d’un monde à l’autre à Lyon, avec le Dee Dee Bridgewater’s Malian Project, Auditorium de l’Orchestre national, 149, rue Garibaldi, 69003 Lyon Le 16 mars au Trianon Transatlantique à Rouen, 114, avenue du 14-Juillet, 76300 Sotteville-lès-Rouen Le 18 mars, au Festival Banlieues bleues à La Courneuve, Centre culturel Jean-Houdremont, 11, avenue du Général-Leclerc, 93100 La Courneuve Sortie nationale de l’album Nour le 8 mars DANS LES BACS Collection Maghreb Soul Raï Story 1986-1990 Avis à tous les amateurs du bon vieux raï des familles et autres nostalgiques de la gasba et du guellal : le label Because vient de sortir une magnifique collection de cinq albums retraçant l’histoire de ce style musical made in Oran, à travers quatre de ses figures les plus emblématiques : la regrettée Cheikha Rimitti, feu Cheb Hasni, Khaled et Mami, avec des titres de leur époque Cheb, et une compilation réunissant les Bilal, Taliani et autres raïmen nouvelle génération. ElectroDunes Saharian Vibes Béni-Abbès, en plein désert algérien, et son festival Nuit métisse. Trois artistes du pays, Hafid Douali, Houari Douali et Saïd Touati, font la connaissance d’un DJ originaire de la cité phocéenne, Barbès D. De cette rencontre naîtra Saharian Vibes, un délicieux trip musical entre Marseille et Béni-Abbès, sur son de dub et de karkabous, avec escale à Kingston, sorti simultanément dans les bacs en France et en Algérie. Découvrez le groupe sur scène le 29 mars aux Docks des suds à Marseille. LE COURRIER DE L’ATLAS 95 culture AGENDA Kantara Ce jeune groupe est né de la rencontre d’un joueur de oud, Riadh Fehri, et d’un guitariste, Brennan Gilmore. Ensemble, les deux musiciens ont osé une fusion audacieuse entre le malouf tunisien et la musique appalachienne du sud des Etats-Unis. Marseille, Espace Julien entrée libre, 20 h 30, 39, cours Julien Tél. : 04 91 24 34 10 www.espace-julien.com Jusqu’au 31 mars EXPOSITION “Allers Retours” Le Musée des Arts derniers – clin d’œil artistique et militant au Musée des Arts dits “premiers” inauguré en grande pompe quai Branly – ouvre un nouvel espace à Paris et invite pour l’occasion dix artistes plasticiens français et africains dans une grande exposition collective baptisée “Allers Retours”. Parmi eux : Kamel Yahiaoui, Afi Nayo, Martial Verdier, Malick Sidibé ou encore Bruce Clarke. Paris 3e, musée des Arts derniers 28, rue Saint-Gilles Tél. : 01 44 49 95 70 www.art-z.net Du 6 mars au 7 avril EXPOSITION Yamou L’artiste marocain Abderra- him Yamou nous ouvre les portes de son univers et offre à découvrir ses toiles et sculptures, œuvres organiques, végétales, presque vivantes, le temps d’une exposition à la galerie parisienne Plume. Paris 3e, galerie Plume 48, rue de Montmorency www.yamou.com Le 9 mars DANSE Roxane Butterfly Un numéro de claquettes pas comme les autres... C’est en s’inspirant de ses origines marocaines que la danseuse et chorégraphe Roxane Butterfly a créé Djellabah Groove : des chorégraphies inédites dans lesquelle selles réinvente le tap-dance classique en lui insufflant un peu de son Orient. L’artiste est accompagnée sur scène par des musiciens de oud et de derbouka. Un spectacle époustouflant qui vient en after des chanteuses Ayo et Djurdjura. Lyon, festival d’un Monde à l’autre Auditorium, orchestre national de Lyon 82, rue du Bonnel Tél. : 04 78 95 95 95 http://worldbeats.free.fr Du 9 au 24 mars CONCERTS Anouar Brahem Après Helsinki et Beyrouth, et avant Carthage où il se produira au mois d’avril, le jazzman tunisien et vir- tuose du oud Anouar Brahem revient en France le temps d’une rapide tournée. Raison de plus pour noter sur vos tablettes qu’il se produira en tournée dans dix villes de France : Le 9 à Bourg-en-Bresse (Allier), le 10 à Draguignan (Var), les 13 et 14 à Toulouse (Haute-Garonne), le 16 à Echirolles-la-Rampe (Isère), le 20 à Mulhouse (Haut-Rhin), les 21 et 22 à Saint-Nazaire (LoireAtlantique), le 23 à Châlons-en-Champagne (Marne) et le 24 à Grande-Synthe (Nord). www.anouarbrahem.com Du 10 au 23 mars CONCERTS Kamilya Jubran Une soirée de pure poésie, ça vous dit ? Si vous ne connaissiez pas la chanteuse palestinienne Kamilya Jubrane, la magie de sa voix suave et la poésie de ses chansons, voici une occasion en or