maghrébines et fières de l`être

Transcription

maghrébines et fières de l`être
ÉCONOMIE
REPORTAGE
ENQUÊTE
MALEK CHEBEL
Algérie, objectif
l’après-pétrole
Les chibani,
oubliés ici et là-bas
Les Maghrébins
des grandes écoles
“Le plaisir charnel
est une bénédiction”
POLITIQUE
N° 2 - Mars 2007 - Le magazine de la communauté maghrébine en France
RECONNAISSANCE
TARDIVE POUR
LES MAGHRÉBINS
DE GAUCHE
• Enquêtes,
JOURNÉE DE LA FEMME
témoignages,
reportages
sur leurs
luttes et leur
incessante quête
d’émancipation
MAGHRÉBINES ET
FIÈRES DE L’ÊTRE
L 15364 - 2 - F: 2,50 €
édito
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Rédaction : Céline Fornali (76),
Nadia Lamarkbi (73), Valérie Defournier (70)
Chroniqueurs : Maâti Kabbal, Mounir Ferram
Invités : Rachid Benzine, Malek Chebbel,
Aïcha Sakhri
Ont collaboré à ce numéro : Hanane
Harrath, Houda Filali-Ansary (la Vie Eco),
Ali Tizilkad, Siham Bounaïm, Fadwa
Miadi, Caroline Boudet, Tiphaine Poidevin,
Mireille Peña, Lina Rayan, Anne Deguy,
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ayants droit.
Directeur de la publication : Hassan Ziady
NUMÉRO 2 MARS 2007
N
ous sommes entrés depuis de longues semaines déjà dans ce que
d’aucuns appellent “la campagne
électorale” avec, en ligne de mire,
l’échéance du premier tour (22 avril). Et les
médias de l’Hexagone vous matraquent jour
après jour de révélations, de confidences,
d’analyses, d’informations, toutes plus exclusives les unes que les autres bien évidemment.
Méfiez-vous, car à de rares exceptions près,
c’est aussi l’heure des manipulations qui a
sonné. Les “liaisons dangereuses” entre certains médias et des candidats de premier plan
– parfois assumées avec une aisance sidérante
– sont aujourd’hui de notoriété publique et
des spin doctors, qui ne veulent que votre bien,
travaillent dans l’ombre. A défaut
de raser gratis, on vous promettra
la lune avec des programmes dont
le chiffrage est parfois des plus
fantaisistes ! Un lord anglais ne
disait-il pas que “l’information,
c’est ce que quelqu’un, quelque
part, veut vous cacher ; tout le reste
n’est que de la publicité”… La lecture de l’excellent travail de Paul
Moreira, ex-patron de Lundi investigation et de
90 minutes sur Canal Plus (“remercié” depuis...) vous éclairera encore plus sur ces
“nouvelles formes de censure”.
Pour essayer de mieux cerner les enjeux,
nous donnerons dans notre prochain numéro
la parole aux principaux candidats. Nous leur
soumettrons les questions de la rédaction,
mais aussi les vôtres, que vous pouvez poser
sur notre site (www.lecourrierdelatlas.com).
Sans verser dans un communautarisme étriqué, nous les interpellerons sur les thèmes
qui vous intéressent. Mais comme vous le
montre Nadia (p. 16), qui s’est aventurée dans
les coulisses de la gauche française après
avoir titillé la droite le mois dernier, il n’existe pas en France de “vote maghrébin” ou de
“vote arabe”. Et c’est tant mieux ! Citoyens à
part entière d’une République de droit qui a
ses lois et ses règles, nous avons certes des
sensibilités proches sur certains dossiers,
mais cela n’empêche pas les divergences
d’exister. C’est l’essence même de la démocratie, et vous auriez tort de vous priver de ce
droit à la parole pour lequel des hommes et
des femmes se battent encore !
Dans ce numéro 2, Yann vous emmène à la
rencontre de nos vieux (p. 54), ces chibani
oubliés de tous ; Yasrine vous présente ces
étudiants (p. 34) qui poursuivent des cursus
impressionnants et qui sont appelés à œuvrer au plus haut niveau ici ou là-bas ; Valérie vous présente quant à elle de grandes fi-
gures du Liban éternel (p. 30), celui que
nous aimons si fort tant il représente depuis
des siècles ces valeurs de tolérance et ces
règles du “vivre ensemble” que certains ont
perdues de vue en France… Ce qui n’est bien
évidemment pas le cas de Rachid Benzine
(p. 62), qui a une manière rare et paisible de
vous parler de l’islam, de (re)poser les bonnes questions et de vous amener à engager
une vraie réflexion sur un sujet complexe.
Sur des thèmes aussi divers, et fidèles à notre
ligne éditoriale, nous nous contentons de
donner la parole au plus grand nombre. A
vous de vous forger votre propre opinion. Et
pour ce qui concerne la situation des femmes,
vous avez de la matière. Qu’elles vivent en
MÉFIEZ-VOUS
DES MANIPS
concubinage (p. 74) ou qu’elles soient “Françaises et voilées” (p. 68), nous leur accordons
une large place. En France, mais aussi en Algérie, en Tunisie et au Maroc, sans oublier un
coup de projecteur sur l’Egypte où la situation
est dramatique. L’occasion pour moi de remercier pour leurs soutiens Leïla Benyassine,
de Nissae, et Aïcha Sakhri, de Femmes du Maroc, un magazine comme on aimerait en voir
dans la totalité des pays de la région et qui a
tant œuvré pour bousculer un royaume… où
il reste tant à faire.
Et dans ce registre des remerciements, un
exercice peut-être convenu pour une publication aussi jeune que la nôtre, mais auquel
nous nous livrons avec un plaisir non dissimulé – vous verrez page 6 la liste de tous les
confrères qui nous ont donné un coup de
pouce –, la rédaction aimerait faire un clin
d’œil particulier à l’ami Eric Revel, de LCI,
pour son soutien appuyé et à Fabrice Lundy,
de BFM, un nouveau venu dans le fan-club
du Courrier de l’Atlas qui a donné un sacré
coup de projecteur sur votre magazine à l’antenne d’un média pourtant tourné principalement vers le monde des affaires de l’Hexagone. Preuve s’il en fallait que notre refus de
tout communautarisme et de
toute crispation identitaire
peut s’avérer payant ! ■
Hassan Ziady,
rédacteur en chef
LE COURRIER DE L’ATLAS 3
sommaire
6 L’essentiel
Toutes les infos en bref sur
le Maghreb, les relations
bilatérales et internationales.
16 Dans les partis de gauche,
42
42 Dossier
Maghrébines :
l’incessante quête
d’émancipation
54 Chibani : les oubliés
62
65
66
68
72
d’ici et là-bas
Religion : entretien avec
Rachid Benzine
Robert Redeker persiste
et signe
Le plaisir charnel selon l’islam
Française et voilée
Kafala : ces enfants invisibles
74 “J’habite avec mon ami”
78 Alger, Oran, Annaba
84 Le Maroc d’hier vu par Frédéric
Mitterrand et Abdellah Taïa
90 Livres
91 Scènes
92 Cinéma : Boulane, le satanique
aux meilleurs prix
80 Avis d’expert : la circoncision
81 Le courrier des lecteurs
82 Pour ou contre le CV anonyme
et “VHS Kahloucha”
84
94 Musiques
96 L’agenda culturel
98 Chronique par Mounir Ferram
68
16
54
Et retrouvez-nous sur www.lecourrierdelatlas.com
4 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Panoramic-DR-MaxPPP-Abaca
24
26
30
34
40
les Franco-Maghrébins doivent
se battre pour être reconnus
L’économie en bref
Algérie : l’après-pétrole
Liban : un espoir nommé culture
Ils ont choisi les grandes écoles
Elections : sprint final au Maroc
l’essentiel
Les relations Europe-Maghreb
au centre du forum Paris 2008 de l’Unesco
L
e prochain Forum de Paris, prévu en 2008,
sera consacré aux relations entre l’Europe et
le Maghreb. “En proposant ce thème, les organisateurs témoignent de l’importance qu’ils accordent au renforcement des liens d’amitié et de
coopération entre l’ensemble maghrébin et l’ensemble européen”, ont indiqué les participants
à la réunion de cette année, organisée, elle, sur
le thème “l’Union, cinquante ans après : quelle
Europe pour quels Européens. La séance de clôture a été marquée par une déclaration d’André
Azoulay, conseiller du roi du Maroc, sur le Proche-Orient que de nombreux participants ont
jugée constructive pour les négociations en
cours, alors que les tractations se poursuivaient
en Palestine pour la formation d’un nouveau
gouvernement d’union nationale, sous le parrainage des Saoudiens. Parmi les autres interventions très remarquées, celle d’Hubert Védrine,
ancien ministre des Affaires étrangères et celle
de Dominique Strauss-Kahn, son ex-homologue
aux Finances. Chapeau à Albert Mallet, l’homme
orchestre de cette réunion qui devient un rendez-vous de plus en plus incontournable.
.
des messages de soutien
ou nous ont fait parvenir
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news, Radio-Orient, Rad
6 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Forum de Paris
MERCI
l’essentiel
Les off du “Courrier”
FRANCE
Grande réussite pour le Salon du livre du Maghreb,
le mois dernier à Paris. Même si les organisateurs ont
dû passer de la très spacieuse mairie de Paris à une
petite mairie d’arrondissement. L’affluence a été telle
que, par moments, l’accès au Salon était bloqué
Le colloque organisé par la BEI, à Paris les 22 et 23
mars prochains, sur les transferts de fonds des migrants
est déjà complet. Les organisateurs pensaient recevoir
500 participants, mais ce chiffre est largement dépassé.
La raison : l’argent des migrants L’ambassade du
Maroc à Paris compte organiser une rencontre le 6 mars
en marge de la journée de la femme. Parmi les invités
marocains : Nezha Chekrouni, ministre chargée de la
Communauté à l’étranger François Bayrou, le
désormais fameux troisième homme, au grand dam de
Le Pen, ne cesse de marquer des points auprès des
“jeunes issus des quartiers”. Son passage le mois dernier
à Mantes-La-Jolie a été des plus remarqués.
Ce qui ne l’empêche pas de continuer à vouloir importer
le fameux modèle allemand : un exécutif politique
regroupé pour mettre fin au sempiternel clivage
droite-gauche.
Qu’en pense
l’ancien ministre
des Affaires
étrangères,
Hubert Védrine
(à droite sur la
photo), en grande
discussion avec
le patron de l’UDF
lors du dernier Forum de Paris… Nîmes se met
en quatre pour accueillir, le 31 mars et le 1er avril,
les neuvièmes Journées méditerranéennes de l’Olivier.
Une excellente initiative de nos amis gardois
Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont discrètement
entamé une opération de charme en direction des
médias Maghrébins. Là-bas, mais aussi en France
Seconde édition du Panorama du cinéma du Maroc
à Saint-Denis, du 10 au 13 mai 2007.Le parrain est
cette année Roschdy Zem L’Iris, que dirige Pascal
Boniface,organise en mars un débat sur le thème :
Peut-on débattre sur l’islam ? Un titre proche de l’un
des ouvrages du prolifique auteur qui, lui, portait
sur Israël…
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DR
•
NUMÉRO 2 MARS 2007
MAGHREB
Tunisie : Chakib Nouira, le brillant PDG de La Banque
internationale arabe de Tunisie (BIAT), a été contraint
de jeter l’éponge, pour une question de recomposition
de son tour de table. Il y a plus de dix ans déjà, sa
banque, taxée de sfaxienne, se voyait privée des fonds
des sociétés publiques Les jeunes de Tunisie ont
bouclé une consultation nationale qui a duré plusieurs
mois ! Un exercice intéressant et plein d’enseignements
sur nombre de questions cruciales, dont l’emploi, la
famille, l’éducation et les enjeux de société. Nous
reviendrons plus longuement sur le livre édité à cette
occasion Maroc : François Bayrou, le patron de l’UDF,
compte se rendre au Maghreb courant mars. Parmi les
pays où sa visite semble d’ores et déjà acquise : le Maroc
et l’Algérie Pour la première fois, la soirée Caftan
organisée par nos confères de “Femmes du Maroc”
se déroulera à Agadir le 5 mai prochain. La décision a été
prise à la mi-février. L’événement se déroulera dans le
magnifique cadre de la Marina Lors d’une soirée le
mois dernier à Casablanca, un trader a informé le patron
d’un grand groupe immobilier que son entreprise
figurait désormais dans l’indice Morgan Stanley.
Une major mondiale visiblement inconnue de notre
grand bâtisseur Fès se mettra à l’heure du soufisme,
du 27 avril au 2 mai Algérie : Vives tensions sociales au
sein d’Air Algérie où les syndicats menacent de faire
grève début mars. Outre les revendications classiques,
ils dénoncent les accords passés avec une compagnie
française qui, selon eux, bénéficierait de privilèges
indus Malek Chebel, l’écrivain que tout le monde
s’arrache, est de plus en plus courtisé dans l’Hexagone.
Deux éditeurs se battent pour sortir son prochain livre,
pour lequel ils espèrent obtenir autant de recettes que
celles générées par son fameux Kama-Sutra. Pas moins
de sept autres contrats traînent sur son bureau, le
veinard Les financements de la Banque européenne
d’investissement en direction d’Alger n’ont atteint
que 14 millions d’euros, un petit 1 % du total des
financements extérieurs de l’Institution basée à
Luxembourg. Un montant très faible, même si les
caisses du pays sont pleines à craquer grâce au pétrole,
mais qui devrait progresser au cours des prochaines
années. En attendant la création de la fameuse
Banque euro-méditerranéenne, reportée aux calendes
grecques…
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LE COURRIER DE L’ATLAS 7
l’essentiel
Guerre du Rif
L’Espagne s’obstine
à nier les armes chimiques
N
on et non. C’est la réponse du parlement
espagnol qui a refusé, mi-février,
de souscrire à une proposition de loi portant
sur la reconnaissance de l’utilisation par l’Espagne
d’armes chimiques contre les populations civiles
dans le nord du Maroc, au cours de la guerre
du Rif (1921-1927) et l’indemnisation des victimes
ou de leurs descendants. Seuls trois députés
de la Gauche républicaine catalane ont soutenu
le texte de loi, réfuté par le parti de la majorité
présidentielle et l’opposition.
Algérie
Medgaz confié
à cinq multinationales
L
a construction de Medgaz, le gazoduc
transméditerranéen qui doit acheminer du gaz
algérien en Espagne, a été confiée à cinq
multinationales : les japonaises Mitsui et Sumitomo,
britannique Rolls Royce, italienne Saipem et le
consortium hispano-français Técnicas ReunidasAmec Spie. L’ouvrage, dont le coût est estimé à
900 millions d’euros, doit entrer en service en 2009,
avec une capacité de transport de 8 milliards de m3
par an, augmentée à 16 milliards à terme. Il reliera
Beni-Saf à Almeria. Les travaux, déjà débutés en
Algérie, doivent s’accélérer en 2007 avec la
construction du tronçon sous-marin, long de
200 km. Avec 36 %, la compagnie publique
algérienne d’hydrocarbures Sonatrach est
majoritaire dans le capital de Medgaz, suivie par
les sociétés espagnoles Cepsa et Iberdrola (20 %
chacune), par l’italienne Endesa et par Gaz de
France (12 % chacune). “Les adjudicataires sont
spécialisés dans ce type d’infrastructures, emploient
les technologies les plus avancées et ont acquis
une vaste expérience dans des projets similaires”,
souligne Medgaz. La pose du tronçon sous-marin
sera effectuée par la Saipem et la station de
compression ainsi que le terminal de réception,
en Espagne, par Técnicas Reunidas-Amec Spie.
En 2003, Marrakech avait déjà abrité
le Forum sur “Choc des civilisations
et dialogue des cultures”.
Nouakchott
Le Maghreb tient
son premier Forum social
L
e premier Forum social maghrébin pourrait se tenir en février 2008 dans la capitale
mauritanienne, a annoncé à Nouakchott un responsable de la fondation française
Charles Léopold Mayer, Gustavo Marin. Il a indiqué que ce forum, qui s’inscrit dans le cadre
global du mouvement social mondial, vise à amener les décideurs politiques à impliquer
les peuples du Maghreb dans les prises de décision. Fondé en juillet 2004 au Maroc, le
mouvement social maghrébin regroupe un millier d’organisations de la société civile du
Maghreb hors Lybie.
maroc
PIB industriel record
P
our la première fois depuis dix
ans, la part du secteur industriel
dans le PIB est passée de 16,6 % à
19,6 % en 2006, réalisant un “record
historique”, a affirmé le ministre marocain de l’Industrie et du Commerce,
Salah Eddine Mezouar. La nouvelle
stratégie industrielle, dite “programme
Emergence,” s’est fixée comme objectif de porter, au cours des dix prochaines années, le PIB industriel à 25 %, a
précisé M. Mezouar. Le programme
Emergence a ainsi boosté sept secteurs qui permettront de booster la
croissance de l’économie marocaine et
d’agir directement sur le gap de com-
pétitivité, a-t-il ajouté. Concernant le
déficit de la balance commerciale du
Maroc, le ministre de l’Industrie et du
Commerce a fait remarquer que tous
les secteurs ciblés dans le cadre du
programme Emergence sont essentiellement exportateurs, ce qui permettra
au Maroc de réduire dans les prochaines années ce défit de 50 %. Selon des
données publiées récemment par le
ministère, le programme Emergence
aura des retombées bénéfiques sur
l’économie marocaine. Il se traduira
par un PIB additionnel de 91 milliards
de dirhams et la création d’environ
440 000 emplois. A suivre.
1
soit moins que la production d’une nation comme la Turquie
ou Israël. Pourtant, les 22 pays arabes rassemblent près
de 280 millions d’habitants. Un pourcentage très élevé : 17 %
de la production sont consacrés aux ouvrages religieux contre
une moyenne mondiale de 5 %.
8 LE COURRIER DE L’ATLAS
DR
% des livres du monde est produit par des pays arabes,
l’essentiel
Mauritanie
Elections épiques en mars
L
e 11 mars 2007 se jouera le dernier round d’une
épopée à rebondissements. Les Mauritaniens se
rendront aux urnes pour élire leur président et sortir
de dix-sept mois de transition. Après le coup d’Etat
du 3 août 2005 qui a mis fin à vingt et un ans de
règne sans partage de Maaouya Ould Taya, le
colonel Ely Ould Mohamed Vall, soutenu par son
parti, le Conseil militaire pour la justice et la
démocratie (CMJD), a du mal à passer la main. Ses
dernières déclarations laissent planer le doute,
appelant même à voter blanc dans son discours du
mois de janvier dernier. “Nous ne soutenons
personne et nous ne sommes engagés aux côtés
d’aucun candidat”, se défendait-il en février dernier,
alors qu’il est soupçonné de soutenir Sidi Mohamed
Ouled Cheikh Abdallahi, ancien ministre de Mokhtar
Ould Daddah et d’Ould Taya. Pour les candidats à la
présidentielle, dix-neuf au total retenus par le
Conseil constitutionnel, l’affaire n’est pas mince.
Pour le candidat Messaoud Ould Boulkheir, président
de l’Alliance populaire du progrès (APP) et leader
d’El Hor, le mouvement de défense des Haratines
(descendants d’esclaves affranchis), Abdallahi ne
semble pas déterminé à quitter le pouvoir. C’est
également le sentiment d’Ahmed Ould Daddah, à la
tête du parti d’opposition, la Coalition des forces
pour le changement démocratique (CFCD). Difficile
de faire des pronostics dans ce pays peu coutumier
de la transparence électorale. Ces derniers mois, les
Mauritaniens ont eu le temps de s’exercer. En effet,
le processus de transition a été marqué par un
référendum, des élections législatives, des élections
municipales et des sénatoriales. Toutefois, Abdellahi
part avec une longueur d’avance. Plusieurs fois
ministres, il connaît les rouages du système et
bénéficie d’appuis au sein du Parti républicain pour
la démocratie et le renouveau démocratique (PRDR),
majoritaire à l’Assemblée nationale. Dans ce
foisonnement de candidats : Sidi Ould Cheikh
Abdellahi, Messaoud Ould Boulkheir, Ahmed Ould
Daddah, Mohamed Ould Haidallah, Mohamed Ould
Maouloud, Zeine Ould Zeidane… Heureusement que
les bulletins de vote porteront la photo de chacun.
Sahara : Chirac et Zapatero
soutiennent le Maroc
D
ébut février, sur instructions royales, une
délégation ministérielle marocaine s’est rendue
successivement à Paris et à Madrid pour présenter
le plan que le Maroc soumettra en avril au Conseil
de sécurité des Nations Unies. Opération réussie !
Chirac et Zapatero ont apporté leur soutien au projet.
Le président français a qualifié de “constructif”
le projet d’autonomie des provinces du Sud
dans le cadre de la souveraineté du Royaume.
NUMÉRO 2 MARS 2007
Anniversaire
Les 20 ans de BEUR FM !
I
ls seront célébrés en grande pompe le 3 mars prochain, avec une pléiade
d’artistes invités, quelque 6 000 aficionados de la station et de sa tonalité
si reconnaissable (voir sur beurfm.net). Parmi les nombreuses artistes
qui seront de la fête : Amine, Assia, Leslie, Sinik, Sniper, Aklid, Rachid Taha,
Cheb Tarik et les 113 ! Une consécration pour Nacer Kettane, qui se bat pied
à pied dans un milieu pas toujours facile, et qui multiplie les projets :
outre une compil Beur FM, il nous a annoncé un colloque à Paris, début avril.
Tunisie
La France fait du lobbying
L
’économie française ne perd pas le s’étaler entre 2007 et 2016 et concerner
nord. Même en période de rude course les avions qui, à partir de cette date, dépréélectorale, les responsables économi- passeront les 20 ans d’âge. Selon nos inques n’oublient pas d’assurer le suivi de formations, ce plan devrait comprendre
leurs marchés traditionnels et de leurs trois A360, huit A320 et quatre Boeing
prospects. Même s’il ne l’a pas clairement 737-500. Le coût global de cette opération
dit lors de son dernier déplacement à Tunis de renouvellement de la flotte monterait à
le 15 février 2007, Dominique Perben, mi- 1 milliard de dinars Evoquant ensuite les
nistre des Transports, de l’Equipement, du perspectives de développement aéroporTourisme et de la Mer, semblait être essen- tuaire, en particulier le port en eau protiellement venu pour cela.
fonde à Enfidha, Perben a précisé que ce
Tenant conférence de presse en visite à Tu- projet “peut être l’occasion d’une coopéranis, Perben a axé ses interventions sur ce tion institutionnelle entre deux corporavolet économique et n’a pas trop caché tions et l’occasion pour les opérateurs
qu’il était venu soutenir les candidatures et comme CMA-CGM d’intervenir immédiateles chances d’entreprises françaises de ment dans sa réalisation”.
remporter certains marchés, et pas des Dans le ferroviaire, où la Tunisie a dernièremoindres. Il s’agit essentiellement du mar- ment annoncé un large plan d’extension
ché de renouvellement de la flotte aérienne des lignes du métro léger et d’une ligne
de la compagnie Tunisair, du renouvelle- RFR (similaire au RER français), Perben, qui
ment d’un certain nombre de locomotives a longuement fait la publicité d’entreprises
de transport ferroviaire en
ville, ainsi que du projet de
construction d’un port en eau LE PLAN DE RENOUVELLEMENT
profonde dans la ville d’En- DE LA FLOTTE TUNISAIR DEVRAIT
fidha (côte Est de Tunisie). S’ÉTALER ENTRE 2007 ET 2016.
Une action de lobbying qui
s’accompagne de promesses
financières et industrielles.
françaises telles “Alstom, avec une prati“Nous avons évoqué les perspectives de que ferroviaire importante, un savoir-faire
renouvellement des flottes aériennes des en terme de production de matériel ferrocompagnies tunisiennes (…) et les possibi- viaire, de signalisation, de réalisation de
lités de développement de la coopération voies ferrées et de gestion de réseaux”, a
industrielle entre Airbus et la Tunisie puis- annoncé la décision de la France d’accorque la Tunisie est aujourd’hui un site pour der 23 millions d’euros pour l’achat de nouun certain nombre d’industriels dans l’aé- velles rames par la Société de transport de
ronautique”, a-t-il précisé. Et Perben Tunis et a laissé miroiter des perspectives
d’ajouter : “J’ai pris note du souhait de la de création de nouvelles sociétés mixtes
partie tunisienne que l’on puisse travailler entre les deux sociétés de Tunis, la SNCF
sur un développement d’activités indus- tunisienne, annonçant que des entreprises
trielles sur le territoire tunisien.”
françaises seront canLe plan de renouvellement de la flotte de didates à des appels
Tunisair, qui compte 28 avions, devrait d’offres.
LE COURRIER DE L’ATLAS 9
revue de presse
SUR LE FRONT NATIONAL…
J’ai toujours été allergique au FN,
c’est quasiment physique, je ne peux
supporter ce qui est racisme et xénophobie.
Je hais ce que tout cela représente.
Jacques Chirac cité par Pierre Péan, dans L’inconnu de l’Elysée (Fayard, 2007)
C’est le souk à Gdyel !
Jour de marché à Gdyel. On y voit de toutes les couleurs et on sent toutes les odeurs. Et il n’y a pas que les marchands
ambulants qui viennent vanter les mérites de leurs marchandises, il y a aussi les vendeurs de belles paroles.
P
ar tous les temps, en été
comme en hiver, le mardi à
Gdyel est jour de marché. L’animation est très dense, très tôt le matin,
avec le vrombissement des moteurs
des véhicules, des camionnettes
chargées de marchandises en tout
genre. Les plaques minéralogiques,
parfois, renseignent suffisamment
sur la distance parcourue, probablement toute la nuit, par ces marchands ambulants qui se bousculent pour prendre la meilleure place
sur le terrain vague de 10 hectares
situé à la sortie Est du village.
crépitent de partout. A l’arrière
d’une camionnette, un commerçant
avec son haut-parleur fait la réclame de son insecticide du jour en
utilisant le vers et la rime. De la
puce jusqu’au rat en passant par le
cafard, la prescription est jurée fatale par tous les saints. Un autre,
haut décibel de musique lâchée
dans les airs, vend une montagne
de cassettes à vingt dinars l’unité.
On y trouve à l’intérieur des pochettes jaunies par le temps : Ahmed
Saber, Belkhayati, Oum Kalthoum et
même Michael Jackson. La volaille
LES PROPOS SONT APOCALYPTIQUES,
DEVANT UN AUDITOIRE INSENSIBLE AU BROUHAHA
DU MARCHÉ QUI GROUILLE.
Huit heures du matin. Tout le monde
a déjà pris son emplacement et les
citoyens, dans leurs djellabas de ce
matin de janvier froid, pressent le
pas entre les étals afin de choisir le
meilleur des légumes de saison ou
tomber sur la plus belle des occasions. Le marché hebdomadaire de
Gdyel est un grand bazar où l’on
vient de partout pour faire les courses : de Fleurus, de Boufatis, d’Arzew, de Hassi Mefsoukh et Hassi
Benokba, de Sidi Benyebka... La
principale voie de circulation qui
traverse le village de part et d’autre
ne connaît aucun répit durant la
matinée, les gardes communaux
postés à l’entrée du marché régulent la circulation. Les haut-parleurs
10 LE COURRIER DE L’ATLAS
vidée à l’arrière des camions frigorifiques, est accrochée tout juste audessus des yogourts ou des fromages aux marques et aux labels
inconnus. Des herboristes vendent
toutes sortes de plantes médicinales, les vendeurs dressant en boucle
un inventaire de toutes les maladies
que ses plantes guérissent. Des matelas en mousse, des ballots de
vieux vêtements, des canapés en
bois venus tout droit des ateliers de
Médéa ou de Blida, la mousseline
de Tlemcen. On marchande, on palabre, on joue du coude et, surtout,
on regarde cette opulence dégouliner de partout : camions chargés et
étals étoffés.
Hamdache, un habitué du marché,
vient chaque mardi de Béthioua. Il
dira que “c’est devenu presque irrésistible de venir ici faire ses courses, déambuler ou carrément voir
certains spectacles loufoques que
des gens ordinaires, dans une
spontanéité toute rurale, savent
créer : une bagarre par là, un voleur
à la tire débusqué par ici, des
mendiants, des meddahs, des
comiques...”
Et le clou du spectacle, même pour
les gens qui n’ont rien acheté, est
sans conteste Si M’Hamed Essougri.
A lui seul, il est tout un théâtre. Debout au milieu d’une foule aux
aguets, ce troubadour dont nul ne
sait d’où il vient ni quel âge il a,
obnubile avec ses mots durs et ses
sentences implacables. Bardé de
prophéties, il égrène des vers à la
gloire de Saddam, les visages acquiescent et le silence est lourd. Il
passe vite aux fellahs pour les vilipender de ne plus s’occuper de la
terre des aïeux. Il invoque encore
une fois la Palestine et l’Irak, le
cœur est attendri, les esprits accrochés. Après une demi-heure de harangue, coupure pub ! L’aide de
camp de Si M’Hamed, silencieux
jusqu’alors, passe devant les badauds pour les inviter à la générosité et par la même occasion proposer à la vente les cassettes de son
maître. Eh oui, la cassette éditée
parmi les maisons d’édition chez
les plus huppées est proposée à
cinquante dinars et on se fait, en
guise de dîme, un devoir d’en ache-
ter, en l’honneur du maître des
lieux. Les gens payent sans rechigner, tandis que le maître, feignant
ne rien voir, fait semblant de se reposer. Et il reprend de plus belle la
rengaine avec l’évocation de l’Age
d’or des Arabes et leur perdition
actuelle, de l’islam, des temps modernes et des signes de la fin du
monde. En d’autres lieux, il aurait
été affiché comme “agitateur subversif”. Les propos sont apocalyptiques, devant un auditoire qui, tout
accaparé par les paroles sentencieuses, semble insensible au brouhaha du marché qui grouille.
Onze heures. Le marché se vide de
plus en plus de ses visiteurs, les
étals de légumes et de fruits sont
presque vides. De vieilles dames, en
apparence de modeste condition,
viennent quémander ce qui reste
des légumes invendus. Elles repartent avec des couffins pleins, grâce
à la générosité des marchands qui
n’ont en vérité que faire de leurs
tomates un peu pourries dont personne n’a voulu. Les processions de
voitures au milieu de la foule se
frayent difficilement un chemin
pour sortir au plus vite du village.
Les gens pressent le pas, les transporteurs sont ravis et les commerçants satisfaits. Pour Si M’hamed,
demain est un autre jour du côté de
Mostaganem ou de Tlemcen pour
aller prêcher la bonne parole auprès
de ceux pour qui le jour de marché
n’est pas un jour ordinaire.
T. Lakhal
NUMÉRO 2 MARS 2007
revue de presse
Khalifa
Local
à louer
Conduire
en Tunisie :
un respect
du Code
très… relatif
Q
uel champ de bataille, le trafic routier
en Tunisie ! Croyez-moi, j’ai regretté
d’avoir loué une voiture pour faciliter mes
déplacements durant mon séjour, car j’ai
vraiment du mal à conduire normalement !”,
dit Layla, une Française d’origine tunisienne,
venue au pays pour y passer les vacances.
Ce témoignage constitue un point de
vue objectif sur la conduite “à la tunisienne”.
Ce malaise, certes, fait partie du quotidien
des Tunisiens, qu’ils soient conducteurs
ou piétons. Il est encore plus intense dans les
grandes villes. La conduite anarchique atteint
son apogée dans la capitale. C’est là où tous
les types d’infractions sont commis avec “art”.
Tarak est taxiste depuis quelques années.
Il fait partie des jeunes professionnels dans
ce domaine. Pour lui, le respect du Code
de la route est relatif. “Certaines interdictions
sont, à mon avis, indiscutables. Je cite, par
exemple, le fait de rouler à contresens sur
une autoroute. C’est trop dangereux.”
En revanche, “opter pour un accès interdit
peu fréquenté, pour faciliter la circulation
ou dépasser les 90 kilomètres heure sur une
route, dont le trafic est peu intense ou encore
recevoir une communication téléphonique
urgente font partie du quotidien”, avoue
Tarak. Il ajoute qu’en Tunisie, personne
ne respecte vraiment le Code de la route.
“Chacun conduit comme il veut, suivant
son intérêt et sa manière de voir les choses.”
Même les chauffeurs de bus qui, à son avis,
optent pour la plupart pour un comportement
anarchique, égocentrique et très risqué.
Pour Walid, un autre chauffeur de taxi, le
respect du Code de la route dépend des
moments. “Pendant la journée, mon respect
pour la signalisation routière est infaillible, car
le contrôle y est rigoureux. En revanche, la nuit,
je ne respecte pratiquement pas ces règles, car
le risque et le contrôle, tous deux sont faibles”,
souligne-t-il. (…) A bon entendeur, salut !
D. Ben Salem
Ces deux
touristes nippons
dans les rues
de Paname ne
prendront jamais
Khalifa Airways
pour se rendre
en Algérie ! En
cause : le golden
boy Moumène
Khalifa. Après
avoir lancé
la plus “space”
des compagnies
africaines
– avec une flotte
de 40 Airbus
flambant neufs –,
Khalifa est
à l’origine
de l’une des plus
retentissantes
faillites
du continent
africain.
Valérie Defournier
“
NUMÉRO 2 MARS 2007
Avoir moins de 30 ans en Algérie
L
’annonce en a surpris plus d’un. Désormais,
les Algériens de moins de 30 ans n’iront pas
en Tunisie. Ni ailleurs, d’ailleurs, puisque c’était
déjà le cas, de fait, pour l’espace Schengen, qui
se méfie comme de la peste noire de cette catégorie à risques. Bien que la tranche d’âge majoritaire dans le pays, les moins de 30 ans, pose
problème à tout le monde et pas seulement aux
frères tunisiens qui ont décidé de limiter la fraternité à partir de la trentaine.
A moins de 30 ans en Algérie, on est (presque)
capable de tout, (presque) bon à rien, terroriste
potentiel, corrompu en devenir, délinquant possible, harraga et émigré clandestin en puissance.
A moins de 30 ans, on ne vote pas, on ne lit pas
vraiment les journaux, on n’adhère pas au FLN.
A moins de 30 ans, on n’a pas eu le temps
d’avoir vraiment un passé et on n’a pratiquement pas d’avenir, même si, à cet âge, il est
censé être ouvert. A moins de 30 ans, en Algérie,
on ne voyage pas, même pas à côté, on n’a pas
encore de logement ni vraiment un travail. A
moins de 30 ans, on n’est pas marié ou si peu,
on n’a généralement pas d’enfant et on déteste
les vieux, surtout ceux qui ont pris le pouvoir. A
moins de 30 ans, on vit chez son père et on est
pris en otage par sa mère. Parce qu’à moins de
30 ans, on est encore un enfant en Algérie et on
ne sait rien faire de particulier.
Seule exception censée confirmer la règle, Abdelmoumène Khalifa, qui avait moins de 30 ans
quand il a commencé sa fulgurante ascension.
Aujourd’hui, qu’il a dans les quarante, il est
poursuivi en justice pour l’ensemble de son œuvre. Que faire après cet âge critique ? Monter un
parti politique, selon les propres dires de l’exgolden boy. Pour abaisser la limite d’âge à l’élection présidentielle ou augmenter celui de la majorité pénale ? Ou tout simplement pour
proclamer une amnistie fiscale et judiciaire pour
les moins de 50 ans ?
Chawki Amari
LE COURRIER DE L’ATLAS 11
l’essentiel
Médias
Censures toujours
plus insidieuses
A
utrefois, la censure était brutale. Une méthode frontale aujourd’hui contre-productive : supprimez une info
à la télé et vous la retrouvez dans un journal ou sur le net,
démultipliée. Intoxiquer oui, mais dans la séduction, tromper, oui, mais de façon courtoise, comme l’exigent les règles
de la communication. “On obtient toujours plus avec un
mot gentil et un flingue qu’avec un simple mot gentil”, disait Al Capone. Aujourd’hui, on ne censure plus, on “gère la
perception” du public. Dès lors les mots sont importants. Le
“licenciement massif” devient “plan social”, la “vidéo surveillance”, “vidéo protection”, le “réchauffement climatique”, “changement climatique”, moins effrayant… et le
“crime de guerre” se déguise en “légitime défense”. Paul
Moreira, journaliste d’investigation et directeur de feu
l’émission 90 minutes dévoile ainsi quelques techniques de
manipulation de l’information dont il a été témoin, essentiellement à la télé, à travers des exemples concrets (l’achat
de journalistes par l’industrie pharmaceutique, des politiques qu’on vend
comme de la lessive…) car “le citoyen,
comme le consommateur, est manipulable pour peu qu’on sache appuyer sur
les bons boutons”.
Les nouvelles censures, Paul Moreira,
Ed. Robert Laffont, février 2007, 19 €
En baisse
Patricia Russo (Lucent)
et Serge Tchuruk (Alcatel)
L
e mariage entre Alcatel et l’américain Lucent,
donnant naissance au numéro 2 mondial des
équipements télécoms, devrait laisser sur le carreau
12 500 salariés, dont 1 500 à 2 000 en France,
au lieu des 9 000 prévus. Au nom de la
compétitivité, les deux “nettoyeurs” ne font
pas dans la demi-mesure. Les premiers touchés :
les bas salaires et les salariés les moins qualifiés.
France-Afrique
Et si les Africains en
venaient à regretter Chirac ?
L
e 24e sommet France-Afrique qui s’est tenu à Cannes laissera un goût amer
aux militants des droits de l’homme du continent. En effet, cette réunion de
chefs d’Etat n’avait pas pour ordre du jour l’amélioration des conditions de vie
des Africains. Le bilan des relations entre l’Hexagone sous la présidence de
Jacques Chirac et les pays d’outre-Méditerranée est très contrasté : la signature
du traité d’amitié entre l’Algérie et la France n’est toujours pas d’actualité,
l’aide au développement se réduit comme
LE BILAN DES RELATIONS peau de chagrin, la question de l’attribution
des visas est toujours laissée en suspens,
FRANCO-AFRICAINES
etc.
Pourtant, celui que le président
EST POURTANT
Abdoulaye Wade appelle “le meilleur avocat
ASSEZ PEU GLORIEUX.
des Africains”, a toujours affirmé son amour
pour le continent, contrairement à son successeur à l’UMP, Nicolas Sarkozy, qui
n’a pas hésité à déclarer en 2006 lors de sa tournée africaine que “la France,
économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique”. Avec ce type de déclaration,
les chefs d’Etat africains vont regretter l’ère Chirac. L’avenir des relations entre
Paris et les capitales du continent noir s’annonce sous de mauvais augures.
A moins que Sarkozy fasse un bide à la présidentielle.
Présidentielle
Alain Duhamel sur la touche
Alain Duhamel, éditorialiste de France 2, a été interdit d’antenne jusqu’au lendemain du
deuxième tour de la présidentielle. La cause de cette suspension : une prise de position du
journaliste en faveur de François Bayrou, lors d’une réunion organisée par des jeunes de
l’UDF à Sciences Po de Paris. “C’est quelqu’un que j’aime bien, je voterai pour lui pour dire
les choses” aurait déclaré Alain Duhamel sans savoir que des extraits d’une vidéo allaient
circuler sur Internet…
Total
La flambée des prix du pétrole a souri à Total : le groupe pétrolier a enregistré un bénéfice record de 12,585 milliards
d’euros pour l’année 2006. Ces superprofits auraient été dopés par la flambée des prix du pétrole. Ils viennent ainsi
conforter le nouveau PDG Christophe de Margerie, successeur de Thierry Desmarest. Mais Total devra redorer son
blason. En effet, la major devra d’une part répondre aux accusations de l’UFC-Que choisir ayant l’intention d’imposer
une taxation sur les profits mirobolants de Total et, d’autre part, dédommager les soixante-dix parties civiles,
victimes des 20 000 tonnes de fioul déversées en 1999 par le pétrolier Erika.
12 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Patrick Kovarik/AFP
Des bénéfices avant la tempête
l’essentiel
Débat
Le Courrier
de l’Atlas sort
de ses murs
C’est le 12 avril
prochain, dans
les locaux de
l’Institut du monde
arabe que le Courrier
de l’Atlas fera
sa première sortie
officielle, dans
le cadre des Jeudis
de l’IMA animés
par Maati Kabbal.
Thème retenu :
“Y a-t-il un vote
arabe en France ?”
Notre magazine y
sera représenté par
Nadia Lamarkbi.
Drogue
Cannabis
mobilisation
Une ligne pour les
parents démunis
face à ce fléau a
été ouverte :
0 811 91 20 20.
Ecoute Cannabis,
tel est son nom, a
été mis en place
dans le cadre d’une
campagne nationale
visant à venir en
aide aux familles.
Salon du Livre
2007
DR
L’Inde
à l’honneur
Le 27e Salon
du Livre de Paris,
se tiendra du 23 au
27 mars 2007, avec
comme invité
d’honneur l’Inde.
Une trentaine
d’auteurs indiens
anglophones
seront présents
à ce rendez-vous
dont Rupa Bajwa,
Shyam Bhajju,
Tarum Tejpal.
NUMÉRO 2 MARS 2007
Politique
Droite ou gauche : finalement,
ce ne serait qu’une question d’épaule
S
preuve ? Les hommes, eux, portent leurs dossiers sous le
aviez-vous que le fait de porter son sac sur l’épaule
bras droit. Mais Dominique Voynet qui tient ses dossiers
gauche ou, à l’inverse, sur l’épaule droite est un inserrés contre sa poitrine, prouverait par ce geste qu’elle
dice révélateur de la personnalité de la femme qui le
est une femme de cœur, en quête d’amour et d’affection.
porte ? Joseph Messinger, en tout cas, en est convaincu. Ce
Enfin, Ségolène sous-titre ses discours avec les mains en
spécialiste de la communication non verbale a étudié de
supination, c’est-à-dire les paumes tournées vers le haut :
près la gestuelle de nos femmes politiques et a analysé le
ce sont les mains de l’hospitalité et
sens des petits gestes, volontaires ou
de la compassion, le “venez à moi
non, qu’elles nous offrent dans les mee- LE SAC À MAIN SUR
les petits enfants” de Jésus. “La matings, sur les plateaux télé, ou en des- L’ÉPAULE DROITE SIGNIFIE
cendant de voiture.
done du Poitou a retenu sa leçon de
FEMME D’ACTION, SUR
Ainsi, Ségolène, à la ville, porte son sac à
catéchisme postural”, conclut
main sur l’épaule droite : cela signifierait L’ÉPAULE GAUCHE, FEMME l’auteur. Contrairement à Arlette Laqu’elle est une femme d’action capable RÉSERVÉE. ET SUR
guiller, qui a tendance, lorsqu’elle
de s’investir et de dominer une situation. LA TÊTE, ÇA DIT QUOI ?
joint les mains, à croiser ses doigts
Marie-George Buffet, qui porte son sac
en désordre, de manière décalée, ce
sur l’épaule gauche, serait, dès lors, plus réservée, même si
qui évoque une “confusion ponctuelle” : Arlette serait
elle n’en est pas moins une femme de tête. Les femmes de
tiraillée entre ce qu’elle croit juste – ce qu’elle espère
l’épaule droite aussi, plus souvent, des filles à papa…
pour Lutte Ouvrière – et les directives du comité central
En revanche, Ségolène porte ses dossiers sous le bras gaudirigé par Hardy ! “Pour tout dire, je suis un peu sceptiche, côté cœur donc : ce serait une façon de montrer que
que. La manière de porter l’écharpe, le sac à main ou les
les problèmes dont elle a la charge ne sont pas seulement
dossiers peut-elle vraiment en dire plus long que les reinvestis par la logique froide et rationnelle, mais qu’ils
gards et les paroles ?”
possèdent aussi pour elle une charge émotionnelle. La
(Christine Kerdellant, essayiste, sur blogs.lexpress.fr/femmes)
Médias
Le magazine Entrevue
se sépare de Gérald Dahan
L
e mensuel Entrevue aurait cessé toute
collaboration avec l’humoriste Gérald Dahan
après son coup de téléphone canular à Ségolène
Royal. La nouvelle a été publiée sur le site du
magazine qui devait publier dans son intégralité
le fameux échange téléphonique où il s’était fait
passer pour Jean Charest, Premier ministre
du Québec. “Nous soupçonnons Gérald Dahan,
malgré tout son talent, de manquer d’éthique
et d’honnêteté”, a estimé la rédaction.
Câble
Noos-Numéricâble
“sous surveillance”
L
a Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a décidé de placer Noos-Numéricâble sous surveillance en raison des nombreuses plaintes de ses abonnés. Dans le cadre
d’auditions entamées début février avec les principaux opérateurs sur les plaintes de leurs clients, les dirigeants de
Noos ont été reçus par la DGCCRF et ont reconnu la réalité
des dysfonctionnements à l’origine du mécontentement
manifesté par les abonnés.
Programme politique
35 milliards d’euros
pour le pacte présidentiel
de Ségolène Royal
S
égolène Royal devra chiffrer. Le 11 février,
la candidate du PS avait annoncé son pacte
présidentiel sans donner de chiffres sur le coût de
son programme. En ce début de campagne, ce
silence a fait mouche : la bataille des chiffres était
lancée. Conséquence : face aux 30 milliards d’euros
annoncés par Sarkozy au journal les Echos,
mi-février, François Hollande a dû évoquer une
estimation de 35 milliards d’euros pour le pacte de
Mme Royal, c’est-à-dire un coût presque similaire…
Edition
Maroc, éclats
instantanés
Parution en mars du
nouveau roman de notre
collaborateur Maati
Kabbal préfacé par Fouad
Laroui. Nous reviendrons
plus longuement sur
ce récit le mois prochain.
LE COURRIER DE L’ATLAS 13
l’essentiel
Média raciste
A
u Japon, on trouve
de tout dans
les 7 500 konbini
(supérettes ouvertes
24 h/24 de la chaîne
Family Mart). Même
des revues racistes.
Les Dossiers secrets
du crime de l’étranger,
titre du sulfureux
magazine mis en vente
par la chaîne, a rendu
furieux de nombreux
étrangers vivant au
Japon (2 millions).
Caricatures grossières,
photos tronquées,
insultes (“nègres”,
“cochons”, etc.), la
revue appelle à “chasser
l’Iranien” dans un Tokyo
“dévasté par les
étrangers”. Selon la
police, la criminalité des
étrangers au Japon a
baissé de 16,2 % en
2006 (40 126 cas, sur
plus de 2 millions de
délits au total). Face à
la menace de boycott
des Family Mart, la
chaîne a présenté
ses excuses et retiré
la revue des rayons
(Source : Libération)
Venezuela
Liberté de la presse selon RSF
D
epuis l’élection de Hugo Chávez à la au blocage général de l’entreprise PDVSA,
présidence de la République en 1998, qui a failli conduire le pays à la banquerouReporters sans frontières (RSF) a multiplié te, n’est pas une décision légitime, sage et
les attaques contre le gouvernement véné- indispensable mais une “grave atteinte au
zuelien, l’accusant notamment de porter pluralisme des médias”. Dans une situation
atteinte à la liberté de la presse. Pourtant, similaire, n’importe quel autre gouvernedepuis 1999, près de cinq cents nouveaux ment aurait pris des mesures draconiennes
organes de presse locaux et nationaux (jour- contre RCTV. Le président Chávez, lui, a prénaux, radios et chaînes de télévision) ont vu féré patienter jusqu’à l’échéance légale de
le jour au Venezuela. Dernièrement, l’orga- la concession malgré la pression populaire.
nisation parisienne s’est offusquée de la En effet, cette décision avait suscité la rédécision des autorités de ne pas renouveler probation de la part des Vénézueliens qui
la licence au groune comprenaient pas
pe audiovisuel privé POUR REPORTERS SANS
qu’une chaîne putsRadio Caracas Techiste soit encore
FRONTIÈRES, UNE CHAÎNE
levisión (RCVT), qui
autorisée à fonctionexpirera le 28 mai AYANT SOUTENU UN COUP
ner. En outre, il ne
2007. RSF a qualifié D’ÉTAT A LE DROIT D’ÉMETTRE. s’agit nullement de
ce choix tout à fait
censure comme l’aflégal – car le choix de l’attribution des on- firme RSF puisque RCTV pourra continuer à
des hertziennes appartient à l’Etat – en une fonctionner par câble et par satellite. L’orga“atteinte à la pluralité éditoriale”. RSF nisation parisienne feint d’ignorer la réalité
confesse qu’elle n’ignore pas “l’attitude de médiatique du pays, alors que RCTV, GloboRCTV durant le coup d’Etat d’avril 2002” visión, Venevisión et Televen, qui contrôlent
qui n’avait pas “caché [son] soutien” au près de 90 % du marché télévisuel, sont serenversement de l’ordre constitutionnel. lon RSF “clairement situés dans l’opposition
Mais, selon l’organisation, le fait ne pas re- au gouvernement”. Elle omet également de
nouveler la licence d’une chaîne qui a signaler que depuis l’accession d’Hugo
ouvertement participé à un coup d’Etat – Chávez à la présidence, la principale activité
qui a coûté la vie à de nombreuses person- de RCVT a consisté à diffuser de fausses innes – constitue une violation de la liberté de fos sur la politique du gouvernement et à
la presse. Le fait de ne pas renouveler la li- inciter à l’altération de l’ordre constitutioncence d’une chaîne qui a également pris nel, en se faisant le porte-parole des militaipart de manière active au sabotage pétrolier res insurgés prônant un coup de force.
de décembre 2002, en lançant des appels (Source : www.mondialisation.ca)
Internet
My Space en Chine
L
es internautes chinois pourront bientôt rejoindre les
milliers de communautés de My Space. Le portail
américain est en effet en train de lancer une version de
son site à destination de l’empire du Milieu, MySpace
Chine, en version 2.0 (Mai Sibei). Le fait que l’entreprise
comporte des capitaux chinois pourrait impliquer que la
maison mère de MySpace, News Corp, groupe de Rupert
Murdoch, se contente d’une participation minoritaire,
en conformité avec les restrictions imposées aux compagnies étrangères en matière de services télécom. La
femme de Rupert Murdoch, née en Chine, pourrait
néanmoins faire partie du futur conseil d’administration
selon le Wall Street Journal. Pour le journal économique,
News Corp pourrait s’associer avec l’implantation
14 LE COURRIER DE L’ATLAS
Ingrid Betancourt
Cinq ans déjà
La fille d’Ingrid
Betancourt a appelé
la classe politique
à s’engager
“réellement” pour
la libération de sa
mère, retenue par
les Forces armées
révolutionnaires
de Colombie (Farc)
depuis février 2002.
