l`anthropologie
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ÉVREUX I M P R I M E R I E DE CHARLES H É R I S S E Y L´ANTHROPOLOGI E CRIMINELLE ET SES UÉCÉ'NTS PROGRÈS CESARE LOMBROSO Professeur de Clinique psychiatrique à l'Université de Turin QUATRIÈME ÉDITION, REVUE ET AUGMENTEE D UNE PREFACE NOUVELLE Avec 13 figures dans le texte PARIS ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BA1LLIERE ET Cl0 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR 108, B O U L E V A R D SAINT-GERMAIN, 1901 Tous droits vcscrvi'-s. 108 -.U5JTIÇA * S*RAIVA MBUOTECA I M i ; Q5cnn<k A MESSIEURS BROUARDEL, MOREAU, ROUSSEL, MÔBIUS, KL'RELLA, FERRI, GAROFALO, SIGHELE, MARRO, DRILL, WINKLER, HAWELOCK ELLIS, MAUPATIÉ, LEFORT, MARANDON DE MONTYEL NINA RODRIGUÈS ET A M"'« TARNOWSKY Les Apôtres de VAnthropologie criminelle en Europe C. LOMBROSO a. PRÉFACE DE LA TROISIÈME ÉDITION Je ne voudrais pas que l'apparition de la troisième édition de ce livre, qui a ouvert en France les premiers feux dans le champ encore vierge de {'Anthropologie criminelle, pût faire croire qu'avec lui le dernier mot a été dit sur cette science. Ce livre à présent est en retard et ne peut plus servir que comme indicateur et historien du passé ou comme guide pour ceux qui voudraient pénétrer pour la première fois dans la voie nouvelle. Car pendant que nos adversaires, pareils aux chorum des tragédies anciennes persistent à nous combattre à coups de syllogismes ot de déclamalions, mais sans broncher d'un pas, nous avons marché lentement, mais toujours vers le but. C'est ainsi qu'en France Maupatié a étudié très exactement les caractères de dégénérescence des jeunes criminels comparés aux fous. M. Lefort a retrouvé, par un vrai coup de génie, dans les X LES PROGRÈS DE L'ANTH ROPOLOGIE CRIMINELLE traduite en français (Paris, Rousseau, 4893), en allemand et en anglais, avait tracé les lois sociologiques de l'école nouvelle, a donné dans YOmicidio (1895) la plus grande et la plus sérieuse application de l'anthropologie criminelle à un crime spécial. 11 a, avec une patience de bénédictin, comparé des milliers de soldats et de criminels, dont il a étudié non seulement les différences somatiques mais encore les différences psychologiques dans une série d'interrogatoires reproduits dans son Atlas. C'est surtout dans cet atlas qu'on peut admirer ses efforts ; on y trouve une géographie et une statistique morale non seulement des homicides mais de tous les crimes d'Europe. Ce que Quetelet et surtout Guerry ont exposé dans des travaux gigantesques, mais aussi difficiles à saisir, il l'a réduit en planches très claires et éloquentes, en créant la première statistique graphique populaire. Finalement, ma conclusion la plus controversée, l'analogie allant jusqu'à l'identité du criminel-né avec l'épileptique a trouvé dans les découvertes de Pelanda et de Krafft-Ebbing sur les psychopathies sexuelles, de Carrara sur le pied préhensile, sur les plis de la main, d'Ottolonghi sur le champ visuel une nouvelle confirmation qui est complétée maintenant par les études de mon chef de clinique, M. Roncoroni. Ce dernier nous a donné l'an dernier son Trattato dell' Epilessia con spéciale riguardo aile Psicosi epilettiche où il a démontré cliniquement l'analogie du criminel- PRÉFACE DE LA TROISIÈME ÉDITION XI né et de l'épilepliqne : plus récemment encore, après cinq années de travail, il a pu saisir l'anomalie bistologique du cerveau de l'épileptique, complètement identique à celle du criminel-né '. Là ne s'est pas arrêtée l'expansion des théories de l'Anthropologie criminelle. Kurella, Mobius et Fraenkel, en Allemagne; Havelock Ellis et Morrisson, en Angleterre, ont élargi l'horizon de ces études par des travaux personnels et par des traductions des ouvrages italiens et français. En Italie se publie une Bibliothèque d'Anthropologie criminelle qui contient déjà plus de 70 ouvrages ; des collections analogues sont dirigées par Kurella en Allemagne, par Morisson en Angleterre. On peut donc dire sans manquer â la modestie, que la route nouvelle a été parcourue presque jusqu'au but et que, depuis la publication de la première édition de ce livre, pas un jour ne s'est passé qu'il n'ait vu porter une nouvelle pierre à l'édifice nouveau. G.LOMGBOSO. 1" nov. 1895. fi) Archivit J\ Psichiatria edÂnlrop. crim., 1805, Die. XVI, VI. PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION I La marche rapide, presque précipitée, de l'An\thropologie criminelle, empoche bien des savants d'attendre paisiblement les nouvelles publications, toujours très documentées et très volumineuses, qui ne peuvent paraître que lentement. D'autre part, il n'est pas toujours facile de puiser dans les revues spéciales (Archivio de Psichiatria, \aiUhropofogia criminale e Scienze penali, — [Archives d'Anthropologie criminelle, — Revue philosophique, — Revue de Mirjewsky, de Kowa-\ \levsky) qui nous donnent le compte rendu de ces publications, aussitôt qu'elles paraissent. C'est pour cela que je crois utile don publier moi-mémo aujourd'hui un résumé. Mais il pourrait paraître inconvenant que je commence ce travail sans répondre d'abord aux nombreuses critiques qu'a soulevées l'étude de cette nouvelle branche de la science, critiques, qui, à elles seules, en marquent l'importance. LOJIBI»oso — Anlhr. critn. i J£ LES PROGRÈS DE L'ANTIIROPOLOCIE CRIMINELLE M. Topinard me dénie le droit d'affirmer l'existence d'un type criminel, parce que moi-môme je conviens que ce type manque complètement dans 60 p. 100 des observations. 11 n'y a pas de doute que, si l'acceptation de l'idée d'un type est liée à sa complète universalité, on ne peut l'accepter. Mais j'avais déjà écrit, dans mes premiers ouvrages, qull faut accueillir cette idée avec la môme réserve que celle qu'on meta apprécier les moyennes dans la statistique. Quand on dit que la vie moyenne est de trente-deux ans, et que le mois le plus fatal à la vie est le mois de décembre, personne n'entend par là que tous, ou presque tous les hommes, doivent mourir à ' trente-deux ans, ni au mois de décembre. Et je ne suis pas le seul à faire cette restriction; pour le démontrer je n'ai qu'à citer littéralement les définitions qu'en donne, dans son remarquable ouvrage (1), M. Topinard, lui-môme, lui le plus acharné de mes adversaires. « Le type, dit Gratiolet, est une « impression synthétique ». Le type, dit Gœthe, est « l'image abstraite et générale », que nous déduisons de l'observation des parties communes et des différences. « Le type d'une espèce, ajoute Isidore-G. SaintHilaire, ne se montre jamais à nos yeux, il n'apparaît qu'à notre esprit. » « Les types humains, écrit Broca, n'ont pas une existence réelle; ce sont des conceptions abstraites, idéales, qui res(1) Topinard. Eléments d'anthropologie générale, p. 191 et suiv. Paris, 1885. PRÉFACE DE U MUIÊRK ÉDITION t sortent de la comparaison des variétés ethniques et se composent de l'ensemble des caractères communs a un cet ii nombre d'entré elles. •' « Nous acquiesçons pleinement 4 ces manières - de voir : le type est bien on ensemble de traits, m mais par rapport an groupe qu'il caractérise, c'est I aussi l'ensemble de ses traits tes plus accusés et «f répétant h plus souvent. D'où une série de conséquences que l'anthropologiste, dans son laboratoire aussi bien qu'au milieu des populations de l'Afrique centrale, ne doit jamais perdre de] vue. • Le type, dit Isidore-G. Saint-llilaire, est une H tarte de point fixe et décentre commun autour du* *i**l les différences présentées sont comme autant • déviations en sens divers» et d'oscillation» prasI qi- indéfiniment variées: autour duquel la nature semble ttJouer, connue disaient autrefois lesannloroistes, et comme on dit encore dans les langues; germaniques. • • lin exemple semble inutile après une peinture 81 parfaite. Prenons cependant une série de crânes, I une centaine, dans de bonnes conditions d*bomo-I néité U Is, par exemple, que la première série I d'Auvergnats, étudiée par Beoca, qui provenait d'un ancien ctmetierr de monLi. ■. dans une localité écartée, en noua rappelant une fois pour toutes que las crânes représentent des individus aeat cet a*.» t<e qu'on peut les manierai volonté, I I I ■ Ans remier c. • .i'eril, eequi frappe, ea sont 1 n'y es a pas deux d'absoluméat semblable*; après des efforts réitérés il faut as résigner : par un point ou par un autre tous diffèrent. Cependant, a quelques exceptions près 4 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE tout à fait rebelles, ils ont un air de famillle qui les rapproche entre eux, et d'autre part les éloigne par exemple d'une série de cent Basques à côté, et à plus forte raison d'une série de cent néo-Calédoniens plus loin. Cet air de famille est même très prononcé chez certains. Si, procédant à l'analyse des caractères et les mesurant pour mieux! s en rendre compte, on y regarde de plus près, on remarque qu'il y en a de plus ou moins brachycéphales, de plus ou moins orthognathes, de plus ou moins mésorrhiniens, etc. Prenant alors les chiffres qui, dans chaque crâne, sont l'expression numérique du degré de ces caractères et les disposant en séries, suivant une méthode que nous décrirons plus tard, on voit qu'un certain degré de l'indice céphalique, par exemple, se répète un plus grand nombre de fois, et que les degrés audessus et au-dessous vont en diminuant de fréquence. De même pour le prognathisme, la mésorrhinie, et ainsi de suite de vingt caractères. Le crâne qui présenterait réunis les degrés de chaque caractère se répétant le plus, exprimerait donc au maximum l'ensemble des caractères communs de la série ; il résumerait « l'air de famille » cherché et en réaliserait le type parfait. Mais ce crâne idéal n'existe pas, la série serait de mille, qu'il ne se rencontrerait peut-être pas davantage..... « Par la mensuration des caractères crâniens et l'opération qui en donne les moyennes, Broca, obtenait ce qu'il appelait le crâne moyen de la série. Mais ce crâne possédant exactement toutes les dimensions moyennes obtenues ou au moins tous les rapports moyens, et reproduisant la forme moyenne, sinon le volume moyen, est un artifice ; il ne répond rigoureusement ni au crâne idéal dé- PRÉFACE DE LA PREMIÉItE ÉDITION 5 terminé par le procédé de la sériation de tout à l'heure, ni à un crâne réel quelconque de la série. Un hasard seul peut donner le crâne moyen ou le crâne typique. « Le type d'une série de crânes ou d'individus n'est donc pas une réalité palpable, mais le produit d'un travail, un désir, une espérance, une image abstraite et générale, suivant l'expression de GcBlbe. Le résultat serait le même, si, au lieu de procéder mathématiquement, par une série de mensurations, on eût procédé par les sens et par une suite de tâtonnements, en conservant le souvenir de la physionomie de chaque crâne ; rejetant les traits exceptionnels, exaltant ceux qui se répètent le plus et contrastent davantage avec ceux des autres groupes, et créant dans son esprit une'résultante typique, une quintessence de caractères. « Le type d'une espèce, d'une race, d'un peuple, d'une série de crânes, autrement dit d'un groupe quelconque, est donc l'ensemble des caractères; les mieux accusés, les plus constants au degré voulu et les plus frappants par rapport à ceux d'autres groupes. « 11 va sans dire que ces caractères ne pèsent pas de même dans la balance, qu'il y en aura de légers et de décisifs et, pour me servir du véritable mot, de caractéristiques. Il va sans dire aussi que' parfois aucun, pris isolément, n'aura une grande signification, et que leur portée résultera do leur nombre. Il y a ainsi des types bons, mauvais et indifférents, des types certains et des types douteux. Une question se pose donc : à jquel nombre minimum de caractères utiles un; type peut-il se réduire? Elle se pose et ne se ré- 6 LES PROCHES DE L*ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE sont pas. C'est au jugement de chacun et.à la rigueur qu'exige le cas particulier à en décider. Dans la pratique, deux ou trois bons caractères physiques réunis sont souvent une bonne fortune, et Von s'en contente, lorsqu'ils sont appuyés de considérations et surtout de caractères physiologiques, historiques, etc. » C'est donc bien M. Topinard lui-même qui me donne ici raison. Mais il ne veut cependant pas entendre parler d'atavisme chez les criminels, parce qu'il n'y a pas, selon lui, de continuité entre les hommes et les animaux. 11 me serait très facile, ici, de répondre en citant seulement les noms de Darwin, de Lamarck, de Wallace et même de Buflbn, qui nous ont démontré la continuité de l'échelle des êtres organiques, continuité dont les découvertes paléont ologiques les plus récentes comblent chaque jour les lacunes; toutefois il n'en est pas besoin; car, même si cette chaîne faisait défaut en zoologie, elle existerait dans l'embryologie humaine. Le plus étrange c'est que bien des gens, tout en admettant l'atavisme des criminels, trouvent que justement pour cela, il n'est pas possible d'admettre son influence pathologique. M. Manouvrier, au contraire, tout en acceptant l'influence pathologique (ce qui explique l'asymétrie du visage, l'enchevêtrement des dents des criminels), y puise un prétexte pour nier l'atavisme. Mais est-ce que ce n'est pas le cas de bien des maladies mentales (la microcéphalie, par exemple), de montrer PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION 7 réunis, tout à fait enchevêtrés et presque fondus ensemble, la pathologie et l'atavisme? Et comment peut-on concevoir des phénomènes alavistiques dans l'homme, sans faire intervenir la pathologie fœtale? I n I Rappelons-nous ici que, pour toutes ces découvertes, comme du reste pour tout ce qui est vraiment nouveau dans le champ expérimental, rien ne fait plus de tort que la logique, que le gros bon sens, le plus grand ennemi des grandes vérités. C'est que dans des études initiales il faut travailler bien plus avec le télescope qu'avec la loupe. Avec la loupe, avec les syllogismes etla logique, on vous prouvera que c'est le soleil qui se meut et que la terre est immobile. Ce sont les astronomes qui doivent se tromper! M. Manœuvrier nous a dit en effet, avec une logique très serrée {Actes du congrès S Anthropologie criminelle, Paris, 1890), qu'il ne fallait pas comparer les criminels aux soldats, parce que ceux-ci sont déjà passés par une sélection; mais il oublie que nous avons comparé les criminels aux étudiants et aux gens du monde, que Marro les a comparés aux ouvriers de la ville de Turin et que Mmo Tarnowsckyi a mis en parallèle les femmes criminelles avec les villageoises et les dames russes. 8 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Il nous a dit qu'il fallait faire notre comparaison avec les hommes vertueux ; mais nous pourrions répondre que la vertu, dans ce monde, est déjà une grande anomalie. Je n'aurais qu'à citer Charcot, Le Grand du Saulle et (s'il est permis de me joindre à eux) moi-même, dans l'Homme de Génie (p. 480), pour prouver que la sainteté, qui est bien la vertu la plus complète, n'est bien souvent que de l'hystérie, et même, que de la folie morale. Vous voyez qu'à force de logique nous nous trouvons comme le père, le fils et fane de la fable, dans l'impossibilité de faire aucun choix et d'avancer d'un seul pas. M. Manouvrier nous accuse de n'avoir exhibé que quelques criminels monstrueux « qui ne prouvent pas que les criminels soient des monstres anatomiques ». Vraiment je ne m'attendais pas à un tel reproche de la part d'un anatomiste aussi distingué que M. Manouvrier. Comme dans le monde, il n'y a pas d'accidents, de même il n'y a pas de monstres dans la nature ; et tous les phénomènes sont l'effet d'une loi, les monstres peut-être plus que les autres, car, bien souvent ils ne sont que l'effet de ces mêmes lois exagérées. Mais ces reproches d'ailleurs tombent lorsqu'on passe à la seconde critique selon laquelle « j'ai rassemblé trop d'exemples et sans les avoir choisis ». Dans ce reproche il y a pourtant du vrai ; il est certain qu'en progressant, nous avons vu qu'il PREFACE DE LA PREMIERE EDITION 0 n'y a pas un seul type de criminel, mais plusieurs types spéciaux (de voleur, par exemple, d'escroc, de meurtrier); et que les femmes criminelles ont un minimum d'anomalies dégénératives presque autant que les femmes honnêtes. Et il est encore vrai que j'ai réuni (en étudiant les erànes et les cerveaux) les observations de plusieurs savants qui n'étaient pas d'accord entre elles. Mais ces différences s'expliquaient très bien parce que chaque observateur s'arrêtait avec prédilection sur quelques anomalies, et négligeait les autres. Et c'est seulement après que Corre a appelé l'attention sur l'asymétrie, Albrecht sur l'appendice lé mu rien de la mâchoire, et que moimême j'ai signalé la fossette occipitale moyenne, que l'attention des anlhropologistes a été portée sur ces anomalies et qu'on les a observées dans les criminels. C'est toujours l'analyse qui précède la synthèse, or on aurait bien pu m accuser de mauvaise foi si j'avais oublié tous mes devanciers. M. Manouvrier oublie, à son tour, que tout en ne négligeant pas les résultats des autres observateurs, j'ai tenu compte spécialement de cent] soixante-dix-sept crânes de criminels que j'avais étudiés moi-même et dont je reportais tous les détails chiffrés dans la première édition italienne df mon Homme criminel. El c'est bien à ces crânes (p. 108 de mon livre) que je donnais le MM d'importance. Pour me mettre d'ailleurs à l'abri de tous ces reproches, j'ai appliqué dans ces dernières années le photographie gallonnienne i. ! - -. 10 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE à l'étude du type criminel, et le témoignage irrécusable du soleil m'a soutenu bien mieux que celui des hommes. On reconnaît ainsi que vraiment il y a des types criminels se subdivisant en sous-genres : escrocs, voleurs et .meurtriers. Dans ce dernier tous les caractères s'accumulent, tandis que dans les autres ils sont moins évidents. On y reconnaît d'une façon certaine les caractères anatomiques du criminel et spécialement les sinus frontaux très apparents, zygomes et mâchoires très volumineux, orbites très grands et très éloignés, asymétrie du visage, type ptéléiforme de l'ouverture nasale, appendice lémurien des mâchoires. Si vous comparez ces résultats à ceux de la table statistique qui est l'origine de cette critique, vous trouverez que, malgré les contradictions apparentes qui semblent y foisonner, les proportions des anomalies s'accordent tout à fait. Ainsi ils nous donnent pour les sinus frontaux | 52 p. 100, pour l'asymétrie 13 p. 100, pour le front fuyant 28 p. 100. Voilà pour l'examen des crânes seulement. Mais M. Manouvrier ignore aussi que, pour les vivants, nos études, bien loin d'être bornées à quelques monstres, s'appliquent déjà à 26,886 criminels comparés à 2o,447 normaux. Et il n'est pas exact qu'on n'ait pas étudié le type particulier de chaque espèce de criminels. Je ne l'ai fait, il est vrai, qu'en passant; mais Ferri le premier, puis Ottolenghi, Frigerio et surtout Marro, et en Russie Mmo Tarnowscky, l'ont |i4i-i PRÉFACE DB LA PHBMIÊUE ÉDITION 11 fait avec une abondance de détails, qui est vraiment merveilleuse. Il était naturel que, dans les premiers travaux, on n'eût en vue que l'ensemble des lignes et qu'après seulement on ait étudié les sous-différences de chaque espèce, lien est ainsi dans toute création: on passe toujours du simple au composé, de l'homogène à l'hétérogène. Ces oppositions proviennent, en grande partie, de ce que beaucoup des opposants ne connaissent pas les publications faites en langue étrangère. Ils s'en tiennent par exemple à mon Homme criminel, qui n'est que la première partie d'un ouvrage déjà arriéré, tandis que beaucoup d'autres travaux, et de bien plus savants, ont été publiés depuis, sur le môme sujet. III M. le professeur Hagnan, que j'admire**comme un de? plus grands aliénistes de l'Europe, comme le Charcot de l'alcoolisme, combat mon opinionque, dans l'enfance, il y ait une prédisposition naturelle au crime. Il commence pour cela par nous donner deux ou trois pages de M. Meynert sur les sensations de l'enfant nouveau-né. Vraiment ces citations sont inutiles; car ce n'est pas dans les premiers jours de la vie que j'ai étudié l'enfant, pour montrer ses penchants criminels. Il est alors dans un état végétatif, qu'on pourrait, au plus, comparer à celui de zoophytes; et il va sans dire 12 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE qu'alors il n'a point d'analogies avec les criminels. Après s'être appesanti sur une comparaison qui n'a rien à faire ici, M. Magnan glisse ensuite seulement deux mots sur l'autre période qui seule, aurait dû l'arrêter. « L'enfant, dit-il, de la vie végétative passe à la vie instinctive. » Je le prierai de développer un peu les idées qu'il résume dans ces deux lignes, et il trouvera la clef de l'énigme; il trouvera, avec Perez, chez l'enfant, la précocité de la colère qui l'amène jusqu'à battre les personnes, à briser tout, semblable au sauvage qui entre en fureur quand il tue le bison. Il entendra Moreau dire que bien des enfants ne peuvent attendre un instant ce qu'ils vous ont demandé, sans entrer dans une colère extraordinaire: il en trouvera de jaloux au point de présenter un couteau à leurs parents, pour qu'ils tuent leurs rivaux; il trouvera les enfants menteurs sur lesquels Bourdin a écrit un ouvrage remarquable ; il trouvera, chez tous, une affection qui dure quelques moments et s'évanouit tout de suite; il trouvera, comme La Fontaine, que cet âge est sans pitié; il trouvera avec Broussais qu'ils se plaisent tous à blesser les animaux, à tourmenter les faibles ; il trouvera chez eux, tout comme chez les criminels, la paresse la plus complète qui n'exclut pas l'activité lorsqu'il s'agit de leur plaisir ou de leurs jeux, et la vanité qui les rend fiers de leurs bottines, de leurs chapeaux neufs, de leur moindre supériorité. C'était là qu'il fallait que M. Magnan me trouvât PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION 13 en défaut, ou qu'il trouvât en défaut, plutôt que moi, MM. Perez, Moreau, Dourdin, Broussais, el Spencer et Taine, qui ont dit tout cela bien avant moi. Et alors il n'aurait pas dit: que [impulsion \cruelle, les sévices envers les animaux ne se rencontrent que dans les enfants complètement malades, déséquilibrés. Naturellement, chez les enfants dégénérés, taré? par l'hérédité, ces penchants se manifestent pendant toute la vie et ils éclatent aux premières occasions, et bien avant la puberté; car les occasions de faire le mal ne manquent jamais, pas môme à cet âge. Mon contradicteur conviendra bien que dans ces cas l'éducation n'y peut rien; l'éducation leur donnera au plus un faux vernis (et c'est là la source de toutes nos illusions). Au contraire, chez les jeunes gens honnêtes, elle est très efficace, elle aide à leur métamorphose — à leur passage à l'état physiologique, à ce qu'on pourrait appeler leur puberté éthique — qui au contraire ne se manifesterait pas, si une mauvaise éducation les en empochait. C'est le cas des grenouilles et des tritons qui n'accomplissent plus dans les milieux très froids leurs transformations dernières, et restent des poissons. Mais peut-ôtré M. Magnan l'admet-il lui-môme, lorsqu'il dit qu'on ne doit pas appeler cela .unel prédisposition naturelle aux actes délictueux, mais bien une lare pathologique, une dégénérescence qui porte le trouble dans les fonctions cérébrales. Seulement, je le prie de me permettre ici un? juste remarque. I 14 LES PROGRÉS DE L*ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Si c'était un juriste de la vieille école métaphysique qui parlât ainsi, je comprendrais très bien ces distinctions subtiles, ces jeux de mots byzantins. Je ne les comprends pas chez un médecin aussi distingué que lui. Il ne saisit pas que c'est justement dans cette lare qui rend durables, qui perpétue ces penchants embryonnaires vers le crime, que réside la nature tératologique et morbide du criminel-né, tandis que, lorsque cette tare pathologique, héréditaire, n'existe pas, les penchants criminels embryonnaires s'atrophient comme s'atrophient dans un corps bien fait les organes embryonnaires, le thymus, par exemple. M. Magnan, après avoir nié les criminels-nés, nous en présente lui-même une série de cas; je ne crois pas qu'il le fasse pour se trouver lui-même en défaut ; certainement, si c'est pour nous montrer que ce sont des héréditaires, des fils d'alcooliques, il ne fait que répéter ce que j'ai déjà affirmé dans mon édition italienne, et ce qu'ont dit avant moi, et mieux que moi, Saury, Knocht, Jacoby, Motet, et le premier de tous, notre maître à tous, Morel. Et comme j'ai autant d'estime pour son talent que pour son caractère, je le prie de nous avouer si ces dégénérés sans tare physique n'ont pas été choisis par une vraie sélection au milieu de centaines d'autres (1) qui étaient tarés et qu'il ne nous a pas présentés. Moi, pourtant, je n'ai point opéré (1) A l'examen de ces dégénérés on a, d'accord avec l'illustre clinicien de Sainte-Anne, trouvé beaucoup de ces caractères, quoique en moins grand nombre que chez les criminels. On a H PRÉFACE DE LA PREMIERE ÉDITION 15 une pareille sélection, j'ai offert au public 400 criminels d'un album criminel germanique, sans aucun choix. Il nous affirme encore que nos caractères ne suffisent pas pour les magistrats. Certainement, lorsque des médecins aussi clairvoyants que lui arrivent à nier les faits les plus évidents et a mettre en doute ceux môme qu'ils avaient découverts, certainement on ne peut pas avoir la prétention d'entraîner la conviction de magistrats qui auront une raison de plus pour se méfier de nous. Mais alors la faute en est à nous seuls. D'ailleurs, ce n'est pas pour les applications . judiciaires que nous étudions ; les savants font de la science pour la science, et non pour des applications qui ne pourraient faire leur chemin tout de suite. Car qui ne voit pas qu'une diagnose physique aura toujours une chance plus sûre de faire son chemin, d'être plus exacte que la psychologique, qui peut être atteinte de tous les côtés par la simulation ? M. Magnan est, ainsi que beaucoup de savants, trop occupé de ses propres recherches pour admettre et connaître toutes celles des autres; sans cela il aurait dû savoir que ce ne sont pas seulement les caractères physiognomiques (qui, bien des fois, peuvent manquer), mais les biologiques et les fonctionnels que nous apprécions. trouvé l'appendice lémurien et l'asymétrie dans un voleur, les incisives latérales hvpertrophiques et la mâchoire hypertrophiée dans une nymphomane dans tous l'obtusité du tact, etc. 16 ■ t> LES PROGRES DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Ces caractères-là ne font presque jamais défaut chez le vrai criminel : par exemple, la gaucherie, les anomalies des réflexes et de la sensibilité. Peut-il affirmer que ces anomalies fonctionnelles manquent aussi chez les dégénérés ? On nous reproche de ne pas nous occuper suffisamment de l'influence des milieux physiques et moraux. Relativement aux premiers, la critique n'est pas fondée ; peut-être même pourrait-on nous accuser du contraire, car nous avons publié un gros volume, Pensées et météores (1), qui ne traite que des influences physiques. Pour ce qui regarde les milieux moraux, j'accepte le reproche ;. mais ma justification est facile : c'est justement parce que nos adversaires s'occupent trop de ces questions, et parce que les anciens écrivains leur ont donné trop d'importance et les ont éclairées par tous les côtés, que nous ne croyons pas devoir nous en charger : on n'écrit pas des ouvrages pour démontrer que la lumière nous éclaire. MM. Tarde et Colajanni nient les rapports entre organes et fonctions, ce qui a priori ôterait toute importance à l'anthropologie criminelle. « Le rapport entre l'organe et la fonction, écrit Colajanni, est fort incertain. On ne saurait conclure avec certitude de l'existence de l'organe à celle de la fonction : il y a des organes sans fonctions actuelles » (p. 160). Mais cette affirmation, lui répond très bien Sergi (Revue internationale, 1889, p. 513) est tout simplement une énormité ! (1) Milan, 1SS8 PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION 17 Que font ces organes sans fonctions dans l'organisme humain ? Seraient-ils par hasard des organes de réserve, devant se substituer à ceux que l'usage aurait détruits, comme les vêlements neufs remplacent de vieilles hardes? Et si, selon lui, la fonction engendre l'organe (p. 160), comment naîtrait l'organe privé de fonction ? Et s'il est bien vrai que les organes se renforcent, et s'hypertrophient en fonctionnant, il n'est pas moins vrai (et c'est ce qu'oublient Tarde et Colajanni) que, pour qu'ils fonctionnent, il faut qu'ils soient prêts. Les mollets des danseuses (nous disait très spirituellement M. Brouardel)(l) grossissent sans doute en dansant, mais pour cela il faut avant tout... un mollet. Mais là où Colajanni essaie de nous accabler sans espérance de relèvement, c'est quand il veut prouver que nous sommes en contradiction avec nous-même. Non seulement il est aisé de découvrir des contradictions chez le même écrivain, en prenant deux affirmations détachées d'un de ses livres, mais rien n'est plus facile, spécialement dans notre cas, que de trouver en défaut différents observateurs (1). Les groupes d'individus observés étant différents, les résultats ne peuvent être identiques ; et cela est connu de tous ceux qui s'occupent d'observations anthropologiques. Si je mesure cent crânes auvergnats, par exemple, je trouverai tel chiffre et telle quantité ; si j'en mesure cent autres, je trouverai dans plusieurs (1) Actes du Congrès d'anthropologie criminelle, 1890. LES_PROGRÈS_DE L'AHTHROPOIOGIE CRIMINELLE éléments mesurés et calculés des chiffres et des quantités différents en grande partie du moins Pourquoi n'en serait-il pas de même dans les observations sur la capacité du crâne, les poids du Cerveau, le poids du corps, la stature, les signes de dégénérescence des criminels des différents pays, des différentes nations et aussi du même pays? Mais l'habileté de l'observateur consiste à trouver dans la diversité l'homogénéité, et il n'y a que l'observateur superficiel ou l'adversaire de bonne ou de mauvaise foi qui puisse trouver là l'incohérence et la contradiction (1). Féré (Dégénérescence et criminalité, 1888)afissi nie ma conclusion « que les germes de la folie morale et du crime se rencontrent d'une façon normale dans les premières années de l'homme, comme dans l'embryon se rencontrent constamment certaines formes qui, dans un adulte, sont des monstruosités ». Et cela parce que, selon lui, l'humanité n'a pas été constituée par des individus ayant les penchants antisociaux des enfants. Il ne songeait pas, en écrivant ces mots, aux sauvages. Mais peut-être qu'ici nous ne nous comprenons pas. Lorsque Preyer démontre qu'on trouve dans le discours des enfants la logorrée, la disphra-sie, l'écolalie, la bradiphrasie, la paraphrasie, l'acatafasie des fous, des idiots, il ne veut pas dire que les fous et les idiots soient des enfants, et vice versa; mais il nous signale le point de repère atavistique de ces anomalies ; il nous montre (1) Sorgi. L'Anthropologie criminelle, et ses critiques. Revue internationale, 25 novembre 1889. PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION 10 que ces phénomènes étranges, anormaux dans les fous, sont normaux à un certain âge de l'homme et il explique ainsi par l'embryologie la tératologie. Il n'est pas juste, d'autre part, d'affirmer que la dégénérescence du criminel exclue l'existence d'un type, car chaque dégénérescence (crétin, scrofuleux) a son type spécial. M.Liszt (1), tout en adoptant comme nous allons le voir nos conclusions pratiques, écrit qu'il ne peut pas accepter nos théories ; il dit qu'il n'y croit pas, parce que bien des personnes les critiquent et les combattent. Mais c'est la destinée de tous ceux qui osent tracer de nouveaux sillons dans le monde scientifique, de choquer les sentiments du public, tandis que les éclectiques doucereux, qui, pareils aux éponges, absorbent tout et ne renient rien ou presque rien, laissent chacun satisfait de lui-même, ne trouvent personne qui les combatte, quittes à en être oubliés tout de cuite. G. LOMBROSO. Mars 1890. (1) ZcUschr. f. Slrafrecht, 1889. PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION I Je me suis souvent reproché comme une action, abominable partout, mais surtout en France, d'avoir profané celte belle langue, lorsque, dans la hâte d'une première édition, je me suis dérobé au bras secourable d'un traducteur. Je voudrais bien, dans cette deuxième édition, publiée avec moins de haie, réparer, suivant les règles de mon école, les dommages causés par mon crime ; mais, je crains que le dommage soitl peut-être irréparable, car je suis un criminel-né du langage. Au moins, je signalerai ici les nouvelles découvertes d'anthropologie criminelle, dues à M010 Tarnowscky, à M. Morselli, à Letourneau, à Régis, à Variot, à Christian, à Blomberg. Je répondrai à trois de mes plus formidables critiques, et je montrerai, grâce aux recherches approfondies de MM. Motet, Brouardel et Ballet, l'application immédiate qu'on peut faire de ces études dans les LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGE CRIMINELLE expertises judiciaires les plus difficiles, telles que celles d'Eyraud et de Gabrielle Bompard. Et la matière ne sera pas épuisée, au contraire ; car si j'avais dû signaler tous les nouveaux progrès de notre science et répondre à toutes les nouvelles critiques, j'aurais dû dépasser de beaucoup les limites de ce livre, et même un deuxième volume n'aurait pas suffi; mais j'espère bien combler sous peu celte lacune dans une autre publication qui sera le complément de celle-ci (1). Nous ne répondrons pas ici à certains critiques, qui nous raillent parce que nous étudions trop certains détails de la vie somatique des criminels, tels que les sécrétions, le nez, les cheveux, etc. — Ce n'est pas un grief qu'ils élèvent contre nous, mais peutêtre une pièce d'accusation qu'ils déposent contre eux-mêmes. Us nous rappellent les plaisanteries des médecins d'autrefois contre l'auscultation, la percussion et l'étude thermométrique des malades. S'ils ne saisissent pas l'importance de ces détails, ce n'est pas à nous qu'en revient le tort. — De même, lorsque M. Brunetière loue M. Tarde de ne pas opposer des chiffres à nos statistiques, il n'est plus de notre siècle, il n'est même pas du siècle passé; car c'est en laissant de côté l'a peu près, en précisant tout ce qu'on peut préciser, c'est par le triomphe du nombre et du mètre que notre ère scientifique a surpassé les précédentes (1) Nouvelles études de Psychiatrie et d'Anthropologie criminelles, 1891. 'PRÉFACE DE LA DEUXIEME ÉDITION 23 II Mais venons maintenant à nos nouveaux critiques : M. Adolphe Guillot, dans son livre remarquable « Les prisons de Paris et les prisonniers, » affirme qu'il ne croit pas comme moi à la fatalité physique dominant le criminel : « Si l'on étudiait l'homme bien avant qu'il fût devenu criminel, dit-il, on serait frappé des changements que le crime et ses conséquences apportent m'orne dans sa personnalité physique. » Mais il oublie que nous avons étudié ces anomalies dans les enfants et que même chez ceux-ci nous en avons saisi une quantité plus grande que chez les adultes. M. Guillot établit, à l'aide de ses nombreuses observations personnelles, que le criminel, neuf fois sur dix, raisonne son crime. Je suis presque de son opinion ; bien des fois, mais pas aussi souvent qu'il le croit, il raisonne son crime, il le médite ; mais il ne peut pas s'empêcher de le commettre, quoique le plus faible raisonnement dût suffire à l'en dissuader. Or, c'est là l'anomalie, et ses méditations sont, hélas 1 bien peu profondes. Il y a toujours une fêlure qui le fait découvrir tôt ou tard à la justice, car les cas des délinouanls criminels astucieux au point 24 LES PROGRÈS DE L'ANTimOPOLOGIE CRIMINELLE d'effacer toutes les traces de leurs crimes, sont une étrange exception. La faute en est plutôt à la justice, si peu armée contre le crime, justement à cause de son manque de connaissances psychologiques et anthropologiques. Lorsque des juges d'instruction, aussi éclairés que M. Guillpt, croient sincèrement aux remords de criminels tels que Abbadie, Gamahut et Marchandon, lorsqu'ils mettent sur le compte du repentir même les nouvelles débauches qu'ils commettent après le crime (p. 155), il n'est pas étrange que bien souvent ils restent impuissants à découvrir les criminels même les plus bêtes. jfr Pour appuyer sa thèse, M. Guillot cite un fait, qui serait vraiment décisif. M. Roukavitchikoff, un des plus grands philanthropes de l'humanité, qui a créé une ville, la ville de Roukavitchikoff, pour les jeunes détenus, a raconté au Congrès de Rome que, en comparant les photographies de ses jeunes criminels à leur entrée et à leur sortie, il notait une amélioration de la physionomie qui correspondait à l'amélioration de la conduite : leurs traits ont, chez la plupart, perdu ce qu'ils avaient de menaçant, de hagard, de farouche, pour prendre une expression qui nous paraît plus douce. Eh bien, il se trompait; non pas qu'il mentît, c'est un des philanthropes les plus angéliques, les plus sincères, mais il était suggestionné par sa grande œuvre, que pourtant je ne crois pas inutile. 11 nous avait offert à Rome un album photographique. J'ai fait nom- K PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION 25 mer une commission dont lui-môme faisait par-1 tie, pour étudier cet album. Du rapport de cette commission, il résulte que sur 61 cas : 22 ont amélioré leur physionomie ; I 14 l'ont empirée; 25 sont restés à*l'état stationnaire. Or, des 14 empires physionomiquement, 3 étaient améliorés moralement, et des 22 améliorés, certainement 3 étaient empires moralement ; et ces chiffres nous étaient donnés par M, Roukavitchinoff lui-même. Mais comme M. Guillot est en contact direct avec le* faits, il est bien plus aisé de discuter avec lui. Il suffirait de lui citer les pages qu'il a écrites lui-même et dans lesquelles on voit très bien dépeints les criminels-nés qui se révèlent dès,leur première jeunesse/ « Parmi tous ces criminels, dont' le nom a acquis une notoriété qui permet de les citer, sans manquer aux devoirs de la discrétion professionnelle, je n'en connais guère qui, malgré leur jeunesse, n'aient déjà été les hôtes des prisons ou tout au moins mérité de l'être ; d'abord la faute avait été légère et superficielle, puis elle a tait place à des actes plus graves et plus réfléchis, lesquels, à leur tour, ont donné naissance au crime. A dix-sept ans, Marchandon, le domestique assassin, débute en commettant un vol dans le château de ses maîtres ; les preuves font défaut, l'impunité ne fait que l'enhardir; les dix-sept jours de prévention qu'il a subis ne l'ont pas corrigé, et, à peine est-il sorti de prison, LOMBROSO — t Anthr. crim. S 86 LES PlWCnÈS DE L'AMIIROPOLOGIE CRIMINELLE .qu'il vole dans une autre maison ; cette fois il est condamné à trois mois dé prison et plus tard à treize moi? pour un autre vol encore plus important, c Les quatre jeunes gens, dont l'ainé avait vingt ans, qui se présentent en plein jour chez M"" Ballericn, se précipitent sur elle au moment où elle ouvre la porte, l'étranglent et la frappent de coups de couteau, avaient tous été condamnés, et lé fils de la victime, commissaire de police à Taris, leur disait avec raison en les montrant du doigt : « Vous êtes tons des misérables ! je lie sais pas ce qne je ferais si le respect de la justice ne me retenait pas, mais votre heure viendra, soyez-en .sûrs; toi, lu es un petit gredin, je te connais bien, je t'ai déjà envoyé au Dépôt, car tu as pris part à une agression nocturne; loi, tu es un goua-peur du quartier ; et toi, je t'ai vu dans quelque ■ mauvais endroit. » « liais à quoi bon des citations, alors qu'il s'agit d'une loi générale dont la démonstration se trouve dans tous les dossiers. « 0nant-à ceux dont le casier judiciaire, jusquelà intact," semblerait contredire l'idée d'une perversité progressive, on les voit comme les autres s'acheminant plus ou moins rapidement vers l'apogée du mal ; ils commencent par être des libertins, des paresseux, des égoïstes, des esprits forts ; ils perdent le respect de toutes choses, s'affranchissent de toute contrainte, repoussent toutes les croyances gênantes, et se laissent aller au gré de leurs passions. « Voici deux criminels d'une trentaine d'années, Blin et Beghen, dont l'abbé Moreau a beaucoup parlé dans son livre sur la Roquette, l'un PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION 27 est Français et l'autre Belge; il y a quelques, années, un dimanche,' pendant que les magasins du Palais-Royal sont fermés, ils s'introduisent dans la boutique d'un bijoutier, étranglent la domestique et se sauvent, les mains pleines de| bijoux qu'ils vont vendre à Bruxelles ; ils n'avaient pas jusqu'alors de tare judiciaire, mais leur vie n'avait été qu'un enchaînement de mauvaises actions ; l'un, mis en faillite dans les conditions les moins honorablesj avait dû fuir son pays, s'était fait renvoyer de toutes ses places à la suite d'actes d'indélicatesse ; l'autre était un paresseux, un menteur, un débauché, ayant trahi tous ses devoirs, ruiné ses parents, abandonné sa femme ; il était mûr pour toutes les besognes mauvaises. L'exemple des deux jeunes assassins Lebiez et Barré n'est pas moins frappant ; ils n'ont pas d'antécédents judiciaires, mais ils mènent une vie de désordre et ont abandonné tous les principes qui. auraient pu les soutenir. « C'est Barré lui-môme qui, dans l'un de ses interrogatoires, analyse très bien l'état moral de son complice. Il ne respectait rien, dit-il, il se moquait de mes scrupules ; j'en avais alors ; lé,| bien comme le mal lui étaient indifférents, il maudissait sa famille, il parlait de sa mère dans les termes les plus injurieux, il ne croyait ni à Dieu, ni à rien. Lorsqu'un prêtre passait, il avait envie de l'insulter ; il avait dit, bien avant le crime, qu'il allait fonder un journal pour crosser la religion ; ses principes politiques me répugnaient; le pillage, le massacre, les idées de la Commune, voilà ce qu'il approuvait. a Et à cette question qui lui était posée : Le crime que vous avez commis n'a pas été un éve- '28 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE nement subit et provoqué par des circonstances accidentelles, il a été le dénouement logique d'une suite de mauvaises actions et de la perversion lente de votre conscience. Il répond : C'est vrai, j'ai été entraîné progressivement. Quant à Lebiez, une personne, qui 1 avait beaucoup connu, le dépeignait ainsi : Il m'a paru que son éducation morale avait été fort négligée au lycée ; dépourvu des principes qui guident et qui soutiennent dans les difficultés de la vie, il supportait son dénûment avec une sorte de fatalisme et un sourire amer; il faisait sa lecture habituelle des journaux les plus avancés, et semblait ne considérer la vie que comme un temps de jouissance que les audacieux et les habiles, dont il se plaisait à citer l'exemple, aiment toujours à se procurer un peu plus tôt ou un peu plus tard. « Le jour où le jeune garçon marchand de vin, Foulloy, surprend son patron dans sa cave et lui brise le crâne à coups de bouteille, pour le voler, il n'a paru devant aucun tribunal ; mais l'instruction établit qu'avant de venir à Paris, il a commis dans les fermes où il travaillait plusieurs petits vols pour lesquels on ne l'a pas poursuivi. Les gens de son pays qu'on entend, disent : Il est fin, il a des vices ; il était extrêmement malin pour se défendre, il était intelligent, il savait bien arranger son affaire ; lorsqu'il avait fait quelque chose, il s'en tirait très adroitement. Plusieurs fois, dit l'un d'eux, je lui ai prédit qu'il finirait au bagne... Les jeunes gens de son âge le fuyaient, il aimait à lire de mauvais livres ; il se faisait envoyer de Paris les « Brigands célèbres » et manifestait toujours le désir de posséder de l'argent. » PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION 29 « Citerai-je maintenant un homme de cinquante ans, père ae dix-sept enfants, séducteur de sa propre fille et que la cour d'assises condamna, il y a quelques années, pour infanticide et avortei ncnt; aucune condamnation ne figurait à son casier judiciaire ; mais sa vie n'avait été qu'une longue suite de mauvaises actions ; il avait commencé par être un joueur, un homme de plaisir ; puis ses affaires ayant nécessairement mal tourné, il avait cherché des distractions dans les vices les plus honteux. C'était un homme d'une remarquable intelligence et d'une indomptable énergie ; la débauche l'avait perdu et en avait fait un farouche sectaire. A des témoins qui lui rappelaient que pendant la Commune il se faisait remarquer par sa violence, voulant faire sauter Paris, criant dans les rues : « Tant qu'on aura des curés, on sera toujours perdu, »- il répondait en relevant la tète : « J'ai été le premier à ouvrir le feu, et je me suis battu le dernier. » III M. Proal tombe dans les mêmes erreurs lorsqu'il soutient que les criminels ne sont jamais des faibles d'esprit, des dégénérés, parce que dans un recueil de causes célèbres, « à côté de paysans et d'ouvriers, on voit figurer des hommes exerçant des fonctions libérales avec talent, occupant les situations les plus élevées, des ministres (Teste, Despan-Cubière, Clément Duvernois, etc.), des députés, des sénateurs, des pairs de France ; sur 0 30 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE cette liste de criminels, on voit même des médecins et des magistrats. Les débats et l'instruction n'ont révélé aucun signe de dégénérescence physique et de faiblesse d'esprit chez les docteurs Palmer et Lapommeraic, non plus que sur les docteurs C. et X..., qui ont été dernièrement condamnés par les cours d'assises de Seine-et-Oise et de Vaucluse, l'un pour avoir, par une substitution de cadavre, aidé un escroc à s'enrichir aux détriments d'une compagnie d'assurances, l'autre pour avoir, par rivalité professionnelle, tenté d'empoisonner son confrère. Le présidenfd'Entrecastraux, qui coupa le cou à sa femme pour épouser sa maltresse, le duc de Choiseul-Praslifl,quicommit un crime analogue, etc., n'ont jamais été signalés comme des dégénérés. J'ai fait partie, dit encore M. Proal, il y a quelques années, d'une chambre correctionnelle quia condamné à plusieurs années nées d'emprisonnement un ancien sous-secrétaire d'État au ministère de la justice et un avocat fort distingué d'une grande ville, qui ont été entraînés à des actes criminels par l'inconduile, l'amour du luxe, des plaisirs. » « Vice versa, ajoute-t-il, le niais est préservé du vice par son esprit borné. » (Nouvelle Revue, 1890.) 11 oublie que la dégénérescence n'exclut point le talent ni môme le génie, bien au contraire (1). Il oublie que nous-môme nous admettons à côté des criminels-nés les criminels d'occasion et de passion qui ne sont point des dégénérés. Il) Lombroso. L'Homme de Génie, p. 91,305 et -50i. PRÉFACE DE LA DEUXIEME ÉDITION 31 Et si M. Proal avait eu connaissance de notre criminel passionnel, il se serait mieux rendu compte de ces cas très rares, tels que celui de M. d'Entrecastraux qui, après avoir tué sa femme pour] en épouser une autre, non seulement se dénonça, mais réclama lui-même sa condamnation, quoiqu'il pût jouir du droit d'asile, tant était puissant en lui le remords. C'est le contraire que font les vrais criminels qui ne demandent qu'à se soustraire à la peine. Ef ce n'est pas un ancien magistrat qui devrait croire aux propos et aux déclarations contraires des criminels déjà en prison, lesquels font les repentants, pour se jouer des honnêtes gens, et obtenir leur grâce. Souvenons-nous de Lacenaire qu>, au dernier jour de sa vie, écrivait en vrai Socrate : Buvons à la sagesse, A la vertu qui soutient. F Tu peux sans craintes d'ivresse Voir tous les gens de bien. Joly et Proal critiquent la théorie de l'hérédité du crime, parce que très fréquemment les accusés ont des parents honnêtes. Même chez de grands criminels, ils ont fait cette constatation. « Ainsi (écrit Proal) le père et la mère de Roure, condamné pour assassinat aux travaux forcés à perpétuité, étaient très honnêtes. Baud, qui a été condamné à mort, appartenait à une famille très honorable. Constantin, qui, avec un complice, avait assassiné à Marseille un garçon de recettes du Crédit Foncier, avait des parents très estimés, etc., etc. Dans 32 LES PROCHES DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE l'histoire, on voit aussi de nombreux exemples de fils criminels issus de parents très vertueux, Commode n'était-il pas le fils de Marc-Aurèle? Par contre, ne voit-on pas sortir de parents coupables des enfants honnêtes? Plutarque en avait déjà fait la remarque : « Périclès était né d'une famille sacrilège et maudite. Le grand Pompée eut pour père ce Strabon qui fut si odieux au peuple romain qu'on arracha son corps de dessus le brancard des funérailles et qu'on le foula aux pieds. Les descendants d'un Sisyphe, d'un Autolycus, d'un Plégyas se distinguèrent entre les plus grands rois par leurs vertus et par leur gloire. » Tout cela est vrai; mais il est vrai aussi que le plus grand nombre des criminels est issu de criminels ou d'alcooliques ou de phtisiques, etc., ce qui revient toujours à la dégénérescence sous un autre nom. C'est toujours l'exception que M. Proal prend pour la règle : on connaît les tribus des Lemaire, des Tanre, des Chrétien, des Jucke, des Motgare, et si le nombre en est si petit, c'est que le bourreau, quelquefois, et l'excès de la dégénération souvent, se chargent de provoquer leur stérilité. Toujours M. Proal, tout en admettant la profonde immoralité des anciens y cherche, et y trouve des circonstances atténuantes ; il ne serait pas bon avocat s'il n'y réussissait pas. Ainsi, il admet avec moi « le culte de Mylittha chez les Babyloniens, de l'inceste chez les Égyptiens, la communauté des femmes chez les Lacédémoniens, les PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION 33 cérémonies nuptiales rappelant le rapt des femmes chez un grand nombre d'anciens peuples. Mais il fait observer : 1° que ces coutumes immorales sont souvent accompagnées d'autres coutumes sages et morales, par suite de ce mélange de bien et de mal qui se rencontre chez les peuples anciens comme chez les sauvages ; 2° que les coutumes immorales n'existaient pas le plus sauvent à l'origine, mais ont été introduites par des prêtres ou des rois débauchés, dans leur intérêt personnel; 3° qu'elles ont été souvent inspirées par des motifs politiques; 4° que souvent aussi elles ne sont immorales qu'en apparence. « Ainsi, chez les Babyloniens, la femme était obligée, une fois en sa vie, de se rendre au temple de Vénus pour se livrer à un étranger. Mais quand elle s'était acquittée de ce qu'elle devait à la déesse, il n'était plus possible de la séduire, quelque somme qu'on lui offrit (Hérodote, 1. Ior, § 499). « Cette coutume immorale des femmes deBabylone avait été introduite par les prêtres qui avaient tous les vices. L'Ecriture sainte nous apprend qu'ils dépouillaient leurs idoles des vêtements qui étaient donnés, pour en habiller leurs femmes et leurs enfants, qu'eux et leurs femmes vendaient les victimes offertes en sacrifice, sans en rien donner aux pauvres et aux mendiants \(Baruch, vi). Jusqu'à Cambyse, le mariage entre frère et sœur avail été interdit chez les anciens Perses. Mais Cambyse, ayant conçu une passion criminelle pour sa sœur, demanda aux juges s'il pouvait l'épouser. Ceux-ci répondirent qu'ils ne 3i LES PROGRÉS DE L*ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE trouvaient pas de loi qui autorisât un frère à épouser sa sœur, mais qu'il y en avait une qui permettait au roi des Perses de faire tout ce qu'il voulait. (Hérodote, III, § 31.) Si l'inceste a été pratiqué aussi chez les Assyriens, c'est parce que Sémiramis, qui s'en était rendue coupable, l'avait autorisé pour voiler sa honte sous une coutume générale. « En Egypte, l'inceste avait été autorisé dans un intérêt politique; on avait permis au frère d'épouser sa sœur pour éviter les divisions dans la famille royale. Quelquefois aussi les anciens législateurs voulant imposer aux citoyens un idéal chimérique ou les façonner uniquement pour la guerre, ont édicté des lois immorales, dans un intérêt social mal entendu. C'est ainsi que chez les Agathyrses, les femmes étaient communes, « afin qu'étant tous unis par les liens du sang, et que ne faisant tous, pour ainsi dire, qu'une seule et même famille, ils ne soient sujets ni à la haine ni la jalousie ». (Hérodote, 1. IV, § 104.) « C'était aussi dans le but de supprimer l'égoïsme et les jalousies que Platon, qui n'était guère divin ce jour-là, proposait la communauté des femmes. Si à Sparte l'homme ayant de l'éloignement pour le mariage pouvait emprunter à un mari sa femme bien portante pour avoir de robustes enfants, c'est parce que, d'après Lycurguc, « le plus bel emploi des femmes libres est de donner des enfants à l'Etat » (1). On sait aussi (l)Xénoplion. République de Sparle, c\i. i. PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION 35 qu'à Sparte les jeunes filles couraient, luttaient toutes nues. Cet usage n'avait pour but que d<; les fortifier et de rendre robustes les enfants qui naîtraient d'elles; les hommes non mariés étaient exclus des lieux où les jeunes filles s'exerçaient. M. Proal ne comprend pas qu'à tous les vices on puisse ainsi trouver une excuse ! la prodigalité est de la générosité, l'avarice de l'économie, la lascivité de l'amour. Mais si ces coutumes eussent répugné aux peuples, dans ces temps, il n'y aurait pas eu d'autorité de prêtre ni de roi suffisante pour les maintenir ou les imposer ! Mais à ce propos, M. Proal dans la Nouvelle Revue et M. Joly dans son Crime, oubliant leurs premières réserves, se laissent aller à démontrer que chez les peuples anciens, la moralité était aussi grande qu'à présent, ce qui détruirait la théorie de l'atavisme du crime. « Où sont, dit-il, les sociétés dont parle aussi M. le docteur Daily, qui ont vécu pendant des siècles fondées sur ce que nous réprouvons, le vol, l'inceste, l'adultère, et méprisant ce que nous louons, la chasteté, la propriété, la famille, la charité (1)? » Partout l'adultère a été puni; le vol a été un crime, frappé de peines sévères môme chez les anciens Aryas (Piclet, les Origines indo-européennes, t. III, p. 152), chez les anciens Hindous (Manou, vin, 302), chez les Hébreux (Exode, XII, 2), chez les anciens Chinois (Chou-Kinh, partie III, ch. vu, section 2, § 15), chez les Perses (id., {i) Annales médico-psychologiques, 1880, p. 101. 36 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Lajard, 485), chez les Grecs, les Romains et les Barbares. Quelques crimes, le parricide notamment, paraissent même ayoir été moins fréquemment commis que de nos jours. « Les Perses, dit Hérodote, assurent que jamais personne n'a tué ni son père ni sa mère, » (L. I, § 137.) Romulus n'établit aucune peine contre le parricide, parce que ce crime lui paraît impossible, Plutarque dit que pendant six cents ans aucunpaDricide n'a été commis à Rome (Vie de Bomuhi^. « Assurément, à côté de lois très sages, on trouve chez les anciens peuples des lois, iniques ; à côté de maximes morales très pures, des mœurs très immorales. Mais la violation de la loi morale ne suppose pas l'absence du sens moral. En outre, les coutumes les plus extravagantes, surtout en matière religieuse, n'excluent pas le sentiment de la justice. » M. Proal ne comprend pas qu'il prend ici l'ex ception pour la règle. J Et les exceptions, il doit les chercher dans des âges relativement modernes; car le parricide ou au moins le meurtre des vieux était un vrai rit religieux chez les anciens, et même le grand-père du Pape, le saint pontife de Rome, en était l'exécuteur. Et puis il-faudrait démontrer la moralité dans les peuples primitifs, car l'ancienneté de 4 à 5,000 ans ne correspond pas à l'homme primitif qui date de 100,000 ans. Tels sont les Dahoméens, les Hottentots, les Australiens d'aujourd'hui. Mais est-il bien sûr « que les types les plus PRÉFACE DE LA DEUXIEME ÉDITION 37 dégradés de l'humanité actuelle nous offrent l'image fidèle de- l'homme primitif? Les sauvages modernes S*peuvent-ils pas être les descendants' d'hommes civilisés, retombés dans la barbarie? » Vraiment il n'y a pas de réponse à faire à pareille boutade I Enfin M. Proal croit que-nous avons invoqué [contre le libre arbitre les résultats des statistiques criminelles, en prétendant que le nombre des meurtres, des assassinats, des incendies, des empoisonnements, des vols, etc., est le même chaque année. Il nous prouve, justement, que ce n'est pas vrai. Mais nous n'avons jamais prétendu cela. —Nous croyons que le nombre quoté des crimes est'toujours le même lorsque les circonstances externes sont identiques, qu'il change lorsque changent les circonstances ; les vols croissent dans Içs temps de disette, les viols, dans les bonnes années. — Mais qu'est-ce que cela prouve en faveur du libre arbitre? Si la volonté humaine varie selon les occasions, n'en est-elle pas évidemment l'esclave (1)? C. Lo.Mnrioso. Juin 1891. (1) Le nombre, écrit-il, des accusés d'infanlicide a doublé de 1830 à 1860. De 1826 à 1830 il était de 113 ; pendant trente ans, il s'est élevé ; de 1856 a 1840 on le trouve à 252. Puis il redescend de 1876 à 1880 à 219, et en 1887 à 176. . Le nombre des accusés d'avortement, qui n'était que de 12 de 1826 a 1830, s'est élevé rapidement à 48 de 1846 à 1850. H s'est encore accru du double pendant les cinq .innées suivantes; il est alors de 88. A partir de 1861 il se produit la même diminution que j'ai déjà signalée. En 1885, le nombre de ces accusés n'est plus que de 47 ; il remonte à 63 en 1886 et redescend à 54 en 1887. LOHBROSO — Anthr. crim. 3 L.ttLl^âtii r"'*a [38 LES PIlOfiRÊS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Les variations sont surtout très considérables dans le nombre des viols et attentats a la pudeur commis sur des enfants. De 1826 A 1830, ou comptait 130 accusés. Ce nombre, augmentant sensiblement presque chaque année, a été de 809 do 1876 à 1880. Depuis quelques années unu notable diminution s'est produite. En effet, alors que le nombre de ces accusés était de 800 de 1876 à 1880, il n'est plus quo de 732 on 1884, de 628 en 1885; il remonte un peu en 1886 à 645, et dans la dernière statistique, celle de 1887, il redescend d'une manière très sensible à 604. Le nombre des prévenus d'adultère est devenu 20 (ois plus grand depuis 1830. A cette époque, il était de 02 ; il s'est élevé a 824 de 1876 a 1880. La loi sur le divorce en a doublé le nombre. En effet, il a été de 1274 en 1884, de 1601 en 1885. de 1687 en 1886 et de 172 en 1887. Il ressort aussi des statistiques que depuis cinquante ans le nombre des crimes inspirés par la cupidité a beaucoup augmenté. Il était de 87 en 1838 sur 100,000 habitants; il a lié du 149 en 1887. Chose digne de remarque, c'est de 1838 à 1818 qu'il y a eu le moins de crimes ayant pour mobile la cupidité. Que n'at-on pas écrjt cependant sur l'esprit do cupidité de la génération de 1830 4 18481 La statistique criminelle vient sur ce point rectifier }a légende. 'L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE ET SES PROGRES RÉCENTS C H A P I T R E PREMIER ANOMALIES MORPHOLOGIQUES (1) S'il est vrai qu'une grande fécondité est la preuve d'une bonne santé, je crois que l'école d'anthropologie criminelle n'a besoin d'aucun autre témoignage pour démontrer qu'elle est bien vivante et qu'elle se porte très bien ; quoique quel- J que* gens prétendent qu'elle soit mort-née ; et quoique, en mauvais chrétiens, ils n'aient garde j de lui refuser mémo le baptême qu'on donne pourtant toujours aux pauvres innocents mort-nés. — C/w mai mon fur vivi (Doute). 11 y a quatre ani seulement qu'au milieu de I l'étonneiuent des ennemis du progrès moderne,.] on «t vu se rassembler à Rome 128 savants (2) qui étaient venus de tous les côtés de l'Europe, nous apportant les dernières découvertes de cette (t) H >n lue au 2* Congrus d'anthropologie criminelle, (8 Àttm 4» premitr tmgfée tmmrwopohgu criminelle, 1887, 40 LES PROGRÉS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE science nouvelle et déjà mûre, découvertes qu'une merveilleuse exposition confirmait expérimentalement. — Mais depuis ce moment, le mouvement (ce n'est pas une exagération de l'affirmer) a redoublé de vitesse et d'intensité. Les nouvelles observations foisonnent de tous* côtés. I CERVEAU. — Nous citerons seulement les anomalies des circonvolutions cérébrales qui, pour bien des raisons, paraissaient se soustraire aux recherches scientifiques, parce qu'on n'avait pas encore pu saisir complètement leur type normal. Lemoine nous a* signalé chez un cleptomane, exmembre de la Commune une anomalie unique jusqu'ici dans la science, la fusion congénitale des deux lobes frontaux {Archives d'anthropologie criminelle, 1886). Hotzen (Befunde am Gehim einer Muttermorderin, 1886) décrit chez Marie Kauster qui, à quinze ans, avait tué sa mère pour en hériter, et qui n'avait pourtant montré aucune anomalie psychologique, une pachiméningite hémorrhagique, une atrophie de circonvolutions frontales et du lobe occipital qui ne couvrait pas le cervelet, et un grand nombre de segmentations atypiques dans les circonvolutions, surtout de l'hémisphère gauche. Lamfol ( Westphal. Archiv fur Psychiatrie, 1889) a trouvé une complète parencéphalie avec destruc- ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 41 tion des racines de la circonvolution frontale ascendante chez un jeune escroc. Richter a présenté à la Société de psychologie de Berlin, un cerveau de criminel, avec bifurcation de la scissure de Rolande (Archives de Neurologie, 1885.) Fallût (Bulletin de la Sociétéd'Anthropologie, 1889), Benedikt, Brown, Tenchini, Willigk etMingazzini ont observé 55 fois sur 112 criminels, un vrai opercule occipital, c'est-à-dire une plus grande profondeur du deuxième pli de passage, ce qui est très rare dans les cerveaux normaux, très fréquent dans les microcéphales (4 sur 12). La séparation de la scissure calearienne de l'occipitale a été observée par eux sept fois sur 112 criminels; sur 100hommes honnêtes une fois, et sur 12 nègres, une fois. Un autre fait qui est maintenant bien assuré, c'est le plus grand développement du cervelet qui contraste avec le volume du cerveau ; même les femmes criminelles qui ont toujours le minimum des anomalies étaient en cela très voisines des mâles. Le poids du cervelet et de ses annexes était de 153 grammes, tandis que chez les femmes honnêtes il est de 147 (Archivio Psichialria, IX, 612), chez les mâles il va jusqu'à 169. Tous les observateurs confirment la fréquence des communications anormales des circonvolutions et cela dans des cerveaux bien souvent plus volumineux que chez les autres; ces anomalies confirment la prophétie de Brocaqui fut le père de l'anthropologie, et, par là, l'ancêtre de l'anthropologie criminelle. 42 LES PROGRÉS DE t ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE « Une ou plusieurs de ces communications, écrivait-il, n'empêchent pas un cerveau d'être ù la fois très intelligent et très bien équilibré; mais lorsqu'elles sont nombreuses, lorsqu'elles affectent des parties importantes, elles sont l'indice d'un développement défectueux. C'est ce qu'on voit souvent sur les cerveaux peu volumineux des pauvres d'esprit ou des imbéciles, et c'est ce qu'on voit aussi très fréquemment sur les cerveaux des assassins, avec celte différence que, dans le premier cas, le moindre, développement des plis de passage ou d'anastomoses est en rapport avec le développement des circonvolutions en général et avec la petitesse cérébrale; tandis que, dans le second cas, il coïncide, au contraire, avec l'ampleur de la plupart des circonvolutions et témoigne de l'irrégularité du développement du cerveau. » II CRANES. — Il est naturel que ce soit sur le crâne dont le type normal est bien connu, que les anomalies aient été reconnues en plus grand nombre, non seulement dans ces dernières années, mais même depuis plusieurs siècles. Commençons par l'anomalie qui est peut-être la plus caractéristique et certainement la plus atavistique chez les criminels, par la fossette occipitale moyenne. Sa fréquence a été confirmée par tous les observateurs, Tenchini, Benedikt, Mingazzini, excepté par M. Féré, qui, nous le ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 43 croyons, n'a pas très approfondi cette étude. Il est curieux de noter, par exemple, que M. Marimo qui avait entrepris ses recherches pour combattre l'importance de cette anomalie et sa signification atavislique, a dû la confirmer atii contraire, l'ayant trouvée dans la proportion (1) : H De « « | « « « 4,19 chez les Européens normaux (1320). 16 chez les Européens criminels (130J. 30 chez les Zclandais (22). 22 chez les Australiens (222), 26 chez les Américains (46). 19 chez les Egyptiens et les Etrusques (126). Morselli (Archives de Psichiatria, 1890) vient de trouver celte fossette chez 14 p. 100 de 200 fous. Etudiant 70 crânes d'anthropomorphes, il l'a trouvée constante chez les semnopithèques, et chez les cinomorphes ; avec quelque absence chez les ilobates ;— elle manquait, presque toujours, chez les anthropomorphes supérieurs : — chimpanzé, 0 fois sur 3 ; gorille, 1 fois sur 3 ; orang-outang, 1 fois sur 30, ce qui confirme l'importance atavistique de cette fossette. La fréquence de la synostose précoce a été également confirmée par les recherches de MM. Mingazzini et Romiti; et celle de la crête frontale hyperlrophiquc (étudié par M. Tenchini pendant les séances du premier congrès) a été confirmée par MM. Mingazzini, Yaraglia, Marimo, qui l'ont trouvée dans 47 p. 100 des criminels, et (I) Archivio di Psichiatria, 1889. IL~-i 44 LES PROGRÉS DE LANTHROPOLOGIE CRIMINELLE dans 14 p. 400 des honnêtes. (Archivio di Psichiatria, vol. VIII, p. 68.) M. Marimo a trouvé les wormiens du ptérion dans la proportion de 23 p. 100 de ses criminels (Arch. d'Anthrop., 1889) ; j'avais trouvé cette môme proportion (Homme criminel, p. 171). Chez les Papous il les a trouvées dans la proportion de 36 p. 100. chez les Australiens 28 p. 100; dans l'Italie du Midi 16 p. 100, du Nord 85 p. 100. M. Penta, à son tour, a observé un phénomène atavistique des plus singuliers : la présence de deux os anormaux aux côtés de l'occipital qui vont rejoindre le ptérion, comme dans les poissons pleuronecliles. (Rivista di discipline carcerarie, 1889, p. 23.) Blomberg ( Uber 400 Kephalogramme, Weimar ; 1890) étudia par les méthodes craniométriques de Rieger, 40 criminels, 20 femmes criminelles, 12 fous, 8 folles, et 21 soldats. Il trouva : La pliigiocéphalie chez La mâchoire vol. — Le front fuyant — L'asymétrie faciale — Le nez tordu Les oreilles anorni. — Le lobule sexile — Crim nels Criminelles Foui Folles 80 f .10 89 p. 100 0 15 — 10 — 7 — 5 — 47 ~ 43 — 14 — 0 — 20 — 0 — 12 — 30 — 50 p. 100 0 — 10 — 15 0 — 0 — 25 — 80 p. 100 0 — 0 — 80 — 12 12 — 85 — Soldats 85 p. 100 0 — 9 — 33 — 4 — 4 — 0 — Il résulterait de ces chiffres que chez les criminels le nez tordu, les anomalies de l'oreille, du lobule surtout et de la mâchoire sont plus fréquentes que chez les soldats. Cependant les anomalies du crâne en général 45 ANOMALIES MORPHOLOGIQUES étaient presque plus nombreuses que les crânes normaux mêmes : on en a trouvé contre 100 crânes normaux, 115 chez les criminels mâles, 120 chez les criminelles femmes, 75 chez les folles, 83 chez les fous. 11 a trouvé l'hérédité morbide chez 85 p. 100 des criminels, chez 90 p. 100 des criminelles, chez 84 p. 100 des fous, et chez 57 p. 100 des hommes normaux. Chez les héréditaires, l'anomalie la plus fréquente était l'aplatissement unilatéral du front ou de l'occiput, la soudure précoce des sutures. M. Mingazzini, en étudiant 30 crânes criminels, y trouve, dans 16 p. 100, le métopisme, dans G p. 100 la fusion des os du nez, une fois l'os basiotique, dans 33 p. 100 la proéminence des arcades sourcilières, dans 10 p. 100 la submicrocéphalie, dans 20 p. 100 la tératologie complète du crâne, c'est-à-dire asymétrie, sténocrotaphie, mâchoire énorme, énorme index perplatyrhinique et brachistaphylique dans le môme crâne. (Archivio di Psichiatria, IX, p. 612.)