pour la découvrir sur scène, accompagnée de ses musiciens et de son joueur de oud. Le 10 mars à Lyon, auditorium Maurice Ravel, orchestre national de Lyon 149, rue Garibaldi Tél. : 04 78 95 95 95 Le 11 à Nantes Rezé Centre musical de la Balinière 24, rue de la Balinière Tél. : 02 51 70 78 00 Le 16 à Niort Rachid Taha Le rocker de la Casbah est de retour sur scène ! Rachid Taha nous arrive en plein e form e pou r prés ente r son dern ier opus : Diwan II, un album sorti début 2007, dans lequel l’artiste s’est amusé à reprendre des tubes algériens et orientaux à la sauce scopitone . Ahmed Wahby, Dahman El Harrachi, Oum Kalthoum ou même Francis Bebey... Raï oranais, châabi algérois ou ballade camerounaise… Taha s’offre toutes les fantaisies – sur CD comme sur scène – pour notre plus grand bonh eur. Le 22 à Paris au Bataclan 50, boulevard Voltaire, Paris 11e Tél. : 01 43 14 00 30 www.lebatacla n.com Le 29 mars à Angers, au Chabada Avec en première partie DJ Nadia El Mourid 56, boulevard du Doyenné, Tél. 02 41 96 13 40 www.lechabada.com Théâtre de Bressuire 1, place Barante, Tél. : 05 49 74 46 30 Le 17 à SaintBarthélémy-d’Anjou (Maine-et-Loire) Théâtre de l’hôtel de ville, 27, place Jean XXIII. Tél. : 02 41 96 12 81 Le 23 aux Lilas (Seine-Saint-Denis), le Triton, 11 bis, rue du Coq-Français Tél. : 01 49 72 83 13 Le 14 mars CONCERT Cheb Najim Amateurs de raï, rendezvous au New Morning pour le concert de Cheb Najim. Ce jeune chanteur – qui a sorti le mois dernier un tout premier album intitulé Saba – s’inscrit clairement dans la lignée des “raïmen lovers” à l’image de son idole, feu Cheb Hasni. Paris 10e, New Morning 7-9, rue des PetitesEcuries Tél. : 01 45 23 51 41 www.chebnajim.com Le 14 mars CONCERT Method Man C’est bien lui : LE Method Man, célèbre rappeur newyorkais et membre du légendaire Wu-Tang Clan, l’un des rares à mettre d’accord toutes les générations du hip-hop, toutes écoles, tous pays et toutes côtes confondues… Du gros son ! Marseille Espace Julien 39, cours Julien Tél. : 04 91 24 34 10 www.espace-julien.com Et le 1er avril à Lille Du 30 mars au 6 avril HUMOUR Festival “Juste pour rire Nantes-Atlantique” Le plus délirant des festivals d’humour québécois s’exporte en France pour une semaine. Plus de 150 artistes se produiront à Nantes et dans sa région dans des spectacles variés : one-man shows, cirque, magie, sans compter les galas animés par les “parrains” Franck Dubosc, Stéphane Rousseau, Anne Roumanoff, Laurent Ruquier... La bande du Jamel Comedy Club sera aussi de la partie. Location : 0 892 705 075 et toutes les infos sur le site www.juste-pour-rire.fr 96 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 DR Le 1er mars CONCERT Les 22 et 29 mars CONCERTS culture Zénith Arena 1, boulevard des CitésUnies www.method-man.com Le 16 mars CONCERT Les Musiciens du Nil Un agréable voyage dans le saâid égyptien, au cœur de la Haute-Egypte, avec la troupe folklorique des Musiciens du Nil et leurs instruments traditionnels, invités dans le cadre du festival Méditerranée des musiques de l’IMA. Paris 5e, Institut du monde arabe 1, rue des FossésSaint-Bernard, place Mohammed V Tél. : 01 40 51 38 38 www.imarabe.org Du 20 au 31 mars CONCERTS Le 24 mars THEATRE Dhafer Youssef 24 et 31 mars CONCERTS DR Natacha Atlas Après la sortie de son album Mish Maoul (“Pas possible !”), la d i va d e l ’ é l e c t r o orientale continue sa tournée en France. Toujours aussi baroque, Natacha Atlas mixe les sonorités arabes traditionnelles aux musiques occidentales contemporaines dans une fusion détonante. Le 24 à Verdun avec Monkomarok en première partie Théâtre, 1, place du marché couvert, Le 31 à Saint-Ave au Dôme, rue des Droits-de-l’homme www.natachaatlas.net et chanson française qui lui ont ouvert les portes des plus grandes salles : ce mois-ci, le Splendid de Lille, le mois prochain, l’Olympia de Paris… Le 21 à Lille au Splendid 1, place du Mont-de-Terre, Tél. : 03 20 33 17 34 Le 27 à Marseille, à l’Espace Julien 39, cours Julien Tél. : 04 91 24 34 10 www.espace-julien.com www.anis-music.com Les fans français de Dhafer Youssef n’y croyaient plus : en pleine tournée internationale, l’artiste tunisien devenu roi de l’électrosoufi est bel et bien de passage en France, le