Sans nouvelles
de sa mère depuis
maintenant cinq ans,
la jeune femme
attend toujours
une action de
la France. “Ce que
j’attends de leur part,
ce ne sont pas des
mots. Ça ne suffit
pas qu’un Premier
ministre dise ‘je pense
à Ingrid Betancourt
tous les jours’.
Ce que l’on attend
de leur part,
c’est qu’ils s’engagent
réellement”,
a-t-elle insisté.
Suisses
chinoise d’International Data Group (IDG) ainsi qu’avec
une société d’investissement chinoise, China Broadband
Capital Partners (CBC). A l’appui de son propos, le Wall
Street Journal cite un ancien responsable de Microsoft,
en charge jusqu’en décembre des services en ligne en
Chine de MSN, Luo Chuan, qui a monté sa propre compagnie depuis et affirmé être en négociations pour faire
équipe avec MySpace, aux côtés d’IDG et CBC.
Avec ses 137 millions d’internautes fin 2006, la plupart
jeunes, la toile chinoise, sur laquelle le gouvernement
exerce un strict contrôle, suscite les convoitises étrangères. Mais l’entrée est difficilement accessible aux étrangers qui essaient parfois de contourner les obstacles
politico-administratifs.
La diversité
aussi
Même les Suisses
commencent
à s’intéresser
à la question
de la diversité. Le
13 mars prochain, ils
organisent à l’Institut
de Zurich, une
grande conférence
sur ce thème. Preuve
que même au sein
de la Confédération,
le thème a le vent
en poupe.
Alamyl photo12.com
Japon
l’essentiel
CRISE IRANIENNE
Jacques Chirac et le prince Moulay Rachid,
frère de Mohammed VI, roi du Maroc.
Guinée
La crise de régime alarme la
communauté internationale
L
es chefs d’Etat africains et français rassemblés à Cannes, pour le 24e sommet FranceAfrique, ont “appelé les autorités guinéennes à honorer leurs engagements conformément à l’accord signé le 27 janvier avec les syndicats afin de préserver la paix et la sécurité de tous les Guinéens dans le respect des principes démocratiques.” L’état de siège de
la Guinée s’est transformé en véritable crise de régime. Les exactions de militaires et les
morts font partie du lot quotidien des habitants et ont amené près de 90 ressortissants
marocains à quitter volontairement le pays.
Etats-Unis
Drôle d’association !
L
Abaca
Une Chinatown
en Egypte
Un site commercial
chinois, comprenant
restaurants, centres
commerciaux, usines,
etc., verra le jour en
2012 à la sortie du
Caire. A l’initiative
du projet, la holding
de Walid Tawfik
pour 40 % des parts,
la National Bank
of Egypt, 20 %, et
quelques centaines
d’industriels chinois.
Le financement
du projet n’est pas
encore bouclé mais
les partenaires ont
déjà mis sur la table
quelque 150 millions
de dollars.
NUMÉRO 2 MARS 2007
es déclarations de TFO, association américaine qui soutient les réseaux de distribution n’achetant pas de pétrole du Moyen-Orient, ne cessent de surprendre car elles
sont un non-sens d’un point de vue économique. Ses dirigeants ont été obligés, récemment, d’admettre que leurs
fournisseurs achetaient bien du pétrole au Moyen-Orient et
TFO ne peut rien faire pour réduire les revenus des exportateurs, sauf à réduire le montant total de pétrole consommé. En fait, le porte-parole de TFO, Joe Kaufman, est le
fondateur du groupe appelé Les Américains contre la haine,
dont la principale activité est le soutien aux extrémistes
israéliens de droite. Sa principale production semble être un
flot incessant de déclarations sur les principaux organismes
américains musulmans qu’il qualifie de “front terroriste”,
et quiconque ose critiquer Israël est étiqueté d’“islamiste
radical” ou de “soutien du terrorisme”. Le 4 janvier dernier
déjà, dans un article diffusé sur le site d’extrême droite
Frontpagemag.com, Kaufman déclarait que Keith Ellison,
membre du Congrès nouvellement élu au Minnesota “était
un porteur de valise islamiste radical” et il se réfère aux
groupes musulmans américains comme “ennemis intérieurs
de l’Amérique”. En décembre dernier, Kaufman a traité Barbara Boxer, sénatrice californienne, de “sénatrice pour la
terreur” parce qu’elle accordait une récompense de service
public à un militant social américain musulman qui avait
auparavant critiqué les abus israéliens contre les droits de
l’homme. Sous la pression de l’organisme de Kaufman,
Boxer, soutien convaincu d’Israël, a annulé la récompense.
(Source : Mondialisation.ca)
Nous n’avons
qu’une ligne rouge :
le respect de notre droit
à l’énergie nucléaire,
qui nous est garanti
par le traité de
non-prolifération.
Ali Akbar Velayati, conseiller diplomatique
d’Ali Khamenei
Espagne
Attentats de Madrid :
procès en cours
L
es auteurs présumés des attentats du 11 mars
2004 à Madrid comparaissent depuis le
15 février devant l’Audience nationale, le tribunal
chargé des affaires de terrorisme en Espagne. Sur les
vingt-neuf accusés à Madrid, seul dix-huit sont dans
le box des accusés, les onze autres comparaissant,
pour l’heure, libres. Le massacre du 11 mars 2004
avait causé la mort de 191 personnes autour de la
gare madrilène d’Atocha, et fait 1824 blessés. Peu
après ce drame, de Madrid, la découverte d’un sac
n’ayant pas explosé, a permis aux enquêteurs
de remonter à la filière islamiste responsable des
attentats : un réseau proche du Groupe islamique
des combattants marocains (GICM).
Portugal
La dépénalisation de
l’avortement peine à mobiliser
C
’est un fait : l’avortement ne sera plus
considéré comme un crime au Portugal. Avec
une majorité de 59,2 % de oui lors du référendum
du 11 février, l’avortement ne sera plus puni
par la loi. Si la victoire du oui est sans appel,
l’engouement des Portugais est contestable, le taux
d’abstention s’étant élevé à 68 %. Le gouvernement
socialiste devrait finaliser sa proposition de loi
dans les prochains jours, pour la présenter ensuite
au parlement. Si le texte n’est pas adopté,
il sera soumis à la signature, sous vingt jours, du
président Anibal Cavaco Silva. La dépénalisation
entrera alors en vigueur après publication officielle
de la loi, c’est-à-dire dans plusieurs mois...
LE COURRIER DE L’ATLAS 15
politique
Reconnaissance tardive
pour les Franco-maghrébins
de gauche
16 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Axelle de Russe/Abaca
Ségolène Royal
et Christiane
Taubira lors du
Festival hip-hop
de Suresnes le
21 janvier 2006.
politique
COMBATIFS ! Les Maghrébins de gauche
affichent leur volonté d’en découdre
avec les quadras de leur parti, peu portés
à partager le pouvoir. Fini la politique à papa
où ils étaient “bons pour la photo mais pas
pour le fauteuil” ! Elus ou militants de base,
leur combat se mène dans leurs propres
rangs. A charge pour les partis de gauche
d’entendre leurs revendications avant
que la fronde ne se lise dans les urnes.
par Nadia Lamarkbi
DR
L
es convictions qui les animent sont
longueur d’avance. Au compteur, un milouables : la solidarité avec les plus
nistre délégué, deux secrétariats d’Etat et
pauvres, la justice sociale… Tous se
une porte-parole pour la droite. Un pied de
réfèrent à cette tradition, devenue presque
nez à cette gauche qui a toujours consicaricaturale, d’une France, patrie des droits
déré les Maghrébins comme acquis à sa
de l’Homme et de la Révolution. Seulecause et n’a pas cherché à satisfaire leurs
ment, dans la dure réalité de la vie politibesoins de représentation et de visibilité.
que française, ils se retrouvent confrontés
L’UMP a joué un sacré tour aux socialistes
aux mêmes préjugés que dans les autres
puisqu’elle a réussi à les contrecarrer sur
formations politiques. Qu’ils aient choisi
leur propre terrain. En cette période électole Parti socialiste, le Parti communiste, les
rale, la donne a changé. Il y a une surenVerts ou les listes alternatives antilibérales,
chère autant à l’UMP qu’au PS sur les inils affichent tous leur déception face aux
vestitures des candidats dits “de la
manquements de la gauche au pouvoir.
diversité”. Aujourd’hui, c’est avec eux qu’il
Les promesses non
faut compter. Et
tenues sont légion :
cela se ressent dans
“LA DIFFÉRENCE SE FERA SUR
du vote des immiles discours des préDES PROPOSITIONS CONCRÈTES
grés à la double
sidentiables. Reste
COMME L’EMPLOI, LES INÉGALITÉS que l’incertitude sur
peine, mais aussi
SOCIALES, LE CHÔMAGE.”
sur la politique inles choix des Franternationale avec
çais issus de l’immil’engagement français lors de la première
gration qui, contrairement aux dernières
guerre du Golfe, sans oublier la question
élections présidentielles, ont décidé de faire
palestinienne. Mais leur détermination à
valoir leur citoyenneté et de s’inscrire en
ne pas quitter le navire atteste de la force
masse sur les listes électorales, oblige les
de leurs convictions. Et contrairement à
hommes politiques à se repositionner sur
d’autres, leur fidélité est quasi suicidaire.
les questions sociales, principales préoccuPourtant, ils ont souvent un parcours mipations de la majorité de ces “nouveaux
litant exemplaire. Leurs semelles se sont
Français”. Désormais, la différence se fera
usées sur les bitumes des villes de France
sur des données politiques et les proposipour exprimer leur refus de l’injustice,
tions concrètes qui seront faites sur des
leurs voix se sont enrouées à force de crier
sujets tels que l’emploi, les inégalités sociades slogans anti-tout. Bref, ils ont “prouvé”
les, le logement, etc. La gauche, comme la
leur attachement aux valeurs républicaidroite d’ailleurs, a tout intérêt à faire évones. Mais lorsqu’il s’est agi de leur donner
luer son discours et à ne plus considérer les
des responsabilités, ils n’ont pas été consipopulations issues de l’immigration comdérés comme “aptes à gouverner”. A
me un groupe à problèmes, mais plutôt
l’épreuve des chiffres, la droite affiche une
comme force de proposition.
NUMÉRO 2 MARS 2007
FAYÇAL DOUHANE,
directeur général adjoint de
l’association des maires
d’Ile-de-France, membre du
conseil national du PS
“Les partis politiques
traditionnels n’ont
pas été capables de
nous défendre contre
le danger frontiste”
L’ancrage à gauche : J’ai commencé à militer
en 1986 avec un engagement syndical lors
des manifestations contre la loi Devaquet.
J’ai ensuite milité à Grenoble dans le syndicat étudiant Unef-ID, avant de devenir responsable des jeunes socialistes de l’Isère,
puis membre du bureau fédéral du PS. Je
suis passé au conseil national lors du
congrès du Mans en 2004.
La gauche et les Maghrébins : La gauche n’a
pas été à la hauteur de nos espoirs. Il a toujours fallu lutter pour avoir le droit d’exister.
En politique comme ailleurs, il y a un plafond de verre qu’il faut briser.
Le PS : J’ai défendu Laurent Fabius lors des
élections primaires au PS. Il proposait un
programme proche de mes convictions, notamment concernant la régularisation des
sans-papiers et le droit de vote des immigrés. Le PS a instrumentalisé la question
pendant près de vingt ans. A chaque élection, le projet était sorti puis remis dans les
tiroirs. Le PS souhaite que, dans les six
mois, un référendum constitutionnel soit
proposé sur le droit de vote des immigrés.
Je suis d’ailleurs certain que si on explique
vraiment aux Français que ce vote leur per-
LE COURRIER DE L’ATLAS 17
politique
Les Maghrébins en politique : Selon moi,
cette lutte a pris de l’importance en 2002.
Certains s’abstenaient ou votaient blanc car
ils ne se sentaient pas représentés par la
classe politique. Lors de l’arrivée de JeanMarie Le Pen au second tour de la présidentielle, les Français issus de l’immigration se
sont rendu compte qu’ils devaient prendre
leur destin en main. Ils sont maintenant
plus visibles car ils se battent en s’organisant, en créant des structures comme le
Club Averroes, qui agit pour la diversité
dans les médias. Il leur a également fallu se
battre pour un meilleur partage du pouvoir.
Les partis politiques traditionnels n’ont pas
été capables de les défendre contre le danger frontiste. Il y a eu une prise de conscience forte et la volonté de défendre les valeurs
de la République, bafouées par ceux qui
étaient censés les représenter.
Les liens avec mes origines : Je ne vais hélas
pas aussi souvent au pays que je le souhaiterais, et je le regrette. Je participe à la cérémonie donnée par l’ambassade d’Algérie
lors de la fête de l’indépendance. Je garde
aussi un œil sur l’actualité du pays, notamment en lisant régulièrement le quotidien El
Watan. Mais je suis d’abord et avant tout un
internationaliste.
18 LE COURRIER DE L’ATLAS
NAJAT VALLAUDBELKACEM, conseillère
régionale socialiste en
Rhône-Alpes, membre
de l’équipe de campagne
de Ségolène Royal
“Je suis une Française comme une autre, je n’ai
besoin ni d’être intégrée ni qu’on m’intègre”
L’ancrage à gauche : Je suis née après les
trente glorieuses et la guerre d’Algérie. Je
n’ai pas connu le plein emploi ni la croissance, mais plutôt le chômage. Je suis de
gauche parce que je crois aux valeurs de
Jaurès : la solidarité nationale, la modernité
des mœurs, la justice sociale et le progrès
sans oublier ceux qui restent sur le bas-côté,
à qui il faut permettre de revenir sur le devant de la scène.
La gauche et les Maghrébins : L’erreur de la
gauche a été qu’elle avait une forte propension à penser que les immigrés sont un
électorat acquis. Elle a été simpliste dans ses
raisonnements et n’a fait aucun effort pour
les faire participer à la vie publique. De plus,
le PS a considéré que la question des banlieues était liée au problème colonial, une
sorte de continuation de la guerre d’Algérie
sur le sol français. Une sorte de “mythe du
bon sauvage” a longtemps perduré. Et je
pense qu’il ne faut pas hésiter à critiquer ces
dérives de la gauche. Avec le renouvellement
des générations, des gens nouveaux apparaissent. Il me semble évident qu’il faut défendre le vote des immigrés. Ce n’est pas
normal qu’ils ne puissent pas se prononcer
dans les villes dans lesquelles ils vivent.
Le PS : Gérard Collomb, député maire de
Lyon, m’a été présenté. Il avait envie d’étoffer son équipe et m’a demandé de la rejoindre. C’est plus intelligent de chercher
à améliorer les réalités de l’intérieur que
de l’extérieur. Pour les prochaines élections législatives en 2008, j’ai obtenu l’investiture du PS dans la quatrième circonscription lyonnaise, traditionnellement
détenue par la droite. En face de nous, se
présentent Dominique Perben, candidat
investi par l’UMP, mais aussi le député
sortant Christian Philip, également UMP.
J’ai une carte à jouer en cas de triangulaire.
Sinon, je ne veux pas être négative : je suis
jeune, j’ai 29 ans, j’ai le temps. Il faut intégrer un parti même si souvent on n’est
pas accueilli avec des roses. Malgré tout, il
faut le faire. On est dans une République
qui fonctionne sur le bipartisme, qu’on le
veuille ou pas.
Les Maghrébins en politique : Ségolène
Royal n’est pas tombée dans le piège du
communautarisme. Elle n’a pas adressé de
discours spécifiques à l’adresse de telle ou
telle communauté. L’origine n’est pas un
critère, il faut les prendre sur d’autres caractéristiques : l’accès à l’emploi, le niveau des
salaires, etc. Promettre des choses à chacune des communautés n’a pas de sens.
L’intérêt général n’est pas la somme des
intérêts particuliers.
Par expérience, je sais que lorsqu’on est
issu de l’immigration, qu’on a grandi en
France, on aspire à être traité de façon égalitaire en se fondant dans la masse. Je suis
une Française comme une autre, je n’ai
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
mettra de mieux vivre et de créer une cohésion nationale, ils se prononceront en faveur de cette loi. Les Français ne sont pas
aussi conservateurs que les hommes politiques, même sur les questions liées aux populations immigrées ou aux femmes. On a
constaté qu’il y avait une plus-value électorale comprise entre 2 et 3 % lorsqu’une
personne issue de l’immigration se présentait à une élection.
Au PS, les dirigeants ont décidé de geler
vingt circonscriptions pour les personnes
issues de l’immigration, ce qui a provoqué
des querelles au sein du parti. Certaines
personnes ont été parachutées alors qu’il y
avait depuis plusieurs années des militants
sur le terrain. Le PS a investi des candidats
sans légitimité. En corollaire, certains candidats se sont présentés à titre personnel.
Nous avions demandé que toutes les candidatures soient soumises aux votes des militants. C’est l’unique moyen d’asseoir la légitimité du candidat.
politique
“PROMETTRE
DES CHOSES
À CHACUNE DES
COMMUNAUTÉS
N’A PAS DE SENS.
L’INTÉRÊT
GÉNÉRAL N’EST
PAS LA SOMME
DES INTÉRÊTS
PARTICULIERS.”
DR
besoin ni d’être intégrée ni qu’on m’intègre. La discrimination positive va dans le
sens contraire. C’est du racisme puisqu’on
discrimine une personne du fait de ses
origines. Mais il est vrai que l’idéal des
idées révolutionnaires de 1789 où les citoyens sont sans visage, où chacun est
l’égal de l’autre, n’est justement qu’un
idéal. Dans la réalité, il y a des différences
qu’on ne peut pas ignorer. Il faut renforcer
toutes les lois qui punissent la discrimination. On ne peut pas se permettre de faire
de la discrimination positive une finalité.
On est toujours l’étranger de quelqu’un,
comment faire pour fixer des quotas par
nationalité ? Il faut une volonté politique
ferme comme cela a été le cas pour lutter
contre les accidents de la route. Et ça a
porté ses fruits.
Mes liens avec mes origines : Je suis née au
Maroc dans le Rif. Nous sommes en France
depuis 1982, mais le pays me manque beaucoup. Je viens d’une région magnifique. J’ai
hâte d’y retourner. D’ailleurs, j’y vais cet été.
Je suis l’actualité du pays régulièrement. J’ai
été ravie quand on a eu la Moudawana (réforme du code de la famille). On a l’impression que c’est un pays qui bouge, mais
comme je viens d’une terre pauvre, force est
de constater que beaucoup de jeunes cherchent à partir. Pour ma part, je n’exclus pas
d’aller travailler au Maroc pendant quelques
années, comme juriste.
NUMÉRO 2 MARS 2007
Le PS et les Maghrébins : une vieille
histoire d’amour contrariée
Vincent Geisser,
sociologue
et politologue,
chercheur
à l’Institut
de recherches
et d’études sur le monde arabe
et musulman (Irenam-CNRS)
Le PS est le premier parti à avoir joué
la carte de l’intégration des Maghrébins.
Dans les années 1985-1990, les socialistes
ont tenté de monter des groupes autour
de l’identité maghrébine. Georges Morin,
le monsieur Maghreb du PS, est à l’origine
de la création du Groupe des trente,
devenu France plus. Le but était de créer
une instance d’encadrement et de
formation des élites maghrébines dans
lesquelles puiser de futurs responsables
politiques. Il a également créé la
Conférence nationale des élus socialistes
d’origine maghrébine, la Cnesom, en
1990. Ce groupe réunissait des élus piedsnoirs issus du Maghreb, des élus
sépharades de confession juive et de
confession musulmane. Cette association
n’a duré que cinq ans. Elle a capoté
d’abord parce que le PS n’a pas donné
suite à cette initiative et ne l’a pas
soutenue. Ensuite parce que 80 % de ces
élus sont retournés dans la vie civile à la
fin de leur mandat. Le PS a toujours ce
rapport ambigu avec les minorités,
particulièrement arabo-musulmanes. Il y
a un certain conservatisme de gauche.
Le PS a longtemps instrumentalisé l’idée
que “l’on est tous frères, quelle que soit
l’origine”, mais… toujours sous la tutelle
du parti. Ce comportement s’apparente
au “complexe de l’instituteur ”. Même
avec leurs expériences, leurs
compétences, leurs parcours, les
personnes issues de l’immigration sont
souvent considérées comme des élèves,
des “jeunes” qui ont besoin d’un
encadrement. Le problème de la gauche
n’est pas tant le racisme que l’esprit
paternaliste. Les socialistes ont pensé
que les populations issues de
l’immigration étaient leur électorat
et que c’était à eux, cadres du PS,
de les former. Alors que ce sont des
Français comme les autres.
Par exemple, la direction du PS a imposé
des candidats “de la diversité” dans
certaines circonscriptions sans tenir
compte de l’avis des fédérations et encore
moins des militants qui réclamaient
d’être considérés comme les autres, qu’on
les laisse faire leur chemin sur le terrain
qu’ils avaient déjà largement investi.
Il y a un sentiment de blocage et de
discrimination au sein même du parti qui
privilégie “les serviteurs de leur maître”
au détriment des personnes intelligentes
et compétentes. La direction du PS,
aveugle, préfère un Malek Boutih, qui
n’exprime pas la pensée des gens issus de
l’immigration et qui ne prend aucune
initiative pour faire évoluer les
mentalités. Il n’a aucun courage politique
et reste médiocre dans ses interventions.
Le combat à mener par les militants du PS
est d’abord à l’intérieur de leur propre
parti. A gauche, la promotion des
“minorités” est réelle, mais la vision
du monde qu’elles proposent n’est pas
pleinement prise en compte.
A chaque fois qu’une personne issue
de l’immigration obtient un poste, l’idée
flotte que c’est un cadeau qu’on lui fait.
On oublie qu’elle était déjà dans la boîte
à cadeaux. Elle est toujours un peu
la pièce exotique du parti.
Les Français issus de l’immigration
restent largement fidèles à la gauche,
toutes les études le prouvent. Le vote
social domine sur le vote ethnique. Même
si les nouvelles classes moyennes, les
profs, les instituteurs, les cadres moyens,
ont un discours très radical et critiquent
ouvertement leur propre parti, rien
ne prouve qu’elles votent massivement
à droite. Ce vote, par dépit, reste
minoritaire. On note une dispersion
des voix dans les attitudes et les
comportements électoraux. Malgré tout,
il reste un vote social, même si parfois
il s’apparente à un vote de fidélité
à la mémoire parentale.
L’équation “droite égal racisme,
gauche égal symbole de tolérance”
est fausse, le racisme dépasse le clivage
droite-gauche. Cet électorat est dans
la confusion. Aujourd’hui, aucun
candidat ne le satisfait. Tous les partis
confondus ont un problème
d’appréhension de cette France-là.
Bilan : la gauche accumule les
contradictions sans donner de réponse
aux questions qui concernent les
minorités.
Vincent Geisser et Aziz Zemouri, Marianne et
Allah, les politiques français face à la question
musulmane, à paraître en mars 2007.
LE COURRIER DE L’ATLAS 19
politique
ALIMA BOUMEDIÈNETHIERY, sénatrice de
Paris, les Verts
“Le combat
écologique
fondamental est un
repositionnement
du combat des riches
contre les pauvres”
L’ancrage à gauche : Je suis née à Argenteuil, dans l’un des derniers bidonvilles.
Mon père faisait partie de ces Marocains
qui avaient vécu en Algérie. Il est arrivé en
France en 1938. Il est ensuite monté dans
le Nord et dans l’Est car c’est là que résidait
la communauté venant de l’Orient marocain et algérien. Nous y sommes restés trois
ans, puis mon père a acheté une petite parcelle de terre. Il a construit une maisonnette. Pendant longtemps, nous y avons
vécu sans eau ni électricité. Vous comprenez pourquoi mon engagement ne pouvait
être qu’à gauche. Le combat pour l’égalité
des droits se situe à gauche. C’est l’éternel
combat des pauvres contre les riches. Le
combat pour l’égalité des droits.
La gauche et les Maghrébins : Mitterrand
m’a beaucoup déçue sur des questions cruciales telles que le droit de vote des immigrés, l’engagement de la France dans la
première guerre du Golfe et la Palestine. Je
ne pouvais donc pas adhérer au Parti socialiste. À l’époque, les communistes n’étaient
pas prêts à accepter la différence culturelle.
Quant aux autres partis d’extrême gauche,
leur refus de participer au pouvoir et de gouverner les cantonne à un rôle revendicatif.
Les Verts : Ce petit parti a beaucoup de courage. Il se bat pour faire bouger les choses.
20 LE COURRIER DE L’ATLAS
Maghrébins en politique : Chaque parti politique veut montrer qu’il a “son Arabe ou
son Noir”. On recrute tout et n’importe qui.
Chacun doit savoir faire ses propres choix
et refuser de jouer les épouvantails. Il y a
une grande part d’hypocrisie et d’instrumentalisation électorale. A droite comme à
gauche, il n’y a pas de vraie réflexion sur
l’immigration en termes humains. Les partis traditionnels, l’UMP et le PS, ont du mal
à sortir de cette logique. Nicolas Sarkozy est
un homme dangereux pour la société française. Son objectif est d’être élu et d’avoir le
pouvoir. Tout ce qui peut servir son intérêt
est bon à prendre. Ce n’est pas parce qu’on
a nommé un sous-secrétaire ou un ministre
délégué issu de l’immigration que l’on a
résolu le problème. On ne leur a pas donné
de portefeuille, pas de cabinet, pas de bureau, pas de budget de fonctionnement. On
a fait d’eux des “singes” que l’on exhibe. Et
lorsqu’ils s’expriment, on les fait taire. Le
problème est que certains ont accepté de
jouer le jeu. Ils n’ont pas eu le courage de
claquer la porte ! C’est pour cela qu’on les a
choisis : ils ne font pas de bruit et n’inquiètent personne. C’est le niveau zéro de la
politique. Pour ma part, si je suis ministrable, je n’accepterai aucun ministère hormis
l’Intérieur ou la Justice !
Mes liens avec mes origines : Je retourne
souvent voir ma famille en Algérie et au Maroc. Mon père est enterré à Ouled Bali, à la
frontière entre ces deux pays. Mon seul rêve
serait de contribuer à réconcilier ces deux
peuples frères. Laissons-les vivre en paix. A
titre professionnel, je mets mon statut de
parlementaire au service de la défense des
droits de l’Homme, que ce soit en Algérie,
en Tunisie, au Maroc, en Palestine, au Liban
ou en Irak… Je vais en Algérie et au Maroc
pour soutenir toutes les personnes qui en
ont besoin. J’interviens en faveur des subAfricains parqués aux frontières de l’Europe,
en Algérie ou au Maroc. J’interviens lorsque
les droits des citoyens sont bafoués dans ces
pays. J’interviens lorsque le pouvoir du président Ben Ali en Tunisie prend en otage les
militants associatifs locaux.
Les programmes
sur l’immigration
PARTI SOCIALISTE
• Instaurer un visa permettant des
allers-retours multiples sur plusieurs
années, afin que les migrations
s’adaptent aux besoins réels du marché
du travail.
• Rétablir la règle des dix ans comme
critère de régularisation.
• Régulariser les sans-papiers à partir de
critères fondés sur la durée de présence
en France, la scolarisation des enfants
et la possession ou la promesse d’un
contrat de travail.
PARTI COMMUNISTE
• Respect du droit d’asile.
• Régularisation de tous les sanspapiers.
• Suppression des zones d’attente et
des zones de rétention.
• Faciliter l’acquisition de la nationalité
française : rétablissement du droit du
sol dès la naissance, suppression des
lois récentes sur l’immigration.
• Droits de vote et d’éligibilité accordés
à toutes les élections (après trois ans de
résidence pour les élections locales, dix
ans pour les élections nationales).
LES VERTS
• Régularisation des sans-papiers.
• Droits de vote et d’éligibilité aux
résidents étrangers pour toutes
les élections.
• Garantie du droit d’asile et
élargissement aux persécutions
liées au sexe et au genre.
• Reconnaissance de la citoyenneté
européenne de résidence.
• Application du droit de vivre
en famille.
• Garantie de la liberté de circulation
et de la sécurisation du séjour des
étrangers en France.
• Assurance de l’égalité des droits pour
tous, hommes et femmes, français
ou immigrés, dès l’instant où ils vivent
en France.
• Abrogation de la double peine.
LCR
• Régularisation de tous les sanspapiers, abrogation des lois “antiimmigrés” et droit au séjour fondé
sur la liberté de circulation et
d’installation.
• Reconnaissance du droit de vote
et d’éligibilité à toutes les élections
pour tous les habitants du pays.
DR
Le combat des Verts n’est pas qu’écologique. Quand on est pauvre, la malbouffe,
c’est pour nous ! Les mauvaises conditions
sanitaires, c’est pour nous ! La pollution a
plus de conséquences sur nous. Le combat
écologique fondamental est un repositionnement du combat des riches contre les
pauvres qui englobe le droit à l’environnement, à l’eau, à une vie saine.
NUMÉRO 2 MARS 2007
politique
libérée de son passé colonial. Mais je reste
optimiste. Car, en France, il n’y a jamais eu
d’acquis sans rapport de force. Là, on est
dans une situation inédite. Il y a de plus en
plus de gens inscrits sur les listes électorales.
Aujourd’hui, ils ont le pouvoir de faire ou de
défaire un maire ou un député. S’ils sont
conseiller régional d’Ile-decapables d’avoir du poids, ils auront cette
existence.
France, groupe
Ce n’est pas exact de dire qu’il y a de plus
Communiste-Alternative
en plus de Maghrébins sur la scène politique française. Mais il y a une certaine panicitoyenne-Républicain
que dans la classe politique. Les politiques
sont incapables de dire combien de personnes d’origine étrangère sont en position
éligible. C’est un danger pour eux. Pour
cela, ils ont placé des faire-valoir sans compétences, des pots de fleurs chargés de ramasser des voix. Si c’est pour faire de la
décoration, ça suffit ! Il faut “une réoxygéLe PC : La campagne des dernières législanation du rapport au pouvoir” et que les
tives en Seine-Saint-Denis a été riche en
compétences soient au rendez-vous. Il y a
expérience pour moi. La liste Alternative
bien sûr toujours des traîtres qui servent la
citoyenne que j’ai menée a rassemblé les
soupe à ceux qui veulent que les Mohamcollectifs antilibéraux et le PC. Le PS, lui,
med ou les Sidibé n’existent pas. Je suis
n’a pas voulu faire partie de cette alliance.
pour le rapport de force, pour une politique
Notre liste a remporté les élections dans
plus volontariste en faveur des “minorités”
plusieurs villes. Malautant que pour les
gré notre large vicfemmes. C’est na“JE N’AI JAMAIS ENTENDU
toire, Jean-Paul Huvrant de voir que la
chon, président
France, patrie de la
PARLER DE NICOLAS SARKOZY
socialiste du conseil
déclaration des
COMME D’UN FRANÇAIS ISSU
régional d’Ile-dedroits de l’HomDE L’IMMIGRATION HONGROISE.” me, se retrouve
France, a refusé que
je sois le numéro 2
aujourd’hui derdu Conseil général pour des raisons que je
rière la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou
trouve obscures. Le Parti communiste a fait
encore la Belgique sur la question de la
de gros efforts. Il a présenté de nombreuses
prise en considération des minorités.
personnes issues de l’immigration. C’est
aussi pour cela que j’ai décidé de tendre la
Les liens avec mes origines : Je suis né dans
main à Marie-George Buffet. J’ai pour oble village de Timezrit, en Kabylie. Je contijectif d’essayer de faire prendre en compte
nue à avoir un lien fort avec le pays, j’y recette question.
tourne régulièrement et j’y étais encore ces
derniers mois. J’ai été surpris par l’accueil
La gauche et les Maghrébins : Aujourd’hui,
qui m’a été fait à l’aéroport d’Alger et en
il y a une maturité politique et une exigence
Kabylie. Les gens regardent les télévisions
d’existence de la part des Français issus de
françaises via le satellite et sont informés de
l’immigration. Ils en ont assez d’avoir “les
la vie politique. J’ai ressenti leur fierté de
places d’aveugles” dans les instances natiovoir l’un des leurs faire son chemin sur la
nales, les médias, les grandes entreprises…
scène politique française. Et malgré les
On accepte cette France dans le show-busicoups que l’on me porte, je puise ma force
ness et dans le sport, mais pas dans les
dans les manifestations de sympathie des
lieux de pouvoir, les instances politiques. La
gens de la rue, que ce soit à Alger ou à
vraie question est que la France ne s’est pas
Aubervilliers.
MOULOUD AOUNIT,
“Je suis pour le rapport de force, pour une
politique plus volontariste en faveur des
minorités autant qu’en faveur des femmes”
DR
L’ancrage à gauche : Militant des droits de
l’Homme et pour la paix entre les peuples
depuis plus de vingt ans, je crois aux valeurs de la République portées par la gauche : la solidarité, la justice sociale et l’égalité des droits.
La gauche face aux Maghrébins : La France
a reproduit une certaine “immigritude”. Je
suis outré quand je constate que les hommes politiques qui parlent de “Français issus de l’immigration” parlent uniquement
des Africains. Je n’ai jamais entendu ces
mêmes personnes parler de Nicolas Sarkozy comme d’un Français issu de l’immigration hongroise. Même au bout de quatre
générations, on est encore qualifiés par nos
origines et pas considérés comme des Français à part entière. Ce type de message participe à la perpétuation de “l’immigritude”.
C’est révélateur de l’état de cette société. Si
un mot doit être enterré, c’est bien celui
d’intégration. Comme s’il y avait des enfants de la République légitimes et d’autres
illégitimes. Ils ont raison de dire que la
gauche les a trahis. Le FN a avancé parce
que la gauche a régressé sur la question du
droit de vote des étrangers, de la double
peine, etc.
Sur le combat pour éradiquer la discrimination, ils n’ont rien fait ! Mais au sein de la
gauche, il y a des gens qui ne capitulent pas
devant le frein, le plafond de verre, qui peut
se dresser devant eux.
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 21
politique
du moment où ces initiatives ont pris de
l’ampleur, le PS ne nous a pas soutenus. Ils
ont eu peur de perdre le contrôle.
de Toulouse, groupe Motivé-e-s
“Même si brûler une voiture n’est pas
un acte politique, il faut en avoir une lecture
qui, pour le coup, est politique”
L’ancrage à gauche : Mon engagement a
démarré dans les années 80 avec les mouvements pour l’égalité, dans la mouvance
des marches des beurs. A l’époque, nous
avions lancé une association de quartier
avec comme moyen d’intervention l’action
culturelle. La préoccupation citoyenne était
permanente. On était politisés dans nos
propos, nos actions et nos interventions. En
1995, nous avons décidé d’arrêter l’action
associative car on estimait en avoir atteint
les limites. Le constat était simple : malgré
la légitimité, il y avait un problème d’écoute
de la part des élus et des organisations politiques. Les valeurs que nous défendons
sont celles de l’égalité des droits civiques,
sociaux, etc. Aujourd’hui, il y a, de fait, un
système insidieux qui génère des inégalités.
En plus de subir des inégalités de classes,
on subit des inégalités de “race”. Un lien
s’est créé entre les questions sociales et les
questions identitaires.
La gauche et les Maghrébins : Il ne faut pas
confondre la gauche institutionnelle et les
idées de gauche. La gauche a commis l’erreur de croire que toutes les personnes
d’origine étrangère étaient de gauche et n’a
fait aucun effort envers ces populations. La
campagne du Parti socialiste pour le moment n’est pas vraiment à gauche. Même si
les adhérents et les militants socialistes sont
sincères, ce parti a renoncé à certains combats sociaux, à traiter des questions importantes comme l’immigration, le vote des
immigrés ou le respect des initiatives politiques. Quant à ceux qui se sont tournés
22 LE COURRIER DE L’ATLAS
vers la droite, il ne faut pas croire que tous
sont des déçus de la gauche. Beaucoup adhèrent aux idées réactionnaires de la droite
comme le refus du mariage homosexuel ou
la suppression de certains acquis sociaux.
Mes liens avec mes origines : Je ne me sens
Mais se réfugier derrière une certaine dépas déraciné, je me sens très attaché à mes
ception de la gauche pour voter à droite est
origines algériennes. Je suis né en France
une erreur. Celle-ci n’a pas les bonnes réet ma famille vient de Kabylie, j’y vais réguponses. Par exemple, la question de la dislièrement. Enfants, nos parents nous y
crimination ne concerne que quelques diamenaient souvent.
plômés qui pourront
Je continue à aller y
sauver leur tête.
“À TOULOUSE, NOUS AVONS
voir ma famille. Je
Mais pour “sauver”
PRIS L’INITIATIVE EN NOUS
ne suis engagé ni
beaucoup plus de
ENGAGEANT POLITIQUEMENT.
professionnelletêtes, il faut de réels
ment ni politiqueprogrès sociaux, sur
LES FRANÇAIS ISSUS DE
ment là-bas, mais
l’éducation, les serL’IMMIGRATION ONT UNE
je continue à suivre
vices publics ou
VOLONTÉ ACCRUE D’INTERVENIR
assidûment l’actual’habitat. Sur la
SUR LES SUJETS QUI LES
lité du pays. Mes
question de l’immisentiments sont
gration, on ne peut
CONCERNENT.QUAND ÇA A PRIS
partagés sur son
pas être dans un
DE L’AMPLEUR, LE PS NE NOUS
évolution. J’ai de
système où le derA PAS SOUTENUS. ILS ONT EU
vraies inquiétudes
nier arrivé ferme la
PEUR DE PERDRE LE CONTRÔLE.” par rapport aux
porte derrière lui.
questions sociales,
Dans l’état où est le
aux écarts de richesse entre les habitants.
monde, l’Afrique, rien n’empêchera des jeuC’est un pays riche qui a beaucoup de
nes de risquer leur vie dans le détroit de
moyens, mais il y a encore trop de pauGibraltar. Je suis sur le terrain. Les inquiévreté. Depuis quelques années, les gens
tudes des gens au quotidien font que Nicocommencent à revivre. Il y a des problèmes
las Sarkozy est leur oreille.
d’argent, de chômage, mais aussi un petit
bol d’air qui donne envie d’être optimiste.
Les Motivé-e-s : A Toulouse, nous avons pris
Le pays a des ressources, aussi bien natul’initiative en nous engageant politiquerelles qu’humaines, des gens formés et
ment sur la liste des motivé-e-s. Nous avons
volontaires. Il faut faire attention à ne pas
réussi à lever les scepticismes en travaillant
tout gâcher. ■
à améliorer les conditions de vie. A partir
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
SALAH AMOKRANE, conseiller municipal
Les Maghrébins en politique : Les Français
issus de l’immigration ont une volonté accrue d’intervenir sur les sujets qui les
concernent. Il y a une réelle prise de
conscience générale, une volonté de se
prendre en charge. Il y a un mouvement de
fond qui pousse de plus en plus de gens à
s’intéresser aux questions politiques. Il y a
une multiplication des initiatives en politique. Les événements dans les banlieues en
ont été le révélateur. Même si brûler une
voiture n’est pas un acte politique, il faut
savoir en faire une lecture qui, pour le
coup, est politique. Les gens ont adressé un
message aux hommes politiques. La question du racisme d’Etat, de la discrimination
est au cœur de ce qui s’est passé.
www.lecourrierdelatlas.com
ACTUALITÉS - AU MAGHREB - CULTURE
Les dernières
informations sur
l’actualité politique,
économique,
sociale et culturelle
en France
et au Maghreb
Blogs, Chats, Forums, le nouveau portail interactif
de la communauté maghrébine en France
www.lecourrierdelatlas.com
économie
Tata, l’alu jusqu’au cou
Les Indiens lancent une offensive sévère sur le secteur de
l’aluminium. Tata Steel, le
conglomérat dirigé par le charismatique Ratan Tata, a racheté, pour la coquette somme de
10,6 milliards d’euros, l’aciériste anglo-néerlandais Corus,
faisant trembler le marché
boursier de Bombay. En effet,
cette opération constitue la plus
grosse transaction réalisée à
l’étranger par une société indienne. Les 4,7 milliards
d’euros déboursés par le nu-
méro un des producteurs d’aluminium indiens, Hindalco,
pour le rachat de l’américain
Novelis, numéro un des produits laminés en aluminium,
paraissent presque anecdotiques. Dans cette lignée, le fabricant d’éoliennes indiennes Suzlon Energy vient de se
positionner sur l’OPA lancée
sur le groupe allemand Repower Systems, offrant un milliard d’euros et coiffant ainsi au
poteau l’offre d’Areva. A qui le
tour ?
femip
Transferts financiers
des migrants en débat
A
Une mission
d’hommes
d’affaires tunisiens
se rendra à
Istanbul du 20
au 25 mars
pour la 4e édition
de la Foire
internationale des
matériaux et des
technologies des
bâtiments,
organisée par les
chambres de
commerce et
d’industrie des
deux pays.
L’opportunité pour
les entreprises de
Tunisie et de
Turquie d’établir
des relations
commerciales et
des partenariats
dans les domaines
du bâtiment et des
secteurs annexes.
près Monaco, Paris accueillera les 22 et 23 mars la 2e Conférence Femip sur le thème :
Transferts financiers des migrants dans l’espace euro-mediterranéen, un levier pour
le développement. À l’initiative de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la
Fédération bancaire européenne, tous les décideurs des secteurs bancaire et financier, les
autorités de supervision, les experts et des représentants des communautés de migrants
se réuniront avec des ministres des Finances des 35 pays du Partenariat de Barcelone. Le
volume des transferts et leur coût élevé feront enfin l’objet d’une remise à plat. D’après le
dernier rapport de la Femip, près de 8 milliards d’euros sont transférés chaque année et
près de 15 si on compte les transferts informels. Pour plus d’infos, http://eib.org/femip
immobilier
Lulu à Marrakech
Investissement
intelligent en Mauritanie
Le groupe Lucien Barrière, spécialiste du
luxe et propriétaire d’hôtels et casinos dans
le monde, va pouvoir installer un complexe
au cœur de la Médina. Au programme, un
domaine de 22 000 m2 composé d’un hôtel
décoré par Pascal Desprez, d’un restaurant
Fouquet’s, d’une piscine avec restaurant,
d’un bar lounge, d’un spa de 1000 m2, d’un
kid’s club et de trente ryads de prestige.
Amis du faste, il faudra attendre 2008 avant
d’y programmer vos vacances.
La Mauritanie et la Commission
européenne ont inauguré un ensemble
d’ouvrages d’un montant de 3,5 millions
d’euros à Chinguitti. A 600 km de
Nouakchott, cette ville est classée
Patrimoine mondial de l’Unesco. Ce projet
comporte des ouvrages sportifs, des
équipements pour les coopératives de
femmes, des infrastructures routières
et quinze bibliothèques pour accueillir
des milliers de manuscrits inédits.
24 LE COURRIER DE L’ATLAS
Maghreb
United
of patrons
F
aute d’accord entre les chefs
d’Etat des pays du Maghreb,
les chefs d’entreprise prennent
les devants en créant l’Union
maghrébine des entrepreneurs.
Elle regroupera les organisations
patronales de l’Algérie, de Libye,
du Maroc, de Mauritanie
et de Tunisie. Les entraves au bon
fonctionnement des échanges
dans cette zone sont légion : tarifs
douaniers élevés, services
“inefficaces et inexploités”,
environnement des affaires
contraignant, manque de contrôle
et de certification, etc. “Il n’est
pas normal qu’on signe des accords
avec l’Union européenne alors
qu’entre nous, pour exporter des
tomates marocaines en Algérie, nous
sommes obligés de passer par Marseille,
et que la Tunisie doit passer par
l’Egypte pour exporter ses produits
en Libye”, a déclaré un homme
d’affaires marocain dans le Figaro
du 16 février. Ces “bonnes volontés”
se donnent trois ans pour “lever les
obstacles”. Premier signe positif :
la création de la Banque
maghrébine d’investissement et du
commerce extérieur (BMICE). Les
pays membres de l’Union du
Maghreb arabe ont pour cela posé
sur la table 150 millions de dollars
pour financer des projets mixtes
agricoles et industriels.
Crédits photo
Business
TunisieTurquie
en vue
NUMÉRO 2 MARS 2007
économie
Maroc
Un code de bonne
conduite pour
les entreprises
Crédits photo
B
ientôt un code de bonne
pratique de gouvernance
d’entreprise au Maroc. Ce thème a
été longuement débattu le mois
dernier par Rachid Talbi El Alami,
ministre des Affaires économiques
et générales, et Mohamed Chaibi,
vice-président de la Confédération
patronale. A la commission chargée
de l’élaboration de ce code, siègent,
entre autres, la CGEM (patronat
marocain), le Centre des jeunes
dirigeants (CJD), Bank Al Maghrib,
le Groupement professionnel des
banques du Maroc (GPBM), le
Conseil déontologique des valeurs
mobilières (CDVM), la Bourse de
Casablanca, l’Agence nationale des
PME-PMI, ainsi que les ministères
des Finances, de la Justice et des
Affaires économiques et générales.
L’élaboration d’un code de bonne
conduite constitue désormais une
priorité. La cellule de pilotage créée
pour l’occasion compte associer
d’autres parties prenantes de
l’entreprise. Le Maroc dispose déjà
d’un arsenal important de textes
juridiques relatifs à l’environnement
économique et financier. La plupart
de ces textes incluent des
dispositions liées à la gouvernance
d’entreprise : les lois sur les sociétés,
sur la Bourse, le Code de commerce,
la loi relative aux offres publiques, la
nouvelle loi bancaire, le Code du
travail et le Code des impôts...
L’élaboration d’un code national de
bonnes pratiques de gouvernance
d’entreprise constituera un
complément à à la réglementation
marocaines. La mise en place
de ce code devrait promouvoir
la confiance et la transparence
des marchés, définir clairement
les responsabilités liées aux diverses
fonctions de l’entreprise, développer
les flux d’investissement, favoriser
le dialogue entreprise-Etat
et contribuer à la lutte contre
la corruption, tout en limitant
le secteur informel et en
redynamisant le secteur privé.
NUMÉRO 2 MARS 2007
Le Souss
marocain
mise sur
l’arganier
U
n programme de préservation et de gestion durable
des arganeraies a été lancé dans
la région du Souss, dans le Sud
marocain, à l’initiative de l’Agence de développement, de l’Unité de gestion
du projet arganier et de la direction des
eaux et forêts du Sud-Ouest. Le contrat prévoit la plantation de plus de 40 000 plants
sur 200 hectares. Le coût total étalé sur cinq
ans sera de 45 millions de DH. Pour cette
région aride et à la géographie accidentée,
l’arganier, arbre exclusivement planté au
Maroc, est une richesse longtemps ignorée.
Il aura fallu attendre les années 1990 pour
que la production se structure, notamment
à travers les coopératives de femmes.
Ticket électronique
pour Air Algérie… en 2008
La nouvelle cotation pour l’emprunt obligatoire d’Air Algérie lancée le 12 février est
un “réel succès”, d’après Makhloufi Rahni,
directeur général de la Bourse d’Alger.
Tayeb Benouis, PDG de la compagnie, précise qu’Air Algérie vise son extension à l’international avec la ligne Alger-Montréal dès
juin 2007 et qu’un nouveau système de fidélisation de la clientèle, Air Algérie Plus,
verra le jour. Quant au projet de e-ticketing,
il déclare : “Nous nous attelons à le mettre en
place avant le 31 décembre 2007.”
Aujourd’hui, les producteurs ont été labellisés par des marques spécialisées dans le
commerce équitable. L’huile d’argan est
utilisée pour ses vertus nutritives. Elle soigne aussi certaines maladies de peau et fait
fureur dans les enseignes bio qui prolifèrent dans les pays d’Europe occidentale.