— M. Severi nous a montré, ainsi que Varaglia l'avait entrevu, une plus grande capacité des fosses crâniennes occipitales, ce qui confirme et explique le volume plus grand qu'on avait reconnu dans le cervelet des criminels. Appliquant la photographie composite (galtonienne) à l'étude du type criminel, j'ai trouvé dans six crânes d'assassins et dans six de voleurs de grands chemins, deux types qui se ressemblent merveilleusej»Gst et qui présentent, avec une 3. *6 Ï.ES PROGRÈS DE LAÎUUROPOLOCIE CRIMINELLE exagération évidente, les caractères du criminelné et même, on pourrait bien le dire, de l'homme sauvage : sinus frontaux très apparenls, zygomes et mâchoires très volumineux, orbites très grands et très éloignés, asymétrie du visage, type ptéléiforme de l'ouverture nasale, appendice lëmuricn des mâchoires (ûg. d). Six aulr^s^râmîs^oVeSj: Fig. 1. — Photographie composite de crânes de criminels. crocs et de voleurs m'ont donné un type moins précis, mais l'asymétrie, la largeur des orbites, la saillancc des zygomes y sont toutefois très nettes quoique moins marquées. Ces anomalies sont moins évidentes dans une photographie obtenue avec ces dix-huit crânes. Celle observation me semble avoir une importance tout aussi grande, dans un ordre d'idées bien plus général, car elle vient étayer puissamment la signification et l'importance des statistiques moyennes, lorsqu'elles semblaient devoir ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 47 s'écrouler sous les derniers coups qu'on leur a portés. Nous avons aujourd'hui des indications très nettes à l'appui de nos théories, en ne travaillant que sur des groupes véritablement homogènes. III SQUELETTE. — M. Tenchini étudiant 63 squelettes de criminels, y a trouvé, dans 6 p. 100 des» cas, la perforation de l'olécrâne qu'on ohserve dans 36 p. 100 des Européens et dans 34 p. 100 des Polynésiens; il vient d'observer, de même, chez eux, 10 fois sur 100, des côtes et des vertèbres en plus, et 10 fois sur 100 en moins ; ce qui rappelle la grande variabilité de ces os dans les vertébrés inférieurs. Dans ces derniers temps, il a même trouvé, chez un criminel, quatre vertèbres sacrales de moins, remplacées par quatre vertèbres.cervicales| supplémentaires. IV ANOMALIES DANS LES VIVANTS. — Marro (Caratteri dei delinquenti 1889), 'qu'on peut bien appeler le Jussieu de l'anthropologie criminelle, a étudié toutes les sous-espèces de Y Homo criminalis, et il a trouvé que les anomalies qu'il appelle atypiques (comme nez tordu, goitre, etc.) sont, chez les auteurs de blessures, moins nombreuses LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE que chez les normaux, pendant qu'on vérifie le contraire sur les voleurs et les filous. Seuls les escrocs s'approchent de la moyenne physiologique, tout en restant au-dessous. Les anomalies pathologiques (parésies, etc.), qui dépendent presque toujours des habitudes alcooliques ou de la vie de prison, se remarquent avec une grande fréquence chez les meurtriers, tandis qu'elles présentent quelque diminution chez les auteurs de blessures. Il trouva une plus grande capacité et une plus grande circonférence de la tête chez les filous, et chez les simples voleurs, chez lesquels il observaencore que la courbe transversale de la tête est ' plus grande, — il observa le plus petit diamètre vertical du crâne (dans la proportion de 4,3) chez les homicides récidivistes, tandis qu'il était de 1,6 chez les homicides non récidivistes. Ferr avait trouvé la longueur du visage plus grande dans les homicides que dans les auteurs de blessures et dans les filous. Marro remarqua que chez les escrocs la brachicéphalie était moins exagérée et la microcéphalie frontale moins fréquente. Il trouva chez les criminels les proportions de 86 p. 100 de fronts étroits et de 41 p. 100 de fronts bas. Les mômes proportions chez les normaux étaient respectivement de 51, 9 p. 100 et de 13 p. 100. Chez les assassins, Marro, a trouvé bien souvent le diamètre mandibulaire exagéré, les zigomes distants, les cheveux noirs et touffus ; défaut de barbe, et pâleur du visage. ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 40 La brachicéphalie se montra, chez les auteurs dé blessures, plus fréquente que dans toute autre espèce de criminels; la longueur des bras et même des mains est aussi un caractère de ces gens. Au contraire, chez les coupables de viols, on rencontre le front étroit, les mains et les bras courts, caractères fréquents qui les rapprochent assez des femmes criminelles, comme nous allons le voir. Chez les vagabonds, on remarque l'absence des caractères physiques (tels que les sinus frontaux, la mâchoire volumineuse) qu'on peut croire des signes énergie, et la présence, au contraire, des autres anomalies qui annoncent la faiblesse physique et morale {hernies, par exemple). Les anomalies somaliques et psychiques atteignent, chez les assassins, 45 p. 100; chez les auteurs de viols, elles vont jusqu'à 33 p. 100; chez les voleurs avec effraction à 24 p. 100; elles abandonnent aussi parmi les criminels d'occasion. Quant aux névropalhies, nous voyons qu'elles sont assez fréquentes chez les assassins (45 p. 100), et encore plus chez les incendiaires 85 p. 100) ; elles sont plus rares chez les auteurs de vol simple (36 p. 100) et chez les oisifs (38 p. 100). et plus rares encore chez les violateurs (33 p. 100), chez les voleurs de grand chemin (23 p. 100), chez les voleurs avec effraction (24 p. 100), les auteurs de blessures et les escrocs. Pour les différences de la main, Marro a trouvé qu'en général, les mains trapues et courtes abondent chez les meurtriers, tandis que chez les autres espèces de criminels prédominent les mains 50 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE allongées, dans lesquelles la longueur des doigts est égale à celle de la paume de la main et quelquefois plus grande. Les différences de la sensibilité sont remarquables dans les diverses classes de criminels et même chez les individus d'une même classe. — Marro a trouvé que la diminution de la sensibilité générale se montre avec plus de fréquence chez les auteurs de viols, puis chez les assassins, les voleurs de grand chemin et les escrocs. Pour ce qui est de l'intelligence, on peut dire que, généralement, elle est moindre chez les criminels contre les personnes, et plus puissante chez les criminels contre la propriété et chez les escrocs. La passion du jeu est grande chez les auteurs de viol et de blessures; un peu moins chez les oisifs, chez les voleurs de grand chemin et les assassins. En voici les proportions : • Assassins............................................ . Auteurs de blessures. ... .«,'»-• Auteurs de viols. . . . .' . . . î. y Voleurs de grand chemin. . . .-■." Incendiaires.................... » / . . -»..,'.•. Escrocs. . . . . . . . . . Voleurs. . . . . . . - . . Oisils..........................:■■/........................ 37 p. 100 66 — 66 — 51 — 14 — 45 — 63 — 59 — On pouvait bien s'attendre à ce que les habitudes d'alcoolisme fussent très répandues chez les criminels, et, en effet, Marro les a trouvées chez 74, 7 p. 100 des criminels. 51 ANOMALIES MORPHOLOGIQUES De ses études, il résulte encore que les habitudes religieuses sont développées chez les criminels, presque à l'égal des normaux, plus encore môme parmi les assassins et les auteurs de viol (peut-être parce que ceux-ci abondent chez les villageois) ; au contraire, elles sont bien faibles, chez les criminels d'occasion, les voleurs exceptés. La récidivité et la précocité abondent parmi les criminels d'occasion, qui présentent peu de caractères dégénératifs. Pour ce qui est de l'hérédité, on voit qu'elle dépend en première ligne, de l'âge avancé des parents, de l'alcoolisme, de l'irritabilité du père, en deuxième ligne de l'aliénation et de la criminalité des parents (1). En résumant ces caractères, on peut dire : Chez les assassins et les meurtriers, il y a pré(1) Alcoolisme .................... Vieillesse....................... Folie.............................. Chez Chez Chez Chez le la les aïeux les aïeux père. mère, paternels, maternels. 41 p. 100 5,1 p. 100 » . 32 — 17 — ? ? 9,2— 3,3 — 2,7 1,1 Maladie ccrébro-spin. 21,1 — 18,0 — Kpilcpsie ................... 1,7— 0,9 — Criminalité................ 3,3 — 0,3 — Immoralité ou carac tère violent .... 22,6— 11,0 — Phtisie pulmonaire. . 5,1 — 10,1 — Et comme cause do mort l'on a reconnu : Chez le père. L'alcoolisme...................... dans 7,2 p. 100 Le suicide......................... — 1,4 — La folie. .V» . . « . — 6,5 — Les maladies cérébro-spi nales. ». . ......................... • — 21,1 — La tuberculose.................. — 5,1 — » 0,1 » î » > 0,1 » ? » Chez la mère. 2,1 p. 100 « — 5,3 — 18,2 — 10,7 — 52 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE valence de la courbe et du diamètre transversal de la tête, la demi-circonférence postérieure de la léte est plus forte que l'antérieure : la mâchoire inférieure est volumineuse etleszygomes éloignés: ils ont le plus souvent les cheveux noirs et touffus et la barbe rare ; le goitre et les mains trapues s'y rencontrent aussi avec fréquence. Chez les auteurs de blessures, la brachicéphalie est le caractère le plus constant; vient ensuite la longueur des mains et des bras. Chez les auteurs de viol, on a observé une taille petite, avec poids relativement élevé, les mains et les bras courts, le front étroit, la demicirconférence antérieure de la tôle très courte. Les anomalies des organes génitaux et du nez sont fréquentes, et presque toujours l'intelligence est très peu développée. Les cheveux touffus et la barbe rare, la dérivation de parents alcoolisés et névropathes, caractérisent les voleurs de grand chemin. Beaucoup d'entre ceux-ci sont tatoués et ont les réflexes exagérés. Les incendiaires sont presque tous aliénés : leurs parents l'étaient aussi. On a trouvé chez les escrocs les mâchoires fortes, les zygomes éloignés, le poids du corps très élevé, parents âgés, intelligence discrète, quelquefois môme très développée. Les voleurs avec effraction ressemblent aux voleurs de grands chemins, par les caractères physiques et psychiques. Chez eux, on trouve un grand nombre de fous simulateurs. Chez les ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 53 autres voleurs, on remarque les cheveux noirs et la barbe rare ; l'intelligence est plus soignée que dans les autres classes, les escrocs exceptés ; l'alcoolisme chronique est très fréquent, tandis qu'il l'est moins chez leurs parents. Chez les oisifs, Marro a trouvé beaucoup d'anomalies psychiques : arrêt du développement de l'intelligence, en particulier l'épilepsie et d'autres défauts expliquent leurs penchants étranges. Sur les femmes criminelles, les influences sociales sontbien plus puissantes que sur les mâles ; viennent ensuite la vieillesse, l'aliénation mentale et l'alcoolisme des parents qui produisent presque autant de femmes criminelles que d'hommes. V On a prétendu que ces découvertes étaient en contradiction avec les miennes ; mais, au contraire, elles ne font que les confirmer complètement : seulement elles nous montrent des espèces, là où je n'avais entrevu qu'un genre : c'est justement le signe du progrès, que celte subdivision des phénomènes, qui paraissaient simples à première vue, car on marche toujours du simple au composé. En étudiant par la méthode statistique cent nouveaux types criminels qui ont posé (je vole le mot aux artistes) dans mon laboratoire, le professeur Rossi a confirmé presque toutes les obser- 54 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE valions de Marro (1). La circonférence moyenne du crâne a été trouvée de 5S2 centimètres (selon Marro, elle serait de 530). La courbe antéro-postérieurc était de 345 centimètres (340 selon Marro), la courbe transversale, de 229 centimètres (suivant Marro, 211). La brachicéphalie est plus diffuse, — dans la proportion de 83,3, — tandis que les dolichocéphales étaient dans la proportion de 8 p. 100 et les mésaticéphales dans celle de 8,3 p. 100; la capacité crânienne était de 15,48 (selon Marro, 15,72). Les anomalies plus nombreuses de la tête ont été : H Les sinus fronlaux énormes chez 20 p. 100. L'oxicéphalie ....................... 5 — La platicéphalie • . . . 5 — La scaphoccphalie. ... 4 — La plagiocéphalie. . . . 5 — Et dans la face : L'asymétrie faciale »••■. .... 24 La mâchoire hypertropbique Les oreilles a anse. . . .«..... 24 Le strabisme. . . _ . • . » ' Les dents enchevêtrées . . .. 8 Les incisives médianes sentes .................................. Les canines médianes ab sentes ............................. Les incisives médianes hy pertrophiées .................... Les canines médianes hyper trophiées......................... (1) Unia cenlvria di Criminali, 1889. — 23 — — 14 — — ab 2 — 1 — 3 — 2 — ANOMALIES MOIlPHOLOGJQUES 86 La moyenne do la sensibilité laclile a été trouvée par M. Rossi chez 69 criminels, de 2,62 millimètres à droite, et de 2,41 millimètres à gauche. L'analgésie a été trouvée dans 15 p. 100 des sujets, la sensibilité à la douleur plus forte à droite dans 34 p. 100 ; à gauche dans 39 p. 100 ; égale dans 15 p. 100. La force la plus grande était à gauche dans 40 p. 100 des cas, l'épilepsie existait dans 32 p. 100. Sur 100 criminels, 81 p. 100 se livraient à la boisson (15 dès leur enfance). m L'impulsivité, le caractère irascible se remarquaient dans 40 p. 100. L'inconstance dans 18 p. 100 ; la religiosité dans 25 p. 100 ; le tatouage fut observé dans 23 cas sur 100 (1). VI M. Oltolenghi (2) a examiné l'échancrure nasale de 526 crânes dont 397 normaux, 129 de criminels, 50 de fous. 11 y a trouvé des anomalies dans la proportion de 23,92 p. 100 chez les normaux, 39,52 p. 100 chez les criminels (48,14 p. 100 d'hommes ; 33,33 p. 100 de femmes). Mais, ce qui est plus important, il a rencontré dans le plus haut degré de l'anomalie, la vraie gouttière simienne dans le rapport de 1, 70 p. 160 (1) Cenluria di-Criminali, 1888. (2) Archivio di Psichialria Scicnze pénale, 1888. 56 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE chez les normaux et de 16,60 p. 100 chez les criminels. Sur 20 crânes de crétins de la Lombardie et du Piémont, l'anomalie de l'échancrure nasale était dans le rapport de 55 p. 100. Chez les fous (presque tous* Piémontais) il a trouvé presque aussi fréquemment cette anomalie (42 p. 100); 13 épileptiques ont donné 38,46 p. 100. Il a cherché les anomalies de l'épine nasale dans les crânes de 60 normaux, de 30 criminels, de 1,3 épilep-tiques, de 50 fous et de 20 crétins, et il l'a rencontrée très développée chez les criminels (48,7 p. 100), surtout chez les assassins et chez les fous (40 p. 100) ; et moins fréquemment chez les normaux (24 p. 100). On a ensuite étudié la dimension, l'inclinaison, la surface, la direction et la protubérance des os nasaux. Ce sont les criminels (surtout les assassins) qui offrent les os nasaux les plus développés (40 p. 100), tandis que chez les normaux la proportion n'est que de 4 p. 100. Pour la direction, Ottolenghi a constaté fréquemment (36 p. 100) la déviation des os nasaux chez les criminels, 30 p. 100 chez les épileptiques, tandis quelle était de 16 p. 100 chez les normaux. M. Ottolenghi a observé aussi l'ouverture nasale asymétrique, appelée par M. Welecker pléléiforme : celle-ci, très rare chez les normaux (8 p. 100), prédomine parmi les criminels (36 p. 100), spécialement chez les voleurs (37,5 p. 100) ANOMALIES MORPHOLOGIQUES et presque autant chez les fous (32 p. 100); chez les crétins (sur 20 individus 20 p. 100), et chez les épileptiques (sur 13 individus 32 p. 100). Il a étudié, sur le vivant, la forme du nez, son profil, sa base, sa largeur, sa protubérance (selon les règles tracées par M. Bertillon).(l), chez 630 normaux 392 criminels, 40 épileptiques cl 10 crétins. Le criminel, en général, présente le nez rectiligne (60,31 p. " 100), à base horizontale (60,97 p. 100), de longueur moyenne (48,73 p. 100). plutôt large (54,14 p. 100); pas trop protubérant (38,53 p. 100) ; souvent dévié (48,13 p. 100). Parmi les criminels on a pu déterminer suffisamment bien le nez du voleur et celui du violateur. Le voleur présente en grande partie le nez rectiligne (40, 4 p. 100) ; souvent concave (23,32 p. 100); à base souvent relevée (32,13 p. 100); fréquemment court (30,92 p. 100) ; large (53,28 p. 100), écrasé (31,33 p. 100); et bien des fois dévié (37,5 p. 100). Les violateurs ont le plus souvent le nez rectiligne (54,5 p. 108) ; écrasé (50 p. 100) et dévié (50 p. 100), mais de dimensions moyennes. Chez les normaux, le nez est tantôt crochu (26,87 p. 100) ; tantôt onduleux (25,4 p. 100) ; plutôt long (57,7 p. 100)) ; de moyenne largeur (54,8 p. 100) ; a base très souvent abaissée (42 p. 100) et très rarement écartée (6 p. 100); surtout protubérant (30 p. 100). (1) Archive! d'Anthropologie, 1887, Paris. 53. LES PROGRÈS DE L'AKTIIROPOLOCIE CRIMINELLE , L'on voit donc que si le profil le plus souvent rcctilignc et la direction écartée distinguent le nez du criminel de celui du normal, la longueur, la largeur et la protubérance distinguent suffisamment entre eux les différents types de criminels. Le nez de l'épilep tique est souvent onduleux (42,8 p. 100) et crochu (32,8 p. 100); à base horizontale (72,3 p. 100); très long (74 p. 100); plusieurs fois bien large (30 p. 100) ; souvent dévié (25 p. 100), presque toujours protubérant (59,94 p.-100). Le crétin a le nez camus; très souvent concave (50 p. 100) ; à base horizontale (100 p. 100) ; court (60 p. 100); large .100 p. 100); écrasé (100 p. 100); souvent dévié (40 p. 100). •VII M. Frigerio a publié sur les anomalies de l'oreille, chez les criminels, des études qui sont d'une grande importance (1). En voici les conclusions : 1° Le pavillon de l'oreille doit être placé en première ligne parmi les organes qui offrent des caractères de dégénérescence; 2° L'angle auriculo-temporal mérite la plus grande attention au point de vue de l'anthropologie et de l'identification personnelle ; 3° L'angle auriculo-temporal dépasse 90° dans les conditions normales avec des chiffres de beau(I) Archive* d'Anthropologie criminelle, 1888, p. 17. ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 59 coup inférieurs à ceux que l'on constate chez les fous et les criminels ; 4° La moyenne pour 100 tend à augmenter, de l'homme sain à l'aliéné et au criminel ; Elle est dépassée chez les singes, sur lesquels elle est rarement inférieure à 100° ; 5° L'indice de la conque et celui du pavillon décroissent chez les individus sains du premier âge et de l'âge adulte. Ils semblent, avec l'ampleur de l'angle auriculotcmporal, liés au*développement de l'intelligence; 6° La plus grande variation de l'indice de la conque, comparée à celle du pavillon chez les individus sains, permet de croire que, du premier âge à l'âge mûr, il y a, spécialement dans la conque, un plus grand développement dans le sens longitudinal que dans le sens transversal, 7° Si, chez les aliénés, on adopte l'indice moyen des deux oreilles pour la conque et le pavillon, on observe, bien que l'indice de la conque soit supérieur à celui de l'individu normal, que l'indice du pavillon lui est au contraire inférieur. Cependant, chez les aliénés, la conque a un développement plus grand que le pavillon, surtout dans le sens transversal ; 8° D'après l'indice moyen de la conque, les aliénés et les criminels se succèdent comme suit, en ordre décroissant : non héréditaires, 0,69 ; dégénérés et violateurs, 0,67 ; voleurs de grands chemins, 0,66; homicides, 0,65; voleurs et faussaires, 0,65; héréditaires, 0,64; incendiaires, 0,60. M. Frigerio est arrivé à ces résultats, grâce ai mSHM |ÏJP LES PI10GRÊS DE L'ANTnnOPOLOGIE CÏÛMISËELË I l'otomètre, instrument très ingénieux et très simple dont il a enrichi les laboratoires des anthropologues. Le professeur Gradenigo a étudié le pavillon de l'oreille sur une plus grande échelle (1). Les sujets qu'il a observés étaient très nombreux. Outre l'examen attentif de 650 personnes (350 hommes et 300 femmes), il a passé rapidement en revue les pavillons de 25,000 personnes à Turin (15,000 hommes, 10,000 femmes). Il a examiné 330 aliénés (180 hommes, 150 femmes), 76 crétins (50 hommes, 26 femmes), 352 criminels typiques (304 hommes, 48 femmes). Voici ses résultats : CnlMIHlLS_____ ---- Pavillons réguliers. . Lobes adhérents. .<, Oreilles à anse. ... Oreilles Wildermuth. iioNiffrras H — P. 100 Hommes. P. 100 29,2 25 24 18 50,55 26 12,15 6,2 i -----. FOUIS Femmes. P. iOO P. 100 62 46 13 39 , 3,2 4,2 9,12 6,26 Chez les personnes honnêtes, les oreilles à anse sont donc environ moitié moins fréquentes parmi les femmes que parmi les hommes ; les oreilles de Wildermuth (2), au contraire, sont plus fréquentes chez celles-ci. Les anomalies dans la conformation du pavillon (1) Giomale delta /?.. Academia di Tdrino, n" 8,9,10,1889. — Annales des maladies des oreilles, octobre 1889. — Complet rendus du Congrès intern. d'otologie, Paris, 1889, p. 144. (2) Le pavillon est caractérisé par la saillie plus accentuée de l'anibélix comparativement 4 l'hélix. 61 ANOMALIES MORPHOLOGIQUES se" rencontrent donc environ deux fois plus fréquemment chez les criminels que chez les adultes honnêtes à Turin. Quant au nombre des lobes adhérents, l'exception qui résulte des chiffres n'est qu'apparente : car chez les criminels on trouve très souvent les lobes adhérents prolongés le long de la joue, espèce d'anomalie plus grave que les lobes adhérents simples. De plus, Grade-nigo a constaté, chez les criminels, une fréquence toute particulière des oreilles de Darwin, des malformations de l'hélix et de l'anlhélix, et d'asymétrie d'implantation, etc. De ses recherches il résulte, en outre, que la proportion-pour [100 des anomalies du pavillon varie sensiblement — môme en faisant abslrac-tion du sexe —■ selon la région, la ville, la classe sociale, et même, pour certaines anomalies, aussi selon l'âge. Il a rencontré un nombre beaucoup plus considérable d'oreilles à anse chez les enfants (23 p. 100) que chez les adultes (12,15 p. 100). Il trouva aussi une étrange latéralité de ces anomalies dans les criminels : Normaux Criminels Aliénés FBM3IRS Normales Folles 1 àd. Bàg. Autres anomalies < 81 à d. de l'oreille. . . # 26 u g. Oreilles à anse. . 4àd. 15 à g. 38 5 d. 17 à g. 10 a d. — y àd. 38 à g. — 3 à g. 38 à d. 2àd. 29 à d. 24jst g. 2àg. 16 à g. Ce qui démontre que ces anomalies sont en plus grand nombre a droite chez les fous et les criminels. LO.MBROSO. —Anlhr. crinu 4 PROSTITUEE. VOLEUSE. La voleuse néglige souvent son Extérieur plus propre et plus extérieur, elle n'est ni coquette, ni soigné. Aspirations à l'élégance gourmande, et se et a des exigences de confort. so 100 100 filles de filles de voleuses joie. joie. SO dames bonne société. (nord) . 18,3 17,8 14,4 53,3 11,3 14,5 18,3 14,5 52,7 10,9 58,8 11,3 LES PROGUES OK L ANTHROPOLOGIE VIII Mm0 Tarnowscky, dans ses éludes sur les filles de joie, les voleuses et les villageoises, a démonré que la capacité crânienne des prostituées est inférieure à celle des voleuses et des villageoises, et surtout des femmes de la bonne société (1) ; vice versa les zygomes et les mandibules étaient plus développés chez les prostituées qui avaient aussi un plus grand nombre d'anomalies (87 p. 100), tandis que les voleuses en avaient 79 p. 100, et les villageoises 12 p. 100. Les prostituées avaient 33 p. 100 de leurs parents alcoolisés, tandis que les voleuses en avaient seulement 41 p. 100 et les villageoises 16 p. 100. En poursuivant la comparaison entre la prostituée et la voleuse, elle trouva les différences suivantes : 17,7 13,9 52,9 11,4 piam. antéro-post.. > transv. mas.. Circonférence mas. orig................... ." Dist. zygomatique. Distance mandib.. Liant 17,9 14,9 SO SO fi liavilla geoises geoisesj " (sud). 53,5 11,2 < 10,1 9,1 10,18 9,1 9,9 9,8 18 14,5 53,6 | 11,4 ANOMALIES MORPHOLOGIQUES Aime la bonne chère et les friandises, les chiffons et les futilités, est avide de spectacles et de plaisirs. Il lui faut du vin à ses repas. Avec cela une jolie toilette, quelques distractions le soir, et un jeu de cartes qu'elle consulte pour connaître son avenir, — elle n'en demande pas davantage. hlaÂ&çouTvu qu'elle ne travaille pas, car elle est paresseuse par excellence et craint la fatigue. Imprévoyante à l'excès, elle vit au jour le jour, sans souci du lendemain. Très impressionnable, pleure et rit facilement. Humeur variable. Souvent bavarde et expansive, elle a un penchant à la sentimentalité. Somme toute, la paresse et l'absence totale du sens moral sont les traits principaux qui caractérisent la prostituée. 63 préoccupe peu de ses aises à la prison. Mais elle n'est pas oisive comme la prostituée, et, au contraire, prend part volontiers aux travaux dans les ateliers de la prison : couture, confec. tion de boites, de cartonnages divers, d'enveloppes; travaille dans la buanderie et arrive à se former un petit pécule pour le jour de sa sortie. . Elle témoigne plus d'énergie et de fermeté dans ce qu'elle entreprend. Fait preuve d'une disposition d'esprit plus stable et plus sérieuse que la prostituée. S'adonne a la boisson beaucoup moins que la prostituée. Beaucoup de circonspection et de prudence, jointes à un manque complet de sincérité; une grande retenue et de la défiance dans le caractère; jamais d'abandon ; niant toujours ses fautes à outrance et témoignant une absence totale de remords, — tels sont les traits distlnctifs du caractèro de la volouso. « Ce qui distingue encore les voleuses des pros tituées, c'est l'extrême mauvaise volonté qu elles manifestent lorsqu'on les questionne; elles ne donnent pas volontiers des renseignements sur leurs rapports sexuels. Elles sont d'une grande réserve sur ce sujet et font preuve d'une pudeur que n'ont généralement pas les prostituées. « Ajoutons encore leur mutisme dès qu'on aborde les raisons qui ont amené leur internement. Presque jamais elles n'avouent franchement leur faute Ci LES PnOGRÉS DE L'ANTJIHOPOLOGIE CRIMINELLE et témoignent encore moins du repentir. La plupart du temps elles nient énergiquement leur méfait, et refusent môme de se rendre à l'évidence, on donnant des explications purement fantaisistes qui masquent la vérité, mais ne remplacent pas le repentir. « La tare héréditaire des voleuses est moins lourde que celle des prostituées. « L'anamnèsc des parents est moins chargé d'alcoolisme; les prostituées, par exemple, ont 82 p. 100 d'alcooliques et 44 p. 100 de phtisiques dans leur ascendance, tandis que les voleuses n'ont que 49 p. 100 des premiers et 19p. 100 des seconds. Les autres maladies débilitantes des parents sont aussi représentées par des chiffres plus faibles dans l'anamnèse des voleuses. « 11 est vrai que ces circonstances favorables aux voleuses le sont moins, dès qu'on pense à l'extrême difûculté qu'on est obligé de surmonter pour avoir des renseignements plus ou moins certains. « Cependant l'aspect anatomique est là pour certifier que les voleuses possèdent moins de signes de dégénérescence physique, ce qui semble déposer en faveur de leur hérédité moins défavorable. « De plus, le nombre des naissances chez les voleuses dépasse notablement celui des prostituées et se rapporte à ce dernier comme 256 à 34 — circonstauce qui tend encore à rapprocher les voleuses des femmes normales. « En étudiant avec les mômes méthodes les prostituées, elle pose les conclusions suivantes : « 1° Les prostituées professionnelles sont des 63 ANOMALIES MORPHOLOGIQUES pires incomplets, ayant subi des arrêts dans leur développement, sont entachées d'une hérédité morbide et présentent des signes de dégénérescence physique et psychique en rapport avec leur évolution imparfaite ; « 2° Les signes de dégénérescence physique dus à une organisation imparfaite se manifestent chez les prostituées principalement par la fréquence des déformations de la tête, des anomalies du crâne (41,33 p. 100) et du visage, (42,66 p. 100). Par des anomalies nombreuses des oreilles (42 p. 100) et par des dents défectueuses (54 p. 100) ; « 3° Leur anomalie psychique se signale soit par une débilité de l'intelligence plus ou moins prononcée, soit par une constitution névropathique, soit par une absence notoire du sens moral ; elle est confirmée en outre par l'abus des fonctions génésiques, ainsi que par l'attrait qu'elles éprouvent pour leur métier abject, auquel elles retournent volontairement après en avoir été libérées; « 4 Les stigmates de dégénérescence sont le plus prononcées chez les prostituées et les voleuses dont les mères s'adonnaient à l'alcoolisme. Ce qui confirme l'hypothèse que c'est surtout l'influence de la mère qui retentit sur l'organisme de l'enfant; « 5° La stérilité et l'extinction de la race, souvent constatées chez les prostituées professionnelles, dépendent en grande partie de leur état anormal, fertile en tares héréditaires, et semblent confirmer leur dégénérescence; « 6° Les prostituées habituelles comblent la lacune trop large que la statistique de la criminalité établit en faveur des femmes. 4. 66 IJES PROCHES DE l/AnTlinorOLOCIE CRIMINELLE « 7° Les voleuses, quoique présentant également un grand nombre de signes physiques et moraux qui Tes distinguent notablement des femmes honnêtes, s'éloignent cependant moins du type de la femme normale que les prostituées. « Parce que : < a). Les Toleuses sont chargées d'une tare héréditaire moins lourde que celle des prostituées ; « b). Le nombre de signes de dégénérescence physique est moins considérable chez les voleuses que chez les prostituées; « c). Le nombre de naissances est plus considérable chez les voleuses; « d). Les diamètres principaux du crâne, ainsi que la circonférence horizontale totale, dépassent chez les voleuses ceux des prostituées (les deux catégories appartiennent .à la même race) ; « e). Les zygouies elles mandibules des prostituées sont plus larges que ceux des voleuses ; « /). Le niveau intellectuel et moral des voleuses surpasse celui des prostituées. La voleuse a plus d'amour-propre, son esprit est plus vif; elle est plus énergique et apporte plus de résistance dans la lutte de la vie. Elle est bien moins paresseuse et ne craint pas le travail; « g). Quelque incorrigible que soit la voleuse de profession, et quelque nombreux que soient ses méfaits, elle ne peut cependant pas les commettre cl les répéter à toute heure au jour, comme la prostituée (d). » (I) Etudes anthropométrique» sur les femmes voleuses el les I I "T ANOMALIES MOR! HOLOCIQUES M. de Albertis a trouvé le tatouage chez 300 prostituées de Gênes dans la proportion de 10 p. 100 et la sensibilité tactile de 3,6 à droite et de 4,0 à gauche (1). Mais sur les femmes criminelles, Salsotto a fait des études tout à fait nouvelles (1); il a reconnu chez 130 voleuses les caractères dégénératifs, les anomalies du crâne, de la physionomie en nombre bien moindre que chez les hommes ; il a trouvé la brachicéphalie chez 7, l'oxicéphalie chez 29, la platicéphalie chez 7, le front fuyant chez 7, le strabisme chez H, les oreilles à anses dans 6, la sensibilité tactile était normale chez 2 p. 100, les réflexes tendineux amoindris chez 4 p. 100, exa-. gérés chez 12 p. 100. Marroet Morselli nous ont expliqué par la sélection sexuelle cette énorme différence, qu'on trouve aussi dans les épilepliques et surtout dans les fous ; les hommes, en effet, ne choisissent pas de femmes laides, avec caractères dégénôralifs tandis que les femmes ne peuvent pas choisir; et bien souvent l'homme laid, criminel, mais vigoureux triomphe pour ce motif de tous les obstacles; il est môme quelquefois préféré (Flaubert, (correspondance, 1889). Ajoutons que les soins de la maternité, adoucissant le caractère des femmes, ont. augmenté chez elles le sentiment de la pitié. (1) Arch. di Ptichiatria, X, 1889. &B£*«*^-— 67 68 LES PROCHES DE L'ANTUISOPOLOGIË CRIMINELLE IX M. Ottolenghi (l)a étudié dans mon laboratoire les rides chez 200 criminels et 200 normaux (ouvriers et paysans), et il les a trouvées bien plus fréquentes et bien plus précoces chez les crimi-1 nels, 2 à S fois plus que chez les personnes normales, avec prédominance de la ride zygomatique (située au milieu de chaque joue) qu'on pourrait bien appeler la ride du vice, la ride caractéris-. tique des criminels. Dans les femmes criminelles (80) aussi, les rides ont été trouvées plus fréquentes que chez les femmes normales, quoique avec une moindre différence. — Qu'on se rappelle les rides des sorcières. Il suffît de voir ce buste de la célèbre empoisonneuse sicilienne (fig. 2) conservé au Muséum national de Païenne, et dont le visage est un amas de rides. Lui-môme, étudiant avec moi la fréquence de la canitie et de la calvitie, en a démontré l'absence ou le retard chez les criminels (2) tout aussi («) Avant 25 ans Entre 25 et 50 ans. np. 100. p. 100. p. p. 100. o 62 100. 34 r22 0 62 86 78 69 m 18 33 16 a ux criminels normaux criminels Rides du front .... Ride nasolabiale.. Bide zygomatique. (2) La Calvitie, la Canitie e le Rughe nei normali, net cri" minait, negli epileltis e nei eretini (Archivio di Psichatria in Torino, 1889, X). S ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 60 bien que chez les épileptiques et chez les crétins. Fijy. 2. — L'empoisonneuse de Païenne. Parmi les premiers seulement, les escrocs s'ap prochent un peu plus des gens normaux (1). • Avec cani'.ie p. H'O Avec calvitie p. 100 (I) iOO normaux......................... C2.5 19, 80 ùpileptioues.................... 31.5 12,7 40 crétins. . . . . . . 11,7 13,5 490 criminels ...... 25,9 48 —■ voleurs. . . .'• 21,4 2.6 — escrocs. ... 47 13,1 — lilesseurs. . . 23.7 95,3 80 femmes criminelles. £ . 45 13,7 200 femmes honnêtes . . 60 70 LES PROGRÉS DE L'ANTOROPOLOGIE CRIMINELLE Inversement chez 280 femmes criminelles, on a troué plus fréquente la canitie et plus rare la calvitie que chez 200 ouvriers honnêtej^ Nous ne terminerons pas ce chapitre sans faire mention de la belle découverte qu'on doit, nous nous plaisons à le constater, à un juriste, M. Anfosso. Le tachianthropomètre qu'il a construit est un vrai mensurateur automatique (Archiv. de Psych., art. ix, p. 173). On pourrait l'appeler, si le mot n'avait un peu trop de couleur locale, une guillotine anthropométrique, tant elle donne vite et avec la précision des machines, les mesures les plus importantes du corps, ce qui rendra bien aisée, môme aux gens les plus étrangers à la science, la pratique anthropométrique, et l'examen du signalement des criminels dont le perfectionement reste toujours un des litres les plus glorieux de M. Bertillon. Et en môme temps que cet instrument rendra des services dans la pratique judiciaire, il permettra sur une grande échelle des observations qui jusqu'ici n'étaient possibles qu'aux savants. L'expérience en a été faite il y a peu de temps par M. JRossi, qui étudia le résultat de ces mensurations sur 100 criminels (presque tous voleurs); il a trouvé chez 88 la grande envergure supérieure àJa taille; chez 11 inférieure; pour les pieds, il en a trouvé la longueur plus grande à ANOMALIES MOHPHOLOGIQUES 71 droite chez 30, à gauche chez 58, égale chez 12. Pour les bras, 43 fois on trouve une longueur supérieure à droite ; 54 fois à gauche. Ce que confirme merveilleusement la gaucherie (mancinisme) qu'on avait déjà signalée par la dynamométrie et par l'élude delà marche chez les criminels (1). Cette vraie gaucherie anatomique, je viens de la vérifier avec M. Oltolenghi par des mensurations sur les mains, les doigts médium et les pieds, à droite et à gauche, sur 90 hommes normaux et sur 100 criminels-nés (Archivio dipsichiatria, X, 8) avec la méthode du D'Bertillon(2). La grande fréquence de la gaucherie anatomique ne pouvait pas être mieux confirmée ; et c'est bien là un caractère atavistique, puisque Rollet a observé chez 42 anthropoïdes l'humérus plus long à gauche dans 60 p. 100 des cas, et seulement chez les hommes dans 7 p. 100. {Revue scientifique, 1889.) (1) Archiv. di Psichiatria, vol. X, p. 191, 1889. (2) Main Doigt médium. plus longue. Droits gauche p. 100. Normaux . . 14.4 Criminels. . 5 Escrocs. . . 4,3 Viol ............. 7 Blesseurs . . 15 Voleurs... 0 Pick-pockels. 0 11 25 13 14,2 25 34,8 85 Pied, Droit gauche p. 100. Droit gauche p. 100. 16,6 10 13 14,2 5 13 5 38,5 27 21,7 35,7 20 26 35 15,5 27 21,7 28,4 25 30,4 30 15,6 35 26 35,7 55 26,6 25 CHAPITRE II LES FONCTIONS DES CRIMINELS, ETC. RESISTANCE A LA DOULEUR. — La plus grande anomalie des criminels-nés, qu'on ne repconlrc pas aussi exagérée môme chez les sauvages, c'est la résistance à la douleur, l'analgésie. C'est ce que j'ai pu démontrer avec mon algomèlre élec-' trique, et dont on avait déjà de bien nombreux témoignages avant moi. Les médecins des prisons savent comment les opérations les plus douloureuses (application du fer rouge, par exemple) sont souvent peu sensibles aux criminels. If Un voleur se. laissa amputer la jambe sans pousser un seul cri, et s'amusa ensuite à jouer avec le tronçon- Un assassin renvoyé du "bagne de l'île de S... à l'expiration de sa peine, priait le directeur de le garder encore ; voyant sa prière ?epoussée, il se déchira les entrailles avec le manche d'unegrande cuillère, puis remonta tranquillement ï'escaliep et entra dans son lit où il expira, peu d'instants après, sans avoir fait en'endre un seul gémissement. L'assassin Descourbes, pour ne pas aller à ■ Î.S3 FONCTIONS DES CRIMINELS 73 Cayenne, se fit aux jambes des plaies artificielles et, celles-ci guéries, se passa, au moyen d'une aiguille, un cheveu à travers la rotule; il en mourut. Mandrin, avant qu'on lui tranchât la tête, fut tenaillé en huit endroits différents, aux jambes et aux bras, et ne poussa pas un soupir. Pour faire disparaître un signalement dénonciateur, B... se fit sauter trois dents avec de la poudre; R ...... s'enleva la peau du visage avec des fragments de verre (Vidocq). J'ai vu deux meurtriers qui s'étaient mutuellement dénoncés, et qui se haïssaient depuis longtemps, s'élancer l'un sur l'autre, à l'heure de la promenade, et s'étreindre pendant quelques minutes l'un mordant la lèvre, l'autre arrachant les cheveux de son adversaire ; tous les deux se plaignaient ensuite, non des blessures reçues et qui furent suivies de graves accidents, mais de ce qu'on les empêchait de compléter leur vengeance. Cette analgésie nous explique les moyens atroces choisis si souvent pour les suicides, dans les prisons, et aussi le.penchant au suicide, même chez ceux qui n'ont plus-à subir que quelques jours de prison, ainsi qu'on l'a souvent constaté à* Mazas. Elle nous explique bien quelques phénomènes étranges du monde criminel, celui surtout que les anciens poètes auraient appelé l'invulnérabilité et que, avec un mot puis modeste et plus médical, je nommerai la disvulnérakihté des criminels. Le professeur Benedikt a vu dans une prison un brigand de la fameuse troupe, de Rozza*Sandor LOMBROSO. — Anlhr. crhn. b 74 LES PROGRÈS DE j/ANTHItOPOLOGlE CWM1NELLE *■-" vrai géant par la taille et athlète par la vigueur, qui, ayant pris part à une révolte de prisonniers, fut battu par des gardiens de telle façon qu'il eut plusieurs vertèbres fracturées. Toutes ses blessures guérirent, mais le géant d'auparavant devint une sorte de nain ; toutefois il continua à Iravailler dans la forge de la prison et à se servir du lourd marteau comme dans les jours de sa plus grande vigueur. Pour ma part, j'en ai vu de plus étranges encore : un voleur eut, dans une escalade, le frontal droit fendu latéralement par un coup de hache ; en quinze jours il était guéri sans aucune réaction. Le crâne du même brigand de la troupe Rozza Sandor, dont parle M. Benedikt, a été envoyé à l'Exposition d'anthropologie de Rome par le célèbre professeur Lenhossek de Pesth. Ce crâne avait une énorme dépression de l'os pariétal gauche, effet d'une blessure d'arme à feu, qui ne l'avait pas empêché, m'écrivait M. Bosany, de tenir tête, plusieurs jours de suite, aux troupes autrichiennes et russes. Dans la prison dont je suis le médecin, un meurtrier, qui travaillait comme maçon, grondé pour une faute légère, se jeta du troisième étage d'une hauteur de 9 mètres, sur le pavé de la cour. — Tous le croyaient mort: on était allé chercher le médecin et même le prêtre, quand tout à coup on le vit se relever en souriant et demander à continuer son ouvrage. Les individus qui possèdent cette disvulnérabilitê se considèrent comme des privilégiés, et ils LES FONCTIONS DES CRIMINELS 4)75 méprisent les délicats et les sensibles. C'est un plaisir, pour ces gens durs, de tourmenter incessamment les autres qu'ils regardent comme des créatures inférieures. Voilà une double source de cruauté des criminels, comme le note très bien Benedikt : « Si nous voyons souffrir autrui, nous ressentons nousmêmes, à l'aide de notre mémoire, de pareilles sensations ; nous ressentons, pour ainsi dire, une copie de ces souffrances. De là naît la compassion que nous comptons parmi les vertus. Plus nous sommes sensibles, plus nous sommes disposés à la compassion. Lorsqu'il y a une diminution congénitale de sensibilité pour les douleurs et les sentiments désagréables, alors l'aptitude à la compassion fait presque défaut. » SECRETIONS. — M. Ottolenghi (1) a fait dans mon laboratoire plusieurs observations sur l'élimination de l'urée, des chlorures et des phosphates chez 15 criminels-nés, et chez 3 criminels d'occasion assujettis aux mêmes conditions alimentaires. Voici les moyennes des résultats- : I gr. Urée p. 1,000 gr. du ( Criminels nés ............... 0,39 poids du corps. « — d'occasion. . 0,53 i«.™i. ... -J 1 Criminels nés .............. 0,024 Phosphates îd. ( .,____. „',„„ l — d occasion. . 0,0195 Chlorures id. [ Criminels nés .............. 0,28 ( — d'occasion. . 0,29 (1) Giornal del Academia med. di Torino, 1888. Archivio di Psichiatria, 1888, X. 76 I LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE 11 y a donc chez les criminels-nés une diminution dans l'élimination des urées et une augmentation des phosphates, tandis que l'élimination des chlorures ne varie pas. Il a obtenu les mômes résultais dans des cas d'épilepsie psychique, tandis que les criminels d'occasion n'offrent aucune anomalie. M. Rivano, au contraire (1), trouve chez les épi-l leptiques une plus grande quantité d'urée et moins de phosphates aux jours de paroxysmes, et en outre, dans 33 p. 100, de l'albumine, 29 — de l'acétone, 87 — des peptones, toujours dans les jours d'accès. ODORAT. —• M. Oltolenghi a étudié aussi l'odorat chez les criminels. Il a composé dans ce but un osmomètre contenant douze solutions aqueuses d'essence de girofle qui variaient de 1 p. 50000 à 1 p. 400. 11 a fait ses observations en plusieurs séries, une seule par jour, dans des conditions de ventilation à peu près identiques, et en renouvelant les solutions pour chaque observation, afin d'éviter . . les erreurs d'évaporation. Il cherchait d'abord le degré le plus faible auquel commençait la perception de l'odorat. D'autres fois, il procédait d'une manière différente : il déplaçait les diverses bouteilles, et invitait ensuite le sujet à les replacer dans l'ordre de leur intensité d'odeur. (1) Archivio di Fenialria. Torino, 1889. j I ï DÈS CRIMINELS ~TT Il a distingué les erreurs de disposition qui s'étaient produites, en erreurs graves et légères, selon que, dans l'ordre des solutions, il y avait la distance de plusieurs ou d'un seul degré. Il a examiné 80 criminels (50 hommes, 30 femmes), jet 50 personnes normales (30 hommes, choisis la plupart parmi les gardes de prisons, et 20 femmes honnêtes). Voici ces résultats : Tandis que dans les hommes normaux l'odorat moyen variait entre le troisième et le quatrième degré de l'osmomètre, chez les criminels il variait du cinquième au sixième degré; 44 individus en manquaient tout à fait. Tandis que les hommes honnêtes faisaient en moyenne trois fautes de disposition, les criminels en firent cinq, dont trois graves. Les femmes normales touchèrent au quatrième degré de l'osmomètre, les femmes criminelles au sixième degré; chez deux l'odorat manquait totalement. Tandis que les premières firent en moyenne environ quatre fautes, les criminelles en firent cinq. Des huit cas d'anosmie constatés chez les criminels, deux étaient en relation avec des altérations nasales ; pour les autres, c'était une espèce de cécité olfactive ; ils ressentaient les excitations odoriférantes sons pouvoir les spécifier, et moins encore les classifier. Pour vérifier ce qu'il y avait de vrai dans l'as- /8 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE sertion (1), que les criminels contre les mœurs avaient l'odorat très développé, il l'examina chez 30 auteurs de viol et chez 40 prostituées. Il trouva dans 33 p. 100 des premiers la cécité de l'odorat, dans les autres une moyenne correspondant au cinquième degré de l'osmomètre. Faisant ensuite disposer les diverses solutions selon le degré de leur force, il remarqua trois erreurs graves. Chez 19 p. 100 de filles soumises, il a trouvé la cécité de l'odorat; et pour les autres, une acuité moyenne correspondant au cinquième degré de l'osmomètre. Comparant ces résultats avec ceux déjà obtenus pour les normaux et pour les criminels, l'odorat apparaît beaucoup moins développé dans cette dernière catégorie (2). GOUT. — M. Ottolenghi a examiné aussi le goût de 100 criminels (60 criminels-nés, 20 criminels d'occasion et 20 femmes criminelles), il les a comparés avec 20 hommes de la classe inférieure, 20 professeurs et étudiants, 20 femmes honnêtes et 40 filles de joie ; ses expériences ont été faites avec onze solutions de strychnine (graduées 1/80000 à 1/50000), de saccharine (depuis 1/100000 jusqu'à 1/10000) et dix de chlorure de sodium (de 1/500 à 3/100). Les criminels montrèrent toujours une obtusité remarquable. (Voir fig. 3.) (1) KrafflrEbing. Ptychopalîa sexualis, 1889, 4» éd. Wien. (2) Archivio di Ptichiatria, 1889. LES FONCTIONS DES CRIMINELS 79 La moindre acuité gustative a été rencontrée chez 38 p. 100 de criminels-nés, 30 p. 100 de criminels d'occasion, chez 20 p. 100 de femmes criGrandc A B C D B F Moindre A'B'CD'E'P' Fig. 3. — A, 60 délinquants-nés. — B, 20 délinquants d'occasion. — C, 20 ouvriers. — D,S0 étudiants. — E, 20 femmes criminelles. — F, 20 femmes normales. — A', 60 délinquantsnés. — B', 20 délinquants d'occasion. — C, 20 ouvriers. — D', 50 étudiants. — E', 20 femmes criminelles. — F',| 20 femmes normales. minelles; tandis qu'on a trouvé 14 p. 100 parmi les professeurs et les étudiants, 25 p. 100 parmi les hommes des classes inférieures, 30 p. 100 pour les filles de joie et enfin 10 p. 100 chez les femmes honnêtes. 80 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE MARCHE. — Une étude que j'ai faite avec Peracchia (1),sur la marche, suivant la méthode de Gilles de la Tourette, nous montre que, à l'inverse des gens normaux, le pas gauche des criminels est, généralement, plus long que le droit; en outre, ils s'écartent de la ligne d'axe plus à droite qu'à gauche ; leur pied gauche, en se posant à terre, forme avec celte ligne un angle de déviation plus prononcé que l'angle formé par leur pied droit ; tous ces caractères se rencontrent très souvent chez les épiloptiques. ÉCRITURE.—Les caractères que j'avais découverts dans les écritures des criminels, surtout des meurtriers, me furent confirmés par les expériences hypnotiques. Un jeune étudiant suggestionné qu'il était un brigand, nous, donna une écriture dure, grossière avec les t énormes, tandis que son écriture ordinaire était très polie, fine et presque féminine. Le même étudiant, suggestionné peu de temps après de se croire une petite fille, a conservé dans l'écriture enfantine quelque peu de l'énergie du brigand. (Voir mon Atlas de VH. criminel, pi. XXII et XXX.) GESTES. — C'est un usage ancien parmi les criminels de se communiquer leurs pensées par gest.es. Avé-Lallemant décrivit une série de gestes des voleurs allemands, un véritable langage exécuté avec les seuls doigts, comme chez les muets. Vidocq dit que les floueurs, quand ils guettent (1) Archivio di Psichialria, 1888. LES FONCTIONS DES CRIMINELS 81 leur victime, se font le signal de la Saint-Jean,\ qui consiste à porter la main à leur cravate, ou même à ôter leur chapeau. Mais c'est surtout Pitre qui a publié des renseignements très importants. Dans ses Usi e costumi délia Sicilia, il vient de décrire 48 gestes particuliers aux délinquants. Cet abus des gestes***'explique par la mobilité exagérée qu'ont les criminels-nés, tout à fait comme les enfants. TATOUAGE. — J'avais cru qu'il n'y aurait à ce propos plus rien à dire après les belles éludes de MM. Lacassagne, Marro, et après les miennes (1). Cependant les recherches faites par MM. Scveri, Lucchini et Boselli sur 4,000 nouveaux criminels, ont donné des résultats d'une haute importance et tout d'abord une proportion octuple de celle des aliénés de la même région (Florence et Lucques). Cette diffusion énorme va jusqu'à 40 p. 100 chez les militaires criminels, à 33 p.. 100 chez les mineurs ; les femmes ne donneraient que 1,6 p. 100, mais la proportion s'élèverait à 2 p. 100 si l'on voulait y comprendre certains tatouages-mouches ressemblant aux grains de beauté, qui sont en usage jusque dans la haute) prostitution. Ce qui frappe le plus dans ces recherches, après la fréquence, c'est le caractère spécifique desdits tatouages : l'obscénité, la vantardise (1) Voir Nouvelle Revue, 1888, et l/omo deliquente, 4* éd.1889. &. 8S M'M ifcvV?» LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE du crime, et le contraste étrange des passions mauvaises et des sentiments les plus délicats. M. C... âgé de vingt-sept ans, condamné cinquante fois au moins pour révolte, coups et blessures d'hommes el de chevaux, a pour ainsi dire l'histoire de ses crimes .écrite sur sa peau, et à ce propos, notons que tout récemment l'infime de Rosny, * qui s'est suicidée à Lyon, avait le corps couvert de tatouages représentant des figures erotiques; on y lisait la liste de ses amants et les dates auxquelles elle les avait quittés (1). F. S..., charretier, âgé de vingt-six ans, récidiviste, porte sur sa poitrine un cœur percé par un poignard (signe de vengeance), sur la main droite une chanteuse de café-concert dont il s'était épris. A côté de ces tatouages et d'autres que les convenances nous empêchent de citer, on voit avec surprise le dessein d'un tombeau avec l'épithaphe : A mon père chéri. Contradictions étranges de l'esprit humain ! Un nommé B..., déserteur, a sur la poitrine un saint Georges et la croix de la Légion d'honneur, et sur le bras droit une femme très peu habillée qui boit, avec l'inscription : Mouillons un peu C intérieur. Q. A..., journalier, condamné plusieurs fois pour vol, expulsé de France et de Suisse, a sur la poitrine deux gendarmes suisses avec les mots ; <\) Voir Atlas de l'Homme criminel, 1888, Alcan, pi. XXXII, XXXIX. LES FONCTIONS DES CRIMINELS 83 Vive la République t Sur le bras droit un cœur percé et à côté un poisson, un maquereau, pour signifier qu'il veut poignarder un souteneur, son rival. Nous avons vu sur le bras gauche d'un autre voleur, un pot de citronnier avec les initiales V. G. (vengeance) ; ce qui, dans l'étrange langage des criminels, veut dire : trahison et après, vengeance. 11 ne nous cachait pas que sa pensée continuelle était de se venger de la femme qui l'avait aimé et depuis abandonné : son désir est de lui couper le nez; il.refusa même l'offre que lui fit son frère de se charger de l'Opération, pour le| plaisir de l'exécuter personnellement une fois en liberté. On voit donc, par ces quelques exemples, qu'il y a parmi les criminels une espèce d'écriture hiéroglyphique, mais qui n'est pas réglée, ni fixée; elle dérive des événements journaliers et de l'argot, comme cela devait ôtre chez les hommes primitifs. Très souvent, en effet, la clef y signifie le silence du secret entre les voleurs, et la tête de mort la vengeance. Parfois on remplace les figures par des points : ainsi un repris de justice s'est marqué avec 17 points, ce qui veut dire, selon lui, qu'il se propose d'outrager dix-sept fois son ennemi lorsqu'il lui tombera sous la main. Les tatoués criminels de Naples ont l'habitude de faire de longues inscriptions; mais les mots sont remplacés par des initiales. Beaucoup de camorristes de Naples portent un tatouage qui 84 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE îeprésente une grille derrière laquelle se trouve un prisonnier, et au-dessous les initiales Q. ^F. Q. P. M., c'est-à-dire Quando finiranno queste pêne ? Mai ! (Quand finiront ces peines ? Jamais!) D'autres portent l'épigraphe C. G. P. V., etc., c'est-à-dire : Courage, galériens, pour voler et piller nous devons tout mettre à sang et à feu. On voit donc déjà ici que certains tatouages sont employés par des associations criminelles et qu'ils sont un signal de' ralliement. En Bavière et dans le sud de l'Allemagne, les voleurs à la tire, qui sont réunis en véritables associations, se reconnaissent entre eux par le tatouage épigraphique T. und L., c'est-à-dire Thaï und Land, mots qu'ils doivent échanger à demivoix quand ils se rencontrent, sans cela ils se dénoncent eux-mêmes à la police. Le voleur R..., qui porte sur le bras droit un dessin représentant deux mains entre-croisées et le mot Union entouré d'une guirlande de fleurs, nous dit que ce tatouage est adopté par beaucoup de malfaiteurs et associés du midi de la France (Draguignan). D'après des révélations qui nous ont été faites par des camorristes émérites, cinq points sur la main droite, un lézard ou un serpent, signalent le premier grade dans cette dangereuse association. Je passe sous silence, et pour cause, la diffusion des tatouages sur toutes les autres parties du corps. Dans la Revis la de antropologia criminal, *» *-••-— --— •**? H*b'> ' JI^.'1._.JJ' LES FONCTIONS DES CRIMINELS 85 nouvelle publication qui vient de paraître à Madrid, M. Sallilas a publié une excellente étude sur le tatouage des criminels espagnols. Selon lui, cet usage est fréquent parmi les meurtriers ; la prédominance du caractère religieux s'y observe, mais toujours avec ce cachet de cynisme obscène qu'on remarque chez tous les autres. J'ai eu l'occasion, récemment, de vérifier jusqu'à quel point est alavislique l'impulsion qui conduit les criminels à s'infliger cette étrange opération. Un voleur des plus incorrigibles, qui a six frères tatoués comme lui, me priait, quoiqu'il fût à demi couvert des tatouages les plus cyniques, de lui chercher un tatoueur de profession pour achever ce qu'on pouvait bien appeler la tapisserie de sa peau. « Lorsque le tatouage est bien drôle et répandu sur tout le corps, me disait-il, c'est, pour nous autres voleurs, comme l'habit noir de société avec des décorations; plus nous sommes tatoués et plus nous nous estimons ; plus un individu est tatoué, plus il a d'autorité sur ses compagnons. Au contraire, celui qui n'est, pas bien tatoué ne jouit d'aucune influence, n'est pas tenu pour bon gredin, n'a pas l'estime de la compagnie. . Un autre aussi me disait : « Bien souvent, quand nous allons chez les filles, en nous voyant ainsi couverts de tatouages, elles nous comblent de cadeaux et nous donnent de l'argent au lieu d'en exiger. » SAUVAGES. — Pour comprendre combien cet 86 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE usage est atavistique il faut le suivre chez les sauvages. Dans toute la Mélanésie, rapporte Letourneau, la couleur rouge étant en grand honneur, c'est celle que l'on préfère d'habitude pour se farder ou se peindre. Le pauvre Tasmanien s'enduit le corps avec de la graisse de veau marin, de kangourou, à laquelle il incorpore de l'ocre rouge. Avant d'aller à la danse ou en visite, les dandys australiens se tracent ou se font tracer sur la poitrine et les jambes des lignes rouges et blanches qui se croisent. Ainsi parés, ils s'admirent et se pavanent avec une vanité bien réjouissante. Les Fuégiens se peignent, sur le corps et surtout sur la figure, des dessins blancs, noirs et rouges. Sur les rives de l'Orénoque, on dit d'un homme, pour indiquer son extrême misère, « qu'il n'a pas le moyen de peindre la moitié de son corps » ; hommes et femmes éprouvent un sentiment de honte quand il leur faut se laisser voir sans les peintures, qui sont dans ces pays la suprême parure. En Afrique, les beautés hottentotes se frottent le corps de graisse et se saupoudrent ensuite avec de la pousière d'ocre rouge. Plus au nord, dans l'Afrique centrale le long du Niger, dans le Soudan, le goût du rouge, si répandu par toute la terre, fait place à l'amour de la couleur bleue. Près du lac Tchad, deux voyageurs virent un Sultan dont la barbe était teinte en un magnifique bleu d'azur. Puis, ailleurs, toute la palette y passe. Les femmes de Sackatou teignent avec de l'indigo les LES FONCTIONS DES CRIMINELS 87 nattes de leur chevelure; en même temps elles rougissent leurs dents, leurs mains, leurs pieds, leurs ongles. Les femmes du Nyfle teignent leurs chevelures et leurs sourcils à l'indigo ; leurs cils sont noircis au khôl ; leurs lèvres sont teintes en jaune ; le henné rougit leurs dents, leurs mains et leurs pieds. En Birmanie, les femmes se saupoudrent la face d'une fine poudre de bois de santal odoriférant et se teignent en rouge les ongles des pieds et des mains. Les élégantes de Bagdad se teignaient, dans le temps, les lèvres en azur ; elles se traçaient sur les jambes des cercles et des ratos de la même couleur, se dessinaient une ceinture bleue autour de la taille, entouraient chacun de leurs seins d'une couronne de fleurs bleues. Primitivement le tatouage a été purement ornemental, c'est pour se faire beau que l'homme primitif s'est tatoué. Puis, peu à peu, à la longue, ainsi que le constate le docteur Delisle, il a servi à caractériser une classe sociale, ici signe de noblesse, là indice de servitude, établissant enfin une distinction entre les membres d'une même famille, d'un élan, d'une tribu, d'un peuple même et plus tard encore désignant une catégorie d'individus, profession ou religion. Quelques particularités, entre mille autres. Pour montrer l'importance que le tatouage joue dans la vie des populations des lies du Pacifique, disons qu'aux Iles Marquises, le dieu le plus en faveur, c'est Tiài, le dieu et l'inventeur du tatouage. On 88 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE y voit partout son image, — un homme monstrueux, avec un nez épaté très large, de grands yeux, une bouche énorme, un gros ventre, les jambes fléchies, les bras collés au corps, les mains se joignant sur l'abdomen. En Polynésie le tatouage est pratiqué vers l'âge de onze ou douze ans : il est ce qu'était la robe prétexte pour les jeunes Romains. Aux lies Marquises, il fait pour ainsi dire un vêtement aux hommes ; on croirait à s'y méprendre, qu'ils sont couverts d'une armure. Leur figure disparaît sousces stigmates ; ici les femmes 'sont en général peu ' tatouées, mais les coquettes ont sur les pieds et les mains, les jambes et les avant-bras, des dessins si délicats qu'on dirait des bas et des gants à jour. Pour plaire aux femmes et pouvoir trouver une épouse, raconte le docteur Delisle, le Laotien doit être tatoué du nombril jusqu'au-dessus du mollet, tout autour de la cuisse, tandis que chez les Dayocks, ce sont les femmes qui subissent l'opération pour conquérir des amoureux. Le tatouage du Laotien, très animé, représente des animaux fantastiques, analogues à ceux des monuments bouddhiques. Chez les indigènes des lies Marquises, le tatouage figure pour les femmes des dessins de tout genre, bottines, gants, boucles, soleils, arcs, ou des lignes tracées avec une finesse et une perfection remarquables; pour les hommes ce sont des animaux, des requins, des cancrelats, des lézards, des serpents ou des plantes, des figures géométriques; ici le tatouage constitue de véritables œuvres d'art. wSSiSm LES FONCTIONS DES CRIMINELS 89 Parfois, tatouages et mutilations se mêlent. Il y a des têtes célèbres de chefs de la Nouvelle-Zélande surchargées de lignes courbes, avec incisions profondes apparaissant en creux et de couleurs foncées; les intervalles sont colorés par un tatouage par piqûre qui colore le tégument en bleu. Ces lignes courbes n'épargnent aucune partie de la figure et sont d'autant plus serrées et nombreuses que celui qui les porte est un guerriei plus renommé ou un chef d'origine ancienne. Dans les relations avec les Européens, le tatouage des Néo-Zélandais a eu parfois un emploi inattendu. Ainsi les missionnaires ayant acheté à un chef une certaine étendue de terrain, le tatouage facial du vendeur fut dessiné au bas de l'acte de vente, en guise de signature. Dans les archipels polynésiens, nous l'avons dit, les femmes se tatouent peu la figure ; mais « le diable de la coquetterie n'y perd rien, raconte Gook, » et elles se couvrent le corps, surtout la face postérieure des cuisses et les fesses, de capricieux dessins, qu'elles montrent volontiers et avec ostentation. A Nouka-Hiva, les dames nobles peuvent porter des tatouages plus nombreux que ceux des femmes du peuple. Aux lies Marquises, on peut voir le crâne chauve des vieillards couvert de tatouages. La mode joue aussi son rôle dans les diverses formes de tatouage. Ainsi, à la Nouvel!e-Zélande, il y a quelque temps, c'étaient les lignes courbes qui étaient en vogue; aujourd'hui ce sont les figures. 90 LES PROGRÉS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Les femmes arabes (1) sont très largement tatouées sur le dos des mains, sur les avant-bras, les bras, sur la base du cou et sur le haut de la poitrine. Leurs poignets sont particulièrement! riches en guirlandes, en traits entre-croisés, en dessins circulaires qui simulent des bracelets. Le tatouage est un usage commun aux Arabes des deux sexes ; les tirailleurs algériens qui sont recrutés dans les tribus, sont fréquemment marqués au visage. Si les tatouages algériens que nous avons vus se rapprochent des tatouages européens par leur teinte bleu foncé, ils s'en distinguent par la simplicité des ornemeutsdécoratifs: petites croix,traits droits, circulaires, entre-croisés, guirlandes, etc. La figuration humaine, si habituelle dans les empreintes européennes, est d'ailleurs absolument proscrite par le Coran. Enfin, caractère distinctif essentiel, le tatouage du visage est très commun chez les Arabes; il est même employé parfois comme marque de famille ou de tribu, tandis qu'en France les tatouages du visage sont spéciaux aux criminels et sont vraiment infamants. Après cela, si le tatouage des criminels n'est pas de l'atavisme, l'atavisme n'existe pas dans la science (2). (1) Les tatouages et les peintures de la peau, par G. Variot Revue scientifique, 1889. (2) Récemment Christian (Gai. des Hôpitaux, 1" mars 1891), a illustré le cas unique d'un fou (monomanie de persécution), de 30 ans, qui s'était pratiqué des tatouages sur tout le corps : mais c'étaient des figures symboliques de son délire dont lui seul avait la clef : ce qui montre la différence avec les criminels qui ont des tatouages atavistiques. LES FONCTIONS DES CRIMINELS Certainement, on peut dire de celui-ci, comme de tous les autres caractères des criminels, qu'on peut le rencontrer chez les gens normaux ; mais c'est la proportion, la diffusion et l'intensité qui sont bien plus saillantes; c'est la nuance spécifique, la couleur locale du cynisme, la vanité inutile et imprudente du crime, qui manquent chez les hommes honnêtes et môme chez les fous, chez lesquels le tatouage est une très rare exception, comme nous l'ont démontré Severi et Christian. Mais on nous objectera que ceci n'est pas de la psychologie et que c'est seulement avec elle qu'on peut tracer le portrait de l'homme criminel. Je pourrais bien répondre que ces tatouages sont de véritables phénomènes psychologiques ; j'ajouterai que M. Ferri, dans les préliminaires de son ouvrage sur les homicides, nous a donné, avec une vraie psychologie statistique, l'analyse de tous les penchants criminels et de leur contenance avant et après le crime. Parmi les criminels-nés, par exemple, 42 p. 100 nient toujours le crime, tandis que parmi les criminels d'occasion les auteurs de blessures surtout, 21 p. 100 seulement nient tout : des premiers 1 p. 100, des seconds 2 p. 100 avouent en pleurant, etc. CHAPITRE III GÉNÉRALITÉS. — PATHOLOGIE DE L'HOMME CRIMINEL Les criminels d'occasion (1) ou criminahïdes mlont montré (comme on dirait dans le langage bactériologique) atténués, mais pourtant bien visibles, encore, les caractères des criminels-nés. La sensibilité y est moins obtuse, les réflexes moins irréguliers, les anomalies moins fréquentes, surtout dans le crâne ; mais ils ont, toutefois, quelques caractères anormaux, comme les cheveux plus noirs chez les voleurs domestiques, la gaucherie plus fréquente chez les escrocs ; chez tous on trouve une grande impulsivité, et, ce qu'on attendait le moins, une plus grande précocité. Ils présentent aussi plus de récidives. Il suffirait de citer les filous et les coupeurs de bourse qui sont les plus jeunes, les plus récidivistes et pourtant les moins entachés de caractères dégénératifs et héréditaires, de tous les criminels. Lé délinquant-né, aussi bien que le délinquant (1) Voir : L'uomo delinquente, II* vol., 3* édit., 1889. GÉNÉRALITÉS. PATHOLOGIE DE L'ffOMME CRIMINEL 03 d'habitude, différerait, selon Ferri, du délinquant d'occasion, parce que le premier est poussé au crime par une force intérieure, acquise ou innée, d'où lui vient l'étrange plaisir qu'il goûte à mal faire ; tandis que le dernier, quand une force extérieure le pousse, n'est pas retenu dans l'honnêteté par une répugnance suffisante. Toutefois, selon moi, ce n'est que question de degrés. De môme qu'au-dessus du crétin, il y a les demi-crélins, les crétineux, il y a le criminaloïde au-dessus du criminel-né ; c'est un homme qui ne se laisse entraîner au crime que dans les grandes occasions. Le malheur est que l'occasion est toujours le point de départ d'une habitude : et le ' défaut de répugnance conduit, par la répétition des mômes actes, à y trouver une jouissance de plus en plus vive. On se demande, en effet, pourquoi tous les hommes qui reçoivent une offense ne réagissent pas en tuant l'offenseur ? Pourquoi tous ceux qui se savent trahis par leur femme ne la tuent pas ? L'occasion ne fait pas le larron, elle le révèle, a dit très bien M. Garofalo {Criminologie, 2" édition, 1890). L'occasion n'agit que par sa rencontre avec une disposition interne du sujet, disposition produite soit par l'hérédité, soit par l'éducation, soit plutôt par une combinaison des deux, mais, en tout cas, par une action directe ou indirecte du milieu social dans lequel les ancêtres de l'individu ont été baignés comme lui-même toute leur vie. 04 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Eyraud me semble un des exemples des crimïnaloïdes devenu avec le temps le criminel d'habitude, le criminel professionnel. Fig. 4. — Eyraud. La physionomie d'Eyraud ne correspond en rien à sa mauvaise renommée. Ce n'est pas qu'il lui manque quelque caractère dégénératif : l'oreille longue, 6e"1,1, est écartée; la bosse frontale gauche est très développée* avec GÉNÉRALITÉS. PATHOLOGIE DE L'HOMME CRIMINEL 95 une vraie asymétrie; autour des yeux, petits, circulent des rides anormales ; les lèvres et les mâchoires sont très développées, comme on les voit fréquemment parmi les débauchés. Mais tous ces caractères ne sont pas très accentués ni très nombreux; il leur manque cet ensemble qui forme, pour moi, le type criminel. C'est là, en somme, une physionomie très fréquente parmi celles que l'on rencontre dans certains commerces interlopes. La craniométrie ne donne pas des résultats plus intéressants. La capacité crânienne d'Eyraud doit être égale ou supérieure à la moyenne ; son front est très développé, seulement on y observe une brachycéphalie exagérée, que l'on remarque souvent chez les meurtriers. 