temps de trois concerts uniques qu’il ne faudra pas manquer car l’artiste ne sera pas de retour avant… 2008. Le 20 à Grenoble (04 76 90 00 45), le 22 à Nice (04 93 81 04 95) et le 31 à Montélimar www.dhaferyoussef.com Les 21 et 27 mars CONCERTS Anis On peut dire que son album La chance lui a porté la baraka… Révélé en 2006 et adulé en 2007, Anis trace sa route comme il chante : avec sagesse et assurance. Des rythmes entre blues et hip-hop, soul L’Enfant de sable “Ahmed” est la huitième fille d’une famille qui désespère d’avoir un héritier mâle. A sa naissance, ses parents décident de l’élever comme un garçon. La petite devra dès lors prendre en charge le mensonge avec lequel elle aura à se construire. Un long parcours initiatique l’attend avant de pouvoir s’assumer femme. Une pièce adaptée de L’enfant de sable et de La nuit sacrée – célèbres romans de l’écrivain Tahar Ben Jelloun –, mise en scène par Isabelle Censier. Charleville-Mézières Théâtre municipal Place du Théâtre Tél. : 03 24 32 44 50 Le 24 mars CONCERT Cheikh Ahmad Al Tûni Il est l’un des plus célèbres Du 29 au 31 mars DANSE CONTEMPORAINE Les corps étrangers La compagnie Accrorap et le chorégraphe Kader Attou donnent trois représentations du spectacle Les corps étrangers, tableaux mêlant subtilement hip-hop et danse contemporaine dans lesquels se rencontrent des danseurs venus de tous horizons. Mulhouse La Filature, 20, allée Nathan-Katz. Tél. : 03 89 36 28 28 www.lafilature.org munshid de Haute-Egypte, ces interprètes du répertoire soufi dont la seule voix mène de la transe à l’extase. Originaire d’Assiout, ce sultan du chant mystique est de tous les festivals internationaux et a même inspiré le fantasque cinéaste Tony Gatlif. A découvrir absolument ! Paris 5e, auditorium de l’Institut du monde arabe 1, rue des Fossés-SaintBernard, place Mohammed V Tél. : 01 40 51 38 38 www.imarabe.org Les 24 et 31 mars CONCERTS Akli D Les cheveux en bataille et la guitare au poing, Akli D nous enchante avec ses chansons françaises empreintes de Kabylie, toujours poétiques, parfois ironiques, et souvent engagées. Le 24 à Bobigny, à l’espace Canal 93 63, avenue Jean-Jaurès Tél. : 01 49 91 10 50 Le 31 à Lyon au Ninkasi Kao dans le cadre du festival Découvertes Berbères 267, rue Marcel-Mérieux Tél. : 04 72 76 89 00 www.akli-d.com Le 30 mars CONCERT Abdelkader Chaou C’est incontestablement l’un des maîtres du chaâbi algérois, musique à la fois savante et populaire de la capitale algérienne. C’est à Reims que le public aura la chance d’applaudir Abdelkader Chaou, toujours accompagné de sa mandole et de ses fidèles musiciens, lors d’un concert unique. Reims à La Comédie 3, chaussée Bocquaine, Tél. : 03 26 49 49 00 Du 9 mars au 7 avril CONCERTS Festival Banlieues bleues C’est LE rendez-vous de tous les amateurs de jazz et de musiques du monde en Ile-de-France. Pour sa 24e édition, une cinquantaine d’artistes se produiront dans seize villes de la région parisienne parmi lesquels les Américains Lafayette Gilchrist et Allen Toussaint, la Mauritanienne Malouma, le Libanais Rabih Abou Khalil et le Brésilien Lenine. Réservations : 01 49 22 10 10 et toutes les infos sur www.banlieuesbleues.fr ET PLEIN DE BONS PLANS SUR LE SITE LECOURRIERDELATLAS.COM DANS LA RUBRIQUE “SORTIES” NUMÉRO 2 MARS 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 97 chronique RÉFLEXION T out a commencé avec les grands chantiers de construction qu’a connus l’Europe après la Seconde Guerre mondiale et avec l’épanouissement économique de cette région du monde. Un immense chantier auquel il manquait des milliers d’hommes qu’il fallait trouver, recruter là où la misère et la pauvreté permettent et justifient le déracinement et l’exploitation. Personne n’imaginait que plus tard s’inscrirait, béante, sur cet espace élevé, construit et même défendu par ces émigrés ou leurs concitoyens, une blessure profonde, poussant sur un sol d’incompréhension et d’exclusion. Certainement, la réalisation des projets économiques primait sur le reste. Tous ces émigrés ne constituaient qu’une masse de travailleurs anonymes, secondaires par rapport à d’autres préoccupations. La périphérie par rapport au centre. On imaginait qu’ils rentreraient chez eux une fois les