Sciences Po Paris
à la pointe de la diversité
A compter du 22 mars, entrepreneurs
et organisations publiques pourront venir
se former sur les questions de diversité
et de management culturel dans le
prestigieux Institut d’études politiques.
L’intérêt tardif, mais croissant, pour
ces problématiques pousse l’Institut,
pionnier dans le domaine, à ouvrir
le débat le 8 mars en organisant une table
ronde consacrée aux propositions des
partis en matière “d’intégration”.
Politiciens, chercheurs, experts,
journalistes répondront à la question :
“Qu’est-ce qu’être Français ?”, posée
par les initiateurs de cette conférence,
le Club XXIe siècle.
Algérie : surprofits des pétroliers étrangers taxés
L
a surtaxe appliquée aux surprofits des compagnies pétrolières en Algérie devrait rapporter un milliard de dollars pour l’année 2007, selon les estimations du ministre de
l’Energie et des Mines, Chakib Khelil. Alors que la loi sur les hydrocarbures, votée en octobre dernier, prévoyait d’appliquer une surtaxe de 5 % minimum et de 50 % maximum à
partir du mois d’août 2006, un amendement a été apporté, ramenant son application à
mars 2006. Les recettes de cette taxe recueillie par la Sonatrach, société publique d’hydrocarbure et accessoirement agent fiscal, augmenteraient ainsi de 45 %. M. Khelil a en outre
démenti l’existence d’un litige entre la compagnie américaine Anadarko et la Sonatrach à
propos du paiement de cette surtaxe. Il a par ailleurs souligné que “le régime fiscal algérien
est attractif et compétitif par rapport à celui d’autres pays”. Pourtant, le 5 février dernier, la
direction de la société américaine avait envoyé un communiqué à ses actionnaires, faisant
état d’un litige sur les modalités de calcul de cette surtaxe et avait provisionné 100 millions
de dollars pour faire face à ce risque. ■
LE COURRIER DE L’ATLAS 25
Alger paraît jeune, moderne.
C’est une vitrine. Fragile,
comme le pétrole est volatil.
Objectif : l’après-pétrole
M. Colin/hemis.fr
affaires L’économie de marché pointe son nez
en Algérie. En témoignent les professionnels
qui se pressent aux forums, les salons, les réunions
d’entrepreneurs, de ministres... pour attirer
les investisseurs du monde entier. Les potentialités
du pays sont immenses et les opportunités
se concrétisent… parfois. Mais l’économie
algérienne saura-t-elle profiter de la rente pétrolière
pour se développer et se diversifier ?
Un véritable défi.
par Nadia Lamarkbi
26 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
économie
E
n perspective pour ces prochaines années : l’entrée de l’Algérie comme acteur respectueux des règles du jeu sur
le marché mondial. L’accord d’association
avec l’Union européenne, en vigueur depuis
le 1er septembre 2005, et la finalisation des
négociations relatives à l’adhésion prochaine
du pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) obligent le pays à donner un
coup d’accélérateur à la privatisation de secteurs jusque-là détenus par l’Etat. Alors
même que les indicateurs économiques sortent progressivement du rouge.
Le pays connaît en effet une baisse continue
du taux de chômage qui est passé, selon l’Office national des statistiques, de 29,5 % en
2000 à 15,3 % en 2005. Même si le taux de
le cadre d’un Plan de consolidation de la croissance sur cinq ans (2005-2009) devrait soutenir
l’activité du secteur non pétrolier”. Mais ces
améliorations restent fortement liées aux
plus-values tirées de la flambée des prix du
pétrole. Les recettes pétrolières atteignaient
en effet 12,7 % du PIB en 2005, selon les
estimations du FMI. Les exportations pétrolières ont rapporté plus de 50 milliards de
dollars en 2006, soit plus de 98 % du volume global des exportations. Cette manne a
permis le remboursement par anticipation
des 850 millions de dollars dus aux banques
privées du Club de Londres et de la quasitotalité des dettes bilatérales vis-à-vis des
pays membres du Club de Paris (6,7 milliards de dollars). Conséquence, le président
Bouteflika a lancé
une nouvelle straCHÔMAGE EN BAISSE, CROISSANCE EN HAUSSE...
tégie : la réinjecMAIS TANT QUE L’ÉCONOMIE DEMEURERA BASÉE
tion des recettes
SUR LE PÉTROLE, L’AVENIR RESTERA INCERTAIN.
pétrolières pour
soutenir l’investissement et permettre à plusieurs secteurs
chômage des moins de 30 ans reste excepimportants de bénéficier de cette rente. C’est
tionnellement élevé : 73 % en 2004 et 75 %
le cas de l’industrie, des télécoms, mais
en 2005. Le taux de croissance, lui, est passé
aussi du secteur bancaire via les “subvende 2,1 % en 2001 à 5,3 % en 2005 et devrait
tions d’exploitation” accordées aux établissese situer autour de 5 % en 2006 d’après le
ments de crédits.
Fonds monétaire international (FMI). Enfin,
Que fera le pays en cas de forte baisse du
depuis 2000, le taux d’inflation reste sous la
prix du pétrole ? Ne serait-il pas temps de
barre des 5 %.
repenser la stratégie globale de développeSelon la Coface, l’organisme privé de garanment et de miser sur les secteurs à forte vatie, incontournable pour les investisseurs
leur ajoutée comme les nouvelles technolofrançais, l’économie algérienne connaîtrait
gies, la recherche et développement et les
pour 2007 “une bonne orientation compte tenu
services qui, eux, seront à même de sortir le
des perspectives favorables du marché pétrolier.
pays de la dépendance pétrolière ?
L’accélération des investissements publics dans
LES TÉLÉCOMS
L’EXPLOSION
D’UN MARCHÉ À RÉGULER
Depuis 2004 et l’octroi de la deuxième licence privée de téléphonie mobile, le secteur connaît une expansion sans précédent.
Le nombre d’abonnés aux lignes fixes, encore propriété de l’entreprise publique Algérie Télécom, dépasse à peine les 3 millions, alors que les Algériens détenteurs
d’une ligne de téléphone mobile sont plus
de 7 millions. Djezzy, propriété de la holding égyptienne Orascom Telecom, détient
le quasi-monopole sur le secteur avec plus
de 80 % des parts de marché. Le réseau de
sa filiale algérienne, OTA, compte environ
5 millions de clients, dont 90 % ont souscrit des formules dites prépayées. Mobilis,
filiale d’Algérie Télécom, et le koweïtien
SERVICES
DR
DES BANQUES NEW LOOK
Avec une valeur ajoutée en progression de plus de 60 % en cinq ans, les services bancaires
vivent des transformations menées au pas de charge. La modernisation du système de
paiement bancaire votée en 2006 et la privatisation du Crédit populaire d’Algérie prévue
en 2007 sont les pierres angulaires des réformes du secteur.
Même si le système de carte bancaire reste rudimentaire et que la mise en place des distributeurs de billets automatiques a pris du retard, le traitement électronique des opérations
bancaires et le développement de la monétique commencent à porter leurs fruits. Des
distributeurs de change devraient être installés dès le premier semestre 2007. Mais les
habitudes ont la vie dure. Dans ce pays en plein essor, 80,8 % des importations en 2005
ont été financées en espèces et seules 10 à 15 % des transactions ont été exécutées par virement. Le projet de modernisation de la Bourse d’Alger est en cours d’étude.
Les scandales des banques publiques et privées, dont celui de la Khalifa Bank, ont poussé
les autorités de régulation à adopter une batterie de mesures réglementaires et à renforcer
les outils de contrôle. La mise en place de deux organismes, l’Algeria Real Time Settlement
(ARTS) et l’Algérie télécompensation interbancaire, devrait permettre une meilleure traçabilité des opérations bancaires, et réduire ainsi les risques de détournement de fonds.
Un pas significatif, même si les premiers résultats ne seront réellement visibles que dans
quelques années.
NUMÉRO 2 MARS 2007
Djezzy détient 80% du
marché des télécoms.
Wataniya se partagent difficilement le reste.
Algérie Télécom projette toutefois d’investir
près de 2,5 milliards de dollars d’ici 2010.
Pour réguler ce marché et veiller à la transparence de la concurrence, l’Autorité de
régulation de la Poste et des télécommunications (ARPT) a vu le jour. Les opportunités du marché sont nombreuses et les services associés comme les centres d’appels,
la téléphonie via Internet (IP), les SMS offrent un large éventail de possibilités aux
opérateurs. Signe des temps, un annuaire
téléphonique sera enfin disponible en juin
prochain. Il couvrira les régions d’Alger,
Blida, Bouira, Boumerdès, Tipaza et Tizi
Ouzou.
LE COURRIER DE L’ATLAS 27
économie
INDUSTRIE
DES PERSPECTIVES
À CONDITION D’INVESTIR
Dominé à hauteur de 80 % par les entreprises publiques, l’industrie s’ouvre de plus en
plus au privé. C’est le cas de l’agroalimentaire, de la chimie, pharmacie et pétrochimie. Le gouvernement affiche sa volonté de
libéraliser et d’encourager l’investissement,
avec, notamment, une fiscalité plus attractive. Le pays possède le plus important parc
automobile du Maghreb : plus de trois millions de véhicules dont 80 % ont plus de dix
ans d’âge. Dans la perspective d’un renouvellement nécessaire, les autorités ont interdit en 2005 l’importation de véhicules d’occasion et rendu obligatoires les contrôles
techniques. De plus, l’accès au crédit automobile, autorisé depuis 2001, favorise l’acquisition de véhicules neufs. Toutefois, ce
secteur est essentiellement un marché de
distribution car seuls certains poids lourds
et équipements sont produits localement.
Les véhicules sont distribués par des firmes
étrangères. Historiquement, Renault et
Peugeot se taillaient la part du lion, mais les
constructeurs asiatiques ont compris avant
les autres les potentialités du marché. En
2005, pour la première fois, les français ont
perdu leur leadership et le coréen Hyundai
a pris la pole position, suivi par Toyota.
Les géants
de l’hôtellerie
s’apprêtent à
investir. Pour leur
plus grand profit,
pas forcément
pour celui du pays.
TOURISME
UN NOUVEAU CRÉNEAU
Signe encourageant lié à l’amélioration du
climat général et au retour remarqué du
pays sur la scène internationale , le tourisme
commence à faire l’objet de l’intérêt des
autorités. Il était temps car, chaque année,
alors qu’un million et demi de personnes,
dont 30 % de non-Algériens, visitent le
pays, les infrastructures d’accueil, trois fois
moins importantes que chez leurs voisins
marocains et tunisiens, ne sont pas à la
hauteur. Quatre-vingts pour cent des hôtels
ne répondent pas aux normes internationa-
les, la qualité du service est discutable et
certains sites sont complètement laissés à
l’abandon. Mais l’essor du tourisme dans le
sud du pays, le retour de compagnies aériennes internationales (Air France, Aigle
Azur, British Airways, Alitalia, Lufthansa,
Qatar Airways…), l’ouverture d’un nouvel
aéroport international à Alger en 2006 et
les projets d’investissements annoncés par
les géants du secteur de l’hôtellerie sont des
signes forts d’un décollage prochain de
cette activité. ■
Abdelkader Sid Ahmed*,
économiste, spécialiste
des économies des pays
méditerranéens, professeur
à l’université de Paris I.
Le Courrier de l’Atlas : Quelle est la situation
économique actuelle du pays ?
Abdelkader Sid Ahmed : L’algérie marche à
reculons vers le libéralisme. L’économie du
pays reste une “économie de rente” liée aux
hydrocarbures. Le niveau du prix du pétrole
détermine beaucoup de choses et fixe le sens
des politiques à mener. La rente inverse les
hiérarchies. Mais est-ce que les réformes
menées rentrent dans une stratégie globale
de l’etat ? est-ce que le gouvernement tirera
des enseignements du passé ? est-ce que
le pays pourra créer une économie hors
hydrocarbure ? Pour l’instant, cela semble
peu probable.
Peut-on parler d’un retour de l’algérie sur la
scène internationale ?
Oui et non. Oui parce qu’il y a des éléments
28 LE COURRIER DE L’ATLAS
irréversibles qui font qu’on ne pourra pas
revenir à la situation antérieure. Non parce
que la croissance est fragile. elle provient
principalement des termes de l’échange,
c’est-à-dire la hausse du prix du pétrole. Or, si
ce prix baisse, que se passera-t-il ? il n’y a pas
d’industrie dynamique. L’enseignement et la
recherche sont dans un état lamentable, les
secteurs innovateurs sont quasi inexistants.
Le problème majeur est que les ressorts de
long terme d’une croissance durable non liée
à un produit volatil et épuisable comme le
pétrole ne sont pas en place. Les avancées
actuelles sont dues à des interventions
extérieures, à des investissements étrangers.
Dans le meilleur des cas, l’économie tendra
vers l’exemple saoudien. il y a également un
problème de nature de l’etat, du sens réel de
la démocratie. Y a-t-il une volonté de mettre
en place des mécanismes qui assoient la
croissance ? Ce n’est pas sûr.
Pensez-vous que les négociations pour
l’adhésion de l’algérie à l’OMC vont aboutir ?
Tout dépend des sacrifices que consentira
le gouvernement. Cependant, comme les
décideurs finaux sont les etats-Unis et
qu’alger entretient de très bonnes relations
avec Washington, il y a de bonnes chances
pour que ces négociations aboutissent.
L’algérie a des atouts.
etes-vous optimiste quant à la sortie de
l’économie de rente ?
Je ne suis pas très optimiste à court terme
parce que les facteurs de blocage sont
énormes. Les seuls à savoir gérer la rente
pétrolière sont les pays développés, comme
les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne. Ou encore
des pays comme le Mexique, qui s’en sort
parce qu’il a su exploiter la présence des élites
espagnoles. Plus généralement, je suis
pessimiste sur le monde arabe, dont les
économies sont largement caractérisées par
les rentes de l’immigration ou les rentes
minières.
Propos recueillis par N. L.
* abdelkader sid ahmed : Le développement
asiatique : quels enseignements pour
les économies arabes ? eléments de stratégie
de développement : le cas de l’algérie.
ed. Publisud/isprom. www.publisud.fr
NUMÉRO 2 MARS 2007
J. du Boisberranger/hemis.fr
“Une croissance liée au pétrole ne peut pas être durable”
décryptage
Bombardements de Beyrouth Sud
par l’armée israélienne, juillet 2006.
MOYEN ORIENT Deux ans après la mort de Rafic Hariri, le 14 février 2005,
le Liban peine toujours à retrouver le chemin de la paix. Face à la dure
réalité des conflits dans cette région, les intellectuels nous livrent une
vision plus optimiste que les images qui saturent nos écrans. En abordant
leurs œuvres, films, écrits ou musiques, six personnalités se sont livrées,
le temps d’un instant, en nous offrant ainsi et sans le savoir une leçon
de courage et d’espoir, sous la forme d’une ode au Pays du Cèdre.
par Valérie Defournier
30 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Eyup Coskun/Abaca
un espoir nommé culture
décryptage
TOUFIC FARROUKH, MUSICIEN
LA PUDEUR
La pudeur est le sentiment qui ressort le plus souvent
des conversations avec les artistes libanais. Domiciliés
en France ou là-bas, ces hommes et ces femmes sont
d’éternels amoureux de leur terre, marquée par sa triste
réalité. Aucun d’entre eux ne souhaite s’aventurer à polémiquer sur la vie politique du Liban ; ils préfèrent se
concentrer sur leur art. La magie s’opère alors dans le
récit de leurs créations. En filigrane, une réalité douloureuse. Ce voyage dans la culture libanaise commence
avec Toufic Farroukh, jazzman et auteur de Tootya (1),
un périple qui allie avec habileté jazz et musique orientale. Le musicien libanais commence le saxophone à
10 ans en autodidacte. Il sera le premier saxophoniste
libanais. A 22 ans, il pose ses valises à Paris où il fait des
études au conservatoire. Le déclic viendra plus tard, par
des rencontres et le retour au pays “pour trouver mon côté
perso” et pour y côtoyer “les meilleurs musiciens pour jouer
cette musique plus traditionnelle”. Le pont entre “ici et là-bas” est
ainsi fait. Depuis, le musicien s’est imposé sur la scène jazz et
ose le mélange. Entre jazz, tradition et musique électronique,
n’en déplaise aux puristes. Toufic Farroukh ne veut pas faire
partie de ceux qui s’inspirent du vécu ou de l’origine pour faire
de la musique. Ce n’est pas faute de n’avoir “rien senti”, mais
parce qu’il “a fait le vide”. Pour lui, “l’autre importe dans le choix
des titres”. Face à son histoire personnelle, le jazzman préfère
offrir un disque dans lequel il “pose des questions aux autres”. Il
ne tient pas à faire des derniers événements tragiques, un “fonds
de commerce”. Aujourd’hui, on parle de “la dernière guerre, de ce
que dit le Hezbollah, de la division dans le projet politique libanais,
et la culture passe au cinquième plan !”, regrette-t-il. Il s’insurge
contre l’oubli de la culture. Le musicien est à mille lieues des
prises de position politiques, non pas par égoïsme, mais par
altruisme. Parce qu’après tout, sa musique “reflète” sa pensée.
Les notes suffisent aux mots. Avec un brin d’amertume dans le
regard, il constate le retour en arrière : “C’est du replay, il y a
d’autres alliances, des ennemis d’antan qui sont des alliés, et ainsi
de suite.”
Si en 1982, pendant le siège à Beyrouth, il se disait “prêt à combattre”, la conjoncture actuelle lui semble “plus compliquée et plus
sale”. Les choses sont claires, il n’a “ni envie d’écrire, ni de faire un
disque sur la situation au Liban”. Le Beyrouth de Toufic est “une
ville exceptionnelle, inégale, tantôt Soweto tantôt Las Vegas… mais qui
marche”. Bien qu’il ne veuille pas parler du Liban dans ses compositions, son amour s’impose inéluctablement entre chaque
souffle de saxophone et entre chaque vibration du oud.
(1) Tootya : Toufic Farroukh, chez O + Music, mars 2007
ZEINA TOUTOUNJI-GAUVARD, ATTACHÉE DE PRESSE ARTISTIQUE
L’OPTIMISME
DR
Parmi les écrivains, les cinéastes ou les
musiciens, il y a aussi ceux qui cherchent
à promouvoir les talents de leur pays. C’est
le cas de Zeina Toutounji-Gauvard, atta-
NUMÉRO 2 MARS 2007
chée de presse. Elle aussi est “viscéralement
attachée” à son pays. Elevée dans une famille où la culture primait, la situation de
sa terre natale l’a forcée à s’exiler en France.
Elle n’a “jamais vraiment quitté le
Liban” et le “bleu de sa mer”.
Son pays lui a petit à petit enlevé
les membres de sa famille. Il a
fallu “construire, en acceptant de vivre sur un fil, comme une forme de
vie avec les bombes”, et vivre “à l’excès” les bons moments. Elle aurait
pu faire de la politique tant elle
aime “défendre la scène libanaise” et
aurait voulu “vivre bien” dans son
propre pays. Mais elle a décidé de
mettre tout son espoir dans la diffusion des arts puisque “défendre
les créateurs, c’est la meilleure façon
d’aider le Liban, pour que perdure cette énergie
créatrice, ce bouillonnement”.
Si les plaies du Liban restent ouvertes, les
gens de la culture libanaise, humanistes
dans l’âme et habités par la pudeur, la peur
et la quête identitaire, restent de formidables vecteurs d’espoir et d’optimisme. Ils
incarnent cette flamme dans le “black out”
de la guerre.
Le Liban invité d’honneur
du festival Paris-Cinéma 2007
Dans le cadre du festival
Paris-Cinéma, la ville de Paris
accueillera du 4 au 14 juillet 2007
la cinématographie libanaise. L’actrice
Charlotte Rampling présidera cet
événement.
LE COURRIER DE L’ATLAS 31
décryptage
LA LÉGÈRETÉ
Dans cette lignée, Philippe Aractingi, auteur de Bosta, sorti le 26 février dans les salles, a voulu faire de son film “un moyen de voyager
à travers le Liban, en expliquant les identités libanaises”.
Le but : insister sur ce qui “rassemble dans le sens positif” les peuples libanais. Le film, qui a déjà séduit cent
quarante mille personnes au Liban, narre les aventures d’une troupe de danse traditionnelle, la dabké.
Pour leur tournée, ils voyagent en bosta, un car scolaire. Riche en symbolique, Bosta est avant tout “le
symbole d’une blessure commune”. Et pour cause, la
guerre du Liban a commencé en 1975 par un massacre dans un autobus. Loin de tomber dans le fatalisme, ce road movie musical est léger, mais il a la force
de donner une autre image d’un pays dévasté par la
guerre. A travers le périple de cette troupe de copains
d’école, on se surprend à ne plus penser à la guerre.
Mieux, à rêver à une paix durable au Liban. La techno-dabké de ces
jeunes et leurs rapports à leur père est riche en enseignements. “Il
ne s’agit pas de dénoncer.” Il est donc “plus facile de parler aux gens
quand on les fait rire que quand on les fait pleurer”. Puis il y a ce “regard thérapeutique”, qui “nous montre les choses de manière positive”.
En 1997, le réalisateur avait fait un pilote de Bosta.
Sept ans plus tard, les personnages initiaux “avaient
vieilli”. C’est avec un nouveau casting, rajeuni, que
le film voit le jour. Des acteurs comme Rodney El
Haddad et Nadia Labaki, nouvelle vague libanaise,
crèvent l’écran. Le drame, Philippe Aractingi le
connaît : il en a même fait des documentaires. Il a
lui aussi vu la guerre de ses propres yeux. Peu importe la profondeur de sa souffrance, avec Bosta, il
donne “l’espoir que des choses sont possibles, même si
elles sont noires”. Mieux, il offre “un semblant de réflexion”, en “ouvrant le débat”. Il va même jusqu’à
poser la question au peuple libanais : ne faut-il pas
se réinventer ?
HODA BARAKAT, ÉCRIVAINE
LA DISTANCIATION
Hoda Barakat confirme dans ses
écrits cette interrogation identitaire.
Née à Beyrouth, installée en France
depuis 1989, la directrice de l’information de Radio Orient (Paris) est
une romancière confirmée. Son dernier roman, Mon maître, mon amour
(1), nous plonge dans le Liban de
Wadi’, héros et narrateur, celui des
trafiquants d’armes et de drogues, de
la passion et de l’ambiguïté des sentiments. Elle aborde les “questionnements sur des mythes de l’autre” qui, pour elle, “n’existe pas”. Face au temps qui passe, le
roman devient le moyen de s’interroger. Ses enfants, issus d’un mariage mixte, vivent
le retour au traditionalisme de manière plus complexe. Le regard de “l’autre” sur le
mélange des cultures est très différent. L’auteur des Illuminés, son roman phare, campait
déjà une histoire d’amour contrariée entre un chrétien et une musulmane. Trente ans
après, il semblerait que les mêmes problématiques fassent leur
retour au Liban. Par une sorte d’introspection perpétuelle, ses
romans prennent place dans son pays natal, loin de son quotidien parisien. C’est justement tout ce travail de distance qui
permet “de voir les failles de ce passé, truffé de véritables problèmes”. Tous les artistes ne sont pas dans ce même processus.
Hoda Barakat a choisi des personnages “plus proches des démons
que des anges”. “Tout mon bagage est à l’intérieur de moi”, préciset-elle, et “c’est pas plus mal, on peut habiter dans le cœur des gens”.
Son Liban, elle ne l’oublie pas, souvenirs douloureux de voitures piégés. Malgré tout, elle s’ouvre “sur des histoires humaines”
en faisant de “l’autre” son “miroir”. Elle essaye d’y retourner
souvent, même si “ça fait toujours mal, comme une blessure à qui
on ne demande plus de cicatriser”.
(1) Mon maître, mon amour, par Hoda Barakat, mars 2007,
et ses autres romans : les Illuminés, le Bus des gens bien, la Pierre du rire
et le Laboureur des eaux sont tous publiés chez Actes Sud.
32 LE COURRIER DE L’ATLAS
Chronologie
• 1970-71 : Les combattants palestiniens
de l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP) installent leurs bases au
Sud Liban.
• 13 avril 1975 : Assassinat de
Palestiniens dans un autobus qui
marque le début officiel de la guerre.
• 1975-1989 : Guerre civile.
• Octobre 1989 : Signature des accords
de Taef qui établissent un nouvel
équilibre entre les communautés.
• 1996 : Opération “Raisins de la colère”
par Israël qui fait 175 morts parmi les
civils libanais et 300 000 réfugiés.
• 2000 : Retrait d’Israël du Sud Liban.
• 14 février 2005 : Assassinat du
Premier ministre, Rafic Hariri.
• 2 juin 2005 : Assassinat du journaliste
Samir Kassir.
• 12 juillet 2006 : Le Hezbollah enlève
deux soldats israéliens. Relance du
conflit israélo-libanais.
• 30 juillet 2006 : Bombardement
de Cana par Israël : 62 morts dont
42 enfants.
• 14 août 2006 : Résolution 1 701
du Conseil de sécurité de l’ONU, entrée
en vigueur d’un cessez-le-feu.
• 23 janvier 2007 : Grève générale de
l’opposition libanaise.
• 25 janvier 2007 : Conférence
internationale dite de Paris III sur le
financement de la reconstruction du
Liban.
• 7 février 2007 : Echange de tirs entre
les forces armées libanaises et
les forces armées d’Israël dans la région
de Maroun Al Rass.
• 13 février 2007 : Double attentat au
nord de Beyrouth.
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
PHILIPPE ARACTINGI, RÉALISATEUR
décryptage
RACHID EL DAÏF, ÉCRIVAIN
L’INTROSPECTION
Une certaine névrose semble hanter la plume des
écrivains libanais. Une névrose hors norme, résultant
du souvenir, du passé et du
présent bien sûr. Rachid El
Daïf a choisi le Liban pour
écrire. La réalité de son
pays, il ne tient pas particulièrement à la commenter,
mais elle se lit entre les lignes. Fais voir tes jambes,
Leïla ! (1) est l’histoire rocambolesque d’un homme
dont la vie bascule le jour
où son père, âgé de 65 ans,
décide de se remarier.
Le couple, les mœurs, la
tradition et la modernité
sont passés au crible. Le
héros est en réalité “inspiré
d’une personne réelle” qui a littéralement “fasciné” l’auteur. Ce personnage, “à la limite gai, volontairement anti-situation”, s’éloigne
des “histoires dramatiques” à une époque où “la littérature, en général, reflète la situation très difficile du Liban”. Le héros du roman est
volontairement “centré sur ses problèmes et pas sur les causes”. Rachid El Daïf décrypte et apprécie “ces personnages centrés sur leur
JOCELYNE SAAB, RÉALISATRICE
DR
LE COMBAT PERMANENT
Journaliste et reporter de guerre dans le
monde arabe et en Iran pendant quinze
ans, Jocelyne Saab a réalisé une dizaine
de films dont le très sensuel Dunia, en
2006. Tourné en Egypte, le film traite du
thème de l’excision. La sortie en salle provoqua une levée de boucliers. Dunia, un
admirable travail de sept ans pour “donner
aux Arabes une vraie représentation de la
femme affranchie”, a remporté le prix du
Public au Festival international de films
NUMÉRO 2 MARS 2007
individualité qui veulent vivre et ne pas se sacrifier pour les causes, qui
prêchent la peur”. “Depuis des décennies, on assiste à une inflation des
martyrs comme à l’inflation de la livre libanaise, on a besoin de gens
qui aiment la vie !”, affirme l’écrivain. Le “travail de distance” de
certains écrivains, il ne le trouve pas nécessaire, il se concentre
sur “lui-même”. Il est “loin, très loin”. “Ecrire dans son pays, c’est
comme une sorte de vengeance contre ceux qui nous gouvernent et nous
forcent à vivre au bord du précipice”, commente le romancier. “Vivre
dans des moments pareils, c’est apprendre à faire la sieste sur le dos de
la tempête.” Si la guerre a longtemps été présente dans son œuvre,
aujourd’hui, il a changé de “stratégie” tout en restant “le même
homme”. “Dans le temps”, le professeur de langue et de littératures
arabes de l’université de Beyrouth écrivait
pour “dire que la guerre était très humaine
car les hommes créent la guerre pour se
convaincre que la mort peut être vaincue,
pour se donner l’illusion qu’ils peuvent vaincre la mort, parce que l’homme a besoin d’illusions, sinon la situation devient intenable”.
Si Rachid El Daïf a donné un tournant au
ton de ses romans, le Liban reste au centre de ses histoires. Sa justification :
“Avant j’écrivais pour dire, maintenant
j’écris pour que ce que je dis soit lu.”
(1) Fais voir tes jambes Leïla, par Rachid El Daïf,
Ed. Actes Sud, septembre 2006.
de Fribourg en mars 2006. Pourquoi parler de l’Egypte et non du
Liban ? “Je me suis éloignée car les
choses au Liban sont très caricaturales, mais les apparences sont aussi
trompeuses.”
Le pari n’était pas gagné d’avance
face aux traditionalistes religieux
égyptiens prompts à réduire à néant
toute forme d’art jugée irrespectueuse. Si elle retourne au Liban
aujourd’hui et qu’elle trouve la force
de continuer à faire parler de son
pays, c’est bien “parce que la blessure
du terrain est tellement forte” qu’elle
en oublie “la sienne”.
Caméra à l’épaule, ce petit bout de femme
à l’esprit si riche a non seulement couvert
la guerre, mais elle a vu sa maison brûler
et son pays se détruire politiquement et
socialement. Face à cela, dit-elle avec beaucoup de recul, “on ne peut être que schizophrène”. Aux “questions à l’autre” que pose
Toufic Farroukh, Jocelyne Saab ajoute que
la culture de cet autre, “on l’ignore, du coup,
on a peur”. En tant que cinéaste, elle “voit
ce que les autres ne veulent pas voir”, mais en
ce qui concerne le Liban, c’est “très difficile
car tout est à nu, les choses sont crues, lorsque
l’on est né là-bas, on garde un attachement
viscéral” et, étrangement, on a un “besoin
d’éloignement”. D’où la nécessité pour Jocelyne de voir du pays.
Le temps a passé, mais elle reste persuadée que “les intellectuels et les artistes peuvent
rapprocher et éclairer pour qu’il n’y ait pas de
vie caricaturale”. Dans son appartement
parisien rempli de souvenirs de son Liban
natal, elle “a le corps malade, donc l’esprit
malade” par les combats qu’elle mène. Récemment, celui de Dunia fut “une guerre
plus violente que la guerre sous les bombes au
Liban”.
A l’évocation du pays, elle repense au moment “où l’on sort de l’avion et qu’on sent
l’air du pays et de l’enfance, l’attachement à
une lumière”. La mère de famille reste pensive, nostalgique, “elle se serait passée de la
guerre”. Elle se dit “rester une incomprise”
par son “exigence”, mais elle a ses “priorités”, “quand on a vécu la guerre, on est prêt à
passer au-dessus de tout”. ■
LE COURRIER DE L’ATLAS 33
éducation
ils ont choisi
les grandes écoles
ÉLITE Ils sont nés à Tunis, Paris, Alger, Casa ou Cergy. Ils se sont battus pour
faire des études dans les plus prestigieuses écoles de la République. Ils y
côtoient la fine fleur française et comptent bien en faire partie… Enquête.
par Yasrine Mouaatarif
p
onts et Chaussées, Centrale, SciencesPo, les Mines, Polytechnique (l’X pour
les intimes)… Des noms qui font rêver, ceux des écoles d’ingénieurs et de commerce françaises les plus prestigieuses, les
plus convoitées, mais aussi les plus difficiles
à intégrer. Et pour cause : la seule admission
dans l’un de ces établissements est déjà un
gage de réussite, et leurs cursus ouvrent une
voie royale vers les postes les plus en vue.
Elitisme ? Non : simple pragmatisme. Car si
leurs diplômes sont synonymes “d’emplois
assurés”, c’est que l’enseignement y est
autrement plus pratique qu’à l’université,
avec une forte ouverture sur l’international
et une implication de plain-pied dans le
monde du travail. Du reste, les entreprises
ne s’y trompent pas : elles sont de tous les
rendez-vous estudiantins et se battent sur les
campus pour monter de véritables opérations séduction auprès des futurs diplômés.
Résultat : 80 % des étudiants sortis d’une
grande école en 2006 sont déjà en poste.
Parmi eux, 82 % sont issus d’écoles de management et 79,1 % d’école d’ingénieurs.
Mais un tel privilège, ça se mérite. A coups
de sacrifices financiers et d’efforts intellectuels. Et dans ce véritable parcours du combattant, les frais d’inscription, les présélections, les entretiens, examens et autres
concours d’entrée ne sont pas les seuls obstacles à surmonter. Surtout lorsque l’on
n’appartient pas – encore – à cette “élite
française”, mais qu’on vient d’un tout autre
milieu, voire d’un tout autre pays.
plus D’ÉtuDiants oRiginaiRes
De casablanca… que Du 9-3
Avec deux mille sept cent douze inscrits
pour l’année 2003-2004, les étudiants marocains représentent la première commu-
34 LE COURRIER DE L’ATLAS
nauté d’étrangers admis dans les grandes
écoles françaises, selon la dernière enquête
menée par la Conférence des grandes écoles.
Quant aux voisins maghrébins, ils sont mille trois cent six à être venus d’Algérie pour
suivre ces cursus prestigieux, contre mille
deux cent soixante-dix-huit pour la Tunisie,
cinquante-sept pour la Mauritanie et tout
juste vingt-quatre pour la Libye. La même
enquête montre par ailleurs que tous ces
jeunes Maghrébins ont un gros faible pour
les grandes écoles d’ingénieurs où en
moyenne 80 % d’entre eux ont choisi de
s’inscrire, toutes nationalités confondues.
trentaine d’étudiants maghrébins, aucun
n’était né ou n’avait grandi en France !”
Même constat pour Yasmine Boumghar,
22 ans, qui a obtenu son bac dans un lycée
algérien avant de venir en France faire une
prépa HEC, puis intégrer l’Ecole supérieure
de commerce de Toulouse. Durant tout son
cursus, Yasmine se souvient avoir croisé de
nombreux camarades maghrébins, mais
pratiquement aucun Franco-Maghrébin. “A
mon arrivée, j’ai été sidérée de voir que
moi, étudiante venue d’Alger, j’étais beaucoup plus au fait des différentes filières
d’accès aux grandes écoles françaises que
des jeunes Maghrébins nés en France.
EN 2003-2004, PLUS DE 5300 ÉTUDIANTS SONT
Pire : moi, l’étudiante
VENUS DU MAGHREB POUR SUIVRE CES CURSUS.
étrangère, je n’ai eu
aucun complexe à viMais attention : cette étude comptabilise
ser ce type d’école, alors qu’eux qui sont
uniquement les titulaires d’un statut d’étufrançais semblaient à peine l’envisager,
diant étranger et n’inclut ni les Français
comme si ce n’était pas fait pour eux…”
d’origine maghrébine, ni les binationaux.
Yasmine est aujourd’hui à la tête du Reage
Pour ces jeunes issus de l’immigration, il
junior, branche estudiantine du Réseau des
reste difficile d’estimer leur nombre, puisAlgériens diplômés des grandes écoles franque les statistiques en France ne permettent
çaises, né il y a près de deux ans. Son but :
pas ce type de distinction.
créer du lien, lancer un pont entre les deux
Pourtant, la grande majorité des étudiants
rives et combler les fossés, tous les fossés.
maghrébins que nous avons interrogés sont
“Nous organisons des conférences-débats pour
formels : ils n’ont côtoyé au cours de leurs
mieux faire connaître le marché algérien qui
études que très peu de Français issus de
souffre de certains préjugés et nous sommes en
l’immigration, comme s’en étonne Mokhtar
train de mettre en place un premier forum pour
Abdallaoui-Maan, jeune Marocain diplômé
l’emploi à l’attention d’entreprises algériennes
ou de multinationales souhaitant s’implanter
de Polythechnique et des Ponts et Chausen Algérie. Mais nous souhaiterions également
sées, fraîchement embauché à la Banque
agir auprès des jeunes issus de l’immigration,
mondiale. “Dans ma promo à l’X, il y avait
faire des présentations des différentes filières
très exactement dix-neuf Marocains, quatorze
prestigieuses qui s’offrent à eux, voire, pourquoi
Tunisiens et deux Algériens, pour seulement
pas, faire du soutien à la préparation des
deux Français d’origine maghrébine. Et à
concours les plus difficiles, histoire de les motil’école des Ponts, ils étaient à peine plus. Mais
ver et de les encourager à persévérer.”
je me souviens qu’en prépa, c’était pire : sur la
NUMÉRO 2 MARS 2007
Yasrine Mouaatarif
Les recrues de Polytechnique,
hommes et femmes, font
partie de l’élite et à ce titre,
paradent au défilé du 14 juillet.
Des obstacles psychologiques
plus que sociaux
Il y a six ans, deux doctorants de SciencesPo, Madani Cheurfa et Vincent Tiberj,
s’étaient intéressés aux liens entre inégalités
sociales et inégalités d’accès aux concours
d’entrée en grandes écoles. Se penchant sur
les profils des admis au concours de leur
propre établissement pour l’année 1998, ils
ont identifié un certain nombre de facteurs
contraignants, voire discriminants, qui tiennent pour certains du véritable conditionnement. Premier facteur déterminant, avant
même de passer un quelconque concours :
la profession des parents. En effet, cette année-là, à Sciences-Po, à l’instar des autres
écoles françaises, les enfants d’employés
étaient six fois moins nombreux qu’à l’université, et les enfants d’ouvriers douze fois
moins nombreux.
Outre le milieu social, cette même étude a
mis en évidence trois obstacles fondamentaux sur lesquels trébuchent les étudiants
issus des classes moyennes, avant même
d’atteindre les portes des grandes écoles :
tout d’abord, une méconnaissance du système éducatif et de ses différentes filières,
puis une certaine prédilection pour les formations de courte durée menant rapidement à un emploi, et enfin un phénomène
dit d’autocensure, sorte de sentiment d’incompétence qui découragerait ces jeunes
NUMÉRO 2 MARS 2007
issus des milieux les moins favorisés…
Rim Alaya est un parfait contre exemple de
cette thèse. Cette étudiante de 22 ans née à
Paris, qui se dit “autant parisienne que sétifienne”, n’a rien de la jeune “beurette” peu
sûre d’elle qui aurait peur du challenge.
Bien au contraire. Des ambitions, elle en a
eu, et elle s’y est accrochée, envers et contre
tout. Après avoir intégré l’Ecole privée des
sciences informatiques du groupe Essec
par admission parallèle, elle prépare actuellement un Master en sciences de gestion
Ismail Talbi, 26 ans
Ensam, HEC
“J’ai eu mon bac avec mention en 1999 dans un lycée
de la banlieue de Tunis. Cette année-là, j’étais parmi les
150 meilleurs bacheliers du pays. Généralement, le gouvernement prend en charge la scolarité des 50 premiers
dans des prépas françaises, et les 100 suivants à l’Ipest,
l’Institut préparatoire aux études scientifiques et techniques, à La Marsa. Mais j’avais déjà obtenu mon admission en prépa au lycée Lakanal, à Sceaux. J’ai donc
opté pour la France. Sur le coup, j’ai failli regretter mon
choix : les années de prépas sont très dures et arriver
tout jeune dans de telles conditions, loin des siens, est
assez éprouvant. Avec le recul, je me dis que cela m’a permis de me forger le caractère.
Après la prépa, j’ai intégré l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers. J’ai choisi cette
école généraliste parce que j’ai toujours visé une double formation d’ingénieur et de commercial. J’ai donc fait quatre ans à l’Ensam et, parallèlement à ma dernière année, j’ai
obtenu un DEA en Aérodynamique à l’université Paris VI. Après quoi j’ai fait un master
Finances à HEC, que je viens de terminer en janvier dernier. Actuellement, je suis en train
de passer mes entretiens. J’ai eu des offres en France ainsi qu’aux Emirats Arabes Unis.
Mais je ne me limite pas géographiquement : Paris, Tunis, Dubaï ou Johannesburg, c’est
le poste qui est déterminant pour moi, pas le pays.” LE COURRIER DE L’ATLAS 35
mention finance, et compte bien enchaîner
avec un MBA. Elle est également vice-présidente du Reage junior. Pourtant, si elle
s’en était tenue à sa conseillère d’orientation du lycée, elle n’en serait sûrement pas
là aujourd’hui. “Conseillère de désorientation !, corrige-t-elle en rigolant. Au lycée, les
conseillers, ainsi que certains professeurs, n’arrêtaient pas de me répéter : ‘Ne tente même pas
l’IUT, tu n’y arriveras pas. Si tu arrives à
t’inscrire en BTS, ça sera déjà pas mal’. En
gros : si on est technicien et qu’on gagne
1 200 euros, à notre niveau, on a réussi notre
vie !” Loin de la décourager, ce discours a
au contraire fini de la motiver. Mais ce qui
inquiète Rim aujourd’hui, c’est de voir que,
des années plus tard, dans ces mêmes lycées, rien n’a changé. “Dernièrement, ma
sœur qui a 17 ans est allée voir une conseillère,
accompagnée de ma mère. C’est une matheuse et elle est passionnée d’ingéniérie automobile. Elle rêve de faire Centrale, Supelec ou les
Mines. Ce à quoi la conseillère lui a répondu
qu’il ne fallait pas y compter, qu’elle n’arriverait jamais à y entrer, ni à se payer les études,
et que de toute manière, ce n’étaient pas des
filières pour les filles !”
tRop cheR pouR toi, mon Fils…
Les études, c’est connu, ça coûte cher, très
cher. Et en grande école, plus qu’ailleurs.
Du moins, c’est l’image qu’on en donne.
Car si une année dans une école publique
d’ingénieur coûte moins de 400 euros, il
faut compter plus de 6 000 euros pour une
école privée, entre 4 500 et 7 500 pour une
école de commerce, entre 12 000 et
36 000 euros pour un MBA (Master of business administration), et le double pour se
payer le luxe de le faire aux Etats-Unis… Des
chiffres qui montent très vite à la tête, et qui
n’incluent pas tous les frais annexes de la
vie d’étudiant, comme le logement, les
transports et le reste… De quoi finir de décourager les derniers motivés.
La situation est pourtant loin d’être désespérée. Car le système même de ce type
d’établissements offre bien souvent plus de
solutions que de contraintes, comme nous
l’explique Lina Hadj Hamou, 21 ans, qui a
hicham belmaachi,
26 ans
Euromed Marseille
(ex-Sup de Co Marseille)
“J’ai eu mon bac en 1999, au lycée français de Casablanca. Ma sœur avait fait
la prépa HEC de Rabat, mais j’ai préféré venir directement en France. Après
les classes préparatoires, j’ai intégré
Euromed Marseille (ex-Sup de Co Marseille) en 2002 où j’ai tout de suite pris
la tête de la Junior Entreprise. Ce fut
une expérience très enrichissante, on
gérait un volume d’affaires de
300 000 euros par an et on a même
remporté le Prix d’Excellence en 2004. Durant mon mandat, j’ai notamment initié la
création d’autres JE dans tout le bassin méditerranéen, au Maroc, en Algérie, en Tunisie,
en Espagne, au Portugal et en Turquie. Après quoi, je suis parti en échange universitaire
à la Hong-Kong Polytechnic University, pour une durée initiale de six mois. J’ai commencé par chercher un stage pour financer mon séjour là-bas et, au bout de quelques mois,
on m’a proposé un poste en CDI à la CMA CGM, 3e leader mondial du transport maritime.
C’est un poste passionnant, dans une entreprise en pleine croissance, avec des perspectives
d’évolution très intéressantes. J’ai toujours considéré qu’il ne fallait pas être esclave de ses
diplômes et surtout ne pas hésiter à saisir les opportunités là où elles se présentent. Le
Maroc de demain n’a pas besoin que de compétences en banque ou en marketing ; il faut
également penser aux métiers de la logistique et du transport. J’encourage vivement les
étudiants à se diversifier et à être attentifs à la montée en puissance de la Chine et de l’Asie,
quitte à venir ici tenter de nouvelles expériences.”
36 LE COURRIER DE L’ATLAS
intégré HEC après avoir fait sa prépa à Rabat, et qui est également à la tête de l’AMGECaravane, l’Association des Marocains en
grandes écoles. “Pour les étudiants étrangers
comme pour les étudiants français, il y a différentes façons de financer ses études. Quand on
vient du Maroc par exemple, certaines bourses
de coopération prennent entièrement en charge
la scolarité d’étudiants ingénieurs à condition
qu’ils soient inscrits dans les meilleures écoles et
leur versent en plus 600 euros par mois. Le gouvernement marocain délivre également des
bourses aux étudiants d’une cinquantaine de
prépas d’environ 400 euros par mois, à condition qu’ils reviennent au Maroc une fois diplômés. Mais les grandes écoles françaises ont
souvent elles-mêmes leur propre système de
bourse, qui peut aller jusqu’à la gratuité totale
de la scolarité. En réalité, une fois qu’une école
a sélectionné un candidat, elle fait généralement tout pour qu’il puisse poursuivre ses études en toute quiétude, sans s’embarrasser de
contraintes matérielles. En résumé : une fois
qu’on est admis, il y a toujours moyen de s’en
sortir, il suffit juste de bien se renseigner.” Les
“grandes études” ne seraient donc plus
l’apanage de quelques bourgeoisies, qu’elles
soient parisienne, tunisoise, rabatie ou algéroise ? Tendraient-elles réellement à se démocratiser ? C’est effectivement dans l’air
du temps. Preuve en est : les écoles de renom qui ouvrent une à une leurs portes aux
élèves issus des ZEP, les fameuses zones
d’éducation prioritaire. A l’origine de ce
mouvement initié il y a près de six ans :
l’Institut d’études politiques, plus connu
sous le nom de Sciences Po, et son directeur
Richard Descoings. Depuis, de nombreuses
écoles lui ont emboîté le pas. Mais certaines
critiques ont également dénoncé un diplôme jugé de seconde catégorie. Ce que Lewnis Boudaoui, 21 ans, “Promo ZEP 2007” à
Sciences-Po, dément formellement. Après
avoir obtenu son bac avec mention dans un
lycée de Mantes-la-Jolie, Lewnis a d’abord
fait une prépa HEC au lycée Louis-le-Grand
avant de rejoindre la rue Saint-Guillaume
où il prépare actuellement un Master en
finances. “Tous les étudiants boursiers issus
des ZEP, qui sont pour la plupart d’origine
maghrébine, disposent d’une bourse de mérite
de 6 000 euros par an, ce qui, à mon sens, est
largement suffisant. Nous sommes vraiment
très bien encadrés, et l’école fait tout pour nous
émanciper de nos éventuelles contraintes.
Quant à ‘l’étiquette ZEP’, personnellement, je
ne l’ai jamais ressentie !”
A ceux qui n’ont ni bourse sociale, ni bour-
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
éducation
Yasrine Mouaatarif
éducation
se de mérite, ni parents fortunés, ni garant
pour un prêt en France, il reste encore le
travail, l’ingéniosité et une pointe d’audace.
C’est la voie qu’a choisie Hicham Belmaachi, 26 ans, qui a pris l’option système D pour financer ses études. Après un
bac S au lycée français de Casablanca, Hicham a choisi de faire sa prépa à Nantes,
avant d’intégrer Euromed Marseille (exSup de Co Marseille) où il a pris la tête de
la JE, la Junior entreprise de l’école. Très
vite, sa petite entreprise remporte marché
sur marché et, en 2004, il se voit même
décerner le Prix d’excellence parmi les cent
vingt JE de France. Ce qui lui vaudra la gratitude de son école, qui décide de le récompenser en lui accordant quelques délais de
paiement pour ses frais d’inscription, à titre très exceptionnel. “J’ai eu beaucoup de
chance car sans mon travail dans la JE, je ne
sais pas comment j’aurai pu m’en sortir. Mais
j’ai toujours fonctionné au culot, et ça m’a
plutôt réussi. C’est aussi au culot que je suis
parti en échange universitaire à Hong-Kong
alors que je n’en avais absolument pas les
moyens. Aujourd’hui, le stage que j’avais entrepris pour financer mes études s’est transformé en CDI, et je viens d’être embauché à
Hong-Kong par la CMA CGM, troisième leader mondial du transport maritime.”
Inabordables, impénétrables, élitistes… Les
grandes écoles traînent souvent une image
qu’elles n’ont pas méritée. Comme celle de
“cours de récré pour fils à papa”, ce qui,
sans être complètement injustifié, s’avère
bien souvent erroné. “Il peut exister une certaine forme de snobisme, voire de mépris,
confie Madjid Harkat, en dernière année à
l’ESC Le Havre, mais paradoxalement, ce
n’est pas de la part des étudiants les plus aisés,
qui s’avèrent être bien plus ouverts qu’on ne
pourrait l’imaginer.” Une autre étudiante
garde quant à elle un souvenir amer de son
passage en classes préparatoires : “J’étais la
toute première Algérienne à faire cette prépa et,
du coup, j’ai dû effacer certaines remarques
désobligeantes de professeurs qui relevaient la
moindre faute d’orthographe et qui me
conseillaient vivement de passer les concours
d’IUT, sachant que ça grillerait toutes mes
chances d’intégrer une grande école. Par chance, j’étais soutenue par une professeure, amoureuse de l’Algérie, qui me mettait en garde.