11 a enfin un autre caractère qui est bien plus commun chez les criminels que chez les hommes normaux. C'est la prédominance de la grande envergure (longueur des deux bras) sur la taille ;> il a lm,66 de hauteur sur une envergure de lm,72 au lieu de lm,66. De ses fonctions organiques, deux seules me sont connues : l'activité de ses sens, qui est précoce et énorme, comme on l'observe bien souvent chez les meurtriers ; et son écriture, qui correspond, dans son énergique grossièreté — le développement des t et des r, le trait vertical aigu de la signature, l'allongement des lettres — à l'écriture des criminels; elle est tout à fait semblable à la signature des brigands, des meurtriers, dont j'ai donné le fac-similé dans mon Atlas de F Homme LES PROGRÈS DE L'AWTHROPOLOCIE CRIMINELLE Criminel (PI. XXH-XXIII) et à celle du criminel par suggestion hypnotique (PI. XXX). Hormis l'envergure, l'écriture et quelques caractères physionomiques, Eyraud ne semble pas un sr-Tïpi. ^v ^^^ Fig. 5. — Fac-similé de l'écriture d'Eyraud. criminel-né. Il en est do même en ce qui concerne son côté psychologique. L'amour du mal pour le mal, qui est le vrai caractère du criminel-né, surtout dans les crimes de sang, ne put s'observer en lui, à l'époque de son enfance et de sa jeunesse. Il n'a été jusque-là GÉNÉRALITÉS. PATHOLOGIE DE L'HOMME CRIMINEL 97 que déserteur et escroc. L'enquête a établi que c'était un homme jovial, aimant à rire, mais en môme temps brusque, violent, se mettant facilement en colère, d'emportant parfois sans motif sérieux jusqu'à la fureur, aimant les femmes à l'excès, et capable de tout pour satisfaire cette passion. La femme, toujours la femme, telle a été l'unique préoccupation de l'accusé. Après le crime, en Amérique, on le rencontre dans toutes les maisons suspectes. Depuis son arrestation, Eyraud parle sans cesse de ses anciennes amours. Cela devient chez lui une idée fixe, une obsession de toutes les heures, de tous les instants. Cette folie se traduit, dans sa cellule, par des actes que les gardiens ont de la peine à empêcher. C'est pour une femme qu'il devient déserteur, c'est pour les femmes qu'il dépense l'argent qu'il avait mis dans le commerce des cuirs et dans la ) distillerie. C'est pour l'une d'elles, enfin, que, harcelé, traqué, à bout de ressources pécuniaires il devient assassin. 11 s'est épris très vite de sa complice, Gabrielle Bompard, justement parce que cette dernière, en créature pervertie jusqu'à la mpelle, avait pour lui cette affinité élective qu'on observe si souvent chez les criminels. C'est pour elle et à cause d'elle qu'il a accompli son crime, qu'il a été découvert et arrêté. L'instruction ne nous a-t-elle pas révélé que, lors de sa fuite en Amérique, Eyraud avait tenté de tuer une femme qui ne voulait pas abandonner le domicile conjugal ? LOHDROSO. — Anlhr. crim. 6 08 LES PROCHES DE ^ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Ce qui rapproche Eyraud du criminel-né, c'est] sa légèreté. Il passe avec une extraordinaire rapidité d'une idée gaie à une idée triste; même incohérence] dans sa conversation. En • lui donnant un bon cigare, on calme immédiatement son chagrin, j Son intelligence est très développée : il parle l'italien, l'anglais, le portugais; il réussit d'abord dans toutes ses entreprises ; mais jamais il ne peut se fixer dans aucune. Commerçant, il ne fait que gaspiller ses ressources. Même dans l'accomplissement du crime, quoique la préméditation soit manifeste, la légèreté reparaît. Pour qui a suivi toutes les circonstances de l'assassinat et de sa préparation, on remarque une grande incohérence qui a frappé les magistrats instructeurs. Eyraud a commis des imprudences inexplicables, naïves; à Lyon étant seul en voiture avec Gabricllc Borapard, et portant le cadavre de Gouiïé, il errait comme un fou ; il a jeté le corps dans un endroit où passent des quantités de gens. Un concours de circonstances a fait croire que l'assassin était un criminel très habile. 11 n'en est rien. Du criminel-né il a L'insensibilité morale, celte indifférence pour la vie des hommes, cette froide cruauté dans le crime que, certainement, il rêvait de renouveler en Amérique contre M. Garanger. En somme, on peut dire qu'il y a là un escroc, et surtout un débauché, un criminaloïde devenu GÉNÉJïALlTÉS. PATHOLOGIE DE L'HOMME CrtlMINEL 09 criminel d'habitude, entraîné qu'il fût par la préoccupation constante de la femme. Sans Gabriclle Fig. 6. — Gabriclle Bompard. Bompard, je suis absolument persuadé que Michel Eyraud n'aurait été qu'un simple escroc. On voit par là que les caractères physionoïniques de l'accusé sont parallèles à ses côtés psychologiques. Il 100 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE L'absence de toute hérédité morbide chez Eyraud me confirme dans mon opinion, qui ne peut, toutefois, avoir une base de certitude absolue, attendu que le côté des examens fonctionnels chez l'accusé a fait défaut. Au contraire Gabrielle Bompard présente selon les photographies que j'ai sous les yeux et selon la magnifique expertise de Brouardel, de Ballet et de Motet (1), tous les caractères des criminels-nés, quoique dans la femme ils soient aussi exceptionnels. La taille est de 4m,46; le développement des hanches et des seins est rudimentaire ; — l'indice céphalique est 81. Elle a les cheveux touffus, des rides anormales, précoces, une pâleur livide du visage, le lobule de l'oreille trop développé, le nez court et retroussé, la mâchoire très volumineuse pour une femme ; elle a surtout l'asymétrie du visage, et l'eurignatisme mongolien. Ajoutez-y l'hyperestésie hystérique au brygma, aux points ovariques, l'aneslhésie du bras gauche, l'obtusité visuelle, olfactive, auditive à gauche, le rétrécissement du champ visuel : la haine pour le père, l'indifférence, l'apathie cynique qui lui fait dire : « La fameuse malle : je ne savais pas qu'on y mettrait un huissier. » Il y en a plus qu'il ne faut pour lui trouver le type criminel. Tout le prestige de sa beauté, d'ailleurs trop vantée, vient de la mauvaise auréole que lui donne le vice précoce. Elle a été d'une précocité (menstruation à 8 ans) (1) Archives d'Anthropologie criminelle, 1891, Lyon. GÉNÉRALITÉS. PATHOLOGIE DE L'HOMME CRIMINEL 101 et d'une ardeur dans la débauche très grandes. Or ce caractère, se rattache très facilement au goût sanguinaire, meurtrier. Elle a dû se prêter de bonne grâce à l'idée d'un meurtre. N'est-ce pas elle qui a confectionné le sac fatal bien des jours avant le crime? N'est-ce pas elle qui a attiré la victime et n'a-l-elle pas aidé matériellement à la perpétration du meurtre ? Après le crime, elle a dormi froidement dans la même chambre, à côté du cadavre de la victime (ce que j'ai observé souvent chez bien des criminels-nés, dans mon Homme criminel). Je ne crois pas qu'elle ait agi par suggestion hypnotique ; la personnalité criminelle n'est acceptée, en tout cas, que par des gens prédisposés au crime. Une de mes malades, hystérique, d'une moralité plus que douteuse, obéissait très vivement quand on lui suggérait d'être un filou, un souteneur, mais elle se révoltait quand on lui ordonnait d'être un savant ou un moraliste (1). Le brusque changement survenu dans la conduite de Gabrlelle Bompard est aisément explicable. De complice elle est devenue accusatrice. Pourquoi? C'est d'abord un trait, une habitude que l'on remarque chez les criminels associés, de s'accuser d'abord, puis d'essayer d'atténuer leur crime en prétendant qu'ils ont subi la domination des complices. Et puis, celte malheureuse, en vraie femme (1) Studi suW ipnotismo, 1889, 2* édition. 0. LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE qu'elle est, doublée des habitudes des criminels, ne peut pas étouffer en elle-même la vanité du crime ; elle a besoin d'en parler, de s'en épancher auprès d'un tiers, (put en jouant la comédie de la femme vertueuse. Pour compléter son rôle, dans cette comédie, elle pousse ce tiers à aller dénoncer son complice ; ne comprenant pas tout d'abord, grâce à l'imprévoyance qu'ont tous les criminels-nés, le péril auquel elle s'expose. A cela s'ajoute la conviction complète que les natures de ce genre acquièrent de leurs propres mensonges. La source de tous ces penchants remonte, du reste, à l'hérédité. Dans la ligne paternelle elle a un oncle avec des bizarreries de caractère ; dans la ligne maternelle, elle avait aussi un oncle atteint d'aliénation mentale au moment de son décès. La mère de l'inculpée est morte, il y a treize ans, à l'âge de trente-cinq ans, à la suite d'une maladie aiguë du poumon; c'était une femme d'une santé assez délicate, un peu apathique. Gabrielle Bompard, au dire de son père, aurait eu des convulsions dans l'enfance (Brouardel), ce qui donne le soupçon d'une ancienne méningite infantile. Tout enfant, elle était d'un caractère difficile. On dit d'elle « qu'elle était vicieuse, menteuse, ne pensant qu'aux hommes, et à la toilette » (Brouardel). Elle dit à-son père : Je préférerais de beaucoup aller au bagne plutôt que de repriser une chemise, ce qui s'accorde avec la paresse et l'horreur du travail du criminel-né. — Elle ne voulait pas se GÉNÉRALITÉS. PATHOLOGIE DE L'HOMME CRIMINEL 103 marier, car, disait-elle encore à son père, un homme seul ne lui aurait pas suffi. Elle distinguait, disait celui-ci, le bien du mal ; mais elle ne pouvait maîtriser ses impulsions mauvaises. A douze ans, son père ne put la garder chez lui ; il la plaça dans un couvent à Nancy, et après à Ypres, à Fourmies. Elle y resta un an. Mais la supérieure invita son père à la reprendre « à cause de sa mauvaise conduite, et des propos qu'elle tenait contre les nonnes, les confesseurs, etc. ». On l'a dit alors aussi dépravée qu'une femme vicieuse à 40 ans. Sortie du couvent de Fourmies, elle fut placée à Lille (1883), chez une institutrice qui ne la garda pas. De là elle passa dans l'institution tenue par des sœurs, àMarf. Il fallut encore la retirer (deuxième semestre 1883) ; et personne ne voulant plus d'elle, son père dut la conduire au couvent du Bon Pasteur d'Arras. — Voilà la vraie criminelle-née. Le criminel latent (1), honnête par accident, ou en apparence, est le contre-pied du criminel d'occasion. Les politiciens y sont très nombreux. Assez souvent c'est la politique, la lutte sociale, comme parfois la religion, qui sert de soupape de sûreté et encore plus de verni aux tendances criminelles, grâce au misonéisme moindre qui rend le criminel plus disposé que l'honnête homme à accueillir les nouveautés (p. 133). On s'explique (l)Lombioso Uomo délinquante, II* vol., 18S9. Je copie dajis ce résumé, la belle revue critique de Tarde. (H. Philosophique, 1889, n° 11.) 1UI LES PROGRÉS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE ainsi pourquoi des hommes qui présentent « le type criminel très caractérisé et des anomalies névropathiques très marquées », non seulement n'ont commis aucun délit de droit commun, « mais encore sont dévoués avec une abnégation extraordinaire aux fonctions politiques ». On s'explique aussi bien en vertu de quelle affinité profonde les détenus politiques se sentent souvent attirés dans les prisons, comme l'a observé l'un deux, vers les détenus ordinaires. Du reste il leur arrive souvent de franchir le Rubicon du délit vulgaire. Dans l'histoire des révolutions françaises, des troubles irlandais, des anciennes émeutes de Florence, bien nombreux sont les. hommes d'Etat qui ont été voleurs, assassins ; et longue en est la liste (Tarde). Dans l'état de vraie oligarchie avocatesque où se trouvent les sociétés européennes, la dénonciation de leurs méfaits tournerait au détrirnenl de l'accusateur. Moi-môme, je pourrais citer quelques complices ou chefs notoirement connus de certaines camorres, et notamment un collègue qui m'a volé, enfant, jeune homme, homme mûr, et qui a tous les caractères du criminel-né, tout en restant très honoré. MATTOÏDES. — Non seulement il y a des folies spécialement adaptées -à chaque espèce de délit, mais encore parmi les folies d'autre nature, il n'y en a pas une qui ne paie son tribut criminel plus ou moins considérable. Au nombre de celles-ci, le mattoïdisme mérite une place à part. Gombi- GÉNÉRALITÉS. PATHOLOGIE DR L'HOMME CRIMINEL 105 n ai son d'imbécillité et de mégalomanie, il consiste en une bouffissure extravagante d'orgueil et d'ambition, dans une tête faible. Le matlolde est le produit d'une civilisation hâtive et factice. 11 change souvent de métier, comme, d'ailleurs, la plupart des délinquants. II est processif polémiste enragé, tourmenté d'idées fixes enrichies de développements contradictoires. Il a presque toujours la physionomie et le crâne normaux ; il prédomine constamment chez les hommes ; je ne trouve dans toute l'Europe qu'un seul exemple féminin, M"0 Louise Michel ; il apparaît surtout dans les grandes villes, douloureusement fatiguées par la civilisation. Il conserve souvent les affections de famille', et même un amour de l'humanité en général, qui va jusqu'à l'altruisme exagéré, quoiqu'il entre dans leur altruisme une forte dose de vanité. Les mattoldes ont la conviction exagérée de leur mérite personnel, ue leur propre importance, avec ce trait spécial que cette opinion apparaît plus dans leurs écrits que dans les actes de leur vie et dans leur langage, si bien qu'ils ne témoignent point d'irritation à l'égard de la contradiction et des tristesses de la vie pratique. Dans leurs écrits, on trouve la recherche de l'absurde, la contradiction continuelle, la prolixité, et une tendance qui l'emporte sur toutes les autres, la vanité. Dans tous on constate plutôt le manque que l'exubérance d'inspiration. Démoralisés par hypertrophie du moi, ils partagent avec le génie l'apli- 106 LÉS PROGRÈS" DÏTANTHROPOLOGIE CRIMINELLE tude à s'affranchir de la tradition et de la coutume, du misonéisme populaire. Aussi peuvent-ils jouer un certain rôle politique. Beaucoup de régicides et de présidenticides ont été mattoïdes; beaucoup de chefs de parti pareillement. Eux aussi ont puisé bien souvent leur délictuosité à la grande source épilcplique. Gui' teau, par exemple, en luant le président Garfield, semble avoir cédé à une crise épilcptolde dont ce meurtre a été le dénouement. — Mais n'oublions pas qu'il y a aussi de bons mattoïdes, par exemple Don Quichotte. HAPITRE IV TIQUES ET LES CRI Le problème le plus important, résolu seulement à moitié, au Congrès de Rome, celui de la concomitance de l'épilepsie avec la criminalité congénitale, a été maintenant complété parles études de Verga, Pinèro, Brunali, Marro, Gonzales, Tonnino, Lucas et par les miennes. La série des cas d'épilepsie larvée avec conscience presque complète, s'est complétée par les études généalogiques des familles épileptiques, par leur filiation (Marro) de criminels, de phtisiques et de parents vieux (Marro). 11 faut aussi y ajouter les nouvelles études de Venturi sur la folie transitoire (1888), de KrafftEbing sur les psychopathies sexuelles, que nous avons prouvées se rapprocher bien des fois, par leur intermittence, de l'amnésie des épileptiques (d). La ressemblance des criminels avec les épileptiques se trouve aussi dans le retard de la calvitie (1) Uomo délinquante, tome II, 1890. m\$ 108 LES PROGRÈS DE dftlTIinOPOLOGIE CRIMINELLE et de la canitie, et dans les analogies de l'échange moléculaire ; elle se complète par la statistique qui nous montre, selon Alongi 14 p. 40b, selon Marro 12 p. 100 et selon Ross jusqu'à 38 p. 100 d'épilepsie convulsive chez les criminels. J'ai trouvé chez tous les deux la tendance au vagabondage, l'obscénité, la paresse, la vanité du délit, la graphomanie, l'argot, le tatouage, la dissimulation, l'absence de caractère, l'irritabilité instantanée, la mégalomanie, l'intermittence dans les sentiments et dans l'intelligence, la lâcheté ; même retard dans l'équation personnelle relativement aux gens normalement constitués. Même vanité. Même penchant à se contredire et à tout exagérer. Même irritabilité morbide, caractère mauvais, lunatique et soupçonneux. J'ai moi-même et avec mon collègue Frigerio observé que les jours d'orage, où les accès des épileptiques deviennent plus fréquents, les hôtes des prisons deviennent plus dangereux, déchirent leurs vêtements, brisent leur mobilier, frappent leurs surveillants. Dans certains cas, il y a chez 'les fous moraux et chez les coupables-nés une sorte à'aura qui précède le délit et le fait pressentir ; il y avait, par exemple, un jeune homme dont la famille s'apercevait qu'il méditait un vol quand il portait continuellement la main au nez, habitude qui finit par le lui déformer. Quant à l'éclipsé de mémoire après l'accès délictueux,, elle a été observée par Bianchi sur quatre fous moraux, et l'on sait aussi que les-enfants, ces criminels temporaires, ont l'oubli facile de leurs méfaits. LES ÉPILEPTtQUES Et LES CRIMINELS 109 Dernièrement Agostini vient de combler la seule lacune qui, peut-être, pouvait faire douter de celte analogie I Agostini (1) a examiné la sensibilité chez 30 épîlcptiques avant et après l'accès. Le nombre de ses observations monte à 103. Il en conclut : que la sensibilité générale est moindre dans les épileptiques que dans l'homme sain ; elle présente chez eux des phénomènes de latéralité, qui sont en rapport avec la plagiocéphalie et avec l'augmentation d'excitation dans un des hémisphères ; cette différence augmente après les convulsions. Les réflexes cutanés sont plus faibles, mais après l'accès ils deviennent plus vifs que dans les individus sains. La sensibilité du goût, du tact, de l'odorat, est toujours amoindrie, de môme que la sensibilité électrique. Au contraire l'acuité visuelle et le sens chromatique sont presque normaux, sauf le rétrécissement du champ visuel après l'accès. Tout cela est semblable à ce qu'on observe dans les fous moraux et dans les criminels-nés. Mais le rôle de l'épilepsie s'étend bien loin, chez les alcooliques, chez les hystériques, chez les psychopathes sexuels, -chez les fous : il suffît de (1) Sur les variations de la sensibilité générale chef tet épi' lepliques. Florence. 1889. v LOMiinoso. — Anllo: crim. 1 110 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE lire tout ce qu'autrefois on disait des monomanes homicides pour y retrouver les caractères de l'épilepsie psychique. Son rôle va plus loin encore, jusqu'à nous donner, peut-être, la clef du mystère du génie — ce qui nous sera bien utile pour éclaircir les cas des criminels de génie, et les intermittences géniales de bien des fous moraux et des coupables. Aujourd'hui (1), en effet, d'après les études entièrement concordantes des cliniciens et des expérimentateurs, l'épilepsie se résout en une irritation i localisée de l'écorce cérébrale, se manisfestant N avec des accès tantôt instantanés, tantôt prolongés, K mais toujours intermittents et reposant toujours I sur un fond dégénératif, soit héréditaire, soit prédisposé à l'irritation par l'alcool ou par des lésions crâniennes, etc. — Nous entrevoyons alors une autre conclusion que j'ai essayé de prouver dans mon Homme de Génie : c'est que la création géniale puisse être une forme de psychose dégé-nérative appartenant à la famille des épilepsies. Ce qui le prouverait, c'est que l'homme de génie dérive fréquemment d'alcooliques, de vieillards, d'aliénés (2) ; c'est l'apparition du génie à la suite de lésions à la tête ; ou avec de fréquentes anomalies, spécialement l'asymétrie crânienne ou le crâne de capacité tantôt trop grande et tantôt trop faible ; c'est la fréquence de la folie morale (1) Voir mon Homme de Génie, 1888. (2) Voir VHomme criminel lS88,ct\'Homme de Génie, p.10, 16,187,191,196. LES ÉPILEPTIQUES ET LES CMMIMELS 111 chez le génie, à laquelle s'ajoutent aussi souvent les hallucinations, la précocité vénérienne et intellectuelle, et non rarement le somnambulisme; la fréquence du suicide qui est, d'autre part, très commun chez les épileptiques (d), l'intermittence et surtout les amnésies et les analgésies, la tendance fréquente au vagabondage, la religiosité qui se manifeste jusque chez les athées comme chez Comte, les étranges terreurs dont souvent (W. Scott, Byron, Haller) ils sont saisis, la double personnalité, la multiplicité des délires simultanés, si commune chez les épileptiques (2) et que nous avons vue être presque constante chez eux; la fréquence des délires, même produits par des causes minimes, et le même misonéisme, le même rapport avec la criminalité, dont le trait d'union se trouve dans la folie morale. Ajoutez-y l'origine et la descendance de criminels et d'imbéciles (3) qu'on trouve constamment dans les familles ayant des génies ou des épileptiques, et qui peuvent être constatées dans les tableaux sites des familles des Césars et de Charles V (4); la passion étrange pour les bêtes que j'ai trouvée (1) Voir l'Homme criminel, p. 601. (2) Encéphale, n" 5, 1887. (3) Voir les tableaux dans Dejerine. ouvr. cité. (4) Homme Criminel, p. 599. — Mahomet avait une prédilection étrange pour son singe ; Richelieu pour son écureuil ; Crebillon, JHeïvétius, lientham, Erskine pour las chats : ce dernier aussi pour une sangsue ! 1 Schopenhauer pour les chiens qu'il a nommés ses héritiers. Byron avait une vraie ménagerie _ avec 10 chevaux, 8 chiens, 3 singes, 5 chats, 5 paons, Il aigle, 1 ours; Alfieri pour ses chevaux. (Smiles, ouvr. cité.) 112 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE aussi souvent chez les dégénérés, et surtout chez les épileptiques. Les distractions célèbres des grands hommes ne sont très souvent, écrit Tonnini, que de simples absences épileptiques (1). Mais ce qui le prouve plus encore, c'est celte insensibilité affective, cette perte de sens moral qui est générale chez tous les génies aliénés et non aliénés, et qui fait de nos grands conquérants des brigands sur une large échelle (2). De telles conclusions pourraient sembler étranges à ceux qui ne savent point combien est étendu le domaine de l'épilepsie ; aujourd'hui, on sait que des hémicranies, des scialorrées intermittentes et de simples amnésies doivent être rattachées à l'épilepsie ; de très nombreuses formes monomaniaques ne sont pas des épilepsies larvées, puisque leur apparition, comme l'a montré Savage, fait souvent disparaître toute trace de l'épilepsie préexistente. Il suffirait de rappeler ici la foule des hommes de génie de premier ordre qui ont été saisis d'épilepsie motrice, ou de ce vertige, ou de cette rage morbide qui n'en sont qu'une variante, qu'un équivalent ; ces hommes sont : Napoléon, Molière, Jules César, Pétrarque, Pierre le Grand, Mahomet, Haendel, Swift, Richelieu, Charles V, Flaubert, Dostojewski, Suenvazy et saint Paul (3). (1) Les Épilepsies, p. 19. Turin, 1886. (2) Homme de génie, p. 53, 54. — Newton, Darwin, Swift, W. Scott, étaient atteints de vertiges (Smiles. Ouvr. cité). (3) Voir Homme criminel, partie III, p. 623. LES ÉPILEPTIQUES ET LES CRIMINELS 1>3 Maintenant, pour qui connaît la loi binaire ou sérielle do la statistique, suivant laquelle il ne sel produit aucun phénomène qui ne soit l'expression/ d'une série nombreuse de faits analogues, mais» distincts, une telle fréquence de l'épilepsie chez des hommes — grands parmi les grands — doit nous en faire soupçonner la diffusion bien plus vaste parmi tous les autres hommes de génie, qu'on ne le croirait tout d'abord, et nous aider à saisir la conception de la nature épileplique du génie. A cet égard, il est important de remarquer aussi comment, chez ces grands hommes malades, la forme convulsive de l'épilepsie est apparue très rarement ; or on sait que les épileptiques, dont la convulsion est plus rare, présentent l'équivalent psychique qui est ici la création géniale plus fréquente et plus intense. Mais le parallélisme du génie avec l'épilepsie nous est prouvé surtout par l'analogie de l'accès épileptique avec le moment de l'inspiration, par cette inconscience active et puissante qui crée, dans l'un et produit des convulsions dans les autres. Et ce qui complète la démonstration, c'est l'analyse de l'inspiration créatrice qui, même aux yeux de ceux qui ignoraient les récentes découvertes sur la nature de l'épilepsie, la leur manifeste (1) ; non seulement elle s'associe fréquem(1)11 y aune fatalité (écrit de Concourt) dans le premier hasard qui vous dicte l'idée. Puis c'est une force inconnue, uns volonté supérieure, une sorte du nécessité d'écrire qui vous commandent l'œuvre et vous mènent la plume ; si bien que quelquefois le livre qui vous sort des mains, ne vous semble pas sorti de vous-même ; il vous étonne comme quelque chose qui était en 114 LES PROGRÈS DE L* ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE ment à l'insensibilité dolorifîque, non seulement il y a l'irrégularité du pouls, l'inconscience souvent somnambulique de l'instantanéité, de l'intermittence, mais encore elle s'accompagne de mouvements convulsifs, elle est suivie souvent d'amnésie, elle est souvent provoquée par des substances, ou par des conditions qui produisent ou augmentent l'hyperémie cérébrale, ou par des sensations puissantes, et enfin elle peut se transformer en hallucinations ou leur succéder. Celte ressemblance de l'inspiration avec l'accès épileplique nous est corroborée par une preuve plus directe, plus intime, les confessions mêmes des grands épileptiques, qui nous montrent comment l'un se confond complètement avec l'autre. Telles sont les confessions de Goncourt, de Buffon, et surtout de Mahomet et de Dostojewski. « Il y a des moments, écrit ce dernier, et cela ne dure que cinq ou six secondes de suite, où vous sentez soudain la présence de l'harmonie éternelle. Ce phénomène n'est ni terrestre, ni céleste, mais c'est quelque chose que l'bomme, sous son enveloppe terrestre, ne peut supporter. Il faut se transformer physiquement ou mourir. C'est un sentiment clair et indiscutable... Le plus terrible, c'est 1'efirayante netteté avec laquelle il vous et dont TOUS n'aviez pas conscience. C'est l'impression que j'éprouve devant Sœur PhUomène. • Journal des Goncourt. Paris, 1888. liulfon même qui avait dit : que l'invention dépend de la\ i patience ajoute : il faut regarder longtemps son sujet : alors il i se déroule et se développe peu a peu : voue tentes un petit F coup d'éli'driciié qui vous frappe à la tôle, et en même temps [ vous saisit le coeur ; voilà le moment du génie. I LES ÉPILEPTIQUES ET LES CRIMINELS 115 s'accuse, et la joie dont il vous remplit. Si cet état dure plus de cinq; secondes, l'âme ne peut y résister et doit disparaître. » « Au milieu de l'abattement, du marasme mental, de l'anxiété qu'éprouvait le malade, il y avait des moments où son cerveau s'enflammait tout à coup, pour ainsi dire, et où toutes ses forces vitales atteignaient subitement un degré prodigieux d'intensité. La sensation de la vie, de l'existence consciente, était presque décuplée dans ces instants rapides comme l'éclair. » (Dostojewski, Bési.) Zola, dans les Romanciers naturalistes, nous donne cette confession de Balzac : « L'artiste opère sous l'empire de certaines circonstances, dont la réunion est un mystère. Il ne s'appartient pas, il est le jouet d'une force éminemment capricieuse : tel jour pour un empire il ne toucherait pas son pinceau, il n'écrirait pas une ligne. « Un soir, au milieu de la sève, un matin en se levant, ou au sein d'une joyeuse orgie, il arrive qu'un charbon ardent touche ce crâne, ces mains, cette langue tout à coup ; un mot réveille les idées, elles naissent, grandissent, fermentent. Tel est l'artiste, humble instrument d'une volonté despotique, il obéit à un mailre. » C'est sans doute à cette môme seconde que faisait allusion l'épileptique Mahomet quand il disait « qu'il visitait toutes les demeures d'Allah en\ moins de temps qu'il n'en fallait à sa crue/ta d'eau pour se vider (1) ». (1) Th. Dostojewski. L'Idiot. Paris. 116 LES PROGRÉS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Rapprochons, maintenant, cette description de l'accès qu'on pourrait appeler psycho-épileptique, et qui correspond exactement à l'idée physiologique de l'épilepsie (irritation corticale) avec toutes les descriptions que les auteurs eux-mêmes nous ont données de l'inspiration géniale, et nous verrons combien est parfaite la correspondance qui existe entre ces deux phénomènes. Ajoutons que, pour certains d'entre eux, ce n'est pas seulement quelque rare paroxysme, mais l'existence entière qui rappelle la symptomatologie psychique de l'épileptique. — Bourget observe que « pour les Goncourt, la vie se réduit à une série d'attaques d'épilepsie entre deux néants ». {Nouveaux essais de psychologie, 1888, p. 179.) Et les Goncourt ont fait toujours de l'autobiographie. — Mais il suffira pour tous, de jeter un coup d'œil sur le tableau que nous trace Taine, du plus grand des conquérants modernes, et sur le portrait que nous donne Renan du plus grand des apôtres. Toutes ces analogies nous expliquent comment on peut trouver une grande intelligence chez les criminels-nés, qui sont pourtant des imbéciles moraux, des idiots du sentiment. III Passons aux délinquants per impeto, c'est-àdire par éclat de passion, par coup de foudre. Leur proportion est très mince, 5 à 6 p. 100. Ils sont très jeunes, de dix-huit à vingt-cinq LES EPILEPTIQHES ET LES CRIMINELS 117 ans ; plus nombreux parmi les femmes que dans notre sexe ; très honnêtes au fond, très sensibles. Leur repentir après le crime va jusqu'au suicide. Beaucoup de délinquants politiques et de mères ; nfanticides peuvent être rangés dans cette catégorie. Us n'en sont pas moins eux-mêmes souvent des épileptiques dissimulés. Tel était ce jeune homme qui, pour se venger des refus de sa maltresse, l'attendit, la tua en plein jour au milieu de ses amies, puis se jeta sur son cadavre qu'il couvrit de baisers et dont il fut impossible, pendant des heures, de le détacher (1). L'instantanéité, l'inconscience dans l'acte incriminé, l'éréthisme, la sensibilité exagérée dont ces gens sont dotés absolument comme quelques épileptiques, sont les anneaux qui renouent les deux phénomènes. Mais pour mieux saisir celte analogie, il faut se souvenir d'une belle découverte qu'on doit au Dr Ch. Féré. M. Ch. Féré (2) avait déjà constaté que, chez les épileptiques, pendant l'aura, la pression artérielle (mesurée à l'aide du sphygmographe de M. Bloch) augmentait de 200 à 300 grammes. Cette pression forte se maintient pendant la période convulsive, puis tombe au-dessous de la normale, quand l'accès est terminé, et peut rester alors, pendant plusieurs jours, de 300 à 1) Arehivio di Psichialria, 1888. (2) Hevue scientifique, 1889. n 118 LES PROGRÈS DE «.'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE 400 grammes inférieure à la normale. Dans le simple vertige épileptiquc, les mômes modifications s'observent, mais elles sont moins durables. Suivant ces indications, M. Féré était arrivé, en diminuant la pression sanguine par une application de la ventouse de Junod ou par des bains sinapisés, à suspendre les attaques, chez des épileptiques, dans le cours d'accès sériels, et il lirait des résultats ainsi observés la conclusion, que l'augmentation de pression parait être une Ides conditions physiologiques de la production [des paroxysmes épileptiques sous toutes leurs formes. Or les rapports qui existent entre les paroxysmes épileptiques et l'augmentation de la pression artérielle expliquent comment les efforts violents, les émotions vives peuvent jouer un rôle important comme cause déterminante des accès. En effet, il existe, dans ces conditions, une augmentation de pression bien connue quand il s'agit de l'effort, que M. Féré, dans des recherches récentes, a également constatée et étudiée dans certaines émotions. D'une part, lors de ces mouvements de colère auxquels sont sujets les épileptiques à propos de la moindre provocation, • cet observateur a pu enregistrer une augmentation de pression qui peut atteindre les chiffres trouvés au début de l'accès proprement dit, ce qui justifie le rapprochement qui a été fait entre la colère et les paroxysmes psychiques chez les épileptiques ; mais il a constaté, d'autre part, que celte modi- LES ÊPILEPTIQUES ET LES CRIMINELS ' 119 fication de la tension artérielle se retrouve dans J la colère simple, chez tous les individus. Ayant eu l'occasion entre autres, d'examiner un cocher à la fin d'une querelle, M. Féré a'trouvé-que cet homme marquait une pression de 1,100 grammes. Il n'avait plus que 800 grammes une heure j après. Ces chiffres montrent que, sous l'influence de la colère, la pression artérielle peut augmenter d'un quart. On peut comprendre ainsi le rôle de •cette émotion et des émotions analogues dans la production des ruptures des vaisseaux ou du cœur, lorsqu'il existe préalablement des altéra-* tions de structure de ces organes. Ces observations, qui mettent en évidence la similitude des phénomènes physiologiques qui accompagnent les décharges émotionnelles et les décharges convulsives, prouvent, en toute rigueur, qu'il n'y a pas de distinction fondamentale â établir entre ces deux manières d'être ; ce que prouve Venturi (1) par ses études sur ce qu'il appelle le tempérament épileptique, outrancier, excessif en tout ; on voit alors qu'aux mouvements peu violents, à la rougeur, aux larmes, aux jugements des personnes en état normal, correspondent les convulsions, les hallucinations la fureur, la congestion, le délire de l'épileptique C'est question de degrés. ' On ne doit pas oublier non plus qu'il y a une I forme d'épilepsie sans convulsion, consistant en ! 1(1) Archivio di Psichialria, 1889. 120 LES PROGRÈS DE L'ANTIFROPOLOGIE CK1MINE vertige?. Cette dernière, la plus profondément perturbatrice, d'après Esguirol, s'accompagne, plus fréquemment que' l'autre, de tendances vénériennes, homicides, frauduleuses, incendiaires, chez des gens réputés honnêtes avant qu'ils fussent malades.' Toutes les fois qu'on observe/ chez les jeunes délinquants surtout, une certaine périodicité intermittente, des impulsions délictueuses, il y a lieu de soupçonner leur nature épileptique. D'après Trousseau, quand un individu, sans motifs, commet un homicide, on peut affirmer qu'il a agi sons l'influence de l'épilepsie. TV Sergi, dans une de ses dernières publications : Les dé générations humaines (1), place les criminels au nombre des dégénérés ; il va même jusqu'à affirmer qu'ils sont la synthèse de toute dégénération ; des formes les moins nettes jusqu'aux plus accentuées, des caractères physiques jusqu'aux caractères psychiques, la manifestation de la criminalité est multiforme et variée. De fait selon lui, il n'est pas d'anomalie, pas de maladie ou autre dégénérescence physique et mentale qui ne se retrouve chez «le criminel. Il importe cependant d'avertir le lecteur que Sergi fonde une conception de la dégénération individuelle et des causes qui la produisent, sur (1) Milan. Bibliothèque scientifique ititern., 1888. LES ÉPILEPTIQ.UES ET LES CRIMINELS 121 ■ le principe darwinien de- la survivance, ruf des facteurs essentiels de la lutte pour l'existence. Il a constaté cette survivance même parmi les faibles, qui ne périssent pas tous, ainsi qu'on | aérait tenté de le croire au premier abord ; les faibles survivant se contentent, toutefois, d'occuper une position inférieure, et sont par conséquent des êtres inférieurs en regard de ceux qui [" occupent une position normale, c'est-à-dire des forts. F" Les conditions extérieures de la dégénération se trouvent dans le milieu ambiant, tant physique que social. Parmi les causes internes, il faut mentionner tout d'abord l'hérédité. Cependant on voit toutes les causes, tant extérieures qu'intc-1 rieures, s'entre-croiser et exercer toutes ensemble une action commune, de façon que l'activité de chacune en particulier devient à peu près impossible à préciser. S'il ne s'agit pas toujours, dans les criminels, de dégénérescence physique dans le développef ment général du corps, ou de quelque maladif héréditaire ou acquise, la dégénérescence est fonctionnelle et se manifeste par des causes externes qui troublent le fonctionnement régulier des éléments vitaux. Si la dégénération n'accuse pas des conditions externes immédiates, elle accuse l'hérédité; et si ni l'une ni l'autre de ces causes ne se manifeste d'une manière apparente, d'autres conditions se rencontrent dans le milieu É , social et dans le cours de la vie individuelle, qui y influent sur la décadence du caractère psycholo- 122 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE gique, de façon à produire une décadence finale dans les conditions somaliques ; il n'est pas du reste, dans les relations sociales, de circonstance infime qui n'exerce, selon Sergi, une influence fatale sur la conduite. Mais en disant que le criminel est un dégénéré, nous n'avons fait, écrit Sergi, qu'employer une expression essentiellement générique pour l'étiologie du crime ; en disant qu'il existe des causes soit extérieures, soit intérieures, qui occasionnent la dégénération dans laquelle tombe le délinquant, nous n'avons fait que formuler une nolion générale qui peut s'appliquer également aux autres catégories de dégénérés, non criminels. Qu'il y ait ou non accompagnement de désordres mentaux chez le délinquant, le processus psychique du crime devra toujours être considéré comme morbide. Et à défaut d'autres preuves, il s'en trouverait une de grande valeur dans la transformation des processus psychiques morbides par le moyen de l'hérédité, par laquelle le crime, la folie, le suicide se trouvent intimement liés entre eux. Des criminels et des fous peuvent descendre d'individus portés au suicide; des fous peuvent donner naissance à des criminels et à des suicides ; des criminels, enfin, peuvent engendrer des suicides et des fous, souvent sans type spécifique ni de maladie mentale, ni de criminalité. Ce qui revient à dire qu'il y a transformation du caractère morbide et non annulation de l'essence morbide. LES ÉP1LEPTIQUES ET LES CRIMINELS 123 Cette forme cyclique, héréditaire, rend compte des faits et des conditions des faits sur lesquels on discute pour l'interprétation de la nature de la criminalité. Il est excessivement rare de rencontrer dans Yanamnèse d'un délinquant une hérédité morbide qui ne soit pas celle du crime, du suicide, de la folie ou de quelque affection morbide ayant de l'affinité avec celles-là, l'épilepsie, par exemple, l'idiotisme et leurs congénères. La dégénération mentale, donc, choisit dans l'hérédité des formes multiples et variées, en se Iransformant. Mais un fait singulier, c'est que cette dégénération s'associe à la dégénération physique de tous les types, à celle en particulier qui assume des formes pathologiques générales. Ces faits une fois constatés, un nouveau problème se présente. Ce processus morbide du criminel a-t-il un caractère spécifique qui serait déterminé par l'influence d'autres formes morbides? Est-il un phénomène psycho-pathologique ayant des caractères propres, phénomène qui parait parfois isolé, sans concomitance d'autres affections psychiques ou d'autres maladies congénitales ou acquises ? Ou bien est-il purement et simplement une conséquence, un effet de l'influence pathologique générale sur les fonctions psycho-cérébrales ? Voici comment il répond lui-même à sa propre demande : Il est prouvé que les aliénés n'ont pas tous des impulsions criminelles ; de môme que les individus qui se trouvent dans des conditions mor- 124 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE bides d'une nature différente ne présentent pas tous des tendances au crime. Cependant il est des criminels, qui, sans donner l'indice de maladies mentales, ont néanmoins des anomalies patholo giques, athosiques ou fonctionnelles qui suppo sent naturellement l'existence de structures vicieuses latentes. Il en conclut : 1° que chez certains individus seulement les processus mor bides déterminent un nouveau processus patho logique, qui a pour effet direct la criminalité ; 2° que ce qui peut déterminer ce processus spé cial à tendance criminelle, dérive directement de conditions cérébrale?, comme dans les maladies mentales, et indirectement d'autres conditions morbides qui influent sur les fonctions du cer veau ; 3° que chez d'autres individus, ce processus pathologique à tendance criminelle se développe en concomitance des maladies mentales propre ment dites et de l'épilepsie qui troublent les fonc tions normales du cerveau, les détériorent et y causent des déviations plus encore que les autres maladies ; 4° que ce processus pathologique du crime, comme celui des autres affections men tales, empêche la formation d'un organisme de caractère. # Ainsi le criminel paraîtrait avoir une condition pathologique spéciale, déterminée dans la plupart des cas par d'autres processus ou d'autres conditions spéciales. Cette conception se trouverait en connexité avec le fait de la transformation dans l'hérédité morbide, folie, suicide, éfilepsie, criminalité et autres manifestations diverses. LES EPILEPT1QUES ET LES CRIMINELS 125 V M. Virgilio, dans une étude faite récemment sur Passanante, le mattoïde régicide dont j'ai fait la diagnose il y a douze ans, arrive à ces conclusions fort importantes sur la nature de la criminalité (4) : 1° Les tendances criminelles se transmettant héréditairement des parents aux enfants, et des survivants aux diverses branches directes et collatérales, il y a lieu de croire que les tendances criminelles sont la révélation d'une organisation particulière ; 2° Cette organisation doit être considérée comme anormale pour autant qu'elle porte l'empreinte de toutes ces marques dégénératives qui prouvent que l'embryogénésie et le développement ultérieur de l'homme s'éloignent extrêmement de l'individu physiologique ; 3° La criminalité poussant fort souvent sur un iterrain héréditaire, plus ou moins voisin de la folie, on la voit, comme celle-ci, pulluler et s'élever fréquemment des bas-fonds d'une race criminelle ; force est donc d'admettre que l'origine des deux faits est identique et a sa source dans un caractère psychique anormal qui s'affirme tantôt par l'une tantôt par l'autre de ces manifestations. (1) Giovarni Passanante e la nalura morbota del delillo. Roma, Loeschur, 188!). T20 ils PROCHES DËI/ASTHROPOLOGIE CRIMINELLE 4° Qu'il en soit réellement ainsi, cela est prouvé doublement ; d'abord, par le fait que la folie éclate souvent au milieu d'une carrière criminelle, puis par l'apparition de tendances criminelles au cours de diverses maladies mentales qui ne portent en elles-mêmes aucune raison pathologique de se manifester par des actes criminels. 5° Etant donné l'hérédité d'origine des deux faits, leur nature intrinsèque devrait nécessairement être identique aussi. Or, la folie étant une maladie, la nature de la criminalité ne pourrait être que morbide également. VI De nouvelles études de M. Rossi nous apprennent, avec une précision mathématique (Arch. de psych., VIII), la concordance exacte des crimes de rébellion, meurtre et viol avec le degré de latitude, abstraction faite, bien entendu, des grandes villes où tant d'influences se mêlent pour entraver l'action du climat. Gctto môme influence, on peut la suivre dans les émeutes qui ne sont bien souvent que dés rébellions sur grande échelle. (Voyez le tableau de la page suivante.) Des belles éludes de Corre (Les criminels dans les pays créoles, d 889 ; Archives d'Anthropologie criminelle, 1889), il résulte que la criminalité est, dans les pays chauds, deux fois plus forte au cours de la saison fraîche que pendant la saison des chaleurs. 121 LES ÉPILEPTIQUES ET LES CRIMINELS Cet excès est, selon Corre, dû à une prédominance relative des crimes-propriétés, si l'on tient compte des incendies très nombreux ; mais DEGRÉS de latitude ESPAGXG1 "o -n ■01 M ITALIE" 1 in a -31 CES Du 30' au 37°. • 37" » 38". « 3 S» • 39». o 39» » 40". • 40" • 41* » 41" > 42°. • 42" > 43°. » 43" » 44". g 44" » 45°. • «$* • 40». t 46" n 47°. t 47° » 48». • 48" » 49°. > 49° • 50°. • 50° • 51°. » 51" » 52°. • B2° • 53°. 14 12 0 8 11 90 5 7.43 112.1 58,5 48.4 72,1° 30.781,8 29.7 30.7 42,0 30,0 37,8 30,8 32,7 1K.7 19,8 19,2 10,2 FRANCE- ii I 30,9 32,8 30,0 31,9' 28,7 20.9 14,1 9,4 8,8 5,8 3.138 1.079 1.100 834 697 910 743 513 ! ANGLETERRE' •si si £m s °* 3.922 1.021 1.419 893 019 744 710000 461 1 895 1.142 1.028 894 1.174 684 1.015 781 954 '-899 [o 1.086 1.122921 926 932 870 A3:� (1) 18S4. Proportions pour 100,000 h sibilants. — (t) 1873-1883. Proportion! pour 100,000 habitants. — (3) Gimnny, vingt-trois ans. Rapporta du nombre moyen des accusés avec la population moyenne du la même période; ces rapport! étant ensuite euxmêmes proportionnés avec leur moyenne sur l'unité de 1,000. — (4) Guaaar, seize ans. Rapport! du nombre mnyou, etc. [ut supra). — (5) Madrid. — (0) Barcelone, Saragoise. — (7) Maplcs, Rome. — (81 Paris. — (9) Londres. si, à l'exemple de plusieurs criminalistes, on met à part le crime d'incendie, attentat de nature mixte, s'adressant môme plutôt à la personne qu'à la propriété, c'est bien par une prédomi- 128 LES PROGRÈS DE L'ANTIIROPOLOGIE CRIMINELLE nance notable de la criminalité-personne que se distingue la saison fraîche. La courbe de la criminalité est surtout en.rapport avec celle des minima thermiques, le parallélisme des deux courbes est môme remarquable à ce point, qu'on retrouve dans l'une et dans l'autre, les mêmes oscillations de mars à mai, et de juin à août, répondant à des périodes de thermalilé régulière, en raison de la variation des brises et des pluies. Ici, l'on ne peut mettre en avant des influences sociologiques dérivées de l'action climatérique, servant en quelque sorte de régulatrices à la criminalité. Dans les pays intertropicaux, la somme des besoins se maintient égale, c'est-à-dire relativement assez faible, d'un bout à l'autre de l'année. Dans un milieu intertropical, à température élevée et uniforme, comme la Guadeloupe, la chaleur énerve plus qu'elle ne stimule, affadit plus,qu'elle n'excite, et c'est précisément quand elle devient, sinon plus tempérée dans sa moyenne, au moins plus heurtée, grâce à des écarts saisonniers entre ses extrêmes, que l'organisme semble renaître à une vie active ; les énergies cérébrales, en torpeur de juin à novembre, se raniment de décembre à mai, et c'est avec les fraîcheurs du premier semestre que les impulsivités se traduisent avec le plus d'éclat par le crime, chez les natures prédisposées. M. Corre, dans un autre remarquable ouvrage (Les criminels, 1888), a été frappé, en comparant LES ÉPILEPTIQUES ET LES CRIMINELS 120 les types de mon Atlas aux fous et aux dégénérés représentés par Morel et Moreau, des nombreuses analogies que les deux collections présentaient. Dans'cet ordre d'idées, il attache une grande importance a. la proportion énorme d'asymétries crâniennes ou cérébrales que lui-même et tous les observateurs ont constatées chez les criminels, comme chez les aliénés. Elle s'élève d'après ses recherches et celles du Dr Roussel, portant sur 200 sujets, à 60 p. 100 chez les meurtriers, à 63 p. 100 chez les escrocs et les banqueroutiers frauduleux, à 70 p. 100 chez les auteurs d'attentats aux mœurs. M. Gorre signale aussi l'influence homicide des excitations de la presse sur le$ cerveaux prédisposés. Pour un cas où cette influence est indéniable et manifeste, comme dans l'affaire Aubertin, il y en a mille où elle a passé inaperçue sans être moins réelle. 11 explique aussi par l'entraînement imitatif, le progrès des récidives et leur précocité croissante. « C'est à l'âge, dit-il, où l'expérience « manque encore et où le cerveau prend et con-« serve le mieux les empreintes qu'il reçoit, que* « la tendance à l'imitation existe à son plus haut « degré, et joue le plus grand rôle en criminalité. » Le rôle de l'imitation a été étudié avec une grande précision par M. Tarde, dans ses derniers travaux criminologiques (1). (1) Voir La Criminalité comparée, 1887. — Revue philosophique, 1889. — Philosophie pénale, 1850. CHAPITRE V LES CRIMINELS EN PRISON I Pour la bureaucratie des prisons, qui est toujours myope lorsqu'elle n'est pas aveugle, les prisons, les cellulaires surtout, sont de vrais troncs humains, sans mains, sans pieds, sans voix : il n'en est pas de même de leurs malheureux habitants qui sont pourvus d'organes encore plus que peut-être il ne nous conviendrait. Ainsi leur travail, leur voix et même leurs plus secrètes pensées éclatent de tous côtés, sur les murs, sur les bois de lit, sur les pots à boire, sur leur peau, et même sur le sable humide qu'ils foulent dans leur promenade (1). C'est surtout sur les livres, qu'une pitié bien entendue leur fournit avec une main trop avare, que ces sentiments se manifestent. Je me suis efforcé de ramasser ces palimpsestes criminels, dans lesquels on ne peut soupçonner (1) Voir mes Palimpsestes des prisons, Bocca, Turin, 1800, avec 8 planches. LES CRIMINELS EN PRISON 131 la simulation, si fréquente dans les entretiens officiels. Eh bien ! depuis vingt ans que j'étudie ces gens-là, je n'aurais jamais soupçonné les horreurs que j'y ai trouvées. Qu'on en juge par ces fragments choisis au hasard. Malheur à celui qui doit éprouver ces cellules ; il vaut mieux mourir» On doit tout faire pour s'écbapper, car il vaut mieux vivre dans les bois comme les sauvages ou dans les déserts. Quand tu seras interrogé par le juge d'instruction, fais le fou ; alors tu seras envoyé à l'hôpital des fous d'où tu t'échapperas. Quant à moi, je remercie le bon Dieu ; je suis plus heureux que saint Pierre ! Dans la cellule, je suis servi comme un prince. Quelle cocagne I on est mieux ici qu'à la campagne. Sur, un livre intitulé: la vie de Léonard de Vinci : Léonard fut malheureux autant que moi en amour, mais il devint un grand peintre ; — moi je suis devenu un grand voleur, j'ai acquis beaucoup de renommée en faisant enregistrer mon nom et mon beau signalement, dans les prisons, au moins quarante fois, et moi aussi j'ai eu un amour dans ma jeunesse. Que suis-je, malheureux ! — Je suis innocent et on me tient ici parce que j'ai tué un homme (sic), alors qu'au monde il y en a même trop. Celui qui se fait tuer pour la patrie est un sot Ï32 LES PROGRÉS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Satire sur la prison et curieuse réponse d'un autre détenu : Adieu, Hector; Achille te salue. — Celui qui est pauvre paie pour tous. Les prisons cellulaires sont le raffinement de la barbarie en plein xix° siècle ! Ce que dit ce détenu n'est pas vrai ; au contraire ils nous traitent trop bien, ils ont trop de- soins pour les détenus. Celui-là voudrait peut-être qu'on le laisse aller se promener sur la place du Château, ou aller jouer aux cartes et au billard, ou bien encore aller chez Mmo Gas-taldi. Ah'! imbécile, tu ne devais pas te laisser pincer entre ces murs ! Un ami de la raison et de la justice. Oh! Code pénal! comme tu punis la filouterie, tandis que le gouvernement avec sa loterie (le lotto) pratique luimême l'escroquerie. On m'a condamné à 10 ans pour tentative d'homicide sur une femme que je croyais honnête ; elle ne l'était pas et m'avait procuré six mois de prison. En sortant j'ai fait serment de la tuer et je lui ai donné deux coups de couteau. Cette misérable vit encore et je le regrette. Dès que tu sortiras, va à Marseille, rue de...., n° 9 et ensuite avec le B .....nous irons à New-York, où j'espère que, travaillant unis avec énergie, nous ferons fortune. Ma belle ne vient plus me trouver ; — quand je sortirai je lui ferai un baiser avec les dents. Quoique je n'aie que 15 ans, ma vie et mes voyages formeraient un volume. J'ai commencé à 9 ans. La première fois j'ai été condamné à un mois, la deuxième à quinze jours et la troisième à un an de prison. Espèce de testament dressé avant de se pendre 133 LES CRIMINELS EN PRISON par un détenu, voleur émerite ; il fut sauvé : J'ai toujours volé et je volerai toujours, parce que c'est mon fatal destin. Le papier sur lequel j'écris est volé, l'encrier et la plume le sont aussi; même la corde avec laquelle je vais me pendre, je l'ai volée. — Je suis plus malheureux que pervers. J'ai l'infortune de ne pas être maître de ma volonté et de subir l'influence de celle des autres; je fais également le bien et le mal selon qu'il m'est suggéré. Ah ! pourquoi donc Dieu me fait-il toujours rencontrer des personnes qui me conseillent le mal? Ayant encore une fois commis une faute dans laquelle j'avais juré de ne plus tomber, et non par ma propre volonté, mais à la suite des suggestions d'un misérable qui volait avec moi et qui a été ensuite, par parti pris, me dénoncer à la police, la certitude que j'ai de ne pouvoir vaincre le vice qui me pousse à envier et à prendre le bien d'autrui, d'avoir été parjure, sachant que je suis inutile et nuisible à la société, devant comparaître devant la cour d'assises et traîner dans la fange le nom que mon père était fier de porter, je suis las de la vie, et pour tous ces motifs et d'autres encore je suis décidé à chercher la mort le 26 mai, parce que c'est l'anniversaire de ma première arrestation. Voilà déjà quatre fois que je viens ici, toujours innocent et candide comme l'eau sale. Celte fois on m'a arrêté avec une pince-monseigneur. Eh ! pauvres voleurs, quand on les arrête on devrait les envoyer à l'auberge du Maure et non à la Prison-Neuve. Adieu, mes amis 1 Ces gens rient, et moi je soupire en vain pour la liberté. Je suis innocent et ils né veulent pas le croire. Comment Ise fait-il que le bon Dieu ne les châtie pas ? C'est donc vrai, le proverbe qui dit : « Celui qui fait le bien trouve le mal, et celui qui fait le mal trouve le bien. > — C'est raide, être innocent et être forcé de rester dans uiîe cellule à soupirer. Ne comprenez-vous pas que je suis innocent, têtes d'anes? Peut-être voulez-vous me faire crever? LOUBROSO. — Anthr.crim. 8 134 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Pourquoi ne puis-je jamais bien réussir dans mes vols ? Je suis toujours dans cette infime cellule pour avoir volé. Pauvre Quajot malheureux ! ! Ci-gît la dépouille du pauvre Tubac, qui, las de voler dans ce monde, va voler dans l'autre. — Les parents très I contents lui posent ce souvenir. Votre très affectionné chef de bande Talbot. J'ai toujours été un galant homme et j'ai déjà fait vingt ans de galères. — Je suis de nouveau en prison, et cette fois on me condamnera aux travaux forcés à vie, et tout cela pour avoir fait du bien à mon prochain. Je n'en ai assassiné que six; je les ai ôlcs du monde, car ils souffraient trop. J'ai pillé la demeure de plusieurs paysans et puis j'y ai mis le feu. Tout cela pour me gagner du pain perpétuel. Tâchez toujours de voler beaucoup, car les petits vols sont les plus punis. Faites attention, ô mes amis, si vous volez, volez beaucoup et avec précautions, de manière à ne pas être découverts. Tout le monde est bon à voler; — c'est pour bien s'en tirer qu'il ne faut pas être sol. Si Dieu nous a donné des instincts auquel nous obéissons, il y a des gens qui ont l'instinct de nous emprisonner. Ce monde, donc, est un théâtre pour nous amuser éternellement. Dès que je sortirai de la prison, je veux toujours voler, même au risque d'être toujours en prison. O voleurs I ces canailles déjuges ont ruiné votre métier. Courage quand même et en avant I . Cher ami, je t'envoie ces deux lignes pour te faire savoir que je suis en prison et, comme je suis seul, je te prie de commettre quelque délit afin de venir me trouver, car à deux le temps passe vite, et quand nous serons aux galères nous nous raconterons notre vie. LES CIUMINELS EN PRISON 135 Adieu, mes amis: faites-vous du courage. Les juges sont une bande de poltrons sans foi : ils ne savent pas ce qu'ils font et ils ne cherchent que de l'argent. L'homme fourbe et tous ses amis ne doivent plus voler mais assassiner. Les observations de M, Joly sur les lectures des prisonniers français (Archiv. dAnthrop. crim., 1888) et surtout les belles études de Gautier (Le Monde des prisons, 1889) complètent ces documents ; et nous montrent quel foyer de corruption et quelle source d'incorrigibilité sont les prisons qu'on croit la plus sûre des corrections. H Voici quelques extraits du livre de M. Gautier. « De même, écrit-il, que la gymnastique modifie non seulement le volume et la contractilité des muscles, mais aussi leur forme, leurs agencements respectifs dans certaines limites (témoin les fantastiques dislocations des clowns), voire même leur constitution chimique, de même l'incorrection du régime pénitentiaire, l'importunité d'une existence mécanisée par la discipline, la promiscuité des pires hideurs, la monotonie des sensations, la prédominance de la peur et de l'ennui, l'alimentation, l'obligation du silence, l'éclairage lui-même — qui sait? — cet éclairage blafard, ce faux jour spécial aux corridors et aux préaux des geôles, peuvent, à ce qu'il me semble influencer à la longue les visages et les prunelles, LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE comme les cerveaux et les pensées, et finalement aboutir à ces plis de bouche, à ces froncements de sourcils, à ces tics grimaçants, à ces moires du regard, à ces et range tés de gestes et d'attitudes qui nous étonnent si fort. « On acquiert, en un mot, à l'ombre des prisons et sous l'influence de la discipline pénitentiaire, l'air prisonnier, comme on acquiert ailleurs, en vertu d'une* autre genèse, l'air prêtre, dans lequel l'atavisme n'a pas grand'chose à voir. « Ce* n'est qu'à la condition d'élargir l'hypothèse qu'on réussit à comprendre comment certains détenus, qui ne sont pas cependant irrémédiablement gangrenés, en arrivent à ne plus vivre que par la prison, et à se trouver tellement dépaysés une fois qu'ils en sont sortis, qu'ils ne tardent guère à y revenir, comme le gibier blessé qui fait la randonnée. « Je ne parle pas seulement, entendez-moi bien, des monstres dont le crime, avec ses risques, est si bien la carrière, dans la plus stricte acception du mot, qu'ils l'appellent le « travail ». Je ne parle pas seulement de ceux-là, qui, soit prédisposition congénitale, soit dépravation précoce, et n'ayant d'autres ressources que le pillage, la prostitution et l'assassinat, « chourinent » et « grin-chissent » comme d'autres débitent le bois, forgent le fer, tissent le drap, piochent la terre ou noircissent du papier, et préparent un vol ou un meurtre avec le sérieux et la placidité d'un négociant en train de méditer une affaire. « Aux yeux de cette singulière population,*— parbleu ! — la prison apparaît comme une fatalité plus ou moins fâcheuse, mais à peu près inévitable, et dont il faut prendre son parti. C'est un LES CRIMINELS EN PRISON 137 inconvénient attaché à la profession. On s'y attend, on s'y résigne à l'avance, comme les routiers et les malandrins du moyen âge s'attendaient et se résignaient à finir, un jour de déveine, branchés haut et court ; comme un fils, d'ouvrier ou de paysan s'attend et se résigne à la dure nécessité du service militaire; comme un mineur s'attend et se résigne d'avance à une explosion possible du feu grisou. « Mais ceux-là mômes qui, tombés là par hasard, parce que, en un jour néfastef ils avaient vu rouge — ou noir — n'ont pu réussir ensuite à recoudre leur vie désemparée! les faibles, les ductiles, les veules, les « occasionnels », qui n'étaient cependant nés ni pour le crime, ni pour la prison, ceux-là sont bientôt happés également par l'engrenage. c — J'ai toujours été frappé, » a écrit quelque part ce fumiste à froid de Jules Vallès, « j ai tou- J « jours été frappé de l'air vénérable des vieux c forçats. > « Au fond, et abstraction faite de la forme paradoxale de l'idée, rien n'est plus exact. « L'air vénérable » est peut-être excessif. C'est « l'air reposé » qu'il eût fallu dire. Et ce n'est pas étonnant ! Avoir son « pain cuit », le vivre et le couvert assurés, nul souci du lendemain, aucune autre préoccupation que d'obéir docilement à la consigne imposée, n'être plus, comme le chien à qui il suffit de remuer les pattes pour actionner le tambour du tourne-broche, que le rouage inconscient d'une machine, n'est-ce pas là l'idéal pour la masse des inconscients et des lâches ? Le nirvana ! L'automatisme ! Mais c'est le paradis des Hindous ! 1 138 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE « Et la prison, c'est, par-dessus le marché, un nirvana « où l'on est nourri » ! « Mal nourri, cela est vrai, et quelque peu humilié et rudoyé... Mais combien de braves gens auxquels la lutte pour l'existence est plus âpre, avec, en moins la sécurité 1 Si « Une fois les premières répulsions apaisées, d'aucuns — et ils sont peut-être la majorité — en arrivent insensiblement à « se faire un avenir » en prison ! « Je ne connais rien, à ce propos, de plus typique que le fait suivant, dont il m'a été donné de contrôler de visu et de audilu l'authenticité : « En 4883, le détenu qui remplissait à la prison centrale de Clairvaux les fonctions de comptable général était un nommé J..., d'origine alsacienne, un ancien officier de l'armée, qui, condamné une première fois pour avoir « mangé la grenouille », en était à sa quatrième ou cinquième condamnation. « Vers la fin de 1883, J..., qui « faisait » cinq ans, était sur son départ, et cela l'ennuyait fort. Pensez donc! Il avait à Clairvaux une situation vraiment enviable : les « vivres d'hôpital », une liberté relative, la faculté de circuler toute la journée dans toute l'étendue de l'établissement (qui ne compte pas moins de quatre kilomètres de tour), une grande « considération » de la part de tout le monde, — de la part des détenus, sur lesquels ses fonctions lui donnaient une autorité appréciable, de la part aussi de l'économat, qui ne pouvait se passer des. services d'un homme qui, par habitude, connaissait mieux que personne le mécanisme de chacun des services de la maison... LES CRIMINELS EN PRISON 139 « Aussi J..., ne fit-il ni une ni deux. 11 écrivit au directeur une petite lettre ainsi conçue : « — Monsieur, vous me connaissez. Vous savez qui je suis, que je vaux et quels services je puis vous rendre. Or, je vais bientôt être « rcvomi » dans le monde, où je ne saurai que faire. Je n'aurai pas plutôt mangé mon « pécule » à « faire la fête » une dernière fois, que je me ferai arrêter derechef. Veuillez, je vous prie, avoir l'extrême obligeance, aussitôt que j'aurai été recondamné a quelques années de prison, de me réclamer pour Clairvaux — je vous préviendrai en temps et lieu — et, en attendant, gardez-moi ma place. Ni vous ni moi n'aurons a nous repentir de la combinaison. » D où cette conclusion paradoxale que la prison ne produit guère l'effet d'intimidation etd'horreui qu'on en attend que sur ceux qui en auraient le moins besoin, sur ceux qui sont le moins exposés à y aller. « J'ose même prétendre, ajoute notre auteur, que la prison est une sorte de serre chaude pour plantes vénéneuses, et que c'est là surtout que se recrute et s'exerce la redoutable armée du crime. t Combien de malheureux qui, pour avoir failli une seule fois, en une heure d'égarement et d'oubli, ont été irrémédiablement perdus, une fois franchi le premier cercle de l'enfer ! Ce fut le cas, où peu s'en faut, de tous ceux dont j'ai eu, au cours de cette étude rétrospective, à évoquet le souvenir. Au lieu do les corriger, la prison iio us PAIRES DS L^nroBoroi^E OUMIRUIB les avait viciés jusqu'aux moelles — incurablement. Il semble que leur perversité avait grandi avec la peine, et que, dans leur conscience contaminée, la notion du bien et du mal, de plus en plus confuse, tendait à s'effacer. Désormais, ils étaient voués à vivre en marge de la Société, jusqu'à ce que celle-ci les reprit, la main dans le sac ou dans le sang, pour les écraser sans merci, comme des punaises immondes, entre deux pages d'un code qu'on ne leur avait pas donné & lire. « Tout dans l'organisation actuelle des prisons a été combiné pour aplatir l'individu, annihiler sa pensée, laminer sa volonté. L'uniformité de la règle, qui prétend couler tous les « sujets » dans le même moule, la rigueur calculée et la régularité d'une vie monacale où rien n'est laissé a l'imprévu, l'interdiction d'entretenir avec le dehors d'autres relations que la courte et banale lettre mensuelle, tout, dis-je, jusqu'à ces promenades moroses et bestiales, à la file indienne, est destiné à mécaniser le prisonnier, dont on rôve de faire une sorte d'automate inconscient. « Imaginez bien ceci : sauf d'honorables exceptions trop rares dans le haut personnel pénitentiaire, pour presque tous les directeurs de prisons, l'idéal du « bon détenu », c'est le récidiviste, le vétéran, Va/tonné, dont l'éducation n'est plus à faire et dont la docilité acquise est une garantie de tranquillité ; c'est le comptable général de Clairvaux dont j'ai raconté la fabuleuse histoire ! C'est à celui-là qu'iront de préférence les faveurs, les indulgences, et... les sympathies. « Le malheur est que ce « bon détenu selon à < la formule, ne tarde guère, à ce régime, de venir LES CRIMINELS EN PRISON 141 aussi»incapable de résister à ses camarades, criminels-nés ou malfaiteurs de profession, qu'aux surveillants, et aussi peu refrac taire aux tentations, aux excitations malsaines, à l'appât d'un gain illicite ou à l'entraînement des mauvais exemples, qu'à la discipline. « 11 ne sait plus qu'obéir... à n'importe qui i il a perdu tout ressort, toute fierté. Ce n'est plus qu une pâte molle, apte à recevoir toutes les empreintes. « Habitué à trouver son « pain cuit » et à se laisser conduire comme une machine ou une bête de somme, et à n'accomplir que des tâches imposées, il n'a plus rien de ce qui est indispensable fiour n'être pas impitoyablement écrasé dans la utte pour l'existence. « La seule émulation qui lui reste, c'est l'émotion du crime et de la perversité, fruit de l'éducation mutuelle spéciale à laquelle il vient d'être soumis. Ce n'est pas sans motif qu'en argot la prison se nomme le « collège »... D'ailleurs, le casier judiciaire, qui s'attache à la peau du libéré comme une tunique de Nessus, suffirait à lui fermer toutes les portes, à lui interdire tous les moyens honnêtes de gagner sa vie. « Ajoutez à cela la monomanie do la délation, le chantage, l'esprit de ruse et de mensonge, tous les autres vices spéciaux qui se contractent ou se développent en prison. « Il est, en effet, bon de remarquer qu'il n'est pas une seule des passions de l'homme, des passions naturelles ou factices, depuis l'ivrognerie jusqu'à l'amour, qui ne* puisse trouver sous les verroux à tout le moins un semblant de satisfaction. J'ai cité ce baigneur de Clairvaux qui avait 142 LES PROGRÉS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE attendu, pour contracter l'habitude du tabac, d'être séparé du monde où l'on fume par des grilles et des murailles infranchissables. J'aurais pu aussi bien parler de ceux qui, faute d'alcool, boivent « l'esprit de bois, du vernis, de l'acide sulfurique, etc. ». I « Je voudrais donc que chaque détenu fût soumis, pendant un temps plus ou moins long, à une surveillance analogue à ce qu'on appelle dans les asiles d'aliénés la période d'observation. Ce ne serait qu'après avoir passé par cette épreuve qu'il serait définitivemen « classé », et envoyé rejoindre le groupe de ceux qu'une étude semblable aurait désignés comme se rapprochant le plus de lui par leur caractère, leur éducation, leurs antécédents, leurs instincts, leur degré de moralité... On ne supprimerait pas encore — cela va de soi ' — le danger de l'infection réciproque ; mais on l'aurait, au moins, réduit au minimum ; mais on aurait au moins supprimé les collections purulentes qu'engendre le régime actuel avec ses promiscuités obligées. « C'est évidemment au haut personnel de l'administration pénitentiaire qu'appartiendrait la mission, dont je ne me dissimule pas, je le répète, l'énorme difficulté, de se prononcer souverainement sur le classement des individus et des catégories. Personne n'offre à cet égard autant de garanties de compétence et d'impartialité qu'un directeur de prison, qui vit au milieu de détenus, sur le sort desquels il est appelé à décider, et a, pour étudier chacun deux en détail, des semaines, des mois et des années. A ceux qui parleraient de l'arbitraire possible, je répondrais que ce danger me semble beaucoup plus à LES CRIMINELS EN PIUSOK 143 redouter dans le prétoire qu'à la geôle, et surtout de la part d'un juge, qui peut condamner un malheureux sur sa mine, sur les hasards de l'interrogatoire, sur la vue d'un dossier fantaisiste, sur une instruction sommaire, ou sur un incident d'audience. Il y a là toute la différence qui sépare le professeur, qui classe ses élèves d'après leurs notes de toute l'année scolaire, pendant laquelle il a pu les analyser l'un après l'autre à loisir, et l'examinateur, qui n'a pour répartir par ordre de mérite le troupeau des candidats que la chanceuse loterie d'un concours. « Rien n'empêcherait, d'ailleurs, d'adjoindre aux directeurs des prisons une sorte de jury permanent composé de médecins, d'avocats, de magistrats, des hommes, en un mot, les plus considérables de la localité. « Le condamné, en d'autres termes', l'homme nui aurait été jugé assez dangereux pour mériter _jêtre mis en marge, demeurerait en prison, non pas pendant un temps déterminé à l'avance et plus ou moins capricieusement calculé d'après la gravité relative de sa prévarication, mais tant qu'il n'aurait pas accompli ce qu'il est peut-être permis d'appeler une tâche morale. La détention se prolongerait jusqu'à ce qu'il eût, au prix de son travail, réparé le dommage causé par sa faute, le dommage social comme le dommage privé ; jusqu'à ce qu'il se fût racheté, jusqu'à ce qu'il eût gagné sa libération, sa grâce, voire même sa réhabilitation. « Ce n'est là, au surplus, qu'un élargissement du principe de la libération conditionnelle. « Quelle sera, demàndera-t-on peut-être^ la garantie du détenu, qu'il ne va pas rester ainsi 3 rïÏ4~IËs PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE servuspœiiiV à perpétuité, sans espoir ni merci? « Cette garantie résiderait dans le droit de soumettre son cas, dans certains délais et dans certaines conditions, contradicloirement avec les autorités pénitentiaires, et moyennant l'assistance d'un avocat, au jury de surveillance dont je parlais tout à l'heure, qui prononcerait en dernier ressort. « Faut-il ajouter que le détenu devrait passer la période d'observation en cellule, à la condition que l'encellulement — dont la plupart de ceux qui en parlent avec tant de complaisance n'ont pas l'air de soupçonner l'horreur meurtrière — à la condition, dis-je, que l'encellulement ne fût *amais supérieur à une année ? « Quant aux incorrigibles, aux incurables, aux monstres, —j'en demande bien pardon aux sentimentalistes, — mais, quelle que soit leur genèse, qu'ils soient victimes d'une tare héréditaire ou des fatalités ambiantes, on ne peut rationnellement leur appliquer qu'un seul régime ; la transportation ! » Ce sont les mêmes idées que ^nouvelle école inscrit sur sa bannière. — Mais on me dira : c'est un ancien prisonnier qui parle ; il ne peut être que partial sur ce point. Eh bien, lisez cette page magnifique d'un directeur général des prisons, de M. Prins — et dites-moi après s'il n'y a pas un merveilleux accord entre les deux écrivains qui occupent cependant une position si différente dans le monde. 