chantiers finis, quand on n’aurait plus besoin d’eux. Personne ne détient les commandes du cours de l’histoire. On a beau s’évertuer à tout englober dans une logique scientifique, l’évolution des choses trompe, prouve le contraire et surprend. La politique n’échappe pas à ce sort. Quand elle prétend tout prévoir ou tout maîtriser, elle ne prouve que sa rébellion prématurée contre l’implacable certitude de la faiblesse humaine, appuyée d’abord sur le principe de l’erreur et de l’incertain. Le philosophe Edgar Morin disait judicieusement : “Quand, pour sortir du XXe siècle, j’ai voulu regarder le monde actuel, j’ai eu la conscience qu’on est désormais dans ‘nuit et brouillard’, que l’avenir du monde ne peut être prédit, que l’ensemble du jeu des inter et rétroactions nous échappent.” L’imprévu est que ces émigrés ont décidé de ramener leurs familles en Europe et de s’y installer, la perspective du retour au pays d’origine devenant, elle, incertaine. L’erreur fut de les déterritorialiser, de les accueillir dans des banlieues carrément coupées de la vie du centre, de les inscrire dans un espace de différence. Une mesure d’exclusion incalculable. Déjà, le sentiment de la frustration s’intensifiait dans ces endroits bannis de toute activité socioculturelle ou d’une gestion politique avertie. La frustration et l’exclusion évoluent en drame dans la méconnaissance et dans l’insouciance de part et d’autre. Il a fallu que le vase déborde pour que l’on se réveille un jour. Pour que l’on se rende compte qu’un problème d’immigration existait réellement et qu’il allait générer ultérieurement d’autres formes d’exclusion et de violences. Il est certain que les actes d’exclusion et de rejet réduisent au minimum les chances d’ouverture et de dialogue. Ils développent une amertume, surtout chez les jeunes des deuxième et troisième génération, ainsi qu’une prédisposition au repli sur soi. Ces jeunes deviennent alors des proies faciles à la délinquance ou à certains discours démagogiques qui incitent à diverses formes de révoltes ou au retour aux sources à travers des pratiques religieuses prônant l’intolérance et l’extrémisme. En Europe, le problème de l’immigration n’est souvent traité par les médias que lorsque les banlieues s’embrasent, expriment par la violence leur malaise, ou lors des élections, quand des partis politiques se partagent à son égard soit en défenseurs des égalités et des droits sociaux, soit en fervents protecteurs de l’identité nationale contre l’invasion étrangère. En somme, jamais on ne s’est penché sur ce problème avec réalisme et volonté politique. Il en résulte une mauvaise connaissance dans l’opinion publique européenne de la réalité et de la complexité de ce problème. Elle a souvent tendance à se maintenir aux faits, à en isoler les fondements et les mobiles. Elle se limite à l’appréciation des actes manifestes et juge la plupart des agissements avec un a priori réducteur. L’émigré est synonyme de délinquant, si ce n’est son incarnation parfaite ou l’un de ses prolongements surtout dans un contexte mondial caractérisé, actuellement, par la crise économique, le terrorisme international… L’échec des politiques d’intégration incombe à leur vision mécaniste des choses qui restreint l’étendue du problème de l’immigration à quelques aspects secondaires ou partiels détachés de ses réalités sociales et économiques. Il s’avère difficile qu’elles puissent aboutir à quelque chose de concret sans la mise en œuvre de projets audacieux, inscrits dans le long terme pour une implication des immigrés dans la vie active de tous les jours. Les jeunes issus de l’immigration ont plus que jamais besoin par Mounir Ferram (1) d’un plan d’actions responsabilisant et égalitaire émanant des instances concernées. Leur association dans les domaines économiques, sociaux et politiques est nécessaire pour les aider à s’affranchir d’un sentiment archaïque de frustration, à se libérer d’une appartenance floue à une société qui ne leur est pas reconnaissante, ouverte et aimante. Nous ne pensons pas qu’il soit facile d’avancer dans la vie et de se déterminer quelque part sans avoir résolu préalablement le sentiment d’appartenir, avec beaucoup de conviction, à une terre, à une culture