Mais je pense que ce sont les années de prépa
qui sont les plus difficiles, car en école, c’est
beaucoup plus hétéroclite et les étudiants sont
généralement de nature curieuse et ouverte,
apparemment bien plus qu’à l’université.”
NUMÉRO 2 MARS 2007
nesRine aÏcha ghaRbi,
21 ans
Ecole polytechnique
“J’ai grandi à Bab-El-Oued, le quartier le plus
populaire d’Alger. J’ai étudié dans un lycée
où tout le cursus est en arabe, avant d’entrer
à l’Ecole nationale préparatoire aux études
d’ingénieur d’Alger, une école militaire qui
existe depuis environ cinq ans et qui prépare
aux concours d’entrée des grandes écoles.
J’ai eu la chance d’être bien orientée parce
que mon père connaît le système des grandes écoles françaises, mais ce n’est pas le cas
de la plupart des étudiants algériens qui
n’ont pas accès aux bonnes orientations. Au
bout de trois ans, j’ai tenté une première inscription en France. On m’a alors convoquée
pour les concours de l’ULM, mais je n’ai pas eu mon visa. Cela a fait scandale et l’école a
même reporté exceptionnellement les dates d’examens pour moi, sans succès. J’ai donc
intégré l’Ecole nationale polytechnique d’Alger, mais j’avoue que l’X me faisait toujours
rêver. Déjà toute petite, je me voyais défiler en uniforme. J’ai donc tenté ma chance, sans
trop y croire. J’ai envoyé des demandes de renseignements et, à ma grande surprise, on
m’a tout de suite répondu en m’expliquant toutes les modalités. En novembre 2005, j’ai
reçu ma convocation aux examens de décembre. Quelques jours plus tard – je me souviens
que c’était le lendemain de l’Aïd –, j’ai découvert mon nom parmi la liste des reçus. A mon
arrivée, le Reage m’a aidée dans mes démarches administratives et je leur en suis reconnaissante. Depuis avril 2006, j’ai la chance de faire partie de l’X, bénéficiant même d’une
bourse grâce à la fondation de l’école.”
les gRanDs RenDeZ-Vous
22e Forum Rhône-alpes,
les 7 et 8 mars à lyon
Le premier salon de recrutement des
élèves ingénieurs en France et son
Carrefour maghrébin ouvert aux élèves
d’écoles d’ingénieurs et de commerce.
43, bd du 11 novembre 1918, Villeurbanne
www.forum-rhone-alpes.com
11e Forum horizons maroc,
le 10 mars à l’escp-eap paris
Le Forum de l’Association des Marocains
aux grandes écoles, l’AMGE-Caravane
invite chaque année une trentaine
d’entreprises marocaines à rencontrer les
étudiants et jeunes diplômés marocains.
ESCP-EAP - 79, av. de la République,
Paris 11e
www.amge-caravane.com
Journée création d’entreprise
au maroc, 24 mars à l’escp-eap
paris
Organisée par l’association Maroc
entrepreneurs, cette journée de
conférences clôture la mission
d’accompagnement de l’association
auprès des porteurs de projets.
www.marocentrepreneurs.com
premier Forum du Reage,
le 26 mai à l’escp-eap paris
Le Reage junior, branche estudiantine du
Réseau des Algériens diplômés des
grandes écoles françaises, organise son
tout premier forum pour l’emploi en
Algérie : une trentaine d’entreprises sont
attendues, algériennes et
internationales.
www.reage.org
16e Forum de l’atuge
au mois de juin à paris et à tunis
L’Association des Tunisiens des grandes
écoles (Atuge) organise cette année
encore une édition parisienne de son
célèbre forum tunisien qui existe depuis
quinze ans. Vingt-cinq entreprises
tunisiennes avaient fait le voyage à Paris
l’année dernière, et près de 500 visiteurs
s’étaient déplacés pour l’occasion.
www.atuge.org
LE COURRIER DE L’ATLAS 37
éducation
maDJiD haRKat, 27 ans
ESC Le Havre - Ecole de management
de Normandie
leÏla benali, 29 ans
“Je suis né en Algérie. En 1990, après les événements, mes parents ont dû quitter le pays.
J’ai donc grandi en France. J’ai eu mon bac
Sciences économique et sociale dans un lycée
de Chartres. C’est après un BTS en Action
commerciale que j’ai intégré L’Ecole supérieure de commerce du Havre, aujourd’hui
l’Ecole de management de Normandie, par
des admissions parallèles qui ont été très sélectives. Nous étions en effet près de
7 000 candidats pour seulement 90 reçus.
Actuellement, je suis en master HEC Entrepreneur, un diplôme de commerce et de gestion ouvert vers l’entreprenariat. J’ai eu beaucoup de chance car je viens de trouver mon
premier emploi, avant même d’être diplômé, qui plus est dans ma ville natale, Alger. En
effet, lors des nombreuses rencontres avec des chefs d’entreprise qu’organise l’école, j’ai
fait la connaissance d’un opérateur, qui m’a proposé un poste dans sa filiale algérienne.
Mon profil et ma double culture ont joué en ma faveur, et je me suis vu proposer un poste
de directeur de la filiale à Alger. Je m’apprête donc à partir dans quelques semaines en VIE
(Volontariat international en entreprise) pour une durée d’au moins dix-huit mois.”
“Au lycée, à Casablanca, j’avais déjà une
idée précise de ce que je voulais faire. Il
faut dire que mon père et mon frère sont
ingénieurs. Je devais être admise au lycée
français, mais mon père s’y est opposé, estimant que le système marocain était plus
formateur en matière de sciences et de mathématiques. Avec le recul, je suis plutôt
d’accord avec lui. Quoi qu’il en soit, j’ai
donc fait mes classes prépa au lycée Mohammed V de Casa, avant de rejoindre
l’école Mohammedia d’ingénieurs où j’ai
obtenu un diplôme en Génie industriel.
Après quoi, j’ai beaucoup hésité entre
poursuivre mes études au Japon – un pays
qui me fascine – ou aux Etats-Unis… et j’ai
finalement intégré Centrale, à Paris. Je
pensais que mon passage en France ne serait qu’un tremplin, mais les circonstances
en ont voulu autrement. J’ai découvert à
Sciences-Po un DEA en Analyse comparative des aires politiques qui correspondait
à mes aspirations, et m’y suis inscrite.
Grâce à une simple erreur administrative,
je me suis retrouvée dans le programme
“Monde musulman” alors que je m’étais
inscrite dans celui de la zone “Asie”.
Aujourd’hui, je boucle mon doctorat en
Economie de l’énergie, tout en travaillant
au Cambridge Energy Research Associates,
où je conseille des gouvernements et des
compagnies en matière de stratégie et de
politique énergétique.”
38 LE COURRIER DE L’ATLAS
sonia abDelJaouaD,
24 ans
ESC Tunis, IAE Lille, HEC Paris
“J’ai passé toute mon enfance entre la Bulgarie – où je suis née – le Qatar et la Tunisie. J’ai fini ma scolarité dans un lycée tunisien, où j’ai obtenu mon bac Math avec
mention. Contrairement à la majorité de
mes camarades, je n’ai pas choisi la voie
prépa. J’aspirais à des études moins stres-
santes. Ayant un goût prononcé pour le
monde de l’entreprise, je me suis orientée
vers des études commerciales en intégrant
tout d’abord l’Ecole supérieure de commerce de Tunis, où j’ai obtenu une maîtrise en
Finance avec mention « Très bien » et les
félicitations du jury. Après quoi s’est posée
la question des grandes écoles. J’en avais
entendu parler, je savais que c’était le cursus le plus prestigieux, mais j’étais tentée
par un Master. Etant bulgaro-franco-tunisienne, il manquait à mes origines quelques
connexions asiatiques… Je me suis donc
inscrite à un Master en gestion affaires internationales option Asie à l’Institut d’administration des entreprises de Lille, puis
j’ai tenté les concours des grandes écoles.
Pour moi, c’était HEC ou rien. J’ai eu la
chance d’être reçue en deuxième année,
avec une équivalence. Je me suis orientée
vers les métiers du conseil et je cherche actuellement un poste pour mon année de
césure. A plus long terme, je me vois bien
rentrer travailler en Tunisie, car on a beau
apprécier beaucoup de choses dans les pays
qui nous accueillent pour nos études, on est
toujours attaché à nos racines. La Tunisie
reste le pays qui m’a le plus donné et il sera
temps, à un moment ou à un autre, que je
lui rende la pareille.” ■
NUMÉRO 2 MARS 2007
Yasrine Mouaatarif
Centrale, Sciences-Po
DM, LE MAGAZINE DÉCO
DES AMOUREUX DU MAROC
politique
Les partis arriveront-ils à se mettre d’accord
sur une date ? En attendant… le temps passe.
politique
Elections,
sprint final au Maroc
LÉGISLATIVES Hormis le PJD, les partis n’ont pas formulé d’objection
sur le découpage électoral. Mais sur les dates, ça discute ferme.
par Houda Filali-Ansary
AP/SIPA
S
amedi 3 février, le ministère de l’Intérieur organisait une série de rencontres avec les partis politiques en
vue de leur présenter ses propositions
concernant la révision extraordinaire des
listes électorales et le découpage électoral.
L’on apprend ainsi que le ministère prévoit
d’organiser l’ouverture extraordinaire des
listes, votée par le Parlement en décembre
dernier, pour la période du 5 mars au 3 avril
prochain, leur arrêt définitif ayant été fixé
au 23 avril 2007.
Quant aux quatre-vingt-douze circonscriptions du pays, elles ne devraient pas connaître de modifications notables, sauf dans
quelques grandes villes comme Casablanca,
Rabat, Salé, Marrakech, Fès, Meknès ou
Tétouan. Principal changement : la capitale
économique (Mohammedia non comprise)
devrait être divisée en dix circonscriptions
contre sept en 2002, les communes de Hay
Hassani-Aïn Chock, Ben M’sick-Mediouna
et Moulay Rachid-Sidi Othmane ayant été
divisées en deux. A Fès, les anciennes circonscriptions de Fès Médina (trois sièges),
Fès Jdid Dar Dbibagh (trois sièges) et Zouagha Moulay Yacoub (quatre sièges) ont été
remplacées par Fès Nord (quatre sièges),
Fès Sud (quatre sièges) et une circonscription comprenant le seul Moulay Yacoub
(trois sièges).
Si les partis n’ont globalement formulé
aucune objection par rapport au découpage,
le PJD (Parti de la justice et du développement, islamiste) a manifesté son désaccord
et y voit une manœuvre à son encontre.
“Casablanca a été charcutée, il n’y a plus aucune circonscription de cinq sièges. Seule Anfa en
comprend quatre, mais ailleurs, il n’y a que
deux ou trois sièges à la fois. Autrement dit, il
est impossible de remporter deux sièges par circonscription. Même chose à Tanger qui a été
NUMÉRO 2 MARS 2007
découpée de manière à ce que le PJD obtienne,
dans le meilleur des cas, deux sièges au lieu de
trois. Idem à Fès”, proteste Lahcen Daoudi
du PJD, qui aurait préféré avoir affaire à des
circonscriptions plus larges et qui considère
que les changements opérés au niveau de
Moulay Yacoub à Fès et de Anjra à Tanger
reviennent à mêler zones urbaines et rurales. La réaction du parti islamiste n’a rien
d’étonnant : si les accusations de mêler zones urbaines et rurales reviennent souvent
en période électorale, il ne faut pas oublier
que le PJD est directement concerné par ces
changements dans la mesure où son territoire de prédilection se situe justement dans
les grandes villes du pays. Par ailleurs, la
réduction dans certains endroits du nombre
de sièges par circonscription limite l’effet du
scrutin de liste, dans la mesure où il devient
plus difficile pour les candidats ne figurant
pas en tête de liste d’obtenir un siège, réduisant du coup les chances d’un parti de rafler
l’ensemble des sièges en jeu.
RENTRÉE SCOLAIRE, RAMADAN,
RÉCOLTES, CONGÉS…
AUTANT DE CONTRAINTES
De toute façon, l’affaire est quasiment
pliée… par manque de temps. Après que le
Parlement a avalisé sa part de textes de loi,
le ministère de l’Intérieur est sous pression.
Il doit publier à son tour les dernières données concernant les élections, permettant
aux partis de se lancer dans leurs préparatifs. Toutefois, il reste un hic, et de taille : la
date des élections. En effet, si le ministère
de l’Intérieur a jusque-là proposé deux dates, le 6 juillet et le 7 septembre, laissant
aux partis le soin de faire le choix, ceux-ci
sont loin d’être unanimes sur le sujet, chacun prenant une option selon la nature de
son électorat. L’USFP (Union socialiste des
forces populaires) et le PPS (Parti du progrès et du socialisme) font déjà état d’une
préférence pour le mois de juillet. En effet,
tenir “les élections en septembre coïncide avec
le Ramadan et la rentrée scolaire”, deux périodes où le citoyen a autre chose en tête que
les élections, explique Ismaïl Alaoui, secrétaire général du PPS.
Toutefois, si le choix du 6 juillet a aussi
pour avantage de permettre à l’USFP et au
PPS de mobiliser professeurs et étudiants,
la période n’arrangerait pas leurs alliés au
gouvernement, notamment le Mouvement
populaire et le RNI (Rassemblement national des indépendants), aux fortes assises
rurales, puisque les élections coïncideraient
avec les récoltes. Autre problème plutôt gênant : “En juillet, le Parlement sera ouvert. Si
nous organisons les élections, les députés devront-ils être au Parlement ou sur le terrain ?”,
s’interroge Lahcen Daoudi.
En revanche, en cas d’élections en septembre, l’électorat rural serait plus disponible.
Ali Belhaj, secrétaire général de l’Alliance
des libertés, partisan d’une tenue des élections en juillet, souligne aussi les difficultés
d’une campagne en plein mois d’août, période des congés. D’autres partis, enfin, rejettent les deux options : “Les deux dates ne
conviennent pas, parce que le 1er juillet c’est le
début des vacances, et septembre, c’est juste
après. Par la suite, il faudra penser au mois
d’avril ou de mai”, indique Mohamed Moujahid, secrétaire général du PSU (Parti socialiste unifié), qui montre tout de même
une préférence pour le mois de septembre… Les partis finiront-ils par se mettre
d’accord à temps ? Le ministère de l’Intérieur se retrouvera-t-il obligé de les départager ? En attendant, le temps passe.
© La vie économique.
LE COURRIER DE L’ATLAS 41
dossier
La question de
l’égalité des droits
est un enjeu de
démocratie
essentiel. Pourtant,
les blocages
idéologiques
restent puissants.
dossier
MAGHRÉBINES,
L’INCESSANTE
QUÊTE D’ÉMANCIPATION
FEMMES Meilleur accès des filles à l’éducation, arrivée massive sur le marché
du travail, recul de l’âge du mariage, régression de la polygamie, baisse du
taux de fécondité, plus grande diffusion des moyens de contraception...
Des avancées importantes qui ont changé la vie des Maghrébines. Du Maroc
à la Tunisie, en passant par l’Algérie, cette amélioration s’est souvent
accompagnée d’une évolution de leur statut juridique. Mais il reste beaucoup
à faire, notamment pour faire évoluer les mentalités..
par Yasmine Ouazzani
Corbis
D
ans le royaume chérifien, la Marocaine est, du moins dans les textes,
de plus en plus l’égale de l’homme
depuis l’entrée en vigueur d’un nouveau
Code de la famille en février 2004. La nouvelle moudawana n’interdit certes pas la
polygamie, mais exige du mari souhaitant
prendre une seconde épouse (ou plus) de
fournir “un argument objectif exceptionnel” et
d’obtenir l’autorisation préalable d’un juge.
Idem pour la répudiation qui n’est pas abolie, mais qui est restreinte au profit du divorce judiciaire. Plus récemment, depuis
janvier dernier, la Marocaine peut s’enorgueillir d’un nouveau droit : celui de transmettre sa nationalité à ses enfants quand
son époux n’est pas marocain.
En Algérie, la “réformette” mise en œuvre
en 2005 n’est certes pas satisfaisante. Les
militantes qualifient ces novations de “brèches à l’intérieur du carcan du modèle patriarcal”. Mentionnons tout de même ces innovations : suppression du devoir d’obéissance
de l’épouse, transmission par la mère de sa
nationalité à son enfant et de l’épouse à son
conjoint, invalidation du mariage forcé par
l’obligation du consentement des deux parties. Si l’émancipation des femmes algé-
NUMÉRO 2 MARS 2007
riennes se heurte à l’opposition des islamistes, celles-ci doivent aussi vaincre les
réticences “du pouvoir dont les vues sur la
question convergent”, estime la militante Feriel Lalami. Néanmoins, gardons l’espoir
que le dynamisme et la mobilisation des
Algériennes puissent induire un réel changement. Et l’exemple du Maroc, qui a
d’abord connu plusieurs tentatives d’amendements avortées – suivies d’une pseudo
réforme concoctée en 1993 par une commission royale exclusivement masculine –,
est là pour rappeler que le chemin vers
l’émancipation est souvent semé d’embûches. Sauf à avoir à la tête de l’Etat un dirigeant de la trempe de Bourguiba et à être
dans les années cinquante... Epoque bénie
qui visiblement était bien plus propice aux
réformes audacieuses que la nôtre, à en
croire les dispositions du Code du statut
personnel édicté en Tunisie en 1956 et qui,
aujourd’hui encore, et malgré le récent lifting qu’a subi la moudawana marocaine,
reste le plus enviable de tout le monde arabe. Mieux encore, les Tunisiennes bénéficient depuis de nombreuses années de
droits, celui d’avorter par exemple, dont
certaines de leurs homologues européennes
ne jouissent toujours pas. Bien que révolutionnaire pour son temps, le Code de la famille tunisien n’en est pas parfait pour
autant. Aujourd’hui, la principale revendication des associations tunisiennes porte
sur une “égalité sans restriction”, notamment
en matière d’héritage.
Même si l’arsenal juridique est de plus en
plus favorable aux femmes, les militantes
restent vigilantes : l’existence des lois ne
garantit pas toujours leur application car les
mentalités, les traditions, les procédures
administratives bien ancrées ne s’amendent
pas du jour au lendemain. Les réformes,
récentes ou pas, restent donc à consolider.
Les entretiens réalisés auprès de trois femmes maghrébines, la sociologue marocaine
Soumaya Naâmane Guessous, la politologue algérienne Feriel Lalami et la journaliste et porte-parole du Conseil national
pour les libertés en Tunisie Sihem
Bensedrine, révèlent que si les Maghrébines ont des revendications spécifiques, elles
se heurtent aussi à des problématiques
communes à la gent féminine du monde
entier : la violence conjugale, le harcèlement
sexuel et un épais plafond de verre quand il
s’agit d’accéder à des postes de décision.
LE COURRIER DE L’ATLAS 43
dossier
ALGÉRIE
FERIEL LALAMI :
militante féministe, politologue
et journaliste
“Nous voulons un statut
autonome pour
les femmes immigrées”
Le Courrier de l’Atlas : Quelles sont les revendications actuelles des Algériennes ?
Feriel Lalami : Les revendications sont de
plusieurs ordres. Sur le plan juridique, nous
demandons l’abrogation du Code de la famille dont la timide révision en février 2005
a laissé entier le problème. Nous voulons la
suppression du tuteur matrimonial (wali),
mais aussi l’interdiction de la polygamie, un
divorce plus équitable, la légalisation de
l’adoption et enfin l’égalité devant l’héritage.
Nos revendications sont également économiques, d’autant que de plus en plus de
femmes assument seules ou avec leur
conjoint l’entretien de leur famille. Malgré
un niveau d’éducation de plus en plus élevé,
elles subissent le chômage plus que les
hommes. Leur accès à l’emploi stable est
difficile et elles se tournent vers l’emploi
informel qui leur offre peu de garanties.
D’autre part, nous nous battons contre les
violences. L’affaire des femmes violées
d’Hassi Messaoud en 2001 a porté au-devant de la scène les actions revendicatives
des associations contre les violences faites
aux femmes, notamment les agressions
domestiques qui restent de l’ordre du tabou. Cela dit, de plus en plus d’enquêtes et
de statistiques sont rendues publiques et
montrent que la maltraitance subie par les
femmes, notamment celle exercée par les
proches, est fréquente. La nouveauté réside
dans le constat et la dénonciation de ces
violences. Reste à mettre en place un dispositif juridique de sanctions des agresseurs
et de protection des victimes.
Entre elles, les femmes maghrébines ont de tout temps laissé s’exprimer leurs corps censuré.
Quels sont vos moyens d’action pour concrétiser ces revendications ?
Nous travaillons en réseau (Apel, Asfad,
ATF, Pluri-elles Algérie et Rajire) et notre
activité essentielle est l’information. Nous
organisons des débats autour de films ou
d’invitées, des séminaires comme récemment sur l’histoire croisée des luttes de
femmes maghrébines pour leurs droits. Par
ailleurs, chaque association gère dans son
domaine des dossiers liés à la situation de
dépendance juridique des Algériennes.
Pour vous donner un exemple récent, à
Apel (Association pour l’égalité devant la
loi), nous avons suivi le cas d’une femme
résidant régulièrement en France et que
son mari a emmenée en Algérie, où il l’a
privée de son passeport et de son titre de
séjour pour l’empêcher de revenir en France. Il lançait en même temps une procédure de divorce expéditif en Algérie. Il a
fallu plus d’un mois et demi de démarches,
d’appels et de courriers pour que le consulat de France, qui exigeait d’elle le titre de
séjour de son mari, lui délivre finalement
un document administratif lui permettant
le retour. Voilà un autre axe de nos revendications : nous voulons un statut autonome
pour les femmes immigrées et non pas dépendant de celui de leur conjoint.
En regard du contexte actuel, peut-on espérer mieux que la “réformette” de
février 2005 ?
Cette réforme en “trompe l’œil” est bien
sûr loin de satisfaire les aspirations des Algériennes à l’égalité et à plus de liberté. Elle
est aussi en deçà de la réalité sociale en Algérie où les femmes essaient d’élargir leur
champ d’intervention publique, de gagner
plus d’autonomie grâce à des études plus
poussées, à une augmentation du taux d’activité qui peut leur donner des moyens propres de subsistance et à une fécondité maîtrisée. Mais ce que l’on constate, c’est que
les gouvernants ne suivent pas ce mouvement de fond de la société. Je ne suis pourtant pas vraiment pessimiste parce que les
Algériennes font preuve d’une vraie vitalité,
mais je pense que toutes les conditions sont
réunies pour avancer... à l’exception des
conditions politiques.
“Les femmes ont besoin d’une situation financière stable, ce qui implique que l’Etat
leur garantisse l’accès à l’éducation, à une formation professionnelle et à une infrastructure
adéquate afin d’alléger le travail domestique qui bouffe une partie importante
de leur journée.” Zineb, 60 ans, sociologue
44 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
S. Rasmussen/Sipa -
PAROLES DE FEMMES
Partant du principe qu’il fallait être “réaliste et exiger l’impossible”, nous avons demandé à des femmes vivant
en France et au Maghreb ce qu’elles changeraient, si elles le pouvaient, dans leur vie de femmes.
dossier
TUNISIE
SIHEM BENSEDRINE : journaliste, porte-parole
du Conseil national pour les libertés en Tunisie
“La revendication principale reste le droit
à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière.”
La Tunisienne passe pour la mieux lotie de
ses consœurs maghrébines vu ses droits et
son statut…
C’est une évidence. Le Code du statut personnel (CSP) est le premier code édicté par
la Tunisie indépendante en 1956, avant
même la promulgation de la Constitution.
Il établit le principe d’égalité entre l’homme
et la femme en en faisant deux citoyens
égaux devant la loi. Ce code a fixé l’âge minimum pour le mariage et institué le principe du consentement au mariage pour les
deux époux comme principe de sa validité,
interdisant ainsi toute forme de tutelle sur
la jeune fille qui prévalait auparavant.
La grande nouveauté de ce texte a été l’interdiction de la polygamie et de la répudiation,
et l’abolition de la contrainte matrimoniale.
Ce code légalise également l’adoption, fait
exceptionnel dans le monde musulman...
D’autres avancées significatives ont accompagné cette volonté égalitaire. Dès 1956, les
femmes acquièrent le droit de vote. En
1973, l’avortement est dépénalisé pour toutes les Tunisiennes et le droit des femmes
au travail est institué. De même, les parents
se voient obligés de scolariser leurs filles. Le
CSP a cependant conservé certains aspects
droits des femmes a constitué pour le régime actuel une sorte de faire-valoir démocratique. Le pouvoir a développé un féminisme d’Etat qui tend à devenir un
monopole, déniant aux composantes de la
société civile indépendante le droit à promouvoir la non-discrimination à l’égard des
femmes, en confisquant les libertés d’expression et de réunion notamment.
inégalitaires dont il a été expurgé au fil du
temps sans jamais les éliminer totalement.
En 1993, l’obligation d’obéissance au mari
est abrogée. Depuis 1998, la femme a le
droit de transmettre à ses enfants son patronyme même si elle est mariée à un étranger et sous réserve du consentement du
père. La tutelle parentale est instituée, ainsi
que la gestion parentale des affaires de la
famille.
Quels sont les freins et obstacles empêchant
ces revendications d’aboutir ?
Essentiellement l’absence de libertés qui se
conjugue avec une régression des mentalités favorisée par le manque de débats qui
fait la place grande à l’influence des courants rétrogrades qui se développent dans
un climat répressif.
Quelles sont aujourd’hui les principales revendications des femmes tunisiennes ?
L’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates), dont je suis membre,
appelle à la levée des réserves formulées par
la Tunisie à la Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes. Elle lutte pour l’application sans réserve de cette convention,
notamment les dispositions relatives au
droit de succession qui restent inégalitaires.
Cette revendication est portée par la majeure partie du mouvement des droits de
l’homme. Mais notre revendication principale reste le droit à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière pour la femme. Cette
dernière est, au même titre que l’homme,
privée de sa citoyenneté. La question des
En Tunisie, scolarité obligatoire et droit au
travail pour les femmes depuis 1973.
DR
PAROLES DE FEMMES
“Je ne voudrais rien changer à notre nature de femme et je suis en
particulier très fière des maternités que j’ai portées et de la rencontre
avec ces petits êtres qui ne constituent nullement un ‘obstacle à la
vocation humaine’ comme l’aurait dit Simone de Beauvoir, mais bien
l’essence de notre vocation humaine. Mais si je voulais que quelque chose
change, c’est bien l’implication des femmes dans… la constitution de deux
groupes distincts lors de nos réunions mondaines où les hommes
refont les matchs de foot et le monde, et les femmes parlent chiffons.
Ça m’exaspère. J’abandonne aux hommes les matchs de foot, mais quand il s’agit de refaire
le monde, je voudrais que les femmes participent, qu’elles expriment leur point de vue,
qu’elles prennent position. Pour y arriver, il ne faut pas que la femme ait passé sa journée
au supermarché et dans sa cuisine, mais à la direction de son usine et de réunions syndicales
ou politiques. La question de la Femme ne doit plus être un combat de femmes, mais un
combat de société pour faire évoluer notre communauté.” Saloua, 43 ans, chef d’entreprise
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 45
dossier
MAROC
SOUMAYA NAÂMANE
GUESSOUS : sociologue
et professeure d’université
“Le quota est incontournable
dans une société où nous
n’accordons pas encore assez
d’importance à la présence
des femmes.”
Le Courrier de l’Atlas : Quelles sont les revendications actuelles des femmes ?
Soumaya Naâmane Guessous : Je voudrais
d’abord parler des préoccupations avant de
passer aux revendications. Elles concernent
l’application effective des récentes réformes
du statut personnel. Nous sommes confrontées à de grands problèmes de procédure et
de non-reconnaissance, parfois même au
niveau des jugements de l’esprit de la réforme de la moudawana. Le nouveau code
existe, mais il n’est pas encore appliqué totalement parce que sa mise en œuvre se
heurte à des rigidités. Or, il ne suffit pas de
légiférer pour changer les mentalités. De
plus, certaines procédures ne sont pas encore mises à jour ou unifiées au niveau de
l’ensemble du royaume. Le divorce, le partage des biens, la reconnaissance de la paternité posent encore problème. La société
civile reste aussi mobilisée pour lutter
contre la violence à l’égard de la femme, la
discrimination dans le milieu du travail,
mais aussi le travail des petites filles. Ceci
étant, à la veille des élections, émergent des
revendications visant à encourager et promouvoir une meilleure représentation des
femmes dans les postes de pouvoir. Nous
sommes à moins de 1 % tant pour les assemblées communales que législatives. Actuellement, tous les efforts sont mobilisés sur ce
chantier. Il s’agit de sensibiliser la population, mais de voir aussi ce que l’Etat peut
faire pour favoriser la présence féminine.
Seriez-vous pour l’instauration de quotas ?
Le quota n’est pas démocratique, mais il est
incontournable dans une société où nous
n’accordons pas assez d’importance à la présence des femmes dans la vie publique.
Les perspectives vous semblent-elles plutôt
favorables pour les femmes ?
Je suis optimiste malgré le contexte islamiste. Notre population est en train de s’instruire, de se former. Les femmes elles-mêmes sont très exigeantes : même lorsqu’elles
méconnaissent les lois et leurs droits, elles
s’opposent à l’oppression qu’elles subissent.
Elles ne considèrent plus cela comme faisant partie de traditions sacrées. Plus elles
sont jeunes, plus elles sont révoltées, plus
elles ont envie d’obtenir leurs droits, y compris celles qui ont des idées islamistes.
Même les filles voilées qui sont dans le fondamentalisme cherchent l’équité, l’égalité
au niveau des droits ainsi que le partage des
rôles dans les foyers. Une islamiste remet
en question le machisme et l’attitude d’un
mari qui va chercher à l’esclavagiser. Pour
autant, je ne parlerais pas d’émergence d’un
féminisme islamiste, mais plutôt d’une
prise de conscience collective du rôle de la
femme qui sait à présent qu’elle occupe une
place prépondérante dans la société. Elle
n’est plus cette femme qui va endurer en
silence. Aujourd’hui, la Marocaine défend
ses droits au quotidien sans forcément être
liée à une structure associative ou à un parti politique.
Parallèlement, la société civile se consolide
et s’unifie dans ces revendications. Et le fait
de travailler dans le cadre de réseaux donne
plus de poids. En outre, la population féminine prend conscience de ses droits et veut
les exercer. Sans oublier que parmi les jeunes hommes aussi il y a une évolution, certes moins spectaculaire que celle des femmes. Personnellement, elle ne me satisfait
pas telle qu’elle est à l’heure actuelle, mais,
en tant que chercheure, je la trouve prometteuse pour l’avenir.
L’IVG, un sujet
tabou au Maghreb
L’interruption volontaire de grossesse
ne figure aucunement sur la liste des
revendications des féministes du
Maghreb. Et une fois de plus, la Tunisie
fait figure d’exception. L’avortement
y a été légalisé en 1963 pour les mères
ayant plus de cinq enfants. Et depuis
1973 (deux ans avant les Françaises),
toutes les Tunisiennes, à condition
d’être majeures, peuvent avorter.
L’intervention est gratuite et ne
nécessite pas d’autorisation du mari...
Autrement dit, les célibataires
aussi peuvent mettre un terme
à une grossesse non désirée.
En Algérie et au Maroc, seul
l’avortement thérapeutique est
permis, mais lorsque la vie de
la mère est en danger et certainement
pas en cas de malformation (même
importante) du fœtus. Soumaya
Naâmane Guessous, co-auteur
avec Chakib Guessou de Grossesses
de la honte (Editions Le Fennec),
revendique pour sa part
la “légalisation de l’avortement
en cas de viol ou d’inceste”.
L’interdiction d’avorter ne signifie pas
que la pratique n’est guère de mise.
Faute de statistiques, on ignore
combien de femmes mettent
clandestinement un terme à leur
grossesse dans des conditions de
sécurité et d’hygiène pas toujours
irréprochables. Et l’on sait encore
moins combien d’entre elles meurent
ou gardent à vie des séquelles suite à
ses interventions. Quant au nombre
de nouveaux-nés abandonnés à la
naissance ou retrouvés étouffés dans
des poubelles, il y a hélas fort à parier
qu’ils continueront à alimenter la
rubrique des faits divers tant que
l’avortement ne sera pas gratuit et
accessible à toutes.
“Il y a une chose toute simple et en même temps très difficile à réaliser
que je voudrais voir changer au Maroc, c’est ce regard (au sens visuel)
à la fois avilissant et vicieux, parfois même pervers, que portent
les hommes marocains (tous âges et toutes catégories confondues)
presque systématiquement sur les femmes. Le jour où ce regard changera,
le Maroc fera un bond en avant...” Safaa, 34 ans, chargée d’activités culturelles
46 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
PAROLES DE FEMMES
dossier
SIHAME, chargée de l’orientation et de la formation dans l’équipe de Ségolène Royal
Elle est chef d’entreprise, femme politique... Portrait d’une femme libre.
D
ifficile de croire que cette jeune fille
bouillonnante n’a que 24 ans, tant
son assurance affichée, son réseau
de contacts sans limites et son aisance dans
tous types de cénacles surprennent. Il est
vrai que cette Franco-Marocaine se laisse
difficilement impressionner. Quel que soit
l’interlocuteur. Elle est aujourd’hui manager général de sa propre entreprise, Apim
Consulting, une structure basée à Bruxelles, à proximité de la Commission européenne, pour faire du lobbying (elle déteste
ce terme...) pour le compte de ses clients ou
des gouvernements qui font appel à elle
pour répondre à un besoin ponctuel ou
pour tenter d’agir sur la durée, en fonction
du pays qui occupe la tête de l’exécutif européen. Conséquence : elle vit entre Paris et
Bruxelles, quand elle n’est pas dans un
avion en partance pour le Maroc pour faire
avancer un projet sur l’autre thème qui lui
tient à cœur, la diversité. Après avoir décroché son bac à 16 ans, Sihame entre à Sciences Po Paris. Elle en sortira avec un master
en Sciences politiques (option Relations
internationales) pour entrer de plain-pied
dans le travail politique de haut niveau. Elle
a ainsi été tour à tour membre du staff de
campagne de la députée Elisabeth Guigou,
membre de la Commission de travail sur
les banlieues créée par le Premier ministre
Dominique de Villepin après les émeutes
de novembre 2005, chargée de mission
auprès de la ministre de la Défense, Michelle Alliot-Marie, et, enfin, collaboratrice
de Ségolène Royal dans le cadre de la campagne menée sur le thème de l’orientation
et la formation. Pas assez de boulot manifestement pour cette jolie brunette qui semble increvable. En 2003, après les attentats
de Casablanca, elle décide en urgence de
monter une opération pour redorer le blason du royaume (ne lui dites surtout jamais
de mal de son Maroc !) : ce sera à Marrakech, excusez du peu, le fameux Forum
international Choc des civilisations et dialogue des cultures. Elle fait partie
aujourd’hui du Club de Rome (Bruxelles) et
est membre du comité directeur de l’Alliance mondiale des Marocains du monde,
tout en menant des opérations ponctuelles
pour le compte du ministère marocain du
Tourisme (Kounouz Biladi) ou pour celui
du ministère chargé de la Communauté
marocaine à l’étranger. Son nouveau défi :
créer à Paris sa propre structure de réflexion. Un think-tank où figurent des personnalités de la communauté franco-marocaine de l’Hexagone dont, entre autres,
Fatéma Hal et Abdellatif Benazzi,
et dont vous avez déjà entendu parler dans le numéro 1 du Courrier de
l’Atlas. A moins qu’elle ne dégaine
encore une autre initiative. Sacrée
Sihame dont le prénom (flèche en
arabe !) suffit à la décrire... ■
Hassan Ziady
Chargée de mission auprès
de Michèle Alliot-Marie,
membre de la Commission
de travail sur les banlieues
créée par Dominique
de Villepin, collaboratrice
de Ségolène Royal...
DR
L’héritage : des pratiques en avance sur le droit
Pour Soumaya Naâmane Guessous, espérer l’égalité hommefemme en matière d’héritage est “de l’ordre de l’utopique en ce
moment du fait de l’influence islamiste. Il est même impossible
de mettre cette question sur le tapis. Cette mesure ne fait pas
partie des revendications car, à chaque fois qu’on a osé l’aborder,
les réactions ont été très négatives”. De plus, on croit à tort
que cette revendication ne concerne que l’élite. “Et c’est faux,
s’insurge Soumaya Naâmane Guessous. Les plus démunies
pâtissent probablement davantage de cette inégalité. Prenons le
cas d’un couple qui n’a que des filles. Si le mari décède, les oncles
deviennent héritiers. Parfois, le père ne lègue qu’une chambre ou
une humble maison que les enfants et la veuve vont être obligés de
quitter pour se retrouver à la rue afin que les héritiers la vendent
et obtiennent chacun leur part. Néanmoins, cette question semble
aujourd’hui secondaire et ne fait pas partie des priorités.”
Ceci étant, “dans les faits, on remarque un contournement de la
loi, beaucoup de parents procédant de leur vivant à des ventes ou
NUMÉRO 2 MARS 2007
des donations pour mettre leurs enfants de sexes différents
sur un pied d’égalité. Nous sommes dans des situations
où la réalité est en avance par rapport au droit”, souligne Khadija
Finan, chargée de recherche à l’Ifri (Institut français de recherche
internationale), qui elle non plus n’est guère optimiste
quant à une évolution sur ce point précis. “Compte tenu de
la structuration de l’islamisme et de l’islamisation des sociétés,
il ne faut pas s’attendre à des avancées dans ce sens”, prévientelle. Pour autant, à l’AFTD (Association tunisienne des femmes
démocrates), on ne se résout pas au silence. En 1999, l’association
a lancé une pétition réclamant l’égalité dans l’héritage
entre les sexes. Elle n’avait alors recueilli que 1 000 signatures,
essentiellement féminines. Le 13 août dernier, jour du
50e anniversaire du Code du statut personnel tunisien,
a commencé à circuler une brochure sous forme de plaidoyer.
L’objectif : “Venir à bout de ce bastion de la domination
patriarcale qu’est l’inégalité des droits en matière d’héritage.”
LE COURRIER DE L’ATLAS 47
dossier
Un mélange entre les
traditions du pays d’origine
et celles du pays d’accueil.
LES FEMMES, UNE AUTRE
CATÉGORIE DE MIGRANTS
FRANCE Depuis les premières vagues de migration des Maghrébins
dans les années 60, le profil des femmes migrantes a énormément évolué.
P
lusieurs générations de femmes se
sont succédé au cours des cinquante
dernières années. Les femmes migrantes représentent 47 % de la population
immigrée dans le monde. En France, elles
constituent 41,1 % de la population immigrée tunisienne et marocaine, et 39 % des
Algériens. Hafida Chekir, maître de conférence à l’université de Tunis et spécialiste
de la question, recense trois catégories de
femmes migrantes.
Tout d’abord, celles entrées via le regroupement familial. Elles ont rejoint leur mari,
48 LE COURRIER DE L’ATLAS
travailleur immigré de la première heure.
Elles sont nombreuses à être issues de milieux ruraux, venues pour élever leurs enfants, entretenir leur foyer et s’occuper des
affaires familiales. Elles ont eu à cœur de
veiller au maintien des traditions et au respect des coutumes du pays d’origine.
Ensuite, les femmes seules qui ont immigré
pour des raisons économiques, de leur plein
gré. Elles sont une entité économique autonome. Venues trouver un emploi ou poursuivre leurs études, elles sont aussi motivées
par le désir d’échapper à l’emprise des
contraintes culturelles, du religieux ou des
problèmes politiques, et elles manifestent
un désir d’émancipation par la migration.
Enfin, celles nées en Europe, dans le pays
d’accueil. Seconde génération de migrantes,
elles continuent à porter les stigmates du
déracinement transmis par leurs parents.
Souvent de double nationalité, elles ont
adopté leurs mœurs et leurs habitudes tout
en restant attachées à leurs traditions familiales et sociales : un mélange entre les traditions du pays d’origine et celles du pays
d’accueil. Plus que toute autre, elles sont
NUMÉRO 2 MARS 2007
France Keyser/Invisu
par Nadia Lamarkbi
dossier
confrontées aux dilemmes qui peuvent les
mener jusqu’à des conflits familiaux douloureux.
DES DISCRIMINATIONS
AU QUOTIDIEN
Ces femmes connaissent des discriminations qui peuvent porter sur l’exercice de la
citoyenneté et la vie publique, et sur l’exercice des droits socioprofessionnels. Par
exemple, le statut des femmes est pris en
considération dans l’octroi du visa de séjour
aux femmes puisque sont privilégiées les
épouses et les mères qui ont droit au regroupement familial depuis la loi de 1974.
Le célibat constitue souvent un frein à l’obtention ou à la régularisation du titre de
séjour. Corollaire : le divorce entraîne le
non-renouvellement du titre de séjour, plaçant les femmes dans une situation de dépendance vis-à-vis des maris.
Quant aux femmes étrangères non ressortissantes de la Communauté européenne,
elles ne peuvent être ni électrices ni éligibles, à l’exception des élections locales ou
municipales dans certains pays de l’Union
et ceux, contrairement au traité de Maastricht (1992), qui stipulent que le droit de
vote aux élections locales leur est accordé si
elles séjournent cinq ans au moins dans le
pays d’accueil.
Le seul droit qu’elles peuvent exercer pleinement est la liberté d’association. Elles
peuvent y adhérer librement ou créer leur
propre structure. Elles sont nombreuses,
d’ailleurs, à avoir intégré des collectifs de
défense des immigrés, des sans-papiers,
des sans-logement, etc. Hormis la très médiatique association Ni putes ni soumises,
elles sont dans les associations de quartier,
dans des associations telles qu’Une chorba
pour tous où elles mettent à contribution
leurs savoir-faire.
UN RÔLE ÉCONOMIQUE IGNORÉ
Le rôle économique de ces femmes est peu
mis en avant. Pourtant, elles contribuent,
aussi bien dans le pays d’origine que dans
le pays d’accueil, à l’amélioration des condi-
tions de vie. D’après les données de “l’enquête Emploi” de l’Insee, en 2000, les femmes représentaient un tiers des actifs
maghrébins en France. Femmes de ménage, assistantes maternelles, auxiliaires de
vie…, plus de la moitié des migrantes travaillent dans le service aux personnes ou
plus largement dans le secteur des services,
permettant ainsi aux familles européennes
d’améliorer leur qualité de vie. Dans ces
secteurs subsiste encore une forte économie souterraine, avec tout ce qu’elle peut
engendrer comme exploitation économique
et discriminations.
ELLES SONT PLUS ACTIVES
DANS LE DÉVELOPPEMENT
DU PAYS D’ORIGINE
D’après le Rapport 2006 du Fonds des
Nations unies pour la population (Fnuap),
les salaires transférés par les migrantes
sont utilisés principalement pour couvrir
les besoins quotidiens, les frais de santé et
d’éducation. Pour ces analystes, c’est un
“schéma qui reflète les priorités des femmes
migrantes en matière de dépense”. Elles seraient plus portées que les hommes à investir dans leurs enfants et dans les sociétés traditionnelles. Les hommes tendent à
dépenser les salaires rapatriés dans des
biens de consommation, par exemple des
voitures et des appareils de télévision, ou
pour investir dans des biens immobiliers
ou du bétail. Toutefois, les femmes n’exercent que peu de contrôle sur la prise de
décisions financières, la gestion des avoirs
et de la propriété. Ces transferts de salaires
auraient encore un plus grand rôle dans la
réduction de la pauvreté et le développement si les femmes n’affrontaient pas une
discrimination en matière de salaire, d’emploi, de crédit et de propriété, si elles
n’étaient pas exclues de la prise de décision au sein de la famille. ■
Crèches, services aux personnes âgées, ménage sont les secteurs où les immigrées travaillent le plus.
Nascimento/Réa
PAROLES DE FEMMES
“Je rêve d’égalité professionnelle, c’est-à-dire à travail égal, salaire égal ; à investissement égal,
avancement égal. Et, petite cerise sur le gâteau, ne plus entendre la question : ‘T’es prête à
mettre ta carrière en jeu pour avoir des enfants ?’ Pas de sacrifice individuel, mais un effort
collectif !” Leila 30 ans, journaliste
“Je voudrais que les hommes mariés portent également le nom de leur femme.” Zoulikha, 29 ans, artiste
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 49
Au Caire, 80 % des femmes
portent le hidjab.
rigorisme Avec un Code du statut personnel très restrictif vis-à-vis
des femmes, des traditions rétrogrades comme l’excision, des mariages
précoces et un taux d’analphabétisme élevé, les Egyptiennes vivent
un quotidien particulièrement difficile.
par Leïla Meziane
50 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Florence Durand/Sipa
l’égypte est à la traîne
dossier
U
ne femme drapée de noir de la tête
aux pieds passe sous un panneau
publicitaire qui vante les charmes
d’une starlette cheveux au vent et sourire
aguicheur... Scène banale dans une rue
du Caire, qui illustre bien la situation complexe des Egyptiennes en ce début de
XXI siècle : coincées entre renouveau islamiste et influences occidentales, tiraillées
entre vie active et vie de famille, sous un
régime autoritaire qui ne leur donne pas la
parole. Aujourd’hui, un simple coup d’œil
permet d’observer que plus de 80 % des
femmes sont voilées au Caire. Depuis le
11 septembre, la recrudescence du port du
hidjab concerne toutes les classes sociales.
Si certains analystes parlent de repli identitaire, la première motivation avancée par
les Egyptiennes est religieuse. Vient ensuite la sensation de se sentir “protégée”,
“d’échapper aux regards des hommes”. “Les
filles se sentent plus respectables quand elles
portent le hidjab. Avant le mariage, c’est comme un signe de virginité”, explique Hind, une
jeune journaliste de 25 ans, cheveux en liberté, en jean et tee-shirt. Signe des temps,
la mode du voile a aussi fait un raz-de-marée chez les artistes. On les appelle les “repenties” : la danseuse Hala Safi, la speakerine Camellia al-Arabi, la jeune actrice
Nisrine, la chanteuse et actrice des années 50 Chadia, la chanteuse Mona Abdel
Ghani... toutes ont succombé au chant du
muezzin, racontant leur “révélation” dans
des autobiographies à succès et ne sortant
plus tête nue. Le réflexe voile est aussi de
plus en plus précoce : la poupée Fulla, version musulmane de Barbie qui porte le hidjab, fait un malheur auprès des petites
Egyptiennes. Autre phénomène : un certain
nombre de femmes de la classe moyenne,
voire de la petite bourgeoisie, portent désormais le voile intégral, importation du wahhabisme, l’islam rigoriste pratiqué dans les
pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite. Ce qui n’empêche pas l’abbaya et le
niqab de dissimuler des femmes actives,
Musulmanes ou coptes,
96 % des femmes sont excisées
selon la dernière enquête démographique et de santé (2005), 96 % des femmes
mariées entre 15 et 49 ans sont excisées en egypte. le taux de prévalence est de 92 %
chez les femmes ayant un niveau élevé d’éducation (secondaire ou plus) et vivant
en milieu urbain. Il est de plus de 98 % chez les femmes analphabètes ou avec un niveau
d’éducation primaire, et vivant en milieu rural. l’excision, justifiée par la tradition
(elle existerait dans le pays depuis deux siècles), touche aussi bien les musulmanes
que les coptes. Il n’existe pas de loi contre l’excision, mais un décret du ministère
de la santé publique datant de 1997 qui interdit la pratique dans les hôpitaux publics.
pour autant, 75 % des excisions sont pratiquées par des membres du corps médical
dans les hôpitaux et cliniques, privées ou publiques, le reste étant le fait des dayas,
les sages-femmes traditionnelles. le sujet des mutilations génitales féminines est
encore tabou et la pression sociale très forte : le fait de ne pas être excisée peut être
un obstacle au mariage. plusieurs campagnes de sensibilisation ont pourtant été
mises en place par les autorités et l’Unicef observe une hausse du soutien en faveur
de l’élimination de la pratique, notamment parmi les responsables religieux,
ainsi qu’une tendance à la baisse.
qui travaillent, conduisent leurs voitures,
font leurs courses.