145 LES CRIMINELS EN PRISON III « La loi belge admet, écrit Prins, l'isolement cellulaire (I). Son ambition, c'est de régénérer le coupable en le soustrayant aux influences délétères de ses codétenus pour ne laisser subsister que l'influence bienfaisante des honnêtes gens. Cela c'est, dans le monde entier, la théorie. Mais voyons aussi le fait. Partout, les prétendus réformateurs chargés de représenter auprès du condamné les bons éléments de la société, sont les membres du personnel, c'est-à-dire, en général, des agents dévoués, mais recrutés dans les couches sociales auxquelles appartient le détenu ; parfois des déclassés sans emploi qui, en échange d'un salaire dérisoire, insuffisant à l'entretien d'une famille, doivent vivre à peu près de la vie d'un prisonnier. « Nulle part ce personnel, qui ne peut être payé comme il le mérite, n'est choisi comme il convient. De plus, les surveillants ne sont jamais assez nombreux. Pour la logique du système, il faudrait à un détenu plusieurs surveillants, apôtres voués au relèvement des êtres déchus et exerçant leur action d'une façon constante. Au lieu de cela, il n'y a qu'un gardien par 25 à 30 détenus. Ces gardiens doivent naturellement se borner à jeter un rapide coup d'œil sur la cellule et sur le travail, et à vérifier si les règlements sont observés. <r A cela se réduit, avec une visite tout aussi (I) Loi sur la libération conditionnelle en Belgique. (Bullet. de la Société générale des prisons, 1889.} LOMimoso — Ânthr. crim, 9 [Ï46 LES PnOCRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE rapide d'un instituteur ou d'un aumônier, l'effort de ceux qui sont chargés de transformer et d'amender -un coupable! « L'hôpital pour les maladies morales, l'établissement modèle rêvé peut-être par les quakers, par Howard et par Ducpétiaux, est donc bien loin de nous. Nous sommes en présence de la solitude et du formalisme étroit de la prison, et nous avons à nous demander si l'homme des classes inférieures peut être régénéré uniquement par la solitude et le formalisme. « La solitude librement recherchée, ah ! certes, eile élève l'âme du poète, qui, écœuré des vulgarités du monde, se réfugie dans les régions de l'idéal! Mais la solitude imposée au misérable, quel autre effet peut-elle avoir que de l'abandonner au néant de sa pensée, à ces instincts inférieurs et d'abaisser toujours plus son niveau moral? « Ce qui a manqué à beaucoup de vagabonds, de dévoyés, de détraqués peuplant les prisons, c'est un milieu, des exemples, une protection efficace, peut-être des affections ! Et l'on étouffe en eux jusqu'au moindre germe de l'instinct social, et l'on s'imagine remplacer et le milieu social, et tout ce qui leur manque, par les visites sommaires de surveillants sortis des rangs infimes de la société. « Est-ce que l'on apprend donc à marcher à l'enfant en lui mettant infiniment des lisières, en ne lui inspirant que la ' crainte de tomber et le besoin de se fier à autrui ? « Apprend-on la sociabilité à l'homme en lui donnant uniquement la cellule, c'est-à-dire le contraire de la vie sociale, en lui enlevant jusqu'à l'apparence d'une gymnastique morale, en réglant us carauisu a n PRISOK 14 7 .1., liberté à ftné à l'air laq ment! « sous entre les en travaux de il rai 1 pation tante de quelj for ..,• m soir m Mndre dét i les s .:ia de S 'S A fM P >n. on place ! un robuste on lui donne une occuqui représente une dô_J physique ; on le livre i d.-s panlirii-; qui. pari'<-'-. lui sont socialement inférieurs: on le laisse au -i de longues années, et quand le corps et l'intelligence ont perdu leur souplesse, on lui ouvre la porte de la prison pour le lancer, affaibli et désarmé, dans la lutte pour la vie, sans compter qu'à la longue, toute peine s'use, et que le jour où la prison est devenue une habitude, elle n'a plus la moindre action positive. <« Qu'on ne l'oublie pas, les prisons renferment assurément des récidivistes incorrigibles et cor rompus, résida des grandes villes, qu'il faut in contestablement isoler des autres; mais elles renferment aussi des délinquants semblables â la plupart des hommes de leur condition vivant au dehors ! N'est-ce pas du hasard de la formation d'un jury que dépend parfois la liberté ou la dé tention d'un citoyen, et ne voit-on pas. dans les drames de la jalousie ou de l'amour, le même fait entraîner tantôt l'acquittementet tantôt la condam nation ! Est-il rationne!* encore une fois, d'appli quer A des êtres q nt notre nature une conception aussi contraire à la nature? S'il était question de (aire «V le hdn< élèves, de bons ou vriers, de bons s < pterions-nous la mé- 148 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Ihode de l'isolement cellulaire prolongé? Et comment ce qui est condamné par l'expérience de la vie ordinaire peut-il devenir utile le jour où le tribunal a prononcé une condamnation ? « Les inconvénients physiologiques et moraux a'une longue solitude sont d'ailleurs évidents; et l'on cherche à les combattre par une grande humanité dans les choses extérieures. Si bien que, par crainte de cruauté envers les bons, on en arrive, a l'égard des mauvais, aux exagérations d'une philanthropie parfois poussée à l'absurde. « En Hollande, par exemple, quand, à Hoorn, on procure aux détenus de l'eau chaude et de l'eau froide à leur lever, une salle de récréation, des jeux de dominos ; quand, à la fête du Roi, on tire pour eux un feu d'artifice (i) ; en Amérique, quand à Elmira on leur procure des distractions musicales ; quand, à Thomaslon, on leur accorde l'autorisation d'organiser un meeting contre la peine de mort; quand, dans l'Illinois, on leur donne du poudding, des biscuits, des gâteaux, du miel, on est aussi loin de la vraie justice que les anciens partisans de la torture. » On voit par tout ceci combien est grande la nécessité de changer nos idées sur la prison ; combien il est nécessaire que les juristes apprennent, par le contact direct avec les criminels, leurs vrais penchants, avant de fixer les lois. (Voir Appendice, p. 176, sur la nécessité de renseignement de l anthropologie criminelle. (I) D. Nieuwenhuys, professeur rie l'université de Groninpen, discours d'ouverture : De Qevangenisslraft. Groningen, 1884, p. 15. LES CRIMINELS EN PRISON 140 IV Dans un excellent ouvrage, publié tout récemment à Madrid, la Vida pénal en Espana, M. Sellilas met au jour un monde de criminels tout à fait particulier à l'Espagne. Il y a là des presidios où les rapports des détenus avec les honnêtes gens sont établis sur le même pied que ceux des fous de Gheel en Belgique avec les habitants du pays. Un usage des prisons espagnoles, très singulier et caractéristique, est celui des cncas. C'est l'amour platonique et pour ainsi dire par correspondance. Des détenus des deux sexes, qui ne se connaissent pas; qui ne se sont jamais vus, sont arrivés à établir des communications régulières entre eux par divers moyens bien adroits et bien curieux. C'est ainsi que par lettre, ils se marient, s'aiment et divorcent. Ce sont des cucas. Parfois un cuca envoie l'offre à sa cuca d'en trouver d'autres pour ses amis et vice versa. Et ils ressentent tous les effets de la passion violente, ils sont jaloux, et parfois se battent entre eux pour leur maltresse inconnue. La cuca est ûère de son homme, en raison de la grandeur de son crime ; si elle le perd, c'est une veuve. Quelquefois cependant elle le perd au jeu avec ses compagnes. Ventra a étudié à Naples le sfregio, la balafre 150 LES PROGRÉS DE T7ÂNTI1ROPOLOGIE CRIMINELLE au visage au moyen d'un rasoir, d'après des règles dûment déterminées. Tout est spécial dans ce crime : le milieu où il sévit (la camorra), l'âge des criminels, la condition des victimes. La balafre en forme de croix, marque infamante, est pour les faux frères, les affiliés de la police, les suspects, et en général pour les mouchards. Le plus souvent on balafre la femme; celle-ci n'est pas toujours coupable : sa Faute n'est quelquefois que d'être coquette ou simplement jolie. Mais l'attentat n'enlève rien a l'amour — au contraire — on ne s'aime que mieux. La femme balafrée est fière d'une cicatrice qui prouve qu'on l'a aimée jusqu'au crime. Celui qui balafre est toujours jeune. Après trente ans, on n'opère plus soi-même : on charge de ce soin un plus jeune que soi, que l'attentat est destiné à grandir à ses yeux et dans l'opinion du milieu où il vit. S'il est de la camorra, il monte en grade ; s'il n'en est pas il y est reçu. Mais le sfregio n'est plus le crime propre d'une classe ou d'une association de malfaiteurs et de malintentionnés. Bien que ceux qui s'en rendent coupables présentent d'habitude les caractères distinclifs des criminels, on balafre dans le milieu populaire honnête, dans la petite bourgeoisie et même dans les classes plus élevées, car toutes fournissent leur contingent d'anormaux. En Sicile, on tue, on ne balafre point (1). i" Congrès d'amhrop. criminelle. Rome, 1887. CHAPITRE VI CRIMES POLITIQUES.— IJSFANTICI . I Déjà au Congrès d'anthropologie criminelle de Rome (1), mon colluboratenr Laschi et moi, nous avons communiqué les résultats de nos premières recherches sur les délits politiques ; nous avons résumé les facteurs anthropologiques, physiques et sociaux qui, • secouant l'inertie naturelle ù| l'homme et lui faisant oublier sa haine du nouveau (le misonéisme), pouvaient pousser un peuple aux révolutions politiques et à la criminalité particulière qui en découle. Des études ultérieures nous mettent à même d'exposer d'une manière plus détaillée l'action de quelques-uns des plus importants de ces facteurs. D'abord nous devons faire remarquer que délit politique, dans sa signification anthropologique, est moins pour nous un attentat contre une organisation politique particulière, que toute opposi(i)Voir les Actes du 1"Congrès international d'anthrop. criminelle. Rome-Turin, 1886-87. 152 LES PROGRES DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE tion violente au misonéisme politique, religieux ou social de la grande majorité. En effet, en admettant que le progrès organique et humain n'ait lieu que lentement, au milieu d'obstacles puissants, provoqués par les circonstances extérieures et intérieures, et que l'homme et la société humaine soient instinctivement con- A | B | c | Fig. 7. — Échelle représentative des départements (1 à 25). - Échelle de diffusion des suffrages républicains, ................... Echelle de diffusion des suffrages monarchiques dans les élections politiques. A> montagnes, B, collines, C, plaines. servateurs, il s'ensuit que les efforts vers le progrès, se manifestant par des moyens trop brusques et trop violents, ne sont point physiologiques et que s'ils constituent quelquefois une nécessité pour une minorité opprimée, ils sont, au point de vue juridique, un fait antisocial et, par conséquent, un crime. Mais, ici, il faut distinguer les révolutions qui ont un développement lent, préparé, nécessaire, tout au plus accéléré par quelque génie ou par i 41 CRIMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 153 quelque fou, et les révoltes qui ne sont qu'une incubation précipitée et artificielle à une tempe- , 1 rature excessive, une explosion d'embryons voués pour cela, à une mort certaine. On peut donc appeler les premières des phéno9. LES PROGRÈS DE L^TBROPOLOCIl CniMI.NELLB nomènes physiologiques, les secondes des phénomènes pathologiques ; celles-là ne sont jamais un délit, parce que l'opinion publique les sanctionne et leur donne son appui ; tandis que celles-ci sont toujours l'équivalent d'un délit, car elles représentent l'exagération des rébellions ordinaires. Il y a ensuite les points intermédiaires : ce sont les révolutions provoquées par des causes justes et générales, mais qui sont trop précoces. Elles finissent cependant par triompher : mais en attendant qu'elles se soient adaptées au milieu, elles peuvent constituer un délit, évidemment temporaire, qu'une époque non éloignée transformera même en héroïsme et en martyre. Le facteur le plus puissant des révolutions et des révoltes, c'est le climat. — Comme on peut le voir par nos diagrammes, c'est dans les départements des montagnes de France, qu'on observe le plus grand nombre de génies et de républicains, tandis que leur moindre nombre est dans la plaine. (Voir fig. 6 et 7.) FI RACE. — Déjà M. Le Bon nous avait démontré la grande influence de la race sur les révolutions. En France, il a reconnu la différence de caractère des brachycêphales et des dolichocéphales : les premiers seraient amoureux des traditions et de l'uniformité, conservateurs en un mot; tandis CMMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 155 que les seconds seraient révolutionnaires. — Mais il a exagéré. En effet, il y a des peuples dolichocéphales (Egyptiens, Nègres, Australiens, Sardes, etc.), peu révolutionnaires, et des brachycéphales (Auver7.5 ii-ii' / 21 la ta' J?" te 15 ii." 13 12 11 là" 3" 8 7 6i *^\ i / T \ \ A jf / 4" 3 2 ! ,..-•■ i"LIGURft 1 RELGICA GALl .ICA IBERICA CIMBRICA | Pig. 9. — Échelle représentative des départements (1 à 25). — Ligne de diffusion des principes républicains. ... Ligne de diffusion des principes monarchiques. gnats, Romàgnols) qui, au contraire, ne sont pas conservateurs ; et on voit 86 émeutes italiennes (1793-4870) donner le dessus à la dolichocéphalie (Sicile, Naples, Ligurie, Calabre), quoique la brachycéphalie y fût aufsi représentée dans de fortes proportions (33,72 p. 100). TWT LES PROCHES DE L*AWTnn0P0L0GIE CRIMINELLE En France, ayant comparé, d'après Reclus, Topinard et Jacoby, une carte des races avec les résultats des élections politiques des années 1877, 1881 et 1885, nous avons pu en conclure qu'en général les départements où prédomine la race ligurienne, et la Belgique, donnent un plus grand contingent de votes aux républicains, ainsi que les départements de race gauloise, lesquels abondent aussi en génies (fig. 6). Quoique en moindre proportion les républicains sont moins nombreux chez les Ibériques et les Celtiques. La Vendée, par contre, le Morbihan, le Pas-deCalais, le Nord, les Basses et Hautes-Pyrénées, le Gers, la Dordogne, le Lot, sont réactionnaires et comptent aussi peu d'hommes de génie. 11 y a, pourtant des conditions particulières qui rendent encore plus efficace et plus active l'action ethnique, comme le croisement de plusieurs races. Il ,en fut ainsi des Ioniens qui, par leur mélange avec les Asiatiques (Lydiens, Perses), devinrent plus révolutionnaires et plus intelligents que les Doriens ; nous voyons de même, de nos jours, les Japonais, bien plus avancés que les Chinois dans la voie du progrès, à cause sans doute de leur mélange avec les races malaises. L'inoculation du sang germanique expliquerait la précoce civilisation de la Pologne et peut-être même le fait qu'en Franche-Comté on remarque les plus grands révolutionnaires dans le domaine des sciences (Nodier, Fourier, Proudhon, Cuvier). Des effets analogues sont dus aussi aux changements de climat, qu'on pourrait nommer un CRIMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 151 croisement climatérique : c'est celui-ci qui éleva en Europe le Sémite à une hauteur de génie qu'il n'a pas en Asie, et qui transforma l'Anglor'28 '„'* 27'. 24. ii iag" ,iï.. i 20 / "C- / "18 / iï16 I / ' « ;, H "iï "W "vi io / / / I / I 3iZ / y) ,§Z' / s _ _/ 4 [/ . à- • . i;L_: _________ A | B | G | D — E | Fig. 10. — Échelle représentative des départements (l,à 28). __________ Ligne de diffusion des principes républicains. ----------------Ligne de diffusion des principes monarchiques. A, do 20 à 40 habitants par kilométra carré. — B, de 40 à 60 h. par t. m. q. — C. de 60 à 80 h. par k. m. q. — D, do 80 à 100 h. par le. m. q. B, plus de 100 h. par k. m. q. Saxon en Américain bien plus libre et plus génial. Quant à la France, elle offre d'abord un rapport remarquable entre la race et le génie. On voit celui-ci prédominer là où prévaut la race germa- 158 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE nique (Marne, Meurthe-et-Moselle, Haute-Marne, Aisne, Seine-et-Oise, etc.), tandis qu'il est plus clairsemé dans les départements où prévaut la race ibérique (Basses- et Hautes-Pyrénées, Ariège Gers, Landes, etc.) et la race celtique la plus pure (Morbihan, Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente, etc.). Mais môme ici les contradictions ne manquent pas, car, ainsi que nous l'avons démontré dans l'Homme de Génie, les descendants des Hurgundiones donnent beaucoup de génies dans le Jura et le Doubs et un petit nombre dans la Saône-et-Loire. — Dans la même race, la HauteGaronne produit dix fois plus de génies que l'Ariège, deux fois plus que le Gers et cinq fois plus que les Landes. Dans la Guyenne, la Gironde produit le double du Lot et dans le Languedoc, l'Hérault donne sept fois plus de génies que la Lozère. Toutefois, en cherchant les gros chiffres, on voit que les races qui donnent le maximum des départements riches en génies, 5 sur 8 (66 p. 100) sont peuplés par la race belge et par la race ligurique. La race ibérique donne des chiffres insignifiants de même que la race cimbrique, avec laquelle elle n'a pourtant aucuneaffinité (fig.-10). Or, en comparant la distribution géographique du génie en France avec les résultats des élections politiques des années susmentionnées, on aperçoit que la génialité va de pair avec la tendance républicaine. DEHSITIÏ DE LA POPULATION. — On comprend aisé- i nmwm CRIMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 159 ment que là où la population est agglomérée, notamment dans les villes, el Jacoby l'a signalé le premier, les agitations politiques doivent avoir lieu plus fréquemment, car, dans les grands centres de population, les passions s'aiguisent par [ÏCÔ LES PROGRÈS DE ITANTIIIIOPOLOGIE ÇUMINKLLE le coDtact mutuel et l'exemple se propage facilement. 11 faut ajouter l'existence dans les gros centres ouvriers, de l'influence peu pacifique des génies (flg. H) et en même temps celle très dangereuse des déclassés et des criminels qui, dans les troubles politiques, cherchent à s'élever euxmêmes ou à donner libre cours à leurs instincts pervers. En outre, dans les centres très peuplés, il faut compter avec la névrosthénie endémique ; ainsi M. Béard a reconnu que la soif de l'or, les journaux excitants, les élections politiques favorisent la neurasthénie parmi presque tous les citoyens de New-York et celle-ci à son tour favorise la révolution (fig. 11). De l'étude sur les rapports entre la densité de la population et les votes monarchiques en France, il résulte que dans les départements où la population est le plus agglomérée, l'esprit public est plus enclin aux idées républicaines (6g- «)• En etlet, les Basses-Alpes, les Landes, l'Indre, le Cher et la Lozère, dont la population ne dépasse pas 40 habitants par kilomètre carré, ont donné dans les élections politiques de 1877, 1881 et 1885 des quotités considérables de votes au parti monarchique. Il en est de même pour les départements de la Vendée, du Nord, des Hautes-Pyrénées, du Gers, du Lot, et de l'Aveyron, avec 60 habitants par kilomètre carré. Des résultats aussi curieux nous sont offerts CRIMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 161 par l'étude des rapports entre les révolutions et le génie (fig. 12), qui est un caractère et un effet de l'évolution : on a remarqué que l'évolution et les révolutions se multiplient de préférence chez les peuples industriels (fig. 12), et chez ceux qui ont plus d'esprit, comme ce fut le cas de Flo-ryj **zz. ?r_ zo_ k • \ \ llr. i» __ 16 \ _____ J___ \1 \ \\ 9 __ "B Si [6 S".. I~ % \ s... 7. 1 I AGRICOLI |RCBICmilKUUSIH *« \ INDU5TRIALI Fig. 12. — Echelle représentative des départements (1 à 25). . Ligne de diffusion des principes républicains Ligne de diflusion des principes monarchiques rence, de Paris et de Genève, qui en 4500 était appelée la ville des mécontents et qui était sans contredit la ville la plus civilisée de la Suisse. Il en était de même, en Athènes, si portée aux révolutions et qui, dans la période florissante de sa civilisation, arriva à compter 56 poètes célèbres, 21 orateurs, 12 historiens et littérateurs, 162 LES PROGRÉS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE ■I4 philosophes et savants et 2 législateurs éminents, tels que Dracon et Solon ; tandis que Sparte n'eut que peu ou point de révolutions et très peu de génies célèbres (pas plus de deux, d'après Schoell) ; mais ici l'influence orographique était sans doute aussi en jeu. C'est aussi la grande production de génies, jointe à une culture très élevée, qui explique à la fois le grand développement de civilisation et l'instabilité politique de la Pologne, qui entraîna plus tard sa ruine, et cela malgré qu'elle eût tous les éléments contraires à la tendance révolutionnaire, étant un pays plat, d'un climat froid, de race slave et par conséquent brachycéphale. C'est; la même raison (la moindre densité) qui nous explique le nombre aussi petit des républicains dans les déparlements agricoles et leur grand nombre dans les départements industriels (fig. 12). Les femmes prennent une grande part aux grèves (Zola), aux révoltes — bien peu aux révolutions. La statistique donne pour la Commune 27 p. 100 de femmes— tandis que dans la révolution italienne, elles ne dépassaient pas 1,2 p. 100 ; il en est de même pour le génie qui est un cas tout à fait exceptionnel chez la femme — même dans les arts. Elles prirent cependant une très grande part à la révolution du Christ — comme actuellement à celle des nihilistes — mais c'est que, dans l'une comme dans l'autre, elles amélioraient leur sort et arrivaient à une plus proche égalité de droits. Il faut dire aussi que la femme slave est plus sérieusement instruite que CRIMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 163 dans le reste de l'Europe — et que le nombre plus grand des célibataires les contraint à chercher de nouvelles sources d'activité. La folie et la criminalité se développent dans les déparlements en raison directe du nombre des suffrages révolutionnaires. 164 LES PROGRÈS DE I.'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE La présence d'un fou de génie, Cola de Rienzi, ou d'un grand génie, Marcel, et même d'un homme sans génie mais fourbe et criminel, comme Boulanger, Catilina, Donato Corsi, Sacchetti, etc., suffit pour déterminer de grands troubles politiques. Mais même avec un génie — le Christ par exemple — une vraie révolution ne peut se produire et durer sans une nécessité organique des peuples (1). Régis, dans sa belle monographie a bien montré que les régicides étaient la conséquence directe et forcée d'un état d'esprit particulier, toujours le même. C'est donc en ce sens que les régicides forment véritablement un groupe naturel. Bien entendu, il ne faut pas confondre les régicides vrais avec les faux régicides chez lesquels l'attentat, plus apparent que réel, a été purement et simplement le fait du hasard, sans connexion avec le fond des idées, délirantes ou non délirantes. Chez ces derniers, l'attentat est parfois un moyen, tandis qu'il est le but chez les premiers. M. Régis montre d'abord, dans son livre, que les régicides, comme tous les délinquants, sont des héréditaires dégénérés, d'une intelligence au moins mal pondérée, issus de familles morbides et porteurs de stigmates manifestes, tels que malformations du crâne, strabisme, anomalies de la forme des oreilles, etc. 11 fait, en outre, remari quer que tous les régicides ont été des hommes (1) Le développement de ces théorie* sera donné dans le Crime politique, de Lombroso et Lusclii. Paris, 1891-2. CRIMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 165 jeunes, et la précocité des accidents, on le sait, est une des principales caractéristiques des psychoses chez les dégénérés. Quant à la forme de cette psychose, c'est un mysticisme héréditaire, un véritable délire qui se traduit par la croyance à une mission à r'em~\ plir. Ainsi, Poltrot blesse à mort le duc de Guise pour ôter de ce monde un ennemi juré du saint Évangile et gagner le paradis par cet acte; Balthazar Gérard tue Guillaume de Nassau pour être un athlète généreux de l'Église romaine et devenir bienheureux et martyr; Ravaillac assassine Henri IV pour l'empêcher défaire la guerre au pape et de transporter le Saint-Siège à Paris ; Damiens égratigne Louis XV de son canif pour l'avertir de remettre toutes choses en place et ie rétablir la tranquillité dans ses États ; Henri t Admirai et Charlotte Cordai/ frappent Collot d'Herbois et Marat pour sauver la République ; Louvel assassine le duc de Berry avec l'idée de délivrer successivement la France de tous les Bourbons ; Guiteau tue le président GarGeld « par suite d'une nécessité politique et par passion divine » ; Aubertin tire sur M. Jules Ferry pour supprimer le mauvais génie de la France, etc. Il faut aussi remarquer que, chez tous ces fanatiques, l'attentat est l'acte d'un seul, et que c'est commettre une véritable faute de psychologie que de leur chercher des complices. Le crime est conçu, médité et accompli par le régicide comme se conçoit, se médite et s'accomplit un acte d'aliéné. 166 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE III Nous devons enfin signaler un ouvrage de M. Balcstrini qui applique nos idées à une nouvelle théorie pénale sur l'avorlement (Dell'aborli et deiï infanticide, 1888). Il nous prouve que la pénalité doit dans ce cas être bien amoindrie, car le fœtus, surtout dans les premiers mois, représente pour la société moderne qui n'est plus théologique, bien plus, un animal qu'un être humain ; et c'est alors bien plus, qu'on me permette le mot, un bruti-cide qu'un homicide. Tarde, Sarraud, Drill ont essayé les premiers les applications juridiques de la science nouvelle, ainsi que MM. Ferri et Garofalo qu'on peut bien dire Français aussi par leurs ouvrages. Je dois signaler surtout la Riparazione del danno de M. Garofalo, car elle peut dissiper les craintes dont M. Maxime Du Camp s'est fait l'écho sur les dangers de notre école : il y étudie, en effet, les moyens pour obtenir les dédommagements du crime. Il propose, que, dans les dégâts contre la propriété, lorsque l'offenseur est solvable, les dédommagements offerts par le coupable avant ou après la condamnation amènent la réduction de la moitié de la peine : la réduction serait d'un quart dans les délits contre les personnes. Lors- , que le dédommagement serait obtenu par l'of- CRIMES POLITIQUES. — INFANTICIDES, ETC. 167 fensé, par exécution forcée, le condamné n'en récolterait aucun bénéfice. Si l'endommagé refusait d'accepter la réparation des dommages-intérêts, ou s'il f renonçait, la. somme offerte serait dévolue à une caisse des amendes ; il en serait de même si l'endommagé était lui-même responsable pour délit commis ;'Ia caisse pourvoirait dans les cas d'insolvabilité de l'offenseur. CHAPITRE VII CONGRÈS, JOURNAUX, SOCIÉTÉS ► ANTHROPO-JURIDIQUES I Nos progrès sont allés bien au delà des découvertes de détail qui peuvent intéresser seulement les savants. Elles ont dépassé les bornes élevées, mais trop solitaires, de la science. A l'époque du premier Congrès d'anthropologie criminelle, il n'y avait pour répandre ces idées dans le monde qu'une seule revue, YArchivio di psi-chiatria, scienze penali e anthropologia criminale; maintenant nous avons YAnomalo de Zuccarelli, la Scuolo positiva di direlto del Fiorettre (Napoli), YArchivio di frenatria de Reggio, la Revista d'Anthropologia criminal de Talladriz (Espagne), les Archives d'Anthropologie criminelle de Lacassagne, les Archives de Psychiatrie, de MirjewsM, et celles de Kbwalewski, la Revue de la Société juridique de Moscou, les 'Mémoires de la Société d'Anthropologie de Bruxelles. Et pourquoi n'ajouterions-nous pas les Bulletins de la Société d'Anthropologie dans lesquels Manouvrier, Fallût, Letourneau et Bordier ont soutenu des batailles si m CONGRÈS, JOURNAUX 169 glorieuses pour notre drapeau ; et la Bévue de la Réforme Judiciaire de Janvrot et la Bévue scientifique qui est toujours la première à propager les idées nouvelles ; et le Bulletin de la nouvelle Société d'Anthropologie criminelle de Buenos-Ayres, la première société consacrée à celle nouvelle science qui compte déjà un muséum spécial et dcsjnembres justement célèbres (1)? II Je ne dois pas oublier le congrès juridique de Lemberg , de l'année 1889, où Rosenblatt a traité Les causes psychologiques des crimes, où Erzynnshi a communiqué les résultats de la nouvelle école anthropologique et où Bulzinski a traité « des prisons selon la nouvelle école ». Mais le premier congrès juridique qui ait mis vraiment en discussion les problèmes posés par la nouvelle école juridique, est celui de Lisbonne, dont le 4 avril 1889, a eu la première séance.. La première question discutée était ainsi formulée : L'administration de la justice doit-elle être gratuite, particulièrement en matière de tutelle et en matière pénale ? — La résolution du Congrès a été que : l'administration de la justice, étant une fonction de la société, doit être gratuite de toute manière : elle a été* prise pres(1) Pinoro, Drago, Ram os. —? Meija etc. JLOMBROSO r~ Anlhi: erim. _10__ 170 LES PROGRÈS DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE ■ que à l'unanimité, deux votants seulement y ont été contraires. La cinquième question était : Doit-on indemniser les accusés acquittés ; en cas d'affirmative, l'indemnité est-elle due à tout individu acquitté sans distinction, ou seulement à celui que le tribunal aura déclaré innocent ? — On a approuvé à l'unanimité la réponse suivante : L'Etat doit une indemnité à tout prévenu ou accusé dont l'innocence complète a été déclarée judiciairement, soit au cours de l'instruction du procès, soit après l'accusation, dans le jugement sur la poursuite, soit finalement pendant la revision par le juge chargé de statuer. Exception est faite toutefois pour ceux qui, par leurs fautes ou leurs actes, ont donné un motif à la prévention et provoqué la poursuite par des déclarations mensongères, de faux aveux ou tous autres moyens susceptibles de contribuer à l'erreur judiciaire commise à leur préjudice. La dixième question était : En quel sens est-il urgent de réformer les codes criminels en ce qui touche les conditions de la responsabilité pénale de l'auteur du fait incriminé et les effets des causes de non-imputabilité {circumstantias dirimentes) pour que la doctrine de la loi, s'accorde ' avec les affirmations de la psychologie contemporaine, de l'anthropologie criminelle et de la pathologie aliéniste, et satisfasse à la nécessité do donner à la société toute la sécurité possible à l'égard des criminels ? Le rapporteur était M. le .Dr Ant, Auguste SOCIÉTÉS ANTnnOPO-JUMDIQL'ES 1711 Chrispiniani da Jonseca, juge à Meda. A ses conclusions, la section de droit criminel a substitué les suivantes : 1° Les lois pénales doivent statuer, non seulement à l'égard des fous, mais encore à l'égard des délinquants qui, sans ôtrc absolument fous, no sont cependant pas complètement responsables de leurs actions ; 2° Le délinquant absolument fou doit, après constatation de son irresponsabilité, par examen médical et par tous les autres moyens légaux, ôtrc, enfermé à perpétuité dans un hôpital ou dans un asile ; 3° Ceux qui n'étant pas absolument fous ne sont pas complètement responsables, mais sont dangereux, doivent être jugés et détenus temporairement dans des établissements à ce destinés. Ces conclusions ont été votées par la majorité du congrès, et comme on voit ce sont les mômes que ceux de notre école. III La faculté de droit de Heidelberg a mis au concours parmi ses élèves, comme prix annuel, c Les applications juridiques des découvertes du professeur Lombroso sur l'Homme criminel ». Je signalerai encore la fondation récente de Y Union internationale de droit pénal laquelle a inscrit sur son drapeau les conclusions pratiques de notre école : que pour connaître la criminalité H72 LES PROGRÉS DE L'AKTHROPOLOGIE CRIMINELLE il faut étudier les criminels ; que les mesures préventives sont aussi efficaces que la peine contre les crimes ; que les tribunaux répressifs et l'administration pénitentiaire concourent au môme but et la condamnation ne* valant que par son mode d'exécution, la séparation consacrée par notre droit moderne entre la fonction pénitentiaire est irrationnelle ; qu'il faut tâcher de substituer d'autres peines aux emprisonnemeuts de courte durée ; qu'il faut distinguer les délinquants d'accident de ceux d'habitude ; et que pour ces derniers lorsqu'il s'agit seulement de la répétition de petits délits, le système pénal doit tâcher de prolonger les peines. C'est l'écroulement de toute la vieille métaphysique juridique, que ce décalogue auquel ont souscrit trois cents membres des plus distingués de la jurisprudence européenne. L'œuvre n'est commencée que depuis six mois, et nous avons déjà les mémoires importants de Garofalo, de Prins, de Lammatsch, de Liszt; et déjà ils se sont réunis dans un congrès, le 3 août 1889, à Anvers, pour poursuivre la réforme de la législation pénale, conformément aux données fournies parles études anthropologiques et sociologiques. On a été d'accord que, pour les délinquants d'occasion, les débutants, ceux qui n'ont pas subi de condamnations antérieures, la prison est plus nuisible qu'efficace. On a proposé de substituer à la prison diverses mesures, telles que l'admonestation (comme en Angleterre et en Italie), l'internement chez soi, la réforme du système des SOCIETES ANTHROPO-JURIDIQUES 173 amende», les travaux publics à l'air libre, et la plus large application de la condamnation conditionnelle, qui permet le relèvement du condamné coupable d'un entraînement passager, en ne le livrant pas au voisinage pervertissant des récidivistes, délinquants d'habitude. On a adopté à l'unanimité l'amendement de M. Garofalo. « L'union recommande l'application du prin cipe de la condamnation conditionnelle en in sistant sur la nécessité d'en déterminer'les li mites d'après les conditions locales et en tenant compte des sentiments et de l'état moral des peuples. » ■ Honneur, trois fois honneur à Du Hamel, à Prins, qui ont fait les premiers pas dans cette voie ! honneur à tous ces nobles esprits qui, entraînés par le flot puissant des vérités nouvelles, ont renoncé (ce qui est rare chez les hommes et plus encore chez les savants) à des convictions qui, formées dans leur jeunesse, grandies avec leur gloire, devaient leur être doublement précieuses.—11 est bien vrai que quelques-uns d'entre eux désavouent leur origine et protestent qu'ils n'ont rien de commun avec nous; mais ce n'est là qu'une très rare exception. Et, d'autre part, lorsqu'on combat, comme nous, pour une idée, que nous importe si la personne est méconnue, pourvu qu'on adopte son drapeau? — N'est-ce pas la destinée commune dans ce monde, que les fils, en grandissant, délaissent leurs parents, tandis que ceux-ci n'oublient jamais leurs enfants? 10. 174 LES PROGRÈS DE L'ANTnROPOLOGIE CRIMINELLE Pour nous, cet oubli môme prouve notre maturité. IV ' Mais comme un bonheur ne vient jamais seul je vois poindre à l'horizon une application encore plus nouvelle. Manouvrier, dans un de ces moments prophétiques qu'ont les hommes de génie, disait, il y a peu de jours, que non seulement il existe une anthropologie criminelle; mais qu'il devait se former une anthropologie historique, sociale, etc. Eh bien ! ce moment est déjà venu. Taine et Renan ont déjà* créé une anthropologie historique : MM, Lessona, Fiorelti, ont fait des essais d'applications au droit civil, surtout pour les testaments, les droits de succession et le divorce. M. d'Aguanno vient de publier un ouvrage très volumineux rempli de documents et d'aperçus généraux sous le titre : Sulla evoluzione e genesi del diritto civile (1890). Et si dans ces nouvelles applications, notre science allait perdre son nom et recevoir un nom nouveau comme anthropologie sociale, juridique? Eh bien ? ce jour serait béni ; car nous tenons bien plus au triomphe des idées nouvelles qu'à celui de leur nom. Je n'ai pas fait .mention jusqu'ici du Congrès d'Anthropologie criminelle de Rome, ni de celui de Paris. Les actes du premier sont déjà publiés, et ceux du second vont paraître et mieux que SOCIÉTÉS ANTHROPO-JURIDIQUES 115 toutes mes paroles, confirmeront l'importance de la nouvelle science. Mais un fait qu'ils ne pourront pas mettre suffisamment en évidence, fait reconnu cependant par tous les congressistes présents à Paris en 1889, c'est que grâce à l'hospitalité de MM. Thévenet, ministre de la justice, MM. Herbette, Brouardel, Roussel, Motet, Magnan, Roland Bonaparte, et de tant d'autres, la courtoisie française s'y est montrée aussi grande que sa génialité. APPENDICE ENSEIGNEMENT DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE KT SURTOUT DE LA SCIENCE PÉNITENTIAIRE DANS LES PRISONS 1. A première vue, on dirait qu'il est superflu de vouloir démontrer l'utilité.d'un enseignement de la science pénitentiaire. Puisqu'il s'agit de connaissances qui peuvent décider du sort de milliers et de milliers d'individus et, ce qui est plus important encore, de connaissances auxquelles la sécurité de toute la société est intéressée, il est bien naturel d'admettre que ce doit être un grand avantage de fixer des règles pour « tous ceux qui embrassent la carrière pénitentiaire et poursuivent le noble but du relèvement moral des criminels. Jusqu'à ce jour, nous avons marché dans ce domaine en tâtonnant et sans recourir aux sciences et moins encore à l'enseignement universitaire. C'est une loi générale, d'ailleurs, que les théories, didactiques, soient précédées d'une action plus ou moins tâtonnante et informe. Les mots résonnèrent bien avant que la grammaire les recueillit et fixât les règles du langage; et des centaines de siècles APPENDICE 177 s'écoulèrent avant que le griffonnage graphique fût remplacé par les lettres de l'alphabet et ensuite par les règles de la peinture. Pendant bien des années on fit la guerre, le commerce, avant de connaître l'arithmétique, l'économie politique, la balistique et la statistique. Ce n'est guère qu'aujourd'hui que l'on -commence réellement à enseigner l'histoire d'une manière scientifique, car, auparavant, ce qu'on enseignait était la chronique des événements. Le droit pénal, aussi, n'a pris une forme didactique que depuis peu d'années. La matière des sciences pénitentiaire et carcéraire est plus compliquée et plus susceptible d'enseignement que toutes les autres; et cependant elle en est dépourvue. Si nous prenons d'abord en considération l'architecture des prisons, nous ne sommes pas encore arrivés à savoir comment on doit construire une cellule ou un atelier qui, tout en étant économique, ne nuise pas à la santé et permette au détenu d'y être occupé utilement, sans être exposé à la dépravation que le régime en commun des criminels entraîne après lui. Une pareille cellule et de pareils ateliers n'existent pas encore, et on ne sait pas à. l'heure qu'il est comment on devrait modifier, les constructions des maisons de correction, des prisons pour femmes et des maisons d'arrêt, dans lesquelles les prévenus innocents ou coupables passent une phase de transition. Nous avons été ravis d'entendre louer les constructions et l'aménagement de certains pénitenciers allemands, russes, suédois. Nous n'en avons pas fait l'étude et la critique; et je dis cela pour les savants, car la connaissance de ces choses n'est pas 178 LES PROCHES DE L ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE du domaine du public. Mais si on connaît bien le côté matériel d'un établissement pénitentiaire, con-nait-on aussi bien le côté administratif et moral? Noos nous faisons ici d'étranges illusions, comme jusqu'à présent nous nous en sommes fait sur le droit pénal. Nous tranchons les questions, à droite et à gauche, sans examiner les faits; nous nous persuadons qu'un certain établissement est vraiment utile, parce que sa construction a une forme carrée ou allongée ou circulaire, nous croyons qu'elle permet alors l'isolement des criminels et guérit radicalement ces derniers d'anomalies qui résultent de l'atavisme ou de lésions tranmatiques ou de profondes déformations organiques. A cela s'ajoute l'administration qui est très compliquée, surtout lorsque le travail est introduit dans les prisons ; et que, dans cette organisation on veut s'affranchir de la coopération des entrepreneurs toujours pernicieuse. Ensuite, on rencontre de grandes difficultés lorsqu'il s'agit de donner satisfaction à des besoins de récréations intellectuelles, en autorisant les entrevues de prisonniers avec des personnes distinguées, en admettant les détenus à l'usage des livres de la bibliothèqce, en organisant l'instruction religieuse, de manière à ce que cette dernière ne conduise ni à la monomanie religieuse, ni à l'athéisme ni à l'intolérance. Nous ne croyons pas qu'on puisse prévoir et pourvoir à tout cela au moyen de quelques articles d'un aride règlement, ni même résoudre ces problèmes avec une série de tableaux statistiques qu'il est facile d'arranger à sa manière, sans qu'ils aient le moindre rapport avec la réalité. Toutes ces questions ne peuvent être élucidées que par une étude détaillée, profonde, en partie théori- APPENDICE 179 que et en partie pratique, qui cherchera à s'émanciper de l'apriorisme qui s'est faufilé dans la pratique carcéraire et y a fait commettre bien des fautes. Rappelons à cet égard les illusions qu'on se faisait tout récemment à ce propos. Je n'ai pas besoin de les énu-mérer, il suffit de citer les ouvrages de MM. Beltrani-Scalia, Salillos et Prins (J). L'échec auquel nous assistons résulte d'un excès de généralisation; sous prétexte de supprimer l'arbitraire, on a supprimé le mouvement et la vie. « Quand même les tribunaux d'Europe continueraient à laisser tomber les condamnations sur les misérables, comme un robinet laisse tomber l'eau goutte à goutte sur le sol, encore rien ne serait-il changé : les condamnations s'enfoncent dans les masses comme les gouttes d'eau dans le sable. Croire que l'on transformera ce mal des prisons, est une énorme illusion. Croire que l'on y réussira par un séjour rapide dans une prison est une absurdité. La prison, plus que toute autre peine, demande à être appliquée avec discernement. En la prodiguant à tort et à travers à tous ceux qui défilent devant un tribunal, on en émousse l'effet, on en détruit la portée, et on sape par la base le système pénitentiaire d'autant plus sûrement qu'il est presque impossible de fournir du travail aux détenus de quelques jours, et que la peine devient ainsi une excitation à la paresse (Prins). > 2. Mais il y a une étude plus importante encore, car elle intéresse l'administration carcéraire et l'administration pénale : je veux parler de l'étude de l'homme criminel. On croyait dans les temps anciens (I) Voir Prins, De la libération conditionnelle en Belgique, 1888. 180 LES PROGRÉS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE que l'on pouvait étudier la maladie au lieu du malade, le crime et non le criminel. Il est inutile de dire combien cela a été nuisible, car le même crime peut être commis par passion, dans un accès de délire, par suite d'un vice inné, et selon les cas, il faut des peines spéciales. La lutte inutile, et ce qui est pis, inutilement coûteuse qu'on a soutenue jusqu'à présent contre le crime, dont la récidive va toujours en augmentant, sert à démontrer l'effet de nos erreurs. Même, abstraction faite de cette faute, la nécessité de l'étude du criminel s'impose en obéissance aux vieilles maximes des sciences carcéraires. Je fais allusion ici aux observations si intéressantes, faites à Zwickau, d'après lesquelles on doit traiter les criminels individuellement, et modifier le traitement suivant le caractère personnel,' si l'on veut obtenir un résultat quelque peu satisfaisant. Gomment pourra-ton donc pratiquer la libération-conditionnelle, administrer avec succès une maison de correction, sans étudier individuellement le crime? Et comment fera-t-on une étude individuelle si l'on n'organise pas des enseignements spéciaux sur les criminels ? C'est grâce à l'absence de cet enseignement que les juristes et la plus grande partie des employés carcéraires envisagent les criminels comme des hommes tout à fait normaux qui sont frappés d'un sort malheureux, des conscrits qui, dans la conscription de malheur, au lieu de tirer un bon numéro, ont tiré un mandat d'emprisonnement. Il est naturel qu'avec de telles erreurs fondamentales, on doive se tromper dans toutes les mesures prises contre les criminels, et qu'on en soit arrivé à un tel point que dans tous les pays, l'Angleterre et 181 APPENDICE l'Amérique du Nord exceptées, les gens honnêtes ont plus à souffrir des frais de détention des coupables que de leurs méfaits. 3. Ces recherches doivent, naturellement, être pratiquées sur les lieux. Tout le mécanisme de la cellule, tous les' rouages du service qui doivent rendre efficace une maison de correction, l'organisation des travaux qui doivent alléger les charges de l'Etat sans nuire à l'isolement et à l'amendement des criminels, ne peuvent être mis en pratique si l'on n'est pas en contact avec les faits. Aussi est-il impossible d'étudier l'homme criminel sans le voir, et même de bien près, ce qui n'est pas difficile. C'est à tous ces mensonges juridiques dont l'Europe s'est imbue jusqu'ici,' qu'il faut attribuer cette légende que l'accusé ne reçoit pas volontiers des visites et ne se soumet pas docilement à un examen anthropométrique, surtout lorsqu'il est question de criminels communs. Par amour de la science et de la pratique médicale, nous laissons percuter des centaines de phtisiques dans les hôpitaux, examiner des centaines de femmes enceintes par des jeunes gens, manipuler dans les cliniques chirurgiques des membres fracturés et palper le corps des individus des deux sexes ; et quoique les visites soient bien souvent fatales aux aliénés, nous laissons, sans difficulté, fréquenter les cliniques psychiatriques, pendant des mois entiers, par les étudiants en médecine ; et les difficultés commenceraient seulement pour les criminels ? : Gomment expliquer cette manière d'envisager les. choses à rebours et seulement pour ces personnes ' qui, certainement, sont bien moins délicates et moins intéressantes : les criminels ? LOMBROSO. — Anlhr. critn. 11 182 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE Si les égards que nous avons étaient sincères, nous aurions à prendre des mesures, non pas pour empêcher les études sur le condamné, mais bien plutôt pour défendre la publication dans les journaux, de notices beaucoup plus répandues, plus obscènes et plus calomnieuses, données sur les prévenus, avec leurs portraits, et nous devrions restreindre la publicité des cours d'assises que, par suite d'un autre mensonge juridique conventionnel, on considère comme sauvegarde des honnêtes gens, des accusés, des faibles, et, Dieu nous garde, de la liberté politique I Un prévenu qui peut être le plus honnête homme du monde, on le laisse traîner dans la presse avec ses nom et prénoms, on permet que son portrait, sa biographie courent dans tous les journaux, et après cela on jette les hauts cris si quelque savant, devant des collègues, veut étudier la physionomie non pas d'un prévenu, mais d'un vrai criminel d'habitude ! Un examen semblable, fait avec calme par des personnes sérieuses, ne donne presque jamais lieu à des inconvénients et ne trouble pas la discipline. Il suffit qu'on sache que pendant quatorze années j'ai pu conduire une centaine d'étudiants dans les prisons de Pavie et de Turin, sans qu'une seule fois la presse s'en soit doutée et sans qu'aucun des prisonniers, quoiqu'il en eût le droit, se soit refusé à l'examen. D'autre part, il est bien entendu qu'on ne doit pas étudier les premiers venus, et bien moins les prévenus, s'ils ne sont pas en état de récidive, à moins qu'ils ne soient, au moment de l'examen, sous le coup d'une accusation grave. On doit aussi exclure les prisonniers qui se refusent à se laisser examiner et qui ont commis des 183 APPENDICE crimes qui ne dénotent pas la perte du sens moral, comme les faillis, par exemple, certains faussaires,etc. On ne doit étudier que les criminels-nés. D'autre part, les autres criminels ne diffèrent pas beaucoup des autres hommes et n'ont pas besoin de soins spéciaux. On doit faire cette étude avec le tachi-anthro-pomètred'Anfosso, suivant les règles qui ont été fixées avec tant de finesse par Tamburini et Be-nelli (1) et que j'ai essayé de compléter, et aussi selon les règles fixées par Berlillon. Et comme beaucoup de criminels-nés ne sont pas véridiques, l'examen doit être précédé de l'étude de l'acte d'accusation. Ces entrevues et cet examen ne peuvent être dangereux pour les criminels ; au contraire, les résultats de ces études communiqués à ceux qui doivent décider de la détention et éventuellement de la libération conditionnelle des individus, pourront servir, beaucoup mieux que les démarches et instances des députés et les informations bureaucratiques qui en sont généralement la règle ; et cela d'autant plus que ces entrevues pourraient corriger les oisivetés dangereuses de la cellule, et bien des fois prévenir les erreurs de la justice humaine ou aider à les réparer comme dans le cas de Rossi (2), où un condamné à vie, pourvoi de grand chemin, fut reconnu à l'examen anthropométrique et à l'examen psychologique pour être un honnête homme calomnié. Cette étude nous donnerait aussi un nouveau moyen pour introduire, dans l'enseignement des connaissances carcéraires, l'examen de l'homme criminel. Mais si les préjugés et les mensonges conventionnels qui dominent encore empêchaient l'étude (I ) Acte» du Congrès d'anthropologie criminelle, nome, 1888. (2) Centwia dei criminali, 1S8S, I, etc. I f 184 LES PROGRÈS DE L'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE de l'homme criminel en prison, rien n'empêcherait d'étudier les criminels libres, en grand nombre dans le monde, et qu'on peut très facilement rencontrer sur la voie publique. Aussi, quant à moi, depuis six. ans, je ne fais mes études que sur ceux-ci. Le seul inconvénient qui pourrait se présenter, lorsque les étudiants pénètrent dans les prisons, ce serait que des accusés innocents et honnêtes y soient aperçus contre leur volonté. Il est vrai que, malgré tout, ils pourront être vus au tribunal; néanmoins on devrait l'éviter, en donnant un masque à tous ceux qui le désirent, en faisant pénétrer directement les étudiants dans l'école de la prison et en n'y appelant que les individus qui voudraient bien se laisser examiner. Quant aux maisons de correction pour jeunes délinquants, la question est encore plus délicate et plus compliquée. Je crois que l'examen ne doit être fait qu'avec le concours des maîtres et des directeurs spirituels et sur les meilleurs élèves, en représentant la visite comme une distinction, et en n'examinant jamais que les jeunes gens dont l'entrée a été provoquée par un délit, car autrement on pourrait souvent pervertir des enfants honnêtes et malheureux. Il serait, d'autre part, très avantageux de faire une étude approfondie sur le revers de la médaille et d'étendre ces recherches dans les écoles publiques, en examinant les élèves plus incorrigeables, comme premier pas vers leur internement dans une maison d'éducation correctionnelle. Un inspecteur des écoles de l'Italie, de grand talent. M. Ruffîni, qui a vu combien ces recherches seraient utiles, a déjà fait une espèce d'apostolat dans le but d'obtenir qu'on prenne note, dans le livret de l'école, des anomalies morales des enfants, anomalies APPENDICE 185 qui, lorsqu'elles persistent pendant plusieurs années, peuvent être considérées comme de graves indices, de criminalité, et demanderaient des mesures préventives pour empêcher que l'enfant ne contracte définitivement des penchants vicieux. Et voilà comment des recherches didactiques pourraient contribuer à la protection de la société. Pour ce qui regarde les femmes, ces recherches ne sont pas aussi nécessaires, car la criminalité est bien moins répandue parmi elles. Ces recherches devraient se borner aux prostituées criminelles qui, ayant été en contact avec le monde et plus qu'il ne faudrait, ne seront pas, par cet examen, blessées dans leur amour-propre, et dont la pudeur ou la timidité ne subirait aucune atteinte. Le cours d'instruction devrait comprendre : a). Une partie théorique sur les lois, ordonnances et règlements carcéraires, sur les types de cellules, le mobilier, etc. ; 6). Une .étude de la statistique criminelle, théories pénales, libération conditionnelle, patronage, etc.; c). Des études d'anthropologie criminelle et de psychiatrie sur les criminels ; d). Une autre partie toute pratique consisterait en! un examen direct des lieux de détention, des cellules, etc., sous les yeux des directeurs, des sousdirecteurs et des professeurs. Un registre en double copie, dans lequel le résultat de ces études et de ces visites serait inséré, devrait être consulté par la commission pour la liberté conditionnelle et par la commission de surveillance des prisons. £i>i*ftV TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE DE LA 3° ÉDITION............................................................. -. PREFACE DE LA 1™ EDITION ....................................................... PREFACE DE LA 2° EDITION ......................................................... CHAPITRE PREMIER. — ANOMALIES MORPHOLOGIQUES. . . Cerveau ....,..,, ........................................ .. . ....... Crânes. ...................................................•. , . . .*, . Squelette ,»y..........................................................-, , , Anomalies dans les vivants .............................................. CHAPITRE II.— LES FONCTIONS DES CRIMINELS....................... Résistance à la douleur ................................................. . Sécrétions '. ...................................................................... Odorat .............................................................................. Goût . . .""* ...................................................... ., . . . Marche ..-.,'« .................................................................... Gestes. ..................................................................-, . . Tatouage. . . . . .... ..................................................... . . CHAPITRE III. — GENERALITES. — PATHOLOGIE DE L'HOMME CRIMINEL.................................................................................. CHAPITRE IV. — LES EPILEPTIQUES. — LES CRIMINELS . . CHAPITRE V. — LES CRIMINELS EN PRISON, t. .......................... CHAPITRE VI. — CRIMES POLITIQUES, INFANTICIDES, ETC. . CHAPITRE VII. — CONGRES, JOURNAUX ET SOCIETES AN THROPO-JURIDIQUES .................. . . . . . . » ............................... APPENDICE. — Sur la nécessité de l'enseignement péni tentiaire et de l'anthropologie criminelle ............................. gV R E U X , I M P R I M E R I E DE CHARLES H É R IS S E Y Pages vil 1 21 39 40 42 &-, 47 72 73 75 76 78 80 80 81 92 107 130 151 168 176 Félix ALf.AN, éditeur, 108, boulevard Saint-Germain, Paris. BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE Extrait du Catalogue ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE AUBRY (le%,v Paul). — La contagion du meurtre. 1896, 3° edit. 1 vol. in-8°, préface de M. le Dr CORKE. 5 fr. FÉRÉ (Ch.), médecin de Bicêtre. — Dégénérescence et ' criminalité. 3° édition, 1900. 1 vol. in-18 avec 21 gra phiques ................, ....................................... 2 fr. 50 FERRI (E.), professeur à l'Université de Rome. — Les Criminels dans l'art et la littérature. 1897. 1 vol. in-18 ................................... ■:..'...-.. 2fr. 50 FLEURY (Dr M. de). — L'Ame du Criminel. 1899. 1 vol. in-18 .............. * ................,...-.... 2fr. 50 GAROFALO, conseiller à la cour d'appel et professeur agrégé à l'Université de Naples. — La criminologie, 1 vol. in-18, 4° édition, 1895 . . . . rf> . . 7 fr. 50 LOMBROSO (Cesare), professeur à l'Université de Turin. — Nouvelles recherches de psychiatrie et d'anthropologie criminelle. 1892. 1 vol. in-18. . L» . 2fr. 50 — .......................................................................Les applications de l'anthropologie criminelle. 1892. 1 vol. in-18.....................................................2fr. 50 — L'anthropologie criminelle et ses récents progrés. 1 vol. in-18, 4° édit., 1901 ..... j§, . . 2 fr. 50 I*UX ALCAM, EDITEUR, 108. BOULEVARD SAINT-GERMAIN — L'homme criminel (criminel-né, fou-moral, épilepliijue). 2" (Mit., 1895. 3 vol. in-8°, arec atlas . ;'.»%•■". 36 fr. LOMBROSO et FERRERO. — La Femme criminelle et la Prostituée. I vol. in-8°, arec 13 planches hors texte, 1890 .................................................................. . 15 fr. LOMliROSO et LASCHI. — Le Crime politique et les Révolutions. 1 roi. in-8", arec planches hors texte. 1898...............................> '..».,. e* '-. . . 15 fr, PROAL (Louis), président à la cour d'appel de Riom, lauréat de l'Institut. — La criminalité politique. 1893. 1 vi.I. in-S°................................................... . . . B fr. — Le crime et la peine. 3" édit, 1899. 1 roi. in-8°. 10 fr. - Le crime et le suicide passionnels. 1900. 1 roi. in-8°. 10 fr. SI<;ilELE. — La foule criminelle. 1 roi. in-8°, 2* édil., refondue, 1901 . . »£ , «. • .'»'.. V-^'.i;.'.v 5fr. TARDE (G.). — La criminalité comparée. 4° édit., 1898. 1 roi. iu-18. . . . * . . . .............................. • ••• 2 fr. 50 I PSYCHOLOGIE PATHOLOGIQUE DLTRAT (C..-L.), docteur es lettres. — L instabilité mentale. — Essai sur les données de la psycho-pathologie. 1899. 1 roi. in.-8\ Vr. • «'';*. . . .V.^.;. 5 fr. FLEL'RY (Dr M. de). — Introduction à la médecine de l'esprit. 1900. 6° édit. 1 fort roi. in-8° . ;^» \ 7 fr. 50 Gl'RXEY, MVERS et PUDMURE. — Les hallucinations télépathiques. adaptation de l'anglais par L. MAIULLIER, arec préface de M. CH. RICHKT. 3" édit., 1899, 1 vol. in-8°........................................................... . ,jt î fr. 80 NORD AU (Max). — Dégénérescence. 1898. 2 roi. in-8», 5» édit. . . 17 fr. 50 FELIX ALCAN, ÉDITEUR, 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN — Psycho-physiologie du génie et du talent, traduit de l'allemand par A. DIETIUCH. 2° édit., 1898, 1 vol. in-12...........j,\ . .'„,.■. . . . . '..',".-. 2 fr. 50 RIBOT (Th.), professeur au Collège de France. — Les maladies de la mémoire. 13e édit., 1898. 1 vol. in-18. I 2 fr. 50 — Les maladies de la volonté. 15° édit.. 1899. 1 vol. in-18 .............. «....,, .......................... ...'V- 2fr. 50 — Les maladies de la personnalité. 8e édit., 1899. 1 vol. in-18. . ^^B . . . _L^^JL^«i^L*Jfr. 50 MORALE ARRÉAT (Lucien). — La morale dans le drame. 2° édit., 1889. 1 vol. in-18 .......................................... . 2 fr. 50 BERSOT (Ernest), de l'Institut.— Libre philosophie. 1868. 1 vol. in-18....................................... . . . . 2 fr. 50 CHABOT (Ch.), professeur adjoint à la Faculté des lettres de Lyon. — Nature et Moralité. 1896.1 vol. in-80' 5 fr. CRESSON (A.), professeur agrégé de l'Université. — La Morale de Eant. — Etude critique. 1897. 1 vol. in-18.............................................. ,..».. 2 fr. 50 DELBOS (Victor), professeur de philosophie au lycée Henri IV. — Le problème moral dans la philosophie de Spinoza et dans l'histoire du spinozisme. 1893.1 vol. in-8». .- :>:. ;•/■>. . ••*. j'. . . . . . . '10 fr. FOUILLÉE (Alf.), de l'Institut. — Critique des systèmes de morale contemporains. 1899. 1 vol. in-8°, 4° édit. 7 fr. 50 FULLIQL'ET (G.), docteur es sciences, licencié en théologie. — Essai sur l'obligation morale. 1898. I vol. FÉLIX ALCAN,ÊniTEin,108. BOULEVARDSAINT-GERMAIN GUYAU. — La morale anglaise contemporain*. 3* édit., augmentée. 1895. I fort yol. in-8° '. . ... 7 fr. 50 — Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction. 1896. 4" «'-dit. 1 vu1. in-8°. . . . *. Jt* ............... 5 fr. IIERCKENHATH (G.-K.), professeur a«*#céV'<le Gro-; ningue (Hollande). — Problèmes d'esthétique et de morale. 1897. 1 vol. in-18 . . +, ■ ....". 2"fr.50 LANESSAN (J.-L. de), ancien gouverneur général de l'Indo-Chinc, — La morale des philosophes chinois. 1896. 1 vol. in-lS, .• .................... ^',.k^L,- • 2 fr- '° LEFÈVRE (G.), maître de conférences à la' Faculté des lettres de Lille.. — Obligation morale et Idéalisme. 1895, 1 Toi. i'n-WCIi'..,*•» • ■ •« - . 2fr. 50* Ll'BBOCK (Jolm), de la Société royale de Londres. —Lé" bonheur de vivre. 5* édit., 1898. 2 vol. in-18. Chaque* volume ......................... :','.'.............................. '8 fr, 30 — L'emploi de la vie, traduit de l'anglais parllovEtAoun, agrégé de l'Université. 2- édit., 189T, 1 vol. in-18,2, fr.*50 ' M AH ION (H.),professeur à la Sorbonne.— De la solida rité morale. 5° édit. 1899, 1 vol, in.8°. .. . .% 5 fr; PAV.QT (Jules), inspecteur d'Académie. — L'éducation de % la volonté. 10» édit., 1901. 1 vol. in-8°. *.«,'•• p frHOBERTY (E, de). ï- Le bien et le mal. 1896. 1 vol. in-18. „ . . .-'. *.wV *"..**• • • 2 fr. 50 — Les fondements de l'éthique. 1898. 1 vol.in-12. âfr. 50 SCHOPENHALEB» ~ Le fondement de la morale, tradfA.'.HunuEAU...4u édit., 1891. 4 vol. in-18. . .' 2 fr. 30 *-* Apliorismes sur la sagesse dans la vie, traduit par . M. J.-A. CANT.ACCZEIJB.GU édit-, 189T. 1 vol. in-8°. , 5 fr. SULlY (James). —- Le pessimisme, traduit dé l'anglais par Al M. BERTRAND et GERARD. 2° édit„ 1893. 1 vol. in-VJt . . . . J^,- ............................s»'*** 1tf.60• Mai 1903 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILL1ÈRE ET G'0 108, boulevard Saint-Germain, 108, Paris, 6'. EXTRAIT DU CATALOGUE SCIENCES — MEDECINE — HISTOIRE — PHILOSOPHIE* B I B L I OT H È Q U E SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE Volâmes in-8, cartonnés à l'anglaise. — Prix : 6 fr. 98 VOLUMES PUBLIÉS ', 1. 3. TYNDALL. Les glaciers et les transformations de l'eau, 1" éd., illustré. 2. W. BAGEHOT. Lois scientifiques du développement des nations, 6* édition. 3. J. MARE Y. i<a machine animale, locomotion terrestre et aérienne, 6* édition, illustré. 4. A. BAIN. L'esprit et le corps considères au point de vue de leurs relations, 6* édition. 5. PETTIGREW. La locomotion chez les animaux, 2° éd., fil. 6. HERBERT SPENCER. Introd. à la science sociale, 13» édit. 7. OSCAR SCHM1DT. Descendance et darwinisme, 6" édition. 8. H. MAUDSLEY. Le crime et la folie, 7" édition. 9. VAN BENEDEN. Les commensaux et les parasites dans le règne animal, !• édition, illustré. 10. BALFOUR STEWAltT. La conservation de l'énergie, 6' éd., illustré, il. DRAPER. Les conflits de la science et de la religion, H» éd. 12. LEON DUMONT. Théorie scientifique de la sensibilité, 4* éd. 13. SÇÏÏUTZENBERGER. Les fermentations, 6" édition,illustré. 14. WHITNEY. La vie du langage, 4» édition. 15. COOKE et BERKELEY. Les champignons, 4° éd., illustré. 16. BERNSTEIN. Les sens, 5° édition, illustré. 17. BERTHELOT. La synthèse chimique, 9» édition. 18. NIEWENGLOWSKl. La photographie et la photochimie. illustré. 19'. LUY8. Le oerveau et ses fonctions. 7« édition, illustré. 20. \y. STANLEY JEVONS. La monnaie et le mécanisme de l'échange, 5e édition. 21. FUCUS. Le* volcans et les tremblements de terre, 6* éd. 2 I Étala Si campa lUmiii»! 3» édition. «MB H 3. M. A. DEQLWTRl.F.V Leepèca humaine. 13» édition. M. BUSERNA et UrXMHoi.TZ. Uto««tk m Use». 8* 44. Ml •--.. rp—""-T -T--------1—f - --.r miiwtrjrITQ M. BHl'CKK «t HF.UIHOl.TZ. Principe» selenUflquas des t—mu, 4» ésWia. illustré, fl. WL'RTZ. La «Marte atosnJqi»». $• édition. ■ •»-». SECCHI (le Pur*). Lee étoile». 3* édil., 1 roi. illustrés. 30. H. JOLY. L'homme ayant taa métaux, !• édiL (r>«tK?l. # M. A. BAIN. La science de l'éducation, W édition. 3333.THURSTON.Histoire dela machine A v»peur.:fcd.,2t«L 34. R. HARTMANN. LH peuplée 4a l'Afrique. 2* édit. (epsas**). 33. HERBERT Si't-.NCEH. Les basée (ta la monda évotuUoonlate. > édiii- : ' H M. Ta.-H. HUXLEY. L'eeravteeo. introduction A l'élude de la wwiogie, T édition, illustré. 37. DE RORERTT. La aaatotegta. 3* édition. 34. 0.-N. ROOD. Théorie acientiaque daa couleur» at taon applications * fart at * l'industrie, S* édition, illustré. 19. UE SAPORTA ai J4VRION. L'évolution du régna végétal. | ta» rry/rf->;.•■•:", illustré. H ♦0-41. CHARLTON-BASTIAN. La carreau et ta panaéa. «•éd., KiiStfCS. 44. JAMES SIU.Y.LeeUlueione leeeens etdeleaprft. 3*éd.,iil. 44. TOONG. La Soleil, illustré [épuise). 44. A. HE CAN0OLE& Origine daa plante» outUveea, 4* édit. 45-46. J. LUBBOCa. Lea Fourmi», laa abeille» et les Onèpa», S vol. illustre*(if/'ui.t-). 41. ED. PERRIER. La phlloa. soologique avant Darwin, 3* éd. 48. STALLO. La matière et ta physique moderne, 3* édition. 4f. MANTKUAZZA. La physionomie et l'expression daa sentiments, 3« édit., illustré, a vue S pi. bon texte. 50. DE MEYER. Lea organes de la parole, illustré. 51. DE LANESSAN. Introduction a ta botanique. La sa/tin. r édtt., illustré. ■ 53-53. DE SAPORTA .et MARION. L'évolution du règne Tégètat. Les phawfroffamts, t volumes illustrés. 54. TROUESSART. Le» mlorobea, tee fermenta et le» moisissures, 2* éd., illustré. 55. HARTMANN. Laa singes anthropoïdes, illustré. 56. SCHMIDT. Les mammifères dana leurs rapporta aveo leurs H aneètrea géologiques, illustré. 1 57. BINET et PÈRE. La magnûtiame animal, 4" éd., illustré. 58-59. ROMANES. L'intelligence daa animaux, 3* éd., 2 vol. " 60. F. LAURANGE. Physiologie des c-ieroices du oorpefo* éd. SE^J^REYJTUS^/évoUrtion des mondée et dea eoolétéa. 3» éd.] BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE 3 62. DAUBRÉE. Les régions invisibles du globe et des espaces célestes, 2* édition, illustré. 63-64. J. LUBBOCK. L'homme préhistorique, 4» édition, 2 volumes illustrés. 65. RICHET (Ch.). La chaleur animale, illustré. 66. FALSAN. La période glaciaire, illustré (épuisé). 67. BEAUNIS. Les sensations internes. 68. CARTAILilAC. La France préhistorique, 2* éd., illustré. 69. BERTHELOT. La révolution chimique, Lavoisier, illustré. 70. J. LUBBOCK. Les sens et l'instinct chez les animaux, ill. 11. STARCKË. La famille primitive. 