donnée, à une cause que l’on sert avec passion et force. Tout provient de la manière dont les politiques voudront rendre les cultures d’accueil proches et ouvertes à toutes leurs composantes sociales, sans exception. Le dialogue s’instaure par la primauté du respect des différences et de leurs concours à l’apaisement et à la prospérité sociale. ■ Comment l’appel aux immigrés a engendré l’exclusion DR (1) Chercheur et enseignant universitaire à Paris 98 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 2 mois pour tester un crédit ça ne coûte rien d’essayer ! Et ensuite, que choisissez vous ? Vous remboursez par petites mensualités fixes à partir du 3ème mois. Votre crédit est remboursé en douceur. Vous remboursez tout en une fois le 3ème mois. Votre crédit est gratuit. 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(3) A l’issue de la période de report, vos remboursements s’effectueront au taux en vigueur à cette période et qui vous aura été préalablement communiqué. Le report de mensualités allonge la durée de remboursement du crédit. (4) Dans le respect du délai légal de rétractation. “Offre de crédit réservée aux personnes résidant en France métropolitaine.” Les informations recueillies nécessaires pour le traitement de votre demande, seront utilisées par COFIDIS SA pour les seules nécessités d’actions commerciales et pourront être communiquées à des tiers. Vous pourrez ainsi recevoir des offres commerciales d’autres entreprises. Pour vous y opposer ou exercer votre droit d’accès ou de rectifications (loi du 06/01/78), écrivez à COFIDIS SA, Services consommateurs, 59866 VILLENEUVE D'ASCQ CEDEX. COFIDIS SA au capital de 50 000 000€ - Siège social : Parc de la Haute Borne - 61 AVENUE HALLEY 59866 VILLENEUVE D’ASCQ CEDEX - SIREN 325 307 106 - RCS ROUBAIX TOURCOING. 7SK DEMANDE D’INFORMATION DE L’OFFRE DÉCOUVERTE GRATUITE ET SANS À retourner sous enveloppe non affranchie à : COFIDIS - Libre réponse N°44080 - 59869 VILLENEUVE D’ASCQ CEDEX Mme Mlle ENGAGEMENT M NOM (en majuscules) : .................................................................................................... Prénom (en majuscules) : ........................................................................................................................................................... Nom de jeune fille : ........................................................................................................................................................... Date de naissance : I I I I I I 19 I I I Dept I I I à ............................................................ Adresse : ..................................................................................................................................................................................... ............................................................................................................................................................................................................... Code postal : I I I I I I Ville : .......................................................................................................................... Tél. : I I I I I I I I I I I I I I I Tél. port : I I I I I I I I I I I I I I I E-mail : ............................................................................................................ CODE PRIVILLÈGE : 7SK PRIX RÉDUITS VERS LE MAGHREB 0,01 100,01 200,01 300,01 400,01 500,01 750,01 1.000,01 2.000,01 3.000,01 6.000,01 A 100,00 200,00 300,00 400,00 500,00 750,00 1.000,00 2.000,00 3.000,00 6.000,00 8.000,00 Frais* (€) 10,00 15,00 21,00 27,00 32,00 36,00 40,00 50,00 70,00 100,00 150,00 (1) Tarifs valables pour des transferts d’argent à destination du de l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Mauritanie et la Lybie dans les points de vente participants du Réseau Société Financière de Paiements (voir liste au verso). Offre limitée, valable jusqu'au 31 décembre 2007. *Outre les frais de transferts, Western Union génère également des revenus à partir du change de devises. Tarifs sujets à modification sans préavis. Pour un transfert d’argent rapide et sûr dans le monde, appelez © 2007 WESTERN UNION HOLDINGS, INC. All rights reserved. Montant (€) De