Des MIgrantes plUs aCtIVes
Dans le DéVelOppeMent HUMaIn
“Certaines personnes laissent entendre que les
femmes sont opprimées seulement par l’islam,
c’est faux !”, tempête Nawal Al Saadawi,
grande figure du féminisme égyptien. “Toutes les religions oppriment les femmes. En Egypte, les femmes sont opprimées par la religion
mais aussi par la société patriarcale, la société
de classe et le capitalisme”, soutient celle qui
milite pour l’abolition d’un Code du statut
personnel qu’elle juge “oppressif et quasi esclavagiste”. Ce dernier autorise notamment
la polygamie qui, selon les chiffres officiels,
ne toucherait que 3 % des ménages. Les
Egyptiennes vivent au sein d’une société
largement conservatrice. Surtout dans les
campagnes, où les crimes d’honneur, quoique peu répandus, existent, et où nombre
de fillettes sont retirées de l’école avant leurs
dix ans et mariées de façon précoce, selon
l’Unicef. Les femmes, surtout en milieu rural, souffrent de la pauvreté, de l’analphabé-
tisme et de l’excision, une pratique qui les
touche à 96 % (voir encadré). Les Egyptiennes sont également victimes d’une violence
domestique et conjugale quasi institutionnalisée. Le système de divorce, “discriminatoire envers les femmes, selon l’ONG Human
Rights Watch, les empêche de se séparer d’un
mari violent”. Si les hommes jouissent d’un
droit unilatéral et inconditionnel au divorce,
sans passer par le tribunal, les femmes, elles, doivent recourir à la justice. Malgré tout,
quelques avancées en matière des droits des
femmes sont à noter. Depuis 2000, malgré
des conditions peu encourageantes, les femmes peuvent demander le divorce sans avoir
à prouver la “faute” de leur mari. Elles peuvent transmettre leur nationalité à leurs enfants nés de pères non égyptiens (sous certaines conditions aussi) et n’ont plus besoin
de la permission de leur mari pour voyager.
La loi qui permettait à un violeur de se disculper s’il épousait sa victime a été abolie.
Les femmes ont aussi fait une petite percée
en politique, avec quelques élues au Parlement et plusieurs députées nommées par le
Président Hosni Moubarak. ■
parOles De FeMMes
DR
“Je voudrais que les femmes aient suffisamment confiance en elles pour
qu’elles arrêtent de jouer la concurrence entre elles.” sanaa, 29 ans, comédienne
“Je changerais l’horloge biologique.” Miriam, 34 ans, employée de banque
“Je ne changerais rien. Je me plais dans mon rôle d’épouse, de mère
et de femme active, et je l’assume... Je voudrais juste un peu plus
de vacances.” yasmine, 47 ans, manager en télécommunications
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 51
a tunis,
les femmes
choisissent
leur façon d’être
au féminin.
avant-garde En 1956, la polygamie et la
répudiation sont interdits en Tunisie et les
femmes obtiennent le droit de vote et d’éligibilité.
Cette libération est-elle une réalité ou un leurre ?
par Clarisse Rebotier
T
unis. Sur l’avenue Bourguiba, de jeunes couples déambulent en se tenant
par la main. Les jeunes hommes draguent les passantes de façon très ostentatoire… Les terrasses des cafés sont pleines,
des tables sont occupées par des groupes de
femmes. Certaines fument. Là-bas, celle-ci
boit même un Pastis. Les unes portent des
pantalons et des pulls moulants, d’autres
ont opté pour le hijab, d’autres encore se
dissimulent complètement dans des tenues
noires. Deux jeunes filles discutent : l’une
style baba cool porte des cheveux à la garçonne, l’autre arbore le hijab.
Dans les campagnes, la vie est encore très
traditionnelle, mais Tunis nous apparaît
52 LE COURRIER DE L’ATLAS
comme une ville moderne où les femmes
semblent pouvoir choisir librement leur
façon d’être au féminin : plutôt à l’orientale
ou plutôt à l’occidentale.
Certes, les femmes travaillent, beaucoup
occupent même des postes très importants.
Ce sont elles qui obtiennent le plus souvent
tous les avantages du divorce. Certaines font
parfois le choix de vivre seules. Le planning
familial a permis de baisser de manière significative le nombre d’enfants. Les acquis
du passé progressent vraiment en leur faveur. D’autant plus que le régime actuel
s’est emparé du symbole de la femme tunisienne libre et s’en sert comme d’une icône
symbolisant la modernité du pays.
Critiquées, voire taxées de mécréantes par
le Moyen-Orient d’un côté, séduites par les
charmes de la liberté occidentale de l’autre,
les Tunisiennes ne savent plus où elles en
sont. Comme d’autres femmes arabes, elles
subissent cette situation comme un écartèlement identitaire. Mais la spécificité tunisienne est le rapport ambigu que l’Etat entretient avec la religion dans sa fervente
croisade anti-intégrisme. En effet, depuis
les années 90, le port du voile, symbole
d’une “appartenance politique qui se cache
derrière la religion” est interdit dans les établissements publics, éducatifs et universitaires, ainsi que dans tous les espaces publics. Traditionnellement, les Tunisiennes
n’ont jamais porté le hijab, mais depuis
quelques années, la multiplication des voiles est frappante.
Pour une femme, faire le choix du jean
troué ou celui du voile, c’est vouloir affirmer socialement son indépendance ou son
attachement à la communauté. Mais, en
Tunisie, choisir le voile, c’est en plus une
forme de contestation tacite contre le régime de Ben Ali. n
nUMÉrO 2 MARS 2007
Alain Mounic/FEP/Panoramic
les Tunisiennes
enTre jean Troué eT hijab
dossier
“FeMMes
(MiliTanTes)
Du MaroC ”
MagaZIne Le mensuel Femmes du Maroc
accompagne depuis 1995 la lutte au féminin.
Après les mutations, la stagnation à nouveau.
Pour sa directrice, la laïcisation est urgente.
par Yann Barte
e
“
n 2003, on s’est un peu gargarisé avec
cette réforme du Code de la famille tant
attendue. Une réforme des droits de la
femme tenant compte de la charia et un peu…
des conventions internationales ratifiées. Ça
restait le maximum que l’on pouvait obtenir
avec une telle approche, rien de totalement révolutionnaire !”, explique Aïcha Zaïmi
Sakhri, directrice du magazine Femmes du
Maroc. “Aujourd’hui, il faut sortir du religieux, passer le cap de la sécularisation.” Aïcha
Zaïmi Sakhri annonce ainsi le prochain
grand chantier, le seul possible aujourd’hui
pour faire avancer la cause des femmes
dans le royaume. Encore du pain sur la
planche…
Femmes du Maroc est né en 1995 “dans un
contexte favorable à la liberté d’expression et à
la revendication”. Durant toutes ces années,
le magazine leader de la presse féminine
francophone au Maroc devient un catalyseur
et permet une mise en lumière des revendications des mouvements féministes. “C’est
sûr qu’ici, à la rédac, le mot ‘moudawana’, l’ordinateur le reconnaît tout de suite et depuis le 1er
jour !” La décennie connaît quelques faits
marquants en matière de droits des femmes :
“La nomination par Hassan II, à l’été 1997, de
quatre femmes secrétaires d’Etat”, “le plan d’action national qui aura divisé la société en deux”,
conservateurs d’un côté, progressistes de l’autre, “…et quand je dis
en deux… Le rapport est plutôt de
70-30 ou 80-20 en défaveur des modernistes, sans compter les nombreux indifférents”.
Les grands défilés du 12 mars
2000 révèlent en effet brutalement un rapport de force assez
inattendu : alors que Rabat organise une marche bon enfant
pour l’égalité hommes-femmes, les islamistes organisent le même jour une marche
impressionnante à Casablanca, témoignant
d’une puissance de mobilisation extraordinaire et remportant la guerre des images. Le
mensuel islamiste Attajdid exulte. “Les modernistes sont toujours plus difficilement mobilisables, constate Aicha et préféraient peut-être
dormir ce dimanche matin…” Arrivé en 1999,
Mohammed VI prône l’égalité hommesfemmes et nomme une commission autour
aïcha Zaïmi Sakhri.
du plan d’action. “Nommer une commission,
c’est souvent le meilleur moyen d’enterrer un
projet. De plus, la commission allait travailler
à huis clos et comprenait trois femmes et des
oulémas… Pas vraiment moderne donc.” Puis
“rien ne se passe” jusqu’en 2003, date à laquelle le roi entérine finalement en 2003 la
version moderniste de la Moudawana, devenue l’actuel Code de la famille. “On passe
alors d’un statut de mineure à celui d’adulte…
à condition toutefois d’être mariée !” Les années qui suivent connaissent encore une
démobilisation. Les associations se soucient
moins de l’application du droit, de l’information de ces droits auprès des femmes, de
la sensibilisation des juges, avocats… “Juillet 2005, suite à une rencontre avec Soumaya Naâmane
Guessous, nous lançons une pétition
dans le magazine pour la transmission de la nationalité marocaine par
la mère. Près de six mille signatures
sont recueillies !” et un résultat qui ne
se fait pas attendre : “Lors du discours
du Trône suivant, le roi accorde finalement – avec quelques restrictions – le
droit de la transmission de la nationalité par la
femme.” Depuis, la société civile semble obsédée par les élections prochaines. Ce sont
bien deux projets de société qui se font face.
Après des années de combat, les Femmes
du Maroc ont compris qu’il n’y aurait “pas
d’autres solution que la laïcisation, la séparation du religieux et du droit”. En douze ans,
l’idée s’est peu à peu affirmée comme une
évidence au sein du magazine. n
Paroles De FeMMes
DR
“Ma version du pragmatisme féminin consiste à stresser beaucoup
et agir peu. J’aimerais que ce soit le contraire. J’aimerais aussi accepter
mon allergie profonde face à l’idée du couple au lieu de chercher
au nom de je ne sais quel conditionnement personnel à rejoindre
ce modèle qui n’est pas taillé pour moi.” iman, 31 ans, professeure
nUMÉrO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 53
IMMIGRÉS Discrets, souvent résignés et mal représentés, les vieux
migrants sont 70 000 en France à subir le mépris des institutions de l’Etat.
Les derniers projets de loi (réforme des anciens combattants, texte
Borloo), annoncés à grand bruit, n’ont strictement rien réglé. Comme
les autres immigrés âgés, les “chibani”(1) restent les laissés-pour-compte
des gouvernements successifs français, comme de leurs pays d’origine,
la plupart du temps complices ou indifférents. Enquête.
Par Yann Barte
54 LE COURRIER DE L’ATLAS
(1) Vieux en arabe
NUMÉRO 2 MARS 2007
L.Theillet/Sud Ouest/MAX PPP
Enquête
Chibani,
les oubliés d’ici et là-bas
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 55
enquête
56 LE COURRIER DE L’ATLAS
faux nom.” Abdallah fait l’inventaire de ses
différentes vies : son service militaire, ses
emplois dans le commerce, l’agriculture et
puis la Hollande où il travaille dans la restauration… toujours au noir. “Je parlais bien
l’espagnol, ça m’a aidé pour le néerlandais.” En
1981, il arrive en France : “Là, j’ai vécu l’enfer.
J’étais terrassier pour un chef de chantier algérien, un escroc qui me demandait de lui payer
problème, mais qui remplit sans doute aux
yeux de certains trop d’espace, au détriment
d’un réseau moins connu d’associations qui
accompagnent ces vieux migrants… et il faut
bien l’avouer, bien moins subventionné. Le
café est en effet photogénique, accueillant et
convivial : canapé aux jolis coussins jaunes,
meubles en bois naturel, confiturier maison
et expo de photos noir et blanc d’anciens
combattants aux
murs… “Un beau café
À QUAND UNE RÉELLE RÉFLEXION SUR CE QU’EST pour de vieilles carcasses
comme nous !”, me
UN PROJET DE VIE POUR CES PERSONNES
lance un chibani assis
CONSIDÉRÉES AUJOURD’HUI EN FRANCE COMME
près de la porte. C’est
DES CITOYENS DE SECONDE ZONE ?
que l’“on a besoin de
beau pour refaire surfaà boire et à manger. Parce que je refusais, il me
ce, m’explique le directeur des lieux, Moncef
laissait seul sur le chantier et fermait la baraque
Labidi. L’idée consistant à accueillir dans la
qui servait à cuisiner et à nous changer pour
précarité des personnes en situation précaire n’a
que je mange ma gamelle dehors, dans le froid.”
aucun sens”.
Puis ce sont les ennuis de santé, la hernie
Si l’endroit semble protégé, les problèmes
discale qui lui interdit le port des charges
que rencontrent ses visiteurs restent semlourdes, le diabète, les problèmes de nerfs,
blables à ceux de tous les autres vieux mide sommeil, les accidents du travail qu’il
grants du quartier. Une assistante sociale,
doit cacher pour conserver son emploi, “les
salariée du café, débroussaille tout un imjournées de quinze heures déclarées huit…” Debroglio administratif. “Jusqu’à l’âge de
puis 2001, Abdallah est hébergé gratuite60 ans et la retraite, les personnes évoluent
ment “par des Français”. Mais à la fin du
dans différents dispositifs : le RMI, l’allocation
mois, cette fois, il devra quitter les lieux. “Je
adulte handicapé… Le passage d’un dispositif
ne sais pas où je vais aller”, avoue-t-il.
à un autre est souvent complexe et entraîne de
nouveaux dossiers, de nouveaux interlocuteurs,
LE CASSE-TÊTE ADMINISTRATIF
des interruptions de versements…”, explique le
A deux pas de la place, s’est créé il y a sept
responsable. Mais ce sont les vieux eux-mêans un café social, le “café chibani” comme
mes qui parlent le mieux des tracasseries
beaucoup l’appellent. Un lieu qui a eu le
administratives : la suspicion permanente
mérite d’attirer l’attention des médias sur le
aux guichets des caisses de retraite, de la
Avec 400 euros d’allocation,
Abdallah n’a pas le choix : il
vend des bricoles dans la rue.
NUMÉRO 2 MARS 2007
Yann Barte
Ç
a risque d’être long…”, soupire Abdallah. A deux pas du métro Couronnes, debout devant un parterre d’articles de toilettes étalés
sur le trottoir, Abdallah, 59 ans,
vient d’accepter de me conter son
histoire. Autour de lui, une dizaine de personnes de toutes origines, âgées de 50 à 80
ans, assises sur des bancs ou accroupies par
terre, vendent des lots de vêtements usés,
shampooing, rasoirs, savons… C’est ici, devant l’enseigne Richbond, numéro 1 du
salon marocain, qu’Abdallah tente d’arrondir sa maigre allocation de solidarité de fin
de droit de 400 euros. Encore trop jeune
pour bénéficier du minimum vieillesse et
bien trop usé pour retrouver un vrai travail.
“Je me fais 5 à 10 euros et quelquefois… rien de
la journée !” C’est peu, d’autant que chaque
mois, Abdallah donne 300 euros sur les
400 que lui verse l’Assedic suite à un emprunt de 7 000 euros pour aider un parent
au pays : “Là-bas, sans argent, t’as plus qu’à
crever !”
Abdallah déverse sur ce trottoir ses espoirs
de jeunesse, ses rancœurs, ses douleurs,
comme sa rage toujours intacte contre tous
ces employeurs qui ne l’ont jamais déclaré,
ces experts de la Sécu qui ont menti… “Je
rêve de flinguer tout ce monde”, lance-t-il, vindicatif, conscient qu’il n’aura qu’une retraite de misère. A 14 ans, Abdallah, originaire de Nador, au Maroc, quitte la maison
familiale sans prévenir personne. Deux
cents dirhams en poche, il traverse la frontière algérienne avec des contrebandiers. “Je
voulais vérifier ce que me disait mon père sur
la loi, la justice… Mais après avoir été un peu
partout, en Algérie, en Espagne, en Allemagne,
en Belgique, en France…, je sais aujourd’hui
que la seule loi, c’est l’argent !” A Oran, le
jeune Marocain vend dans la rue des articles de maquillage achetés chez un grossiste. Qui eût pensé qu’il ferait, plus de
quarante ans après, quasiment la même
chose sur les trottoirs parisiens ? “Trois ans
après mon départ, j’ai contacté mon père à qui
je n’avais donné aucune nouvelle. Il pleurait
au téléphone. J’étais tombé amoureux à Oran
et je voulais me marier, rester vivre là-bas…”
Abdallah est interrompu par un client qui
s’enquiert du prix d’un lot de deux brosses
à dents. “Un euro ! Et 1,50 si t’en prends
deux !”
“Regarde le destin !, continue-t-il sur sa lancée, la femme avec qui je voulais me marier
était en fait de ma famille ! Et elle ne le savait
pas plus que moi puisque je lui avais donné un
“
enquête
Valérie Lefournier
Sécurité sociale, de la CAF, les convocations
à répétition, l’attente, les quittances de loyer
refusées, les papiers impossibles à obtenir
au bled, la remise en cause de la résidence
en France par les services fiscaux…
Face à ces difficultés, beaucoup d’anciens
finissent même par renoncer à leurs droits.
“Je voulais la nationalité, mais ils demandent
trop de papiers, de mon père, mon grand-père…
J’ai essayé il y a quelques années et puis j’ai
finalement renoncé”, raconte Miloud, 64 ans,
résident en France depuis quarante ans.
Pour le regroupement familial, en revanche, pas question de lâcher. Il y a plus d’un
an, il déposait une demande pour faire venir sa femme qui vit à Tataouine, en Tunisie. Toujours aucune réponse. “C’est trop
long ! On me demande 1 200 euros comme revenu. J’en ai 1 010 de retraite avec ma complémentaire. On m’a dit que c’était trop juste.
J’espère quand même... Pour l’appart, l’expert
qui est passé chez moi m’a dit que c’était bon.
J’ai un studio HLM pour ma femme et moi. Il
faut 16 m2 pour deux et j’en ai 26.”
Miloud a aussi trois enfants qu’il ne pourra
jamais faire venir. Il le sait. Pas de regroupement familial pour les enfants majeurs
(son dernier a 24 ans) et impossibilité pour
eux d’avoir même un visa de tourisme. La
loi Ceseda de Nicolas Sarkozy serre même
un peu plus les vis, ajoutant toujours plus
de critères restrictifs. L’achat d’un appart il
y a quelques années au nom de son fils pour
faciliter son arrivée n’aura servi à rien. Pire,
“maintenant, je ne peux ni louer ni vendre cet
appart qui est à son nom”. Miloud n’est certainement pas le plus mal loti parmi les
chibani. Le constat est quand même amer :
“En 1972, je touchais comme aujourd’hui.”
PROJET DE LOI BORLOO :
“UNE MESURE BRICOLÉE ENTACHÉE
DE MESQUINERIES”
“C’est un non-événement en terme de politique
sociale dans ce pays, une bricole entachée de
goujaterie et de mesquinerie. Et le tintamarre
fait dans les médias est aussi indu que celui fait
autour des pensions des anciens combattants.”
Omar Samaoli, directeur de L’Observatoire
gérontologique des migrations en France
(OGMF), est déçu par le projet de loi Borloo. Un texte qui porte atteinte une fois de
plus à la liberté de mouvement en assignant
à résidence les vieux migrants. Pourtant, le
chercheur était plein d’espoir. Il s’apprêtait
même à écrire un article, De Saint Louis à
Jean-Louis, pour louer ce ministre de la Cohésion sociale qui “aurait pu entrer dans
NUMÉRO 2 MARS 2007
SALEM,
77 ans, Tunisien
“Arrivé à Paris, j’ai été
frappé par la luminosité
et la propreté de la ville.
Il neigeait ce soir-là et j’avais
demandé à mon cousin
ce que c’était que toute
cette lumière jaune qui
m’éblouissait”, se souvient
Salem. Affaibli et fatigué,
le vieil homme n’a
qu’un souhait aujourd’hui :
retourner dans sa Tunisie
natale. En France, il est
comme prisonnier. Sa famille
est là-bas, lui est ici, seul…
Il n’a pas le choix. Comment
faire autrement sans perdre
sa retraite et ses aides
sociales (assurance maladie,
allocation vieillesse, etc.) ?
Retraité depuis dix-sept ans,
Salem perçoit chaque mois
610 euros. Il en envoie
la moitié à sa femme et ses
deux enfants qu’il appelle
régulièrement. Dès qu’il peut,
il effectue aussi des va-etvient des deux côtés de la
Méditerranée. Arrivé en 1967,
en quête de l’eldorado,
Salem a très vite déchanté.
La barrière de la langue et
son illettrisme ont d’emblée
constitué des obstacles.
“Quand je prenais le métro,
je repérais les stations que
je devais emprunter et je me
faisais mon propre plan. Je
comptais le nombre d’arrêts
et j’écrivais en dessous de
chacun leur nom en arabe.”
Pour faire les courses,
même galère ! A défaut
d’exceller dans la langue de
Molière, le chibani maîtrisait
le langage des signes.
C’est ainsi qu’au marché
ou à la boulangerie, il pointait
du doigt les produits choisis.
Originaire de Zarzis,
le vieil immigré a, durant plus
de quatorze ans, exercé
la profession de peintre
industriel et en bâtiment,
pour un revenu mensuel
de 2 000 francs (soit
300 euros). Il souligne avec
fierté que, pendant trois ans,
il a travaillé durement au
cœur de la grande Cité des
l’histoire des avancées sociales en traitant de
manière équitable et juste tous les migrants. Et
pas seulement ceux de la Sonacotra !” Raté !
Cette loi, présentée en Conseil des ministres le 17 janvier dernier, les vieux migrants
l’attendaient depuis longtemps. Elle aurait
dû consacrer la liberté de circuler sans perte des bénéfices de certaines aides sociales
accordées par la France. Unanimes, les associations travaillant sur le sujet dénonçaient le “coup fourré”.
De quoi s’agit-il ? La mesure qui exclut plus
de la moitié des vieux migrants (peut-être
même 95 % selon le Groupe d’information
et de soutien des immigrés (Gisti), donne
droit à une aide financière aux vieux travailleurs qui s’engagent à vivre jusqu’à neuf
mois dans le pays d’origine et le reste de
l’année en France. Elle remplacera l’Aide
personnalisée au logement (APL). Pour résumer, ça ne coûtera rien à l’Etat qui pour-
Sciences. “On doit remercier
la France de nous avoir
accueillis et de nous avoir
donné du travail. Mais la
France doit aussi nous être
reconnaissante. On y a laissé
notre santé et aujourd’hui
on est bloqué ici.” Salem
en a gros sur le cœur.
Il vit durement l’injustice,
seul au seizième étage
de son petit appartement
sans ascenseur du
19e arrondissement de Paris.
Livré à lui-même, le vieil
homme rencontre des
difficultés pour faire sa
cuisine, son ménage ou laver
ses vêtements. Salem est
néanmoins heureux d’avoir
son petit chez lui : “Je vis
tranquille et personne ne
vient me déranger. Je suis
libre de faire ce que je veux
sans avoir de comptes à
rendre… Je n’aurais jamais
supporté de vivre dans un
foyer.” Au café où il se rend
chaque jour, Salem retrouve
ses amis, ses compatriotes
tunisiens avec qui il parle du
“pays”. Aujourd’hui, l’ancien
travailleur attend avec
impatience de pouvoir
retourner chez lui, en Tunisie,
pour retrouver enfin les siens,
sans sacrifier ses droits.
Propos recueillis
par Siham Bounaïm
ra même gagner quelques sous, le migrant
renonçant à son minimum vieillesse. Pour
l’heure, en effet, seule la retraite contributive est exportable (l’allocation supplémentaire venant compléter les retraites inférieures à environ 600 euros, soit le minimum
vieillesse, est toujours conditionnée à la durée de séjour dans le pays d’accueil). Et si
l’assurance maladie, passée à la trappe dans
la première mouture du texte, demeure finalement, après la montée au créneau des
associations et la mobilisation de quelques
sénateurs PS-PC-Verts, la complémentaire
CMU reste, elle, soumise à la condition de
résidence.
Seuls seront éligibles les vieux migrants
vivant dans les foyers ayant passé une
convention avec l’Etat. “Mais combien vivent
en foyer ? Certaines villes comme Marseille
n’en comptent même pas.” Antoine Math, du
Gisti, sent derrière tout cela le lobbying de
LE COURRIER DE L’ATLAS 57
enquête
la Sonacotra qui a besoin de libérer des places. “Presque une loi pour une société privée !”,
dénonce le militant avant de dresser la liste
interminable des personnes exclues du dispositif : les couples (une discrimination sur
la situation familiale), tous ceux qui ne touchent pas d’allocation logement (le but étant
de faire des économies), les ressortissants
de l’Union européenne… sans compter
“l’exigence scandaleuse d’une période de quinze années de résidence régulière et ininterrompue”. Combien de personnes concernées au
total ? Quelques centaines peut-être, pour le
Gisti.
ANCIENS COMBATTANTS :
UN MARCHÉ DE DUPES
Le texte Borloo et la communication qui a
suivi n’est pas sans rappeler la réforme, annoncée à grand bruit, des pensions d’anciens combattants, suite à l’émotion suscitée
par le film Indigènes. Bernadette versait une
larme. Jacques Chirac se souvenait soudainement qu’il était chef d’Etat. Jamel Debbouze s’enthousiasmait de la réforme annoncée. Mais doit-on reprocher à Debbouze
de ne pas avoir lu le dernier alinéa très technique d’un texte que probablement pas
même les députés et sénateurs n’avaient
décortiqué ? La réforme se révèle être en ef-
fet un vrai marché de dupes. Qu’a-t-on au
ont donné leur sang. “Jacques Chirac doit
juste décristallisé ? La retraite combattant et
retourner au cinéma ! Il n’a pas dû tout comles pensions militaires d’invalidité. Sans ratprendre du film !”, lance Geneviève Petauton,
trapage possible (le texte ne vaut qu’à partir
présidente du Copaf (Collectif pour l’avenir
de janvier 2007). La discrimination pour les
des foyers).
pensions militaires et civiles (on n’a pas que
Si les politiques s’émeuvent quelquefois de
des militaires dans les anciens combattants)
leur sort, ils semblent dans le même temps
est quant à elle
maintenue. “On a
même créé une nou- DOIT-ON REPROCHER À JAMEL DEBBOUZE DE NE
velle discrimination PAS AVOIR LU LE DERNIER ALINÉA TRÈS TECHNIQUE
pour les veuves de D’UN TEXTE QUE PROBABLEMENT PAS MÊME LES
pensions militaires DÉPUTÉS ET SÉNATEURS N’AVAIENT DÉCORTIQUÉ ?
d’invalidité, accuse
le Gisti, qui se demande pourquoi on n’a pas tout simplement
les amputer de leur condition d’hommes.
décristallisé d’un clic de souris, certains perce“On ne parle que de gestion de flux et reflux
vant déjà des prestations.”
migratoires et des gens comme des marchandiNon, pour “grappiller” encore un peu, l’Etat
ses que l’on transporte au gré des convenances
français n’indemnisera que ceux qui en fepolitiques, s’insurge le gérontologue Omar
ront la demande. Quand on connaît l’état
Samaoli. On colmate, on pare à des urgences,
de fatigue, de santé de ces vieux, leur mémais on n’élabore aucune politique publique
connaissance souvent de leurs droits, l’imcohérente. Et surtout, on se garde bien de trapossibilité que beaucoup ont à se déplacer,
vailler sur un projet de vie ! Pourtant, la
à rédiger (certains sont analphabètes) et à
vieillesse, ça a encore du temps…”
simplement demander leur dû, on peut juIl n’y a qu’à écouter ces vieux pour comger cette dernière condition bien cynique.
prendre qu’ils portent encore plein de rêves
La France, qui a déjà réalisé de belles écoet même souvent de vrais projets de vie. Ennomies, continue donc à glaner encore
touré de chibani, Math Samba est attablé au
quelques sous sur le dos de ces vieux qui
café. Le vieux monsieur d’origine sénéga-
L
“
e logement, point crucial
pour ces vieux migrants,
conditionne souvent l’attribution de pensions, le regroupement familial… Il vient juste
après les pensions dans l’ordre
des préoccupations de ces vieux”,
remarque Carine Boisserie,
assistante sociale au Café social de Belleville, régulièrement sollicitée sur cette question. “La plupart des vieux
migrants habitent en hôtel meublé, en foyer ou sont hébergés
chez des amis. Des conditions
souvent très difficiles : toilettes
sur le palier, hôtel sans douche…”
Et rien ne facilite la vie de ces
personnes qui se voient par
exemple souvent refuser des
58 LE COURRIER DE L’ATLAS
quittances de loyer, indispensables à leurs démarches. “Les
logements sociaux de la mairie
de Paris réservés aux retraités de
plus de 65 ans restent chers (environ 500 euros par mois), comportent des contraintes (l’impossibilité par exemple d’inviter une
personne chez soi) et constituent
un engagement qui n’est pas toujours adapté à ces personnes.
Beaucoup en effet ne visent pas
l’installation définitive, note l’assistance sociale, préférant vivre
entre les deux pays.” Il n’est pas
rare que ces personnes se retrouvent du jour au lendemain
à la rue, suite à une longue
hospitalisation ou à un retour
précipité au pays. “Expulsés, ils
doivent alors faire le
115 pour trouver un
hébergement d’urgence, généralement
organisé en dortoirs
et pas vraiment
adapté à ce public
âgé. C’est très difficile
pour ces retraités qui
n’ont jamais été à la
rue.”
Aujourd’hui, à Paris, le Café
social projette de mettre fin au
nomadisme de quelques-unes
de ces personnes, hommes et
femmes “célibatairisés”, en
créant une résidence d’appartements de 150 à 250 euros avec
accès à des espaces collectifs
(cuisine, bureau, salle de
soins…). Une solution, assure
leurs auteurs, “beaucoup moins
onéreuse et économiquement plus
rentable que celle consistant à verser l’APL (Aide personnalisée
au logement) pour les hôtels
meublés ou des foyers”. Un projet
qui nécessite cependant un véritable engagement politique et
financier…
NUMÉRO 2 MARS 2007
Max PPP
Vieux et sans domicile fixe
enquête
laise prend son goûter, un lait chaud et des
croissants. Ses problèmes ne diffèrent pas
de ceux des chibani : une petite retraite
(700 euros) et une résidence pour personnes âgées qui vient d’augmenter ses loyers.
“Je viens de demander à déménager dans un
foyer Sonacotra. Je paierai 92 euros.” Et tant
pis pour la sale réputation de la Sona, ses
contrôles, son flicage contre la surpopulation, ses expulsions… Math gagnera quelques précieuses dizaines d’euros. Né en
1926, il va fêter ses 81 ans cette année.
Ouvert et curieux, il discute volontiers avec
tout le monde et ne se fait pas prier pour
parler de lui : Dakar, ses classes à Bamako,
l’école de comptable de l’armée de l’air à
HASSAN,
J-P Guilloteau/L’Express/Editing server.com
électricien en
bâtiment, 64 ans,
expulsé
“Je suis arrivé en France
le 29 décembre 1969. Ces dix
dernières années, je louais
un studio rue de la Mare,
à Paris, dans le 20e. Un petit
appartement insalubre avec
des cafards partout. Le plancher
était cassé et ça provoquait
des fuites chez la voisine.
J’en ai parlé au propriétaire,
mais il a toujours refusé
de faire les travaux et ce, malgré
les multiples interventions
du service d’hygiène.
Finalement, voyant que le
propriétaire persistait dans son
refus, j’ai cessé de payer le loyer.
Il a alors vendu le studio.
Le nouvel acquéreur m’a
NUMÉRO 2 MARS 2007
Nantes, puis Romorantin, Paris, son poste
de géomètre, le racisme blessant et enfin ses
tournées comme musicien, le cabaret des
Champs-Elysées Le Perroquet où il se produisait, le djembe, le banjo, ses spectacles à
Sofia, Osaka, ses rôles dans La vie devant soi
avec Simone Signoret, Black Mic Mac…
Math sort d’une pochette plastique quelques
photos qu’il étale : des flyers, des scènes de
spectacles le montrant jeune cracher le feu,
danser, des copains du bout du monde…
Puis Math sort deux CD. “Voilà, je cherche
un producteur, si tu peux m’aider.” Math a un
groupe qui porte son nom, Trio Math Samba, et il souhaite bien encore s’agrandir : “Je
voudrais deux danseuses en plus.”
plusieurs fois menacé
physiquement pour que je parte,
mais j’ai tenu bon. Un jour,
en rentrant chez moi, j’ai eu la
surprise de découvrir que
l’entrée de l’immeuble avait
été murée. En fait, j’étais le seul
locataire à y demeurer,
malgré mes multiples demandes
effectuées au service
logement de la mairie. Tous
mes anciens voisins avaient
trouvé à se loger ailleurs.
L’assistante sociale n’arrêtait
pas de me dire ‘patience,
patience’, mais patienter jusqu’à
quand ? Jusqu’à ce que je meure ?
C’est maintenant que j’ai
besoin d’un logement. Si je crève,
je n’en aurai plus besoin.
Quand je me suis retrouvé
à la porte, je n’avais que ma
chemise sur le dos. Toutes
mes affaires (vêtements, photos
de mes enfants) étaient restées
dans l’appartement. J’ai déposé
DE L’AUTRE CÔTÉ DE
LA MÉDITERRANÉE,
COMPLICITÉ OU INDIFFÉRENCE
“Si les pays subsahariens ont quand même quelquefois râlé auprès de leurs anciens maîtres de
métropole, à l’image du président sénégalais
Wade défendant ses ressortissants lésés, les pays
du Maghreb semblent avoir beaucoup plus de
mal à reconnaître la participation de leurs ressortissants à l’armée française.” Pour Antoine
Math, du Gisti, “non seulement ces pays du
Maghreb n’ont pas aidé leurs ressortissants, anciens combattants, retraités, mais ils ont tout fait
pour enterrer les possibilités de revendication”.
Comment s’étonner dès lors de l’accueil plutôt froid d’Indigènes par les autorités algériennes qui avait même refusé à Jamel Debbouze son visa d’entrée en Algérie où il devait
présenter le film ? “On pourrait presque parler
de complicité, dit Ali Abchi, militant à l’Association des travailleurs marocains de France
(ATMF). Je reviens de Casa et, à l’annonce du
projet Borloo, la chaîne 2M parlait de victoire
pour les vieux Marocains. Sans être le porteparole de ces personnes, elle aurait pu montrer
un peu plus d’esprit critique !”
Omar Samaoli préfère se laisser aller à un
peu plus d’optimisme : “Au Maroc, le regard
change. Ceux qu’on appelle les ‘euros’ ou les
‘navettes’ ne sont plus seulement vus comme
une plainte. Le tribunal
a désigné un avocat commis
d’office. Mais il ne me donne
jamais de nouvelles. Chaque
fois que je l’appelle pour savoir
où en est l’affaire, si je vais
bientôt être dédommagé,
il me fait dire par sa secrétaire
qu’il n’est pas là.
Depuis maintenant trois ans,
j’habite un meublé, boulevard de
Belleville, qui n’a d’hôtel que le
nom. Quand je repense aux caves
où j’installais l’électricité du
temps où je travaillais dans le
bâtiment, je me dis que je
préférerais encore y habiter
plutôt que dans ce gourbi ! Je
paye 238 euros par mois pour
une chambre qui était une
ancienne cuisine. Le buffet qui
me sert d’armoire part en pièces
détachées. Il n’y a pas de
radiateur, pas de douche non
plus. La chambre est infestée de
cafards. Il m’ont déjà abîmé trois
postes de télé. La journée,
ils ne me dérangent pas trop,
je les écrase. Mais la nuit,
ils se promènent sur mon corps
et ça me réveille. Je n’ai pas
intérêt à dormir la bouche
ouverte ! Je dépense un argent
fou en insecticides, mais
pas moyen d’en venir à bout.
Je pourrais appeler le service
d’hygiène, mais je me ferais
jeter par la propriétaire. Déjà
qu’elle n’est pas contente
parce que je refuse de payer cash,
mais en mandat, pour avoir une
preuve de mes règlements.
Je voudrais chercher autre chose,
mais je ne gagne que 430 euros
par mois et je ne peux pas
me permettre de payer plus
pour me loger. Je ne touche pas
encore ma retraite, il faut
que j’attende d’avoir 65 ans,
l’été prochain, inchallah.”
Propos recueillis par Y. O.
LE COURRIER DE L’ATLAS 59
enquête
des devises qui transitent, mais comme des
hommes vieillis, avec de nouvelles aspirations.
Nous sommes dans une phase de reconnaissance politique de leur existence.” La problématique doit se poser avec d’autant plus
d’acuité de l’autre côté que “la question de
l’avancée en âge se pose aussi dans nos pays
d’origine. Vivre, consommer, être rassuré sur la
présence d’un plateau technique sanitaire à la
moindre alerte… Il faut aussi préparer l’accueil
de ceux qui souhaitent retourner au pays, dans
les modes de vie qu’ils souhaitent.”
nes, lançant des pétitions avec le Catred, le
entre associations”. La mise en réseau de touGisti, l’ATMF, multipliant les contacts avec
tes ces énergies est sans aucun doute le
des associations de retraités en France ou
prochain chantier : “Nous allons travailler
soumettant des propositions comme celle
davantage ensemble et intervenir de la façon la
du chèque-logement. Elle espère aussi plus
plus collective possible sur la scène publique en
d’argent : “On aimerait sortir un guide des
alertant par exemple les parlementaires.”
droits pour ces personnes”, dit Boualem.
Par des réponses étriquées et mesquines,
D’autres associations préfèrent instrumenempreintes de calcul, la France a certainetaliser la question, donnant à ces revendicament raté l’opportunité de solder tout un
tions une coloration
ensemble de frustrations d’une population
plus identitaire et
qui a beaucoup donné à ce pays et ne deLA FRANCE A CERTAINEMENT RATÉ L’OPPORTUNITÉ communautariste. mande rien. Une attitude de mépris qui
C’est le cas des Indisera mise au passif de la France sur la maDE SOLDER UN ENSEMBLE DE FRUSTRATIONS
gènes de la Républinière dont elle aura traité les anciens. “Ces
D’UNE POPULATION QUI A BEAUCOUP DONNÉ
que, d’ailleurs totaleinjustices à l’égard des vieux, des anciens comÀ CE PAYS ET NE DEMANDE PAS GRAND-CHOSE.
ment absents sur le
battants cumulés aux discriminations à l’emterrain et préférant la
bauche, au logement... constituent une vérita“cybermilitance”. “Ces chibani n’ont justement
ble bombe à retardement, acculant les intéressés
dence sans famille, logés dans des endroits à la
aucun ressentiment pour la France. Ils sont
à chercher d’autres formes de solidarité, mais
limite de l’indignité. Il est scandaleux de ne pas
même extrêmement indulgents. Et puis il s’agit
aussi d’autres références comme la commuchercher aujourd’hui de solutions pour faciliter
de déni de droits, pas d’une situation coloniale !”,
nauté ou le refuge dans la religion”, prévient
leur va-et-vient ! Et qu’attend-on pour prendre
précise encore le militant de Ghorba, égaleali El Baz, président de l’ATMF. Un mépris
des mesures sur les transports, les rapatriements
ment responsable associatif à DiverCité.
qui pousse à “une crise de confiance dans les
de corps, les transferts d’argent… ?”
Face aux résistances et à la léthargie politivaleurs de la République, en particulier l’égaSi les revendications des vieux migrants ne
que, les associations réfléchissent à des
lité entre les citoyens”.
sont quasiment portées par personne, l’inmodes d’action et de sensibilisation nouCe que demandent ces vieux ? Peu de chotérêt qu’elles suscitent, comme la populaveaux. Au Gisti, on reconnaît une “absence
ses au fond : aller et venir comme bon leur
tion concernée, est croissant. On observe
de lobbying continue” au sein du mouvesemble tout en conservant leurs droits. Rien
même sur le terrain de nouvelles associament, mais aussi une “faiblesse des échanges
de plus. ■
tions, souvent de quartiers populaires,
comme DiverCité, Ghorba… Longtemps,
les jeunes ont été pris dans l’engrenage de
leur propre survie. Aujourd’hui, ils ont
perçu l’iniquité que subissent leurs parents
Et les chibaniat ? On ne sait quasiment rien d’elles. Aucune étude ne s’est
et grands-parents et, quelquefois même,
portée
sur ces femmes en France, à la différence d’autres pays européens, comme
quelques similitudes avec leur propre vie et
l’Espagne où cette émigration s’est très tôt féminisée. Si ces femmes migrantes
l’ostracisme dont ils sont aussi l’objet. L’asmaghrébines aujourd’hui âgées n’ont pas été directement concernées par les grandes
sociation Ghorba (ex-Ici et là-bas) milite
vagues d’émigrations ouvrières des années 60-70, elles ont quelquefois accompagné
pour les chibani et tous les vieux migrants.
leur mari, dans le cadre du regroupement familial. De ce fait, elles sont aussi moins
“Le syndrome Benguigui, on n’en veut pas !
dans ce va-et-vient perpétuel avec leur pays d’origine qui caractérise les chibani, leurs
prévient Boualem Azahoum, 39 ans, milienfants vivant généralement en France. On compte aussi un certain nombre de veuves,
tant à l’association. Faire pleurer, c’est bien,
souvent dans des situations de grande précarité. Et quelques femmes, enfin, arrivées
agir c’est mieux.” Et l’association est justeseules, en rupture avec leur milieu d’origine, divorcées, etc. Aujourd’hui, elles vivotent,
vendent des m’semen dans la rue pendant le ramadan, font des ménages…
ment sur tous les fronts, visitant des foyers,
interpellant les producteurs du film Indigè-
Les femmes aussi
60 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
J-P Guilloteau/L’Express/Editing server.com
UN COMBAT DÉSORMAIS
AUSSI PORTÉ PAR DES JEUNES
Les premières associations à avoir soutenu
les vieux migrants sont celles présentes sur
leurs lieux mêmes de vie. “Ça fait trente ans
qu’on les accompagne. On a vieilli avec eux.”
Geneviève Petauton, présidente du Copaf,
est remontée contre le traitement qui leur
est réservé. “Ils ont travaillé ici dans des
conditions déplorables, ont été assignés à rési-
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religion
RACHID BENZINE, chercheur associé à l’Observatoire du religieux (Aix-en-Provence)
“La communauté maghrébine
en France est encore
dans un islam identitaire”
RÉFLEXION A 36 ans, Rachid Benzine détonne
dans le paysage des nouveaux penseurs arabomusulmans, notamment depuis la parution de son
livre, Les nouveaux penseurs de l’Islam. Ce chercheur
a l’art des formules qui font mouche. Au risque de
se faire un peu plus d’ennemis, il balaie les discours
démagogiques ou manipulateurs au sujet du Coran.
Que leurs auteurs soient des barbus ou des
pouvoirs politiques qui jouent avec le feu. Entretien.
L
e Courrier de l’Atlas : Vous êtes l’un
des nouveaux penseurs modernes de
l’islam. Comment essayez-vous de repositionner les débats passionnés qui entourent cette religion et de nous prémunir
contre les manipulations ?
Rachid Benzine : Souvent, lorsque l’on parle
de l’islam, que ce soit au sud ou au nord de
la Méditerranée, on ne prend pas la peine
de clarifier les concepts, comme s’il était
évident que derrière chaque mot on mettait
tous la même chose. Tant que nous
n’aurons pas démonté tous les discours
pour déconstruire le mot “islam” et essayé
de comprendre ce qu’il recouvre, l’islam
continuera à fonctionner comme un fantasme, de part et d’autre. On continuera
ainsi à participer au “choc des imaginaires”.
D’un côté, on a une sorte d’apologie défendue par des gens qui n’ont plus que l’islam
comme recours identitaire, qui se sentent
agressés, et pour qui l’islam est une espérance, un refuge et même, pour certains,
62 LE COURRIER DE L’ATLAS
un tremplin politique. De l’autre côté, occidental, on a tendance à prendre un fragment court de l’histoire des sociétés arabomusulmanes et à en tirer des conclusions
“essentialistes” en disant : “Vous voyez, c’est
ainsi que fonctionnent les pays musulmans…”
On est vraiment dans le court terme et tant
que l’on n’aura pas déconstruit cela, on
continuera à fantasmer de part et d’autre.
Plusieurs discours sur l’islam peuvent-ils
cohabiter ?
Oui, il y a plusieurs discours, mais la véritable question est : est-on est prêt à écouter
ces différents discours ? Nous avons en
effet à chaque fois un discours qui s’élève
pour se proclamer le seul véritable,
l’authentique, se référant pour cela à des
ancêtres éponymes, à des ouvrages classiques de la tradition musulmane, ou directement à des versets du Coran qui vont
dans le sens de ce qu’il souhaite démontrer. Le texte devient un instrument pour
prouver ce que l’on avance, que l’on soit
réformiste, moderniste, traditionaliste
conservateur ou intégriste. Le rapport au
texte n’est pas pensé. Il y a un accès sauvage au texte, renforcé par le fait
qu’aujourd’hui, dans les sociétés du Sud,
le seul vocable “islam” est mobilisateur de
la masse, alors qu’il y a trente ou quarante
ans, c’était plutôt le socialisme ou le
marxisme qui mobilisait. Donc si nous ne
montrons pas aux gens comment l’islam
apparaît, comment il mobilise, comment
il prend en charge aujourd’hui un certain
nombre de problèmes, nous continuerons
à naviguer sans savoir où nous allons.
Par ailleurs, dès qu’on parle de ces sociétés-là, on n’utilise plus les sciences sociales
et les sciences humaines : elles disparaissent complètement au profit du seul facteur “islam” qui expliquerait toutes les situations, qu’elles soient économiques,
politiques, sociales ou juridiques. Or, pour
appréhender des pays comme le Maroc,
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
Propos recueillis par Yann Barte et Hassan Ziady
avec Mohamed Idrissi et Valérie Defournier
religion
l’Indonésie ou la Jordanie, il faut faire appel à toutes les sciences sociales et humaines : l’économie, la démographie, la sociologie, l’anthropologie. Au lieu de quoi,
nous pensons qu’en prononçant le mot
“islam”, on a tout expliqué. Or, sans le passage obligé par les sciences sociales, nous
n’avons en fait que participé davantage à
la confusion. Pire, on joue le jeu des fondamentalistes qui, dans une vision totalisante des sociétés, veulent que tout passe
à travers la variable religieuse.
Pour vous, tous les sujets doivent-ils être mis
sur la table ? Ou y a-t-il des limites, comme
la croyance ?
On peut parler de tout à condition de savoir
de quoi on parle. Il faut d’abord définir les
termes du débat. Je rappelle que la croyance
en Dieu relève de la confiance, c’est la définition même de la foi. Si vous avez confiance, vous pouvez alors interroger et déconstruire tous les systèmes de croyance
élaborés par la tradition.
La religion relève-t-elle d’un espace individuel ?
Il faut distinguer la foi de la religion. La religion est une institution humaine, au sein
de laquelle un groupe social va revendiquer
un monopole. La foi c’est autre chose, c’est
une démarche individuelle et, là, personne
ne peut absolument rien dire. Chacun sait
ce qu’il a à faire ou ne pas faire, mais nous
n’avons pas à définir qui est croyant et qui
ne l’est pas, car ce serait se considérer comme juges. Or, devenir juge, c’est peut-être
le plus grand des péchés : c’est se prendre
pour Dieu ou pour le prophète.
Vous revenez du Moyen-Orient, notamment
de Syrie : ce discours est-il bien reçu là-bas ?
J’arrive à dire dans le monde arabo-musulman des choses qui, ici en France, devant
un parterre de musulmans, ont plus de mal
à passer. En France et en Europe, nous
sommes encore dans un islam identitaire.
Il ne faut donc pas croire que les pays musulmans sont incapables de recevoir ce type
de discours. La seule chose qui empêche
encore le développement de la pensée dans
ces pays-là, c’est l’état de la société ou plus
précisément ce qu’on appelle les “cadres
sociaux de la connaissance”. Les régimes
politiques empêchent ce type de pensée de
progresser. Des théologiens, nous en avons,
des penseurs, nous en avons aussi, mais on
ne met pas encore suffisamment en avant
leurs travaux.
NUMÉRO 2 MARS 2007
C’est quasiment une approche marxiste ?
que nous nous focalisons uniquement sur
C’est une approche qui repose sur les science type de phénomène. Comme dit un proces humaines, qui permettent d’analyser
verbe africain : “On entend l’arbre tomber,
l’homme en société : nous avons pour outils
mais on n’entend pas la forêt qui pousse.”
On n’entend pas l’islam vécu des gens,
l’histoire, l’anthropologie, la démographie,
vécu dans l’intimité, quand la foi est quelet je ne vois pas pourquoi je ne les utiliseque chose d’intérieur. Aujourd’hui, nous
rais pas ! C’est comme si vous demandiez à
retenons uniquement ceux qui se lèvent et
un médecin d’opérer sans le matériel à sa
qui prennent la parole pour dire que l’isdisposition ! Le problème, c’est que des
lam “c’est ceci ou cela”, ou pour dire “cela
gens sont dans une concurrence pour le
est permis et cela est interdit”. Lorsque je
monopole de l’interprétation. Car il ne faut
regarde l’histoire de l’islam en tant que
pas oublier que ce qui est fondamentalereligion, je m’aperçois qu’il a toujours trament en jeu, c’est l’interprétation, car qui
versé des crises : il est une construction
détient l’interprétation détient le pouvoir.
sociale et historique. Les gens qui fantasLa question est donc de savoir qui a la légitimité pour interpréter et dire la norme.