12. ARL01NG. Les virus, illustré. 13. TOP1NARD. L'homme dans la nature, illustré. 74. BINE'f. Les altérations de la personnalité. 75. A. DEQUATREFAGES.Darwin etsesprécurseurs français,2»éd. 76. LEFEVRE. Les races et les langues. 77-78. A. DE QUATREFAGES. Les émules de Darwin, 2 vol. 79. BRUNACHE. Le centre de l'Afrique; Autour du Tchad, 80. 81. 82. 83. 84. 85. illustré. A. ANGOT. Les aurores polaires, illustré. JACCARD. Le pétrole, l'asphalte et le bitume, illustré. STANISLAS MEUNIER. La géologie comparée, illustré. LE DANTEC. Théorie nouvelle de la vie, 2° éd., illustré. DE -LANESSAN. Principes de colonisation. DEMOOR, MASSART et VANDERVELDE. L'évolution régressive en biologie et en sociologie, illustré. 86. G. DE MORT1LLET. Formation de la nation française, < 2* édition, Illustré. 87. G. ROCHE. La culture des mers en Europe (Piscifaclure, pisciculture, ostréiculture), illustré. 88. J. COSTANT1N. Les végétaux et les milieux cosmiques (Adaptation, évolution), illustré. 89. LE DANTEC. Evolution individuelle et hérédité. 90. E. GU1GNET et E. GARNIER. La céramique ancienne et moderne, illustré. 91. E.-M. GELLÉ. L'audition et ses organes, illustré. 92. STANISLAS MEUNIER. La géologie expérimentale, ill. 93. J/COSTANTIN. ta nature tropicale, illustré. 94. E. GROSSE. Les débuts de l'art, illustré. 95. J. GRASSET. Les maladies de l'orientation et de l'équilibre, illustré. 96. G. DEMENY. Les bases scientifiques de l'éducation physique, 2' éd., illustré. 97. F. MALMÉJAC. L'eau dans l'alimentation, illustré. 9*. STANISLAS MEUNIER. La géologie générale, illustré. 4 FEUX_A1GAN^ ÉDITEUR COLLECTION MÉDICALE ÉLÉGANTS VOLUMES 1N-12, CARTONNES A L'ANGLAISE, A 4 ET A 3 FRANCS Hygiène do l'alimentation dans l'état de santé et de maladie, par le D' J. LAUMONIER, avec gravures. 2° éd. 4 fr.| Les nouveaux traitements, par le mime. 4 fr. L'alimentation des nonvean-nés. Hygiène de l'allaitement artificiel, par le Df S. ICARD, avec 60 gravures. 2° édit. {Couronm par l'Académie de médecine.) 4 fr. La mort réelle et la mort apparente, diagnostic et traite ment de la mort apparente, par le même, avec gravures. 4 fr. L'hygiène sexuelle et ses conséquences morales, par le Dr S. RIBBING, prof, à l'Oniv. de Lund (Suède). 2' édit. 4 fr. Hygiène de l'exercice chez les enfants et les jeunes gens, par le Dr F. LAQRAMGE, lauréat de l'Institut. 7* édit. 4 fr. De l'exercice chez les adultes, par le même. 4" édition. 4 fr. Hygiène des gens nerveux, par le Dr LEVILLAIN, avec gra vures1. 4° édition. 4 fr. L'idiotie. Psychologie et éducation de l'idiot, par le D' J. VOISIN, médecin de la Salpètrière, avec gravures. 4 fr. La famille névropathique, Hérédité, prédisposition morbide, dégénérescence, par le D* CB. FERE, médecin de Bicêtre, avec gravures. 2" édition. 4 fr. Le traitement des aliénés dans les familles, par le même. 2* édition. 3 fr. L'instinct sexuel. Évolution, dissolution, par le même. 2* édi• tion. 4 fr. L'éducation physique de la jeunesse, par À. Mosso, pro-fess. à l'Univers, de Turin. Préface du Commandant LEGROS. 4 fr. Manuel de percussion et d'Auscultation, par le D'P. SIMON, professeur â la Faculté de médecine de Nancy, avec grav. 4 fr. Éléments d'anatomle et de physiologie génitales et obstétricales, par le D'A. Pozzi, professeur à l'Ecole de méde cine de Reims, avec 219 gravures. 4 fr. Manuel théorique et pratique d'aecouchements, par le le même, avec 138 gravures. 3* édition. 4 fr. Morphlnlsme et Horphinomanlc, par le D' PAUL RODET. [Couronné par l'Académie de médecine.) 4 fr. La fatigue et l'entraînement physique, par le D' PH. TISSIE, avec gravures. Préface de M. le prof. BOUCHARD. S* édition.' 4 fr. Les maladies de la vessie et de l'urèthre chez la COLLECTION MÉDICALE 5 femme, par le D' KOLISCHER ; trad. de l'allemand par le D' BBOTTNER, de Genève; avec gravures. 4 fr. L'é iucation rationnelle de la volonté, son emploi théra peutique, par le D' PAUL-EMILE Lfivr. Préface de H. le prof. BBRNUEIM. 3* édition. 4 fr. Le profession médicale. Ses devoir», ses droits, par le D' G. MORACIIE, professeur de médecine légale à l'Université de Bordeaux. 4 fr. Le mariage. 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Chirurgie 4e la face, par les D" FBMX TERRIER, GOILLIMAIH el MALHERBE», avec gravures. 4 fr. Chirurgie du cou, par les mêmes, avec gravures. 4 fr. Chirurgie ta cn-nr et du péricarde, par les D" Faux TNRRIRR et E. RBVMOND, avec 79 gravures. 3 fr. Chirurgie de le plèvre et ta poumon, par les mêmes, avec 61 gravures. 4 fr. 6 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR MÉDECINE Extrait du catalogue, par ordre de spécialités. A. — Pathologie et thérapeutique médicales. AXENFELD ET HUCHARD. Traité des névroses. 9* édition, par HENRI HUCUARP. 1 fort vol. gr. in-8. 90 fr. BOUCHOT ET DESPRES. Dictionnaire de médecine et de théra peutique médicale et chirurgicale, comprenant le résumé de la médecine et de la chirurgie, les indications thérapeutiques de chaque maladie, la médecine opératoire, les accouchements, l'oculitisque, l'odonlotechnie, les maladies d'oreilles, l'électrisalion, la matière médicale, les eaux minérales, et un formulaire spécial pour chaque maladie. 6° édition, très augmentée. 1 vol. in-4, avec 1001 fig. dans le teste et 3 cartes. Broché, 25 fr. ; relié 30 fr. CORNiL ET BABBS. Les bactéries et leur rôle dans l'anatomie et l'histologie pathologiques des maladies infec tieuses. 3a éd. entièrement refondue. 2 vol. in-8, avec 350 fig. dans le texte en noir et en couleurs et 12 planches bon texte. 40 fr. DAVID. Les microbes de la bouche. 1 vol. in-8, avec gravures en '"«'■ et en couleurs dans le texte. 10 fr. DEJER1NE-KLUMPKE (M»°). Des polynévrites et des paralysies et atrophies saturnines. 1 vol. in-8. 6 fr. DK-UET (Pierre}. PU traitement des anévrysmes. l vol. in-8. 5 fr. DOCK WORTH (Sir Dyee). La goutte, son traitement. Trad. de l'anglais par le Dp ROUET. 1 vol. gr. in-8, aveo gravures dans le texte. 10 fr. DU R AND-FARDEL. Traité des eaux minérales de la France et de l'étranger, et de leur emploi dans les maladies chroniques. 3" édition, 1 vol. in-8. 10 fr. FÉRÉ (Cb.). Les épilepsies et les éplleptlques. 1 vol. gr. in-8, avec 12 planches hors texte et 67 grav. dans le texte. 80 fr. — La pathologie des émotions, l vol. in-8. 12 fr. FINGER (B-). La syphilis et les maladies vénériennes. Trad. de l'allemand aveo notes par les docteurs SPILLMANN et POYON. 9* édit. 1 vol. in-8, aveo 5 planches hors texte. 1S fr. FLEURY (Maurice de). Introduction & la médecine de l'esprit. 6« édit. 1 vol. in-8. 7 fr. 50 — Les grands symptômes neurasthéniques 9" édition, revue. 1 vol. in-8. 7 fr. 50 OAYME (L.). Essai sur la maladie de Basedow. 1 vol. grand in-8. 6 fr. GLÉNARD. Les ptôses viscérales (Estomac, Intestin, Rein, Foie, Rate). 1 vol. gr. in-8, avec 224 fig. et 30 tableaux synoptique*. 20 fr. MEDECINE ET SCIENCES 7 GRASSET. Les maladies de l'orientation et de l'équilibre. 1 vol. in-S, oarL à l'angl. 6 fr. HERARD, CORNIL ET HANOT. De la phtisie pulmonaire. 2» éd. i vol. in-8, avec flg. dans lo texte et pi. coloriées. 90 fr. 1CAR.D (S.). La femme pendant la période menstruelle. Éluda| de psychologie morbide et de médecine légale. In-8. 6 fr. JANET (P.) ET RAYMOND (F.). Névroses et idées fixes. TOM s I. — h tndes expérimentale* eut les troublée de la volonté, de l'attentiont de la mémoire; sur tes émotions, tes idées obsédantes et leur traitement, par P. JANBT. 1 vol. gr. in-S, avec 68 gr. 19 fr. TOME II. — Fragments des leçons cliniques du mardi sur les névroses, les maladies produites par les émotions, les idées obsédantes et leur traitement, par F. RAYMOND et P. JANET. 1 vol. grand in-S, aveo 97 gravures. 14 fr. (Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences et par l'Académie de médecine-) JANET (P.) ET RAYMOND (F.) Les obsessions et la psychasthénie. TOME I. — Éludes cliniques et expérimentales sur Us idées obsé dantes, les impulsions, tes manies mentales, la folie du doute, tes tics, tes agitations, lés phobies, les délires du contact, les angoisses, les sentiments d'incomplétude, la neurasthénie, Us modi fications des sentiments du réel, leur pathogénie et leur traitement, par P. JANET. 1 vol. i«-8 raisin, aveo gravures dans la texte. 18 fr. TOME II. — Fragments des leçons cliniques du mardi sur les étais ncuraslhénîques, les aboulies, les sentiments d'incomplétude, les agitations et Us angoisses diffuses, les algies, les phobies, les délires du contact, les tics. Us manies mentales. Us folies du doute, Us idées obsédantes, tes impulsions, leur pathogénie et leur traitement, par F. RAYMOND et P. JANET. 1 vol. in-8 raisin, aveo 22 grav. dans le texte. 14 fr. LAORANOE (P.). Les mouvements méthodiques et la - mécanothèraple ». 1 vol. in-S, avec 55 gravures dans le texte. 10 fr. — Le traitement des affections du cœur par l'exercice et le mouvement. 1 vol. in-S, avec nombreux graphiques et une carte hors texte. S fr. MARVAUD (A.). Les maladies du soldat, étude étiologique, épidémiologique et prophylactique. 1 vol. grand in-8. 80 fr, (Ouvrage couronné par l'Académie des sciences.) MURCHISON. De la fièvre typhoïde. In-S, avec figures dans le texte et planches hors texte. 3 fr. ON IM es ET LEGROS. Traité d électricité médicale. 2* édition. 1 fort vol. in-S, aveo 275 Ogu-es dans le texte. 17 fr. RILLIET ET BARTHEZ. Traité clinique et pratique des maladies des enfants. 3* édition, refondue et augmentée, par BARTHKZ et A. SANNB. TOME I, 1 fort vol. gr. in-8. 16 fr. TOME II, 1 fort vol. gr. in-8. 14 fr. TOME III terminant l'ouvrage, 1 fort vol. gr. in-8. 35 fr. BOLLIKR (Paul). Genèse et nature de l'hystérie. S fort» vol. in-8. £0 fr. 10 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR meols sur la nature ai le traitement de la goutte, la gravelle e, sur l'oligurie, le diabète insipide aveo excès d'urée, l'hippurie, la pimélorrhée, etc. 15 fr. BOTJCHARBAT. Traité d'Hygiène publique et privée, basée sur a l'éliologio. 3 édition. I fort volume gr. in-8.' 18 fr. LAGRANGE (F.). La médication par l'exercice. 1 vol. grand io-8, avec 68 grav. et une carte. 13 fr. — Les mouvements méthodiques et la M mécanothérapfe » 1 vol: in-8, aveo 55 gravures. 10 fr. A. MOSSE. Le diabète et l'alimentation aux pommes de terre. 1 volume in-8, aveo graphiques. WEBER. Climatothérapie. Traduit de l'allemand par les docteurs DOYON et SPILMANN. 1 vol. in-8. I 5 fr. 6 t'. D. — Anatomie. Physiologie. Histologie. BELZUNG. Anatomie et physiologie végétales. 1 fort volume in-8, aveo 1700 gravures. 90 fr. - Anatomie et physiologie animales. 0* édition revue. 1 fort volume in*8, avec 523 gravures dans le texte, broché, 6 fr. ; cari. 7 fr. BÉRAUD (B.-J.). Atlas complet d'anatomle chirurgicale topographique, pouvant servir de complément à tous les ouvrages d'anatoraie chirurgicale, composé de 109 planches représentant plus de 200 figures gravées sur scier, avec texte explicatif. 1 fort vol. in-4. Prix : Fig. noires, relié, 60 fr. — Fig. coloriées, relié, 120 fr. BURDON-SANDERSON, FOSTER BT BRUNTON. Manuel du labo ratoire de physiologie. Traduit de 1/anglais par M. MOOUINTANDON. 1 vol. in-8, aveo 184 figures dans le texte. 7 fr. CORNIL. RANVIEU, BRAULT ET LETULLE. Manuel d'histologie pathologique. 3* édition entièrement remaniée. TOME I, par MM. RANVIBR, CORNU, BIIAULT, F. BESANÇON et M. CAZIN. — IJistolot/ie normale. — Cellule» et tissus normaux. — Généralités sur l'histologie pathologique. — Altération des cellules et des tissus. — Inflammations. — Tumeurs. — Notions sur les bactéries. — Maladies des systèmes et des tissus. — Altérations du tissu conjonctif. 1 vol. in-8, aveo 387 gravures en noir et en couleurs. 25 fr. TOME II,par MM. DURANT», JOLLY, DOMINICI, GOMBADXT et PHILLIPS. — Muscles. — Sang et hématopoièse. — Généralités sur le système neroeux. 1 vol. in-8, aveo gravures on noir et en couleurs. 25 fr. L ouvrage complet comprendra 4 volumes. DEBIEHRE. Traité élémentaire d'anatomle de l'homme. Anatomie descriptive et dissection, avec notions d'organogénie et d'em bryologie générales. Ouvrage complet en 8 volumes. 40 fr. TOMB 1. Manuel de l'amphithéâtre, t vol. in-8 de 950 pages, aveo 450 figura* en noir et en couleurs dans le texte. 30 fr. TOME II ET DERNIER. 1 vol. in-8, avec 515 figures en noir et en cou leurs dans le texte. 20 fr. (Ouvrage couronné par t Académie des sciences.) MINISTRES ET HOMMES D'ÉTAT 11 DEBIERRE. Les Centres nerveux (Moelle épinière et encéphale), aveo applications physiologiques et médico-chirurgicales. 1 vol. in-8, avec grav. en noir et en couleurs. 12 fr. — Atlas d'ostêologie, comprenant les articulations des os et les insertions musculaires. 1 vol. in-4, avec 253 grav. en noir et en couleurs, cart. toile dorée. 12 fr. — Leçons sur le péritoine. 1 vol. in-8, avec 58 figure». 4 fr. — L'embryologie en quelques leçons. 1 vul. in-8, avec I'i4fig. 4 fr. G. DE M EN Y. Mécanisme et éducation des mouvements. 1 vol. in-8, avec nombreuses figures. (Sous presse.) DU VAL (Malhias). Le placenta des rongeurs. 1 beau vol. in-4, aveo 106 figures dans le texte et un atlas de 22 planches en taille-douce hors texte. 40 fr. — Le placenta des carnassiers. 1 beau vol. in-4, aveo 40 figures dans le texte et un atlas do 13 planches en taille-douce. 25 fr. — Études sur l'embryologie des chéiroptères. 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QUE UTILE ,endecartonnage anglais, 1 fnino.i hlègants volume) in-Sl Le volume broché, 60 centimes i 1. Morand. Inlrodaction » l'étude des sciences physique*. 6' éd. S. Cruvollliier. Hygiène générale. 9" édit. 3. Corbon. Ûe l'enseignement pro-| ■f fessioooel. 4" édit. 4. t. Plcbat. L'art et loi articles I «. en Franco, b' édit. 5. Boohez. La* Mérdvingieda-6'éd. 6. Boohez. Le» Cnrlovineiens ,2rcd. I 7. F. atorlo. La France au moyon âge. 5e édit. 8. Bastide. Luttes religieuse» de» premier* slrele». 5* édit. 9. Bastide. Le* guerre* de la Réforma. 5" édit. 10. Pelle tan. Décadouco delà mo-| iini-cl.il! française. 5* édit. 11. Brotbier. Histoire de la terre. 8' éd. 12. Bouant. Le* prinei|iaui faits du la chimie (aveo 0*r.). 13. Toxok. Médecine populaire. ()« édit. 30. ?. Zuroher. Les phéuomènaa de l'atmosphère. 7» édit. 31. E. Raymond. L'Espagne ot le Portugal. 3° édit. 32. Eugène Noél. Voltaire et Rouaseau. 4' édit. 33. A. OU. L'Asie oeoidanlelo et l'Egypte. S* édit. t \ 34. Ch. 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Genevois. Les matières premières. 97. Monta. Les maladies épidémiques (avec fig.). 96. Faque. L'indo-Cnine française. 99. Petit. Économie rurale et agricole. 100. Mahally. L'antiquité grecque (avec fig.). 101. Bere.llist.de l'armée française. 102. F. Genevois. Les procèdes industriels. 103. Quesnel. Histoire de la conquête de l'Algérie. 104. A. Cotte. Richesse et bonheur. 105. Joyeux. L'Afrique française (aveu fig.). 106. G. Mayer. Les chemins de fer (aveo fig.). 107. Ad. Coste. Alcoolisme ou Epargne. 4' édit. 108. Ch. de Larivière. Les origines de la guerre de 1870. 109. Gérardln. Botanique générale (aveo fig.). 110. D. Bellet. Les grands ports maritimes de commerce (avec "KO- . . 111. H. Coupln. Le vie dans le mers (aveo fig.). 112. A. Larbalétrier. Lee plantes d'appartement (avec fig.). 113. A. Milhaud. Madagascar. 2* éd. 114. Sérieux et Mathieu. L'Alcool et l'alcoolisme. 2* édit. 115. D' J. Laumonier. L'hygiène de la cuisine. 116. Adrien Berget. La viticulture nouvelle. 2" éd. 117. A. Aoloque. Les insectes nuisibles (avec fig.). 118. G. Meunier. Histoire de la littérature française. 119. P. Merklen. La Tuberculose; son traitement hygiénique. 120. G. Meunier. Histoire de l'art (avec fig.). 121. Larrivô. L'assistance publique. 122. Adrien Berget. La pratique des vins. 123. A. Berget. Les vins de France. (Guide du consommateur.} 124. Vaillant. Petite chimie de l'agriculteur. 18v. S. Zaborowskl. L'homme préhistorique. 7° édit. 44 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR BIBLIOTHÈQUE GÉNÉRALE DES SCIENCES S O C I A L E S SECRÉTAIRE DR LA REDACTION : DICK MAT. Swrtdlr* général dt l'École dos Hautes Éludes sociales. I_ Volumes ln-8« oarré de 300 pages environ, cartonnés à l'anglaise. Chaque volume, 0 lr. _J L'indHIduallMtlon de la peine, par R. SALEILLES, professeur à la Faculté de droit de I Université de Paris. L'idéalisme social, par EUGENE FOURNIURE. Ouvriers du temps passé (xy° et xvi* siècles), par H. HAUSER, professeur a l'Université de Dijon. Les transformations dn pouvoir, par G. TARDE, de l'Institut, professeur au Collège de France. * Morale sociale. Leçons professées au Collège des sciences sociales, par M51. G. BELOT, MARCEL BERNES, BRUNSCUVICG, F. BUISSON, DARLU, DAUBIAC, DEMI ET, CH. GIDE, M. KOVALBVSKY, MALAPERT, le II. I'. MAUMIIS, DE ROBERTV, G. SORBL, le PASTEUR WAGNER. Préface de M. EMILE Botmooz, de l'Institut. Les enquêtes, pratique et théorie, par P. DO MAROUSSEM. (Ouvrage couronné par l'Institut.) Questions de morale. Leçons professées i l'École de morale, par MU. BELOT, BERNES, F. BOISSON, A- CHOISIT, DARLU, DELBOS, KOURNIERB, MALAPERT, MOCH, D. PABOOI, G. SORBL. Le développement du catholicisme social, depuis l'encyclique /{enfin Novarum, par MAX TURHANN. Le socialisme sans doctrines. La question ouvrière et agraire en Australie elNouvelle Zèlande, par A. METIS, agrégé de l'Université. L'éducation morale dans l'Université (Enseignement secondaire). Conférences et discussions, BOUS la présidence de M. A. CIIOISET, doyen de la Faculté des lettres de l'Université de Paris. (Êook des Hautes Étude» sociales, 1900-1901). La méthode historique appliquée aux sciences sociales, par CH. SEIUNOHOS, maître de conf. à l'Univ. de Paris. Assistance sociale. Pauvres et mendiants, par PAUL STRAUSS, sénateur. L'hygiène sociale, par E. DUCLACX, de l'Institut, directeur de l'Institut Pasteur. Le Contrat de travail. Le rôle des syndicats professionnels, par P. BUREAU, professeur à la Faculté libre de droit de Paris. Essai d'une philosophie de la solidarité. Conférences et discussions, sous la présidence de MM. LEON BOURGEOIS, député, ancien président du Conseil des ministres, et A. CROISET, de l'Institut, doyen de la Faculté des lettres de Paris. (Ecole des Hautes Eludes sociales, 4001-1902). L'exode rurale* le retour aux champs, par E.YANDERVELDE. professeur à l'Université nouvelle de Bruxelles. La lutte pour l'existence et l'évolution des sociétés, par J.-L. DE LANËSSAN, député, ancien ministre de la Marine. BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE CONTEMPORAINE 15 BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE CONTEMPORAINE Voliiiiipo In-18 01 in-s EUROPE llun-iaa Ml ittuoK Mwm ka MNwma —actrai. par H. 4i •N'y*»!. Tf.doil a» laltoaa— v»r MU Da—aaa. « M». M . . «t ». ■nsnt MUNMIN H L'KCKMW. M MM * MM. par Ma—Mr. •J »..i. M*l .......................................................................................... M». ta Quînmo» i.i'i.ikir. i|»|.,iu MM iHtfiw J——"ft MM j—M. M* A». /"..«Il, prafaaa da 0. Mmi*. t «M, la-*. «• Mil- . . . , 1%. U >tftwiiwfuif<M, M*'- M—M. I «oi. n-tt. MM». M Ê KM L« -ru* NMIMWI rr La cuLTa ME (.'(tu wmim!lîWl-tT-.H M—» Uatortaaa, par AaUrd. I »«!. •»-«»................................................. J ». M) ■•Ma «r UÇOM M» u aluuwna liujun, par Aafanf 3 <l IH-II*■ Chacun • i ■ • ................................................................... m t>. Ml Vamaraa atvautnaaaaiaaa, par V. i*a—«. j Ma.—M. 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Vëron. i vol. in-18. 6" éd., revue par Paul Sondais............................................................ ,-■, ...,.'.. 3 fr. 50 HISTOIRE DE L'ALLEMAGNE, depuis la bataille de Sadowa jusqu'à nos jours, par Bug. Vèron. 1 vol. io-18. 3a éd., continuée jusqu'en 1892, par Paul Bondois ................... ^w............................................. . . , . 3 fr. 50 LE SOCIALISME ALLEMAND ET LE NIHILISME DUSSE, par /. Bourdeau. 1 vol. in-18. 2« édition. . .'-,. . .............................................................. .., 3 fr. 50 LES ORIOINES DU SOCIALISME D'ETAT EM ALLEMAGNE, par CA. Andlor. 1 vol. III-S ............................................................................................... . . . 7 fr. L'ALLEMAGNE NOUVELLE ET SES HISTORIENS (Niebuhr, Jlanhe, Mommsen, Sybel, TreitscMce), par A. Guillcmd. 1 vol. .in-S .................................... ,. 5 fr. LA DEMOCRATIE SOCIALISTE ALLEMANDE, par Mdg. Sfilhaud. 4 vol- in-8 £. i................. 7T7 • . ...................................... . . , 10 fr- Lv PRUSSE ET LA REVOLUTION DE 1848, par P. Malter. i vol, in-18 ......,' .",■"-'•• j „ "r *"•■ - ' • r^** *"* ■'* 3 tr' ^ AUTRICHE-HONGRIE HISTOIRE DE L'AUTRICHE, depuis la mort de Marie-Thérèse jusqu'à nos jours, par l. Àsseline. 1 vol. in-18. 3* édition. . .... S, 3 fr. 60 LES TCHEQUES ET LA BOHEME CONTEMPORAINE, par /. Baurlisr. 1 vol. in-18 ........................................................ , .,» .................................. 3 tr. 50 LES RACES ET LES NATIONALITES EN ADTRICHE-HONGIUE, par B. Auerbach. i vol. in-S ......................;■", , . • jujâ.y, . . -, ... .. ,i."....,,. 5 fr. HISTOIRE DES HONGROIS ET DE LEUR LITTERATURE POLITIQUE (179Û-1S15), par Ed. Sayous. 1 vol. in-18 . ,..,. , . . . . .^« • . . . 3 fr. 50 LE PAYS MAGYAR, par B. Becouly. 1 vol. in-18......................................... 3 fr. 50 ESPAGNE H HISTOIRE DE L'ESPAGNE, depuis la mort de Charles III jusqu'à nos jours par B. Beynald. 1 vol. in-18 ............................................................... 3 fr. 50 RUSSIE HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA RUSSIE, depuis la mort de Paul I" jusqu'à l'avènement de Nicolas II, par il. Créhahge. 1 vol. in-18. 2° édition .......................... , . , ...............................'.. ... 3 fr. 50 SUISSE HISTOIRE DU PEUPLE SUISSE, par Daendliker; précédé d'une Introduction par Jules Favre. 1 vol. in-8. ........ .'.*<. . . . . 5 fr. AMÉRIQUE "] HISTOIRE DE L'AMERIQUE OU SUD. par Alf. Deberle. 1 vol.in-18. 3*éd., revoe par A. Atilhaud. ....... t , , . . >/;... . . . . . 3 fr. 90 ITALIE HISTOIRE DE L'UNITE ITALIENNE (1814-1871), par Bollon King. Traduit de l'anglais par Macguart ; introduction de Yves Guyot.2vo\. In-8. 15fr. HISTOIRE» DE L'ITALIE, depuis 1815 jusqu'à la mort de Viclor-Ei el, par B. Sorin. 1 vol. in-18 . . . . . *> ,.-*................................................ 3 fr. 50 BONAPARTE ET LES REPUBLIQUES ITALIENNES (1708-1790), par P. Oaffhrpl. i vol. in-të .................................................. , . . . . . . . . . . . ■ 5 -fr. L_ m BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE CONTEMPORAINE 17 ROUMANIE HISTOIRE DE LA ROUMANIE CONTEMPORAINE (1822-1900), par F. Damé. 1 vol. in-8..................? y.*f . V ! r ■ .....................................................7 fr. | GRÈCE et TURQUIE H LA TURQUIE ET L'HELLENISME CONTEMPORAIN, par V. Bêrard. 1 vol. în-18. 4« éd. (Ouerage couronné par l'Académie fra/içaise).... 3 fr. 50 BONAPARTE ET LES ILES IONIENNES (1797-1816), par S. Bodocanachi. 1 vol. in-8..................................................... » '.................................... 5 fr. CHINE HISTOIRE DES DELATIONS DE LA CHINE AVEC LES PUISSANCES OCCIDENTALES (1860-1900), par B. Cordier : ■ Tome 1. — 1861-1875. 1 vol. 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LE SOCIALISME CONTEMPORAIN. 1 volumo in-18. 11» édition, augmentée. ............................................................... ' 3 fr. 50 E. Despoîs. LE VANDALISME REVOLUTIONNAIRE. 1 vol. in-18.4*éd. 3 fr. 50 Eus• Spolier. FIGURES DISPARUES, portraits contemporains, liltérairos et politiques. 3 vol. in-18, chaque volume.................................... 3 fr. 50 Eog. Spolier. L'EDUCATION DE LA DEMOCRATIE. I vol.in-18. 3 fr. 50 Eog. Spolier. L'EVOLUTION POLITIQUE ET SOCIALE DE L'EGLISE. 1 vol. in-18 . . . .>"»•'.................. ..»...£..''. VT . . . . 3 fr. 50 G. Schefer. BERNABOTTE ROI (1810-1818-1844). 1 vol. in-8. . 5 fr. G. Goéroult. LE CENTENAIRE DE 1789. Évolution politique, philos., artistique et scientifique de l'Europe depuis cent ans. In-18. 3 fr. 50 Joseph Kcinach. PAGES REPUBLICAINES. 1 vol. in-18, ... 3 fr. 50 Hector Dépasse. TRANSFORMATIONS SOCIALES. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 Hector Dépasse. Du TRAVAIL ET DE SES CONDITIONS. 1 vol. in-18.............................. ;_.'.; ;;....................................... v!. . . 3 fr, 50 Eug. d'Ëichthal. SOUVERAINETE nu PEUPLE ET GOUVERNEMENT. 1 vol. in-18. }■".",............................... -............................. . . . e, ^ 3 fr. 50 G. Isanibert. LA VIE A PARIS PENDANT UNE ANNEE DE LA REVOLUTION (1791-1798). 1 vol. in-18. . .................................V . i .................. 3 fr. 50 G. Weill. L'ECOLE SAINT-SIMONIENNE. 1 vol. in-18 . . 3 fr. 50 A Uclltcnbergcr. LE SOCIALISME UTOPIQUE. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 A. Ijlchtcnbcrgei'. LE SOCIALISME ET LA REVOLUTION FRANÇAISE. 1 vol. in-8 ........................................................................... . . . • . 5 fr, Paul Natter. LA DISSOLUTION DES ASSEMBLEES PARLEMENTAIRES. 1 vol. in-8. .. .,..,,.;.............................................................................. 5 fr. J. Itoni'tiCilu. L'EVOLUTION nu SOCIALISME, l.vol. in-18. J 3 fr. 50 Em. Bcaossïro. LA GUERRE ETRANGERE ET LA GUERRE CIVILE. 1 vol. in-18. ................................................................ ...... . . 3 fr. 50 18 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR BIBLIOTHÈQUE OE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE VOLUMES IN-12. Br., 2 fr.50; cart. i l'atigj., 3 fr. ; reliés, 4 fr. Alnux. L. DMjfM< Pliilosopuio de Victor Coula. K. Allier. Philosophie d'Broost lianan. L. Arréat. Lt morale dans la drame, l'épopée et le roman, l'édition. Mémoire et imagination (peintres, inusicious, poêles et orateurs). I.i.'s croyances de demain. Dis an* de philosophie (1890-1000). Le psillnciania,ot la pensée symboLa timidité. 3' édit. [iiquo. Duunn. Théorie psychotonique de l'espace. Durât. Lee causes sociales de la folie. Langage intérieur et aphasie. !• éd. ta Bcaussire. Antécédents de l'tiaicélianisme dans la philosophie française. Bergson. Le rira, 2* édit. Emeut Beraot. Libre philosophie. I Loii ràplos de le méthode sociologique. 9> édit. «•.Ballet, Bertauld. De la pkilosophie aociale. Itinct. 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Essai sur l'art contemporain, 2* 44* La tristesse contemporaine. 3* éd. Psychologie d'une ville. Essai aur| Bruges. 2* édit. H. d« Fleur}'. L'éine du criminel. FonHCKi-lvc. La causalité n niaient». (' B. Fournlére. Essai sur l'Individualisme. r* Ad. Franck. Philosophie du droit pénal. S* édit. Des rapporte de la religion et de l'État, x' édit. Le philosophie mystique sa France an xvnr aiéete. (•aurifier. Le beau et son histoire. BIBL. DE PHILOS. CONTEMP. (FORMAT IN-12) 6. de Greef. Les lois sociologiques. 3° édit. Gnyau. I La.gcnèso de l'idée de temps. 2" éd. E. de Hartmann. La Religion de l'avenir. 5* édition. La Darwinisme. 7* édition. R. C. Herckenrnth. Probl. d'esthétique et de morale. Marie Jaëil. La musique et la psycho-physiologie. Paul Janet. La philosophie de Lamennais. J. Lachelicr. Du fondement de l'induction. 4* éd.' M™" Lampcrière. Le rôle social de la femme. A. Landry. La responsabilité pénale. J.-L. de I.anesstan. Morale des philosophes chinois. Lange. Les émotions. 2" édit. Lapie. La justice par l'État. 4M Auguste I.augel. L'Optique et les Arts. Gustave Le Bon. Lois psychologiques de l'évolution des peuples, 5" éd. La psychologie des foules. 6* éd. Lecbalas. Etude sur l'espace <t le temps. F. Le Dantec. Le déterminisme biologique. L'individualité et l'erreur individuaLamurchiens et darwiniens, [liste. G. Lefèvrc. Obligation morale et Idéalisme. LIard. ■ Les Logiciens anglais contemporains. 4* édition. Définitions géométriques. 3' édit. H. LIchtenbergcr. La philosophie de Nietzsche. 6* éd. Aphorisme» -et fragments choisis de Nietzsche. 2 edit. Lombrono. L'anthropologie criminelle. 4' éd. Nouvelles recherches de psychiatrie et d'anthropologie criminelle. Les applications de l'anthropologie criminelle. John Lubbork. Le bonbeor de vivre. 2 vol. 6* éd. L'emploi de la vie. 4* édit. G. Lyon. La philosophie de Hobbea. 19 E Margucry. L'œuvre d'art et I évolution. IMariano. ** La Philosophie contemp. en Italie. IHarion. J. Locke, sa vie, son œuvre. 2* édit. Mans. La justice pénale. Manxton. L'éducation par l'instruction et les théories pédagogiques de Herbart. G. SJilhaud. Essai sur les conditions et les limites de la certitude logique. 2° édit. Le Rationnel. Mosso. La peur, f éd. La fatigue intellect, el nhys. 3' éd. E. Mnrlsier. Les maladies du sentiment reli-| gieux. 2* édit. E. NavUle. Nouvelle classification des scien ces. 2» édit. Max Nordau. Paradoxes psychologiques. 4* éd. Paradoxes sociologiques. 3* édit. Psycho-physiologie du génie et du talent. 3» édit. Novicow. L'avenir de la race blanche. Ossip-Lourié. Pensées de Tolstoï. 2" édit. Philosophie de Tolstoï. 2" édit. La philos, soc. dans le Ihéàt.d' Ibsen. G. Palaate. Précis de sociologie. 2* édit. Paulhau. Les phénomènes uffectifs. 8* édit. J. de Maietre, sa philosophie. Psychologie de l'invention. F. Pillou. La philosophie de Charles Secrélao. Mario Pllo. La psychologie du beau et de l'art. Pïoger. Le monde physique. Queyrat. L'imagination chez l'enfant. 3* édit. L'ubsirauiion, son rôle dans l'éducation intellectuelle. Les caractères et l'éducation morale. P. Kegnaud. Précis de logique ôvolotionniste. Comment naissent les mythes. Charles de Hémusat. Philosophie religieuse. G. Renard. Le régime socialiste. 3" édit. 20 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR Th. Ribot. La philos, de Sehopenhauer. 9° éd. Les maladies de la mémoire. 15» éd. Les maladies de la volonté. 17* éd. Les maladies de la personnalité. 10' édit. La psychologie de l'attention. 7* éd. G. Richard. Socialisme et science sociale. -3* éd. Ch.Richet. Psychologie générale- 5° éd. De Robert]'. L'inconnaissable. L'agnosticisme. 2e édit. La recherche de l'Unité. Auguste Comle et H. Spencer. 2" éd. Le bien et le mal. Psychisme social. Fondements de l'éthique. Constitution de l'éthique. Roisel. De la substance. L'idée spiritualité. 2« édit. Emile Saisuct. L'âme et la vie, Schcebel. Philosophie de la raison pure. Schopenhaner. Le libre arbitre. 9* édition. Le fondement de la morale. 8* édit. Pensées et fragments. 17° édition. Camille Selden. La Musique en Allemagne. Herbert Spencer. Classification des sciences. 7° édit. L'individu contre l'Etat. 5* éd. Stuart MIIL Auguste Comte et la philosophie positive. 6* édition, L'Utilitarisme. 3'édition. TiMion. L'évol. du droit et la conscience soc. Tarde. La criminalité comparée. 5* éd. Les transformations du droit. 2° éd. Les lois sociales. 2» édit. Thamln. Éducation et positivisme. 2' éd. P.-F. Thomas. La suggestion, son rôlea dans l'édu cation intellectuelle. 3 édit. Morale et éduoation. ,| Tissié. Les rêves. 3" édit. Vianna de Lima. L'homme selon le transformisme. T. Wechniakoft*. Savants, penseurs et artistes. Wnndl. Hypnotisme et suggestion. Zeller. ES Christ. Baur et l'école de Tubingue. Th. Zlcgler. La question sociale est une question morale. 3* éd. Derniers volumes publiés • L. Arréat. Le sentiment religieux en France. C. Bos. Psychologie de la croyance. M. Boucher. Essai sur l'hypcrespace, le temps, la matière ot l'énergie. XJ. Dugaa. Psychologie du rire. Dnpjrat. Le mensonge. ._ Èucanssc (PAPUS). L'occultisme et le spiritualismeS* édit. | ■•-< E. Goblot. Justice et liberté. J. Grasset. Los limites de la biologie. 8* «dit. W. James. La théorie de l'émotion. O.ssip-IiOnrié. Nouvelles pensées de Tolstoï. Faulli.-iii. Analyses et esprits synthétiques. 1 J. Philippe. L'image mentale. Qneyrat. La logique chez l'enfant et SA culture. De Roberty. Frédéric Nietzsche. Sully Prudhoinme et Ch. Kirliet. Le problème dos causes Ûnales. 2' édition. ■.Mil..,,.- BIBL. DE PHILOS. CONTEMP. (FORMAT IN-8) 21 VOLUMES IN-8. Brochés, i 5, 7 50 «1 iO fr.; cari, anjl., 1 ir. do plm tir ni.; rolinre, I Ir. Ch. Adam. La philosophie en France (première moitié au xix° siècle}. 7 fr. 50 Agamis. De l'espèce eL des classifications. 5 fr. Alcngry. La sociologie chez Aug. Comte. 10 fr. Mattlicw Arnold. La crise religieuse. 7 fr. 50 Arréat. Psychologie du peintre. 5 fr. P. Aubry. La contag. du meurtre. 38 éd. 5 fr. Alex. Bain La logique indnotive et déductivo. 3* édit. 2 vol. 30 fr. Les sens et l'intell. 8* édit. 10 fr. J.-M. Baldwln. Le développement mental chez Venfont et dans la race. 7 fr. 50 Barthélémy Kaint-Hllalre. La philosophie dans ses rapports aveo les sciences et la religion. 5 f r. Barzellottl. La philosophie de H. Taine. 7fr. 50 Bergson. Essai sur les données immédiates de la conscience. 3* édit. 3 fr. 75 Matière et mémoire. 3° édit. 5 fr. A. Bertrand. L'enseigemonl intégral. 5 fr. Les études dans la démocratie. 5 fr. En. Boirac. L'idée dn phénomène. 5 fr. Bonglé. Les idées égalitaires. 3 fr. 75 1>. Itourdeaa. Le problème de la mort. 3° éd. 5 fr. Le problème de la vie. 7 fr. 50 Bourdon. L'expression dos émotions et des tendances dans le langage. 7 fr. 50 Km. Bontronx. Études d'histoire de la philosophie. g» édit. 7 fr. 50 L. Bray. Du beau. 5 fr. Brocbard. Do l'erreur. 9* éd. 5 fr. Brunsehvicg. Spinoza. 3 fr.75 La modalité du jugement 5 fr. I.ndovlr Carran. La philosophie religieuse on Angle terre depuis Locke. 5 fr. Clay. L'alternative. 2" éd. 10 fr. Ch. Chabot. Nature et moralité. 5 fr. Cnllinn. Résumé do la phil. de H. Spencer, 3* éd. 10 fr. Ang. Comte. La sociologie. 7 fr. 50 B. Contai Théorie de l'ondulation universelle. 3 fr.75 A. Coste. Principes d'une social, obj. 3 fr. 75 L'expérience des peuples. 10 fr. Crcpieux-Jamiu. L'écriture et le caractère. 4* éd. 7 fr. 50 Dewanlc. Condiilac et la psychologie anglaise contemporaine. 5 fr. G. Bnmas La tristesse et la joie. 7 fr. 50 Gr.-L. Dupt-at. L'instabilité mentale. 5 fr. Dnproix. Kanl et Pichte et le problème de l'éducation. 2* édit. 5 fr. Durand (m GROS). Taxinomie générale. 5fr. Esthétique et morale. 5 fr. Variétés philosophiques. 2" éd. 5 fr. Durkheim. De la div. du trav.soc. S* éd. 7 fr. 50 Le suicide, élude sociolog. 7 fr. 50 L'année sociologique G volumes : 1898-97,1897-98,1898-99,1899-1900, 1900-1901. Séparément 10 fr. 1901-1902. 12 fr. 50 A. Espinas. La philosophie soolale au XVIII* siè cle et la Révolution. 7 fr. 50 G. Ferrero. Les lois psychologiques du sym bolisme. 5 fr. Lonis Ferrl. La psychologie de l'association, de puis Hobbes. 7 fr. 50 JPlint. La philosophie de l'histoire en Alle magne. 7 fr. 50 24 FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR Romanes. L'ôvol. ment, niiez l'honiinâ. 7fr. 50 Emile Salgey. Les sciences au XVIII " siècle. La physique de Voltaire, , 5 fr. E. San/, y Escartin. L'individu et la réforme sociale. . Sehopculianer. îteSO Aphorisme sur la sagesse dans 4a vie. 7" éd. 5 fr, La quadruple racine du principe de la raison snfusante. 5 fr. La monde comme volonté et représentation. 3* éd. 3 vol, ti fr. 60 Séailles. Ess. sur le génie dan* l'art. 2*éd. 5 f r. Sergi. Le psychologie physiolog. 7 fr. 50 Sighele. La foule criminelle. S* «dit, 5 fr. Sollier. Psychologie de l'idiot et de l'im bécile. 2-éd. 5fr. LA problème de la mémoire,3fr. T5 Souriau. L'esthétique du mouvement. 5 fr. La suggestion dans l'art. ôfr. Herbert Spencer. Les premiers principes. 9* éd. 10 fr. Principes dopsychologîe.2 vol."20ïr.. Prinoip. do biologie. 4*«d,2 v'20 fr. Princip. de sociol, « vol. 30 fr. 25 Essais sur le progrès. 5°éd. îffr.îû Essais de politique; 4* éd. ■ 7<r. 50 Essais s .ienliûques. 3* éd. "7 fr. S0 Dfl l'éducation physique, ' inlcl'CCluelle et morale. 10° édil. 5 fr. ■ Stoiu. La question "sociale au point de vus philosophique. 10 fr. Stnart HU1. > Mes mémoire». S" éd.' *a*,: 5 fr. Système de logique dédùetive et iuduclive. 4* édit. 3 vol. .20 fr. Essais sur la Religion. 4* édil. 5 fr: James Sully. Le pessimisme. 2° éd. Etudes snr l'enfance, G. Tarde. 7 fr. 50 10 fr. t La logique sociale. I* édit. 7 fr. 50 Les lois de l'imitation. 3" éd. 7 fr. 50 L'opposition universelle, 7 fr. 50 L'opinion et la foule.' 5 fr. Psychologie êconomique.2 vol. lof p. P.-Félix *l'hoiiias. L'édno. des sentiments. 2" éd. 6 fr. Thouverez. Réalisme métaphysique. S.fi;. j Et. Vaclierpt. Essais de philosophie critique. 7fr.50 7 fr. 50 La religion. F. Banli. L'expérience morale. Renouvïer. Le penftmnalisme, suivi d'une étude sur la perception externe et sur la force. • 10 fr. 3 fr. 75 Derniers volumes publiés : Li A. Cresson. morale de la raison théorique. 5 fr. Air. Fouillée. Esquisse psychologique des peu ples européens, 10 fr. Nietzsche et l'immoralisme. 5 fr. L E. Gley. Étudos de psycho-physiologie. 5fr. S. Karppe. Essais de critique et d'histoire de philosophie. 3 fr. 75 F. te Dantec. Lee limites du connaissante. La vie et les phénomènes natu rels. 3 fr.75 t* L. I.évy-Brnh!. La morale et la science des mœurs. 5 fr. Max A'ordau. Vus du dehors. Essais de critique sur quelques auteurs français contemporain". 5 fr. II. Oldenberg. Cb. Itibéry. Essai de clossificulion naturelle des caractères. 3 fr. 75 G. Richard. L'idée d'évolution dans la nature et dans l'histoire. 7 fr. 50 A. SaWatîer. Essais philosophiques d'un natu raliste. 7 fr. 50 G. Saiut-Panl. Le langage intérieur et la fonction eodophaaique, 5 fr. Em. Tardien. L'ennui. 5 fr. L. Weber. Vers le positivisme absolu "par l'idéalisme. 7 fr. 50 Coulommiors. — Imp. PAUL BRODARD. — 4-03. La religion du Véda. 10 fr. | ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR AUTRES O U V R A G E S DE S C H O P E N H A U E R 4 TRADUITS EN FBANÇAIS Bibliothèque de Philosophie contemporaine Pensées et fragments. 1 vol. in-16, 21* édition. Traduit par M. J. ROI'RIIKM: .................... ........................................... 2 fr. 50 Essai sur le libre arbitre. 4 vol.in-16,10* édition. Traduit et précédé d'une introduction par M. Sitlomon RBINAO.II . . 7 . . . 2 IV. 50 Le fondement de la morale. 1 vol. in»16, 9" édition. Traduit par M. A. HIMUIKU' ................... -. ii'.-T'. *..- *•» Jv,, . . . 2 fr. 50 Le monde comme volonté et comme représentation. 3 vol. in-8. 3* édition. Traduit par M. A. BURDEAU, Chaque vol.. . 7 fr. 50 Aphorismes sur la sagesse dans la vie {Parerga et Paralipotnena). 1 vol. in-8. 0* édition. Traduit par M. CANTACUZENE . 5 fr. » Ecrivains et style [Parerga et Paralipotnena). 2* édition, 1 vol. in-16. Traduit par M. A. Dimuca.................., , . . .,. 2 fr. 50 Sur la religion. 1 vol. In-16. Traduit par M. A. Dietrich. 2 fr. 50 Philosophie et philosophes. 1 vol. in-16. Traduit par M. A. DIE TRICH ..................................................................................2 fr. 50 i La philosophie de Schopenhauer. par Th. RIBOT, 1 vol. in-16. 11* édition. .................... . . ............................................. 2 fr. 50 AUTRES TRADUCTIONS DE M. AUG. DIETRICH La psychologie du beau et de l'art, par MARIO PILO. 1 vol. in-16. de la Bibliothèque de philosophie contemporaine, traduit de l'italien ............................................................................. (kpuisé) La superstition socialiste, par R. GABOPALO. 1 vol. in-8 de la Bibliothèque de philosophie contemporaine, traduit de l'ita lien ................................... '.-.• ...................... ,».."» .»•;, 5 fr. » L'individu et la réforme sociale, par SANZ Y ESCARTIN. 1 vol. in-8 de la Bibliothèque de philosophie contemporaine, traduit de l'espagnol. ........ _,V* ■ . . ►»»>*. 7 fr. 50 La philosophie de H. Taine. par G. BARXELLOTTI. 1 vol. in-8 de la Bibliothèque de philosophie contemporaine, traduit de l'ita lien. . . . ,.+,%......................................-J.1, . ,-^. ;., 7 fr. 50 La loi de la civilisation et de la décadence, par BIIOOKS ADAMS. i vol. in-8, traduit de l'anglais ............................... . .- . . 7 fr. 50 Principes de psychologie individuelle et sociale, parC.-O. BONGE. 1 vol. in-16, traduit de l'espagnol .......................................3 fr. » A paraître : ARTHUR SCHOPENHAUER : Esthétique et métaphysique. PÏHEM^^TIÎÂRÏEÏPSMINA IIIIJI! DROIT ET r PAR ARTHUR SCHOPENHAUER P R E M I È R E TRADUCTION P R A N Ç A I S E AVEC PflKPACB KT MiTI.S PAR AUGUSTE DIETRICH ÈTÏÏÏÏJFË| DROIT ET POtITIOrR — PHILOSOPHIE RC DROIT SUR (.'ÉIIICATlOX I_ OMHTATIOXS PI rau>u>oioi>ct PARTS|___________ FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR LIBRAIRIES FÉLIX ALCAN ET GDILLAOMIN ItlillNIES 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108 1909 • Ton» droll* de traduction et de reproduction rjicrrli. EDMOND THIAUDIÈRE Au remarquable penseur et à l'excellent ami. A. 0. PRÉFACE L>U TRADUCTEUR Le présent volume des Parerga et Paraiipomena ne se prête pas par sa nature, comme les trois précédents, à une étude préliminaire biographique ou historique; nous en avons d'ailleurs déjà dit assez à ce double point de vue. pour mettre en une lumière'suffisante la ligure originale et complexe de Schopenhauer, et pour situer dans son milieu exact l'oeuvre dont nous avons entrepris la traduction. Les matières renfermées dans le volume actuel: éthique, droit, politique, éducation, le tout couronné par des observations psychologiques,' parlent d'elles-mêmes, et il y auraitquelque puérilité à dévider de trop longs commentaires à leur sujet. Ce qu'on peut toutefois faire ici, c'est mettre en relief certaines vues fondamentales, signaler spécialement certaines idées d'un intérêt spéculatif ou pratique. Un soir, Schopenhauer se promenait sur la roule avec son ami le Dr Wilhclm Gwinner, son futur biographe. Les étoiles brillaient au ciel, et Vénus resplendissait d'un éclat tout particulier. Gwinner, contemplant la planète, devint tout a coup lyrique, et se mit à évoquer le souvenir des âmes que Dante y a placées comme dans un port de salut béni ; puis, son imagination travaillant? il demanda au vieux philosophe s'il n'était pas d'avis qu'il y avait là aussi des êtres vivants, mais doués d'une existence plus parfaite que la nôtre. Schopenhauer répondit qu'il ne le croyait pas ; une organisation supérieure à celle des humains ne pouvait, selon lui, avoir la « volonté de vivre ». Il pensait que la série SCIIOPKMIAUEII, -T- Ûlhiquo. 1 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE ascendante vers la vie se terminait à l'homme, dernier terme de ce progrès qui lui apparaissait comme un fait si effroyable ; puis, s'exaltant insensiblement: « Croyez-vous, dit-il, qu'un être supérieur à nous voulût continuer un seul jour cette triste comédie de la vie ? Cela est bon pour des hommes ; des génies ou des dieux-s'y refuseraient». Cette assertion constitue à la fois le point de départ et le point d'aboutissement de la doctrine de Schopenhauer. En présence de ce monde mauvais, où la douleur corrompt toute joie, où la mort a le mot définitif, où notre destinée apparaît comme une tragi-comédie mise en œuvre par un génie; malfaisant qui trouve son bonheur à nous torturer, quel sentiment peut éprouver l'homme raisonnable et sage t Un sentiment d'une double nature : un profond mépris pour la vie humaine, pour la décevante Maïa qui cherche à le traîner d'illusions en illusions toujours plus dérisoires, en même temps qu'une immense compassion pour ses frères, pour tous les damnés de la vie, à n'importe quel degré de l'échelle. En un mot, l'homme doit en arriver à donner accès dans son cœur à la sympathie, « cet étonnant, on pourrait dire ce mystérieux passage de nous-même dans un autre être, qui | supprime les barrières de l'égoïsme et transforme en quelque sorte le non moi en moi. C'est donc le sentiment moral par excellence, un lien par lequel et dans lequel nous sentons que nous sommes tous frères. Eprouver delà compassion, c'est devenir un être moral. Sympathiser avec la nature entière, c'est le véritable état du sage sur cette terre... Une compassion sans bornes à l'égard de tous les être vivants, voilà le plus solide, le plus sûr garant de la moralité ; avec cela, il n'est pas besoin de casuistique. Celui qui en est pénétré ne blessera sûrement ni ne lésera personne, ne fera de mal à personne, mais il aura bien plutôt des égards pour chacun, pardonnera à chacun, aidera chacun de tout son pouvoir, et toutes ses actions porteront l'empreinte de la justice et de l'amour du prochain. En revanche, qu'on essaie de dire : « Cet homme est vertueux, mais il ne connaît pas la pitié » ; ou bien : « C'est un homme injuste et méchant, cependant il est très compatissant », et la contradiction est l'HÉFACE DU TBAUCJCTKBn .} évidente. Chacun son goût : mais, pour moi, je ne sais pas de plus belle prière que celle qui termine les anciennes pièces de théâtre indouea : ■ Puissent tons les êtres vivants rester exempts de douleurs ! • Voilà le nœud de la doctrine éthique de Schopenbauer. telle qu'il la déduit dans le fondement de la morale. La base de la morale est donc la sympathie vive, ardente, se traduisant en pitié, en charité effective. Mais ce n'est pas encore là le point culminant de la morale. On n'atteint celui-ci que par la négation complète de la volonté de vivre, par l'ascétisme, tel que l'ont pratiqué les saints, les anachorètes, les pénitents fndous et chrétiens. • De même que la satisfaction de l'appétit sexuel affirme, chez l'individu, la volonté de vivre, de même l'ascétisme, en empêchant la satisfaction de cet appétit, nie cette même volonté, et montre par là que, en même temps que la vie du corps, cesse la volonté dont celui-ci est l'apparence s. En on mot. l'antithèse entre l'affirmation de la volonté de vivre et la négation de cette volonté est ce qu'on pourrait dénommer le belvédère de la morale de Schopenhaner : c'est de ce point de vue, le plus élevé, à son avis, qu'il juge et classe les actions humaines. Hartmann, dans sa Philosophie de l'inconxcienî, a soumis celle théorie de son prédécesseur à une critiqué approfondie et ineisive, qui est. en somme, bienveillante et appro-bative. Nietzsche, au contraire, l'a exécutée radicalement, avec an souverain mépris. La morale de la pitié proclamée par Schopenbauer lui apparaît, an meilleur cas, comme une touchante superstition à la vieille mode. Et, poussant plus loin la raillerie, l'auteur de Par delà h bien et le mal rappelle que Schopenbauer, le pessimiste, aimait à jouer de la fiole après ses repas. Est-ce là un pessimiste, se demande-t,—il, celui qui affirme la morale du Uedt neminem (ne nuis à personne), et qui joue de la flûte ? Cette vue morale, d'après lui, appartient à la décadence en matière de morale, Les époques fortes et les civilisations avancées ne connaissent ni la pitié ni l'amour du prochain, et elles voient dans ce sentiment une preuve de faiblesse méprisable. On ne peut rêver contraste plus frappant entre l'idée de l'apologiste du ■ 4 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE « surhomme » et celle du vieux philosophe pourtant bien désabusé, bien revenu de toutes les illusions humaines, que celui-là nommait l'un de ses maîtres. Cette idée morale, ont avancé des critiques, nous transporte en plein Orient, et Schopenhauer n'a fait qu'interpréter à l'usage de l'Occident les enseignements des livres indous. Mais on peut leur répliquer tout aussi justement qu'il n'a fait qu'interpréter les enseignements des Evangiles. Son éthique est une tentative sérieuse d'application de la vertu chrétienne par excellence au principe moral établi sur une base philosophique. Sans intervention de dogme, de religion, de dieu, en vertu d'une métaphysique purement humaine, il affirme la bonté comme âme de la morale. Aucun des grands constructeurs d'éthiques modernes ne se rapproche aussi étroitement que lui, sous ce rapport, dn christianisme. L' « impératif catégorique » de Kanti est infiniment plus éloigné des prescriptions chrétiennes que la morale de la compassion proclamée par Schopenhauer. Seulement, le point faible du système de ce dernier, c'est qu'il constitue bien plus une théorie spéculative qu'un fait vivant et fécond. Combien le système de Hegel, par exemple, offre-t-il un champ plus vaste aux manifestations de la volonté morale ! Chez Schopenhauer, c'est en réalité la souffrance seule qui est l'aiguillon de cette volonté. Base étroite, insuffisante pour laisser place aux manifestations si diverses, infinies, des actions humaines. L'idée morale maîtresse du pessimiste allemand ressemble étonnamment à l'idée morale de Tolstoï, si puissant comme romancier et conteur, souvent si naïf et si puéril comme philosophe et comme moraliste. Cette ressemblance n'a d'ailleurs rien d'étonnant, d'autant plus que, outre l'analogie de leurs natures, le Russe a beaucoup lu l'Allemand. La philosophie tout entière, aux yeux de notre philo* sophe, est théorique, et la morale ne fait pas exception. La philosophie est simple spectatrice des choses, et la morale n'a rien à démêler avec les préceptes. Une morale non fon- ; déc en raison, celle qui consiste a « faire la morale aux gens », ne peut avoir d'action, parce qu'elle ne donne pas PRÉFACE DU TRADUCTEUR *8| de motifs. Vouloir diriger les hommes, modeler les caractères, ce sont des prétentions du « vieux temps ». La vertu ne s'enseigne pas plus que le génie. « Nos systèmes de morale ne feront jamais des hommes vertueux, de grands caractères, des saints, pas plus que nos théories sur l'art né susciteront des poètes, des statnaires, des musiciens. » En morale, comme dans le reste, le philosophe n'a qu'une chose à faire : prendre les faits tels qu'ils lui sont donnés tn concrelo, c'est-à-dire tels que chacun les sent, les interpréter, les eclaircir par la connaissance abstraite de la raison. Ceci dit, on sera mieux préparé a lire le' chapitre qui ouvre le volume. C'est un supplément au Fondement de la morale, et surtout au Monde comme volonté et Comme reprd-| senlation, où l'auteur avait traité un peu superficiellement la question éthique. Il y a ici des choses qui ne se trouvent pas là. Ces pages renferment, entre autres matières, une fine et piquante analyse des vertus et des vices, présentée souvent sous une forme humoristique, et sont pleines de faits intéressants. L'exposé avant tout théorique de Scho-penhauer se prête en plus d'une circonstance à une application pratique, et il est un certain nombre d'observations et même de recommandations dont le lecteur peut tirer un utile profit. En voici une que nous croyons devoir souligner tout particulièrement : elle concerne les faux amis, «ces nœuds qui deviennent couleuvres », selon l'expression de Victor Hugo. Qui d'entre nous n'a pas souffert de la perfidie d'un soi-disant ami ? Qui n'a pas ressenti au moins une fois en sa vie l'amère tristesse de devoir chasser de son cœur un être qu'on avait introduit dans son intimité, pour lequel on n'avait rien de caché, etqui n'était qu'un traître? Et cela, souvent, pour le simple plaisir, par pur dilettantisme de vilaine âme. Or, voici le très sage conseil que nous donne à ce sujet notre philosophe, qui était méfiant, nous le voulons bien, mais qui, comme tout homme ayant l'expérience de la vie, avait été payé à plus d'une reprise — en quelle mauvaise monnaie, nous le savons tous !— pour l'être : « Celui qui ne' se préoccupe pas des petits traits de caractère n'a 6 ETHIOnR, DROIT ET POI.rTIQOK qu'à s'en prendre à soi, si, plus tard, il apprend à ses dépens,' par les grands traits, à connaître ledit caractère. En vertu' du même principe, il faut rompre immédiatement aussi, ne! fut-ce que pour des bagatelles, avec les soi-disant bons amis, s'ils révèlent un caractère ou perfide, ou méchant, ou bas, afin d'éviter leurs mauvais tours sérieux, qui n'attendent; qu'une occasion de se produire sur une plus vaste échelle; Disons-en autant des domestiques. On doit toujours se répéter : «Mieux vaut vivre seul qu'avec des traîtres ». C'est parler d'or ; malheureusement, ce n'est d'ordinaire que quand il est déjà tard, que l'on prend à l'égard des « amis» gênants ou dangereux cette résolution si salutaire. Le droit et la politique sont un chapitre de la morale, en théorie du moins, car, dans l'application, il faut trop souvent en rabattre. A ce double point de vue aussi les idées de Schopenhauer étaient en opposition décidée avec les idées de son époque. Après que Hegel fut parvenu u convaincre l'Allemagne, pour un laps de temps assez long,'de la divinité de l'Etat, la révolution de 1848 vint soudainement donner un étrange démenti à ce dogme nouveau. L'idée de la souveraineté populaire se substitua à celle de l'Etat omnipotent. Schopenhauer, qui prenait au sérieux les problèmes sociaux, comme tous les autres, n'entendait être dupe en aucun sens : de là. ses idées relatives au droit et ù la politique. Résumons-les rapidement, telles qu'il les expose surtout dans son grand ouvrage. Tons les êtres individuels ont un don commun, la raison. Grâce â elle, ils ne sont pas réduits, comme les bêtes, à ne connaître que le fait isolé; ils s'élèvent à la notion abstraite de l'ensemble et de la liaison des parties de cet ensemble. Grâce à elle, également, ils ont vite su remonter à l'origine des douleurs qui sont le fond de la vie humaine, et ils ont aperçu le moyen de les diminuer, sinon de les supprimer.; Ce moyen, c'est un sacrifice commun, compensé par des avantages communs supérieurs au sacrifiée. En effet, si, le cas échéant, il est agréable à I' égoîsroe de l'individu de commettre une injustice, son plaisir a, d'autre part, un cor- M I !■! I II PnÉFAfiE DU 'TRADUCTEUR ^ relatif inévitable; l'injustice commise par l'un est forcément soufferte par l'autre, ce qui constitue pour celui-ci une souffrance. Alors, que la raison fasse un pas en avant, qu'elle s'élève jusqu'à la considération de l'ensemble, et elle venu que la jouissance produite chez un individu par l'acte injuste est balancée par une souffrance plus grande* qui se produit chez l'autre. Elle s'apercevra encore que chacun doit redouter d'avoir moins souvent à goûter le plaisir de commettre l'injustice, qu'à endurer l'amertume d'en pâlir.| De tout cela la raison conclut que si l'on veut commencer par affaiblir la somme des souffrances à répartir entre les] êtres individuels, et aussi la répartir le plus uniformément possible, le seul moyen est d'épargner a tous le chagrin de l'injustice reçue, et, dans cette vue, d'obliger tous les hommes à renoncer au plaisir que peut procurer la pratique de l'injustice. Peu à peu l'égoïsme, dépassant son point de vue borné et insuffisant, se range à l'avis de la raison, et finit par découvrir le moyen protecteur : le contrat social, la loi. C'est ainsi que s'est constitué l'Etat. En vertu de cette origine, la théorie de l'Etat, ou théorie des lois, rentre dans un des chapitres de la morale, celui qui traite du droit, où sont établies les définitions du juste et de l'injuste pris en eux-mêmes, et où sont ensuite tracées, par voie de conséquence, les limites précises qui séparent l'un de l'autre. Seulement, la théorie en question ne les empruntera que pour en prendre le contre-pied ; partout où la morale pose des bornes qu'on ne doit pas franchir, si l'on ne veut pas se rendre coupable d'une injustice, elle considérera ces mêmes bornes de l'autre côté, que les autres, eux non plus, ne doivent pas franchir. On a qualifié l'historien de prophète à rebours ; on pourrait qualifier de même le théoricien du droit de moraliste à rebours. La théorie du droit serait ainsi la morale a rebours, du moins pour le chapitre de la morale où sont exposés les droits qui ne doivent point être violés. Ainsi la notion de l'injuste, et celle de la négation du droit que l'injuste enferme, notion qui est d'ordre moral origine), devient juridique ; son point de départ pivote sur lui-même, et s'oriente du coté passif 8 ETHIQDE, DROIT ET POLITIQUE au lieu de rester orienté du côté actif; cette notion opère donc une conversion. Voila, d'après notre philosophe, la raison de certaines doctrines étranges sur ce sujet, comme celle qui affirme que l'Etat est un moyen de nous élever à la moralité, qu'il naît d'une aspiration à la vertu, que, par suite, il est dirigé contre l'égoïsme ; ou celle qui fait de l'Etat la condition de la liberté, au sens moral du mot, et, par là même, de la moralité. Rien de cela n'est vrai. L'Etat, né d'un égoïsme bien entendu, d'un égoïsme qui s'élève au-dessus du point de vue individuel pour embrasser l'ensemble des individus, ne vise nullement l'égoïsme, mais seulement les conséquences funestes de l'égoïsme. Il ne se préoccupe pas davantage de la liberté au sens moral, c'est-à-dire de la moralité; par sa nature même, en effet, il ne peut interdire une action injuste qui n'aurait pas pour corrélatif une injustice soufferte. Quant à la doctrine du droit .selon Kant, où la construction de l'Etat se déduit de 1' « impératif catégorique », et n'est pas seulement une condition, mais un devoir de moralité, Schopenhauer la rejette plus complètement encore-La politique tire de la morale sa théorie pure du droit, c'est-àdire sa théorie de l'essence et des limites du juste et de l'injuste; après quoi elle s'en sert pour ses fins à elle, fins étrangères à la morale ; elle en prend la contre-partie, et là-dessus elle édifie la législation positive, y compris l'abri destiné à la protéger; bref, elle construit l'Etat. La politique positive n'est donc que la doctrine morale pure du droit renversée. Tel est le fond de la doctrine" de Schopenhauer sur le droit, la politique et l'Etat. Dans son grand ouvrage, il traite la matière avec toute la tenue et le sérieux qui conviennent à un exposé général d'idées tel que celui auquel il se livre. Dans les pages du présent volume, il déploie plus d'humour et de fantaisie, entre davantage dans les détails, et aborde certaines questions très intéressantes qu'il n'avait même pas effleurées jusque-là. La première de ces questions est celle du luxe, dont le PRÉFACE DU TRADUCTEUR 9 philosophe contrebalance les avantages et les inconvénients, sans prendre nettement parti dans un sens plutôt que dans l'autre, mais en inclinant toutefois visiblement vers le maintien de l'usage du superflu, « cette chose si nécessaire », suivant le mot célèbre de Voltaire; il aborde ensuite la question de la souveraineté du peuple, qui commençait alors à occuper les esprits dans cette Allemagne où, si longtemps, l'obéissance à peu près passive avait régné en maltresse, et où les mœurs féodales s'étaient prolongées presque jusqu'à ce jour-là. Cette question est pour Schopenhauer une occasion d'établir un parallèle entre la forme gouvernementale monarchique et la forme républicaine. Aristocrate « de la veille », comme il se complaisait à le redire en employant cette expression française, par toutes les habitudes de son existence et tous les traits de son caractère, il avait par conséquent peu de goût pour la suprématie de la masse. Toutes les fibres de sa nature dédaigneuse et raffinée se rétractaient au contact du profanum vulgus, et des expériences comme celle de la révolution de 1848, où il s'était senti menacé dans sa suffisante mais modeste aisance, et, partant, dans son indépendance et le bonheur du restant de sa vie, n'étaient pas faites pour le réconcilier avec la démocratie. Schopenhauer éprouva alors un sentiment analogue, à celui que Taine. esprit si libre par certains côtés, mais caractère un peu timide et facilement apeuré, éprouva à l'occasion des événements de la Commune. Le philosophe allemand se prononce donc pour la monarchie contre la république. On trouvera ici ses raisons alléguées. L'une d'elles, — nullement personnelle, puisqu'il n'entra jamais dans sa pensée de mettre pour sa part la main à la chose publique, — c'est qu'il doit être plus difficile aux intelligences supérieures d'arriver à de hautes situations, et, par là, à une influence politique directe, dans les républiques que dans les monarchies ; pour quel motif, il nous le dit. Il voulait aussi avant tout un solide principe d'autorité, et il croyait la seconde forme gouvernementale plus apte à l'établir que la première. Hais ce serait une erreur que de voir en lui un parti- 10 : ÉTHIQUE, DBOIT «T POLITIQrE MB de I* réaction aveugle. Tout eu trouvant la forme monarchique celle naturelle a l'homme, « à peu près comme elle l'est aux abeilles et aux fourmis, aux grues voyageuses, aux élépbaots nomades, aux loupa et aux autres animaux réunis pour leurs razzias, qui tous placent un seul d'entre eux i leur tète », il était libéral à sa façon, affirmant que le meilleur gouvernement est en définitive celui qui satisfait le mieux les aspirations de l'humanité et s'efforce le plus de la rendre beureuse. S'il se prononçait pour la royauté, il n'avait cure, en revanche, du droit divin, auquel ses idées philosophiques lui défendaient de croire. La légitimité, disait-il à l'occasion des événements d'Italie, un an avant sa mort, est une belle chose, mais elle ne donne par elle seule aucun droit au succès. Pour être sûr de celui-ci, un goovernemeut doit élre intellectuellement supérieur à la masse gouvernée ; mais, moralement, son chef ne doit pas être trop noble, élre un Titus ou un Marc-Aurèle, ni, en sens opposé, tomber au-dessous du niveau universellement admis comme mesura du droit. En ce sens, il prophétisait à son ami Gwinner la chute de Napoléon III : « II est trop mauvais », lui disait-il. Il ne portait pas davantage dans son cœur le premier Bonaparte, ainsi qu'on le verra au cours de ce volume. Schopenhauer rencontre sur son chemin la question du jury criminel, et, en vertu du même courant d'idées aristocratiques, il la résout en un sens peu favorable à cette institution de tout temps si discutée, et de nos jours plus que jamais. Il est vraiment plaisant de l'entendre fulminer contre ces « tailleurs » et ces « tanneurs » dont la « lourde et grossière intelligence, sans culture, pas même capable d'une attention soutenue ..... est appelée à démêler la vérité du tissu décevant de l'apparence et de l'erreur. Tout le temps, de plus, ils songent ù leur drap et à. lenr cuir, aspirent à rentrer chez eux, et n'ont absolument aucune notion claire de la différence entre la probabilité et la certitude. C'est avec cette sorte de calcul des probabilités dans leurs têtes slupides, qu'ils décident en confiance de la vie des autres ». La boutade est amusante; nous laissons à a^ajUros_le_soin_. '- ^jfrVitiv. i à PRÉFACE DU TRADUCTEUR il de décider si elle est en même temps une vérité. Qu'aurait dit, de nos jours, cet adversaire irréductible du'jury, en voyant un de ces « tanneurs » devenir président de la république d'un grand pays, et ce jury tant conspué s'élargir encore, jusqu'à admettre dans son sein des ouvriers proprement dits, conformément a la décision d'un ministre ? Mais, depuis Schopenhauer, les idées ont marché, l'instruction s'est répandue, et, qu'on déplore le fait ou qu'on y applaudisse, rien ne parait pouvoir opposer désormais une digue, en Europe, au flot toujours montant de la démocratie. Le problème de l'éducation se rattache étroitement, sinon directement, à celui de la morale, et, comme le droit et la politique, est l'un des éléments constitutifs de celle-ci. Ce problème a de tout temps fortement préoccupé les populations du Nord. Sans remonter jusqu'à l'époque de Charlemagne et d'Othon le Grand, qui travaillaient avec le zèle personnel que l'on sait à la diffusion de l'enseignement » tous ses degrés ; sans rappeler autrement que par leurs noms quelques-uns des meilleurs ouvriers de la même œuvre, a l'époque de la Renaissance germanique, Rodolphe Agricola. Alexandre Ilégius, Reuchlin, Luther, Mélanchlhon, Bugenhagen, etc., tous ceux qu'on a appelés les « huma-' nistes », on voit l'Allemagne, dès le commencement du xvit° siècle, appliquer tous ses efforts à la constitution de l'enseignement du peuple. Les pédagogues surgissent alors de toutes parts. L'un d'eux, Goménius, est resté illustre entre tous comme créateur de l'école primaire et l'un des précurseurs de la méthode intuitive. La réformation de l'enseignement fut « son principal entêtement », suivant le mot naïf de Bayle. Son œuvre fut continuée, dans un sens malheureusement trop empreint de piétisme, par A.