On peut reconnaître
“DÈS QU’ON PARLE DES SOCIÉTÉ MUSULMANES,
que les savants ont
ON
N’UTILISE PLUS LES SCIENCES SOCIALES ET
un savoir, mais
LES
SCIENCES HUMAINES POUR LES ANALYSER :
aujourd’hui, il faut
que les musulmans
ELLES DISPARAISSENT COMPLÈTEMENT AU PROFIT
se réapproprient
DU SEUL FACTEUR ISLAM QUI EXPLIQUERAIT
leur texte, leur hisTOUTES LES SITUATIONS, ÉCONOMIQUES,
toire et qu’ils fassent
POLITIQUES, SOCIALES OU JURIDIQUES.”
de l’ingérence interprétative. On ne
peut pas dire que
ment sur un islam pur des origines se font
telle personne seulement est habilitée à dire
des illusions. Ils s’inventent une tradition
la véritable interprétation. Pour moi, la
et un héritage. Or, une société doit pouvoir
“bonne” interprétation n’existe pas. Celui
clarifier son passé pour s’ouvrir à l’avenir,
qui énonce une interprétation, aussi savant
justement. Vis-à-vis du présent, elle doit
soit-il, aussi admirable soit-il, ne peut pas
donner la capacité aux nouvelles général’imposer, car elle reste la sienne propre.
tions de réinterpréter l’héritage. Or,
S’il l’impose, cela devient une violence symaujourd’hui, nous ne réinterprétons pas
bolique, et s’il a recours à la force, cela del’héritage, tout simplement parce que nous
vient une violence physique.
considérons qu’il n’y a rien à interpréter.
Nous sommes enfermés dans un miméTout le monde est donc légitime pour poser
tisme répétitif.
ce genre des questions ?
Tout le monde est légitime à partir du moPour vous, tous ces nouveaux courants trament où l’on crée un espace de discussion
duisent-ils la situation économique et soutile et rigoureux. Les savants musulmans
ciale des pays arabes ?
sont légitimes, la population est légitime, à
Le monde arabo-musulman est en crise
condition que nous trouvions un cadre dans
parce qu’avec l’introduction de la moderlequel débattre, avec des outils adéquats.
nité, les sociétés ont été obligées de s’acculturer de manière très rapide par rapport
Dans quel cadre ce débat peut-il être
à l’Europe qui avait eu le temps, depuis la
mené ?
Renaissance, de faire un travail sur ellePour l’instant il n’y a pas de structure. En
même. Les sociétés arabo-musulmanes
même temps, on sent dans les pays muont été sommées de rentrer dans la “mosulmans qu’il y a de plus en plus de débats
dernité”, notamment la modernisation
sur le texte coranique, même si nous avons
technologique. Tout le problème est que
encore du mal à le voir. Je crois que l’isnos cultures ne sont pas prêtes à avaler
lam, en tant que religion, traverse une
autant d’apport : cela déstructure le tissu
crise très grave qu’il va falloir gérer. Pour
social, traditionnel. Au bout d’un moment,
le moment, les réponses sont recouvertes
la réaction est de dire : “Stop à l’échange,
par le bruit très fort que font les fondanous allons nous perdre et perdre notre
mentalistes. C’est aussi notre faute parce
LE COURRIER DE L’ATLAS 63
religion
spécificité ! C’est dans ce cadre qu’il faut
penser l’intégrisme, le fondamentalisme
et le fanatisme. L’intégrisme répond à un
besoin identitaire, à un moment où les sociétés arabo-musulmanes doivent concilier
l’ouverture et la fermeture en même
temps. Le fondamentalisme, lui, répond à
un besoin de morale interne, pour endiguer la déliquescence des valeurs de ces
sociétés. Enfin, le fanatisme comble le besoin de vérité : le fanatique a du mal à accepter que la notion de vérité ne puisse
plus être aussi absolue face aux sciences
qui ont rendu cette notion de vérité très
floue.
Et la perception de l’islam comme étant plutôt violent ?
Je ne dis jamais que l’islam est une religion
de violence ou de paix. Il n’y a pas d’essence
religieuse : la religion est toujours liée à la
manière dont les gens la vivent. Pour moi,
il n’existe pas de religion sans que les gens
se l’approprient.
Pourtant, l’Occident a tendance à penser que
l’islam est une religion violente…
C’est une fausse lecture, car on construit la
réalité sociale à partir d’images et de discours, et on nous dit que c’est la réalité. Les
gens s’entre-tuent avec ou sans la religion.
Le siècle passé nous l’a suffisamment montré. Le religieux ne devient qu’un mobile.
Ce qui s’est passé en Algérie à la fin des
années 80, par exemple, est une guerre civile dont on n’a pas su saisir les tenants et
les aboutissants. On a expliqué cela comme
un conflit entre l’islam et l’armée. Or, les
enjeux étaient d’abord politiques. Au lieu
de faire appel à des historiens qui nous
donneraient des clés de lecture pour appréhender le phénomène dans sa complexité,
on réduit tout à un simplisme extrême. Si
l’on a vraiment envie de vivre ensemble, on
a intérêt à montrer aux gens la complexité
64 LE COURRIER DE L’ATLAS
“LES SOCIÉTÉS ARABO-MUSULMANES ONT ÉTÉ SOMMÉES DE RENTRER
DANS LA MODERNITÉ. MAIS NOS CULTURES NE SONT PAS PRÊTES
À AVALER AUTANT D’APPORT. CELA DESTRUCTURE LE TISSU SOCIAL,
TRADITIONNEL. LA RÉACTION EST DE DIRE : STOP À L’ÉCHANGE.
NOUS ALLONS NOUS PERDRE. C’EST DANS CE CADRE QU’IL FAUT
PENSER L’INTÉGRISME, LE FONDAMENTALISME, LE FANATISME.”
des phénomènes. Nous avons absolument
besoin de subvertir toutes les catégories que
nous utilisons : “Vous pensez que le problème
est là ? Et bien, on va le déplacer et vous donner
un autre regard et ce regard-là, c’est ce qui va
vous empêcher d’aller vers ce choc des imaginaires.” Voilà quelle doit être notre tâche.
Le débat progresse-t-il au Maghreb ?
La Tunisie de Ben Ali est le pays le plus
avancé en terme de recherche. Et c’est surtout dans le milieu universitaire, entre intellectuels, que les débats ont lieu.
En Algérie, on a été pour l’instant davantage
préoccupé par la réconciliation nationale
après la guerre civile. Cela n’a pas encore
laissé de place pour le débat.
Le Maroc est un troisième cas qui me semble vraiment très intéressant. Dans ce pays,
le débat progresse parce qu’il y a de plus en
plus d’espaces où on peut débattre de ces
questions même si ces espaces restent encore très fragiles.
Pourtant, les obscurantistes gagnent du terrain partout…
On raconte aux musulmans des histoires
qui ne sont pas le fruit de la raison analytique, mais de l’imaginaire religieux dégradé.
En Syrie, j’ai consacré une bonne partie de
mes interventions à décortiquer les histoires dans le Coran. Je prenais quelques histoires et je demandais aux auditeurs : “Pensez-vous que le Coran raconte des histoires au
sens de l’Histoire que nous avons aujourd’hui ?
S’agit-il d’histoires ou de récits à vocation pédagogique ?
Il faut faire très attention à ne pas prendre
ces récits pour de l’Histoire, sans quoi nous
allons au-devant de sacrés problèmes. Prenons le récit de Noé : il nous vient de la Mésopotamie, et il a ensuite été retraduit par
le texte biblique qui l’a réinterprété, puis
par le texte coranique qui, lui aussi, en a fait
autre chose. Il faut donc lire le texte coranique selon son propre système interne, car
il n’a pas vocation à dire l’histoire, mais à
enseigner des choses au travers de récits. Le
passage de la mer, par exemple, il faut le
lire d’abord comme une métaphore, car
dans l’Antiquité, le chaos primitif était figuré par de l’eau partout sur la terre, et
cette eau représentait la mort, le déluge.
La séparation de l’eau correspond donc à
l’idée d’une création, d’une nouvelle naissance, un peu comme si l’on passait de la
mort à la vie. Métaphoriquement, l’ouverture de la mer fait passer le peuple hébreu
de la mort à la vie, de la servitude au service
de Dieu.
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
Comment votre discours est-il reçu en
France ?
La communauté maghrébine en France
est encore dans un islam identitaire. Les
parents des enfants actuels n’avaient pas
ce problème : ils savaient d’où ils venaient
et, pour eux, l’islam comme religion ne
posait aucun problème. Leurs enfants en
revanche se posent la question. En sociologie, c’est un processus normal, renforcé
par les crises que traversent les pays européens, avec le 11 septembre ou la guerre
d’Irak.
polémique
Robert Redeker
persiste et signe
POLÉMIQUE Quatre mois après sa diatribe
provocatrice contre l’islam, on attendait du prof
un essai philosophique. Ce n’est que le journal
intime d’un enseignant qui règle ses comptes.
par Hanane Harrath
Abaca
L
e 19 septembre 2006, Le Figaro publiait dans ses colonnes le texte d’un
prof de philosophie qui voulait sauver
la France, l’Europe et le monde dit libre, de
“l’islamisation des esprits”. Dans ce pamphlet
consternant, Robert Redeker comparait l’islam au communisme soviétique, La Mecque
à Moscou, et en appelait à la plus grande vigilance quant à cette religion violente et
conquérante qui voulait plier “le monde libre
à sa vision de l’homme”. Le jour même, il recevait, en même temps que les félicitations
d’un collègue suisse et d’un prof de Sciences
Po Paris, les menaces de musulmans indignés de voir leur prophète qualifié de “chef
de guerre impitoyable, pillard, massacreur de
juifs et polygame”.
On ne peut que regretter que cet homme
soit aujourd’hui contraint de vivre caché
avec sa famille et condamner avec force les
appels au meurtre dont il a fait l’objet – il
s’agit bien d’appels au meurtre et non de
fatwa (2), comme il le reprend dans le soustitre de son livre Une fatwa au pays de Voltaire. Il ne va dorénavant plus enseigner et
rejoindra bientôt le CNRS.
Dans son livre, il raconte la fuite à laquelle
il a été contraint. Il compte, aussi, beaucoup : les gens qui l’ont soutenu et ceux qui
lui ont tourné le dos, les journaux qui l’ont
défendu, comme Le Monde, et ceux qui l’ont
critiqué, comme L’Humanité. Il redit sa colère contre le ministre de l’Education nationale, Gilles de Robien, qui lui avait rappelé
“le devoir de mesure et de réserve de tout fonctionnaire”, et remercie Sarkozy qui, le 9 octobre, lui apportait un soutien net en affirmant : “En démocratie, on a le droit de parler
de ce qu’on veut (…). La démocratie n’a pas à
se laisser impressionner.” Avec lui, Redeker
NUMÉRO 2 MARS 2007
retrouve foi en cette République française
qu’il ne reconnaît plus. Il répète à l’envi
combien il est étonné de se retrouver dans
le rôle de la victime alors qu’il n’a fait
qu’exercer “un droit constitutionnel des plus
élémentaires”. Il ne fait aucune concession :
soit on est avec lui, soit on est contre. Il
jette ainsi son opprobre sur tous ceux qui
disent : “Nous condamnons les menaces, mais
ses propos haineux n’avaient pas lieu d’être.”
Etrange, pour celui qui condamne les pensées totalitaires, sans nuances.
A l’époque, un an après la publication des
peu partout dans le monde. Or, on est encore loin du compte. Ensuite, ce schéma de
pensée conforte l’idée qu’il y aurait un ennemi commun homogène qui serait le monde musulman. Or, non seulement ce dernier
est extrêmement divers, mais plus encore,
ceux qui, en son sein, portent des discours
extrémistes sont une minorité. Ce sont justement ceux-là que Redeker choisit d’ériger
en porte-parole représentatifs de l’islam. Il
se plaît ainsi à agiter un épouvantail de terreur pour le plus grand bonheur de ceux qui
cherchent la rupture de communication Occident-Orient. En
faisant
cela, il nie
REDEKER SE PLAÎT À AGITER UN ÉPOUVANTAIL DE
le droit à l’existenTERREUR POUR LE PLUS GRAND BONHEUR DE CEUX
ce de tous ceux
QUI CHERCHENT LA RUPTURE ORIENT-OCCIDENT.
qui, dans le monde musulman,
fameuses caricatures et au moment de l’afœuvrent au dialogue et à l’ouverture.
faire du discours du pape (3), on aurait pu
Car contrairement à ce que pense et répète
attendre d’un professeur de philosophie
Redeker, “l’ouverture à autrui” et la liberté
qu’il analyse avec recul, sans démagogie ni
d’expression ne sont pas l’apanage de l’Occipolémique, la complexité de ces situations.
dent judéo-chrétien. A l’époque classique de
Mais Redeker choisit de se complaire dans
l’islam, les philosophes étaient bien plus crila vision manichéiste véhiculée par des protiques et bien plus subversifs : aujourd’hui,
phètes de malheur, Huntington (4) en tête.
dans le monde musulman, beaucoup d’écriLa marche du monde est pour eux réduite
vains et de chercheurs défendent cet héritage
à la plus extrême des simplicités : l’opposiet prolongent ce travail. Mais avec finesse,
tion entre un monde de justice et un monde
intelligence et pertinence, pas avec mépris,
de violence, entre un monde de libertés et
simplisme et perfidie.
un monde d’oppression. En un mot, entre
(1) Il faut tenter de vivre, éd. du Seuil, 12 €.
le monde civilisé judéo-chrétien et celui,
(2) Une fatwa est un avis juridique qu’émettent
musulman, de la barbarie.
par consensus des autorités religieuses
Ce n’est pas sérieux. D’abord, ce monde
habilitées. Dans le cas de Redeker, aucun avis
officiel de ce genre n’a été émis, comme ce fut le
“libre” dont parle Redeker n’existe pas. Car
cas pour Salman Rushdie ou Taslima Nasreen.
dans un monde libre, et vraiment libre, on
(3) Dans son discours de Ratisbonne le
pourrait tout dire des injustices, des viola12 septembre 2006, le pape interpellait l’islam
tions des droits de l’homme et du droit insur son rapport à la raison et à la violence.
ternational qui se passent sous nos yeux un
(4) L’auteur américain du Choc des civilisations.
LE COURRIER DE L’ATLAS 65
sexualité
ENTRETIEN AVEC MALEK CHEBEL, spécialiste de l’Islam
Le plaisir charnel selon l’Islam
Propos recueillis
par Lina Rayan
L
e Courrier de l’Atlas : Après avoir écrit
L’islam et la raison, un ouvrage un peu
ardu, pourquoi ce livre Le Kama-Sutra
arabe ?
Malek Chebel : J’ai constaté depuis vingt
ans que l’univers de la sexualité ne cesse
de se rétrécir. Deux raisons essentielles
expliquent ce phénomène : la croisade morale menée par les fondamentalistes de
tous les pays sous l’influence intégriste et
la perte de confiance qui s’ensuit chez les
jeunes dans la plupart des pays arabes et
musulmans.
Le Kama-Sutra arabe montre que la sexualité a toujours été un lieu de ressourcement
pour la pensée, pour les jeunes, pour les
femmes et même pour les théologiens. Il
faut revenir à cette période plus jouissive, et
je prétends plus imaginative.
La sexualité dans l’Orient arabe ou musulman suscite une littérature qui se situe entre
folklore et fantasme. Qu’en est-il au juste ?
Il y a certes le folklore (Les mille et une nuits,
les anecdotes licencieuses, les orgies supposées), il y a aussi le fantasme (les Arabes
sont des étalons qui n’arrêtent pas de faire
l’amour et de jouir), mais il y a aussi la réalité, celle de l’émotion sexuelle, aussi bien
sentimentale que physique. Il ne faut pas
oublier que nous parlons à des jeunes (la
société arabe dans son ensemble enregistre
un taux de jeunes infiniment plus développé qu’en Occident, par exemple). Or, les
jeunes ont beaucoup d’appétit sexuel. A
cela, il faut ajouter que parmi eux, les femmes cultivent une curiosité très active pour
la question de l’amour (ce qui englobe chez
elles le sexe). Le Kama-Sutra arabe répond à
ces besoins, car la société a besoin d’éléments d’appréciation technique et d’évaluation qui lui permettent d’entrer dans la vie
sexuelle sans trop d’angoisse.
Votre ouvrage, qui reproduit de larges textes
d’auteurs musulmans, dessine la géographie
de la sexualité en terre d’islam. Comment
expliquez-vous cette liberté de parole ?
Le constat premier qui s’impose à tout lecteur objectif, c’est que nos ancêtres ont été
66 LE COURRIER DE L’ATLAS
de meilleurs musulmans que nous. Pourtant, la sexualité n’était pas chez eux quelque chose d’impur ou d’antireligieux. Les
limites qu’ils s’étaient érigées étaient seulement culturelles. Mais ni l’imam, ni le gouvernant, ni le juge ne voyaient d’un mauvais
œil cette curiosité, qui, je vous le rappelle,
est à la base de la civilisation humaine. On
peut d’ailleurs considérer cette liberté de
parole dans le domaine sexuel comme un
indice de la liberté tout court, politique, intellectuelle et spirituelle. Elle est un instrument de mesure précieux pour comprendre
les mutations de nos mœurs, en particulier
le rapport des individus à leur corps, et au
corps du partenaire.
Pourquoi le monde musulman s’enferme-til dans une vision apocalyptique dès que l’on
parle d’amour et de sexe alors que la vie
réelle est tout autre ? Qu’est-ce qui explique
ce décalage ?
Chaque fois qu’une civilisation a le temps
de s’acclimater dans une région du monde,
l’élégance entre les sexes, le goût de la
beauté, la recherche des plaisirs, le recours
aux parfums, la poésie amoureuse et finalement l’amour lui-même sont des acquisitions tardives.
Chaque fois qu’une civilisation amorce
son repli, ce sont ces acquis complexes,
parce que très raffinés, qui disparaissent
en premier. Avez-vous jamais vu un designer se lancer dans une grande création
lorsque des troupes ennemies assiègent sa
ville, son pays ?
Le monde arabe sort à peine de sa perte de
personnalité collective pour entrer dans une
période de mimétisme de l’Occident ou
d’opposition frontale, ce qui revient au
même, car c’est le déni dévastateur. Il lui
faut un apaisement de longue durée pour
retrouver son innovation propre, son souffle créateur, son génie.
En attendant, la sexualité et l’érotisme sont
affectés de tares, comme pour tous les peuples assujettis ou traumatisés. Cet assujettissement peut n’être que moral, mais ses
effets sur l’individu sont particulièrement
handicapants.
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
LIVRE
Essayiste et
pédagogue
comme il
se qualifie,
le chercheur
algérien Malek Chebel
s’est imposé à travers
une approche
dépassionnée
et sereine de la
civilisation islamique.
Auteur de L’imaginaire
arabo-musulman
et de L’islam et
la raison, il vient
de publier Le KamaSutra arabe dans
lequel il explique
que le plaisir charnel
est une composante
essentielle de
l’islam. Entretien.
sexualité
Leemage
Aujourd’hui, le monde arabe semble plus
frileux que jamais : les femmes se voilent, le
pouvoir de séduction est bridé, le sentiment
amoureux contrôlé… Il existe une volonté
marquée de se purifier, de se détourner des
plaisirs licites de la chair. Que se passe-t-il et
comment expliquez-vous ce raidissement ?
Refuser les plaisirs liés à la chair est une
technique de survie utilisée depuis l’Antiquité. Il faut rappeler que cette attitude est
surtout chrétienne, car ce sont les pères de
l’Eglise qui l’ont théorisée. Aujourd’hui, le
problème du mariage des prêtres est une
réminiscence de cette période. L’islam n’a
pas condamné la chair, mais beaucoup de
musulmans peu sincères font du zèle dans
l’espoir d’acquérir une promotion supplémentaire aux yeux de Dieu. Cette tendance
n’a pas eu besoin de recruter, ils sont tous
là, tous solidaires pour refuser à l’amour de
devenir la nouvelle religion de tolérance, la
religion de la beauté : les misogynes, les
machos, les hommes archaïques, les polygames, les ennemis de la tendresse. Mais la
réalité est tout autre : Dieu ayant créé l’organe, il lui a affecté une fonction. En jouir,
c’est bien, mais cela ne justifie ni l’absence
de prière, ni la faiblesse de la foi ou la désertion des mosquées. On peut même dire
l’inverse : l’obsession de quelqu’un qui ne
pense qu’au sexe parce qu’il n’arrive pas en
jouir, l’empêche systématiquement d’être
un musulman modèle. Personnellement,
je trouve plus sain que le musulman sincère soit aussi épanoui à la mosquée que
chez lui. La sexualité est vraiment un facteur d’équilibre personnel et de promotion
spirituelle. Le Coran le dit, le prophète Mohammed l’a vécu, les hadiths le rappellent
sans cesse. Conclusion : il n’y a aucun recours à la chair qui ne se réclame peu ou
prou d’un texte sacré, Coran, Sunna, Hadith, etc. La chair est une bénédiction.
Comment interpréter le retour à une orthodoxie stricte qui déploie ses ailes partout
dans l’aire musulmane ?
La peur, l’ignorance, la manipulation et,
peut-être, ce goût particulier de vouloir diriger l’âme des croyants. Cela donne un
NUMÉRO 2 MARS 2007
“L’OBSESSION DE QUELQU’UN QUI NE PENSE QU’AU SEXE, PARCE
QU’IL N’ARRIVE PAS À EN JOUIR, L’EMPÊCHE SYSTÉMATIQUEMENT
D’ÊTRE UN MUSULMAN MODÈLE. JE TROUVE PLUS SAIN
QUE LE MUSULMAN SINCÈRE SOIT AUSSI ÉPANOUI À LA MOSQUÉE
QUE CHEZ LUI ?”
pouvoir démesuré à ceux des imams qui ne
savent pas se contrôler. Pour le reste, instruisez les gens, lâchez-leur la bride, faitesleur confiance, vous verrez comment ils
vont changer, évoluer, se surpasser…
Pourquoi le choix très marketing du titre du
livre ? Racontez-nous concrètement les dessous du Kama-Sutra arabe.
C’est une longue histoire. Elle a commencé
au Canada, à Montréal. Je travaillais sur
une anthologie de textes érotiques arabes
lorsque je me suis trouvé face à la vitrine
d’une librairie anglaise où il n’y avait que
des Kama-Sutra.
Dans la mesure où Le Kama-Sutra, c’est
aussi une étiquette du lit, une politesse et
une courtoisie amoureuses, et dans la mesure où, dans le monde arabe, les manuels
dans ce domaine manquent cruellement,
j’ai décidé de changer l’orientation de mon
travail pour l’amener vers un Kama-Sutra
authentique.
Résultat, vous avez des chapitres sur les
positions amoureuses, les aphrodisiaques,
les recettes de beauté, le massage, le coït,
la vulve et le vagin, la sodomie, la zoophilie, les noms des organes génitaux et
même un truculent chapitre sur les anecdotes liées à l’amour. Il y a aussi un index
complet d’expressions amoureuses et une
bibliographie, tout cela en partant de textes
issus de la tradition arabo-persane et maghrébine. Ce livre fera date dans mon parcours. Au moment où je parle, il connaît
un vif succès de librairie. Il vient
d’être réédité pour
la seconde fois en
un mois et demi
d’existence.
Le Kama-Sutra arabe,
de Malek Chebel,
éditions Pauvert,
22 .
LE COURRIER DE L’ATLAS 67
s
e
s
i
a
ç
n
a
Fr
& voilées
reportage
C
Rémi Ochlik/IP3 Press/MaxPPP - Sophie Pasquet
e n’est pas un rendez-vous amoureux,
téléphonique ou télévisé que la jolie
et pulpeuse Mariette, 21 ans, ne veut
pas rater en cette fin de samedi quasi printanier, mais une prière : “Celle de 18 heures 08 est la plus importante des cinq quotidiennes car elle débute au coucher du soleil et
dure plus longtemps”, explique la jeune fille,
cheveux et épaules cachés par un foulard
marron, pour justifier la fin de l’interview.
Elevée par une maman chrétienne et un
père totalement athée, Ma riette s’est
convertie à l’islam à l’âge de 20 ans, en
septembre 2005. Un mois plus tard, elle
enfilait le foulard sur son crâne et son
buste. C’est sa meilleure amie, Sara, musulmane d’origine, qui l’ouvre à cette religion qu’aujourd’hui elle qualifie, en toute
sérénité, comme la “plus véridique et la plus
scientifique de toutes”.
Mariette, “gauloise” convertie, ne serait pas
une exception en France : “Il y en a de plus
en plus comme elle qui viennent chez nous”,
remarque une jeune vendeuse de voiles de
la rue Jean-Pierre Timbaud, un quartier du
XIe arrondissement parisien très fréquenté
par les musulmans. “Du reste, un grand
nombre de mes amies, françaises de souche, en
font partie.” “Quand je me suis convertie il y a
six ans, j’étais la seule. Aujourd’hui, je suis
entourée de dizaines de filles comme moi”, raconte Jennifer, 34 ans, française traductrice
d’arabe, musulmane, voilée depuis six
ans. “J’ai vu des chiffres : c’est beaucoup”, insiste-t-elle. Des chiffres ? Il n’y en a pas.
Certes, si celui de 100 000 convertis (hommes et femmes) circule en France, il est de
l’ordre de l’extravagance. En effet, comment
évaluer le nombre de ralliés à une religion
qui n’exige qu’une simple attestation orale
devant Dieu pour en devenir membre : “En
1984, on disait en comptabiliser 40 000. C’est
certainement exponentiel, mais dire combien
ne signifierait rien”, confirme Bernard Godard au bureau des cultes du ministère de
l’Intérieur. Augmentation naturelle que le
spécialiste explique par le nombre croissant
de mariages mixtes et par la proximité, dans
certains quartiers de banlieue, de la population avec des groupes prosélytes. “Quant au
port du voile par les non-musulmanes d’origine,
ce n’est pas une nouveauté : c’est un geste militant qui est apparu en Allemagne dans les années quatre-vingt pour accompagner la révolution iranienne.”
le voile CoMMe Une “oBliGaTion”
C’est en février 2001, au large du Brésil, sur
un bateau emporté à la dérive par une tempête, que l’aventurière Jennifer, totalement
athée, se convertit à l’islam. “J’avais rencontré trois ans auparavant, en Tunisie, des musulmans qui m’avaient parlé de leur foi. Intéressée, j’ai alors lu quelques livres. Voilà, sans
plus… Jusqu’au jour où, trois étés plus tard, je
me suis retrouvée terrifiée à bord de cette em-
HIJAB En France, où la religion musulmane est
souvent stigmatisée, des jeunes femmes venant
de familles “gauloises de souche”, embrassent
l’islam et adoptent les codes dictés par la plus
stricte orthodoxie : foulard ne laissant pas
dépasser un cheveu, tuteur, prière cinq fois par
jour... Crise d’adolescence ou d’identité,
analysent les uns, choix parfaitement assumé,
rétorquent les intéressées. Reportage et analyse.
par Anne Deguy
NUMÉRO 2 MARS 2007
Mariette-Mayriam :
“La première fois que
j’ai porté le voile au su
et au vu de tous, je me
suis fait insulter par
ma belle-mère. Et le
regard des autres est
toujours aussi pénible
à supporter.”
barcation sur le point de chavirer. J’ai pensé à
la mort et à Dieu. Là, j’ai attesté ma foi musulmane. De retour à Paris, et après voir lu le
Coran, j’ai réalisé que je ne pourrais pas vivre
comme avant. J’ai donc appris l’arabe, fréquenté quelques musulmans qui m’ont instruite et entrepris mon premier Ramadan…
toute seule.” Quant au voile, il lui apparaît
quatre mois plus tard comme une “obligation”, en Tunisie, après une journée sur
une plage du Club Med. “Je l’ai toujours. Il
est rose fuchsia avec des impressions cashmere.
Je l’avais acheté sur un marché”, se souvientelle. La douceur du rose est vite assombrie
par la réaction de ses parents : si sa mère ne
tique pas – “Elle est comme toutes les mamans, elle veut mon bien !” –, son père, en
revanche, ne supporte pas cette “obligation”
posée sur sa chevelure. “Il juge mon attitude
ridicule et est persuadé que l’on m’a bourré le
mou… De toute façon, il ne croit pas en Dieu,
il est donc inutile que je discute avec lui, se
désespère cette trentenaire aux grands yeux
bleus. Nos relations sont depuis très tendues.”
Annoncer aux parents la conversion avec, en
plus un désir de se “hijabiser” est une étape
extrêmement délicate pour ces jeunes filles.
“Au tout début, ma belle-mère [après la mort
de sa mère, son père s’est remarié, ndlr] est
allée écouter les cours de religion que je suivais
à la Mosquée de Paris. L’expérience n’a pas
duré longtemps, raconte Mariette, désormais
LE COURRIER DE L’ATLAS 69
reportage
l’aUToriTé DU DisCoUrs orTHoDoXe
Il n’est pas le seul. Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux et auteure du très
médiatique L’une voilée, l’autre pas (1), se
rebiffe, elle aussi, à l’évocation du port du
hijab : “Pour moi, l’islam n’a pas de clergé
pour responsabiliser l’humain : on rend des
comptes directement à Dieu. Si cacher sa beauté a pu être le seul moyen de se faire respecter à
une certaine époque, le but est quand même
d’être respectée, pour ce que l’on est. Ce qui
veut dire à mes yeux que mettre un foulard
aujourd’hui, c’est tout bonnement aller contre
l’objectif de Dieu et contre l’éthique de responsabilité de l’islam.” La scientifique s’inquiète
donc pour ces jeunes filles converties qui
poussent ainsi leur nouvelle entité à l’ex-
pareilles. Ils se présentent comme spécialiste…
mais de quoi ?”, s’énerve Sofia, assistante
sociale de 22 ans dans la banlieue parisienne. “Ce sont des vendus de l’islam (sic), comme
Malek Chebel (voir page 66), qui portent de
tels jugements sur nous. Que savent-ils de moi ?
J’ai décidé toute seule, sans aucune pression, de
me revêtir des pieds à la tête du djilbab. Aucun
homme – je ne suis pas mariée – me m’a forcée.” C’est à 18 ans que cette très bonne
élève normande, née d’une mère yougoslave et d’un père catholique, fait la connaissance de Mahomet et du Coran. “Ayant découvert la philosophie, je me posais des
questions sur la nature humaine et la futilité
de ma vie qui m’ont
dirigée vers l’islam et
COMME TOUTES LES FILLES DE SON ÂGE,
emmenée à Paris où
ELLE S’OFFRE DES RAZZIAS CHEZ H & M ET SEPHORA, il y a plus d’occasions
“PARCE QUE J’AIME ME FAIRE BELLE QUELQUEFOIS”. et de lieux pour l’accès au savoir”, raconte-t-elle, avant
trême : “La vraie question est : pourquoi le
de décrocher son portable dont la sonnerie
discours orthodoxe fait-il autorité sur elles ?
reprend la tonalité de l’appel à la prière. A
Elles pourraient devenir musulmanes en s’ap21 ans, la jeune fille est convertie et entièrepropriant le Coran et en se demandant ce
ment voilée. “C’est l’attribut de la foi, assènequ’elles, elles comprennent de ce que Dieu leur
t-elle. Je me préserve des regards, je ne suis pas
dit à travers le texte sacré… Au lieu de ça, elles
un objet d’érotisme. Je veux seulement être traine pensent plus et se soumettent non pas à
tée d’égal à égal avec les hommes …”
Dieu, comme elles le disent, mais à des prédiMalgré cette tenue noire qui l’enveloppe de
cateurs qui prétendent détenir la vérité.” Bien
la racine des cheveux aux chevilles, Sofia
entendu, ce genre d’argumentation révolte
n’a jamais rencontré de regard désapprobales Mariette, Jennifer, Sofia… Toutes déclateur de la part de sa meilleure amie, de ses
rent être en totale possession de leurs
parents et ses quatre sœurs. “Au restaurant,
moyens pour s’impliquer dans un tel choix :
avec ma famille, le regard gêné des gens autour
“Mais qui sont ces gens pour dire des choses
de nous ne me met pas mal à l’aise. Pourquoi
70 LE COURRIER DE L’ATLAS
en serait-il ainsi : je suis bien, je suis moi. Par
ailleurs, tant que cela suscite chez eux de la
réflexion, j’approuve.” Sofia, le nez percé
d’un brillant – “un souvenir d’Irlande quand
j’avais 16 ans” –, avoue avec légèreté ne plus
avoir besoin de se distraire dans les boîtes
de nuit, les cafés, autour d’un pot avec des
copains… En revanche, ses relations avec sa
meilleure amie, restée en Normandie, n’ont
pas changé d’un iota : “C’est ma copine, elle
me comprend. On parle de la même façon, sauf
quand elle aborde ses histoires de mecs. J’essaye
de voir avec elle si vraiment elle tient à eux…”
Sofia, qui estime “être bien aujourd’hui”, dévore chaque mercredi Le Canard Enchaîné,
“pour leur regard satirique”, et les autres
jours Le Monde, “pour leur savoir”. Comme
toutes les filles de son âge, elle s’offre des
razzias chez H & M et Sephora, “parce que
j’aime me faire belle quelquefois”. Elle va
moins au cinéma faute de temps, mais s’est
débrouillée pour aller voir plusieurs fois le
spectacle de Dieudonné : “Il a le culot de dire
tout haut ce que les gens pensent tout bas.”
Dans son studio habillé de photos de
La Mecque, d’un matelas posé à même le
sol, d’un calendrier musulman et d’une bibliothèque très portée sur la question musulmane, la jeune fille prépare actuellement
son mariage. Si elle a flashé sur Michael
Scofield, le très craquant héros télévisé de
la série Prison Break – “pour me rencontrer,
il faut, comme tous les hommes qui souhaitent
m’aborder, qu’il appelle mon tuteur pour prendre contact avec moi”, dit-elle en rigolant –,
c’est finalement un converti, rencontré il y
NUMÉRO 2 MARS 2007
Sophie Pasquet
baptisée Mayriam. En revanche, mon père,
âgé de 49 ans, archi athée, qui a des peurs irraisonnées, n’a jamais cherché à comprendre ce
qu’était ma nouvelle religion. Dès que je lui ai
annoncé ma conversion, il a accusé les musulmans d’être des barbares. A ses yeux, j’ai plongé dans l’islam avec mon voile par désespoir,
suite à la mort de ma mère, pour le faire chier,
par signe de faiblesse…” Et l’étudiante en troisième année de sociologie à la Sorbonne de
regretter : “D’accord, il me donne l’argent pour
que je m’achète ma propre viande, mais il reste
persuadé que je suis endoctrinée.”
Sofia : “Le voile est
l’attribut de la foi.
Je me préserve des
regards, je ne suis pas
un objet d’érotisme.
Je veux seulement
être traitée d’égal à
égal avec les hommes.
Les regards ne me
mettent pas mal
à l’aise. Je suis moi.”
reportage
a deux mois et qu’elle a vu juste trois fois,
qu’elle épousera dans quelques semaines.
“Je le présente ce week-end à mes parents”,
confie-t-elle, certaine de sa bonne démarche
de croyante. Une démarche sans la bénédiction de Mustafa Tougui, professeur de théologie à la Mosquée de Paris : “Mais qu’est-ce
que c’est que ce genre de mariage ? Où est le
romantisme dans cette relation ?, s’offusquet-il. Le prophète a non seulement dit aux musulmans de ne pas se comporter comme des
bêtes, mais de s’harmoniser avec les bonnes
traditions de l’endroit où ils vivent. Et en France, il y a dans le domaine des relations hommes-femmes de très bonnes traditions. Certainement pas de cet ordre-là. Qui a éduqué cette
Sofia ? Je la plains, elle autant que son éducateur.”
Si le théologien ne peut accepter ce type de
comportement radical de la part d’une musulmane qu’il attife gentiment du surnom
d’artiste, pour ne pas dire énergumène, en
revanche, il n’admet pas cette bronca contre
le port du foulard – mot auquel il tient tout
particulièrement. “C’est un habit de la femme
musulmane. Le prophète dit qu’il est plus digne
d’en mettre un sur la tête. Evidemment, si elle
ne le fait pas, ce n’est pas grave… Mais qu’on
foute la paix à ces ‘foulardées’ : alors qu’elles
ne demandent qu’à être oubliées, imaginez
qu’elles doivent parfois raser les murs pour éviter les regards mauvais posés sur elles.”
Mariette-Mayriam se souvient encore de
cette douloureuse étape que fut de porter le
hijab pour la première fois au vu de tout le
monde : “Je me suis fait insulter par ma bellemère… Il n’empêche que, même encore, le re-
la démarche du port du voile relève d’un caractère extrême. Elles veulent s’affirmer à travers
quelque chose”, note Philippe Yacine Demaison, ancien président des Scouts de France
et auteur de L’islam dans la Cité (1). “Il faut
regarder ce phénomène en France avec les outils
sociologiques modernes : le voile équivaut à un
signe distinctif. Celles qui le portent sont différentes de ceux et celles qui les entourent.
CHEZ LES CONVERTIES, DE MANIÈRE GÉNÉRALE,
Elles se mettent ainsi
en évidence. Cela me
LA DÉMARCHE DU PORT DU VOILE RELÈVE DU
fait
penser à ces ados
CARACTÈRE EXTRÊME. ELLES VEULENT S’AFFIRMER
violents : ils ne casÀ TRAVERS QUELQUE CHOSE.
sent pas tout pour le
plaisir de casser,
gard des autres est toujours aussi pénible à
mais pour traduire un malaise psychologique.
supporter.” C’est bien à cause de ces regardsC’était la même chose avec la minijupe dans
là qu’Anne, 26 ans, documentaliste dans
les années 60 : une façon pour les jeunes filles
une société de production audiovisuelle,
élevées aux tenues étriquées et aux cheveux
élevée dans le catholicisme et convertie delaqués de se sortir de ce carcan gaullien – pompuis deux ans, n’entend toujours pas se
pidoulien de l’époque.”
“hijabiser”. “Je ne suis pas encore prête,
d’autant plus que je sens bien en France les
Une QUesTion De PlaCe
réactions hostiles au voile.” Et si, tout simpleConcernant la quête spirituelle, certains,
ment, la conversion d’Anne ne nécessitait
comme Dounia Bouzar, en doutent, préfépas d’être marquée au fer rouge… contrairant voir dans ce voile un aspect psycholorement à l’ensemble des nouvelles ralliées ?
gique : “Quand on gratte un peu les profils
“Chez les converties, d’une manière générale,
psychologiques de ces jeunes filles, on découvre
souvent qu’en fait de recherche spirituelle, elles
ont des problèmes plutôt existentiels de place :
leur entrée dans un groupe religieux orthodoxe
leur donne le sentiment d’avoir une place et
une fonction, ainsi que d’être utiles. Elles ont
l’impression de ressentir les mêmes sensations
que les autres filles du groupe et, à terme,
l’identité du groupe remplace l’identité de l’individu. On entre alors en religion, non pas
pour se ressourcer et aller vers les autres, mais
pour se protéger des réalités extérieures et s’enfermer dans une bulle... Non pas par la pensée
et par le cœur, mais par régression.” Et la chercheuse de conclure : “On se refait là des délimitations et des frontières avec le religieux. Qui
dit place dit inscription dans un territoire, dans
une histoire, dans une mémoire. Bref, la question de la filiation est fréquemment sous-jacente
dans le profil des jeunes sensibles au discours
orthodoxe, quelles que soient leurs origines ethniques.” ■
Sophie Pasquet
Jennifer : “Quand
je me suis convertie
il y a six ans, j’étais
la seule. Aujourd’hui,
je suis entourée
de dizaines de filles
comme moi”,
raconte cette
Française de 34 ans,
traductrice d’arabe.
NUMÉRO 2 MARS 2007
(1) Editions Albin Michel
LE COURRIER DE L’ATLAS 71
adoption
Ces enfants invisibles…
KAFALA Impossible d’“adopter” un enfant algérien ou marocain dans
l’Hexagone. Nés dans des pays qui ne permettent que la tutelle, la France
ne leur reconnaît aucun statut et vient de rejeter l’amendement
les concernant déposé dans le cadre de la loi “protection de l’enfance”.
par Mireille Peña
L
La kafala est accompagnée d’un jugement
de legs et de la concordance des noms.
examinaient avec bienveillance la situation
de ces enfants que leur pays d’origine laissait partir avec leurs nouveaux parents français pour vivre et grandir en France. Elles
déterminaient au cas par cas si leur situation antérieure permettait le prononcé
d’une adoption
plenière ou simLA FRANCE AFFICHE CLAIREMENT SA POSITION
ple. Depuis, la loi
DE VICTIME DE L’IMMIGRATION, MÊME LORSQU’IL
du 6 février 2001
S’AGIT D’ORPHELINS.
interdit l’adoption
d’enfants nés
dans des pays qui prohibent l’adoption.
Convention internationale des droits de
Cette loi vise sans les nommer les pays de
l’enfant (Cide) qui érige en principe fondadroit coranique et exclut de facto les orphemental la protection de tout enfant en lui
lins, en majorité de filiation inconnue, que
permettant de grandir en famille. La kafala
beaucoup de Français musulmans souhaiest une mesure de protection reconnue
tent adopter dans leur propre pays d’origicomme telle par cette même Convention.
ne. Conséquences : les enfants nés en AlgéJusqu’en 2001, les juridictions françaises
72 LE COURRIER DE L’ATLAS
rie ou au Maroc ne peuvent plus être
adoptés par des Français. La France, pays
laïque, fixe ainsi dans ses lois un principe
d’exclusion automatique fondé sur la religion. Elle est le seul pays d’Europe à avoir
organisé et permis d’appliquer au moyen
de circulaires puis de lois toujours plus restrictives une telle exclusion.
LE PARCOURS DU COMBATTANT
Les enfants accueillis par des familles françaises sous le régime de la kafala judiciaire
ayant vocation à vivre sur le sol français, ils
devraient bénéficier du droit de leur pays
d’accueil. Si l’Algérie et le Maroc leur octroient des autorisations de sortie du territoire, la France refuse systématiquement de
leur délivrer des visas longs ou même
courts séjours. On en arrive à des aberra-
NUMÉRO 2 MARS 2007
Saïd Fortas
e terme de kafala est intraduisible.
L’adoption au sens français du terme
est interdite par le droit coranique qui
proscrit la création de tout lien de filiation.
La kafala est ce qui permet l’accueil par une
famille d’un enfant dans les pays musulmans, excepté en Tunisie où est reconnue
l’adoption. Elle consiste en un “tutorat”. Le
kafil (“plus que tuteur, moins que parent”)
s’engage à élever le makfoul “comme son
propre enfant”. Le Maroc et l’Algérie
connaissent deux formes de kafala, la judiciaire et la notariale, cette dernière relevant
plus du domaine intrafamilial.
La kafala judiciaire s’applique essentiellement à des enfants nés sous X ou irrévocablement abandonnés. A la différence de
l’adoption, la kafala, même accompagnée
d’un acte d’abandon, ne crée pas de lien de
filiation. Son obtention relève d’une procédure stricte : agrément par l’Aide sociale à
l’enfance du pays des adoptants, enquête au
pays avant acceptation par le juge. Une des
conditions exigées est d’être musulman. Le
Maroc, l’Algérie et la France ont ratifié la
adoption
DR
tions tant juridiques qu’humaines, avec des
enfants encore une fois non reconnus qui
attendent des mois, voire des années, pour
entrer en France. Il faut préciser que leurs
parents adoptifs ne peuvent bénéficier du
congé d’adoption et doivent prendre sur
leur propre temps pour aller chercher leur
enfant. Une fois en France, les choses ne
s’arrangent guère : pas de Sécurité sociale,
la nationalité française qu’ils ne peuvent
demander qu’après cinq ans de séjour en
France depuis la loi Sarkozy de novembre 2003, problèmes en cas de divorce des
parents, toute demande d’adoption rejetée,
même après obtention de la nationalité
française… Ces enfants n’existent pas.
LA FRANCE CONFIRME SON REFUS
L’article 3 de la Cide affirmant la primauté
de l’intérêt de l’enfant est bafoué. D’autant
que les autorités algériennes et marocaines
n’ont jamais refusé d’autorisation de sortie
du territoire à ces enfants et n’ont jamais
contesté les adoptions prononcées en France. Pourtant, un des arguments phares mis
en avant à l’Assemblée nationale en janvier
dernier pour rejeter le jeu complet d’amendements qui balayait tous les aspects de la
question défendue par la députée du Finistère Patricia Adam et le groupe socialiste
était que “cela nuirait aux relations diplomatiques de notre pays avec l’Algérie et le Maroc”.
Ce à quoi Patricia Adam répond : “C’est en
parfaite connaissance de notre droit que l’Algérie et le Maroc ont accepté qu’ils y soient
accueillis. La Suisse permet que les enfants
algériens ou marocains soient adoptés conformément à sa propre législation, et cela n’empêche en rien l’Algérie et le Maroc de continuer
à confier des enfants à des familles suisses. Il
en va de même en Espagne où seule existe
l’adoption plénière. La Belgique elle aussi vient
de modifier sa législation en ce sens. Trêve
donc des faux-semblants ! Ce n’est pas une
question diplomatique. Ce qu’ont fait des pays
voisins, notre pays peut le faire. Il est regrettable que cet amendement ait été repoussé, à une
voix près. Les familles s’en souviendront. Pourtant, un enfant est toujours un enfant, quelle
que soit son origine ou sa couleur.”
Au final, selon Valérie Pécresse, députée
UMP, “la kafala pourrait, si nous retenions
l’adoption simple, se transformer en une
voie de regroupement familial supplémentaire non souhaitée (...). Cet amendement
présenterait peut-être un risque”. Un risque ? Le risque de devoir gérer une invasion de “gremlins” maghrébins ?
NUMÉRO 2 MARS 2007
“Nos enfants sont privés
d’un passé, nous leur devons
un avenir”
Amal Benazzouz, présidente de l’Association pour les parents
adoptifs d’enfants nés en Algérie ou au Maroc (Paraenem)
Le Courrier de l’Atlas : Quelle est l’action
de la Paraenem ?
Amal Benazzouz : Nous sommes des
parents ou des futurs parents d’enfants
en kafala. Binationaux ou Français
d’origine maghrébine. Nous nous battons
pour la reconnaissance de la kafala
judiciaire par la loi française. Pour que ces
enfants puissent avoir un statut,
dans le respect des droits de l’enfance.
Nous vivons des situations inextricables.
En France, on aborde trop souvent la
kafala à travers le prisme de
l’immigration. Nous soutenons les
familles, qui vivent un véritable parcours
du combattant, dans leurs démarches
et leur besoin de solutions au quotidien.
Nous tentons aussi d’expliquer ce qu’est
la kafala et quelles sont les conséquences
dramatiques de la loi française sur
le plan humain. Cela est particulièrement
difficile dans le contexte actuel
où racisme et communautarisme
s’alimentent mutuellement.
Combien d’enfants sont-ils actuellement
concernés en France ?
Il est très difficile de répondre. Notre
association a recensé environ trois cents
enfants, ce qui constitue maintenant le
chiffre officiel. Mais il ne comprend pas
ceux qui sont cachés par leurs parents
parce qu’ils ont trop peur qu’on leur retire
leurs enfants. Voilà d’ailleurs une des
conséquences de la loi française : une
clandestinité qui alimente le discours de
suspicion. Nous sommes parfois même
taxés de trafic d’enfants alors que le
parcours de la kafala est un parcours
réellement sécurisé et rigoureux. Voir la
méfiance jetée sur notre démarche
d’adoption est profondément choquant
et blessant.
Vous sentez-vous écoutés ?
Notre association est désormais
identifiée comme un interlocuteur
légitime et fiable. Nous avons été
auditionnés par le Conseil supérieur
de l’adoption. Nous avons reçu des
soutiens de poids. Ainsi Claire Brisset,
défenseure des enfants, s’est largement
inspirée de nos entretiens pour
sensibiliser les députés. Mouloud Aounit
du Mrap, Fadéla Amara, membre de la
Halde, Marie-Christine Le Boursicot,
magistrate détachée auprès du ministère
des Affaires sociales, Martine Gazel,
présidente d’honneur du Masf, fédération
internationale regroupant seize
associations de parents adoptifs, le Gisti
et de grandes associations européennes
de familles adoptives nous ont apporté
leur soutien.
Tentez-vous d’infléchir les positions de
l’Algérie et du Maroc ?
Nous avons conscience que notre
démarche doit aussi être tournée vers les
pays d’origine de ces enfants. Leur statut
a été là-bas grandement amélioré, jusqu’à
ressembler à une adoption simple.
Pourquoi alors ces pays ne vont-ils pas
jusqu’au bout en choisissant l’adoption
simple puisqu’ils acceptent le départ vers
l’étranger de ces enfants ? Nous avons
dans cet objectif participé au colloque
international sur l’enfant privé de famille
qui s’est tenu à Rabat en 2006. Et nous
avons le soutien de la mosquée de Paris,
du mufti de la mosquée de Marseille, du
ministère de la famille au Maroc, de
militants des droits de l’enfant en Algérie
et au Maroc, du bâtonnier de Rabat…
Quelles sont vos attentes après le récent
rejet de l’amendement à l’Assemblée
nationale ?
Nous sommes très déçus de devoir
continuer à vivre cette exclusion.