-II. Prancke, dont l'opuscule : Court et simple ensei\gnemenl, est, comme le Discours de la méthode, duquel des eritiques Tout rapproché, plus gros d'idées que, de mots, et opéra en pédagogie une révolution comparable a celle des quelques pages de Descartes en philosophie. Puis vinrent, .dans la seconde moitié du XVIII" siècle, deux étoiles de 42 ETHIQUE, DBOIT ET POLITIQUE première grandeur, Rasedow et l'estalozzi. autour desquelles gravitent les satellites Campe, Salzmann, Diesterweg, r'rœbel. etc. Enfin, au xrx* siècle, apparaît Herbart, infiniment plus original et plus suggestif comme éducateur que comme philosophe, quel que soit son mérite à eo) dernier titre. Sa Pédagogie générale et ses Esquisses de\ leçon» pédagogiques constituent la tentative la plus importante faite jusque-là en Allemagne pour élever la pédagogie au rang d'une science exactement fondée sur une double base spéculative et expérimentale. Cette liste d'éducateurs théoriques ou effectifs, qu'il serait facile de beaucoup allonger, prouve simplement que les pays du Nord prennent plus au sérieux que les pays latins l'éducation et l'enseignement, et tout ce qui s'y rattache. Cela est dans leurs traditions, en quelque sorte dans leur sang. Tandis que le jeune' Français, par exemple, a une tendance lâcheuse à voir en son éducateur un gêneur, un tyran, qu'il n'aime pas et qu'il raille plus ou moins ouvertement, le jeune Allemand, lui. est tout au moins respectueux à son égard, si, au fond, ses sentiments ne sont pas non plus toujours très bienveillants. C'est que celui-ci voit moins l'homme lui-même que le savoir qu'il porte dans sa tête et qu'il est chargé de commit-* "niquer. Or, pour l'homme du Nord, dès la première jeunesse, le savoir est la chose essentielle; on le lui a répété, et. à son tour, il le répétera A ceux dont il aura charge. Nous avons constaté par nous-méme, en pénétrant dans quelques lycées et dans quelques écoles primaires des pays allemands, la vérité du jugement que nous consignons ici. Tous ceux qui connaissent d'un peu près l'Allemagne savent de quel profond respect est entouré, non seulement dans les salons mais dans les restaurants et brasseries, dans tous les endroits publics, l'homme qui. rehaussant d'ordinaire ton prestige à I l'aide de lunettes en or, a le très grand honneur de départir le savoir k la jeunesse : le Iltrr Profensor sonne dans les | bouches comme devait sonner l'antique civil romanw. Kl cette 'assertion ai solidement établie, en vertu de laquelle J les victoires de Sadowa et de Sedan, qui ont eu pour résiil-J L 13 PBEFACE DU TRADUCTEUR tat l'unité de l'Allemagne, sont avant tout le fait du maître d'école, n'est-elle pas des plus caractéristiques! En regard de ce respect pour l'éducateur et de la reconnaissance que lui vouent les peuples de race germanique, opposons les caricatures que les espiègles écoliers romains traçaient déjà de leurs maîtres, voilà deux mille ans, et dont de curieux échantillons se voient encore parmi les graffiti de Pompéi. Ce respect d'une part, cet irrespect de l'autre, décèlent deux mentalités différentes. Gela ne veut pas dire que notre pays n'ait eu, lui aussi, ses éducateurs théoriques ou effectifs, et, parmi les premiers, quelques-uns des plus remarquables, tels que Rabelais, Ramus, Montaigne, Pénelon, Rollin, etc. A ces noms on peut ajouter celui de -Jean-Jacques, qui avait de grandes prétentions sous ce rapport; il ne faut toutefois pas oublier que l'auteur d'Emile était Suisse, c'est-à-dire plus homme du Nord que Latin, et qu'il n'accuse ni dans ses idées ni dans sa mentalité générale les traits ordinaires du caractère français. On peut en dire autant de l'excellent livre de M1"" Necker de Saussure sur Y Education progressive. Ecrit par une Genevoise, ses préceptes sont plus appropriés au tempérament moral des gens du Nord qu'à celui des gens du Midi. En résumé, tout ce que nous prétendons ici, c'est que les peuples germaniques ont abordé de tout temps avec plus de sérieux que les peuples latins le problème de l'éducation et des méthodes d'enseignement, et que la liste de leurs éducateurs éminents nous apparaît plus étendue que celle des nôtres. Les considérations de Schopenhauer en matière d'éducation et d'enseignement viennent s'ajouter très utilement à celles de ses prédécesseurs en cet ordre d'idées. Il n'a écrit sur ce sujet que quelques pages, mais fortes de choses, mais suggestives, comme on le verra- Il met en garde contre la méthode, trop fréquemment suivie, qui consiste à placer les notions avant les perceptions, c'est-à-dire qui substitue l'éducation artificielle à l'éducation naturelle, et il y a là un avertissement utile à méditer. Il termine en improuvant la lecture des romans, comme de nature à engendrer dans les 14 KTHIOUK, DROIT IT'POUTIOCÏ jeunes esprits des idées fausses préjudiciables à là connaissance'réelle de la vie. Les t observations psychologiques » sur lesquelles se ferme le volume sont une sorte de revue a vol d'oiseau de tout ce qui est dit ici et dans les autres ouvrages; elles traitent de Omni re scilili, sont le fruit de l'inspiration du moment, ouvrent des horizons sur une foui* de points, et n'ont pas moins d'intérêt que tout ce qui précède, grâce à leur forme souvent humoristique et piquante, et à leur style serré, en quelque sorte lapidaire, qui est la manière assez habituelle de l'écrivain. Ici comme ailleurs, comme partout, notre philosophe témoigne beaucoup de mépris pour le troupeau humain ; il semble que, pour parler de ses semblables, il lui faille tremper sa plume dans le fiel, assez souvent même dans le vitriol. A ce point de vue il exagère évidemment, puisque, .par le fait même de la vie en communauté, chacun, ici-bas, • est moralement solidaire de l'autre, et il est de plus illogique, puisqu'il base la morale sur la sympathie s'affirmant non seulement en pitié, mais en charité effective. Il y a là certainement, dans le système de Schopenhauer, une contradiction prouvant que les meilleures têtes et les tummi phil.t>*nplii euxmêmes n'ont pas moins de peine que le corn-' m un des mortels à mettre toujours bien d'accord.leurs idées. Ce mépris de l'humanité provient, chez l'auteur du Monde comme volonté et comme représentation, à la fois de son tempérament et de son caractère. D'une part, il ne ressentait nullement le besoin, pour être incité à penser, de la conversation, ou. comme il disait, du bavardage des autres, se trouvant assez riche de son propre fonds; d'autre part, sa nature aristocratique, qui avait entrevu, avant que Darwin la formulât nettement, la loi de la sélection, se cabrait quoi qu'il en eût contre la domination de plus en plus envahissante du nombre et le règne de la médiocrité. Du dédain pour ses semblables il en arriva par étapes successives au mépris. « Quoties inler homineu fui, minor homo redit » (chaque fois que je me suis trouvé parmi les hommes, je PREFACE DO TRADUCTEUR 15 suis revenu moins homme), se plaisait-il à dire avec l'auteur de l'Imitation, qui lui-même l'avait dit après Sénèque. Aussi, même arec ceux qu'il qualifiait d'amis, lui arrivait-il de briser brusquement l'entretien sur un ton peu aimable, pour leur faire comprendre qu'il avait hâte de regagner sa tour d'ivoire, de renouer au plus tôt la chaîne un moment interrompue de «on recueillement intellectuel. Les seuls êtres qui ne l'ennuyaient pas, qui lui procuraient même une joie toujours renouvelée, c'étaient les animaux. Il nous fait sa confession a cet égard dans ses Observations psychologiques : « Quelle jouissance particulière n'éprouvons-nous pas, dit-il, à voir n'importe quel animal vaquer librement à sa besogne, s'enquêter de sa nourriture, soigner ses petits, s'associer à des compagnons de son espèce, etc., en restant absolument ce qu'il est et peut être ! Ne fût-ce qu'un petit oiseau, je puis le suivre de l'œil longtemps avec plaisir. Il en est de même d'un rat d'eau, d'une grenouille, et, mieux encore, d'un hérisson, d'une belette, d'un chevreuil ou d'un cerf. Si la vue des animaux nous charme tant, c'est surtout parce que nous goûtons une satisfaction à voir devant nous notre propre être si simplifié ». Gwinner raconte que Schopenhauer ayant vu. pour la première fois, en 1854, à la foire de Franc* fort, un jeune orang-outang, allait lui rendre visite presque chaque jour, étudiant avec la plus grande attention et la plus | vive sympathie cet « ancêtre présumé de notre race », dans les traits mélancoliques duquel il lisait le désir qu'avait la volonté de parvenir à la connaissance. Nous avons parlé, dans les volumes précédents, de son amour pour son chien. Il revenait souvent sur le compte de cet animal en géuérai, s'étonnant quelque peu que le chien, cette béte fauve apprivoisée, le parent et peut-être le descendant du chacal ou du loup, ait pu devenir le fidèle, affectueux et obéissant compagnon de l'homme que l'on sait. Le meilleur jugement sur le fond même de l'œuvre de Schopenhauer nous semble émaner de Schopenhauer luimême : « Mes ouvrages, dit-il, se composent de simples articles inspirés par l'idée dont j'étais plein à ce moment, et 16 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE que je voulais fixer pour elle-même; on les a unis ensemble avec un peu de chaux et de mortier. C'est pour cela qu'ils ne sont pas vides et ennuyeux, comme ceux des gens qui s'assoient à leur bureau et écrivent un livre page par page, d'après un plan arrêté ». Certains juges ont émis l'avis que si une telle manière de composer peut être une condition de variété et d'intérêt, un peu plus de ciment, cependant, n'aurait pas nui à la consolidation de l'édifice. Mais d'autres ont riposté que cet édifice est entièrement bâti en pierres de taille, comme ces murailles cyclopéennes où chaque bloc, tel qu'il est, s'ajoute aux autres presque sans liaison artificielle, reposant dans la masse par son propre poids et consolidant l'ensemble. Quant à cet ensemble même, il n'est peut-être pas un seul, philosophe de valeur, depuis Platon, pour ne pas remonter à Çakya Houni. jusqu'à Hegel et Schelling eux-mêmes, qui n'ait contribué à le constituer et à le fendre viable; mais l'agencement merveilleux de ces pièces de rapport, leur emploi eu vue d'une idée suivie et la conception même de cette idée qui les rattache et les unit, voilà l'œuvre propre de Schopenhauer. Elle suffit à sa gloire. Peut-être certaines parties de ses écrits ontelles un peu vieilli, sont-elles devenues un peu insuffisantes, et ont-elles surtout, pour le lecteur du xxesiècle, un intérêt historique et documentaire; la science proprement dite et même la science psychologique ont fait, depuis près de cinquante ans qu'est mort Schopenhauer, de» progrès éclatants, et celui-ci, malgré tout son talent et sa perspicacité si aiguë, ne pouvait savoir que ce qu'on savait de son temps; les parties sujettes à caution sont d'ailleurs en petit nombre, et elles ont grande chance de se sauver grâce à leur tour littéraire classique, à l'esprit qui y coule à pleins bords, ù la connaissance subtile de l'homme dont elles sout pénétrées. En un mot, si telle ou telle pierre s'est légèrement effritée, l'ensemble de l'édifice reste aussi solidement fixé sur ses assises qu'au premier jour, et la philosophie de l'auteur du Monde comme volonté et comme représentation demeure un épisode considérable de l'histoire de la pensée moderne, en même temps qu'elle _ PRÉFACE DU TRADUCTEUR 17 constitue, par plusieurs côtés, nn des plus précieux trésors de la sagesse humaine. Sans doute, Schopenhauer pousse souvent bien loin l'amertume de la pensée, la méfiance à l'égard de ses semblables, le scepticisme moral; les désillusions et les tristesses de l'existence l'avaient aigri peut-être outre mesure. Hais, en dépouillant toutes les idoles de leur éclat artificiel et trompeur, en vous mettant face a face avec la réalité, si cruelle qu'elle soit, il vous ouvre les yeux, vous désabuse, vous rend un service manifeste. La vie de l'homme dévient de plus en plus une lutte sans merci, il n'y a pas à se le dissimuler, et, si l'on ne veut pas être vaincu a coup sûr, il faut pouvoir opposer à ses adversaires, sur ce terrible champ de bataille, des armes d'une trempe au moins égale à la trempe des leurs. La connaissance, dans l'acception philosophique du mot, la connaissance intégrale, inexorable, est la meilleure de ces armes. Février 1908. Auguste DIETIIICH. SatioPEXiUUEii. — Éthique. ÉTHIQUE. DROIT ET POLITIQUE ÉTHIQUE Les vérités physiques peuvent avoir beaucoup d'importance extérieure; mais elles n'ont pas d'importance intérieure. Celle-ci est le privilège des vérités intellectuelles et morales, qui ont pour thème les plus hauts degrés d'objectivation de la volonté, tandis que les vérités physiques ont pour thème les pins bas. Pari exemple, si nous parvenions à la certitude —• ce n'est pour l'instant qu'une supposition — que le soleil à l'équateur produit la thermo-électricité, celle-ci le magnétisme terrestre, et celui-ci la lumière polaire, Ces vérités auraient une grande importance extérieure* mais elles n'auraient pas grande importance intérieure. Des exemples de cette importance intérieure nous sont au contraire fournis non seulement par tous les hauts et vrais arguments philosophiques intellectuels, mais aussi par la catastrophe de toute bonne tragédie, comme, en outre, par l'observation de la conduite humaigje dans les manifestations extrêmes de sa moralité et de son immoralité, c'est-à-dire du bien et du mal. Car en tout ceci apparaît l'essence dont le phé- ~2[r~ ETHIQUE, DROrT ET POLITIQUE nomcnc est le monde, et cette essence, à son plus haut degré d'objectivalion, révèle son fond intime. Dire que le monde a purement une signification physique, et non morale, c'est l'erreur la plus grande et la plus pernicieuse, l'erreur fondamentale, la véritable perversité d'opinion, et c'est au fond ce que la foi n personnifié sous la désignation de l'Anlichrist. Cependant, et en dépit de toutes les religions, qui maintiennent le contraire et cherchent à l'affirmera leur façon mythique, cette erreur fondamentale ne disparait jamais complètement sur la terre ; elle continue au contraire à relever la tête de temps en temps, jusqu'à ce que l'indignation générale la force une fois de plus à se cacher. Si assuré toutefois que soit le sentiment d'une signification morale du momie et de la vie, son explication et la solution de la contradiction existant entre elle et le monde sont tellement difficiles, qu'il a pu m'étre réservé d'exposer le véritable et seul pur fondement de la moralité, efficace en tous lieux et en tout temps, ainsi que son but. La moralité du progrès moral est trop de mon côté, en cette matière, pour me faire craindre que ma doctrine soit jamais minée et remplacée par une autre. Quoique mon éthique elle-même reste ignorée des professeurs, le principe moral kantien prévaut dans . les Universités, et, parmi ses formes diverses, celle de la « dignité de l'homme » est maintenant la plus en faveur. J'ai déjà montré son inanité dans mon traité sur le Fondement de la morale (§ 8). Pour cette raison, je n'en dis pas plus ici. Si l'on demandait sur quoi ÉTHIQUE 21 repose celle prétendue dignité de l'homme, la réponse serait qu'elle repose sur sa moralité. Ainsi, la moralité repose sur la dignité, et la dignité sur la moralité. Mais, ceci mis à part, c'est seulement d'une façon ironique que la conception de dignité me semble applicable à un être aussi malade de volonté, aussi limité d'intelligence, aussi débile de corps que l'homme. Quid superbit homo t cujus conceptio culpa, Nasci pu;na, labor vila, necesse mori ! ' Aussi voudrais-je établir, par opposition à la forme indiquée du principe moral de Kant, la règle suivante : n'entreprenez pas d'apprécier objectivement, quant à sa valeur et à sa dignité, l'être avec lequel vous entrez en contact; ne prenez donc pas en considération la perversité de sa volonté, la limitation de son intelligence ni la fausseté de ses idées. La première pourrait aisément éveiller contre lui la haine, la dernière le mépris. Tenez seulement compte de ses souffrances, de sa misère, de ses angoisses, de ses douleurs. Alors nous nous sentirons toujours apparentés à lui, nous sympathiserons toujours avec lui. et, au lieu de la haine ou du mépris, nous éprouverons pour lui cette compassion qui est la seule «yobïïi (affection) à laquelle nous convie l'Evangile. Pour empêcher la haine et le mépris de se soulever contre lui, ce n'est certainement pas la recherche de sa prétendue dignité, mais, au contraire, l'affirmation de la sympathie, qui est le '! '. point de vue véritable. i. « DP f[uui s'enorgueillit J'honuuc. dont la conception est une faute, la naissance une douleur, la vie une fatigue, et qui est voué a la mort! » —t—-------------- — in» 22 1 " ■ ! ÉTHIQUE. DROIT ET POLITIQUE Les bouddhistes, en conséquence de leurs profondes idées éthiques et métaphysiques, partent non des vertus cardinales, mais des vices cardinaux, dont les vertus cardinales apparaissent d'emblée comme les antithèses ou les négations. Suivant l'Histoire des Mongols orientaux de J.-J. Schmidt (voir p. 7), les vices cardinaux sont, pour les bouddhistes : la volupté, la paresse, la colère et l'avarice. Mais vraisemblablement l'orgueil doit remplacer la paresse : c'est du moins ainsi que ces vices sont énumérés dans les Lettres édifiantes et curieuses, édit. de 1819, t. VI, p. 372; l'envie, ou la haine, y est de plus ajoutée en cinquième lieu. A l'appui de ma rectification de l'allégation du très recommandable J.-J. Schmidt, vient s'ajouter l'accord de celle-ci avec les doctrines des soufis, qui étaient sous l'influence du brahmanisme et du bouddhisme. Ceux-ci en effet établissent les mêmes vices cardinaux, et, d'une façon très frappante, par couples, de sorte que la volupté entre en scène avec l'avarice, et la colère avec l'orgueil. (Voir Tholuck, Fleurs du mysticisme oriental, p. 206). Volupté, colère et avarice se trouvent déjà énoncées dans le Bhagavat Gita (XVI, 21) comme vices cardinaux : ce qui atteste le grand âge de la doctrine. De même, dans le PrabodhaChandrodaya, ce drame philosopho-allégorique si important pour la philosophie du Védanta, ces trois vices cardinaux apparaissent comme les trois généraux du roi Passion dans sa guerre contre le roi Raison '. Les vertus cardinales opposées à ces vices cardiI. Krishna Mipra, Prabodka-Chandrodaya, ou la naissance de l'idée. Drame tlieoiogico-plûlosophique, traduit du sanscrit (en allemand), et-accompagné d'une préface par Rosenkranz (1842). ÉTHIQUE 23 I naux, qu'on verrait apparaître, seraient la chasteté et la générosité, associées a la douceur et à l'humilité. ■ Si maintenant l'on compare à ces idées fondamentales de l'éthique, établies avec tant de profondeur par l'Orient, les vertus cardinales platoniciennes, si célèbres et tant prônées, la justice, la bravoure, la modération et la sagesse, on les trouvera dépourvues d'une idée fondamentale claire et directrice, donc superficiellement choisies, et en partie même [manifestement fausses. Les vertus doivent être des qualités de la volonté; mais la sagesse appartient directement à l'intelligence. La <r<iKppoêi5vYj, que Cicéron traduit par tempevantia et la langue allemande par Mâssigkeit (modération), est une expression très indéterminée et très ambiguë sous laquelle on peut ranger beaucoup de choses, telles que réflexion, sobriété, tête solide; elle vient vraisemblablement de owov fyeiv -ô <ppoveîv, ou, comme le dit I-Iic-rax dans Stobée (Florides, titre V, § 60) : TOC'JTV .-rM àpctvjv 56Kpposûvr,v Èy.â)>ecav ow-yjpiav ouoav .bpovrjtfétoç. La bravoure n'est pas une vertu, bien que parfois elle puisse venir en aide à la vertu ; mais elle est également prête à servir la cause la plus indigne; c'est en réalité une propriété du tempérament. Déjà Geulincx1, i. Geulincx (Arnold), né à Anvers en 1624. mort à Leyde on 1609, fut professeur de philosophie et de théologie protes tante dans cette dernière ville. Il a publié divers ouvrages écrits un latin : Sulurnalia, Logica, rvwOi crèaûzdv, sive Elhica, Compendium physicum, Alelaphysicu vei'a, Colleijium oratorium, etc., dont les plus remarquables sont posthumes. Geu lincx est un philosophe cartésien qui a de la profondeur et de l'originalité, mais que la gloire de Spinoza et de Malebrancbe rejeta dans la pénombre. Do nos jours on a commencé à lui faire réparation. Le professeur J.-l'.-N. Land a donné une édi tion de ses œuvres : Opéra philosophica, La Haye, 1891-1893, 3 vol. (Le trad.) dans la préface de son Ethique, a rejeté les vertus cardinales platoniciennes, qu'il a remplacées par celles-ci : diligentia, obedientia, juslilia, humilitas. Evidemment un mauvais choix. Les Chinois énumèrent cinq vertus cardinales : la pitié, la justice, la politesse, la science et la sincérité (Journal asiatique, t. IX, p. 62). Samuel Kidd, dans son livre sur la Chine (Londres, 1841, p. 197), les dénomme bienveillance, droiture, convenance, sagesse et sincérité, et commente abondamment chacune. Le christianisme n'a pas de vertus cardinales; il n'a que des vertus théologales : foi, amour et espérance. Le point où commencent à se séparer les vertus morales et les vices de l'homme, est celle opposition de notre attitude fondamentale envers les autres, qui prend pu le caractère de l'envie, ou celui de la sympa-I Ihie. Car chaque homme porte ensoi ces deux particu-' 'tarifés diamétralement opposées, vu qu'elles proviennent de l'inévitable comparaison de son propre état avec celui des autres; et selon la manière dontle résultat affecte son caractère individuel, l'une ou l'autre de ces particularités deviendra son attitude fondamentale et la source de sa conduite. L'envie, elle, consolide la muraille entre vous et moi; pour la sympathie, | cette muraille devient mince et transparente; parfois ' même elle s'écroule complètement, cas auquel disparaît la distinction entre moi et ce qui n'est pas moi. La bravoure, dont il vient d'être question, ou, plus exactement, le courage qui réside à sa base (car la bravoure est simplement le courage à la guerre), mérite d'être examiné de plus près. Les anciens mettaient—l ÉTHIQUE 25 le courage au nombre des vertus, la lâcheté au nombre des vices. Mais cette idée n'est pas d'accord avec le sens moral chrétien, qui incline à la bienveillance et à la patience, et qui défend toute inimitié, même la résistance; aussi les modernes l'onl-ils abandonnée. Nous devons cependant concéder que la lâcheté ne nous semble pas compatible avec un noble caractère; il suffit déjà pour cela de l'excessif souci de sa propre personne qui s'y trahit. Le courage se ramène au fait que l'on affronte volontairement, à un moment donné, des maux qui vous menacent, pour éviter des maux futurs plus grands; tandis que la lâcheté fait l'opposé. Le courage est donc le caractère de la patience, qui consiste à percevoir clairement qu'il y a de plus grands maux encore que les maux présents, et qu'on pourrait] se les attirer en s'y dérobant violemment ou en se défendant contre eux. Le courage serait donc une aorte de patience, et comme c'est celle-ci qui nous i;end capables de privations et de sacrifices de tout genre, le courage, grâce à elle, est au moins apparenté aussi à la vertu. Mais peut-être se laisse-t-il envisager à un point de vue plus élevé encore. On pourrait, par exemple, ramener la crainte de la mort à l'absence de cette métaphysique naturelle, par conséquent simplement sentie, en vertu de laquelle l'homme porte en lui la conscience qu il existe aussi bien en tous, et en tout, qu'en sa propre personne, dont la mort doit, pour cette raison, peu le préoccuper. De cette conscience devrait donc naître le courage héroïque, de la même source, logiquement (comme se le rappelleront les lecteurs, de mon Ethique), que les vertus de justice et d'amour du 26 ËTHIQCE, DROIT ET P0LITIQ08 prochain. Gela s'appelle aborder la chose de haut ; cependant il n'est pas facile d'expliquer pourquoi la lâcheté parait méprisable, tandis que le courage personnel parait noble et élevé. On ne peut voir, en effet, d'un point de vue plus bas, pourquoi un individu, fini, qui est tout pour luimême, qui est même la condition fondamentale de l'existence du reste du monde, ne subordonnerait pas toutes les autres choses à la conservation de son « moi ». Aussi une explication exclusivement immanente, c'est-à-dire purement empirique, fondée uniquement sur l'utilité du courage; ne suffirai t-elle pas. De là vient peut-être que Calderon a émis un jour sur le courage une idée sceptique, mais digne d'attention; il nie sa réalité, et cela par la bouche d'un vieux et sage ministre s'ad ressaut à son jeune roi : Que auuque el natural temor Eu todos obra igu al mente, • No mostrarle es ser valiente, Y esto es lo que h ace el valor '. (La Fille de l'air, 2" partie, ajournée). Au sujet des différences mentionnées entre l'estimation du courage comme vertu chez les anciens et chez les modernes, il faut encore considérer que les anciens entendaient par vertu, virttts, à.osnfj, chaque excellence, chaque qualité louable en elle-même, morale, intellectuelle, ou simplement corporelle. Mais après que le christianisme eût montré que la tendance fondamentale de la vie est une tendance morale, on n'entendit 1, « Bien que la crainte naturelle agisse également chez tous les hommes, c'est être vaillant que de ne pas la montrer, et c'est ce qui constitue la bravoure j^H ETHIQUE 27 plus par le mot vertu que les qualités morales. En attendant, on trouve le mot avec son sens primitif chez les anciens latinistes, comme aussi en italien, ainsi que le prouve la signification bien connue du \mot virluoso. Les maîtres devraient appeler expressément l'attention des écoliers sur celte extension de l'idée de vertu chez les anciens; autrement, elle pourrait engendrer facilement chez eux une perplexité secrète. A cette fin, je recommande particulièrement deux passages qui nous ont été conservés par Stobée. Le premier, dû probablement au pythagoricien Métopos (Florilège, titre I, §64), où est expliquée la capacité de chaque membre de notre corps pour l'àper^; le second, qui se trouve dans ses Eglogues physiques et éthiques (livre II, chap. vu). On y lit en toutes lettres : oxuToxdjjtou àpev^v \t^ti^%\. xaô' rjv iitoicAttv àpio-ov faâàvjpx ôiiva-xi. (Un cordonnier a de la vertu, suivant qu'il confectionne bien sa chaussure.) Ceci explique pourquoi il est question, dans l'éthique des anciens, de vertus et de vices qui ne trouvent pas place dans la nôtre. Comme la place assignée à la bravoure parmi les vertus, celle assignée à l'avarice parmi les vices est douteuse. Toutefois il ne faut pas confondre celle-ci avec la cupidité, qu'exprime directement le mot latin avai'itia. Aussi allons-nous examiner une bonne fois le pour et le contre au sujet de l'avarice, en laissant à chacun le soin du jugement final. A. — Ce n'est pas l'avarice qui est un vice, mais son contraire, la prodigalité. Elle résulte d'une limitation bestiale au présent, sur lequel l'avenir, qui n'existe encore qu'en idée, ne peut obtenir aucun pouvoir, et 28 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE el ^lle repose sur l'illusion de la valeur positive et réelle des plaisirs sensuels. L'indigence et la misère futures sont en conséquence le prix auquel le prodigue achète ces plaisirs vides, fugitifs, souvent même purement imaginaires, ou repaît sa vaine et sotte vanité des courbettes de ses parasites, qui rient de lui derrière son dos, comme de l'étonnement de la populace et des envieux de sa magnificence. Pour cette raison l'on doit le fuir, comme on fuit un pestiféré, et, dès que l'on a découvert son vice, rompre avec lui. Ainsi l'on n'aura pas plus tard, quand les conséquences se produiront, ou à en supporter sa part, ou à jouer le rôle des amis de Timon d'Athènes. De même il ne faut pas compter que celui qui dissipe imprudemment sa fortune, laissera intacte celle d'autrui, si elle vient à lui tomber entre les mains. Sut profusus, alieni appelais i, a très justement remarqué Salluste (Catilina, chap. v). ' La prodigalité ne mène donc pas seulement à l'appauvrissement, elle mène de plus, par celui-ci, au crime; les criminels des classes élevées le sont presque tous devenus par leur prodigalité. Le Koran dit avec raison : « Les prodigues sont frères de Satan. » (6'ura XVII, verset 29). L'avarice, au contraire, a la super-fluité dans son cortège; et quand donc celle-ci n'est* elle pas souhaitable? Ce doit être là un bon vice ayant de bonnes conséquences. L'avare, en effet, procède du principe exact que tous les plaisirs n'exercent qu.'une action négative, et que, par suite, une félicité constituée par eux est une chimère; tandis que les douleurs sont positives et très réelles. Alors il se refuse I. • Prodigue do son urgent, couvoUeux (lejMWjiMnyUruii-l ÉTHIQUE 29 ceux-là, pour s'assurer d'autant mieux contre celles-ci ; le suxtine et abstine devient sa maxime. Et comme il sait en outre combien sont inépuisables les possibilités du malheur et innombrables les voies du danger, il prend ses mesures contre eux, afin de s'environner d'une triple muraille protectrice. Qui peut dire où les précautions contre les coups de la fortune commencent à devenir excessives? Celui-là seul qui saurait où finit la malignité de celle-ci. Et même si les précautions étaient excessives, cette erreur lui nuirait tout au plus a lui-même, et non aux autres. N'aurà-t-il jamais besoin des trésors qu'il entasse : dans ce cas, ils profileront un jour à d'autres, que la nature a créés moins prévoyants. Que jusque-là il soustraie l'argent à la circulation, il n'y a pas de mal, car l'argent n'est pas un article de consommation; il représente uniquement les biens réels, utilisables; il n'est pas lui-même un bien. Les ducats ne sont au fond que des jetons à compter; ce qui a de la valeur, ce n'est pas eux, mais ce qu'ils représentent; et cela, l'avare ne peut le retirer de la circulation. En outre, sa mainmise sur l'argent augmente juste d'autant la valeur de ce qui reste en circulation. Si, comme on l'affirme, maint avare unit par aimer l'argent directement et pour lui-même, maint prodigue, cela n'est pas moins certain, aime également la dépense et le gaspillage directement pour euxmêmes. L'amitié ou même les rapports de .parenté avec l'avare sont non seulement sans danger, mais désirables, car Ha peuvent produire de grands avantages. Quoi qu'il en soit, ses proches récolteront après sa mort les fruits de son abstinence; et de son vivant aussi, dans les nécessités extrêmes, on peut . 30 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE espérer quelque chose de lui, en tout cas toujours plus que du prodigue déplumé, qui n'a pas le sou et est accablé de dettes. Mas dà el duro que el desmido ', dit un proverbe espagnol. En conséquence de tout ceci, l'avarice n'est pas un vice. B. — Elle est la quintessence des vices. Si les plaisirs physiques détournent l'homme de la voie droite, sa nature sensuelle, ce qu'il y a de bestial en lui, en porte la faute. Entraîné par l'excitation et subjugué par l'im-l pression du moment, il agit sans réflexion. Au con-l traire, quand, par faiblesse physique ou par suite de la vieillesse, il en est arrivé là-que les vices, qu'il ne pouvait abandonner, l'abandonnent, son aptitude aux plaisirs sensuels étant morte, alors, s'il tourne à l'ava rice, l'appétit intellectuel survit à l'appétit charnel. L'argent, qui est le représentant de tous les biens de ce monde, leur abstraction, devient désormais le tronc aride auquel se cramponnent sesappétils éteints, comme égoïsme in abstracto. Ils se régénèrent à partir de ce moment dans l'amour du mammon. Le désir fugitif sensuel s'est transformé en un appétit raisonné et cal culé de l'argent, qui est, comme son objet, de nature symbolique, et, comme lui, indestructible. C'est l'amour obstiné, se survivant en quelque sorte, des jouissances de ce monde, l'inconvertibilité absolue, la joie char nelle sublimée et spiritualisée, le foyer abstrait auquel viennent aboutir tous les désirs, et qui est à ceux-ci ce que l'idée générale est à la chose particulière. L'avarico. est en conséquence le vice de la vieillesse, comme la prodigalité est celui de la jeunesse. H 4. « L'homme dur donne plus que l'homme nu ». ETHIQUE 31 La disputatio in utramque partent à laquelle on vient d'assister nous amène très naturellement à la morale du «j u s t e milieu» d'Aristote. La considération suivante lui est encore favorable. Toute perfection humaine est apparentée à un défaut dans lequel elle menace de tomber ; et, à l'inverse, chaque défaut est apparenté à une perfection. De là résulte souvent l'erreur que nous commettons au sujet d'un homme : au début de la connaissance que nous lions avec lui, nous confondons ses défauts avec les perfections qui y sont apparentées, ou au rebours. Alors le prudent nous semble lâche, l'économe avare ; ou bien le prodigue, libéral ; le butor, loyal et sincère ; l'impertinent, doué d'une noble confiance en luimême, etc. Celui qui vit parmi les hommes se sent toujours tenté d'admettre que la méchanceté morale et l'incapacité intellectuelle sont étroitement unies, puisqu'elles ont une seule et même racine. Mais cependant il n'en est pas ainsi, et je l'ai démontré longuement dans les Suppléments au Monde comme volonté et comme représentation. Cette illusion, qui naît simplement de ce qu'on les trouve souvent ensemble, s'explique par le fait qu'elles apparaissent très fréquemment toutes deux; en conséquence, il leur arrive aisément d'habiter sous le même toit. On ne peut nier, cependant, qu'elles ne jouent à cache-cache l'une avec l'autre à leur commun avantage ; de là résulte l'aspect si peu satisfaisant qu'offrent un trop grand nombre d'hommes, et le monde va comme il va. La stupidité est spécialement favorable à la claire manifestation de 32 ÉTHIQUE, DROIT ET «UmOtlR la fausseté, de la bassesse et de la méchanceté, tandis que l'intelligence s'entend mieux à les dissimuler. Et <i que de feus, d'autre part, la perversité du edeur empê- ' che l'homme d'apercevoir des vérités à la hauteur desquelles atteindrait son intelligence ! Cependant, ne nous surfaisons pas, tous tant que nous sommes. Le plus grand génie lui-même est inconv lestablement limité dans une sphère quelconque» de la connaissance, et proclame par là sa parenté avec la* * race humaine essentiellement pervertie et absurde. Chacun porte en soi, au point de vue moral, -quelque chose d'absolument mauvais, et même le meilleur et le plus noble caractère nous surprendra parfois par des traits individuels de bassesse ; il confesse ainsi en ! quelque sorte sa parenté avec la race humaine, où l'on ; voit se manifester tous les degrés d'infamie et même de cruauté. Car c'est précisément par ce mauvais côté, par ce principe du mal qu'il porte en lui-même, qu'il a dû devenir un homme. Et, pour cette raison, le monde), est exactement ce que l'a montré mon fidèle miroir. Nonobstant tout cela, la différence entre les hommes . reste incalculablement grande, et beaucoup reculeraient d'effroi en voyant les autres tels qu'ils sont eux-mêmes. Oh ! donnez-nous un Asmodée ' de la moralité, • qui rende transparents pour son favori non seulement les toits et les murailles, mais le voile de dissimulation, de fausseté, d'hypocrisie, de grimaces, de mensonges et d'illusion étendu sur toutes choses, et lui ■ i. Allusion au Diable boiteiun'. de Lesage, que celui-ci a imile " du Diablo eoxttelo de Luis Perez de Guevara. C'est Lesage seul j qui a donné le nom d* « Asra'odée » à son diable. B'auteur j espagnol ne nomme jamais celui-ci que «cl Covuelo ». ' (le trait.) ETniQCE 33 fasse voir combien peu de véritable honnêteté on trouve dans le monde, et combien fréquemment, même là où on le soupçonne le moins, derrière tous les extérieurs vertueux, secrètement et au fond le plus reculé, la malhonnêteté est assise au gouvernail! C'est de là que viennent les amitiés à quatre pattes de tant 'd'hommes des meilleurs ; car, en vérité, où trouveraiton une consolation contre la dissimulation, la fausseté et la ruse infinies de l'espèce humaine, s'il n'y avait pas de chiens, dont l'honnête figure peut être regardée sans méfiance ? Notre monde civilisé n'est donc en réalité qu'une grande mascarade. On y trouve des chevaliers, des curés, des soldats, des docteurs, des avocats, des prêtres, des philosophes, et tout le reste ; mais ils ne sont pas ce qu'ils représentent ; ils ne sont que des masques sous lesquels, en règle générale, se cachent des spéculateurs (moneymakers). L'un revêt le masque du droit qu'il a emprunté à son avocat, uniquement pour pou* voir fourrer un autre dedans. Un second a choisi, dans le même but, celui du bien public et du patriotisme ; un troisième, celui de la religion, de la pureté de la foi. Beaucoup déjà se sont affublés, à toutes sortes de fins, du masque de la philosophie, de la philanthropie, etc. Les femmes ont moins de choix : la plupart emploient le masque de la pureté, de la décence, des occupations domestiques et de la modestie. H y a aussi des masques généraux, sans caractère particulier, comme qui dirait les dominos que l'on rencontre partout. Parmi eux se rangent la sévère intégrité, la politesse, la sympathie sincère et l'amabilité ricaneuse.'Sous tous ces masques se cachent, comme nous venons de le dire, à peu près SCHOPKMMUU. — Éthique. 3 34 EtiUQCB, DROIT ST POUTIQCB uniquement des industriels, des commerçants et des spéculateurs. Les marchands constituent sous ce rapport la seule classe honnête. Seuls ils se donnent pour ce qu'ils sont, «ont en conséquence sans masque, et occupent pour cette raison un rang peu éfevé. Il est très important d'apprendre de bonne heure, dès sa jeunesse, qu'on se trouve au milieu d'une mascarade. j Autrement il est beaucoup de choses qu'on ne pourra ni comprendre ni atteindre. On restera devant elles tout perplexe, à commencer par l'homme cui ex me-liore lato dédit prsecordia Titan1. Parmi ces choses sont la faveur acquise à la bassesse ; le mépris dont est l'objet l'homme de mérite, même du plus rare et du plus grand mérite, de la part de ceux qui cultivent la méine branche que lui ; la haine de la vérité et des grandes capacités, l'ignorance des savants dans leur propre science, et la recherche des produits artificiels au détriment des produits vrais. Il faut donc enseigner aux jeunes gens que, dans cette mascarade, les pommes sont en cire, les fleurs en soie, les poissons en carton, que tout n'est que farce et plaisanterie ; et que de ces deux hommes qu'ils voient si sérieusement aux prises ensemble, l'un ne vend que de la fausse marchandise, que l'autre paie avec des jetons â compter. Mais il y a des considérations plus sérieuses à exposer et de pires choses à dire. L'être humain est, au fond, un animal sauvage et effroyable. Nous le connaissons seulement dompté et apprivoisé par ce qu'on nomme la civilisation ; voilà pourquoi nous nous effrayons des explosions occasionnelles de sa nature1. Mais quand une . i. « Donl le dieu suprême a créé les entrailles du meilleur limon ». ÉTHIQUE . 35 fois le verrou et là chaîne de l'ordre légal sont tombés et que l'anarchie apparaît, alors il montre ce qu'il est. Celui qui, même sans cette occasion, voudrait se renseigner à oe sujet, peut se convaincre, par.des centaines de récits anciens et modernes, que l'homme ne le cède en cruauté et en* impitoyabilité à aucun tigre ni à aucune hyène. Un exemple de poids pour le temps présent est fourni par la réponse que fit en 1840 la Société antiesclavagiste de l'Amérique du Nord à la Société antiesclavagiste britannique, qui s'était informée auprès d'elle de la manière dont étaient traités -les esclaves dans son pays. Cette réponse a pour titre : Slaveryand the internai Slavelrade in the United States of NorthAmerica : being replies to questions transmitted by the Brilish Ânlislavery-Society to the American Anli'slavery-Sociely. Londres, 1841, 280 pages. Ce livre constitue un des actes d'accusation les plus accablants contre l'humanité. Personne ne le refermera sans horreur, et peu de gens sans verser des larmes. En effet, ce que le lecteur peut avoir jamais entendu dire, ou imaginé, ou rêvé, en fait de dureté ou de cruauté humaine, lui semblera insignifiant, s'il lit comment ces démons à face d'hommes, ces coquins bigots qui vont à l'église et observent le sabbat, spécialement les calotins anglicans qui se trouvent parmi eux, traitent leurs frères noirs innocents, que l'injustice et la violence ont fait tomber sous leurs griffes diaboliques. Ce livre, composé de comptes rendus secs, mais authentiques et documentés, révolte à un tel degré tout sentiment humain, qu'on pourrait, le tenant à la main, prêcher une croisade en vue de l'assujettissement et du châtiment des Etats esclavagistes de l'Amérique du Nord : 36 ÉTHIQUE, DROIT KT POLITIQUE car ils sont la honte de l'humanité entière. Un antre exemple datant de nos jours — pour beaucoup de gens le passé n'a plus de valeur — se trouve dans les Voyages au Pérou, de Tschudi (1846;, et concerne le traitement infligé aux soldats péruviens par leurs officiers '. Mais nous n'avons que faire d'aller chercher des exemples dans le Nouveau-Monde, ce revers de la planète. N'a-l-on pas découvert en Angleterre, en 1848, que dans un court espace de temps, et cela non pas une fois, mais des centaines de fois, an mari a empoisonné sa femme, ou une femme son mari, ou tous deux leurs enfants, ou torturé lentement ceux-ci à mort par la faim ou les mauvais traitements, uniquement pour recevoir des Sociétés mortuaires (Burial Clubs) les frais d'enterrement qui leur étaient assurés en cas de décès ! A cette fin ils faisaient inscrire un enfant dans plusieurs et jusque daus vingt de ces Sociétésà la fois. Onpentvoir ; à ce sujet le Times des 20, ii et l'î septembre 1848, qui réclame vivement, pour cette raison seule, la suppression des Sociétés mortuaires. Ce journal renouvelle violemment la même plainte, le 12 décembre 1853. Des rapports de ce genre appartiennent évidemment aux pages les plus noires des annales criminelles de la race humaine. Mais la source de ces faits et de tous les faits analogues n'en est pas moins l'essence intime et innée de l'homme, ce dieu xotx' EÇO/YT' (selon la règle) des panthéistes. En chacun réside avant tout un colossal égoïsme qui franchit le plus facilement du monde 1. Un exemple de ces tout derniers temps se trouve dans • l'ouvrage de Mac Leod, Traeehin Easlern Africa, Londres, 1860, 2 vol., qni enregistre la cruauté inouïe, froidement calculée, vraiment diabolique, avec laquelle les Portugais traitent leurs esclaves dans le Mozambique. ÉTHIQUE 37 les bornes du droit; c'est ce que nous enseigne, en petit, la vie quotidienne, et, en grand, chaque page de l'histoire. La nécessité reconnue de l'équilibre européen, si anxieusement surveillé, ne révèle-t-elle pas par elle seule que l'homme est une bête de proie qui, dès qu'elle voit à sa portée un animal plus faible, l'assaille infailliblement ? Et n'obtenons-nous pas chaque jour en petit la confirmation de ce fait? Mais à l'égoïsme illimité de notre nature s'associe encore, en proportions plus ou moins fortes, dans chaque cœur humain, une provision de haine', de colère, d'envie, de fiel et de méchanceté, amassée comme le poison dans la glande de la dent du serpent, et qui n'attend que l'occasion de se donner carrière, pour tempêter et faire rage ensuite comme un démon déchaîné. Si l'opportunité sérieuse fait défaut, elle finira par mettre à profit l'occasion la plus mince, que son imagination grossit: Quantulacunque adeo est occasio, sufficit ira ', (Juvénal, Satire XIII, vers 183). et elle poussera ensuite les choses aussi loin qu'elle le pourra et l'osera. Nous le constatons dans la vie quotidienne, où l'on désigne ces éruptions sous cette expression : « déverser sa bile sur quelque chose ». On a aussi remarqué que quand ces éruptions ne rencontrent pas de résistance, le sujet s'en trouve ensuite décidément mieux. Aristote a déjà observé que la colore n'est pas sans jouissance : IO opyiÇsiiOai VjSiî (Rhétorique, livre I, chap. xi ; livre II, chap. u), et il cite à cet appui \. • Si mince que sait l'occasion, ullc suffit à la colère ». 38 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE un passage d'Homère, qui déclare la colère plus douce que le miel '. Mais ce n'est pas seulement à la colère, c'est aussi à la haine, qui est par rapport à elle ce qu'est une maladie chronique à une maladie aiguë, qu'on se livre réellement con amore : H Now h&tred is by far the longest pleasure : Men love in liaste, but they detest al leisure 2. (Byron, Don Juan, chant XIII, strophe VI). Gobineau3, dans son livre sur les Races humaines, a 1. Ce passage se trouve dans les deux vers suivants de l'Iliade (chant \vw. I09-MO) : Serre 7ro).-j rXuxftov (JUD.(TO« xaTaXctjSo|jUvoto «vopiov iv TCT(bgffatv às|e-act, rjuts xaiivdç. « Qui, plus douce encore que le miel, qui coule avec limpi dité, se gonfle dans la poitrine dos hommes comme une vapeur. » I [Le trad.) 2. « La haine est de beaucoup le piaf sir le plus durable. Les hommes aiment rapidement, mais ils détestent longuement ». 3. Le comte de Gobineau (Josoph-Arthur), né a Ville-d'Avray (d'autres disent à Bordeaux) en 1816. entra en 1849 au ministère des Affaires étrangères, et fut successivement secrétaire d'ambas-J sade à Berne, à Hanovre, a Francfort, ministre en Perse de 1862 a 1864, en Grèce de 1864 à 1868, au Brésil, puis en Suède, de 1872 |à 1877. Après sa mise à la retraite, il s'établit à Rome, et mourut en 1882 a Turin. Le comte de Gobineau a beaucoup écrit, et ses ouvrages sont en général remarquables ; ils embrassent les genres les plus divers, depuis l'étude des caractères cunéiformes j et l'histoire des civilisations jusqu'au roman et à la poésie. Son livre le plus importantes! l'Essai sur l'inégalité des races humai-rus (1853) ; c'est la base de tous les travaux de l'auteur, et la théorie qui un fait le tond — celle de l'anthropologie des diverses nationalités — se retrouve jusque dans son grand poème d'Amadis; c'est en même temps le point de départ de la nouvelle école ethnologique. Il est intéressant de constater que les Allemands se sont de bonne heure occupés des travaux du comte de Gobineau, et alors qu'aujourd'hui encore il n'est guère connu I en France que des érudits, qu'ils lui consacrent des. études sérieuses et traduisent ses œuvres jusque dans dos collections populaires a très bon marché. Il y a évidemment une affinité j ETHIQDE 39 1 nommé l'homme « l'animal méchant par excellence », jugement qui soulève des protestations, parce qu'on se sent atteint par lui ; il a néanmoins raison. L'homme est en effet l'unique animal qui inflige des douleurs aux autres sans but déterminé. Les autres animaux ne le font jamais que pour apaiser leur faim, ou dans l'ardeur de la lutte. On répète toujours que le tigre tue plus qu'il ne mange ; il n'égorge toutefois qu'avec l'intention de se repaître, et c'est le cas de dire, en employant l'expression française, que « ses yeux sont plus grands que son estomac * ». Aucun animal ne torture uniquement pour torturer; mais l'homme le fait, et ceci constitue le caractère diabolique, infiniment pire que le caractère simplement bestial. Il a déjà été question de la chose'en grand; elle n'est pas moins évidente en petit, comme chacun a l'occasion quotidienne de l'observer. Par exemple, deux jeunes chiens jouent ensemble, — spectacle pacifique et charmant. Un enfant de trois à quatre ans arrive, et ne manque guère de les frapper aussitôt de son fouet ou de son bâton, montrant ainsi qu'il est déjà « l'animal méchant par excellence ». Les si fréquentes taquineries sans but et les mauvaises plaisanteries découlent aussi de cette source. Vient-on, je suppose, à exprimer son mécontentement au sujet d'un dérangement ou de tout autre petit désagrément, il ne manquera pas de gens qui vous les imposeront uniquement pour cette raison : animal méchant par entre certaines idées de ce puulicisle distingué et quelques-unes| dos idées actuellement à l'ordre du jour chez nos voisins d'outre* Rhin. (le trad.) i. En français dans lo texte. 2. Egalement en français. 40 ÉTHIQUE, DROIT RT POÈmQÛE excellence ! Ceci est tellement certain, qu'on doit te! garder de manifester son déplaisir de petits ennuis et même, à l'inverse, sa satisfaction de petites choses.! Dans ce dernier cas, les gens feront comme ce geôlier qui, ayant découvert que son prisonnier était parvenu, avec beaucoup de peine, a apprivoiser une araignée et y trouvait un grand plaisir, l'écrasa sur-le-champ : animal méchant par excellence 1 Voilà pourquoi tous les animaux craignent instinctivement l'aspect -et môme la trace de l'homme, — de « l'animal méchant par excellence ». En cela l'instinct ne les trompe pas : l'homme seul, en effet, fait la chasse à la proie qui ne lui est ni utile ni nuisible. Il y a réellement dans le cœur de chacun de nous une béte sauvage qui n'attend que l'occasion de se déchaîner, désireuse qu'elle est de faire du mal aux autres, et, si ceux-ci lui barrent la route, de les anéantir. C'est de là que naît tout le plaisir du combat et de la guerre; et c'est cet instinct que l'intelligence, sa gardienne particulière, a charge constante de dompter et de maintenir en quelque mesure dans les bornes. On peut l'appeler le mal radical, définition dont se contenteront ceux pour qui un mot remplace une explication. Mais je dis : c'est la volonté de vivre qui, tou- | jours de plus en plus aigrie par les douleurs perpétuelles de l'existence, cherche à alléger sa propre peine en infligeant des peines aux autres. De cette façon, la volonté de vivre se développe peu à peu en méchancetés et en cruauté véritables. On peut aussi remarquer ici que, de même que la matière, selon Kant, n'existe que par l'antagonisme de la force expansive et contractée, ainsi la société humaine n'existe que par l'anta- tTHIQCI 41 gopiame de la haine, de la colère ou de la peur. La laideur de notre nature ferait en effet peut-être unjour de chacun de nous un meurtrier, s'il ne s'y mêlait pas une forte dose de peur, qui la maintient dans l'es bornes ; et cette peur seule, à son tour, nous rendrait l'objet de la moquerie et le jouet de chaque enfant, si notre colère n'était pas là toute prête à surgir et à faire bonne garde. Mais le plus déplorable trait de la nature humaine reste le plaisir de nuire, étroitement apparenté à la cruauté, et qui ne se distingue en réalité de celle-ci que comme la théorie de la pratique. Il apparaît généralement là où la sympathie devrait trouver sa place,| la sympathie qui, son opposée, est la véritable source de toute vraie justice et de l'amour du prochain. Dans un autre sens, l'envie est opposée à la sympathie, en ce qu'elle est provoquée par l'occasion inverse. Son opposition à la sympathie repose donc directement sur l'occasion, et se manifeste aussi dans le sentiment comme une conséquence de celle-ci. L'envie, quoique condamnable, est donc susceptible d'excuse, et est éminemment humaine; tandis que le plaisir de nuire est diabolique, et que sa moquerie est le rire de l'enfer. Il apparaît, nous l'avons dit, justement là où la sympathie devrait apparaître; tandis que l'envie n'apparaît que là où il n'y a pas de motif pour celle-ci, et où ce serait plutôt le contraire. C'est à ce dernier titre qu'elle naît dans le cœur humain, et constitue donc encore un sentiment humain; je crains même que personne n'en soitcomplètement exempt. Que l'homme, en effet, devant la fortune et les joies des autres, sente d'autant plus amèrement ses propres besoins, cela est naturel, et wiïwL ~42~ ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE même inévitable; seulement, cette situation ne devrait pas exciter sa baine contre l'homme plus fortuné; et c'est précisément en ceci que consiste l'envie proprement dite. En tout cas, ce qui devrait le moins la provoquer, ce sont les dons de nature, qu'il ne faut pas confondre avec ceux dus au hasard ou à la faveur d'autrui. Toute chose innée repose sur une base métaphysique, c'est-à-dire a une justification d'espèce supérieure et existe en quelque sorte par la grâce de Dieu. Malheureusement, l'envie agit tout au rebours. Elle pardonne le moins les avantages personnels, et l'intelligence, mêmele génie,doiventenconséquence implorerd'abord le pardon du monde, quand ils ne sont pas en situation de pouvoir mépriser fièrement et hardiment celui-ci. Quand, notamment, l'envie est excitée seulement par la richesse, le rang ou la puissance, elle est souvent encore atténuée par l'égoïsme. Celui-ci se rend compte qu'on peut espérer de la personne enviée, le cas échéant, secours, plaisir, assistance, protection, avancement, etc., ou que tout au moins, en la fréquentant, un reflet de sa splendeur peut l'honorer lui-même; et l'on a toujours l'espoir d'acquérir soi-même un jour tous ces' biens. Au contraire, pour l'envie qui s'en prend aux dons naturels et aux avantages personnels, tels que la beauté chez les femmes, l'intelligence chez les hommes, il n'y a aucune consolation de cette espèce ni d'espérance de l'autre; il ne lui reste qu'à hai'r amèrement et implacablement les êtres ainsi privilégiés. Son seul désir est donc d'exercer une vengeance sur son objet. Mais ici sa malheureuse situation fait que tous ses coups tombent sans force, dès qu'il apparaît qu'ils ÉTHIQUE 43 sont venus d'elle. Aussi se cache-t-elle non moins soigneusement que les péchés charnels secrets, et invente-t-elle à l'infini des ruses, des pièges et des artifices, de façon à se dissimuler et à atteindre son objet sans être vue. L'envie ignorera de l'air le plus innocent du monde, par exemple, les mérites qui remplissent de rage son cœur, elle ne les verra pas, ne les connaîtra pas, ne les aura jamais remarqués ni n'aura entendu parler d'eux, et se montrera ainsi passée mai-tresse en dissimulation. Avec une malice raffinée, elle négligera comme absolument insignifiant l'homme dont les brillantes qualités torturent son cœur, ne> s'apercevra pas qu'il existe, l'oubliera complètement. Elle s'efforcera aussi avant tout, par des machinations secrètes, d'enlever à ces mérites toute occasiou de se montrer et de se faire connaître. Elle lancera ensuite sur eux, du fond de l'ombre, blâme, moquerie, raillerie et calomnie, semblable en cela au crapaud qui éjacule son venin hors d'un trou. Elle n'en louera pas moins avec enthousiasme des hommes insignifiants, ou des productions médiocres, même mauvaises, dans la même branche de travaux. Bref, elle devient un pro-ptée en stratagèmes, de manière à blesser sans se faire voir. Mais à quoi tout cela sert-il? L'œil exercé ne la reconnaît pas moins. Elle se trahil déjà par sa crainte et sa fuite devant son objet, objet qui reste d'autant plus isolé qu'il est plus brillant : voilà pourquoi les jolies filles n'ont pas d'amies. Elle se trahit par sa haine sans raison, qui à la moindre occasion, souvent même purement imaginaire, éclate en formidable explosion. Quelque étendue d'ailleurs que soit sa famille, on la reconnaît à l'éloge universel de la mo- J44"~ ^TÏIIOCE, DROIT ET POLrriQCR dealic, celte rusée vertu inventée an profit de le plate banalité, qui néanmoins, par la nécessité qui la pousse à épargner la médiocrité, la met précisément en lumière. Il ne peut assurément y avoir n'en de plus flatteur pour notre amour-propre et notre orgueil que |J la vue de l'envie au guet dans sa cachette et préparant ses machinations; il ne faut toutefois jamais oublier qu'elle est constamment accompagnée par la haine, et l'on doit se garder de laisser l'envieux devenir un faux ami. La découverte de l'envie est donc d'importance pour notre sécurité. On doit en conséquence l'étudier, pour éventer ses pièges, car on la trouve partout, elle va toujours incognito, ou, comme le crapaud venimeux, épie dans les trous sombres. Elle ne mérite ni égards ni pitié, et il faut lui appliquer cette règle : Tu n'apaiseras jamais l'envie; Tu peux donc l'en moquer à ton aise. Ton bonheur et ta gloire sont pour elle une souffrance; Tu peux ainsi te repaitre de son tourment '. Si, comme nous l'avons fait ici, on envisage la mê- N chancelé humaine en inclinant à s'en effrayer, on doit ensuite jeter les yeux sur la misère de l'existence humaine, puis les reporter de nouveau sur la méchanceté en question, si cette misère vous effraye. Alors on trouvera qu'elles se font l'une à l'autre équilibre, et l'on deviendra conscient de l'éternelle justice, en remarquant que le monde lui-même est son propre 1. Don Noid wirtt iiinuucr du t'crsiiliiirii : So magil du ilui xcirosl rcriiûfinen. Ijçin Gluck, (loin Itiilim isl iliin ein l.ciclwi : iMa^sl- dru in au seiucr Quai dJoh weiden. ÉTHIQUE 45 tribunal, et en commençant à comprendre pourquoi tout ce qui vit doit expier son existence, d'abord par la vie, puis par la mort. Le malum pœnx apparaît d'accord avec le malum culpœ. De ce même point de vue se dissipe aussi notre indignation pour l'incapacité intellectuelle du plus grand nombre, qui nous dégoûte si fréquemment dans l'existence. Ainsi miseria humana, nequilia humana et stullilia humana se répondent parfaitement dans ce sansàra * des bouddhistes, et sont de la même grandeur. Mais si nous examinons l'une à part et la mesurons spécialement, elle semble alors dépasser les deux autres sous ce rapport. Ce n'est pourtant là qu'une illusion et une simple conséquence de leur dimension colossale. Chaque chose proclame ce sansara; mais, plus que chaque chose, le monde humain, dans lequel, moralement, méchanceté et bassesse, intellectuellement, incapacité et bêtise, dominent en une mesure effrayante. Cependant il se manifeste en lui, quoique très sporadiquement, mais d'une façon constante, qui nous étonne toujours, des phénomènes d'équité, de bonté, de noblesse d'âme, comme aussi de grande intelligence, d'esprit qui pense, même de génie. Ceux-ci ne disparaissent jamais complètement. Ils luisent devant nous comme des points isolés qui brillent hors de la grande masse sombre. Nous devons les prendre comme une assurance qu'il y a dans ce sansara un bon prin■1. Lo sansara, c'est le tourbillon vital, le mouvement toujours renouvelé qui. pendant les S ternîtes, roule l'ame à travers des angoisses et îles douleurs sans nombre, auxquelles elle aspire impatiemment à échapper. (Le trad.) 46 ÉTIÏIQCS, DROIT ET POLITIQUE cipe sauveur qui peut arriver à se manifester, en emplissant et en affranchissant l'ensemble. Les lecteurs de mon Ethique savent que le fondement de la moraie repose finalement pour moi sur la vérité qui a son expression dans le Véda et Védanta, conformément à la formule mystique établie : Tatlwam asi (c'est toi-même), qui est prononcée en se référant à chaque chose vivante, homme ou animal, et qui est alors dénommée la mahavahya, la grande parole. On peut en réalité regarder les actes conformes à celle-ci, par exemple la bienfaisance, comme le commencement du mysticisme. Chaque acte de bienfaisance pratiqué par un motif pur proclame que celui qui le pratique est en contradiction directe avec le monde phénoménal dans lequel un autre individu est entièrement séparé de lui-même, et se reconnaît identique à celui-ci. Tout acte de bienfaisance complètement désintéressé est cependant une action mystérieuse, un mystère; aussi a-t-il fallu, pour l'expliquer, recourir à toutes sortes de fictions. Après que Kant eut retiré au théisme tous ses autres supports, il lui laissa simplement celui-ci, à savoir qu'il donnait la meilleure explication de ces actes mystérieux et de tous ceux qui leur ressemblent. Il admettait en conséquence le théisme comme une hypothèse théoriquement non démontrable, mais valable au point de vue pratique. Que Kant ait été d'ailleurs en cela tout à fait sérieux, j'en doute. Eu effet, étayer la morale sur le théisme, c'est la ramener à l'égoïsme. Cependant les Anglais, comme chez nous aussi les plus basses classes sociales, ne voient pas la possibilité d'un autre fondement. - -wtilMfry ÉTHIQUE 47 Ce fait de reconnaître sa propre et véritable essence dans un autre individu qui se manifeste objectivement, apparaît avec une beauté toute particulière dans les cas où un être humain, voué inévitablement a la mort, se dévoue avec un soin anxieux et un zèle actif au bien et au salut des autres. On connaît l'histoire de cette servante qui, mordue la nuit, dans la cour d'une ferme, par un chien enragé, et se sentant perdue, empoigne le chien et le traîne dans l'écurie, qu'elle referme, pour empêcher qu'il ne fasse d'autres victimes. De même cet épisode qui a eu Naplès pour théâtre, et que Tischbein ' a perpétué dans une de ses aquarelles. Fuyant devant la lave qui envahit rapidement la mer, un fils porte son vieux père sur ses épaules ; mais quand une étroite bande de terre sépare seulement encore l'un de l'autre les deux éléments destructeurs, le père dit à son fils de le laisser là, et de se sauver en courant; sans quoi tous deux seraient perdus. Le fils obéit, et jette, en s'éloignant, un dernier regard d'adieu à son père. C'est la scène du tableau. De la même nature est le fait historique que Walter Scott décrit, avec sa maîtrise habituelle, dans 1. L'histoire de la peinture allemande enregistre le nom de cinq Tischbein, les deux oncles et les trois neveux. Celui dont il s'agit ici, WHholm, né a Hayua en 1751, mort à Eu tin en 1829, est le plus connu. On l'appelle « le Napolitain », parce qu'il habita longtemps Naples. Elève de Raphaël Mengs, il s'élova peu a peu de la pure virtuosité de son maître à l'art classique proprement dit, et Unit même par aller jusqu'au réalisme. Son tableau le plus célèbre est Gœlhe sur tes ruines de Rome, qui se trouve à l'Institut artistique de Stadel, à Francfort, PI que la gravure a rendu si populaire. Wiltielin Tischbein fut jusqu'à sa mort l'ami intime de 1 auteur de Faust, qui parle plus d'une fois de lui. (Le Irad.) <■ Hffg ÉTHIQUE, UKOIT ET POLITIQUE le Cœur de Midlothian t, chap. n. Deux délinquants ont été condamnés à mort, et celui qui, par sa maladresse, a amené la capture de l'autre, le délivre heureusement, dans l'église où vient d'être prononcé le sermon funèbre, en tenant vigoureusement en respect la garde, tandis qu'il ne fait pas la moindre tentative pour échapper lui-même. Citons également ici, quoiqu'elle puisse être désagréable au lecteur occidental, là scène souvent reproduite par la gravure, où un soldat déjà à genoux pour être fusillé, cherche à éloigner de lui, en agitant vivement son mouchoir, son chien qui veut le rejoindre.. Dans tous les cas de cette espèce, nous voyons un individu, ■ approchant avec une complète certitude de sa fin personnelle, oublier son propre salut pour s'appliquer tout entier à celui d'un autre. La conscience pourrait-elle s'exprimer plus clairement, pour témoigner que cette fin est seulement celle d'un phénomène, et est elle-même un phénomène, tandis que la véritable essence de l'être qui finit demeure intacte, se perpétue dans l'autre, en lequel le premier est en train de la reconnaître si nettement, comme le démontre son action? S'il n'en était pas ainsi, si nous avions devant nous un être qui va véritablement périr, celui-ci pourrait-il, en effet, par le déploiement de ses dernières forces, témoigner un aussi intense intérêt pour le bonheur et la continuation d'un autre? 1. Midlothian était le nom do la vieille prison d'Edimbourg, démolie en 1817. C'est l'année suivante que Walter Scott publia le roman très dramatique que lui avait inspiré la disparition de l'antique geôle écossaise, où s'étaient déroulés tant d'événements tragiques. L'action se passe en 1736. iLetrgd.) ÉTHIQUE 49 II y a en réalité deux manières opposées de devenir conscient de sa propre existence. La première, en intuition empirique, se déployant de l'intérieur, comme un être infiniment petit dans un monde illimité sous le rapport du temps et de l'espace; comme un seul être parmi les mille millions d'êtres humains qui courent en tous sens sur ce globe terrestre, pour très peu de temps, en se renouvelant tous les trente ans. La seconde, en s'enfonçant dans son propre intérieur et en devenant conscient d'être tout en tout et véritablement le seul être réel qui se voit une fois encore dans l'autre qui lui est donné du dehors, comme dans un miroir. Or, que le premier mode de connaissance embrasse seulement le phénomène opéré par leprinci-] pium individuationis, mais que le second soit une conscience immédiate de soi-même comme de la chose en soi, c'est là une doctrine dans laquelle, pour la première partie, j'ai Kant avec moi, et, dans les deux, le Véda. La simple objection contre le second mode est qu'elle présuppose qu'un seul et même être peut se trouver en même temps en différents endroits et pourtant en chacun. Mais quoique cela soit, au point de vue empirique, l'impossibilité la plus évidente et même une absurdité, ce n'en est pas moins absolument vrai de la chose en soi; car cette impossibilité et cette absurdité reposent uniquement sur les formes du phénomène, qui constituent le principium individuatio-\nis. La chose en soi, la volonté de vivre, existe en effet dans chaque être, même le moindre, est présente entière et indivise aussi complètement que dans tous ceux qui jamais furent, sont et seront. C'est la raison pour laquelle chaque être, même le moindre, se dit à SciiopF.Niuor.n. — Éthique. * 80 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE lui-même : Dum ego salvus sim, pereat mundtts '. El, réellement, si tous les autres êtres périssaient, dans le seul être survivant subsisterait, intacte et non diminuée, toute l'essence en soi du monde, qui rirait de la destruction de ceux-là comme d'une jonglerie. C'est là, sans doute, une conclusion per impossibile, à laquelle on est tout aussi bien en droit d'opposer celle-ci : si un être, même le moindre, était complètement anéanti, le monde entier périrait en lui et avec lui. En ce sens, le mystique Àngelus Silesius a dit : Je sais que, sans moi, Dieu ne peut pas vivre un seul instant; Si je suis anéanti, son esprit doit nécessairement disparaître3. Mais pour pouvoir constater en quelque mesure, même au point de vue empirique, celte vérité, ou du moins la possibilité que notre propre « moi » soit à même d'exister dans d'autres êtres dont la conscience est séparée et distincte de la nôtre, nous n'avons qu'à 1. « Pourvu que je sois sauf, le monde peut périr ». 2. « Ich uciss tlass ohne midi GoLl niclii oin Mu kann leben ; Werd'ich zu niclil, Br muss von Nolh den Gcisl aiifgeben ». Cherubinischer Wandersmann, livre I, 8. Jean Scheffler, auteur du recueil de vers précité, le Pèlerin chérubique. naquit à Brcslau en 1624, abjura en 1653 le protes tantisme pour se faire catholique, occasion à laquelle il prit le nom d'Angelus (l'ange de Silésie), et mourut chanoine de sa ville, natale, en 1677. Il poursuivit de sa haine acharnée et infatigable ses anciens coreligionnaires, contré lesquels il ne publia pas \ moins de cinquante-cinq pamphlets. Angelus Silesius est, avec le jésuite Frédéric Spee, l'auteur du Tfutz Nachligall (En dépit du rossignol), l'un des deux principaux représentants de la poésie mystique au xvn° siècle allemand. Le second est d'ail leurs de beaucoup supérieur au premier. Il a de la force et de l'imagination, tandis que la manière de celui-là., toute pénétrée d'un panthéisme incohérent, dégénère trop souvent en fadeur sentimentale. . j {Le trad.) ETHIQUE 51 nous rappeler les somnambules magnétisés, dont le « moi » identique, après leur réveil, ne sait rien de ce qu'un moment auparavant ils ont dit, fait et souffert eux-mêmes. La conscience individuelle est donc un point si entièrement phénoménal, que même dans le même « moi » il peut en surgir deux dont l'un ne sait rien de l'autre. Des considérations comme les précédentes ont toutefois, dans notre Occident judaïsé, quelque chose de très étrange; mais il n'en est pas ainsi dans la patrie de la race humaine, dans ce pays où règne une foi tout autre, une foi conformément à laquelle, aujourd'hui encore, après les funérailles, les prêtres chantent devant tout le peuple, avec accompagnement d'instruments, l'hymne du Véda qui commence ainsi : « L'esprit incarné qui a mille têtes, mille yeux, mille pieds, a sa racine dans la poitrine humaine et pénètre à la fois toute la terre. Cet être est le monde et tout ce qui a été et sera. Cent ce qui s'accroit par la nourriture et confère l'immortalité. C'est là sa grandeur, et pour cela il est l'esprit incarné le plus noble. Les éléments de ce monde constituent une part de son être, et trois parts sont l'immortalité dans le ciel. Ces trois parts se sont élevées du monde ; mais l'autre part est restée en arrière et est ce qui (par la migration des âmes) jouit et ne jouit pas des fruits des bonnes et des mauvaises actions, etc. » (Voir Colebrooke, On lhe\ religions Cérémonies of Ihe Hindoos, t. V des Asialic Researches, édit. de Calcutta, p. 345, et aussi ses Mis-\ cellaneous Essays, t. I, p. 167). Si l'on compare ces hymnes avec ceux de nos livres de prières, on no s'étonnera plus que les missionnaires 58 KTIIIQBK, M H-^Votmoci anglicans des bords du Gange fassent de ai pitoyables affaires, et, avec leurs sermons sur leur maker ', ne w set l'ail bu Uu ■ tien, ilftiw 11 - acrtta, . :ii..n*. et la v> onrant terre, i' n Ihm : cnoar •pi*' je prie de remarquef carartart* H uoar ta ramafliua religieaM aoi ....In .................' U • .: . .. , ■—- ■ .1,,,. la .1 - .ta • la croy; irant, qui si Brahms, i|iii est présent en tous et an* !•'•! ■'!• que I* snnstd» et i homme tout an boasillage sorti de n- 'i Aasai eatoe à jaate titre • )• le noble auteur du livre flfeW dit : ■ Lee efforts dan • onnaûi - resteront strr ■. nul Iml ■ : respectante ae r. . ■ ■„..,. àleurs'exhortatlum • ip. 18). • ' :■ <•• ■*• l -aa, pénétrée par les «!■ Inès brahmaniqnes. dans - ju.'H.-- Ma vivant cl • '«ai, laa abandonneront "* P°n* embra«eer la mai •■ do voir chrétienne, est, •"aptes «ai. as» ai s'tuas* vaine • (p 50 « 8t quand le synode entier de l'Eglise anglaise -'.ii! rail à natte tache, il ne rriutkirail pu, à moine que ea ne soit par la violence absolue, à convertir an bornas* toi mille, parmi l'immense population ludi - a |a. •*>. Casa bien la prédiction de Colebrooke s'est montrée joslr. -l ce < témoigne, quarante et un ans pins tard, une longue lettre signée Civls, pabliée dans le Timei du 6 no\ i 'ira 1849, et sertie par un homme qui a vécu longtemps dans l !"'!.• Oa y lit entre antre» choses : ■ Je ne connais pas un seul esenipla d'un fndou dont nous puissions nous faire honneur, qui sa aaat aunverti au christianisme ; pas un seul cas où celui-ci n'aurait été un reproche pour la croyance embrassée, un avertiraieal pour la croyance abjurât. Las prosélytes qu'on a laits jusqu'à aeaaent. si pen nombreux quiU soient, ont donc tout bonnement servi à détourner les autres de suivre leur exemple ». Us assertiasw de cette lettre ayant été contestées, elles forant confirmées par une seconde lettre, signée 8epahee, publiée dans le Time» du SI) novembre, où on lit : « J'ai servi plus de douze ans dans la présidence, de Madras, et, pendant eu long laps de temps, je n'ai jamais va un seul individa qui se itmodâ 53 parviennent pas à toucher les brahmanes. Mais ceux qui veulent se procurer le plaisir de voir comment, il y a quarante et un ans, un officier anglais a contrecarré hardiment et expressément les prétentions absurdes et impudentes de ces m.essiëùrs, n'ont qu'à lire le livre intitulé : The Vindication oflhe Hindoos front', \llie Aspersions of the Rev. Claudius Buchanan, wilh\ Réfutation of lus Arguments in favour of an ecclesias-, tical Establishment in British India; the whole len-ding to évince the excellence of the moral system of the Indoos, by a Bengal Offlcer, Londres, 1808. L'auteur y démontre avec une rare indépendance les avantages des doctrines religieuses indoustaniques sur celles de l'Europe. Ce petit écrit, qui en allemand pourrait faire cinq feuillets, mériterait aujourd'hui encore d'être traduit; car il expose mieux et plus sincèrement qu'aucun autre, à ma connaissance, l'influence pratique si bienfaisante du brahmanisme, son action sur la vie et sur le peuple, — tout autrement que les rapports émanant de plumes cléricales, qui, en celte qualité même, méritent peu de créance; tandis que les pages en question s'accordent avec ce que j'ai entendu soit converti, môme on apparence de l'indouisuio ou de l'islainisine à la religion protestante. Je partage donc complètement l'avis de Ci vis. et je crois que presque tous les officiers de l'armée pourraient apporter un témoignage semblable. » Cette lettre aussi a fait l'objet de vives contestations; mais je crois que eelles-ci, si elles ne proviennent pas des missionnaires, pro-1 viennent de leurs cousins; ce sont en tout cas de très pieux contradicteurs, lin admettant même que tout ce qu'ils allèguent ne soit pas dénué de fondement, je lu'en lie néanmoins davantage aux garants impartiaux que j'ai cités. Car l'habit rouge, en Angleterre, m'inspire plus do confiance que la robe noire, et tout eo qui y est dit en faveur de l'Eglise, cet asile si richo et si commode des jeunes Dis sans fortune do l'aristocratie, m'est par le fait môme suspect. 