Pourtant, lentement, les esprits
s’ouvrent. Certains élus français prennent
clairement position en célébrant par
exemple des baptêmes républicains.
Ils proposent de cette manière une image
originale de l’intégration. Des familles
d’origine maghrébine et des élus décident
d’inscrire ainsi des enfants, fièrement
et joyeusement, au cœur de la société
française. Cela rappelle également que
l’arrivée d’un enfant dans une famille est
un acte mûri qui doit avant tout être
considéré comme de l’amour et de l’espoir
après beaucoup de souffrance.
Site Internet : www.paraenam.org
LE COURRIER DE L’ATLAS 73
vous
vous
E
“J’habite avec
mon ami”
CONCUBINAGE Vivre en couple sans
être marié est, encore aujourd’hui, mal
perçu dans la communauté maghrébine.
Certaines choisissent toutefois ce mode
de vie, très répandu en France.
Comment le vivent-elles ? Quelles sont
les réactions de leur famille ? Cinq
jeunes femmes racontent leur histoire.
Royal Free/Corbis
par Tiphaine Poidevin
n France, plus de 4,8 millions de personnes vivent en concubinage. Le
couple se construit de plus en plus en
dehors des liens du mariage et la cohabitation s’est imposée dans les générations les
plus récentes comme principal mode d’entrée en union. Aujourd’hui, seules 10 % des
personnes se marient sans vie commune
préalable.
Dans la communauté maghrébine, la vie en
concubinage est encore mal perçue et, de ce
fait, peu répandue. Selon une étude de
l’Insee Portrait social 2003-2004, les
migrants venus du Maghreb restent très
attachés à l’institution du mariage. Par
exemple, moins d’un tiers des immigrés
tunisiens de la génération 1960-1969 ont
formé une union sans se marier. “Dans l’islam, il est interdit d’avoir des relations sexuelles
en dehors du mariage. Cela pourrait notamment avoir des conséquences graves sur la filiation et l’héritage. Le concubinage est donc très
mal vu d’un point de vue religieux et culturel”,
explique Mohamed Cherif, vice-président
du Conseil régional du culte musulman de
Haute-Normandie.
Selon la sociologue Elise Lemercier, les
minorités ont, de surcroît, tendance à donner une place très importante au modèle
culturel d’origine. “C’est surtout par peur de
voir disparaître leur culture ; ces populations
migrantes vont souvent l’affirmer davantage.
Cela peut passer par l’interdiction d’un mariage mixte, par exemple, qui représenterait
la perte de leur culture.”
Ainsi, pour les jeunes femmes d’origine
maghrébine, décider de vivre avec leur ami
est un choix qui peut être lourd de conséquences. Certaines prennent même le risque de perdre toute relation avec leur famille et leur communauté. “Les parents se
sentent en général trahis parce que cela va à
l’encontre de leurs croyances. C’est également
dur à vivre pour eux d’un point de vue social.
La communauté maghrébine s’inquiète beaucoup du qu’en-dira-t-on”, avance Mohamed
Cherif.
Mais le concubinage peut aussi être vécu de
manière plus sereine. Et ce, principalement
pour les jeunes femmes qui font des études. “Il peut y avoir un accord tacite entre les
membres de la famille ; les parents se doutent
que leur fille vit avec quelqu’un, mais décident
de ne rien dire tant que cela reste secret. Ces
relations sont possibles si l’enfant est parti suivre
ses études dans une autre ville. Il faut ajouter
qu’être bonne élève permet d’être perçue comme
une fille bien. Ainsi, chacun vit dans le respect
de l’autre pour éviter le conflit”, conclut Elise
Lemercier
LE COURRIER DE L’ATLAS 75
vous
SAFIA, 27 ans, travailleuse sociale, Rouen
“Cet été, nous partons en famille et avec Nicolas en Algérie”
SALIMA, 32 ans, assistante
dans une association
d’aide aux adolescents, Paris
“Mon père m’a dit : ‘Le principal,
c’est que tu sois heureuse’”
J’ai habité sept ans avec Fethi avant de me
marier. Pendant tout ce temps, seuls mes
frères et sœurs étaient au courant de cette
relation. Je rendais visite à mes parents
toute seule. Quand ils venaient chez moi,
je cachais les affaires de Fethi. Ce n’était
pas facile de vivre dans le mensonge, je
m’en voulais. Mais il était hors de question
que je parle de concubinage à mes parents.
Je crois que c’est le poids de la communauté maghrébine qui m’a poussée à agir
de la sorte. Il faut dire que les Maghrébins
sont très soucieux de la réputation. Ils observent et jugent les comportements de
leurs voisins ou des membres de leur famille. Ainsi, il arrive que des parents, par
peur d’être mal perçus par leur entourage,
renient leurs enfants parce qu’ils ne respectent pas les principes de la religion. Je
ne voulais pas qu’on en arrive là.
Cela n’a pas été dur de cacher ma relation
à mes parents parce qu’il y a beaucoup de
pudeur chez nous. Certains sujets ne sont
pas abordés en famille. Par exemple, mes
parents ne m’ont jamais demandé si j’avais
un ami. Et quand je leur ai présenté Fethi,
ils ne m’ont posé aucune question. Pourtant, ils devaient se douter que je vivais
avec lui.
Fethi, d’origines algérienne et réunionnaise, m’a demandée en mariage au bout
de six ans de concubinage. Si j’avais été
seule à décider, j’aurais officialisé notre
relation bien plus tôt. J’ai toujours eu envie de me marier et d’avoir des enfants. Et
j’en avais marre de mentir à ma famille.
J’avoue que j’ai vraiment été soulagée
quand mes parents m’ont donné leur accord pour le mariage. J’avais peur qu’ils
refusent parce que Fethi n’est pas croyant.
Mon père m’a simplement dit : “Le principal, c’est que tu sois heureuse…”
C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que
j’avais de la chance d’avoir des parents assez intelligents pour accepter mes choix de
vie. Cela n’a pas toujours été facile et nous
avons souvent été en conflit. Mais, en fin
de compte, ça se passe plutôt bien.
76 LE COURRIER DE L’ATLAS
J’habite avec Nicolas depuis un an, mais
j’avais déjà vécu trois mois avec lui au début
de notre relation il y a trois ans, pour des
questions financières. Comme mon frère
et ma sœur, je n’ai jamais caché la vérité à
ma famille de France et d’Algérie. Je crois
que cela nous vient de notre mère. Elle est
c’est le père de famille qui transmet la religion et mon père s’en voulait de ne pas avoir
rempli sa mission. D’ailleurs, à chaque fête
musulmane, il se repliait sur lui-même parce que cela lui rappelait qu’il était le seul
croyant de sa famille. En plus, il avait l’impression que nous rejetions aussi notre pays
d’origine, l’Algérie ; ce
qui était faux.
“POUR TROUVER UNE ISSUE AU CONFLIT, NOUS
C’est dans ce contexte
AVONS RENCONTRÉ EN FAMILLE UN REPRÉSENTANT que je lui ai présenté
DE LA RELIGION MUSULMANE. ÇA NOUS A AIDÉS.” Nicolas. Il était froid
et ne lui adressait
presque pas la parole.
française et nous a toujours poussés à assuNicolas connaissait la situation et la compremer nos opinions et nos choix de vies.
nait bien. D’ailleurs, il n’a pas laissé tomber
Mon père, en revanche, a eu du mal à supavec mon père et a toujours fait l’effort de
porter qu’aucun de ses trois enfants ne
s’intéresser à lui ou de lui dire quelques
suive les principes musulmans et ne soit
mots en arabe.
croyant. Le fait de vivre en concubinage,
Un jour, alors que mon père n’allait pas
avec un Français, non musulman de surbien, nous avons rencontré, en famille, un
croît, faisait partie de ces choses qu’il n’acreprésentant de la religion musulmane afin
ceptait pas. Il faut dire qu’il est très pratide trouver une issue à ce conflit. Cette réuquant et qu’il a une activité importante dans
nion nous a aidés. Mon père s’est remis en
la communauté musulmane.
question et nous avons beaucoup discuté.
Il y a environ deux ans, nos relations étaient
Désormais, il m’accepte comme je suis. Bien
très tendues. Il est même parti de la maison
sûr, il préférerait que je me marie, mais il
plusieurs fois parce qu’il ne supportait pas
comprend qu’il y a des choses plus impornos vies et que ma mère nous soutenait. Je
tantes pour moi, comme avoir un travail et
crois qu’il culpabilisait et qu’il avait peur
un logement. Cet été, nous partons même
d’être un mauvais musulman. Dans l’islam,
en famille et avec Nicolas en Algérie.
AMEL, 28 ans, ingénieure production, Rouen
“Cette vie hors du mariage ne correspond pas à mes croyances”
Je n’ai pas choisi de vivre en concubinage. Mon ami me l’a imposé, trois mois après notre
rencontre. Je prenais un nouvel appartement alors qu’Eric quittait le sien. Et il s’est installé chez moi. J’étais mal à l’aise parce que cette situation ne correspondait pas à mon
éducation. Mais je n’ai pas osé lui dire que je voulais que l’on ait chacun notre appartement.
J’étais tiraillée entre mes convictions religieuses et culturelles, et le fait que j’aimais vivre
avec lui. J’ai fini par accepter ce mode de vie parce qu’Eric m’avait demandée en mariage
deux mois avant. Je savais qu’il voulait s’engager et cela me rassurait. Nous devions nous
marier en novembre 2005. J’ai rapidement dit à ma mère – mon père est décédé il y a
quelques années – que j’avais rencontré un jeune homme et que nous voulions officialiser
notre union. Je lui ai bien sûr expliqué qu’Eric n’était pas musulman, mais qu’il avait
l’intention de se convertir. Et je le lui ai présenté. Eric et moi, nous étions paniqués avant
la rencontre. Mais tout s’est merveilleusement bien passé et ma mère s’est dite heureuse
pour nous.
En revanche, je ne lui ai jamais parlé de ma vie en concubinage. Je ne voulais ni la décevoir
ni lui faire de la peine. Cela m’a coûté de lui mentir. Il m’est même arrivé de cacher les
affaires d’Eric parce que ma mère venait me rendre visite. Je n’étais pas fière de moi.
En plus, le concubinage a été prolongé d’au moins un an et demi parce que la famille et des
amis d’Eric l’ont convaincu de ne pas se convertir à l’islam. Cette histoire m’a rendue très
malheureuse. Pour moi, c’était impératif qu’Eric devienne musulman et il le savait avant
même de faire sa demande. Cette période a été difficile, nous nous sommes même quittés
quelques semaines. Heureusement, il est revenu sur sa décision et nous nous marions dans
deux mois. Je dois avouer que plus la date approche, plus je me sens légère.
NUMÉRO 2 MARS 2007
vous
SAMYA, 29 ans, femme au foyer, Dieppe
“Ma famille me fait payer durement mes choix”
MOUNIA, 26 ans, avocate, Paris
Royal Free/Corbis
“Mes parents sont très ouverts”
Je me suis installée avec Jean un mois après
l’avoir rencontré. Il venait de prendre un
nouvel appartement. Nous avions envie
d’être tout le temps l’un avec l’autre, alors
j’ai déménagé chez lui. Et c’est tout de suite
devenu chez nous. Cela fait désormais un
an que nous vivons ensemble.
Je l’ai rapidement dit à mes parents, et ce,
sans aucune appréhension. Ils sont très
ouverts et se sont réjouis de me voir heureuse. Ma mère trouvait normal que j’aie
envie d’être en permanence avec la personne que j’aime. Elle est consciente que
l’on a changé d’époque et qu’il est courant,
aujourd’hui, de vivre en concubinage. En
revanche, même si toute ma famille connaît
Jean, seuls mes parents savent que je vis
avec lui.
Nous avons décidé de ne rien dire à mes tantes et à ma grand-mère, par pudeur et aussi
parce que ce n’est pas très bien vu chez les
Maghrébins. Ils pensent en effet que si la relation est sérieuse et que les personnes ont
envie de vivre ensemble, elles doivent montrer leur désir de s’engager en officialisant
leur union par le mariage.
Personnellement, même si je suis musulmane pratiquante, je vis avec sérénité le
concubinage. J’ai grandi entre deux cultures
(française et marocaine) et je les respecte toutes les deux. J’ai la possibilité en France d’habiter avec mon ami avant de me marier. Je
vois cela comme une chance ! Je crois qu’il est
important de se connaître au quotidien avant
de s’engager. Cela permet d’éviter les mauvaises surprises.
Jean, de son côté, vit la situation un peu de la
même façon que moi parce qu’il est issu
d’une famille catholique pratiquante. Ses parents ont eu une réaction équivalente à celle
de mes parents. Ils acceptent que l’on vive
ensemble, mais ils n’en ont pas parlé au reste
de leur famille. Quand nous dormons chez
nos parents, il est impensable que nous fassions chambre commune. Avec Jean, cela se
passe très bien, notamment parce que nous
respectons nos religions respectives. Nous
ferons par exemple deux mariages, un catholique et un musulman.
NUMÉRO 2 MARS 2007
J’ai toujours dit à mes parents qu’à partir
du moment où l’on vivait en France, je voulais vivre comme une Française. Je voulais
être libre. Ils ne m’ont jamais comprise et
me font durement payer, depuis dix ans,
mon mode de vie. Ils m’ont rayée de leur
existence. Et ma mère, qui est une personne
très autoritaire, a incité mes frères et sœurs
à ne plus m’adresser la parole. La plupart
l’ont écoutée.
Cette haine vient du fait que je suis partie de
chez eux à 18 ans et que je me suis installée
trois ans plus tard avec Toni. Je n’ai pas agi
dans le respect de leur culture et de leur religion ; ils m’ont reniée. Si j’ai quitté leur
maison, c’est parce qu’un de mes quatre frères me suivait partout et me frappait à la
moindre occasion. J’allais mal et je faisais
beaucoup de bêtises à cette époque. Je crois
que j’étais perdue entre deux cultures.
insultes des personnes que je croisais dans
la rue, mais pas l’hostilité de ma famille.
Un jour, une de mes sœurs m’a téléphoné.
Elle voulait arranger la situation. Pour cela,
il fallait que j’accepte de me marier avec
une de ses connaissances marocaines. J’ai
dit non, même si je savais que cela aurait
amélioré les relations avec mes parents.
Quand j’étais petite, mon père me disait
tout le temps qu’il fallait que je me marie
avec un Marocain musulman.
Du coup, ça se passait mal avec Toni. Je l’ai
quitté plusieurs fois, j’étais déprimée et imprévisible. Il fallait que j’apprenne à vivre
sans ma famille et que je me trouve. J’ai
donné naissance à Leïla à 23 ans, mais ce
n’est qu’un an plus tard que mon couple
avec Toni s’est stabilisé. Nous nous sommes mariés et j’ai eu Lilia à 28 ans.
Aujourd’hui, mes parents ne me parlent
toujours pas.
Pourtant, je les
“J’AI CROISÉ MA MÈRE AU SUPERMARCHÉ. JE L’AI
vois de temps en
temps en ville.
MONTRÉE À MA FILLE, MAIS SA GRAND-MÈRE EST
PASSÉE À CÔTÉ DE NOUS COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT.” Une fois, j’étais
avec Leïla au supermarché et
Quand j’ai rencontré Toni, je suis tout de
nous avons croisé ma mère. Je l’ai montrée
suite tombée amoureuse de lui. Je pensais
à ma fille, mais sa grand-mère l’a ignorée.
que vivre avec lui serait une libération et que
Elle est passée à côté de nous comme si de
je pourrais enfin être moi. Mais ce ne fut
rien n’était. Cette attitude m’a rendue très
pas le cas. J’étais trop instable pour bien vimalheureuse et je crois que je ne pourrai
vre ma relation de couple. Je souffrais du
jamais lui pardonner son indifférence visfait que mes parents refusent de me parler.
à-vis de mes enfants. En ce qui me concerJe rêvais d’eux tout le temps et je n’arrêtais
ne, je ne regrette rien et je suis beaucoup
pas de pleurer. En plus, mon frère contiplus sereine qu’avant. Je n’ai jamais voulu
nuait à me harceler. Je pouvais supporter les
faire semblant. Grâce à ça, je suis moi.
LE COURRIER DE L’ATLAS 77
vous
TARIFS Dans la série bancs d’essai des vols
à destination du Maghreb, voici une sélection
de tarifs aériens pour l’Algérie.
Le mois prochain sera consacré à la Tunisie.
Alger, Oran, Annaba
aux meilleurs prix
par Caroline Boudet
O
ubliée la période où la plupart des
vols vers l’Algérie étaient suspendus
suite à des attentats ou prises d’otage, comme en décembre 1994, sur un vol
Air France. Les avions sont revenus, les passagers aussi, et le trafic est en constante
expansion. Treize compagnies desservent
l’aéroport d’Alger et leur nombre devrait
augmenter depuis l’inauguration, l’été dernier, du nouvel aéroport international
Houari Boumediene destiné à accueillir
dans un premier temps 2,3 millions de passagers pour arriver à plus de 6 millions à
long terme.
ÉLARGISSEMENT DE L’OFFRE
L’Algérie est désormais beaucoup mieux
équipée, notamment pour répondre aux
pointes de trafic qui ont lieu durant les vacances d’été (400 000 passagers l’été dernier). Il y a fort à parier que l’offre de vols
vers le pays devrait s’élargir puisque plusieurs compagnies chinoises ainsi qu’Iberia
(Espagne) et Etihad (Emirat arabes unis)
négocient pour entrer sur le marché, tandis
qu’un vol Montréal-Alger doit voir le jour
cet été. Une réussite pour ce chantier aéroportuaire lancé il y a vingt ans, qui a coûté
327 millions de dollars et est géré par la société française Aéroports de Paris. Ce nouvel
équipement donne à l’Algérie la dimension
touristique internationale qui lui faisait défaut jusqu’à présent.
En effet, en 2005, près de 96 % des “touris-
78 LE COURRIER DE L’ATLAS
tes” se rendant en Algérie y avaient des attrois millions de passagers chaque année.
taches familiales, les 4 % restants effectuant
Elle peut compter sur ses adeptes, comme
des voyages d’affaires et culturels. Le nomMichel, qui n’avait pas voyagé sur Air Algébre de visiteurs augmente de manière régurie depuis quelques années, et a constaté
lière depuis plus de cinq ans.
“de nets progrès” : “A l’aller comme au retour,
Outre Alger, nous avons choisi de comparer
aucun problème, je me suis senti en sécurité
les vols vers Oran et Annaba, deux destinatout le temps ! La compagnie nationale algétions appréciées par les touristes. Annaba,
rienne s’est améliorée en matière de ponctuala capitale de l’Est algérien et quatrième
lité. C’est triste, mais suite à l’accident affreux
ville du pays par le nombre d’habitants, est
de Tamanrasset (le crash d’un avion qui a
surnommée “la coquette”. Pour découvrir
fait 103 morts en 2003), la compagnie va
le magnifique littoral de la région, il suffit
continuer de moderniser sa flotte. J’espère qu’eld’atterrir à l’aéroport d’Annaba-les-Salines,
le continuera à nous faire passer de bonnes
qui accueille quatre vols quotidiens depuis
vacances !” En revanche, ses tarifs s’avèrent
Alger et des vols
internationaux
L’ALGÉRIE EST DÉSORMAIS ÉQUIPÉE
hebdomadaires.
POUR RÉPONDRE AUX POINTES DE TRAFIC
Deux solutions :
DES VACANCES D’ÉTÉ.
opter pour un vol
direct ou voler
jusqu’à Alger pour ensuite emprunter les
moins attractifs que ceux d’Aigle Azur en
lignes intérieures. Quant à Oran, seconde
période de pointe même si la compagnie
ville du pays et capitale du raï, sa corniche
n’est pas encore en mesure de communiet ses plages en font une destination attracquer ses tarifs.
tive pour les touristes. Attention cependant,
seule Air Algérie dessert directement Oran
LA MOINS CHÈRE
de Paris tous les jours.
Comme le montre notre comparatif, Aigle
Azur est souvent la compagnie qui offre les
MODERNISATION
tarifs les plus attractifs au Maghreb, quelle
Air France et Air Algérie se taillent la part
que soit la période de l’année. L’Algérie est
du lion sur les vols entre les deux pays. Air
d’ailleurs la destination phare de cette comAlgérie, forte de son expérience – son ancêpagnie qui propose plus de 110 vols par setre, la Compagnie générale de transports,
maine au départ de Paris, mais aussi de
fut créée en 1947 – transporte pas moins de
Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille, Mulhouse,
NUMÉRO 2 MARS 2007
vous
Nice et Toulouse. Et visiblement, ses utilisateurs ne sont pas déçus des services à
bord : “C’est la meilleure au niveau du rapport
qualité-prix”, affirme Mohamed, un habitué.
Enfin, pour ceux qui ne se soucient pas du
temps, il est possible d’opter pour des vols
avec escale, comme ceux proposés par Ali-
AIGLE AZUR
talia ou Lufthansa. L’avantage : des tarifs
très compétitifs… mais un temps de trajet
qui va de cinq heures à une journée si les
correspondances l’exigent. Reste British
Airways qui dessert également l’Algérie
avec une escale… pour des tarifs qui paraîtront totalement prohibitifs au voyageur
moyen. Difficile, en effet, de justifier des
prix deux à quatre fois plus élevés que les
compagnies concurrentes, même en avançant un service à bord irréprochable. ■
ERRRATUM Dans le n° 1 du Courrier, nous avons
indiqué par erreur qu’Aigle Azur était une compagnie low cost.
AIR ALGERIE
ALITALIA
AIR FRANCE
LUFTHANSA
BRITISH
AIRWAYS
321,89 €
694,83 €
PARIS-ALGER
Périodes
creuses
298,19 €
301,08 €
256,57 €
287,19 €
Périodes
de pointe
435,19 €
420,44 €
258,71 €
440,19 €
1182,13 €
MARSEILLE-ALGER
Périodes
creuses
non desservi
284,42 €
224,73 €
278,19 €
249,37 €
515,91 €
Périodes
de pointe
non desservi
341,15 €
224,73 €
332,62 €
305,37 €
522,08 €
PARIS-ORAN
Périodes
creuses
328,19 €
331,38 €
Périodes
de pointe
462,19 €
431,23 €
MARSEILLE-ORAN
Périodes
creuses
263,62 €
273,71 €
Périodes
de pointe
357,62 €
1 199 €
PARIS-ANNABA
Périodes
creuses
Périodes
de pointe
315,80 €
462,19 €
375,46 €
1 114,32 €
Air Algérie
MARSEILLE-ANNABA
Périodes
creuses
258,22 €
328,27 €
Périodes
de pointe
315,22 €
374,91 €
NUMÉRO 2 MARS 2007
Avant de partir : les formalités indispensables
Pour entrer en Algérie, les ressortissants de l’Union européenne doivent être
en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa. Pour l’obtenir,
adressez-vous au consulat d’Algérie le plus proche (un site utile : http://www.
algeriantourism.com/pratique/consulats.php). Le ministère français des Affaires
étrangères a récemment publié sur son site ces recommandations aux futurs
voyageurs : “Un enregistrement vidéo attribué au GSPC contient de nouvelles
menaces contre les autorités algériennes mais aussi contre les intérêts
étrangers, notamment français, en Algérie. Cet élément conduit à renouveler
les consignes de grande prudence et de vigilance déjà réitérées en décembre
dernier après l’attentat commis contre un autobus transportant des employés
d’une société algéro-américaine.”
LE COURRIER DE L’ATLAS 79
vous
3 questions
sur la circoncision
J’ai peur de circoncire mon fils
J’aimerais savoir si mon enfant va beaucoup
souffrir lors de la circoncision et s’il y a des
risques d’infections post-opératoires ?
Dr Salim Hilab : Ça ne fait pas plus mal
qu’un vaccin. Cet endroit ne s’infecte que
très rarement car il est bien vascularisé
(beaucoup de vaisseaux sanguins). Comme
cette intervention ne provoque qu’un léger
saignement, il n’y a pas de croûte, et donc
pas d’infection. Dès le lendemain, l’enfant
peut remettre sa couche et/ou marcher normalement. Il n’aura qu’une légère cicatrice
qui disparaîtra au bout d’une semaine.
Dans des cas exceptionnels, certains enfants ont peur d’être touchés lorsqu’on s’approche d’eux, d’où l’intérêt de pratiquer
cette intervention lorsqu’ils sont bébés. Il
faut également attirer l’attention sur le fait
qu’on doit pratiquer cette intervention dans
de très bonnes conditions d’hygiène. Il faut
cesser les circoncisions traditionnelles, car
les personnes qui les pratiquent utilisent
souvent des ciseaux non stérilisés et elles
coupent quelquefois le mauvais vaisseau, ce
qui peut provoquer des complications. Ces
interventions sont devenues plutôt rares en
France, mais il est important de le rappeler.
Le rôle de l’urologue est de rassurer les parents en leur expliquant exactement ce qu’il
va faire et en les faisant participer à cette
opération.
La circoncision diminue-t-elle
les risques de maladie ?
Est-ce vrai que la circoncision facilite l’hygiène et diminue le risque de maladies
sexuellement transmissibles ?
Dr Salim Hilab : Etant également dermatologue et spécialiste des maladies sexuellement transmissibles, je peux témoigner que
les gens circoncis ont à long terme beau-
80 LE COURRIER DE L’ATLAS
dangereux de le faire avant, bien au
contraire. Plus l’enfant est petit, mieux
c’est. Personnellement, je conseille de circoncire le plus tôt possible car la plaie cicatrise beaucoup plus vite. C’est pour cette
raison que, dans mon cabinet, je pratique
cette intervention sur des nouveau-nés dès
leur septième jour. Dans une clinique, les
circoncisions ne se font pas avant un an car
ils procèdent à une anesthésie générale. Je
trouve cela inutile pour une opération
chirurgicale qui ne dure que dix minutes.
C’est pour cela que je ne fais qu’une anesthésie locale. Je bloque les nerfs et je retire
partiellement ou totalement la muqueuse
et la peau du prépuce. Il y a un léger saignement que je stoppe assez rapidement. Et
pour finir, afin que la plaie cicatrise plus
vite, je mets quatre points de suture pour
coup moins de problèmes que ceux qui ne
le sont pas. Cela ne retire rien au rôle de
protection du préservatif. Des études qui
ont été faites en Afrique du Sud montrent
que la circoncision
protège du cancer
de la verge. Quand
le prépuce recouvre le gland, le pénis est protégé par
une fine peau qui
le rend plus fragile
et beaucoup plus
poreux. Lorsqu’on
retire le prépuce,
la peau s’épaissit
et devient moins
poreuse, ce qui
empêche le passage de bactéries et
de mycoses. Le
14 avril 2005 : 5 000 enfants circoncis à l’occasion de la cérémonie
prépuce crée un
de circoncision du prince Moulay Hassan, fils du roi du Maroc.
milieu favorable
aux maladies.
Il faut préciser que la circoncision n’est pas
rapprocher les deux peaux. De plus, les fils
prise en charge par la Sécurité sociale.
étant solubles, les parents n’ont même pas
Dans mon cabinet, je pratique cette interbesoin de les retirer. Quelques heures après
vention pour 140 euros, mais en clinique,
l’opération, l’enfant se sent bien et ne subit
c’est beaucoup plus cher. Je pratique ce
pas les effets secondaires d’une anesthésie
prix parce que je sais que les gens de la
générale. Ce qui est important dans cette
communauté maghrébine n’ont pas forcéintervention, c’est la présence des parents
ment les moyens de payer plus.
qui réconfortent leur enfant, alors que dans
le bloc opératoire d’une clinique, les parents
Puis-je circoncire mon fils
n’ont pas le droit d’être présents.
de 6 mois ?
C’est probablement pour cette raison qu’ils
Je me suis rendu dans une clinique afin de
anesthésient pour ne pas avoir à supporter
circoncire mon fils de 6 mois, mais on m’a
les pleurs de l’enfant.
refusé cette intervention chirurgicale en
Propos recueillis par Siham Bounaïm
m’expliquant qu’il n’était pas possible de le
faire avant l’âge d’un an. Est-ce dangereux de
CONTACTEZ-NOUS :
le faire avant ?
[email protected]
Dr Salim Hilab : Non, il n’est pas du tout
NUMÉRO 2 MARS 2007
Sipa
CONSEIL Chaque mois, un expert vous conseille dans différents domaines :
acheter un bien au Maghreb, contracter un mariage mixte, mieux connaître
les lois… Ecrivez-nous. Dans ce numéro 2 du Courrier de l’Atlas, les
questions tournent autour du thème de la circoncision. Les réponses sont
celles du docteur Salim Hilab, dermatologue-urologue qui pratique la
circoncision depuis plus de quinze ans dans son cabinet de Colombes, en
région parisienne.
vous
Courrier des lecteurs
J
’ai adoré votre nouveau
magazine !!! Avec un seul
numéro, vous m’avez conquise !
Ça y est, je suis devenue une
de vos plus fidèles lectrices !
Je me permets cependant de vous
faire deux petites remarques.
Vous n’auriez pas dû afficher
la caricature (du prophète) pour
illustrer votre article de la page 14,
sachant que la grande majorité
des Maghrébins sont musulmans,
et que l’histoire a déjà fait
beaucoup de polémiques. J’ai adoré
le fait que l’on ne parle pas que
du Maroc, c’est d’ailleurs ce que je
reproche aux autres magazines
dits “pour les Maghrébins”. J’espère
que vous continuerez sur cette
voie, en nous parlant non
seulement du Maroc, mais bien sûr
aussi de l’Algérie et de la Tunisie.
Jerbi, de Lille
Chère lectrice,
Merci pour vos encouragements
et vos remarques constructives.
Pour répondre à vos impressions,
le dessin que vous avez vu page 14
est une reprise de la une de notre
confrère Charlie Hebdo qui a publié
les caricatures de Mahomet.
N’y voyez aucune provocation.
Par ailleurs, vos souhaits concernant
l’ensemble des pays du Maghreb
ont été réalisés, le Courrier de
l’Atlas se voulant sans ambiguité
celui la communauté maghrébine
dans toutes ses composantes.
DR
B
A
près avoir vu la couverture de votre
magazine et son prix peu élevé, j’ai
cru enfin trouver la revue qui nous
représenterait, nous, Maghrébins de France.
Cependant, cinq minutes de lecture m’ont
suffi pour me rendre compte de l’imposture :
articles centrés principalement sur le Maroc
et échine courbée devant la France.
J’ai oublié de vous préciser que je suis d’origine algérienne, musulman, et le type de
discours que vous véhiculez est la raison
pour laquelle nous ne sommes rien en tant
que “communauté” (soumission à l’excès
devant cette France, nationalisme poussé en
faveur de nos pays d’origine). (...) Je suis un
jeune diplômé en droit des affaires et management qui risque de s’imposer d’ici peu
dans le milieu sportif. (...) J’ai un frère qui,
lui, est en place dans la haute finance et dont
l’avenir est des plus radieux. Notre point
commun, c’est que nous savons que nous
sommes assez fort pour réussir sans nous
fourvoyer, tout en pensant, dès maintenant
à tous ces jeunes et moins jeunes issus de
l’immigration dans toute sa diversité.
Hocine
Bonjour,
Je souhaiterais me procurer votre magazine.
Est-il en vente en France ? Je vis en région
parisienne. Merci et bonne route au Courrier
de l’Atlas.
Fouzia Kais
Merci Fouzia
Le Courrier n’est disponible “QUE” en France, mais ce n° 1 a été rapidement épuisé.
Pour le second, nous vous conseillons d’aller
sur notre site internet à partir du 1er mars :
vous y trouverez la liste complète de TOUS
les points de vente où nous sommes.
onjour, je ne suis pas maghrébin, mais j’ai été choqué, aujourd’hui, par la une du
magazine. Il y a quand même plus de cent Maghrébins qui comptent en France !
Le Courrier de l’Atlas étant écrit par des Maghrébins, je doute qu’il y ait du racisme làdessous. J’ai cru encore tomber sur un magazine pro FN.
Harold
Cher monsieur,
La comparaison avec le FN nous surprend. Nous comprenons que cela puisse vous
choquer, mais nous avons souhaité attirer l’attention sur ces personnalités (c’était une
liste non exhaustive) qui représentent la communauté maghrébine. Nous doutons, à
notre tour, que vous ayez pris le temps de lire notre magazine. Il n’est pas très judicieux
de faire des comparaisons qui, in fine, font le jeu du Front national…
NUMÉRO 2 MARS 2007
(...) J’ai 25 ans, je suis née en France
de parents venus de Tunisie et
je me rends bien compte que les
connaissances que j’ai sur ce pays
qui fait partie de ma vie sont
quelque peu limitées. Je vous avoue
qu’en feuilletant le Courrier, j’ai un
peu déchanté en constatant qu’il
est plus marocain que maghrébin.
(...) J’espère que les prochains
numéros parleront plus de Maghreb
et un peu moins de Maroc.
Bonjour,
Je trouve intéressant votre concept,
censé être une passerelle entre
le Maghreb et la France. J’aime le
Maroc ainsi que les Marocains,
mais sans être rabat-joie, c’est un
magazine qui fait l’éloge du Maroc,
de la banque à l’immobilier,
en passant par les people et les
traditions. Quelle place occupent
l’Algérie et la Tunisie ?
Mohamed Bacem, Lyon
Chers lecteurs,
nous espérons qu’en lisant le n° 2
du Courrier, vous estimerez que
nous avons répondu à vos attentes
en accordant une place équilibrée
aux pays du Maghreb.
CONTACTEZ-NOUS :
[email protected]
Le courrier de l’Atlas
4, rue Halevy, 75009 Paris
LE COURRIER DE L’ATLAS 81
Pour ou contre Le CV anonyme
Emploi Prénom, origine ethnique, lieu d’habitation : en France,
la ségrégation à l’emploi se fonde sur ces éléments. Pour lutter
contre le délit de discrimination dans le domaine du travail,
le CV anonyme est une des solutions envisagées. Progrès essentiel
pour certains, démarche insuffisante pour d’autres. Débat.
par Caroline Boudet
ous vous remercions de votre intérêt pour
notre entreprise, mais votre profil ne
correspond pas au poste proposé.” Qui
n’a jamais reçu ce genre de lettre qui tombe
comme un couperet ? Certains plus souvent
que d’autres. Djamila ou Aboubacar davantage que Françoise ou Pierre. Sujet longtemps tabou, la discrimination à l’embauche
est devenue un enjeu national. Il a longtemps été difficile dans l’Hexagone de prouver qu’elle était de mise sur le marché de
l’emploi puisque la législation interdit de
recenser dans les fichiers l’origine ethnique
des employés. Mais les cas traités par la
Halde (lire encadré) ou les tests menés par
SOS-Racisme donnent une idée de l’ampleur
du problème. Le principe : envoyer exactement le même CV, une fois avec un patronyme à consonance bien “gauloise” et une
fois avec un nom qui fleure un peu plus
l’Afrique ou le Maghreb… Lequel des deux,
82 LE COURRIER DE L’ATLAS
à compétences égales, sera rappelé ou pas.
Le constat est souvent effarant.
L’une des solutions préconisées est de généraliser l’usage du CV anonyme. Toute indication sur l’origine sociale, le sexe, l’âge ou
même l’adresse du candidat y sont masquées. Les recruteurs ne peuvent se baser
que sur l’expérience et les compétences.
En novembre 2005, le PDG d’AXA, Claude
Bébéar, a remis au Premier ministre un rapport proposant vingt-quatre actions pour
lutter contre la discrimination à l’embauche.
Parmi elles, le CV anonyme, dont AXA a généralisé la pratique pour ses recrutements.
Mais les parlementaires de la majorité se
sont montrés très réticents à rendre le CV
anonyme obligatoire par le biais d’une loi.
Aucune obligation, donc, pour les entreprises, d’y avoir recours. Depuis, le débat est
toujours aussi rude entre partisans et opposants au CV anonyme.
la Halde
Née en mars 2005, la Haute autorité de
lutte contre les discriminations et pour
l’égalité peut être saisie sur simple
courrier et mène des enquêtes,
notamment dans les entreprises. Elle
peut, après avoir constaté une
discrimination, aider les victimes à
constituer leur dossier en justice. Dans
son premier rapport annuel, la Halde a
constaté que l’origine ethnique était à
la base de la majorité des
discriminations à l’emploi (39,6 %),
suivie de loin par la santé puis le sexe.
Elle a enregistré pas moins de
1 822 réclamations, dont 600 ont été
traitées. Mieux : plus de 7 000 appels
ont été enregistrés sur le numéro Azur
spécialement mis en place pour lutter
contre les discriminations.
NUMÉRO 2 MARS 2007
M.Nascimento/Rea
N
“
vous
Pour
Sylvain Breuzard, pDG
de Norsys, société informatique
qui recrute sur CV anonyme
Je n’ai pas attendu le rapport parlementaire
et le débat sur le CV anonyme pour faire de
la lutte contre la discrimination dans l’entreprise un des enjeux professionnels les plus
importants à mes yeux. En septembre 2005,
nous avons lancé un projet nommé “manager la diversité”. Il comprenait quatre axes
d’étude : l’égalité de traitement des candidats, la discrimination, le management et
les responsabilités de l’entreprise par rapport à la société civile.
Le CV anonyme était pour nous le meilleur
moyen d’être certain de ne pas discriminer
au cours de la première partie du processus
d’embauche. Nous avons traité mille deux
cents CV dans l’année, mais pas de façon
informatique. Dans chaque site de Norsys,
une personne est chargée de les rendre anonymes : nom, prénom, adresse, âge, état civil, sexe… C’est très rapide : il suffit d’effacer
coNtre
toute la partie supérieure du CV ! Nous
d’abord de réussir à se retrouver face à son
ôtons également les expériences professionclient. C’est la même chose pour le CV anonelles qui datent de plus de quinze ans
nyme qui donne à certains l’accès à un enainsi que les dates des diplômes. Ces CV
tretien, une chance pour eux de convaincre
sont ensuite présentés au manager qui opède visu leur employeur potentiel.
re sa sélection. Cela force le recruteur à s’inJe ne suis pas radicalement pour le fait de
téresser d’abord à la compétence et aux exrendre le CV anonyme obligatoire. Ce que
périences professionnelles de chaque
je regrette, c’est que les partenaires sociaux
candidat(e).
ont répondu qu’ils n’en voulaient pas. Je
Aujourd’hui, après un an de recrutement
n’admets pas qu’ils ne proposent rien à la
sur CV anonymes, je peux déjà donner des
place. Il règne en France une volonté de reschiffres très positifs. Norsys n’est pas une
ter dans les grands discours et de laisser les
grosse entreprise ; en un an, nous avons
entreprises livrées à elles-mêmes. Que va-ttraité mille deux
cents CV et recru“IL SUFFIT D’EFFACER LA PARTIE SUPÉRIEURE
té quarante perDU
CV ET LA PROPORTION DE FRANÇAIS D’ORIGINE
sonnes. La proporÉTRANGÈRE
PROGRESSE DE FAÇON REMARQUABLE.”
tion, parmi ces
embauches, de
Français d’origine étrangère a connu une
il se passer ? Quelques personnes vont esprogression remarquable (1) et le nombre de
sayer de faire bouger les choses, et l’énorme
femmes a presque doublé. Tout cela sans
majorité ne va rien faire. Pourtant, la lutte
avoir recours à la discrimination positive !
contre la discrimination me semble un enLes détracteurs du CV anonyme prétendent
jeu incontournable dans l’entreprise.
que cela n’aide pas à mieux “passer” la se(1) Les statistiques fondées sur les origines
conde étape, celle de l’entretien. Je suis en
ethniques étant interdites, Norsys n’est pas
total désaccord avec eux. Prenons l’exemple
en mesure communiquer de pourcentage
d’un commercial : le plus dur pour lui, c’est
de progression.
pas applicable dans les cabinets de recrutement. Comme le dit le rapport Fauroux, les
cabinets de recrutement sont plutôt des empêcheurs de discriminer en rond. Nous redominique Bienfait, secrétaire
cevons essentiellement des cadres, une cagénéral de Syntec recrutement, la
tégorie professionnelle dans laquelle le taux
chambre syndicale des entreprises
de chômage est de 3,3 % seulement. On
de conseil en recrutement
nous confie des missions sur lesquelles les
profils recherchés sont rares et il faudrait
En tant que secrétaire général de Syntec
être fou pour pratiquer la discrimination.
recrutement, je ne suis pas franchement
Nous avons intérêt à en savoir le maximum
pour le principe du CV anonyme. Nous parsur les personnes si on veut bien défendre
tageons plutôt la position du député Roger
leur candidature. J’ai en tête l’exemple
Fauroux : ce CV anonyme a son utilité, mais
d’une jeune Turque, diplômée et parlant
il ne faut pas le rendre obligatoire en
bien français. Elle était réticente à répondre
croyant qu’il résoudra tous les problèmes.
à mes questions car je la recevais pour un
poste au-dessous
“LE CV ANONYME A SON UTILITÉ, MAIS IL
de ses compétences. Depuis qu’elNE FAUT PAS LE RENDRE OBLIGATOIRE EN CROYANT
le était arrivée, on
QU’IL RÉSOUDRA TOUS LES PROBLÈMES.”
ne lui proposait
Certes, une partie de la population est en
que ce genre de poste. Pour bien défendre
situation de plus grande difficulté face à
sa candidature, j’avais besoin d’en savoir
l’emploi. Certains pensent que le vrai proplus que ce qui était inscrit sur son CV.
blème est le “plafond de verre” et que le fait
Le CV anonyme peut donc s’inscrire dans
de camoufler les origines ou le lieu d’habiune certaine démarche, mais pas dans celle
tation peut les aider à accéder à un entreque nous menons en tant que cabinets de
recrutement. Il existe déjà un CV européen,
tien. C’est probablement vrai, mais ce n’est
NUMÉRO 2 MARS 2007
l’Europass, préconisé par l’Union européenne. Le CV universel, que nous prônons
avec l’association Ethique et recrutement,
est sa reprise pure et simple : il permet de
présenter d’une même façon dans tous les
Etats européens les compétences du candidat. L’association fait circuler ces CV entre
des entreprises et des cabinets de recrutement qui se sont engagés à ne pas avoir de
pratiques discriminatoires. Nous souhaitons qu’un maximum d’organismes rejoignent cette organisation.
Nous avons décidé d’entretenir des relations avec des associations qui favorisent
l’insertion de personnes en difficultés : personnes de plus de 50 ans, d’origine étrangère, etc. Nous prenons des engagements
citoyens, même si certains pensent que
nous fonctionnons de façon élitiste. Nous
avons monté des actions qui visent à lutter
contre les discriminations dans les cabinets.
Tous les salariés sont passés par une formation : on leur a appris les interdictions juridiques, expliqué ce qu’est un stéréotype
projeté et un stéréotype vécu. Cela aide à
identifier chez soi-même ce qu’on peut projeter de manière inconsciente sur l’autre…
et finalement, de s’en débarrasser.
LE COURRIER DE L’ATLAS 83
livres
Ce n’est pas un livre d’histoire. Ni un livre
d’images. C’est l’œuvre très personnelle
de deux Marocains, l’un de cœur, Frédéric
Mitterrand, l’autre de naissance, Abdellah
Taïa. Ensemble, le réalisateur et l’écrivain ont
puisé dans leurs souvenirs, nous livrant cet
album photo intimiste retraçant plus d’un demi-siècle
de l’histoire du royaume. Des clichés historiques empruntés
aux ministères français, des obsèques du sultan Moulay
Abdelaziz au retour d’exil du roi Mohammed V. Mais également des
portraits de tous ces Marocains qui ont fait l’histoire, parfois malgré eux –
résistants, paysans ou anonymes. “Ces photos sont belles, fortes, historiques.
Elles sont aussi l’instrument du discours colonial. Mais elles disent
aussi autre chose. Elles racontent une autre histoire, d’autres histoires.
Nous avons essayé de les révéler, ces histoires secrètes, de les réveiller
par le choix des photos, dans les légendes et les commentaires.” Y. Mouaatarif
Maroc 1900-1960 : un certain regard. Actes Sud, Malika Editions, 45 euros.
84 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Jacques Belin/Rabat
“Les comédiens de
Radio Maroc en tournée
avec Le Médecin malgré
lui, Molière en arabe.
Le contraste entre les
Montgomery Clift
d’un côté et les rescapées
du harem de l’autre
me semble incroyable.
Il est vrai que L’Ecole
des femmes n’est
pas encore au répertoire.
Habiba Madkouri
est-elle dans le car ?”
Abdellah Taïa
DR
livres
“Elle est très belle, encore l’Atlandide et sa reine Antinéa. Pourtant, la mise en scène réussie de cette photo sert à l’enfermer dans un folklore
romanesque qui contribue au rêve colonial. On pourrait s’amuser à recenser tous les personnages de belle Berbère fière et amoureuse qui ont peuplé
le cinéma, à commencer par Annabella dans La Bandera de Duvivier.” Frédéric Mitterrand
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 85
“La rue Souika est encore aujourd’hui les Champs-Elysées
de la médina de Rabat. J’y passais régulièrement pour
traverser la ville, entendre les bruits, regarder les nouvelles
cassettes de musique sans avoir assez d’argent pour les
acheter. J’avais l’impression excitante d’y prendre le pouls
du Maroc tout entier.” A.T.
“Ce qui m’étonne,
c’est que la femme
prenne le bras
de l’homme.
Je n’ai jamais vu
ma mère faire
un tel geste avec
mon père, mais
leur complicité
est belle à voir.
Il y a une évidence
de l’amour entre
eux.” A.T.
“Fête du Zem-Zem, les enfants s’aspergent d’eau pendant
leurs jeux. Les petits frères marocains de Tom Sawyer, que
j’ai découvert enfant à la télévision dans un dessin animé
diffusé en feuilleton. Aujourd’hui, les enfants des rues
de Casablanca ou de Tanger qui dorment dehors et sniffent
de la colle me semblent plus misérables que ces jeunes
porteurs d’eau sagement alignés pour la photo.” A.T.
86 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR - Jacques Belin/Rabat. Page de droite : DR - Jacques Belin/Rabat
livres
livres
“Oui, les embouchures du fleuve, les ports,
les rochers le long des digues, avec les épaves,
les morceaux de ferrailles rouillées, les égouts
qui dégorgent, cette ambiance de soleil, de gaieté
et de crasse. Mettons que cela ait changé, même
s’il existe encore d’autres ports de la Méditerranée
où les enfants n’ont que des récifs industriels pour
profiter de la mer.” F. M.
“La République veille
sur ses petites protégées
marocaines en leur
apprenant un métier qui
leur permettra d’améliorer
leur ménage. Bonne
conscience, paternalisme
et condescendance : la
broderie c’est joli, c’est
marocain, c’est féminin,
surtout qu’elles ne sortent
pas de leur boîte
passablement surchargée
et qu’elles ne s’avisent pas
de vouloir apprendre
autre chose !...” F. M.
Crédits photo
“Le sport, stade ultime
de la libération féminine.
Le volley-ball comme
un substitut plus mesuré
mais très physique quand
même du football.
Les corps des filles
dénoués et musclés
comme ceux des garçons.
C’est un fantasme qui a
marché parce qu’il
correspondait malgré tout
à la réalité : de Farah Diba
à Nawel El Moutawakel,
on ne compte plus
les femmes musulmanes
que le sport contribue
à libérer.” F. M.
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 87
livres
“La Fête du Trône est suspecte aux yeux des Français, mais le succès de Moulay Hassan
au bac est de bon augure. Juin est un adversaire de premier plan, aussi intelligent
que brutal. Il éprouve une réelle estime pour le souverain qu’il considère comme
un danger majeur. En vérité, ce pied-noir d’origine modeste pense sans cesse à l’Algérie
quand il lui faut prendre un ensemble de décisions où alternent réformes ambiguës
et mesures répressives.” F. M.
88 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
Jacques Belin/Rabat
“C’est le moment où les patriotes marocains rassemblés dans le parti de l’Istiqlal
admettent définitivement que le chemin de l’indépendance passe par la légitimité du roi.
C’est aussi celui où les officines de la résidence lancent contre lui une campagne de
rumeurs fielleuses pour tenter de le discréditer auprès de l’opinion et des amis français
dont il a bien besoin pour les temps difficiles qui s’annoncent.” F. M.
livres
“Lalla Aïcha, fille aînée
du souverain, prononce
également un discours
politique à Tanger
lors du voyage de son père.
Un autre choc qui frappe
les imaginations comme
un tremblement de terre.
C’est la première fois que l’on
voit une princesse dévoilée,
prenant la parole en public.
La beauté de Lalla Aïcha
évoque aussi une star de
cinéma comme dans les films
romanesques que l’on tournait
au Caire ou l’une des héroïnes
des livres de Georgy Zaydan,
prolifique et talentueux
auteur libanais très populaire
dans le monde arabe.” A.T.
DR - Jacques Belin/Rabat
“Le roi Mohammed V et ses fils Moulay Hassan
et Moulay Abdallah descendent de l’avion. S’il n’y avait
que deux événements à retenir de l’histoire du Maroc
pour quelqu’un de ma génération, ce serait le retour
de Mohammed V, que l’on m’a raconté, et dont cette
photo est devenue une icône pour nous tous, et la mort
d’Hassan II en 1999, qui a suscité l’émotion que l’on sait.
Une écrasante majorité de Marocains sont viscéralement
attachés à la monarchie, sans arrière-pensées et avec
fierté.” A.T.
“Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de petits crieurs
de journaux et que La Vigie, le grand quotidien
du protectorat, a disparu de l’éventail de la presse
en langue française qui demeure pourtant très importante
au Maroc. En revanche, les jeunes cireurs de
chaussures sont toujours là ; mystères de la politique
pour la protection de l’enfance.” A.T.
NUMÉRO 2 MARS 2007
“La liberté guidant les peuples, Eugène Delacroix dans les rues de Meknès, les figures
héroïques de la Révolution française mêlées aux jeunes manifestants marocains ; d’un côté
comme de l’autre, on reste fidèle aux mêmes références et c’est peut-être cela qui
permettra d’éviter la catastrophe. La jeune femme qui harangue la foule, avec le mystérieux
bandeau patriotique barrant son corsage, annonce le rôle déterminant que joueront
les femmes dans l’évolution de la société marocaine après l’indépendance.” A.T. ■
LE COURRIER DE L’ATLAS 89
livres
La Kabylie
en vers et en photos
J
“ ’ai considéré la terre d’Amazighe / Jugurtha, j’ai vu ton visage
/ Dans la brume où j’étais / J’ai senti
ton nom porté par le chant / Ton
message depuis que je l’ai lu / Je
suis fier d’être ton fils.” Extrait de Jugurten, poème de Ben Mohamed.
Dans ce livre magnifique, œuvre du
photographe-reporter Yazid Bekka
et du poète Yalla Seddiki, c’est une
autre Kabylie qui est donnée à voir,
toute en portraits et en poésie. Aux
photographies d’hommes et de femmes, de plaines et de villages, se
succèdent les proses – textes initiaux accompagnés de leur traduction – de poètes anonymes comme
de célèbres auteurs kabyles tels que
Mouloud Zedek, Hanifa, Cheikh Mohand Ou-Lhoucine ou encore Chérifa, mais aussi de chanteurs et artistes-interprètes plus contemporains
comme feu Lounès Matoub, Slimane
Azem, El Hasnaoui, Ferhat, Aït Menguellet et même Takfarinas. Une
coédition franco-algérienne. Y. M.
Yazid Bekka
et Yalla
Seddiki,
Kabylie, belle
et rebelle,
éd. Non lieu,
160 pages,
38 €.
Un mariage en Kabylie, terre d’Amazighe.
Cri urgent : à vos plumes !
Envie d’écrire ? De vous exprimer ? De vous raconter ? Les éditions du Grand souffle viennent de créer Cri urgent, une nouvelle
collection dédiée aux auteurs en herbe, tous âges et tous styles confondus. La maison d’édition se propose d’éditer des manuscrits
d’anonymes qui ont décidé de prendre la plume, à condition qu’ils répondent aux critères de la collection “qui ne tient ni du
défoulement ni de la provocation gratuite, mais du contact conscient avec l’éprouvé d’une situation intenable”. Les manuscrits
sont à faire parvenir à l’adresse suivante : Grand souffle, 24, rue Truffaut, Paris 17e. www.legrandsouffle.com
VIENNENT DE PARAÎTRE
Après un premier roman intitulé Sarraounia, la
conteuse et écrivaine marocaine Halima Hamdane
reprend la parole pour mieux la donner à d’autres…
Dans Laissez-moi parler ! l’auteure imagine une galerie de portraits, un enchevêtrement de destins, des
vies de femmes marocaines qui se racontent, entre
conte et dure réalité.
Halima Hamdane, Le grand souffle éditions, 12,80 €
“Palestine, terre promise,
journal d’une ville
assiégée”
Payot réédite en format de poche cet
ouvrage paru en 2003, qui reste – hélas
– toujours d’actualité. Palestine, terre promise est le journal de bord que l’écrivain
et avocat palestinien Rajah Shehadeh a
tenu dès avril 2002, en pleine incursion de
l’armée israélienne à Ramallah.
Rajah Shehadeh, traduit de l’anglais par
Karine Léchère, éd. Petite bibliothèque
Payot, 6,50 €
90 LE COURRIER DE L’ATLAS
“Viscéral”
Une romance sombre sur fond de barres de béton,
racontant les amours contrariées de Lies, gérant
d’un taxiphone en banlieue parisienne, et de sa
belle princesse Shéhérazade. Viscéral est le second roman de Rachid Djaïdani qui avait déjà fait
parler de lui avec Boumkœur, paru en 1999 chez
le même éditeur.
Rachid Djaïdani, éd. du Seuil, 15 €
“Oubliés de guerre”
Un film, quelques débats et plusieurs
décennies après qu’ils se soient sacrifiés pour la République, les anciens
combattants sont enfin en passe
d’obtenir un semblant de reconnaissance. Ce livre leur rend hommage et
leur donne la parole, à travers les
photographies en noir et blanc d’Olivier Pasquiers et le texte de l’écrivain
Michel Séonnet.
Olivier Pasquiers et Michel Séonnet,
éd. Créaphis, 19 €
Yazid Bekka - DR
“Laissez-moi parler !”
NUMÉRO 2 MARS 2007
scène
ZAPPING TV
Amel Brahim-Djelloul
aux Victoires de la musique
Amel Brahim-Djelloul, soprano
formée au Conservatoire d’Alger,
faisait partie des trois nominés
aux Victoires de la musique classique diffusées en direct sur
France 3 et France Inter le 28
février dernier dans la catégorie
“révélation artistique lyrique”.
La belle Amel vient par ailleurs de sortir son premier enregistrement
des Mélodies de Delage, Aubert et Szymanowski, et travaillerait également sur un projet d’opéra arabo-andalou pour l’automne 2007 aux
Bouffes du Nord, à Paris.
“La caravane des enfoirés 2007”
Le 2 mars sur TF1, près d’une quarantaine “d’enfoirés” nous embarquent
dans leur caravane pour un spectacle magique enregistré au Zénith de
Nantes en janvier dernier. Cette année encore, Patrick Bruel, JeanJacques Goldman, Muriel Robin, Garou,
Nadiya et bien d’autres fidèles des
Restos du cœur ont été rejoints par des
petits nouveaux comme Chimène Badi,
Raphaël ou Bénabar. Le double CD et
le double DVD La caravane des enfoirés,
comprenant l’intégralité du spectacle
et de nombreux bonus, seront dès le 3 mars dans les bacs. Rappelons
que, pour chaque CD vendu, ce sont dix-neuf repas distribués par les
Restos du cœur… Ils “comptent sur vous” !
“Concert de la Tolérance”
sur NRJ 12
NRJ 12 diffusera le dimanche 4 mars à 22 h 25
la seconde édition du “Concert de la Tolérance”
présentée par Nathalie Vincent et T-Miss. Ce
grand événement musical s’est tenu le samedi
4 novembre dernier sur l’une des plus belles
plages d’Agadir, devant plus de 120 000 spectateurs. Une vingtaine d’artistes prestigieux de la
variété française et internationale, du rap et du
raï étaient réunis pour l’occasion, parmi lesquels Florent Pagny, Zucchero,
Samira Saïd, Faudel, Amine et Abdel Malik. Avec un seul mot d’ordre :
défendre la paix, célébrer l’amitié entre les peuples et lutter contre
toutes les discriminations.
DR
Le MAP à l’Eurovision
C’est le groupe de rap lillois MAP
(Ministère des Affaires Populaires),
actuellement en tournée dans toute
la France, qui a été sélectionné par
France 4 avec les Wampas pour représenter la France à l’Eurovision. De quoi
dépoussiérer un peu cette véritable
institution. Rendez-vous le lundi 5 mars
sur France 3 pour connaître le grand
gagnant. Pour plus d’informations : www.eurovision-fr.net
NUMÉRO 2 MARS 2007
Théâtre
Psychanalyse
de la torture
La question, texte dérangeant
d’Henri Alleg sur la torture durant
la guerre d’Algérie, est repris
au théâtre. A l’origine de ce projet,
l’acteur Jean-Pierre Bodin, qui
revient sur l’importance de ce
document et de sa transmission.
Le Courrier de l’Atlas : Pourquoi
avoir adapté ce texte au
théâtre ?
Jean-Pierre Bodin : La raison est
au départ familiale. Ma femme est
née en Algérie. Elle a réalisé une fiction, C’était pas la guerre, sur les
quinze derniers jours avant l’indépendance de l’Algérie à travers les
yeux d’une petite fille. Ce film a été
présenté régulièrement en première
partie d’Un rêve algérien, du réalisateur Jean-Pierre Lledo, sur le retour d’Alleg en Algérie quarante ans
après. Ma femme est revenue un
jour à la maison avec La question
dédicacé. Quand je l’ai eu fini, cela
a été instinctif. Je me suis dis : je
veux faire cela au théâtre.
Comment avez-vous convaincu
François Chattot de le mettre en
scène ?
Je travaille avec lui depuis vingt ans.
Il a fait tous mes spectacles. Alexandrine Brisson, ma femme, a fait les
musiques et les chansons.
Parlez-nous de cette mise en
scène.
Au début, on voulait adapter tout le
texte, mais on s’est aperçu que
c’était trop long. Les mots sont tellement incroyables. L’écriture d’Henri Alleg est phénoménale, presque
clinique. Le but était que les gens
entendent le texte, nous voulions le
transmettre aux jeunes générations.
On a donc fait un montage en gar-
dant à peu près les deux tiers. Et il y
a des pauses, des respirations à
double tranchant, comme des petites chansons écrites avec les mots
des tortionnaires.
L’important n’était-il pas de
faire ressentir ce regard des
tortionnaires ?
On le voit bien aujourd’hui encore
en Irak. On se souvient des photos
d’Abou Ghraib où ils mettent en
scène leurs jeux d’humiliation. Estce une façon pour les bourreaux de
s’en sortir ? Le texte d’Henri Alleg
révèle vraiment cela. Régulièrement,
il emploie le mot “spectacle“. Il y a
même une reconnaissance pour la
victime qui tient le coup. On vient la
féliciter.
Quel public tenez-vous à
toucher ?
Nous avons joué dans des cadres
très différents. Il y a des gens qui
connaissent le texte, des anciens
appelés qui ont pratiqué la torture...
Des lycéens aussi. Les jeunes sont
hypersensibilisés. Après le spectacle,
ils discutent de l’Irak, de la Côte
d’Ivoire. La pièce génère des
débats.
Séverine Renaud
Théâtre national de Chaillot, au Studio,
Du 8 mars au 7 avril 2007, 20 h 30,
dimanche 15 heures
Pour les débats organisés autour de la
pièce, renseignements et réservations :
01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr
LE COURRIER DE L’ATLAS 91
cinéma
Hommage
à Lakhdar Hamina
Boulane, le satanique
L’affaire des quatorze hard-rockers,
condamnés pour satanisme en
2003, avait mobilisé comme jamais
la société civile marocaine. Ahmed
Boulane décide d’en faire un film :
Les anges de Satan. Sortie prévue
le 7 mars au Maroc. Entretien.
O
n a essayé de me refuser toutes les autorisations de tournage dans les lieux publics : au tribunal, en extérieur devant la
Wilaya…”, autant de lieux généralement autorisés à d’autres réalisateurs marocains ou étrangers. Ahmed Boulane ne se démonte pas
pour autant. C’est un dur à cuire…
Qu’importe les bâtons dans les
et les autres…, Boulane en a vu de
belles. Aussi porte-t-il toujours plusieurs projets en même temps.
“J’avais écrit un film sur le mariage
mixte, refusé trois fois à l’avance sur
recette. Alors j’ai attaqué, avec peu
d’argent et d’une traite, Les anges
de Satan que j’avais aussi en tête.”
La Tunisie vient en renfort et surtout
ses “amis artistes et techniciens”.
Les anges de
Satan rappel“CE FILM EST UNE ‘FACTION’, UN
lent
un fait diMÉLANGE DE FAITS ET DE FICTION.”
vers, qui semble
toujours déranroues mis par le ministre de la Jus- ger, de l’histoire récente du Maroc.
tice, il ira jusqu’au bout. Au passage, Début 2003, quatorze musiciens
son porte-monnaie en prend un comparaissaient pour “dégradacoup : des autorisations sont reti- tions des mœurs, incitation à la dérées en plein tournage, comme à la bauche et actes attentatoires à la
prison casablancaise d’Oukacha, oc- religion musulmane”. L’annonce du
casionnant des centaines de milliers verdict (jusqu’à un an de prison ferde dirhams perdus ! Boulane a le me pour les musiciens) crée un vésoutien du ministre de la Communi- ritable tollé ! Une grâce royale metcation et celui, plus étonnant, de la tra fin à ces dérapages de la
police : “C’est incroyable, s’amuse- Justice.
t-il, mais finalement c’est elle qui a Les anges de Satan est-il une rele mieux collaboré !” Depuis la cen- constitution ? “Je parlerais plutôt
sure qui a frappé son film Ali, Rabia de faction, un mélange de faits et
“
92 LE COURRIER DE L’ATLAS
Tournage au tribunal ? Refus
des autorités. Tant pis, Boulane
tournera dans une église.
de fiction (également citoyen irlandais, il affectionne les néologismes
anglo-saxons). J’ai eu accès aux
dossiers de la police et du tribunal.
Mais il ne s’agit pas pour autant
d’un documentaire. Comme dans
Bloody Sunday, Au nom du père,
JFK…, j’ai raconté les faits avec de
la fiction. On sait que Kennedy a été
assassiné, mais si on veut raconter
l’histoire, il faut bien l’imaginer…”
Il rencontre alors certains musiciens
de l’affaire, leurs parents et des
journalistes.
Le réalisateur, la cinquantaine
aujourd’hui, dénonce un fossé entre
les générations, celle des années de
plomb qui a dû se battre et celle actuelle qui a eu, presque d’emblée,
accès à la liberté d’expression.
“Dans les années 60-70, le Maroc
était moderne. On était libéré. On
fumait du shit, on écoutait du rock,
on faisait les vendanges, on baisait
dans les toilettes des trains… et il
n’y avait pas de visa ! C’était beau.
En 2000, on aurait dû en finir avec
la religion. On aurait été heureux et
on n’aurait pas à se faire fouiller le
cul comme aujourd’hui dans une putain de douane américaine.” Boulane est à l’image de ce cinéma marocain qui bouge. Un cinéma qui
rassemble précisément dans un
même élan ces deux générations
autour d’une même aspiration à la
liberté de filmer, d’exprimer. “M’exprimer, c’est ma manière à moi de
prier”, termine le cinéaste dans une
dernière provocation.
Yann Barte
Ben Barka : après
le film, le téléfilm
France 2 a commandé à
Jean-Pierre Sinapi (Vivre
me tue et Camping à la
ferme) un téléfilm en trois
épisodes sur l’affaire Ben
Barka. En 1965, au plus
fort des “années de
plomb” au Maroc, le
leader tiers-mondiste
et principal opposant
à Hassan II, disparaît en
France. L’affaire n’a jamais
été élucidée. Le tournage
a lieu en ce moment à
Paris. Dans le rôle de Ben
Barka, Atmen Kelif, et
Simon Abkarian dans celui
d’Oufkir. Suite au prochain
épisode…
Cinéma du Réel :
le Maroc à l’affiche
Le Festival
international
de films
documentaires
qui se tient au
Centre Georges
Pompidou de
Paris du 9 au 18 mars,
donne carte blanche aux
directrices de la nouvelle
cinémathèque de Tanger :
les cinéastes Yto Berrada
et Bouchra Khalili.
www.cinereel.org
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
A propos des “Anges de Satan”
L’IMA propose une
rétrospective de l’œuvre
du réalisateur algérien
Mohammed Lakhdar
Hamina du 11 au 25 mars
avec la projection entre
autres du Vent des Aurès
(1966) et du fameux
Chroniques des années
de braise (1974).
IMA, 1, rue des Fossés-SaintBernard, place Mohammed V,
Paris 5e . Tél. : 01 40 51 38 38
www.imarabe.org
cinéma
Un ovni débarque
dans le cinéma
tunisien. Son nom :
VHS Kahloucha
Tunisian
underground
C
DR
’est l’histoire vraie d’un peintre
en bâtiment de Sousse, fan de
Bruce Lee et de Clint Eastwood, acteur-réalisateur à ses heures, suivi
en plein tournage de sa dernière
œuvre intitulée Tarzan El Arab. Un
documentaire d’ores et déjà culte
en Tunisie ! Trois questions à Nejib
Belkadhi, le réalisateur.
Le Courrier de l’Atlas : Comment
est né “VHS Kahloucha” ?
Nejib Belkadhi : En 1997, mon ami
de toujours, Imed Marzouk, qui allait devenir mon producteur et associé dans Propaganda Production,
me parle pour la première fois de
Moncef Kahloucha, un personnage
qu’il a connu à travers Lassaad, le
photographe de mariages et cadreur de ses films. Ce soir-là, j’ai eu
une envie folle de filmer ce peintre
en bâtiment qui fait des films de
genre en VHS dans son quartier
pauvre de Kazmet, à Sousse. En
2000, je réalisais et présentais une
émission qui passait sur feu Canal+
Horizons, et on s’est décidés à partir
filmer Kahloucha. En allant sur place, j’ai été frappé par la richesse du
quartier et la générosité de ses habitants. Il n’y avait pas qu’une, mais
plusieurs histoires à raconter. On
s’en est sortis avec un reportage de
dix minutes, mais l’envie de faire un
film autour du personnage et du
quartier ne m’a pas quitté depuis.
En 2002, nous avons fondé avec
Imed Propaganda Production, et
nous avons fini par tourner le film
en 2003 avec des fonds propres, de
la façon la plus indépendante possible. Le tournage s’est étalé sur une
année et le montage a duré presque
dix mois. On a cherché des financements pour kinescoper le film en
NUMÉRO 2 MARS 2007
2006 (opération consistant à transférer le film de la vidéo en 35 mm
afin de l’exploiter dans les salles de
cinéma). Le ministère de la Culture
nous a accordé une aide à la finition
qui nous a permis de terminer le
film dans de bonnes conditions et
de l’exploiter dans les salles tunisiennes où il est projeté depuis le
début de l’année.
Le film a eu un succès phénoménal en Tunisie. Vous vous attendiez à un tel engouement du
grand public pour un format
documentaire ?
C’est la première fois qu’un longmétrage documentaire sort dans les
salles de cinéma en Tunisie. Nous
avons toujours cru à notre histoire,
et nous avons pu tester l’enthousiasme du public tunisien à travers
notre participation au festival Doc’
à Tunis en avril 2006. C’est à partir
de là que nous avons commencé à
croire au potentiel commercial du
film et à la possibilité de l’exploiter
dans le circuit des salles, secteur qui
connaît beaucoup de difficultés vu
que les Tunisiens ont déserté les salles de cinéma depuis maintenant
près de dix ans… Voir ce film réconcilier le public tunisien avec les salles obscures a été très gratifiant
pour nous car nous avons beaucoup
travaillé à la campagne de communication qui a surtout été axée sur
l’utilisation des nouvelles technologies de communication : vidéos sur
Internet, blogs, site interactif…
Les festivals ont eux aussi été très
réceptifs au film. Nous sommes déjà
allés à Cannes, au festival international du documentaire de Marseille
(prix des médiathèques), au festival
de Dubaï. Dernièrement, nous étions
au festival de Sundance 2007 du cités musicales et leur style, j’ai
Film Indépendant aux Etats-Unis et montré quelques extraits du film à
au Festival de Göteborg qui s’est Skander. Il a été emballé. Une pretenu le mois dernier en Suède. Nous mière maquette a été enregistrée
sommes également en train de pla- dans un appartement parisien en
nifier la sortie du film en France d’ici compagnie de Jamloun, membre
juillet 2007, ainsi
d’un autre groupe
qu’une éventuelle
underground tuni“CE FILM A
distribution aux
sien, Zemeken. On
Etats-Unis dans le RÉCONCILIÉ
a tout fait en deux
LES TUNISIENS
jours. A l’écoute des
courant de l’année.
premiers extraits,
AVEC LES SALLES
j’ai compris qu’on
La bande – très – OBSCURES.”
tenait notre BO. Les
originale du film,
Neshez ont fait un
et notamment le
titre Io sono tunisino, ont égale- travail formidable ! La musique colle
ment contribué à ce succès. parfaitement aux images, sans les
Comment avez-vous fait le cas- écraser ni les dénaturer. C’est une
des forces du film. Ils sont en train
ting ?
Je connaissais déjà Skander Bouas- d’enregistrer un nouvel album. On
sida, du groupe Neshez, mais je croise les doigts pour eux !
n’avais pas pensé à lui. D’ailleurs, je
Propos recueillis par
me demandais même si j’allais metYasrine Mouaatarif
tre de la musique dans le film. Un Le site du film avec “Makingouf”,
ami commun m’a suggéré Neshez “Banda Nouss” et “Inédiyet” :
pour la BO. Connaissant leurs capa- www.kahloucha.com
LE COURRIER DE L’ATLAS 93
musique
UNE JOURNÉE AVEC…
Kenza,
le petit trésor de Marseille
’est à Aubagne, près de Marseille, que nous sommes allés
à la rencontre de Kenza. En pleine
séance studio, la chanteuse est
concentrée sur l’enregistrement
de son album. Casquette militaire,
look hip-hop, mais allure féminine,
Kenza est plutôt de nature joviale.
Elle travaille avec assiduité, mais
n’hésite pas à rigoler avec ses collaborateurs entre deux prises. De
parents kabyles, cette jeune femme de 20 ans a grandi dans les
quartiers Nord de Marseille.
Aujourd’hui encore, elle a beaucoup de mal à réaliser ce qui lui
arrive. “Après tant de déceptions
et de désillusions, je réalise enfin
mon rêve ! confie-t-elle. Depuis
toute petite, je n’ai jamais conçu
ma vie autrement qu’en chantant.
J’ai toujours eu cette petite voix
qui me disait de m’accrocher à la
musique et de persévérer.”
Kenza a toujours aspiré à “toucher un jour du doigt” la carrière
de chanteuse. C’est très tôt qu’elle
attrape le virus de la musique. Petite, elle chante dans des guinguettes, à des fêtes de quartiers et
participe à de nombreux concours
de chant. Ne disposant pas encore
de son propre répertoire, la gamine se distingue, dans ce milieu
très masculin, en interprétant les
chansons de Céline Dion. Ce sont
les victoires à ces compétitions
qui lui permettent d’effectuer ses
premières séances de studio. Très
vite, la jeune fille va profiter de
cette aubaine pour enregistrer ses
propres titres. C’est ainsi que ses
premiers morceaux comme Il m’a
trahi, Mon ange ou Seul sans toi
vont voir le jour.
Mais ce que n’avait pas prévu la
jeune Kenza, c’est le retentissement qu’allaient connaître ses
chansons. Initialement enregistrées pour ses proches, elles tourneront grâce au bouche à oreille,
de quartier en quartier dans sa
ville natale… avant de connaître
un succès fulgurant sur le net,
L’aventure d’une jeune chanteuse
de R’n’B devenue célèbre grâce
au net. De Marseille à Paris, Kenza
(trésor en français) a su séduire
le cœur d’un large public un peu
partout en France. Elle sort
son premier single, Je me bats,
un essai avant la sortie de
son album prévue au mois de mai.
94 LE COURRIER DE L’ATLAS
C’est l’année
du
de jongler en bac et ça n’est pas to
ujo
tre une nou
velle carrière urs évident
et les cours
.
bien au-delà des frontières marseillaises. “Internet est un outil de
communication incontournable. Il
m’a permis de me faire un nom et
de diffuser ma musique.” Grâce
au Web, Kenza tisse des liens solides avec son public, boostant
ainsi sa carrière au niveau national. Plus qu’une simple chanteuse
de quartier, elle devient un vrai
phénomène dans le cœur de
nombreux fans… qui iront jusqu’à lui dédier plus d’une trentaine de skyblogs. Quant à son blog
officiel, il dépasse chaque mois le
million de connexions.
Le secret de son succès ? Sa musique a la spécificité de toucher
aussi bien un public masculin que
féminin, à Marseille comme à Paris. L’engouement qu’elle suscite
est tel que Laurent Bouneau, le
patron de la radio Skyrock, qui
fait la pluie et le beau temps dans
le hip-hop français, et des directeurs de maisons de disques la
sollicitent. Membre du label aulnésien Karismatik, Kenza devrait
d’ailleurs rejoindre sous peu une
major parisienne…
Malgré cette notoriété soudaine,
la jeune femme garde la tête sur
les épaules. Elle a su rester simple
et naturelle. “Ça me fait plaisir
quand les gens me reconnaissent
et viennent me voir. Si je suis là
aujourd’hui, c’est grâce à Dieu et
à mon public. C’est pour ça que
souvent, quand on me demande
un autographe, je coupe la feuille
en deux et je demande à la personne de m’en faire un aussi, parce qu’on est pareilles”, raconte-telle en souriant. En effet, Farah
de son vrai prénom ne se prend
pas au sérieux et continue de mener une vie ordinaire. Pour ses
proches, elle reste une jeune fille
dynamique et souriante, une
grande sœur attentionnée et responsable. Pour eux, elle n’a pas
changé. Elève de terminale au lycée Saint-Exupéry, elle poursuit
tant bien que mal ses études.
C’est l’année du bac et ce n’est
pas toujours évident de jongler
entre une nouvelle carrière et les
cours. D’ailleurs, elle doit déjà
nous quitter pour rejoindre ses
danseurs qui répètent à Marseille
pour mettre au point son prochain
show. Et ce n’est qu’un début…
Car après la sortie de son premier
album prévu au printemps prochain, Kenza a prévu une minitournée dans tout le Maghreb.
Une artiste à suivre de très
près…
Siham Bounaïm
http://kenza-farah-zik.skyblog.com
NUMÉRO 2 MARS 2007
Grégoire Bernardi
C
musique
Malouma,
la diva mauritanienne en tournée
Jil Jilala :
le grand come-back
Un petit vent de nostalgie plane
sur les charts marocains… Entre
les légendaires Nass El Ghiwan
qui sortent un nouvel album et les
mythiques Jil Jilala qui en préparent
un, les seventies reviennent en force !
DR
J
il Jilala, c’est une légende, née à Marrakech à l’aube des années
1970 autour du maître de cérémonie Moulay Tahar, mais c’est aussi
une époque, un certain Maroc en noir et blanc, pattes d’éléphants et
coupes hippies, où il faisait bon chanter l’amour et la paix sur des airs
de sentir et de bendir.
Trente ans et des dizaines de tubes plus tard, leur chanson rebelle et leur
musique de transe font toujours autant d’adeptes, au Maroc, dans tout le
Maghreb, et même au-delà… Car el hal ou l’état de transe est en passe
de conquérir un tout nouveau public, issu d’univers musicaux diamétralement opposés.
Tout a commencé en juin 2006, à Rabat, au Chellah Jazz Festival. Les Jil
Jilala partagent alors la scène avec des rockers allemands, The Dissidents,
et reprennent ensemble leur morceau Rih el bal. Depuis, est née entre les
deux groupes une grande complicité musicale, et The Dissidents travaillent
même sur un album consacré à la fusion rock-jilala qu’ils comptent sortir
cette année en Europe et au Maroc.
En attendant, nos quatre Marrakchis dans le vent concoctent leur propre
come-back et c’est dans le sud de la France qu’ils sont actuellement en
plein enregistrement d’un nouvel album qui devrait sortir à l’automne
2007. “Nous travaillons sur environ sept titres, parmi lesquels quelquesunes de nos plus célèbres chansons comme Lklam elmressaa, Laâyoun
Ainiya, Echamâa et Al Aar a Bouya. Ce ne seront pas de simples reprises,
car la grande nouveauté, c’est l’introduction d’instruments comme le saxophone, le violon, et même le oud, nous confie Abdelkrim El Kasbaji. Nous
préparons également des morceaux totalement inédits, certains écrits par
Moulay Abdelaziz Tahiri qui a assisté à la genèse du groupe, et d’autres par
des poètes avec lesquels nous travaillons pour la toute première fois,
comme Mohammed Benaissa et Mohammed Nmila.”
Vivement la sortie… En attendant, le groupe profite de sa venue en France
pour entamer une petite tournée dans le sud de la France, de Montpellier à
Avignon en passant par Nîmes.
Yasrine Mouaatarif
Infoline : 04 67 92 35 26
NUMÉRO 2 MARS 2007
Un port de reine, une voix majestueuse, des doigts de fée qu’elle balade
avec grâce sur son ardin, instrument du désert à mi-chemin entre la harpe
et le luth. Malouma Mint El Meidah est une véritable diva. Celle qu’on
appelle en Mauritanie “la chanteuse du peuple” nous revient ce mois-ci
avec un tout nouvel album
intitulé Nour, qu’elle présentera sur scène lors de sa tournée française. Elle y chante
l’amour, mais aussi les femmes
de son pays, leurs rêves et
leurs revendications, dans une
musique mêlant tradition hassania, jazz et électro-pop.
A découvrir sur scène :
le 10 mars au Festival d’un
monde à l’autre à Lyon, avec le Dee Dee Bridgewater’s Malian Project,
Auditorium de l’Orchestre national, 149, rue Garibaldi, 69003 Lyon
Le 16 mars au Trianon Transatlantique à Rouen, 114, avenue du 14-Juillet,
76300 Sotteville-lès-Rouen
Le 18 mars, au Festival Banlieues bleues à La Courneuve, Centre culturel
Jean-Houdremont, 11, avenue du Général-Leclerc, 93100 La Courneuve
Sortie nationale de l’album Nour le 8 mars
DANS LES BACS
Collection
Maghreb Soul
Raï Story 1986-1990
Avis à tous les amateurs du bon vieux
raï des familles et autres nostalgiques
de la gasba et du guellal : le label
Because vient de sortir une magnifique
collection de cinq albums retraçant
l’histoire de ce style musical made in
Oran, à travers quatre de ses figures les plus emblématiques : la regrettée Cheikha Rimitti, feu Cheb Hasni, Khaled et Mami, avec des
titres de leur époque Cheb, et une compilation réunissant les Bilal,
Taliani et autres raïmen nouvelle génération.
ElectroDunes
Saharian Vibes
Béni-Abbès, en plein désert algérien,
et son festival Nuit métisse. Trois
artistes du pays, Hafid Douali,
Houari Douali et Saïd Touati, font la
connaissance d’un DJ originaire de
la cité phocéenne, Barbès D. De
cette rencontre naîtra Saharian Vibes,
un délicieux trip musical entre Marseille et Béni-Abbès, sur son de
dub et de karkabous, avec escale à Kingston, sorti simultanément
dans les bacs en France et en Algérie. Découvrez le groupe sur scène
le 29 mars aux Docks des suds à Marseille.
LE COURRIER DE L’ATLAS 95
culture
AGENDA
Kantara
Ce jeune groupe est né de
la rencontre d’un joueur de
oud, Riadh Fehri, et d’un
guitariste, Brennan Gilmore. Ensemble, les deux
musiciens ont osé une fusion audacieuse entre le
malouf tunisien et la musique appalachienne du sud
des Etats-Unis.
Marseille, Espace Julien
entrée libre, 20 h 30,
39, cours Julien
Tél. : 04 91 24 34 10
www.espace-julien.com
Jusqu’au 31 mars
EXPOSITION
“Allers Retours”
Le Musée des Arts derniers
– clin d’œil artistique et
militant au Musée des Arts
dits “premiers” inauguré
en grande pompe quai
Branly – ouvre un nouvel
espace à Paris et invite
pour l’occasion dix artistes
plasticiens français et africains dans une grande exposition collective baptisée
“Allers Retours”. Parmi
eux : Kamel Yahiaoui, Afi
Nayo, Martial Verdier, Malick Sidibé ou encore Bruce
Clarke.
Paris 3e, musée
des Arts derniers
28, rue Saint-Gilles
Tél. : 01 44 49 95 70
www.art-z.net
Du 6 mars au 7 avril
EXPOSITION
Yamou
L’artiste marocain Abderra-
him Yamou nous ouvre les
portes de son univers et
offre à découvrir ses toiles
et sculptures, œuvres organiques, végétales, presque
vivantes, le temps d’une
exposition à la galerie parisienne Plume.
Paris 3e, galerie Plume
48, rue de Montmorency
www.yamou.com
Le 9 mars
DANSE
Roxane Butterfly
Un numéro de claquettes
pas comme les autres...
C’est en s’inspirant de ses
origines marocaines que la
danseuse et chorégraphe
Roxane Butterfly a créé
Djellabah Groove : des
chorégraphies inédites
dans lesquelle selles réinvente le tap-dance classique en lui insufflant un
peu de son Orient. L’artiste
est accompagnée sur scène
par des musiciens de oud
et de derbouka. Un spectacle époustouflant qui vient
en after des chanteuses
Ayo et Djurdjura.
Lyon, festival d’un
Monde à l’autre
Auditorium, orchestre
national de Lyon
82, rue du Bonnel
Tél. : 04 78 95 95 95
http://worldbeats.free.fr
Du 9 au 24 mars
CONCERTS
Anouar Brahem
Après Helsinki et Beyrouth,
et avant Carthage où il se
produira au mois d’avril, le
jazzman tunisien et vir-
tuose du oud Anouar Brahem revient en France le
temps d’une rapide tournée. Raison de plus pour
noter sur vos tablettes qu’il
se produira en tournée
dans dix villes de France :
Le 9 à Bourg-en-Bresse
(Allier), le 10 à
Draguignan (Var),
les 13 et 14 à Toulouse
(Haute-Garonne), le 16
à Echirolles-la-Rampe
(Isère), le 20 à Mulhouse
(Haut-Rhin), les 21 et 22
à Saint-Nazaire (LoireAtlantique), le 23 à
Châlons-en-Champagne
(Marne) et le 24 à
Grande-Synthe (Nord).
www.anouarbrahem.com
Du 10 au 23 mars
CONCERTS
Kamilya Jubran
Une soirée de pure poésie,
ça vous dit ? Si vous ne
connaissiez pas la chanteuse palestinienne Kamilya Jubrane, la magie de
sa voix suave et la poésie
de ses chansons, voici une
occasion en or pour la découvrir sur scène, accompagnée de ses musiciens
et de son joueur de oud.
Le 10 mars à Lyon,
auditorium Maurice
Ravel, orchestre
national de Lyon
149, rue Garibaldi
Tél. : 04 78 95 95 95
Le 11 à Nantes Rezé
Centre musical de la
Balinière
24, rue de la Balinière
Tél. : 02 51 70 78 00
Le 16 à Niort
Rachid Taha
Le rocker de la Casbah
est de retour sur scène !
Rachid Taha nous arrive
en plein e form e pou r
prés ente r son dern ier
opus : Diwan II, un album
sorti début 2007, dans
lequel l’artiste s’est amusé à reprendre
des tubes algériens et orientaux à la sauce scopitone
. Ahmed Wahby,
Dahman El Harrachi, Oum Kalthoum
ou même Francis
Bebey... Raï oranais, châabi algérois ou
ballade camerounaise… Taha s’offre toutes les fantaisies
– sur CD comme
sur scène – pour notre plus grand bonh
eur.
Le 22 à Paris au Bataclan 50, boulevard
Voltaire, Paris
11e Tél. : 01 43 14 00 30 www.lebatacla
n.com
Le 29 mars à Angers, au Chabada Avec
en première
partie DJ Nadia El Mourid 56, boulevard
du Doyenné,
Tél. 02 41 96 13 40 www.lechabada.com
Théâtre de Bressuire
1, place Barante,
Tél. : 05 49 74 46 30
Le 17 à SaintBarthélémy-d’Anjou
(Maine-et-Loire)
Théâtre de l’hôtel
de ville, 27, place Jean
XXIII. Tél. : 02 41 96 12 81
Le 23 aux Lilas
(Seine-Saint-Denis),
le Triton, 11 bis, rue
du Coq-Français
Tél. : 01 49 72 83 13
Le 14 mars
CONCERT
Cheb Najim
Amateurs de raï, rendezvous au New Morning
pour le concert de Cheb
Najim. Ce jeune chanteur
– qui a sorti le mois dernier un tout premier album
intitulé Saba – s’inscrit
clairement dans la lignée
des “raïmen lovers” à
l’image de son idole, feu
Cheb Hasni.
Paris 10e, New Morning
7-9, rue des PetitesEcuries
Tél. : 01 45 23 51 41
www.chebnajim.com
Le 14 mars
CONCERT
Method Man
C’est bien lui : LE Method
Man, célèbre rappeur newyorkais et membre du légendaire Wu-Tang Clan,
l’un des rares à mettre
d’accord toutes les générations du hip-hop, toutes
écoles, tous pays et toutes
côtes confondues… Du
gros son !
Marseille
Espace Julien
39, cours Julien
Tél. : 04 91 24 34 10
www.espace-julien.com
Et le 1er avril à Lille
Du 30 mars au 6 avril
HUMOUR
Festival “Juste pour rire Nantes-Atlantique”
Le plus délirant des festivals d’humour québécois s’exporte en France pour une semaine. Plus de 150 artistes se produiront à Nantes
et dans sa région dans des spectacles variés : one-man shows, cirque, magie, sans compter les galas animés par les “parrains” Franck
Dubosc, Stéphane Rousseau, Anne Roumanoff, Laurent Ruquier... La bande du Jamel Comedy Club sera aussi de la partie.
Location : 0 892 705 075 et toutes les infos sur le site www.juste-pour-rire.fr
96 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
DR
Le 1er mars
CONCERT
Les 22 et 29 mars
CONCERTS
culture
Zénith Arena
1, boulevard des CitésUnies
www.method-man.com
Le 16 mars
CONCERT
Les Musiciens du Nil
Un agréable voyage dans
le saâid égyptien, au cœur
de la Haute-Egypte, avec la
troupe folklorique des Musiciens du Nil et leurs instruments traditionnels, invités dans le cadre du
festival Méditerranée des
musiques de l’IMA.
Paris 5e, Institut
du monde arabe
1, rue des FossésSaint-Bernard,
place Mohammed V
Tél. : 01 40 51 38 38
www.imarabe.org
Du 20 au 31 mars
CONCERTS
Le 24 mars
THEATRE
Dhafer Youssef
24 et 31 mars
CONCERTS
DR
Natacha Atlas
Après la sortie de son
album Mish Maoul
(“Pas possible !”), la
d i va d e l ’ é l e c t r o
orientale continue sa
tournée en France.
Toujours aussi baroque, Natacha Atlas
mixe les sonorités
arabes traditionnelles
aux musiques occidentales contemporaines dans une fusion détonante.
Le 24 à Verdun
avec Monkomarok en
première partie
Théâtre, 1, place du
marché couvert,
Le 31 à Saint-Ave
au Dôme, rue des
Droits-de-l’homme
www.natachaatlas.net
et chanson française qui
lui ont ouvert les portes
des plus grandes salles : ce
mois-ci, le Splendid de
Lille, le mois prochain,
l’Olympia de Paris…
Le 21 à Lille au Splendid
1, place du Mont-de-Terre,
Tél. : 03 20 33 17 34
Le 27 à Marseille,
à l’Espace Julien
39, cours Julien
Tél. : 04 91 24 34 10
www.espace-julien.com
www.anis-music.com
Les fans français de Dhafer
Youssef n’y croyaient plus :
en pleine tournée internationale, l’artiste tunisien
devenu roi de l’électrosoufi est bel et bien de
passage en France, le
temps de trois concerts
uniques qu’il ne faudra pas
manquer car l’artiste ne
sera pas de retour avant…
2008.
Le 20 à Grenoble
(04 76 90 00 45),
le 22 à Nice
(04 93 81 04 95)
et le 31 à Montélimar
www.dhaferyoussef.com
Les 21 et 27 mars
CONCERTS
Anis
On peut dire que son album La chance lui a porté
la baraka… Révélé en
2006 et adulé en 2007,
Anis trace sa route comme
il chante : avec sagesse et
assurance. Des rythmes entre blues et hip-hop, soul
L’Enfant de sable
“Ahmed” est la huitième
fille d’une famille qui désespère d’avoir un héritier
mâle. A sa naissance, ses
parents décident de l’élever comme un garçon. La
petite devra dès lors prendre en charge le mensonge
avec lequel elle aura à se
construire. Un long parcours initiatique l’attend
avant de pouvoir s’assumer femme. Une pièce
adaptée de L’enfant de sable et de La nuit sacrée –
célèbres romans de l’écrivain Tahar Ben Jelloun –,
mise en scène par Isabelle
Censier.
Charleville-Mézières
Théâtre municipal
Place du Théâtre
Tél. : 03 24 32 44 50
Le 24 mars
CONCERT
Cheikh Ahmad
Al Tûni
Il est l’un des plus célèbres
Du 29 au 31 mars
DANSE CONTEMPORAINE
Les corps étrangers
La compagnie Accrorap et
le chorégraphe Kader Attou
donnent trois représentations du spectacle Les corps
étrangers, tableaux mêlant
subtilement hip-hop et
danse contemporaine dans
lesquels se rencontrent des
danseurs venus de tous horizons.
Mulhouse
La Filature, 20, allée Nathan-Katz.
Tél. : 03 89 36 28 28 www.lafilature.org
munshid de Haute-Egypte,
ces interprètes du répertoire soufi dont la seule
voix mène de la transe à
l’extase. Originaire d’Assiout, ce sultan du chant
mystique est de tous les
festivals internationaux et
a même inspiré le fantasque cinéaste Tony Gatlif. A
découvrir absolument !
Paris 5e, auditorium
de l’Institut du monde
arabe
1, rue des Fossés-SaintBernard, place
Mohammed V
Tél. : 01 40 51 38 38
www.imarabe.org
Les 24 et 31 mars
CONCERTS
Akli D
Les cheveux en bataille et
la guitare au poing, Akli D
nous enchante avec ses
chansons françaises empreintes de Kabylie, toujours poétiques, parfois
ironiques, et souvent engagées.
Le 24 à Bobigny,
à l’espace Canal 93
63, avenue Jean-Jaurès
Tél. : 01 49 91 10 50
Le 31 à Lyon
au Ninkasi Kao
dans le cadre du
festival Découvertes
Berbères
267, rue Marcel-Mérieux
Tél. : 04 72 76 89 00
www.akli-d.com
Le 30 mars
CONCERT
Abdelkader Chaou
C’est incontestablement
l’un des maîtres du chaâbi
algérois, musique à la fois
savante et populaire de la
capitale algérienne. C’est à
Reims que le public aura la
chance d’applaudir Abdelkader Chaou, toujours accompagné de sa mandole
et de ses fidèles musiciens,
lors d’un concert unique.
Reims
à La Comédie
3, chaussée Bocquaine,
Tél. : 03 26 49 49 00
Du 9 mars au 7 avril
CONCERTS
Festival Banlieues bleues
C’est LE rendez-vous de tous les amateurs de jazz et de musiques du monde en Ile-de-France. Pour sa 24e édition, une cinquantaine
d’artistes se produiront dans seize villes de la région parisienne parmi lesquels les Américains Lafayette Gilchrist et Allen Toussaint,
la Mauritanienne Malouma, le Libanais Rabih Abou Khalil et le Brésilien Lenine. Réservations : 01 49 22 10 10 et toutes les infos sur
www.banlieuesbleues.fr
ET PLEIN DE BONS PLANS SUR LE SITE LECOURRIERDELATLAS.COM DANS LA RUBRIQUE “SORTIES”
NUMÉRO 2 MARS 2007
LE COURRIER DE L’ATLAS 97
chronique
RÉFLEXION
T
out a commencé avec les grands chantiers de construction
qu’a connus l’Europe après la Seconde Guerre mondiale
et avec l’épanouissement économique de cette région du
monde. Un immense chantier auquel il manquait des milliers
d’hommes qu’il fallait trouver, recruter là où la misère et la
pauvreté permettent et justifient le déracinement et l’exploitation. Personne n’imaginait que plus tard s’inscrirait, béante,
sur cet espace élevé, construit et même défendu par ces émigrés ou leurs concitoyens, une blessure profonde, poussant sur
un sol d’incompréhension et d’exclusion.
Certainement, la réalisation des projets économiques primait
sur le reste. Tous ces émigrés ne constituaient qu’une masse
de travailleurs anonymes, secondaires par rapport à d’autres
préoccupations. La périphérie par rapport au centre. On imaginait qu’ils rentreraient chez eux une fois les chantiers finis,
quand on n’aurait plus besoin d’eux.
Personne ne détient les commandes du cours de l’histoire. On
a beau s’évertuer à tout englober dans une logique scientifique,
l’évolution des choses trompe, prouve le contraire et surprend.
La politique n’échappe pas à ce
sort. Quand elle prétend tout prévoir ou tout maîtriser, elle ne prouve que sa rébellion prématurée
contre l’implacable certitude de la
faiblesse humaine, appuyée
d’abord sur le principe de l’erreur
et de l’incertain.
Le philosophe Edgar Morin disait
judicieusement : “Quand, pour sortir du XXe siècle, j’ai voulu regarder
le monde actuel, j’ai eu la conscience
qu’on est désormais dans ‘nuit et
brouillard’, que l’avenir du monde
ne peut être prédit, que l’ensemble du
jeu des inter et rétroactions nous
échappent.”
L’imprévu est que ces émigrés ont
décidé de ramener leurs familles
en Europe et de s’y installer, la
perspective du retour au pays d’origine devenant, elle, incertaine.
L’erreur fut de les déterritorialiser,
de les accueillir dans des banlieues carrément coupées de la vie
du centre, de les inscrire dans un espace de différence. Une
mesure d’exclusion incalculable. Déjà, le sentiment de la frustration s’intensifiait dans ces endroits bannis de toute activité
socioculturelle ou d’une gestion politique avertie.
La frustration et l’exclusion évoluent en drame dans la méconnaissance et dans l’insouciance de part et d’autre. Il a fallu que
le vase déborde pour que l’on se réveille un jour. Pour que l’on
se rende compte qu’un problème d’immigration existait réellement et qu’il allait générer ultérieurement d’autres formes
d’exclusion et de violences.
Il est certain que les actes d’exclusion et de rejet réduisent au
minimum les chances d’ouverture et de dialogue. Ils développent une amertume, surtout chez les jeunes des deuxième et
troisième génération, ainsi qu’une prédisposition au repli sur
soi. Ces jeunes deviennent alors des proies faciles à la délinquance ou à certains discours démagogiques qui incitent à diverses formes de révoltes ou au retour aux sources à travers des
pratiques religieuses prônant l’intolérance et l’extrémisme.
En Europe, le problème de l’immigration n’est souvent traité
par les médias que lorsque les banlieues s’embrasent, expriment par la violence leur malaise, ou lors des élections, quand
des partis politiques se partagent à son égard soit en défenseurs
des égalités et des droits sociaux, soit en fervents protecteurs
de l’identité nationale contre l’invasion étrangère.
En somme, jamais on ne s’est penché sur ce problème avec
réalisme et volonté politique. Il en résulte une mauvaise
connaissance dans l’opinion publique européenne de la réalité
et de la complexité de ce problème. Elle a souvent tendance à
se maintenir aux faits, à en isoler les fondements et les mobiles.
Elle se limite à l’appréciation des actes manifestes et juge la
plupart des agissements avec un a priori réducteur. L’émigré
est synonyme de délinquant, si ce n’est son incarnation parfaite ou l’un de ses prolongements
surtout dans un contexte mondial
caractérisé, actuellement, par la
crise économique, le terrorisme
international…
L’échec des politiques d’intégration
incombe à leur vision mécaniste
des choses qui restreint l’étendue
du problème de l’immigration à
quelques aspects secondaires ou
partiels détachés de ses réalités sociales et économiques. Il s’avère
difficile qu’elles puissent aboutir à
quelque chose de concret sans la
mise en œuvre de projets audacieux, inscrits dans le long terme
pour une implication des immigrés dans la vie active de tous les
jours. Les jeunes issus de l’immigration ont plus que jamais besoin
par Mounir Ferram (1)
d’un plan d’actions responsabilisant et égalitaire émanant des instances concernées. Leur association dans les domaines économiques, sociaux et politiques est
nécessaire pour les aider à s’affranchir d’un sentiment archaïque de frustration, à se libérer d’une appartenance floue à une
société qui ne leur est pas reconnaissante, ouverte et aimante.
Nous ne pensons pas qu’il soit facile d’avancer dans la vie et de
se déterminer quelque part sans avoir résolu préalablement le
sentiment d’appartenir, avec beaucoup de conviction, à une
terre, à une culture donnée, à une cause que l’on sert avec
passion et force. Tout provient de la manière dont les politiques
voudront rendre les cultures d’accueil proches et ouvertes à
toutes leurs composantes sociales, sans exception. Le dialogue
s’instaure par la primauté du respect des différences et de leurs
concours à l’apaisement et à la prospérité sociale. ■
Comment
l’appel aux
immigrés
a engendré
l’exclusion
DR
(1) Chercheur et enseignant universitaire à Paris
98 LE COURRIER DE L’ATLAS
NUMÉRO 2 MARS 2007
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36,00
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50,00
70,00
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