64 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE de la bouche d'officiers anglais qui avaient passé dans l'Inde la moitié de leur vie. Pour savoir jusqu'à quel j>oint l'Eglise anglicane, tremblant sans cesse pour ses bénéfices, jalouse le brahmanisme et est irritée contre lui, il faut avoir entendu les aboiements que les évêques ont poussés il y a quelques années au sein du Parlement ; ils I ont continué à les pousser pendant des mois, et, devant l'obstination inévitable des autorités des Indes orientales, ils n'ont cessé de les renouveler ; tout cela uniquement parce que les autorités anglaises, comme il est équitable de le faire dans l'Inde, témoignaient quelques signes de respect extérieur envers l'antique et vénérable religion du pays. Ainsi, quand la procession passe avec l'image des dieux, la garde, officier en tête, sort à sa rencontre et joue du tambour; un drap rouge est fourni pour recouvrir le char de Jag-gernaut, etc. Ce dernier a été effectivement supprimé, avec l'impôt prélevé sur ses pèlerins, en vue de plaire à ces messieurs. En attendant, différents faits doivent faire connaître à ces bénéficiers et porteurs de perruques « très révérends », comme ils se nomment euxmêmes, qui ne cessent d'exhaler leur rage moyen-nageuse, aujourd'hui grossière et vulgaire, contre l'antique religion de notre race, que la plupart des Européens qui vivent longtemps dans l'Inde ont au fond du cœur de l'attachement pour le brahmanisme, et lèvent au contraire les épaules au sujet des préjugés religieux sociaux de l'Europe. Un fait entre autres qui les contraria beaucoup, ce fut la remise aux brahmanes par lord Ellenborough, en 184S, de la porte de la pagode de Sumenaut détruite en 1022 par le maudit ETHIQUE 55 Mahmoud le Ghasnévide ', et que ledit lord avait rapportée en grande pompe au Bengale. « Tout cela tombe comme les écailles des yeux, dès que l'on a vécu deux années dans l'Inde », me* disait un jour un Européen. Même un Français, le monsieur très complaisant et cultivé qui accompagna il y a une dizaine d'années en Europe les dévadassi (vulgô, bayadères), s'écria sur le ton de l'enthousiasme, quand je parlai de la religion de ce pays : « Monsieur, c'est la vraie religion2! » C'est au contraire une chose très drôle, disons-le en passant, de voir avec quel sourire de suffisance quelques serviles philosophas très allemands, comme maints orientalistes qui ne s'attachent qu'à la lettre, envisagent, de la hauteur de leur judaïsme rationaliste, le brahmanisme et le bouddhisme. Je serais vraiment tenté de proposer à ces petits messieurs un engagement au théâtre des singes de la foire de Francfort, si toutefois les descendants d'Hanuman * voulaient les tolérer parmi eux. •1. Sultan do Perse et premior empereur musulman de l'Inde, né à Ghazna, dans la Perse orientale ('J67-4Û30). Les avis sont partagés a son sujet. Schopenhauer le traite de « maudit ». tandis que les historiens le regardent en général comme un bon roi et un vaillant héros, malgré sa manie dos conquête*. Le poète national de la Perse, Firdousi, a fait de lui cet éloge dans son Shah-Xameh : « Grâce à la justice de ce prince, le loup et l'agneau venaient s'abreuver ensemble dans ses Etats; et à| peine les enfants avaient-ils sucé le lait de leurs mères, qu'ils prononçaient le nom do Mahmoud ». (Le Irad.) 2. En français dans lo texte. 3. Ha nu man, le fils du Vent, est le singe héroïque qui joue un si grand rôle dans le Ramayanu. On l'a rapproché du prudent Ulysse. Sa ligure est une des plus populaires de la poésie et de l'art indous, et c'est en souvenir de ce glorieux ancêtre qu'aujourd'hui encore les singes sont si vénérés dans l'Inde et vivent en liberté autour des sanctuaires de Vishnou. (Le Irad.) 56 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE Je pense que si l'empereur de Chine, le roi de Siam ou d'autres monarques asiatiques accordent aux puissances européennes la permission d'envoyer des missionnaires dans leurs pays, ils seraient absolument autorisés à ne le faire qu'à la condition de pouvoir envoyer dans les pays européens tout autant de prêtres bouddhistes, avec des droits égaux; ils choisiraient naturellement à cet effet ceux qui sont déjà instruits à l'avance de la langue européenne à laquelle ils auraient à faire. Nous aurions alors sous les yeux une intéressante compétition, et verrions lesquels obtiendraient le plus de résultats. La mythologie indoue elle-même, si fantaisiste et parfois baroque, qui constitue aujourd'hui, tout comme il y a des milliers d'années, la religion du peuple, n'est, si on la considère attentivement, que la doctrine des Upanishads allégorisée, c'est-à-dire revêtue d'images, et, par ce moyen, personnifiée et rendue mythique, de manière à être mise à la portée du peuple ; cette doctrine, chaque Indou, suivant la mesure de ses forces ou de son éducation, la devine, ou la sent, ou la soupçonne, ou la conçoit clairement, tandis que le révérend anglais grossier et borné, dans sa monomanie, la raille et la blasphème comme une idolatry, dans la croyance où il est de posséder seul la vérité. Le dessein du Bouddha Çakya Mouni était au contraire de séparer le noyau de la pelure, d'affranchir la haute doctrine elle-même de tout mélange d'images et de dieux, et de rendre son pur contenu accessible et sai-sissable même au peuple. Il y a merveilleusement' réussi. Pour cette raison, sa religion est la plus excellente, celle qui est représentée sur la terre par le plus grand nombre d'adhérents. II peut dire avec Sophocle : ETHIQUE 57 ir."*^-J£otç psv x'ïv ô {XT,SEV tliv 6|jtoO •/.pcrcoç xattaxTrisatt'' èrw 8s xaî Stjra xslvcav lîe'TtotOa TOUT' È7tiffitiostv xX£o; '. {Ajax, vers 767 ù 769.) Le fanatisme chrétien, qui cherche à convertir le monde entier à sa foi, est irresponsable. Sir James firooke, rajah de Bornéo, qui colonisa et gouverna un temps une portion de celte île, a fait à Liverpool, en septembre 1858, dans une réunion de la Société pour la propagation de l'Evangile, — c'est-à-dire le centre des missions, — un discours où il dit : « Vous n'avez fait aucun progrès chez les mahométans, vous n'avez fait absolument aucun progrès chez les Ihdous, mais vous en êtes juste au même point où vous étiez le premier jour que vous avez mis le pied dans l'Inde ». (Times,\ 29 septembre '1888). Les émissaires de la foi chrétienne se sont au contraire montrés très utiles et précieux dans une autre direction, car quelques-uns d'entre eux nous ont donné d'excellents et sérieux rapports sur le brahmanisme et le bouddhisme, ainsi que des traductions fidèles et soignées des livres saints, comme il n'est possible de les faire que si l'on y met de l'amour. A ces nobles individus je dédie les vers suivants : Partez comme professeurs; Revenez comme écoliers. Vous avez laissé tomber là L'écaillé de vos yeux aveuglés 2. 1. « Avec l'aide des dieux, le lâche même peut remporter la •victoire ; mais, moi, je me flatte d'obtenir cette gloire, même sans eux. » 3. AU Loin-or gflbl ilir liiu; AU Schiller komnit ilir wiedor. Von «loin unwchlei'rten Siun r'iol dort die Dccko nicUcr. THIQOK, DROIT KT POLITIQUE Nous sommes donc en droit d'espérer qu'il viendra aussi un temps où l'Europe sera purifiée de toute mythologie juive. Peut-être sommes-nous au siècle où les peuples asiatiques de race japbétique rentreront aussi en possession des saintes religions de leur patrie; après un long égarement, ils sont redevenus mûrs pour elles. Après les propositions établies dans mon mémoire couronné sur la Liberté de la volonté, il ne peut faire doute pour aucun homme pensant qu'il faut chercher celle-ci non pas dans la nature, mais seulement en dehors de la nature. Elle est un fait métaphysique, mais, dans le monde physique, une impossibilité. En conséquence, nos actes ne sont nullement libres ; mais le caractère individuel de chacun doit être regardé comme son acte libre. Lui-même est tel, parce que, une fois pour toutes, il veut être tel, car la volonté existe en elle-même en tant qu'elle apparaît dans un individu ; elle constitue la volonté originelle et fondamentale de celui-ci, indépendante de toute connaissance, parce qu'elle la précède. De cette dernière elle reçoit purement les motifs à l'aide desquels elle développe successivement son essence, se fait connaître ou devient visible ; mais elle gît elle-même en dehors du temps, immuable tant qu'elle existe. Aussi chacun, n'existant qu'unefois tel qu'il est, et dans les conditions de l'époque, qui de leur côté s'affirment avec une stricte nécessité, ne peut absolument jamais faire que ce qu'il fait actuellement. Toute la course empirique de la vie d'un homme est en conséquence prédéterminée, dans tous ses événements, grands et petits, aussi nécessairement que celle d'une horloge. Ceci, en réalité, provient du M ÉTHIQUE 59 fait que la façon dont l'acte métaphysique libre indiqué tombe dans la conscience est une perception qui a pour forme le temps et l'espace ; par le moyen de ceux-ci, l'unité et l'indivisibilité de cet acte se déploient, comme séparées l'une de l'autre, en une série d'états et d'événements qui suivent le fil conducteur du principe de cause sous ses quatre formes ; et c'est ce qu'on appelle nécessité. Mais le résultat est d'ordre moral, à savoir celui-ci : par ce que nous faisons, nous reconnaissons ce que nous sommes, comme, par ce que nous souffrons, nous reconnaissons ce que nous méritons. Il s'ensuit que l'individualité ne repose pas seulement sur le principium indioiduationis, et n'est donc pas absolument un pur phénomène ; mais 'elle a sa racine dans la chose en soi, dans la volonté* de l'individu, car le caractère même de celui-ci est individuel. Jusqu'à quelle profondeur pénètrent ses racines, c'est là une question à laquelle je n'entreprendrai pas de répondre. Rappelons que déjà Platon présente à sa manière l'individualité de chacun comme l'acte libre de celui-ci, car il fait naître chaque homme, en conséquence de son co'ur et de son caractère, tel qu'il est, en vertu de la métempsycose. (Voir le Phèdre et les Lois, livre X). Les brahmanes, eux aussi, expriment mythiquement la détermination immuable du caractère inné ; ils disent que Brahma, en engendrant chaque être humain, a gravé sur son crâne ses actes et ses souffrances en caractères d'écriture conformément auxquels se déroulera sa vie. Ils indiquent, comme étant lesdits caractères, les zigzags des sutures des os crâniens. Leur signification est une conséquence de sa vie et de 62 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE bonté morale des nations apparaissent tout à fait indépendantes l'une de l'autre, celle-là existant souventsans1 celle-ci. Nous expliquerons cela par le fait que la bontél morale ne résulte nullement de 4a réflexion, dont le développement dépend de la culture intellectuelle, mais directement de la volonté elle-même, dont la nature est innée et qui n'est susceptible en elle-même d'aucun perfectionnement par l'éducation, fiastholm dépeint le plus grand nombre des nations comme très vicieuses' et mauvaises. Au contraire, il donne la meilleure caractéristique générale de certaines peuplades sauvages,, tels que les Orotchyses, les babitants de l'île Savou, les Toungouses et les insulaires de Pelew. Il cherche alors à résoudre ce problème : pourquoi certaines populations sont-elles si bonnes, tandis que tous leurs voisins sont mauvais ? Cela me paraît pouvoir s'expliquer par1 le fait que les qualités morales s'héritant du père, une population isolée, comme celles dont il s'agit ici, est] sortie d'une seule famille, et, par conséquent, du même ancêtre, qui était un homme bon, et s'est maintenu pur de tout mélange. Les Anglais n'ont-ils pas souvent rappelé aux Américains du Nord, à l'occasion d'incidents désagréables, tels que des répudiations de dettes d'Etat, des razzias en vue du butin, qu'ils descendent; d'une colonie anglaise de criminels, quoique cela ne soit vrai que d'une faible portion de ceux-ci ? C'est chose élonnantecomme l'individualité dechaque homme (c'est-à-dire ce caractère déterminé avec cet intellect déterminé; détermine exactement, semblable à une teinture pénétrante, toutes ses actions et toutes ses pensées, jusqu'aux plus insignifiantes; en consé-l ETHIQUE 63 quence de quoi le cours entier de la vie, c'est-à-dire . l'histoire extérieure et intérieure de l'un, est si différente de celle de l'autre. De même qu'un botaniste reconnaît la plante entière à uue seule feuille ; que Cuvier reconstituait l'animal entier à l'aide d'un seul os, — ainsi l'on peut obtenir, par une seule action caractéristique d'un homme, une connaissance exacte de son caractère, c'est-à-dire le construire, jusqu'à un certain point, à l'aide de celui-ci. Même si cette action a peu d'importance, c'est souvent alors pour le mieux. Quand en effet il s'agit de choses un peu sérieuses, les gens se tiennent sur leurs gardes ; s'il ne s'agit que de petites choses, ils suivent leur nature sans beaucoup de réflexion. Voilà pourquoi ce jmot de Sénèque est si juste : Argumenta morutn ex minimis quoque licet capere1 (Lettre LU). Si, dans ces petites choses, un homme montre par sa conduite absolument dépourvue d'égards et égoïste que la rectitude du sens moral est étrangère à son cœur, il ne faut pas lui confier inconsidérément deux sous. Comment croire, en effet, que celui qui, dans toutes les questions autres que celles de propriété, se montre journellement injuste, et dont I'égoïsme sans bornes perce partout à travers les petites actions de la vie ordinaire affranchies de responsabilité, comme une chemise sale à travers les trous d'un habit en haillons, — comment croire qu'un tel homme sera honorable en matière de mien et de tien, sans obéir à d'autre impulsion que celle de la justice? Celui qui est sans scrupules dans les petites choses, sera criminel dans les grandes. .Celui qui ne 1. a II est permis d'emprunter aux petites choses aussi des arguaient* pour les mœurs ». 64 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE se préoccupe pas des petits traits de caractère n'ft/ qu'à s'en prendre à soi, si, plus tard, il apprend à ses dépens, par les grands .traits, à connaître ledit caractère. En vertu du même principe, il faut rompre immédiatement aussi, ne fût-ce que pour des bagatelles, avec les soi-disant bons amis, s'ils révèlent, un caractère ou perGde, ou méchant, ou bas, afin d'éviter leurs mauvais tfiurs sérieux, qui n'attendent qu'une occasion de se produire sur une plus vaste échelle. Disons-en autant des domestiques. On doit toujours se répé-ter: « Mieux vaut vivre seul, qu'avec des traîtres ». Le fondement et la propédeutique de toute science de l'homme est la conviction que la conduite de celui-ci, dans son ensemble et dans l'essentiel, n'est pas guidée par salaison et par les injonctions de celle-ci- Aussi personne ne devient-il tel ou tel, parce qu'il a le désir, même le plus violent, de le devenir; mais ses faits et gestes dérivent de son caractère inné et immuable, sont * de près et dans les détails déterminés par les motifs, et procèdent donc nécessairement de ces deux facteurs. Un peut en conséquence comparer la conduite de l'homme à la course d'une planète, qui est la résultante d'une force tangentielle et de la force centripète provenant de son soleil : la première force représente le caractère, la dernière l'influence des motifs. Ceci est presque plus qu'une simple métaphore. En effet, la force tangentielle. d'où résulte en réalité le mouvement, limitée qu'elle est par la gravitation, est, prise méta-pbysiquement, la volonté se déployant dans le corps en question. Ceux qui ont compris ceci verront aussi que nous-ne pouvons jamais, à proprement dire, émettre plus BTIUOCE CJ qu'une supposition au sujet de ce que nous ferons dans une situation future, bien que nous regardions souvent cette supposition comme une décision. Si, par exemple, en vertu d'an projet, un homme a accepté très sincèrement et même très volontiers l'obligation, au sujet d'événements encore cachés dans l'avenir, de faire ceci au cela, rien n'assure par là qu'il la remplira ; il faut du moins que la nature de cet homme soit telle, qu'elle lui impose partout et toujours sa promesse donnée comme un motif suffisant, que le sentiment de son honneur fait agir sur lui à l'instar d'une contrainte étrangère. Mais en dehors de ce qu'il fera si ces événements se produisent, on ne peut prévoir la chose, et, dans ce cas, avec une pleine certitude, qu'à l'aide d'une connaissance juste et exacte de son caractère et des circonstances extérieures sous l'action desquelles il tombe. Cela est même très facile, si on l'a TU déjà une fois dans une situation semblable ; il fera infailliblement ^ la même chose la seconde fois, à supposer que, dès la première, il ait reconnu soigneusement et à fond les cir- « constances. Car, comme je l'ai souvent remarqué : Causa flnalis non movel secumlum suum esse reale, sed secumlum esse cognilum. (Suarez, Disputai loties melaphysiav, XXIII, sect. 7 et 8). Ce que la première fois il n'a pas reconnu ou compris, n'a pu agir sur sa volonté : c'est ainsi qu'une opération électrique s'arrête, si quelque corps isolant entrave l'action d'un conducteur. L'immuabilité du caractère et la nécessité des actes qui eu découle s'imposent avec une rare clarté à celui qui, en une circonstance quelconque, ne s'est pas conduit comme il l'aurait dû, en manquant peut-être de décision, de fermeté, de courage, ou d'autres quaScuohn.MiAi'i;». — Ethique. 5 ~~66~~ ÉTIUQOE^ DBOII ET POLITIQUE lités exigées par le moment. Quand il est trop tard, il reconnaît et regrette sincèrement son acte incorrect,.e a it autrement ! » Gela se reproduit, le même cas se pré! sente : — et il agit comme la première fois, à son grand étonnement. Ce sont les drames de Shakespeare qui nous donnent de beaucoup la meilleure explication de la vérité exposée ici. Il en était pénétré, et sa sagesse intuitive s'exprime concrètement à chaque page. Je veux cependant montrer un cas où il met la chose en relief avec une clarté toute spéciale, quoique sans intention ni affectation. En véritable artiste, en effet, il ne part jamais* d'une idée ; il a simplement l'air de le faire pour donner satisfaction à la vérité psychologique telle qu'il la saisit nettement et directement, sans se préoccuper si ce mérite ne devait être remarqué et apprécié ' que par le petit nombre, et sans prévoir qu'un jour, en-Allemagne, de plats et sots gaillards expliqueraient longuement qu'il a écrit ses pièces pour illustrer des lieux communs de morale. Ce que j'ai maintenant en vue ici, c'est le caractère du comte de Northumberland, que nous retrouvons dans trois tragédies, sans qu'il y apparaisse en réalité comme personnage principal ; il n'intervient que dans quelques scènes réparties en quinze actes. Aussi ceux qui ne suivent pas avec toute leur attention le caractère représenté entre de si larges intervalles, peuvent-ils perdre aisément de vue son identité morale, nonobstant la fermeté avec laquelle le poète a maintenu ce caractère devant ses yeux. Il fait apparaître partout ce comte avec un maintien noble et chevale- ■ ÉTHIQUE * 67 resque, lui prèle un langage en rapport aveu celui-ci, et lui met même parfois dans la bouche des passages très beaux, quand ils ne sont pas sublimes ; il est très éloigné d'agir à la façon de Schiller, qui peint volontiers le diable en noir, et dont l'approbation ou la désapprobation morale s'exprime à travers les paroles mêmes des caractères dessinés par lui. Mais chez Shakespeare, comme aussi chez Goethe, chacun, tant qu'il est présent et parle, a parfaitement raison, fût-il le diable en personne. Comparez, sous ce rapport, le duc d'Albe chez Goethe el chez Schiller. — Nous faisons la connaissance du comte de Northumberland dès Richard //, où il est le premier à ourdir une conspiration contre le roi en faveur de Bolingbroke, plus tard Henri IV, qu'il flatte déjà personnellement. (Acte II, scène. 3). Dans l'acte suivant, il est remis à sa place, parce que, parlant du roi, il a dit simplement « Richard » ; mais il affirme ne s'être exprimé ainsi que pour la brièveté. Bientôt après, son discours rusé pousse le roi à capituler. Dans l'acte qui vient ensuite, il traite celui-ci, lors de l'abdication, avec tant de dureté et de mépris, que l'infortuné monarque, tout brisé qu'il est, perd cependant patience et s'écrie : « Démon ! tu me tortures déjà avant que je sois en enfer! » Au dénouement, il annonce au nouveau roi qu'il a envoyé à Londres les têtes coupées des partisans de son prédécesseur. — Dans la pièce suivante, Henri IV, il organise tout pareillement une conspiration contre le nouveau roi. Au quatrième acte, nous voyons les rebelles, réunis, se préparer à la grande bataille du lendemain ; ils n'attendent plus, avec impatience, que Northumberland et son corps d'armée. Au dernier moment arrive une lettre de lui; il est malade. MIT BT.MUTHW et ne peut confier ses troupe» à personne ; il n'engage pas moins les rebelle* à persister courageusement et k attaquer bravement. Ils le font ; mais considérablement' affaiblis par son absence, ils éprouvent une défaite complète ; la plupart de leurs chefs sont faits prisonniers, et son propre (ils, l'héroïque Hotspur,"tombe de le main «lu prince héritier. — Le troisième pièce, la Second* partie A Henri IV, nous le montre plongé, par la mort de ee Qls, dans la plus sauvage fureur et enragé de vengeance. Il attise de nouveau le rébellion ; les chefs de celle-ci s'assemblent une fois encore. Au moment où, en quatrième acte, ils ee préparent à livrer la bataille décisive et n'attendent plus que se jonction avec eux, une lettre arrive : il n'a pu parvenir à rassembler des forces suffisantes, et veut en conséquence, pour l'instant, chercher son salut en Ecosse ; il son* Imite cependant de tout cœur le meilleur succès k leur héroïque entreprise. Us se rendent alors au roi en vertu d'une eepituletion qui n'est pas respectée, et sont mis à mort. Bien loin donc que le caractère soit l'œuvre du choix rationnel et de le réflexion, l'intellect, en agissant, n'a rien de plus k faire que de présenter les motifs k la volonté. Mais alors il doit observer, en qualité de simple spectateur et témoin, comment leur action sur le caractère donné détermine le cours de le vie, dont tous les processus, à bien l'examiner, se déroulent avec la même nécessité que les mouvements d'une horloge. Je renvoie mes lecteurs sur ce point k .mon mémoire couronné sur le Liberté de la volonté. L'illusion d'une liberté complète de la volonté, dans chaque action, qui I lîTIUQtJJÎ . 69 existe néanmoins ici, je l'ai ramenée à sa vraie signification et à son origine, et en ai indiqué ainsi la cause active ; je veux seulement y ajouter ici la cause finale, par l'explication téléologique suivante de cette illusion naturelle, La liberté et la spontanéité qui, en vérité, accroissent seules le caractère intelligible d'un homme dont l'unique compréhension par l'intellect est le cours de sa vie, paraissent s'attacher à chaque action particulière, et ainsi l'œuvre originale est visiblement répétée dans chaque action, pour la conscience empirique. Le cours de la vie reçoit par là le plus grand vouQé?Y|ai; (avertissement) moral possible, puisque ainsi seulement tous les mauvais côtés de notre caractère nous deviennent réellement perceptibles. La conscience, par exemple, accompagne chaque action de ce commentaire : « Tu pourrais bien agir autrement », tandis que sa signification réelle est: «Tu pourrais bien être un autre homme». Maintenant que, d'un côté, par l'immuabilité du caractère, de l'autre, par la nécessité rigoureuse avec laquelle s'imposent toutes les circonstances dans lesquelles ce caractère est successivement placé, le cours de la vie d'un chacun est exactement déterminé de A à Z, il faut cependant reconnaître que telle existence dans toutes ses conditions, subjectives aussi bien qu'objectives, est incomparablement plus heureuse, plus noble, plus digne que telle autre. Ceci conduit, si l'on ne veut pas éliminer toute justice, à admettre, avec le brahmanisme et le bouddhisme, que les conditions subjectives avec lesquelles chacun est né, aussi bien que les conditions objectives dans lesquelles chacun est né, sont la conséquence morale d'une existence antérieure. 70 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE Machiavel, qui semble ne s'être nullement occupé de spéculations philosophiques, est conduit, grâce à la | pénétration aiguisée de son intelligence si unique, à l'affirmation suivante, vraiment profonde, qui présuppose une connaissance intuitive de l'entière .nécessité avec laquelle s'affirment toutes les actions, les caractères et les motifs étant donnés. C'est le début du prologue de sa comédie Clitia : «Senel mondo tornassino i medesimi uomini, corne tornano i medesimi casi, non passarebbono mai cento anni, che noi non ci trovassimo un al Ira voila insieme, a fare le medesime cosa que ora ».' Le fatum, l'tipupuévri des anciens, est simplement la certitude portée à la conscience que tout ce qui arrive est solidement lié à la chaine causale, et arrive par conséquent en vertu d'une stricte nécessité ; l'avenir est donc déjà complètement fixé, déterminé sûrement et exactement, et on ne peut pas plus y changer qu'au passé. C'est seulement la prescience de celui-là qu'on est en droit de qualifier de fabuleuse dans les mythes fatalistes des anciens, si nous éliminons la possibilité de la clairvoyance magnétique et de la seconde vue. Au lieu de prétendre écarter par un bavardage inepte et par de sottes défaites la vérité fondamentale du fatalisme, on devrait chercher à la comprendre et à la reconnaître clairement, car elle est une vérité démontrable, qui nous fournit un fait important 1. « Si les mêmes hommes revenaient an monde, comme y reviennent les mêmes événements, il ne se passerait jamais cent ans, sans que nous ne nous retrouvions ensemble, à faire _ les mômes choses qu'à présent^ Machiavel semble cependant s'être souvenu ici d'un passage de saint Augustin. De civi/ale ^eL-ihanSK^Livre XII, chap. xm. nhaa-^^i— M ÉTHTQTJE 71 pour la compréhension de notre si énigoialique existence. La prédestination et le fatalisme diffèrent non dans leur essence, mais en ceci, que le caractère donné et la détermination de l'action humaine qui vient du dehors, procèdent, dans celle-là, d'un être connaissant, dans celui-ci, d'un être sans connaissance. Dans le résultat ils se rencontrent : il arrive ce qui doit arriver. La conception d'une liberté morale est, au contraire, inséparable de celle A'origination. Qu'un être en effet soit l'ouvrage d'un autre, et que malgré cela il soit libre dans sa volonté et dans ses actes, cela peut se dire, mais non se comprendre. Celui qui l'a appelé du néant à l'existence, a par là même créé et déterminé aussi sa nature, c'est-à-dire toutes ses qualités. Car on ne peut jamais créer sans créer quelque chose, c'est-à-dire un être exactement déterminé dans toutes ses qualités. Mais de ces qualités ainsi déterminées, découle ensuite nécessairement l'ensemble des manifestations et des opérations de cet être, lesquelles sont simplement ces qualités mêmes mises en jeu, qui n'attendaient, pour se manifester, qu'une impulsion du dehors. Tel qu'est l'homme, il doit agir : ses fautes et ses mérites sont donc liés, non à ses actes personnels, mais à son essence et à son être. Aussi le théisme et la responsabilité morale de l'homme sont-ils incompatibles : c'est que la responsabilité retombe toujours sur l'auteur originel de l'essence, comme à l'endroit où elle a son centre de gravité. C'est en vain qu'on a cherché à jeter un pont entre ces deux incompatibilités, grâce à la conception de la liberté morale de l'homme : ce pont s'écroule toujours de nouveau. L'essence libre doit être 72 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQCK aussi l'essence primordiale. Si notre volonté est libre, elle est aussi l'essence primordiale, et réciproquement. Le dogmatisme prékantien, qui aurait voulu séparer ces deux attributs, était ainsi forcé d'admettre deux libertés : celle d'une première cause cosmogonique, pour la cosmologie, et celle de la volonté humaine, pour la morale et la théologie. En conformité de cela, Kant traite aussi de la troisième non moins que de la quatrième antinomie de la liberté. Dans ma philosophie, au contraire, la reconnaissance directe de la stricte nécessité des actions implique la doctrine que, même chez les êtres dépourvus de conscience, ce qui se manifeste est la volonté. Autrement, l'action de cette nécessité évidente seraitmise en opposition avec la volonté, s'il y avait réellement une telle liberté du fait individuel, et si celui-ci n'était pas plutôt aussi strictement nécessité que toute autre action. D'autre part, cette même doctrine de la nécessité des actes de volonté exige que l'existence et l'essence de l'homme soient elles-mêmes l'œuvre de sa liberté, par conséquent de sa volonté, et que cette dernière ait donc de l'aséité'. Dans l'opinion opposée, toute responsabilité disparaîtrait, ainsi que nous l'avons montré, et le monde moral comme le monde physique serait une pure machine que son fabricant du dehors ferait servir à son propre amusement. C'est ainsi que les vérités tiennent toutes ensemble, s'appellent, se complètent, tandis que l'erreur se heurte à tous les angles. i- Littré définit ainsi ce mot : « Terme de scolastique, qui signifie l'existence par soi-même, et qui ne peut être dit par conséquent que de î)ieu seul, ou, suivant les systèmes matérialistes, de la matière ». (Le trad.) ÉTHIQUE 73 De quelle espèce est l'influence que l'enseignement . moral peut avoir sur la conduite, et quelles sont ses limites, c'est ce que j'ai suffisamment recherché dans mon traité sur le Fondement de la morale. L'influence de Yexemple est analogue au fond à celle de l'enseignement moral, mais elle est toutefois plus puissante. Elle mérite donc une courte analyse. L'exemple agit directement, soit qu'il arrête, soit qu'il stimule. Dans le premier cas, il détermine l'homme à renoncer à ce qu'il aurait volontiers fait. Il voit que d'autres ne le font pas : d'où il conclut en général que ce n'est pas raisonnable, que cela doit mettre en danger ou sa personne, ou sa fortune, ou son honneur ; il I s'en tient là, et se voit avec plaisir affranchi de toute investigation personnelle. Ou il constate même qu'un autre, qui l'a fait, en subit les mauvaises conséquences: c'est l'exemple terrifiant. Quant à l'exemple stimulant, il agit de deux manières : ou il pousse l'homme à faire ce a quoi il renoncerait volontiers, en lui montrant que la renonciation pourrait l'exposer à un danger ou lui nuire dans l'opinion d'autrui ; ou il l'encourage a faire ce qu'il ferait volontiers, mais qu'il n'a pas fait jusqu'ici par crainte du danger ou delà honte: c'est' l'exemple tentant. Enfin, l'exemple peut encore l'amener à quelque chose qui ne lui serait jamais venu à l'idée. Dans ce cas, il agit manifestement d'une façon directe sur l'intellect seul ; l'effet sur la volonté est alors secondaire, et, quand il se produit, est produit f" par un acte de jugement personnel, ou par la confiance en celui qui donne l'exemple. L'effet très énergique de l'exemple a pour base que l'homme, en règle générale, est trop dépourvu de jugement, souvent aussi de ÉTirroPE, DROIT ET POHTÏQDE savoir, pour explorer sa route lui-même ; aussi ch t-il volontiers sur les traces des autres. Chacun est donc d'autant plus accessible à l'influence de l'exemple, qu'il manque davantage de ces deux mérites. L'étoile conductrice de la majorité des hommes est, cependant, l'exemple d'aulruî, et toute leur conduite, dans les grandes choses comme dans les petites, se réduit à la pure imitation ; ils ne font rien de leur propre initiative '. La cause en est leur horreur de toute espèce de réflexion et leur méfiance justifiée de leur propre jugement. En .même temps, cet instinct de l'imitation si étonnamment fort chez l'homme, porte témoignage de sa parenté avec le singe. Mais le mode d'action de l'exemple est déterminé par le caractère d'un chacun ; aussi le même exemple peut-il attirer l'un et repousser l'autre. Certaines malhonnêtetés sociales, qui n'existaient pas auparavant et se glissent en tapinois peu a peu, nous permettent facilement d'observer cela. En constatant telle d'entre elles pour la première fois, quelqu'un pensera : « Fi ! comment peut-on se comporter de cette façon ? Quel égoïsme ! quelle inconsidération ! Je me garderai bien de jamais agir ainsi ». Mais vingt autres penseront : « Ah, ah ! puisqu'il fait cela, je puis le faire également ». Sous le rapport moral, l'exemple peut, comme l'enseignement, amener une amélioration civile ou légale, mais non l'amélioration intérieure, qui est en réalité l'amélioration morale. Car il n'agit jamais que comme un motif personnel, c'est-à-dire sous la présupposition qu'on est accessible à cet ordre de motifs. Mais c'est 4. L'imitation et l'habitude sont les moteurs de la plupartdès_ actions dos hommes. _ ÉTHIQUE 75 précisément si un caractère est plus accessible à tel ou tel ordre de motifs, que cela est décisif pour sa véritable moralité, qui, cependant, n'est jamais qu'innée. L'exemple agit en général avantageusement pour faire prédominer les bonnes et les mauvaises qualités du caractère, mais il ne les crée pas. Aussi le mot de Sénèque ; Velle non discilur1, estil vrai également ici. Que l'innéité de tou tes les véritables qualités morales, des bonnes comme des mauvaises, convienne mieux à la doctrine de la métempsycose des brahmanes et des bouddhistes qu'au judaïsme, je le sais très bien ; en vertu de celle-là, « les bonnes et les mauvaises actions d'un homme le suivent d'une existence dans l'autre comme son ombre », tandis que celui-ci exige plutôt que l'homme vienne au monde comme un zéro moral, pour décider, au moyen d'un liberi arbilrii indi/ff-rentiae inimaginable, c'est-à-dire d'une réflexion rationnelle, s'il veut être un ange, ou un démon, ou n'importe quoi entre les deux. Mais je ne me préoccupe pas de cela, car mon étendard est la vérité. Je ne suis pas professeur de philosophie, et ne tiens donc pas pour mon devoir de fixer sûrement avant toute autre chose les idées fondamentales du judaïsme, celles-ci dussent-elles barrer à jamais la voie à toute connaissance philosophique. Liberum arbitrium indifferenlise, sous le nom de « liberté morale », est un délicieux jouet pour les professeurs de philosophie. Il faut le leur laisser,— à ces gens spirituels, honnêtes et de bonne foi ! 1. « On n'apprend pas a vouloir ». D R0TTJ5TJP 011 TiQILE -------T f Un défaut particulier aux Allemands, c'est qu'ils cherchent dans les nuages ce qui se trouve à leurs pieds. Un excellent exemple de ce genre nous est livré par la manière dont les professeurs de philosophie traitent le droit naturel. Pour expliquer les conditions humaines bien simples qui en constituent le fond, — droit et tort, propriété, Etat, droit pénal, etc.,—ils font appel aux notions les plus extravagantes, les plus abstraites, c'est-à-dire les plus larges et les plus vides, et ils bâtissent ainsi dans les nuages leur tour de Babel, suivant leur caprice spécial à chacun. Les conditions les plus claires et les plus simples de la vie, qui nous affectentdirectement, sont ainsi rendues inintelligibles, au grand détriment des jeunes gens formés à une pareille école. Les choses elles-mêmes, au contraire, sont parfaitement simples et compréhensibles, comme le lecteur peut s'en convaincre par l'analyse que j'en ai faite. (Voir le Fondement de la morale, § 17, et le Monde comme volonté et comme représentation, | C2). Mais au son de certains mots, tels que droit, liberté, le bien, l'être, — cet infinitif illusoire du rapport de liaison, — et d'autres de la même sorte, l'Aile- DROIT ET POLITIQUE 77 mand est pris de vertige, tombe bientôt dans une espèce de délire, et s'échappe en phrases ampoulées et vides de sens. Il coud artificiellement ensemble les notions les plus éloignées et par conséquent les plus creuses, au lieu de fixer ses yeux sur la réalité et de voir les choses telles qu'elles sont. C'est de ces choses que sont tirées les idées en question, et ce sont elles qui, par suite, leur donnent leur seule signification vraie. Celui qui part de l'idée préconçue que la notion du droit doit être positive, et qui ensuite entreprend de la définir, n'aboutira à rien ; il veut saisir une ombre, poursuit un spectre, entreprend la recherche d'une chose qui n'existe pas. La notion du droit, comme celle de la liberté, est négative ; son contenu est une pure négation. C'est la notion du tort qui est positive ; elle a la même signification que nuisance — lassio — dans le sens le plus large. Cette nuisance peut concerner ou la personne, ou la propriété, ou l'honneur. Il s'ensuit de là que les droits de l'homme sont faciles à définir : chacun a le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à un autre. Avoir un droit à quelque chose ou sur quelque chose signifie simplement ou faire cette chose, ou la prendre, ou en user, sans nuire par là à qui que ce soit. Sim-plex sigillum veri. Cette définition montre l'absurdité de maintes questions : par exemple, ei nous avons le droit de nous enlever la vie. Quant aux droits que, dans cette conjecture, d'autres pourraient avoir personnellement sur nous, ils sont soumis à la condition que nous vivions, et tombent avec elle. Réclamer d'un ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE homme qui ne veut plus vivre pour lui-môme, qu'il continue à vivre comme une simple machine pour l'utilité d'autres hommes, c'est là une exigence extravagante. Quoique les forces des hommes soient inégales, leurs droits sont égaux. Ces droits en effet ne reposent pas sur les forces, parce que le droit est de nature morale; ils reposent sur le fait que la même volonté de vivre J s'affirme dans chaque homme au même degré d'objec-tivation. Ceci ne s'applique toutefois qu'au droit primordial et abstrait que l'homme possède en tant qu'homme. La propriété, de même que l'honneur, que chacun acquiert au moyen de ses forces, dépend de la mesure et de la nature de ces forces, et offre alors à son droit une sphère plus large ; ici, par conséquent, cesse l'égalité. L'homme mieux équipé, ou plus actif, agrandit par son industrie non son droit, mais le nombre des choses auxquelles celui-ci s'étend. Dans les Suppléments au Monde comme volonté et comme représentation (chap. XLVII), j'ai prouvé que l'Etat, dans son essence, n'est qu'une institution existant en vue de la protection de ses membres contre les atta- | ques extérieures ou les dissensions intérieures. Il s'ensuit de là que la nécessité de l'Etat repose, en réalité, sur la constatation de l'injustice de la race humaine. Sans elle, on ne penserait nullement à l'Etat ; car personne ne craindrait une atteinte à ses droits. Une simple union contre les attaques des bètes féroces ou des éléments n'aurait qu'une faible analogie avec ce que nous entendons par Etat. De ce point de vue, il est aisé de DROIT ET POLITIQUE 79 voir combien sont bornés et sots les philosophasses qui, en phrases pompeuses, représentent l'Etat comme la Qn suprême et la fleur de l'existence humaine. Une telle manière de voir est l'apothéose du philislinisme. Si l& justice gouvernait le monde, il suffirait d'avoir bâti sa maison, et l'on n'aurait pas besoin d'autre protection que de ce droit évident de propriété. Mais parce que l'injustice est à l'ordre du jour, il est-nécessaire que celui qui a bâti la maison soit aussi en état de la protéger. Autrement son droit est imparfait de facto : l'agresseur a le droit de la force (Fauslrecht). C'est précisément la conception du droit de Spinoza, qui n'en reconnaît pas d'autre. Il dit : « Unusquisque lantumjuris hauet, quantum potentia valet » (Tractatus theologico-politicus, chap. n, § 8), et : « Uniuscujusque jus potentia ejus definitur » (Ethique, propos. 37, scolie lr°.) C'est Hobbes qui semble lui avoir suggéré cette conception du droit, particulièrement par un passage du De Cive (chap. i, § 14), où il ajoute ce commentaire étrange, que le droit de Dieu en toutes choses repose uniquement sur son omnipotence. Mais c'est là une conception du droit qui, en théorie comme en pratique, est abolie dans le monde civil ; dans le monde politique, elle ne l'est qu'en théorie, et continue à agir en pratique. Les conséquences de la négligence de cette règle peuvent se voir en Chine. Menacé par la rébellion à l'intérieur et par l'Europe à l'extérieur, cet empire, le plus grand du monde, reste là incapable de se défendre, et doit expier la faute d'avoir cultivé exclusivement les arts de la paix et ignoré ceux de la guerre. 80 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE Il y a entre les opérations de la nature créatrice et celles de l'homme une analogie particulière, mais non fortuite, qui est basée sur l'identité de la volonté dans l'une et dans l'autre. Après que les herbivores eurent pris place dans le monde animal, les carnassiers apparurent, nécessairement les derniers, dans chaque classe d'animaux, pour vivre de ceux-ci, comme de leur proie. Juste de la même façon, après que des hommes ont arraché au sol, loyalement et à la sueur de leur front, ce qui est nécessaire pour alimenter leur société, on voit arriver souvent une troupe d'individus qui, au lieu de cultiver le sol et de vivre de son produit, préfèrent exposer leur vie, leur santé et leur liberté, pour assaillir ceux qui possèdent leur bien honnêtement acquis, et s'approprier les fruits de leur travail. Ces carnassiers de la race humaine sont les peuples conquérants, que nous voyons surgir en tous lieux, depuis les temps les plus reculésj usqu'aux plus récents. Leursfortunesdiverses, avec leurs alternatives de succès et d'échecs, constituent la matière générale de l'histoire universelle. Aussi Voltaire a-t-il dit avec raison : « Dans toutes les guerres, il ne s'agit que de voler » '. Que les gouvernements qui font ces guerres en aient honte, ils le prouvent en protestant chaque fois qu'ils ne prennent les armes que pour se défendre. Mais au lieu de chercher à excuser cet acte par des mensonges publics officiels, presque plus révoltants que l'acte lui-même, ils devraient s'appuyer carrément sur la doctrine de Machiavel. Celle-ci admet entre individus, au point de vue de la morale et du droit, la valeur du principe : Quod tibi 1. En français dans le texte. DROIT ET POLITIQUE 81 \fleri non vis, id alteri ne feceris; tandis qu'entre peuples et en politique, c'est le contraire : Quod tibi fleri \non vis, id alteri tu feceris. Veux-tu ne pas être assujetti : assujettis à temps ton voisin, c'est-à-dire dès que sa faiblesse t'en offre l'occasion. Si tu laisses celle-ci s'envoler, elle passera un jour dans le camp ennemi, et c'est ton adversaire qui t'assujettira; il se peut même que ce ne soit pas la génération coupable de la faute, mais la suivante, qui en fasse expiation. Ce principe de Machiavel est en tout cas un voile beaucoup plus décent à l'usage de la rapacité, que le haillon transparent des mensonges les plus palpables dans les discours des chefs d'Etat, discours dont quelques-uns rappellent l'histoire bien connue du lapin accusé d'avoir attaqué le chien. Chaque Etat regarde au fond l'autre comme une horde de brigands qui tomberont sur lui, dès que l'occasion s'en offrira. Entre le servage-, comme en Russie, et la propriété foncière, comme en Angleterre, et, d'une façon générale, entre le serf, le fermier, le tenancier, le débiteur hypothécaire, la différence est plutôt dans la forme que dans le fond. Si c'est le paysan qui m'appartient, ou la terre qui doit le nourrir; si c'est l'oiseau, ou sa pâture ; si c'est le fruit, ou l'arbre, — cela, en réalité, ne diffère pas beaucoup. Comme le dit Shylock : ... You take my life, When you do take the means, whereby I live '. Le paysan libre a cet avantage, qu'il peut quitter sa 1. « Vous m'enlevez la vie, si vous m'enlovez les moyens par lesquels je vis ». SCIIOPKNIIAUBH. —. Ethique. 6 82 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE terre et parcourir le vaste monde. Le serf, glehse miser ip tus, a de son côté l'avantage peut-être plus grand que, lorsque la mauvaise récolte, la maladie, la vieillesse ou l'incapacité le condamnent à l'impuissance, son maître est obligé de pourvoir à ses besoins. Aussi le serf dort-il tranquille, tandis que, en une année de mauvaise récolte, le maître s'agite sur son lit, rêvant aux moyens de procurer du pain à ses hommes. Voilà pourquoi Ménandre a déjà dit : 'u; xptlnov i<n 8eaft6-rou ^pqctoO tu^ïîv, 4\ ÇY)V Taneivûç xxl xaxw; âl.eOGepov1 (Stobée, Florilège, t. II, p. 389, édit. Gaisford, 1822). Un autre avantage de l'homme libre est la possibilité d'améliorer sa situation grâce à certains talents ; mais cette possibilité n'est pas non plus complètement enlevée à l'esclave. S'il se rend utile à son'maître par des travaux d'un ordre un peu élevé, celui-ci le traitera suivant ses mérites. C'est ainsi qu'à Rome les artisans, contremaîtres, architectes et même médecins étaient pour la plupart des esclaves, et que de nos jours encore il y a en Russie, afOrme-t-on, de gros banquiers qui sont des serfs. L'esclave peut aussi se racheter grâce à son industrie, comme cela arrive souvent en Amérique. Pauvreté et esclavage ne sont donc que deux formes, on pourrait presque dire deux noms de la même chose, dont l'essence est que les forces d'un homme sont employées en grande partie non pour lui-même, mais pour d'autres : d'où pour lui, d'une part, surcharge de travail, de l'autre, maigre satisfaction de ses besoins. Car la nature n'a donné à l'être humain que les forces 1- « Combien il est préférable de subir un maître, que do vivre pauvre en qualité d'homnffe libre ! » DROIT ET POLITIQUE 83 nécessaires pour tirer sa nourriture du sol, en faisant d'elles un usage modéré ; il n'en a guère de superflues. En conséquence, si un nombre assez considérable d'hommes sont déchargés du commun fardeau de subvenir à l'existence de la race humaine, le fardeau des autres est démesurément accru, et ils sont malheureux. C'est la première source du mal qui, sous le nom d'esclavage ou sous celui de prolétariat, a toujours accablé la grande majorité de la race humaine. La seconde source, c'est le luxe. Pour qu'un petit nombre de personnes puissent avoir l'inutile, le superflu, le raffiné, puissent satisfaire des besoins artificiels, une grosse part des forces humaines existantes doit être employée à cet objet, et dérobée à la production de ce qui est nécessaire, indispensable. Au lieu de bâtir des cabanes pour eux, des milliers de gens bâtissent des demeures magnifiques pour un petit nombre ; au lieu de tisser des étoffes grossières pour eux et pour les leurs, ils tissent des étoffes fines, ou de soie, ou des dentelles, pour les riches, et confectionnent mille objets de luxe pour le plaisir de ceux-ci. Une grande partie de la population des villes se compose d'ouvriers de cette catégorie. Pour eux et leurs employeurs le paysan doit conduire la charrue, semer et faire paître les troupeaux, et il a ainsi plus de travail que la nature n'e lui en avait primitivement imposé. En outre, il doit consacrer encore beaucoup de forces et de terrain à la culture du vin, de la soie, du tabac, du houblon, des asperges, etc., au lieu d'employer celles-là et celui-ci pour les céréales, les pommes de terre, l'élevage des bestiaux. De plus, une multitude d'hommes sont enlevés à l'Agriculture et occupés à la construction- des 84 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE vaisseaux, à la navigation, en vue de l'importation du sucre, du café, du thé, etc. La production de ces superfluités redevient ensuite la cause du malheur de ces millions d'esclaves noirs, qui sont arrachés par la violence à leur patrie, pour produire par leur sueur et leur martyre ces objets de jouissance. Bref, une grande partie des forces de la race humaine est enlevée à lai production de ce qui est nécessaire à l'ensemble, pour procurer au petit nombre ce qui est tout à fait superflu et inutile. Tant que le luxe existera, il y aura donc une somme correspondante d'excès de travail et de vie malheureuse, qu'on la nomme pauvreté ou esclavage, qu'il s'agisse de proie larîi ou de servi. La différence: fondamentale entre les deux, c'est que l'origine des esclaves est imputable à la violence, celle des pauvres à la ruse. L'état antinaturel tout entier de la société, la lutte générale pour échapper à la misère, la navigation sur mer qui coûte tant de vies humaines, les intérêts commerciaux compliqués et enfin les guerres auxquelles tout cela donne naissance, — ces choses ont pour seule et unique racine le luxe, qui, loin de rendre heureux ceux qui en jouissent, les rend plutôt malades et de mauvaise humeur. Le moyen le plus efficace d'alléger la misère humaine serait donc de diminuer le luxe, et même de le supprimer. Il y a incontestablement beaucoup de vérité dans ce courant d'idées. Mais la conclusion en est refutée par un autre, que fortifie en outre le témoignage de l'expérience. Ce que, par ces travaux consacrés au luxe, la race humaine perd en forces musculaires (irritabilité) pour ses besoins les plus indispensables, lui est peu à peu rendu au centuple par les forces nerveuses (sensi- DROiT ET POLITIQUE 85 bililé, intelligence) s'affranchissant (dans le sens chimique) précisément à cette occasion. Comme celles-ci sont d'un ordre plus élevé, leur action surpasse au centuple aussi l'action de celles-là : tuç IV 9000V pooÀs'jjAoc *ca; noXAwv vîîoa; vix$ '. (Euripide, Antiope). Un peuple composé uniquement de paysans découvrirait et inventerait peu de chose ; mais les mains oisives font les tètes actives. Les arts et les sciences sont eux-mêmes enfants du luxe, et ils lui paient leur dette. Leur œuvre est ce perfectionnement de la technologie dans toutes ses branches, mécaniques, chimiques et physiques, qui, de nos jours, a porté le machinisme aune hauteur qu'on n'aurait jamais soupçonnée, et qui, notamment par la vapeur et l'électricité, accomplit des merveilles que les temps antérieurs auraient attribuées à l'intervention du diable. Dans les fabriques et manufactures de tout genre, et jusqu'à un certain point dans l'agriculture, les machines accomplissent mille fois plus de travail que n'auraient jamais pu en accomplir les mains de tous les gens à l'aise, des lettrés et des intellectuels devenus oisifs, et qu'il n'aurait pu s'en accomplir par l'abolition du luxe et par la pratique universelle de la vie campagnarde. Ce ne sont pas les riches seuls, mais tous, qui bénéficient de ces industries. Des objets que jadis on pouvait à peine se procurer, se trouvent maintenant en abondance et à bon marché, et l'existence des plus basses classes elles-mêmes a beaucoup gagné en confort. Au moyen âge, un 1. H Un seul conseil sage l'emporte sur le travail d'un grand nombre de moins ». f ÉTHIQUE, OllOIT ET POLITIQUE roi d'Angleterre emprunta un jour une paire de bas de soie à l'un de ses lords, pour donner audience à l'ambassadeur de France. La reine Elizabeth elle-même fut très heureuse et très étonnée de recevoir, en 1560, sa première paire de bas de soie comme présent de nouvelle année. ' Aujourd'hui chaque commis de magasin en porte. Il y a cinquante ans, les dames s'habillaient de robes de coton qui sont portées aujourd'hui par les servantes. Si le machinisme continue dans la même mesure ses progrès quelque temps encore, il en arrivera peut-être à supprimer presque complètement l'usage de la force humaine, comme il a déjà supprimé en partie l'usage de la force chevaline. On pourrait alors concevoir une certaine culture intellectuelle générale de l'humanité, qui est impossible tant qu'une grande partie de celle-ci doit rester soumise à un pénible travail corporel. Irritabilité musculaire et sensibilité nerveuse sont toujours et partout, en général comme en particulier, en antagonisme : la raison en est que c'est une unique et même force vitale qui réside au fond de l'une et de l'autre. Puisque, en outre, arles molliunt mores3, il est possible que les querelles grandes et petites, les guerres ou les duels, disparaissent de la terre. Celles-là et ceux-ci sont déjà devenus beaucoup plus rares. Mais je ne me propose pas ici d'écrire une Utopie. En dehors toutefois de ces raisons, les arguments allégués plus haut en faveur de l'abolition du luxe et de la répartition uniforme du travail corporel, sont 1. Voir D'Israëli. Curiosilies of Lileralure, au chapitre Anecdotes of Fashiou. '. %. « Les arts amollissent les moeurs ». -. DROIT ET POLITIQUE 87 sujets à l'objection que le grand troupeau humain, toujours et partout, a nécessairement besoin de guides, conducteurs et conseillera, sous formes diverses, suivant les circonstances ; ce sont les juges, gouverneurs, généraux, fonctionnaires, prêtres, médecins, lettrés, philosophes, etc. Ils ont pour tâche d'accompagner ce troupeau, si incapable et si pervers dans sa majorité, à travers le labyrinthe de la vie, dont chacun, suivant sa position et sa capacité, a dû se faire une idée plus ou moins large. Que ces guides soient affranchis du travail corporel aussi bien que des besoins vulgaires et des tracas de l'existence ; que même, en proportion de leurs services bien supérieurs, ils possèdent plus et jouissent plus que l'homme vulgaire, — cela est naturel et rationnel. Même les grands négociants doivent être rangés dans cette classe privilégiée, quand ils prévoient à longue échéance les besoins de la population, et y pourvoient. La question de la souveraineté du peuple est au fond la même que celle de savoir si un homme peut avoir le droit de gouverner un peuple contre sa volonté. Gomment pourrait-on soutenir raisonnablement cette idée? Je ne le vois point. Sans doute, le peuple est souverain; mais c'est un souverain toujours mineur, qui doit être soumis à une tutelle éternelle et ne peut exercer lui-même ses droits, sans provoquer des dangers1 énormes. D'autant plus que, comme tous les mineurs, il devient facilement le jouet de coquins rusés, que pour cette raison on nomme démagogues. Voltaire a dit : Le premier qui fut roi fut un soldat heureux- 88 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE Tous les princes ont évidemment été à l'origine des chefs victorieux, et pendant longtemps c'est à ce titre seul qu'ils ont régné. Après l'établissement des armées permanentes, ils considérèrent le peuple comme destiné à les nourrir, eux et leurs soldats, c'est-à-dire comme un troupeau sur lequel on veille, afin qu'il vous donne laine, lait et viande. Ceci résulte, ainsi que je l'expliquerai plus loin, de ce qu'en vertu de la nature, c'est-à-dire originellement, ce n'est pas le droit, mais la violence, qui domine sur la terre; celle-ci a sur celui-là l'avantage ptïmi occupantis. Aussi ne se laisse-lelle pas abolir et s'obstine-t-elle à ne pas disparaître complètement; toujours elle revendique sa place. Ce qu'on peut simplement désirer et réclamer, c'est qu'elle soit du côté du droit et associée avec lui. En conséquence, le prince dit à ses sujets : « Je règne sur vous par la force. Ma force en exclut donc toute autre. Je n'en souffrirai en effet aucune autre auprès de la mienne, ni une force extérieure, ni, à l'intérieur, celle de l'un contre l'autre. Ainsi vous voilà protégés ». Cet arrangement s'étant produit, la royauté s'est, avec les progrès du temps, développée tout autrement, et a rejeté l'idée antérieure dans l'arrière-fond, où on la voit encore de temps en temps flotter à l'état de spectre. Cette idée a été remplacée par celle du roi père de son peuple, et le roi est devenu le pilier ferme et inéj branlable sur lequel seul reposent l'ordre légal tout entier, par conséquent les droits de tous, qui n'existent que de cette façon '.- Mais un roi ne peut remplir ce rôle ' r ■ 1. Slobée dit. Florilège, t. II, p. 201. édit. citée : ïlspéxiq vo^oç YJV, ôuoxs paaiXeû? àiroûavoi, àvojjuav etvai TTIVTE ■îjfiepujv, lv' aùrOoiyto ôaou àÇioç ioxw ô paatXsofi xai ô vojjioi. (C'était DHOIT ET POLITIQUE 80 qu'en vertu de sa prérogative innée, qui lui donne, et à lui seul, une autorité que n'égale aucune autre, qui ne peut être ni contestée ni combattue, à laquelle chacun obéit comme par instinct. Aussi dit-on avec raison qu'il règne « par la grâce de Dieu ». Il est toujours la personne la plus utile de l'Etat, et ses services ne sont jamais trop chèrement payés par sa liste civile, si élevée qu'elle soit. Mais Machiavel lui-même est parti si décidément de cette ancienne notion moyenâgeuse du prince, qu'il la traite comme une chose évidente par elle-même; il la présuppose tacitement et en fait la base de ses conseils. Son livre est tout bonnement l'exposé de la pratique encore régnante, ramenée à la théorie et présentée dans celle-ci avec une logique systématique; et cette pratique, sous sa nouvelle forme théorique et dans son achèvement, revêt un piquant intérêt. On peut dire la même chose, remarquons-le en passant, de l'immortel petit livre de La Rochefoucauld, qui a pour thème non la vie publique, mais la vie privée, et qui offre non des conseils, mais des observations. Le titre de ce mer* veilleux petit livre est en tout cas blâmable : le plus souvent l'auteur ne donne ni des maximes, ni des réflexions, mais des aperçus. C'est donc ce dernier titre qu'il devrait porter. Il y a d'ailleurs chez Machiavel même beaucoup d'idées applicables aussi à la vie privée. Le droit en lui-même est impuissant ; dans la nature règne la force. Mettre celle-ci au service de celui-là, chez lus Perses une loi (pie, quand un roi mourait, il y avait) cinq jours d'anarchie, afin que le peuple pût apprécier le bienfait d'un roi et de la loi). **"*"*' 90 KTHKjCE, DîlOIT ET POUTIQDÉ de manière à fonder le droit au moyen de la force, c'est le problème que doit résoudre l'art politique. Et c'est un problème difficile. On le reconnaîtra, Si l'on songe quel égoïsme illimité loge dans presque chaque poitrine humaine, égoïsme auquel s'ajoute le plus souvent un fonds accumulé de haine et de méchanceté, de sorte qu'originellement le vstxo; (l'inimitié) l'emporte de beaucoup sur la eO.Ca (l'amitié). Et il ne faut pas oublier que ce sont de nombreux millions d'individus ainsi constitués qu'il s'agit de maintenir dans les limites de l'ordre, de la paix, du calme et de la légalité, tandis qu'originellement chacun a le droit de dire à l'autre : « Ce que tu es, je le suis aussi ». Ceci bien pesé, on est en droit de s'étonner que les choses de ce monde aillent en somme d'une marche aussi tranquille et pacifique, équitable et réglée, que nous les voyons aller; c'est la machinerie de l'Elat qui seule produit ce résultat. Ce n'est en effet que la force physique qui peut agir directement; constitués comme ils le sont en général, c'est pour elle seule que les hommes ont du sens et du respect. Si, pour s'en convaincre par expérience, on supprimait toute contrainte et si on leur représentait de la façon la plus claire et la plus persuasive ce qui est seul raisonnable, juste et bon, mais contraire à leurs intérêts, on ne constaterait que l'impuissance des seules forces morales, et la réponse serait le plus souvent un rire de mépris. C'est donc la force phy- ' sique seule qui est capable de se faire respecter. Or, cette force réside originellement dans la masse, où elle est associée à l'ignorance, à la stupidité et à l'injustice. La première tâche de l'art politique, dans des condi- DROIT ET t>()LlTIQUË 91 lions si difficiles, est cependant de soumettre la force physique à l'intelligence, à la supériorité intellectuelle, et de fa rendre utile. Mais si cette dernière n'est pas associée à la justice et à de bonnes intentions, le résultat est que l'Etat ainsi organisé se compose de dupeurs et de dupes. Ceci devient peu à -peu évident par les progrès de l'intelligence de la masse, si fortement qu'on cherche à les entraver, et conduit à la révolution. Mais si, au contraire, l'intelligence est associée à la justice et aux bonnes intentions, on arrive à un Etat parfait, autant que peuvent être parfaites les choses humaines. Il est très utile à ce point de vue que la justice et les bonnes intentions non seulement existent, mais qu'elles soient démontrables et publiquement exposées, de manière à être soumises au jugement et au contrôle publics. Il faut toutefois empêcher que cette participation de plusieurs personnes à l'œuvre gouvernementale n'affecte, à l'intérieur comme à l'extérieur, l'unité de l'Etat, et ne fasse perdre à celui-ci en concentration et en force. C'est presque toujours le cas dans les républiques. Produire une constitution qui satisferait à toutes ces exigences, serait en conséquence la tâche la plus haute de l'art politique. Mais, en réalité, celui-ci doit compter aussi avec le peuple et avec ses particularités nationales. C'est la matière première dont les éléments exerceront toujours une forte influence sur la perfection de l'œuvre. Ce sera déjà beaucoup, si l'art politique pousse si loin sa tache, qu'il supprime la plus grande somme d'injustice dans la communauté. L'extirper totalement, c'est là le but idéal qui ne peut être qu'approximativemenl atteint. Si l'on extirpe l'injustice d'un coté, elle rfTHIQfrR, DBOlT iï POUTIQ^Sl___T____ se faufile d'un autre ; car elle a de profondes racines dans la nature humaine. On cherche à atteindre ce but par la forme artificielle de la constitution et la perfection de la législation ; mais c'est une asymptote. La première raison en est que les notions établies n'épuisent pas tous les cas particuliers et ne peuvent être ramenées aux cas individuels. Elles ressemblent aux pierres d'une mosaïque, non aux coups de pinceau nuancés d'une peinture. En outre, toutes les expériences sont ici dangereuses, parce qu'on a affaire à la matière la plus difficile à manier, la race humaine, qui offre presque autant de périls qu'un explosif. A ce point de vue, la liberté de la presse est pour la machine de l'Etat ce que la soupape de sûreté est pour la machine à vapeur. "Elle permet à tous les mécontents de trouver bientôt une voix, et si ces mécontents n'ont pas de très grands griefs, cette voix s'éteint vite. Mais si les griefs sont réels, il est bon qu'on les reconnaisse à temps, pour y porter remède. Cela vaut infiniment mieux que de laisser le mécontentement se concentrer, couver, fermenter, bouillonner et s'accroître, jusqu'à ce qu'il se termine par une explosion. D'autre part, aussi, on peut envisager la liberté de la presse comme r la permission accordée de vendre du poison : poison pour l'esprit et pour le cœur. Que ne peut-on pas, en effet, faire entrer dans les têtes ignorantes et sans jugement de la multitude, surtout si l'on fait miroiter devant elles le profit et l'argent ? Et quand un homme a accueilli certaines idées, de quels crimes n'est-il pas capable? Je crains donc beaucoup que les dangers de la liberté de la presse ne l'emportent sur son utilité, là surtout où les voies légales permettent de se faire DROIT ET POLITIQUE 93 rendre justice. En tout cas, la liberté de la pressé devrait être soumise à l'interdiction la plus sévère de tout anonymat. On pourrait admettre, d'une manière générale, que le droit est d'une nature analogue à certaines substances chimiques, qu'on ne peut présenter à l'état pur et isolé, mais tout au plus à l'aide d'un faible mélange avec d'autres substances qui leur servent de support, ou leur donnent la consistance nécessaire; il en est ainsi du fluor, même de l'alcool, de l'acide prussique, etc. On peut dire que le droit aussi, s'il veut sérieusement s'imposer et même dominer, a nécessairement besoin d'une faible addition d'arbitraire et de force, pour parvenir, nonobstant sa nature purement idéale et par conséquent éthérée, à opérer et à subsister dans ce monde réel et matériel, sans s'évaporer et s'évanouir dans les nuages, comme cela arrive chez Hésiode '. Tout droit de naissance, tous privilèges héréditaires, toute religion d'Etat et maintes choses encore peuvent être regardés comme une base chimique nécessaire, ou un alliage de cette 1. Schopenhauer fait sans aucun doute allusion aux vers suivants, les seuls d'Hésiode qui puissent s'appliquer à l'idée en jeu : r, os « itapOêvoç ITZI AtXT),„A(ô( ÈXYeyavïa, X'jovïj x" aiooÎTj T6 Osoïç o" OX'j|«nov lv_ou<>tv. x»î p'.ÔTtô-wv tif (JLtv pXâwc-r) axoXuu*; âvot&Çtov, eakixa iràp A'J 7taTpt xaOsÇofxivr, Kpovdovt Yr.pû&x' dvOpcôiîiov aoixov vôov... Les Travaux et les Jours, vers 254-258. (La Juslice, cotte vierge divine, fille de Jupiter, est auguste o[ respectée parmi les habitants de l'Olympe. Si quelqu'un lui fait Injure et l'insulte, aussitôt elle va s'asseoir près de son père ; elle se plaint à lui de la malice des hommes et demande ven geance). „ , ,, {Le Irad.) ■ 94 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE nature. C'est seulement, en effet, sur un fondement solide de cette espèce, que le droit peut prévaloir et imposer logiquement ses prescriptions. Ce fondement' serait donc en quelque sorte le o<5< pontoS mû1 du droit. Le système végétal artificiel et arbitraire de Linné ne peut être remplacé par un système naturel, si raisonnable que serait celui-ci, et si fréquemment qu'on l'ait tenté; c'est qu'en effet le système naturel n'offrirait jamais la certitude et la stabilité de définitions qu'offre le système artificiel et arbitraire. De la même façon, la base artificielle et arbitraire de la constitution de l'Etat, telle qu'elle est indiquée plus haut, ne peut être remplacée par une base purement naturelle. Celle-ci, faisant abstraction des conditions mentionnées, substituerait aux privilèges de la naissance ceux du mérite personnel, à la religion nationale les résultats' de la recherche rationaliste, et ainsi de suite. Or, si conformes ù la raison que pourraient être toutes ces choses, il leur manque cette certitude et cette fixité de définitions qui seules assurent la stabilité de la chose publique. Une constitution qui incarnerait seulement le droit abstrait, serait excellente pour d'autres êtres que les hommes. Mais puisque la grande majorité de ceux-ci est profondément égoïste, injuste, inconsidérée, menteuse, parfois même méchante et douée de peu d'intelligence, il s'ensuit la nécessité d'un pouvoir concentré en un seul homme, au-dessus même de la loi et du droit, absolument irresponsable, devant lequel tout se courbe, et dont le détenteur soit considéré comme un être d'essence supérieure, comme un maitre par la 1. « Donne-moi un levier ». BBH DROIT ET POLITIQUE 9S grâce de Dieu. C'est seulement ainsi que l'humanité se laisse brider et conduire. Nous voyons d'autre part les États-Unis, de l'Amérique du Nord tenter de se tirer d'affaire sans cette base arbitraire, c'est-à-dire en laissant prévaloir le droit absolument sans alliage, pur, abstrait. Mais le résultat n'est pas attrayant. Car, en dépit de toute la prospérité matérielle du pays, qu'y trouvons-nous comme sentiment prédominant ? Le vil utilitarisme avec sa compagne inévitable, l'ignorance, qui a frayé la voie £ la stupide bigoterie anglicane, aux sots préjugés, à la grossièreté brutale associée à la niaise vénération pour les femmes. Et même des choses pires y sont à l'ordre du jour : l'esclavage révoltant des nègres, uni à la plus excessive cruauté contre les esclaves, la plus injuste oppression des noirs libres, la loi de Lynch, les meurtres fréquents et souvent impunis, les duels d'une sauvagerie inouïe, le mépris de temps en temps affiché du droit et des lois, la repu-1 diation des dettes publiques, l'escroquerie politique abominable d'une province voisine, suivie de raids rapaces sur son riche territoire, raids que le chef de l'Etat cherche ensuite à excuser par des mensonges que chacun; dans le pays, sait être tels, et dont on se moque. Ajoutez à cela l'ochlocratie toujours montante, et, finalement, l'influence désastreuse que la dénégation de la justice dans les hautes sphères doit exercer sur la moralité privée. Ce spécimen d'une constitution purement fondée sur le droit, du côté opposé de la planète, parle peu en faveur des républiques, et moins encore les imitations de ce spécimen au Mexique, au Guatemala, en Colombie et au Pérou. 96 ETHIQUE, DROIT ET POLÎTjKjOE Un désavantage tout particulier des républiques, auquel on ne s'attendrait pas, est aussi celui-ci, qu'il doit y être plus difficile aux intelligences supérieures d'arriver à de hautes situations, et, par la, à une influence politique directe, que dans les monarchies. Partout et toujours, en effet, dans toutes les circonstances, il y a une conspiration, ou une alliance instinctive, des intelligences bornées, débiles et vulgaires, contre les intelligences supérieures; celles-là font bloc, par suite d'une crainte commune, contre celles-ci. Il est facile au grand nombre des premières, sous une constitution républicaine, de supprimer et d'exclure les dernières, pour ne pas être débordées par elles. Ne sont-elles pas, en vertu du même droit originel, toujours cinquante contre une? Dans une monarchie, au contraire, cette ligue naturelle et universelle des têtes bornées contre les têtes privilégiées n'existe que d'un côté, — en bas. D'en haut, au contraire, l'intelligence et Fe talent reçoivent des encouragements et une protection également naturels. En premier lieu, la situation du monarque est beaucoup trop haute et trop solide, pour qu'il ait à craindre une compétition quelconque. D'autre part, lui-même sert l'État plus par sa volonté que par son intelligence, qui ne peut absolument suffire à toutes les tâches qui lui incombent. Il doit donc toujours recourir à l'intelligence d'autrui. Voyant que son propre intérêt est étroitement lié à celui de son pays, qu'il en est inséparable et ne fait qu'un avec lui, il donnera naturellement la préférence aux hommes les meilleurs, parce qu'ils sont ses plus utiles instruments; il lui suffira de les trouver, ce qui ne lui est pas très difficile, f DROIT ET POLITIQUE 97 s'il les cherche sincèrement. Dans le.même ordre d'idées, les ministres ont une trop grande avance sur les hommes politiques qui se mettent en lumière, pour les jalouser; et, en vertu de raisons analogues, ils discerneront volontiers les hommes distingués et les mettront à l'œuvre, pour utiliser leurs aptitudes. Ainsi, de cette façon, l'intelligence a, dans les monarchies, toujours de bien plus grandes chances contre son ennemie irréconciliable et omniprésente, la sottise, que dans les républiques. Et c'est là un avantage considérable. La forme gouvernementale monarchique est naturelle à l'homme, à peu près comme elle l'est aux abeilles et aux fourmis, aux grues voyageuses, aux éléphants nomades, aux loups et aux autres animaux réunis pour leurs razzias, qui tous placent un seul d'entre eux à leur tête. Chaque entreprise humaine périlleuse, chaque expédition militaire, chaque vaisseau doit de même obéir à l'autorité d'un seul chef; il faut qu'il y ait partout une seule volonté dirigeante. Même l'organisme animal est construit sur un principe monarchique : c'est le cerveau seul qui guide et gouverne, qui est r^ye(i<ivix<Sv (la faculté directrice). Bien que le cœur, les poumons et l'estomac contribuent beaucoup plus au maintien de l'ensemble, ici ces philistins ne peuvent guider ni gouverner. C'est l'affairé du cerveau seul; la direction doit venir d'un seul point. Le système planétaire lui-même est monarchique. Le système républicain est pour l'homme aussi contre nature qu'il est défavorable à la vie intellectuelle supérieure,'aux arts et aux sciences. Aussi voyons-nous que partout et de tout temps, dans le monde, les SoHoi'ENiiAUEii. — Éthique. 7 98 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE peuples, civilisés ou sauvages, ou occupant une situation intermédiaire, ont été gouvernés monarchiquement. O'ix àyaOôv iroXuxotpavéi}-cTç xolpavoç ÏTZM, (Iliade, chant II, vers 204). Autrement, comment serait-il possible que nous vissions partout et de tout temps des millions d'hommes — même des centaines de millions — se soumettre et obéir volontairement a un seul, parfois même à une femme, provisoirement aussi à un enfant, si l'homme ne possédait pas au fond de lui un instinct monarchique qui le pousse vers cette forme de gouvernement, comme vers celle qur Jui convient le mieux? Ceci en effet n'est pas le produit de la réflexion. Partout un homme est le roi, et sa dignité est généralement héréditaire. II est en quelque sorte la personnification, ou le monogramme, du peuple entier, qui revêt par lui une individualité. En ce sens, il peut même dire à juste titre : « l'Etat, c'est moi ». C'est pour cette raison que nous voyons, dans les drames historiques de Shakespeare, les rois d'Angleterre et de France s'interpeller mutuellement par les noms de « France » et « Angleterre », et appeler « Autriche » le duc de ce pays !; cela vient de ce qu'ils se regardent en quelque sorte comme l'incarnation de leurs nationalités. Tout cela est conforme à la nature humaine ; et, pour cette raison, le monarque héréditaire ne peut absolument pas séparer son bonheur ni 1. « Ce n'est pas une bonne chose que le gouvernement de plusieurs. Il faut un seul chef, un seul roi ». 2. Le roi Jean, acte III, acène i. DHOIT ET POLITIQUE 99 celui de sa famille de celai du pays. C'est au contraire le cas le plus fréquent dans les monarchies électives, comme le montrent les États de l'Eglise. Les Chinois ne peuvent se faire une idée que du gouvernement monarchique; ils ne comprennent nullement ce que c'est qu'une république. Quand, en 1658, une ambassade hollandaise arriva en Chine, elle se vit forcée de présenter le prince d'Orange comme roi du pays; autrement, les Chinois auraient été tentés de prendre la Hollande pour un nid de pirates qui vivaient sans chef ', Slobée, dans un chapitre de son Florilège, t intitulé : 6?i xc&Xierov r, (xovapxt* (t. II, pp. 256263, édit, citée), a réuni les meilleurs passages où les anciens exposent les avantages de la monarchie. Bref, les républiques sont contre nature, artificielles, un produit de la réflexion; aussi ne constituent-elles que de rares exceptions dans l'histoire universelle. Il y a les petites républiques grecques, les républiques romaine et carthaginoise, rendues possibles aussi par le fait que les cinq sixièmes, peut-être même les sept huitièmes de la population, étaient des esclaves. Les Etats-Unis d'Amérique ne comptaient-ils pas eux aussi, en 1840, sur 16 millions d'habitants, 3 millions d'esclaves? En outre, la durée des républiques de l'antiquité, comparée à celle des monarchies, a été très courte. Il est facile de fonder les républiques, mais difficile de les maintenir. C'est exactement le contraire avec les monarchies. Si l'on veut des plans utopiques, voici le mien : •1. Voir Jean NiouholT, L'Ambassade de la compagnie orientale des Provinces-Unies vers l'empereur de la Chine (traduction par Jean le Charpentier), Leyde, 1605, cliap. XLV. JIÔO ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE l'unique solution du problème serait le despotisme des sages et des nobles d'une véritable aristocratie, d'une véritable noblesse, en rue de la génération,1 par le mariage des mâles les plus dignes avec les femmes les plus intelligentes et les plus intellectuelles. Cette idée est mon Utopie, ma République de Platon. Les rois constitutionnels ont une ressemblance incontestable avec les dieux d'Épicure, qui goûtent dans- les hauteurs de leur empyrée une félicité et un calme parfaits, sans se mêler des affairés humaines. Us sont maintenant à la mode. Toute principauté aile" mande de douzième ordre offre une parodie complète de la constitution anglaise, avec Chambre haute et Chambre basse, y compris Yllabeas corpus et l'institu-1 Lion du jury. Ces formes, qui procèdent du caractère anglais et des conditions historiques anglaises, et qui présupposent celui-là et celles-ci, sont naturelles et accommodées au peuple anglais. Mais il est tout aussi naturel pour le peuple allemand d'être partagé en beaucoup de souches soumises à autant de princes régnants, avec, à leur tête, un empereur qui maintient la paix au dedans et représente au dehors l'unité du royaume; car cet arrangement procède du caractère et des conditions historiques des Allemands. Je suis d'avis que si l'Allemagne ne veut pas subir le même destin que l'Italie, elle doit rétablir, et aussi effectivement que possible, la dignité impériale, supprimée par son ennemi acharné, le premier Bonaparte. Car l'unité allemande dépend d'elle et sera toujours, sans elle, simplement nominale, ou précaire. Mais comme nous ne vivons plus au temps de Ounther de Schwarz- ?■?■&-«?■ DROIT ET POLITIQUE 101 bourg ', où le choix de l'empereur était une affaire sérieuse, la couronne impériale devrait passer alterna' tivement, à vie, à l'Autriche et à la Prusse. En tout bas, la souveraineté absolue des petits Etats est illu»j soire. Napoléon Ie'* a fait pour l'Allemagne ce qu'a fait Charlemagne pour l'Italie : il l'a partagée en beaucoup de petits États indépendants, d'après le principe : divide et impera. Les Anglais montrent aussi leur grande intelligence en ceci, qu'ils restent religieusement attachés à leurs anciennes institutions, mœurs et coutumes, au risque de pousser trop loin, et jusqu'au ridicule, cette ténacité. C'est que, pour eux, ces choses-là ne sont pas l'invention d'un cerveau oisif, mais naissent graduellement de la force des circonstances et de la sagesse de la vie même, et leur conviennent conséquemment, en tant que nation. D'autre part, le Michel allemand -s'est laissé insinuer par son maître d'école qu'il doit revêtir un vêtement anglais, que cela ne va pas autrement; il finit donc par l'obtenir de papa, et, avec ses manières gauches et ses gestes empruntés, y fait une 1. Brave chevalier allemand, qui avait mis son épée au ser vice de l'empereur Louis et de son (ils, le margrave do Brande bourg. Les Willelsbach l'opposèrent à l'empereur Charles IV et l'élurent, non empereur, mais roi des Romains, à Francfort, le 30 janvier 434U. Il ne put toutefois résister a son rival, qui le vainquit à Eltville, et il abdiqua le 20 mai 434'J, en échange de 30.000 marks d'argent. H mourut trois semaines après, le 14 juin, peut-être empoisonné, à l'Age de quarante-cinq ans. Il fut inhumé dans la cathédrale de Francfort, ou l'on voit encore sa curieuse pierre tombale, peinte et dorée. (Le trad.) S. On sait que ce surnom de « Michel » personnifie l'ancienne lourdeur et l'ex-bonhomie nonchalante et pou pratique des Alle mands (car tout cela est bien changé aujourd'hui), comme « John Bull » personnifie les Anglais, et « Jonathan » les Améri cains du Nord. (Le Ivad.) 102 . ÉTHIQUE, DROIT ET POLÏTIQTJE figure assez ridicule. Mais ce n'est pas tout : ledit vêtement finira par le serrer et par l'incommoder beaucoup encore, et c'est le jury qui amènera tout d'abord ce résultat.. Cette institution, née dans la période la plus barbare 'du moyen âge anglais, au temps du roi Alfred le Grand, alors que la connaissance de la lecture et de l'écriture exemptait encore un homme de la peine de mort, est la pire de toutes les procédures criminelles. Au lieu de juges savants et expérimentés, qui ont Ivieilli à démêler journellement les mensonges et les ruses des assassins, voleurs et coquins de toute espèce, et sont ainsi capables d'aller au fond des choses, nous voyons siéger des tailleurs et des tanneurs ; c'est leur lourde et grossière intelligence, sans culture, pas même capable d'une attention soutenue, qui est appelée à démêler la vérité du tissu décevant de l'apparence et de l'erreur. Tout le temps, de plus, ils songent à leur drap et à leur cuir, aspirent à rentrer chez eux, et n'ont absolument aucune notion claire de la différence entre la probabilité et la certitude. C'est avec cette sorte de calcul des probabilités dans leurs têtes stupides, qu'ils décident en confiance de la vie des autres. On peut leur appliquer ce que disait Samuel Johnson au sujet d'un conseil de guerre réuni pour une affaire importante, et auquel il se fiait peu : que peut-être pas un seul de ses membres n'avait jamais passé, dans le cours de sa vie, même une heure à peser en lui-même des probabilités ' ! Mais les jurés en question, affirme1. Boswell, Life of Johnson, année 1780, alors ijuo son- héros avait soixante et onze ans. "isr * DROIT ET POLITIQUE -- 103 t-on, sont si impartiaux!— Le malignum vulgus que voilà! — Comme si la partialité ne serait pas dix fois plus à craindre d'hommes de la même classe que l'ac-| cusé, que de juges qui lui sont complètement étran-| gers, qui vivent dans de tout autres sphères, sont inamovibles, et conscients de leur dignité? Mais laisser le jury juger les crimes contre l'État et son chef, ou lesj méfaits de la presse, c'est réellement donner la brebis j à garder au loup. En tout lieu et en tout temps, gouvernements, lois et institutions publiques ont soulevé de vifs mécontentements. La principale raison en est qu'il existe une tendance générale à leur imputer la misère inséparable de l'existence humaine, puisque, pour parler mythiquement, elle est la malédiction infligée à Adam, et, en même temps, à toute sa race. Mais jamais cette fausse assertion n'a été présentée d'une manière plus mensongère et plus impudente que par les démagogues du « temps présent ». Gomme ennemis du christianisme, ils sont optimistes; le monde est pour eux son « propre but »; par conséquent, en lui-même, c'est-à-dire d'après sa constitution naturelle, il est excellemment arrangé, et forme un séjour de bénédiction. Les maux énormes et criants qui s'y manifestent, ils les attribuent uniquement aux gouvernements; si ceux-ci faisaient leur devoir, le ciel existerait sur la terre, c'est-à-dire que tous les hommes pourraient s'empiffrer, se soûler, se propager et crever, sans effort ni peine. Ceci est la paraphrase de leur monde qui est son « propre but » et le point d'aboutissement du « progrès indéfini de l'humanité », qu'ils 104 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE proclament en phrases pompeuses, d'une voix infatigable. Jadis, c'était la foi qui servait avant tout d'appui au trône; aujourd'hui, c'est le crédit. Il est probable que le pape lui-même fait plus de cas de la confiance de ses créanciers que de celle de ses croyants. Si l'on déplorait autrefois les péchés du monde, on envisage aujourd'hui avec terreur les dettes de ce monde, et, de même que jadis on prophétisait le jugement dernier, on prophétise aujourd'hui la future grande «ici/Oeia, l'universelle banqueroute des nations, avec, dans ce cas comme dans l'autre, le ferme espoir de ne pas en être témoin soi-même. Au point de vue éthique et rationnel, le droit de propriété est incomparablement mieux fondé que le droit de naissance. Cependant le premier est intimement lié au second, et il serait difficile de vouloir les séparer, sans mettre en péril celui-là. La raison en est que la plus grande partie de la propriété provient d'héritage, et constitue en conséquence aussi une sorte de droit de naissance. C'est ainsi que l'ancienne noblesse porte seulement le nom de la propriété patrimoniale, c'est-à-dire que, par ce nom, elle exprime seulement sa possession. Aussi tous les possédants, s'ils étaient intelligents au lieu d'être envieux, devraient-ils tenir également au maintien des droits de naissance. La noblesse a donc cette double utilité d'aider à soutenir,! d'une part, le droit de propriété, et, d'autre part, le droit de naissance du roi. Cal* le roi est le premier gentilhomme du pays, et il traite aussi, en règle r ri— MEM° DROIT ET POLITIQUE 108 générale, le noble comme un modeste parent et tout autrement que le bourgeois, si loin qu'aille sa confiance envers celui-ci. Il est aussi tout naturel qu'il se fie davantage à ceux dont les ancêtres ont été pour la plupart les premiers serviteurs et ont toujours constitué l'entourage immédiat de ses ancêtres à lui. Un gentilhomme fait donc appel avec raison au nom qu'il porte, quand, ayant peut-être fourni matière à un soupçon, il réitère au roi l'assurance de sa fidélité et de son dévouement. Comme mes lecteurs le savent, c'est du père que s'hérite le caractère '. C'est le fait d'un esprit ridiculement borné, de se refuser à examiner de qui un homme est le fils. Toutes les femmes, à peu d'exceptions près, inclinent à la prodigalité. Aussi faut-il assurer contre leur folie toute fortune acquise, à part les cas assez rares où elles l'ont acquise elles-mêmes. Voilà pourquoi je suis d'avis que les femmes ne sont jamais complètement majeures, mais devraient toujours être soumises à la tutelle de l'homme, celle du père, du mari, du 1. C'est \k une théorie chère à notre philosophe et qu'il déve loppe longuement dans le Monde comme volonté et comme repré-, senlation (Supplément au livre III, chap. sua). Il affirme non seulement que les penchants, les aptitudes sont héréditaires, et que le iils est ce qu'était le père, mais ik prétend déterminer, dans la transmission des qualités morales, la part de chacun des deux géniteurs. Le père fournit l'élément primordial et fonda mental de tout être vivant, le besoin d'agir, la volonté ; la mère, l'intelligence, faculté d'ailleurs secondaire, 11 va de soi que Sclioponhauor trouve facilement dans l'histoire des faits qui semblent ôtayer sa théorie. Que, par exemple. Donatien ait été le vrai frère de Titus, « c'est ce que je ne croirai jamais, dit-il, et j'incline à mettre VMpasion au rang dos paris trompés ». Tout ce chapitre, on dépil do «et assertions hasardées, ost curieux et instructif. (Le trad.) 056 ÉTHIQUE, DROIT IT POLITIQUE fils, — ou de l'Etat, comme dans l'Inde. La conséquence, c'est qu'elles ne devraient jamais pouvoir dis-' poser, de leur libre autorité, d'une fortune qui ne leur appartient pas en propre. Qu'une mère puisse devenir tutrice et administratrice de la part héréditaire paternelle de ses enfants, ceci m'apparatt comme un non sens impardonnable et une abomination. Dans la grande majorité des cas, cette femme mangera avec son amant — qu'elle l'épouse ou non — ce que le père a, par le travail de toute sa vie, épargné pour ses enfants, et aussi pour elle. Père Homère nous donne déjà cet avertissement : OiorOa fip CHOC OO|AÔI èvt vzVfleaai y.oyar/.oç. Kelvou poûXerat oîxov ooiXXetv, fiç zsv iifjlr,, îta(8iov Si rcpQïipw xal xoopiSfoio ©JXoio, OùxiTt'jjtéjjivTjXat TeOvr,c5toî, oùôs i-isxa/.Â? '. H (Odyssée, chant XV, vers 20-23.) La mère devient souvent, après la mort du mari, une belle-mère. Or, ce sont les belles-mères seules qui jouissent du si mauvais renom qui a donné naissance au terme de «marâtre». Ce renom, elles le possédaient déjà au temps d'Hérodote 2 (Histoires, livre IV, § 154), et 1. « Tu sais quelle âme renferme le sein d'une femme. Elle aspire toujours à augmenter les domaines de celui dont elle devient l'épouse. Le souvenir de ses premiers enfants, du mari défunt, s'efface, et jamais elle ne s'informe de ceux qui lui ont été si chers. » t. 11 s'agit de la seconde femme d'Etéarque, roi d'Axos, qui, « aussitôt dans la maison, fut pour Phronime (fille du premier mariage) une marâtre, la maltraitant et toujours machinant quelque chose contre elle; finalement, elle l'accusa d'impudicité, et se fit croire de son mari ». Celui-ci obtint par serment d'un marchand, son hôte, la promesse qu'il jetterait la jeune fille a la mer; mais le marchand, pour satisfaire au serment que le roi lui DROIT ET POLITIQUE 107 ont sa se le conserver depuis. Les beaux-pères, au contraire, n'ont jamais été en jeu. Quoi qu'il en soit, une femme, ayant toujours besoin d'une tutelle, ne peut jamais être tutrice. En tout cas, une femme qui n'a pas aimé son mari n'aimera pas non plus les enfants qu'elle a eus de lui, surtout après qu'est passé le temps de l'amour maternel purement instinctif, dont on ne peut lui tenir compte au point de vue moral. Je suis en outre d'avis qu'en justice le témoignage d'une femme, caeteris paribus, devrait avoir moins de poids que celui d'un homme; ainsi, par exemple, deux témoins masculins devraient valoir trois, et même quatre témoins féminins. Car je crois que l'espèce féminine, prise en masse, profère chaque jour trois fois autant de mensonges que l'espèce masculine, et cela avec un air de vraisemblance et de sincérité auquel ne peuvent parvenir les hommes. Les mahomélans, d'autre part, exagèrent en sens contraire. Un jeune Turc cultivé me disait un jour : « Nous considérons la femme uniquement comme le sol où l'on dépose la semence. Aussi leur religion est-elle indifférente. Nous pouvons épouser une chrétienne, sans exiger qu'elle se convertisse». Comme je lui demandais si les derviches étaient mariés : « Cela va de soi, me répondit-il; le Prophète était marié, et ils ne peuvent avoir la prétention d'être plus saints que lui ». Ne vaudrait-il pas mieux qu'il n'y eût pas de jours fériés, et qu'il y eût à la place beaucoup d'heures avait arraché par surprise, mit a la voile, et, en pleine mer, attacha Chronicité avec des cables, la jeta dans les flots, l'en retira et la conduisit chez lui. (Le trad.) 108 ÉTHIQ0K, DROIT ET POLITIQUE fériées ? Quelle action bienfaisante n'exerceraient pas| les seize heures de l'ennuyeux et, par là même, dangereux dimanche, si douze d'entre elles étaient réparties sur tous les jours de la semaine I Deux exercices religieux suffiraient amplement an dimanche; on ne lui en consacre presque jamais davantage, et on en consacre moins encore à la méditation pieuse. Les anciens n'avaient pas non plus de jour de repos hebdomadaire. Mais, à dire vrai, il serait très difficile d'assurer réellement aux gens, contre les empiétements du dehors, la possession des deux heures quotidiennes de loisir ainsi achetées. Le juif-errant Ahasvérus n'est autre chose que la personnification du peuple juif tout entier. S'élant comporté criminellement à l'égard du Sauveur et Rédempteur du monde, il ne doit jamais être affranchi de la vie terrestre et de son fardeau, et se trouve condamné, de plus, à errer sans patrie à l'étranger. C'est précisément là le crime, et la destinée du petit peuple juif, qui, chose vraiment merveilleuse, chassé depuis bientôt deux mille ans de son ancien séjour, continue à exister et à errer sans patrie ; tandis qu'un si grand nombre de peuples glorieux, auprès desquels on ne peut même pas mentionner l'insignifiante petite nation en question, Assyriens, Mèdes, Perses, Phéniciens, Egyptiens, Etruriens, etc., sont entrés dans l'éternel repos et ont complètement disparu. C'est ainsi qu'aujourd'hui encore on trouve sur toute la surface de la terre cette gens eïctorris, ce Jean sans Terre des peuples. Nulle part chez lui, étranger nulle part, il maintient avec un entêtement sans exemple sa nationalité. DROIT ET POLITIQUE 109 En souvenir d'Abraham, qui vivait en étranger à Ghanaan, mais devint peu à peu, conformément aux promesses de son Dieu, maitre de tout le pays (Moïse, livre I, chap. xvn, § 8), il voudrait bien aussi prendre solidement pied quelque part et pousser des racines, pour posséder de nouveau un pays, faute duquel un peuple est une balle lancée en l'air1. Jusque là il vit en parasite aux dépens des autres peuples et sur leur sol, mais n'en est pas moins possédé du plus ardent patriotisme pour sa propre nation. Il le révèle par l'union la plus étroite et la plus solide, en vertu de laquelle tous sont pour un et un est pour tous ; de sorte que ce patriotisme sans patrie exerce une action plus enthousiaste qu'aucun autre. La patrie du juif, ce sont les autres juifs; aussi combat-il pour eux, comme pro avû el focis, et nulle communauté sur la terre n'est aussi étroitement unie que celle-ci. Il ressort de là combien il est absurde de vouloir leur attribuer une part dans le gouvernement ou dans l'administration de n'importe quel Etat. Leur religion, fondue dès l'origine dans leur Etat, et formant un tout avec lui, n'est nullement le 1. Moïse (livro IV. chap. xm et suiv., et livre V, chap. H) nous donne un exemple instructif des procédés de « la popula-j lion définitive de la terre », en nous montrant comment des h on les errantes venues du dehors cherchaient :'i refouler des peuples établis qui possédaient un bon sol. Le dernier acte de ce genre fut 1' « émigration », ou plutôt la conquête de l'Amérique, lo refoulement, qui dure toujours, des sauvages do l'Amérique, et aussi de ceux de l'Australie. Le rAlo des juils, quand ils s'établirent dans la Terre Sain te, | et celui des Romains, quand ils prirent possession de l'Italie, est au lond lo même : celui d'un peuple Immigré qui combat constamment ses anciens voisins et finît par les assujettir. La seule différence, c'est que les Romains sont allés inlinimcul plus loin dans cette voie que les juifs. HO ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE principe, mais plutôt seulement le lien qui les unit, leur « point de ralliement1 », et le signe dislinctif auquel ils se reconnaissent. Ceci se montre encore en ce que même le juif baptisé, loin d'attirer sur lui, comme en général les apostats, la haine et le mépris des autres juifs, ne cesse pas, en règle générale,— si l'on en excepte quelques orthodoxes, — d'être leur ami et leur compagnon, et de les considérer eux-mêmes comme ses véritables compatriotes. Même pour la célébration régulière et solennelle de la prière, qui exige, chez les juifs, la présence de dix personnes, l'une d'elles peut être remplacée par un juif baptisé, mais non par un chrétien proprement dit. De même pour tous leurs autres actes religieux. La chose apparaîtrait plus clairement encore, si le christianisme venait à sombrer et à disparaître : les juifs ne cesseraient pas pour cela de faire bloc, en tant que juifs, (l'est donc une manière de voir très superficielle et très fausse, que de considérer les juifs uniquement comme secte religieuse. Mais si, pour favoriser cette erreur, on qualifie, par une expression empruntée à l'Eglise chrétienne, le judaïsme de « confession juive », c'est là une expression radicalement fausse, employée à dessein pour iuduire eu erreur, qui devrait être absolument interdite. « Nation juive » est le terme exact. Les juifs n'ont pas de confession : le monothéisme appartient à leur nationalité et à leur constitution politique, et, chez eux, se comprend de lui-, même. Oui, cela est bien entendu, le monothéisme et le judaïsme sont des notions réciproques. Les défauts connus des juifs, inhérents à leur carac4. En français dans le texte. DROIT ET POLITIQUE 411 tère national, sont peut-être surtout imputables à la longue et injuste oppression qu'ils ont subie. (De ces défauts, le plus apparent est l'absence étonnante de tout ce qu'on entend par le mot verecundia, et cette lacune sert plus dans le monde que peut-être une qualité positive). Mais, si cela excuse ces défauts, cela ne les supprime pas. J'approuve absolument le juif raisonnable qui, rejetant les vieilles fables, les bourdes et les préjugés d'antan, sort par le baptême d'une communauté où il ne trouve ni honneur ni avantage, — bien qu'exceptionnellement ce dernier,—même s'il ne prend pas très au sérieux la foi chrétienne. En est-il bien différemment de chaque jeune chrétien qui récite son Credo lors de sa confirmation ? Pour épargner toutefois au juif d'en venir là aussi, et pour en finir de la façon la plus douce possible avec cet état de choses tragi-comique, le meilleur moyen est assurément de permettre, et même de favoriser les mariages entre juifs et chrétiens ; l'Eglise ne pourrait rien y objecter, puisqu'ils ont pour eux l'autorité de l'apôtre lui-même (Première Epitre de saint Paul aux Corinthiens, chap. vu, % 12-16). Alors, au bout de cent et quelques années, il n'y aura plus que très peu de juifs, puis, bientôt après, le spectre sera complètement conjuré, Ahasvérus enseveli, et le peuple élu ne saura pas lui-même où il est resté. Ce résultat désirable échouera toutefois, si l'on pousse si loin l'émancipation des juifs, qu'on leur accorde des droits politiques, c'est-à-dire qu'on leur permette de participer à l'administration et au gouvernement des nations chrétiennes. Car c'est seulement alors qu'ils seront et resteront juifs con amore. Qu'ils jouissent des mêmes droits civils que les autres, l'équité le réclame ; « 112 ÉTHIQUE, DROIT Et POMTIQUE mais leur accorder une part dans l'Etat, c'est absurde : ils sont et restent un peuple étranger, oriental, et ne doivent jamais être regardés que comme des étrangers établis dans un pays. Quand, il y a environ vingt-cinq ans, la question de l'émancipation des juifs fut débattue au Parlement anglais, un orateur posa le .cas hypothétique suivant : Un juif anglais arrive à Lisbonne, où il rencontre deux hommes réduits à la dernière détresse, mais dont il a toutefois le pouvoir de sauver l'un. Personnellement, tpus deux lui sont inconnus. L'un est un Anglais chrétien, l'autre un Portugais juif. Lequel des deux sauvera-t-il ?—Je crois qu'aucun chrétien perspicace, comme nul juif sincère, ne sera en doute sur la réponse. Mais celle-ci donne la mesure quant aux droits à accorder aux juifs. En aucune circonstance la religion n'intervient aussi directement et visiblement dans la vie pratique et matérielle, qu'en matière de serment. Il est Vraiment fâcheux que la vie et la propriété de l'un dépendent ainsi des convictions métaphysiques d'un autre. Mais si un jour, comme on est en droit de s'en préoccuper, toutes les religions sombraient et toute foi disparais-sait, qu'adviendrait-il du serment? Il vaut donc la peine de rechercher s'il n'y a pas une signification du serment purement morale, indépendante de toute foi | positive, et cependant réductible à des notions claires, qui, comme un sanctuaire d'or pur,'pourrait survivre à cet incendie universel de l'Eglise ; cette signification apparaîtrait toutefois un peu nue et sèche, à coté de la pompe et du langage énergique du serment religieux. Le but incontesté du serment est de remédier uni- DROIT ET POLITIQUE 113 quement par la voie morale à l'habitude fréquente de la fausseté et du mensonge chez l'homme, en rehaussant par une considération extraordinaire, en portant \ vivement à sa conscience l'obligation "morale, reconnue par lui, de dire la vérité. Je vais tâcher d'exposer clairement, conformément à mon éthique, le sens purement moral, dégagé de tout accessoire transcendant et mythique, d'une telle mise en relief de ce devoir. J'ai établi dans le Monde comme volonté et comme représentation, et plus en détail, dans* mon Mémoire couronné sur le Fondement de la morale, le principe paradoxal, mais vrai, qu'en certains cas l'homme a le droit de mentir; et ce principe, je l'ai appuyé sur une base et des explications sérieuses. Les cas prévus étaient d'abord ceux où il aurait le droit d'employer la force contre les autres, puis, ensuite, ceux où on lui adresserait des questions absolument hors de lieu, dont la teneur, qu'il refuse d'y répondre ou qu'il y réponde au contraire très sincèrement, est de telle nature qu'elle serait pour lui une source de danger. Précisément parce que, en pareils cas, on est incontestablement autorisé à ne pas dire la vérité, il faut, dans les circonstances importantes dont la solution dépend de la déclaration d'un homme, comme dans les promesses dont l'accomplissement est d'une grande importance, d'abord que celui-ci affirme en termes formels et solennels qu'il ne rencontre pas ici les cas dont il s'agit ; qu'il sache et se rende compte, par conséquent, qu'on ne lui fait aucune violence ou aucune menace, et que le droit seul est en jeu; et, également, qu'il regarde la question à lui adressée comme pleinement autorisée, en ajoutant qu'il est conscient de l'action que sa déclaration va ScHopmMusk. — Éthique. 8 114 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE exercer sur celle-ci. Cet exposé implique que s'il meut dans ces circonstances, il commet consciemment une grosse faute : ne lui a-t-on pas donné, en comptant sur son honnêteté, pleins pouvoirs-pour ce cas, qu'il peut faire servir à la cause de l'injuste ou du juste? S'il ment, il constate clairement qu'il est un de ces individus qui, ayant le libre choix, met celui-ci, après la plus calme délibération, au service de l'injuste. Le parjure commis loi fournit ce témoignage sur lui-même. A cela s'ajoute la circonstance que nul homme n'étant affranchi de quelque besoin métaphysique, chacun porte aussi en soi la conviction, même obscure, que le monde n'a pas seulement une signiûcation physique, mais a aussi une signification métaphysique quelconque, et même aussi que notre action individuelle, d'après sa simple moralité, a, par rapport à cette signiûcation, des conséquences toutes différentes et beaucoup plus importantes que celles qui résultent de son activité empirique, et qu'elle est, en réalité, d'une importance transcendante. Je renvoie à ce sujet à mon Mémoire couronné sur le Fondement de la morale, § 21. J'ajoute seulement que l'homme qui refuse à sa propre action toute autre signification que celle de l'empirisme, n'établira jamais cette affirmation sans éprouver une contradiction intérieure et sans exercer une contrainte sur lui-même.* L'invitation à prêter serment place expressément l'homme au point de vue où il doit se regarder, c'est-à-dire uniquement comme un être moral, avec la conscience de la haute importance pour lui-même de ses décisions en-cet ordre d'idées; celles-ci doivent écarter toutes les autres considérations, au point de les faire complètement disparaître. DROIT ET POLITIQUE 115 Ceci dit, peu importe si la conviction d'une signification métaphysique et en même temps morale de notre existence, ainsi excitée*chez nous, est simplement à l'étal vague, ou revêtue de toutes sortes de mythes et *de fables qui lui donnent de l'animation, ou éclairée par la lumière du penser philosophique ; d'où cette seconde conséquence, que peu importe, au fond, si la formule du serment exprime un rapport mythologique, ou est complètement abstraite, comme, en France, le : « Je le jure ». La formule devrait être choisie d'après le degré de culture intellectuelle de celui qui prête serment ; ne la choisit-on pas aussi conformément à la foi positive qu'il professe ? La chose ainsi considérée, on pourrait même très bien admettre à prêter serment un homme qui ne professerait aucune religion. PHILOSOPHIE DU DROIT Les philosophes de l'antiquité ont réuni dans la même idée beaucoup de choses absolument hétérogènes; chaque Dialogue de Platon nous en fournit des preuves en masse. La plus grave confusion de ce genre est celle entre l'éthique et la politique. L'Etat et le royaume de Dieu, ou la loi morale, sont choses tellement différentes, que le premier est une parodie du second, une amère moquerie de l'absence de celui-ci, une béquille au lieu d'une jambe, un automate au lieu d'un homme. Les pseudo-philosophes de notre temps nous enseignent que l'Etat se propose de promouvoir les fins morales de l'homme; mais cela n'est pas vrai, c'est plutôt le contraire qui est vrai. La fin de l'homme —•) expression parabolique — n'est pas qu'il agisse ainsi ou autrement, car toutes les opéra opcrata, toutes les choses faites, sont en elles-mêmes indifférentes. Non,] la fin est que la volonté, dont chaque homme est un complet spécimen, ou plutôt cette volonté même, se tourne où elle doit se tourner ; que l'homme (l'union de la connaissance et de la volonté) reconnaisse cette volonté, le côté effrayant de cette volonté, qu'il se r——\w i PHILOSOPHIE DU DROIT ■ftfw H| 117 reflète dans ses actions et dans leurs horreurs. L'Etat, qui ne vise qu'au bonheur général, entrave les manifestations de la volonté mauvaise, nullement la volonté elle-même, ce qui serait impossible. C'est pour cette, raison qu'il est très rare qu'un homme aperçoive toute] l'abomination de ses actes dans le miroir de ceux-ci. Ou croyez-vous vraiment que Robespierre, Bonaparte, l'empereur du Maroc, les assassins que vous voyez rouer, soient seuls si méchants parmi tous le» honi-J mes? Ne comprenez-vous pas que beaucoup agiraient absolument comme eux, s'ils le pouvaient? Maints criminels meurent plus tranquillement sur l'échafaud, que maints innocents dans les bras des leurs. Ceux-là ont reconnu leur volonté, et l'ont écar-|T~ tée. Ceux-ci n'ont pu l'écarter, parce qu'ils n'ont jamais pu la reconnaître. Le but de l'Etat est de créer un pays de Cocagne en opposition avec la véritable fin de la vie: la connaissance de la volonté dans sa puissance terrible. Ï'J Bonaparte n'était réellement pas pire que beaucoup d'hommes, pour ne pas dire la plupart. Il était possédé du très habituel égoïsme qui cherche son bonheur aux dépens d'autrui. Ce qui le distingue, c'est simplement la force plus grande avec laquelle il satisfaisait à cette volonté, l'intelligence, la raison et le courage plus grands, et enfin le champ d'action favorable que lui ouvrit le destin. Grâce à tous ces avantages, il fit pour son égoïsme ce que des milliers de gens voudraient bien faire pour le leur, mais ne peuvent pas. Tout faible garçon qui se procure, par de petites méchancetés, un mince avantage au détriment des autres, si 11111 118 ÉTHIQUE, DBOIT ET POLITIQUE peu grave que soit ce détriment, est aussi méchant que Bonaparte. Ceux qui se bercent de l'illusion qu'il y a une récompense après la mort, voudraient que Napoléon expiât par des tortures indicibles les maux innombrables qu'il a causés. Mais il n'est pas plus coupable que tous ceux qui, ayant la même volonté, n'ont pas la même force. Par le fait qu'il possédait cette force rare, il a révélé toute la méchanceté de la volonté humaine ; et les souffrances de son époque, comme le revers de la médaille, révèlent la misère inséparable de la volonté mauvaise, dont l'apparition, dans son ensemble, est le monde luimôme. Mais la fin et le but du monde, c'est précisément qu'on reconnaisse par quelle misère innommable la volonté est liée à la vie, et ne fait en réalité qu'une avec elle. L'apparition de Bonaparte contribue donc beaucoup à cette fin. Que le monde soit un fade pays de Cocagne, ce n'est pas le but de cette apparition ; son but, au contraire, c'est qu'il soit un drame où la volonté de vivre se reconnaisse et s'écarte. Bonaparte est simplement un puissant miroir de la volonté humaine de vivre. m La différence entre celui qui cause la souffrance, et celui qui la subit, est seulement dans le phénomène. Tout cela est une seule volonté de vivre, identique à de grandes souffrances ; et la connaissance de celles-ci peut détourner et faire cesser cette volonté. B Le principal avantage qu'avait l'ancien temps sur le nouveau, c'est peut-être que, jadis, « les paroles allaient aux choses », pour employer l'expression de Bonaparte, tandis que, maintenant, il n'en est pas ainsi. Je veux PHILOSOPHIE DIT DROIT TV "" 119 dire ceci : dans l'aneien temps, le caractère de la vie publique, de l'Etat et de la religion, comme celui de la vie privée, était une affirmation énergique de la volonté de vivre ; dans le temps nouveau, il est la négation de cette volonté, puisque cette négation est le caractère du christianisme. Mais maintenant on rabat en partie, même publiquement, de cette négation, parce qu'elle est trop en désaccord avec le caractère de l'humanité ; on affirme secrètement en partie ce que publiquement on nie. Aussi l'insuffisance et la fausseté se rencontrent-elles partout. Voilà pourquoi le temps nouveau paraît si petit à côté de l'ancien. La mort de Socrate et le crucifiement du Christ font partie des grands traits caractéristiques de l'humanité. La nature est plus aristocratique que tout ce que l'on connaît sur la terre. Car chaque différence que le rang ou la richesse en Europe, les castes dans l'Inde, établissent entre les hommes, est petite en comparaison de la distance que la nature a irrévocablement établie sous le rapport moral et intellectuel ; et dans son aristocratie, comme dans les autres, il y a dix mille plébéiens pour un noble, des millions de ces gens-là pour un prince ; quant à la grande masse, elle a nom multitude, plebs, mob, rabble, la canaille. Aussi ses patriciens et ses gentilshommes, soit dit en passant, doivent-ils, aussi peu que ceux des gouvernements, se mêler à la racaille ; et plus ils sont haut, plus ils doivent vivre à part et rester inaccessibles. 120 ÉTHIQUE, DROIT ET POttîIfJUB On pourrait même considérer ces différences de rang amenées par les institutions humaines, en quelque sorte comme une parodie ou un faux remplacement des différences naturelles. En effet, les signes extérieurs des premières, comme les témoignages de respect d'une part et les marques de supériorité d'autre part, ne peuvent convenir et être appliqués sérieusement qu'à l'aristocratie naturelle', tandis que, en ce qui concerne l'aristocratie humaine, ils ne peuvent constituer qu'une apparence. Ainsi celle-ci est par rapport à celle-là ce qu'est le clinquant à l'or, un roi de théâtre à un roi véritable. Toute différence de rang de nature arbitraire est d'ailleurs reconnue volontiers par les hommes; la seule qui ne le soit pas, c'est la différence de rang naturelle. Chacun est prêt à reconnaître l'autre pour plus distingué ou plus riche que soi, et en conséquence à le vénérer; mais la différence infiniment plus grande que la nature a mise irrévocablement entre les hommes, personne ne veut la reconnaftre. En matière d'intelligence, de jugement, de perspicacité, chacun se juge l'égal de l'autre. Aussi, dans la société, sont-ce précisément les meilleurs qui ont le désavantage. Voilà pourquoi ils évitent cette société. Ce ne serait peut-être pas un mauvais sujet pour un peintre, de représenter le contraste entre l'aristocratie naturelle et l'aristocratie humaine. Par exemple, un prince avec toutes les marques dislinctives de son rang •J. Ils doivent môme dériver seulement de la constatation de celle-ci, puisque tous paraissent indiquer bien autre chose qu'une simple supériorité de puissance, pour la constatation de laquelle ils n'ont manifestement pas été imaginés. SU^UMflMii PHILOSOPHIE DU DROIT 121 et une physionomie du dernier ordre, en conversation avec un homme dont la figure révélerait la plus grande supériorité intellectuelle, mais qui serait revêtu de huilions. Une amélioration radicale de la société humaine, et, par là, des conditions humaines en général, ne pourrait se produire d'une manière durable, que si l'on réglait la liste des rangs positive et conventionnelle d'après la nature. Ainsi les parias s'acquitteraient des occupations les plus viles, les soudras se consacreraient aux travaux purement mécaniques, les vaysias à la haute industrie, et seuls les véritables tchatrias seraient hommes d'Etat, généraux et princes ; quant aux arts et aux sciences, ils ne seraient cultivés que par les brahmines. Tandis qu'aujourd'hui la liste conventionnelle des rangs est bien rarement en accord avec la liste naturelle, ou plutôt est fréquemment en opposition criante avec elle. Mais, cela fait, on aurait enfin une vita vilalis. Sans doute, les difficultés sont incommensurables. Il serait nécessaire que chaque enfant choisît sa vocation non d'après l'état de ses parents, mais d'après l'avis d'un profond connaisseur des hommes. Agir par instinct, c'est là un acte que l'idée du but ne précède pas, comme pour tout autre acte, mais au contraire suit. L'instinct est par conséquent la règle a priori d'un acte dont le but peut être inconnu, vu que l'idée de celui-ci n'est pas nécessaire pour parvenir à lai. Par contre, l'acte raisonnable ou intelligent obéit à une règle que l'intelligence, conformément à l'idée d'un bat, a trouvée elle-même. Aussi cette 122 ÉTITIQUE, DROIT ET POLITIQUE règle peut-elle être erronée, tandis que l'instinct est1 infaillible1. Il y a donc trois espèces d'à priori donnés : 4° La raison théorique, c'est-à-dire les conditions de la possibilité de toute expérience ; 2° L'instinct, règle pour atteindre un but inconnu favorable à mon existence matérielle ; 3° La loi morale, règle d'une action sans but. 1° L'acte raisonnable ou intelligent se produit d'après une règle conformément à une idée de but ; 2° L'acte instinctif, d'après une règle sans idée de but; 3° L'acte moral, d'après une règle sans but. De même que la raison théorique est l'ensemble des règles conformément auxquelles doit se dérouler toute ma connaissance, c'est-à-dire tout le monde expérimental, ainsi l'instinct est l'ensemble des règles d'après lesquelles doivent se dérouler tous mes actes, si nul trouble ne survient. Aussi le nom de raison pratique me semble-t-il le mieux approprié à l'instinct : car ce nom détermine, comme la raison théorique, la mesure de toute expérience. La loi morale, au contraire, n'est qu'une vue unilatérale, prise du point de vue de l'instinct, de la conscience meilleure, qui gît au delà de toute expérience, c'est-à-dire de toute raison, aussi bien théorique que 1. Dans le livre de Jacobi, lie» choses divines ■el de leur révélation, p. 18 (1811), on trouve un mélange de la conscience meilleure avec l'instinct par un syncrétisme dont seul est capable un esprit aussi antiphilosophicpio que Jacobi. (Voir sur Jacobi la note d'Ecrivains jet style, p. 143.) H PHILOSOPHIE DO DROIT ■ 123 pratique (instinct). Elle n'a rien à faire avec celle-ci, excepté quand, par suite de son union mystérieuse avec elle en un seul individu, elles se rencontrent toutes deux, ce qui laisse à l'individu le choix d'être ou raison, ou conscience meilleure. Veut-il être raison : il sera, comme raison théorique, un philistin ; comme raison pratique, un coquin. Veut-il être conscience meilleure : nous ne pouvons rien dire positivement de plus sur lui. car notre assertion réside dans le domaine de la raison ; nous pouvons donc seulement dire ce qui se passe dans celui-ci, en ne parlant que négativement de la conscience meilleure. La raison éprouve donc alors un trouble : nous la voyons écartée comme théorique, et remplacée par le génie; nous la voyons écartée comme pratique, et remplacée par la vertu. La conscience meilleure n'est ni pratique ni théorique : car ce ne sont là que des divisions de la raison1. Si l'individu se place encore au point de vue du choix, la conscience meilleure lui apparaît du côté où elle a écarté la raison pratique (vulgà, l'instinct) comme loi impérative. comme obligation. Elle lui apparaît, ai-je dit, c'est-à-dire qu'elle reçoit cette forme dans la raison théorique, qui transforme tout en objets et en notions. Mais en tant que la conscience meilleure veut écarter la raison théorique, elle n'apparaît pas à celle-ci, purce que, dès qu'elle se manifeste ici, la raison théorique se trouve subordonnée et ne sert plus que celle-là. Voilà pourquoi le 1. Voir, sur l'apriorild de l'instinct, Platon dans son Philèbe.i Elle lui apparaît comme le souvenir d'une chose qu'on n'a pas encore éprouvée. De même, dans le Phédon et ailleurs, tout savoir est pour lui un souvenir ; il n'a pas d'autre mot pour exprimer l'a priori avant toute expérience. 1 124 Il I ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE génie ne peut jamais rendre compte de ses propres œuvres. Dans la moralité de nos actes, le principe juridique : audienda et altéra pars, ne peut pas valoir ; c'est-à-j dire que la sensualité et l'égoïsme n'ont pas le droit de se faire entendre. Ce principe sera plutôt, dès que la volonté pure 8e sera exprimée : née.audienda altéra J pars. HHI Au sujet de la misère humaine, il y a deux dispositions opposées de notre âme. Dans l'une, la misère humaine nous affecte directement, elle se prend a notre propre personne, à notre propre volonté, qui veut violemment et toujours est brisée, ce qui précisément constitue la souffrance. La conséquence, qui se manifeste dans tous les affects et toutes les passions, c'est que la volonté veut toujours plus violemment, et ce vouloir de plus en plus fort alleint sa fin seulement là où la volonté se détourne et est remplacée par une complète résignation, c'est-à-dire par la délivrance. Celui qui se trouve en plein dans la disposition décrite, verra avec envie le bonheur des autres, et sans sympathie leurs souffrances. Dans la disposition opposée à celle-ci, la misère— humaine se présente à nous seulement comme connaissance, c'est-à-dire directement. La contemplation de la souffrance des autres est prédominante, et détourne notre attention de notre propre souffrance. Dans lai personne des autres nous percevons la souffrance humaine, nous sommes remplis de compassion, et le résultat de celte disposition est la bienveillance univer- 1 PHILOSOPHIE DU DROIT 125 selle, l'amour des hommes. Toute envie a disparu, et nous sommes heureux de constater, à sa place, chez ces hommes torturés, un léger adoucissement, une légère joie. Il y a de même, au sujet de la méchanceté et de la perversion humaines, deux dispositions opposées. I Dans l'une, nous percevons directement la méchanceté chez les autres. De là naissent l'indignation, la haine et le mépris de l'humanité. Dans l'autre, nous percevons indirectement la méchanceté chez nous-mème. De là nait l'humilité, et même la contrition. Pour juger la valeur morale de l'homme, il est très important de savoir lesquelles de ces quatre dispositions prédominent en lui par couples (à savoir une de ehaque division). Dans les très excellents caractères, c'est la seconde de la première division et la seconde de la suivante qui prédomineront. De même que le corps humain le plus beau recèle dans son intérieur des ordures et des odeurs méphitiques , le plus noble caractère a des traits méchants, et le plus grand génie des traces de petitesse et de folie-Toutes les règles générales sur l'homme et les prescriptions a son usage ne sont pas suffisantes, parce qu'elles partent de la fausse supposition d'une nature tout à fait ou à peu près semblable chez tous les hommes, point de vue qu'a même établi expressément la philosophie d'Helvétius. Or, la diversité originelle des individus sous le rapport intellectuel et moral, est incommensurable ïï-iw i»v - 126 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE ' | La question de la réalité de la morale est celle-ci : Y a-t-il véritablement un principe fondé, opposé au principe de l'égoïsme ? Puisque l'égoïsme limite au propre individu seul le|_ souci du bonheur, le principe opposé devrait étendre ce souci à tous les autres individus. La racine du méchant caractère et du bon consiste, autant que nous pouvons la suivre par la connaissance, en ce que la conception du monde extérieur et particulièrement des êtres animés, selon qu'ils sont plus semblables au propre « moi » de l'individu, est accompagnée, dans le méchant caractère, d'un constant: «Pas moi I pas moi ! pas moi I » Dans le bon caractère, —- nous supposons le bon caractère, comme le mauvais, développé à un haut degré, — la base fondamentale de cette conception est au contraire un : « Moi ! moi 1 moi ! » constamment senti, d'où résultent bienveillance envers tous les hommes, intentions secourables à leur égard, et en même temps disposition d'âme gaie, rassurée, tranquillisée. C'estla. disposition contraire qui accompagne le caractère méchant. Mais tout ceci n'est que le phénomène, quoique saisi -à la racine. Ici se présente le plus^difficile de tous les problèmes : d'où vient, étant données l'identité et l'unité métaphysique de la volonté comme chose en soi, l'énorme diversité des caractères ? la méchanceté diabolique de l'un ? la bonté d'autant plus surprenante - 1 de l'autre ? Par quoi ceux-là ont-ils été Tibère, Cali-gula, Caracalla, Oomitien, Néron ? ceux-ci, les Anto- j nins, Titus, Adrien, Nerva, etc. D'où provient une diver- ■ PHILOSOPHIE DIT DROIT 127 site semblable dans les espèces animales ? même chez les individus des races animales supérieures ? La méchanceté de la race féline, développée le plus fortement chez le tigre? La malice perfide du singe? La bonté, la fidélité, l'amour du chien? de l'éléphant? etc. Le principe de la méchanceté est manifestement le même chez l'animal que chez l'homme. Nous pouvons atténuer un peu la difficulté du pro-! blême, en remarquant que toute cette diversité ne concerne finalement que le degré, et que les inclinations fondamentales, les instincts fondamentaux existent au complet dans tout être vivant, mais seulement à un degré et en rapports très différents. Gela toutefois ne suffit pas. Gomme explication, il nous reste seulement l'intellect et son rapport avec la volonté. L'intellect, toutefois, n'est nullement en rapport direct avec la bonté du caractère. Nous pouvons, il est vrai, dans l'intellect même, distinguer de nouveau l'intelligence comme conception de rapports d'après le principe de la raison, et la connaissance apparentée au génie, indépendante de cette loi, le principium individuationis, pénétrante, plus directe, qui conçoit aussi les idées : c'est celle qui se rapporte au moral. Mais l'explication à ce sujet laisse aussi beaucoup encore à désirer. « Les beaux esprits sont rarement de belles âmes », a remarqué justement Jean-Paul; ils ne sont jamais non plus l'inverse. Bacon de Vérulam, qui fut moins, il est vrai, un bel esprit qu'un grand esprit, était un coquin. J'ai allégué comme principium individuationis le temps et l'espace, vu que la multiplicité des choses homogènes n'est possible que par eux. Mais la multi- 128 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE plicité est aussi hétérogène ; elle et la diversité ne sont pas seulement quantitatives, elles sont aussi qualitatives. D'où provient la dernière, surtout au point de vue éthique ? Serais-je par hasard tombé dans la faute opposée à celle de Leibnitz, quand il établit son identitas indiscernibilium? La diversité intellectuelle a sa raison première dans le cerveau et le système nerveux, et, par là, est un peu moins obscure : intellect et cerveau sont appropriés aux besoins de l'animal, par conséquent à sa volonté. Chez l'homme seul se trouve parfois, par exception, un excédent, qui. lorsqu'il est fort, donne le génie. Mais la diversité éthique semble provenir directement de la volonté. Autrement elle ne serait pas non plus hors du temps, vu que l'intellect et la volonté sont réunis seulement dans l'individu. La volonté est hors du temps, éternelle, et le caractère est inné, donc sorti de cette éternité ; conséquemment, on ne peut l'expliquer par rien d'immanent. Peut-être, après moi, quelqu'un viendra-t-il éclairer et illuminer cet abime. C'est seulement parce que la volonté n'est pas assujettie au temps, que les blessures de la conscience sont incurables ; les souffrances qu'elles infligent ne s'apaisent pas peu à peu, comme les autres. Au contraire, une mauvaise action continue à oppresser la conscience, au bout d'un grand nombre d'années, avec la même force que lorsqu'elle était récente. Comme le caractère est inné, que les actions sont seulement ses manifestations, que l'occasion de grands PHILOSOPHIE DU DROIT <29 méfaits ne se présente pas souvent, qu'on recule devant des raisons opposées, que nos sentiments se révèlent à nous-mêmes par des désirs, des idées, des affecls qui restent inconnus pour les autres, —• on pourrait penser qu'un homme a jusqu'à un certain point une mauvaise conscience innée, sans avoir commis de grandes méchancetés. L'homme, en se confondant avec son objet immédiat, en se reconnaissant comme un être dans le temps, en croyant être devenu et devoir passer, ressemble à un individu qui, debout sur le rivage, regarde les flots et s'imagine nager lui-même, tandis que ceux-ci restent immobiles ; et cependant il reste en repos, et les flots seuls s'écoulent. De même que nous n'entendons d'un orchestre qui se prépare à jouer une superbe musique, que des sons confus, des accords fugitifs, par intervalles des morceaux qui commencent, mais ne s'achèvent pas, bref, des notes composites de tout genre, ainsi, dans la vie, ! transparaissent seulement des fragments, de faibles accords, des commencements et des échantillons inachevés de félicité, d'état satisfait, apaisé, riche en soi, qui se manifeste hors de la confusion de l'ensemble. Et quelque morceau qu'un musicien de l'orchestre entame, il doit l'abandonner, car ce morceau n'est pas à sa place ; ce n'est pas le vrai morceau, le grand et beau morceau qui doit venir. Rien de plus sot que de railler les contes de Faust et d'autres, qui se sont donnés au diable. La seule chose ; SoaoruiAvn. — Kthiiiuc. 9 130 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE fausse dans ces histoires, c'est qu'elles ne parlent que de quelques individus, alors que nous sommes tous dans le même cas et avons conclu le même pacte. Nous vivons, peinons horriblement pour maintenir j notre vie, qui n'est qu'un long délai entre la sentence du juge et l'exécution du condamné ; nous engraissons le délinquant qui doit néanmoins finir par être pendu ; nous jouissons, et, pour tout cela, nous devons mourir ; pour tout cela, nous sommes soumis à la mort, qui n'est pas une plaisanterie, mais une douloureuse certitude ; elle est réellement la mort pour tous les êtres terrestres, pour nous comme pour les animaux, pour les animaux comme pour les plantes, comme pour tout état de la matière. Il en est ainsi, et la conscience empirique raisonnable n'est vraiment capable d'aucune consolation. En revanche aussi, les tourments éternels après la mort sont une chose dépourvue de sens, aussi bien que la vie éternelle : car l'essence du temps, du principe même de la raison, dont le temps n'est qu'une forme, est précisément qu'il ne peut rien y avoir de fixe, de persistant, que tout est passager, que rien ne dure. « La substance persiste », disent quelques-uns. Mais liant leur répond : « Elle n'est pas une chose en soi, elle n'est qu'un phénomène ». III veut dire : elle n'est que notre représentation, comme toute chose connaissable ; et nous ne sommes ni une substance, ni des substances. Quand j'écrase une mouche, il est bien clair que je n'ai pas tué la chose en soi, mais seulement son phénomène. PHILOSOPHIE DU DROIT 131 Je ne puis m'empècher de rire, quand je vois ces hommes réclamer sur un ton assuré et hardi la continuation, à travers l'éternité, de leur misérable individualité. Que sont-ils autre chose, en effet, que les pierres à face humaine emmaillotlées qu'on voit avec bonheur Kronos dévorer, tandis que seul le vrai et immortel Zeus, à l'abri des atteintes de celui-ci, grandit pour régner éternellement? L'unique témoin des mouvements et des pensera les plus secrets de l'homme, c'est la conscience. Mais cette conscience, il doit un jour la perdre, et il le sait ; et c'est peut-être ce qui le pousse avant tout à croire qu'il y a encore un autre témoin de ses mouvements et de ses pensers les plus secrets. L'homme est une médaille où est gravé d'un côté : « Moins que rien », et, de l'autre : « Tout en tout ». De même, tout est matière, et en même temps tout est esprit. (Volonté et représentation.) De même, ai-je toujours été et serai-je toujours ; et en même temps je suis éphémère comme la Heur des cbamps. De même, la seule chose vraiment persistante est la matière ; et, en même temps, seulement la forme. La scolastique forma dat esse rei doit être modifiée ainsi : {rei) dat forma essentiam, materta exislen-l tiam. De même, il n'existe en réalité que les idées ; et, en même temps, seulement les individus. (Réalisme, nominalisme.) De même, le dieu de la mort, Yama, a deux visages ; l'un féroce, l'autre infiniment aimable. lia ■ 19'CS** V OMC exister Ba«rT CI rfUTHCl d'astres la vraie pèdwpf4ie seele est 5* lesprrt de respéce i|si aû'iee wn aMMtstB s*expn-eaa es iAoei chue*, as fies de sexrrisaer ~~Ib.kasle pme de lear Jtkaaeat M parie, «| [laaaaa^-ses cft a* asrabsles idéaks. fae 4e éternels JaspiraFifta déstesaisa, 4e prs£-daae niasse sus termes, d~sse iHkâîé Jde fidélité êtcraeUe. et «ai céltaec ea soéîat-j-âsssss arperc^liçaes les pafes des desls de la déesse «■'•as adc«e, les rase* de se* j«aea, le soleil de jeax, laifeâbe de ssas scia, ses doas iatelkctadaT çiaaires. ete- — cette feaafe poésie se trsdamit à près ea ces tersses : busos. — Jessadrai* fane eadeaa 4 «a iadBvâiaâi la aéaêrasiaa fetere, et je craie qse ta psanais lai ■!W.1J?sj et se '"23 sse smiit. Ga&ac- — J'ai la saérss jateaiina. et je crois sae ta poserais Iri daaaer ce «se je aai pas. VoyoasdJ Dansa*. — Je lai doaae aae saste ataiare et la pjnx aMucaSaire: lasas ai Foaeai laatre. fin m' 1> lui IIIMIIIIL IIIJIIL LIIIMII nijenlin'ili il ni IHTII petits pïeis ; la s as ai lase ai les astres . Damas. — Je lai doaae eae fiae pesa Uaacae, «se ta a'as pas. Caud. —Je lai des efasseex et des veax l ta Daraxt*. — Je la: dense «a aez samba PHILOSOPHIE DU DROIT 133 GHLOE. — Je lui donne -une petite bouche. DAPHXIS. — Je lui donne du courage et de la bonté d'âme, qu'il ne pourrait tenir de toi. GHLOE. — Je lui donne un front haut et bien modelé, l'esprit et l'intelligence, qu'il ne pourrait tenir de toi. DAPUNIS. — Taille droite, bonnes dents, santé solide, voilà ce qu'il reçoit de nous deux. Vraiment, tous deux ensemble nous pouvons douer en perfection l'individu futur. Aussi je te désire plus que toute autre femme. GHLOE. — Et moi aussi je te désire. Plus on a d'esprit, plus l'individualité est déterminée; plus sont déterminées aussi, par conséquent, les exigences relatives a l'individualité de l'autre sexe répondant à celle-ci. D'où il suit que les individus spirituels sont particulièrement appropriés à l'amour passionné. Par un vœu monastique religieusement observé, ou par n'importe quelle négation de la volonté de vivre, l'acte d'affirmation qui a fait entrer l'individu dans l'existence, est supprimé. Celui qui affronte la mort pour sa patrie a triomphé de l'illusion qui limite l'existence à la propre personne. Il l'étend è l'amas d'hommes de sa patrie (et par là à l'espèce) dans lequel il continue à vivre. II en est de même à l'occasion de chaque sacrifice fait dans l'intérêt des autres: on élargit son existence jusqu'à l'espèce, — quoique, pour l'instant, seulement à une partie de cette espèce, celle qu'on a précisément sous les yeux. La négation de la volonté de vivre pro- 134 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE vient en tout premier lieu de l'espèce. Aussi les professeurs d'ascétisme, quand on professe celui-ci, tiennentils les bonnes œuvres, et plus encore les cérémonies religieuses, pour inutiles et indifférentes. Les caprices résultant de l'instinct sexuel sont tout à fait analogues aux feux follets. Ils produisent la plus vive illusion. Qu'on les suive, ils nous conduisent dans le marécage, et s'évanouissent. 'H aXaÇoveta TT)Ç -Jjoovîjs. (L'illusion du plaisir). " Les illusions que nous apprêtent les désirs erotiques sont comparables à certaines statues qui, par suite de l'endroit où elles se dressent, sont destinées à n'être vues que de face ; alors elles sont belles, tandis que, de dos, elles offrent un vilain aspect. Il en est ainsi du mirage de l'amour. Tant que nous l'avons en perspective, tant que nous le voyons venir, c'est un paradis de volupté; mais quand il est passé et que nous le contemplons par derrière, il se montre comme une chose futile, insignifiante, même répugnante. SUR L'ÉDUCATION D'après la nature de notre intellect, les idées doivent naître, par abstraction, de nos perceptions ; celles-ci doivent donc être antérieures à celles-là. Quand cette marche est réellement suivie, comme c'est le cas chez celui qui n'a eu d'autre précepteur et d'autre livre que sa propre expérience, l'homme sait parfaitement quelles sont les perceptions qui se trouvent sous chacune de ses idées et que celles-ci représentent; il connaît exactement les unes et les autres, et il les applique avec justesse à tout ce qui se présente à lui. Nous pouvons donner à cette marche le nom d'éducation naturelle. Au contraire, dans l'éducation artificielle, les racontages, les enseignements et les lectures bourrent la tête de notions, avant l'existence de tout contact un peu sérieux avec le monde visible. On compte que l'ex-/ périence amènera plus tard les perceptions qui confirmeront toutes ces notions ; mais, en attendant, celles-ci • sont appliquées à faux, et, en conséquence, les choses et les hommes sont faussement jugés, vus sous un faux jour, maniés de travers. Il advient ainsi que l'éducation produit des tètes biscornues. Voilà comment, dans 136 RTHIOCB, DROIT ET POUTIQGB notre jeunesse, après avoir beaucoup appris et la, nous entrons souvent dans le monde d'un air à la fois niais et drôle, et nous y montrons tantôt inquiets, tantôt présomptueux. C'est que nous avons la cervelle pleine de notions que nous nous efforçons maintenant d'appliquer, mais que nous appliquons presque toujours mal. C'est le résultat de ce fanprfv «poripovqui, par un procédé directement opposé au développement naturel de notre esprit, place les notions avant les perceptions. Les éducateurs, en effet, au lieu de reconnaître chez l'enfant les facultés elles-mêmes, de les juger et de songer à les développer, ne s'appliquent qu'à lui bourrer la tète d'idées étrangères et toutes faites. Il s'agit plus tard de corriger par une longue expérience tous ces jugements nés d'une fausse application des notions ; et cela réussit rarement Voilà pourquoi | si peu de lettrés possèdent le sain bon sens qu'on trouve si fréquemment chez les illettrés. Il résulte de ce que je viens de dire que le point capital de l'éducation serait d'entreprendre par le bon bout la connaissance avec le monde, but véritable de toute éducation. Il faut avant tout, pour cela, qu'en chaque chose la perception précède la notion, la notion étroite la notion plus large, et que l'enseignement tout entier s'effectue dans l'ordre présupposé par les notions des ehoses. Dès qu'un anneau manque à cette chaîne, il en résulte des notions défectueuses, qui amènent des notions fausses, puis, à la fin, une vue du monde viciée individuellement, comme presque chacun la promène longtemps dans sa tète, et la plupart des gens, toujours. Celui qui s'examine lui-même décou- SUS L EDUCATION 137 vrira que la compréhension nette ou claire de maintes choses et de maints rapports passablement simples ne lui est venue que dans un âge très mûr, et parfois soudainement. C'est qu'il y avait jusque-là, dans sa connaissance du monde, un point obscur produit par une lacune de l'objet au temps de sa première éducation, que celle-ci ait été artificielle, donnée par les hommes, ou simplement naturelle, basée sur l'expérience individuelle. On devrait donc chercher à établir logiquement la série naturelle des connaissances, pour initier ensuite méthodiquement, d'après elle, les enfants aux choses et aux rapports du monde, sans laisser entrer dans leurs tètes des sornettes dont souvent ils ne parviennent pas à se débarrasser. 11 faudrait avant tout veiller à ce que les enfants n'emploient pas de mots auxquels ils n'associent aucune notion claire1. Mais le point capital serait toujours que les perceptions précédassent les notions, au lieu de l'inverse, comme c'est le cas aussi habituel que regrettable, analogue à celui de l'enfant qui vient au monde les jambes les premières, ou du vers qui étale d'abord sa rime. Alors que l'esprit de l'enfant .est tout à fait dépourvu de perceptions, on lui inculque déjà des notions et des jugements, de véritables préjugés ; cet appareil tout préparé devient ensuite la source de ses perceptions et de ses expériences, tandis qu'il devrait déduire celles-là de cellesci. i. La plupart des enfanta ont déjà la malheureuse tendance de se contenter des mots et de les apprendre par cœur, afin de se tirer d'affaire par leur aide, le cas échéant, au lieu de chercher à comprendre les choses. Cette tendance subsiste par la suite et fait que le savoir de beaucoup de gens instruits n'est qu'un simple verbiage. ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE La perception est multiple et riche, mais non comparable en brièveté et'en rapidité à la notion abstraite qui vient bien vite à bout de tout; aussi ne rectifiera-t-elle que tardivement, ou peut-être jamais, ces notions préconçues. Qu'un homme constate, en effet, que la réalité des choses contredit l'idée qu'il s'est faite de celles-ci, il rejettera pour l'instant cette évidence comme insuffisante, il la niera, il se fermera les yeux pour ne pas la voir : il ne prétend pas que sa notion préconçue subisse un démenti. Ainsi il advient .que beaucoup d'êtres humains traînent avec eux toute leur vie un tas de sornettes, de caprices, de fantaisies, d'imaginations et de préjugés qui vont jusqu'à l'idée fixe. Ils n'ont jamais essayé de tirer à leur propre usage des notions approfondies de perceptions et d'expériences, parce qu'ils ont reçu leurs idées toutes faites; voilà ce qui les rend, eux et tant d'autres, si plats, si terre à terre. Aussi conviendrait-il de maintenir dans l'enfance, pour remédier à ce danger, la marche naturelle de l'éducation appuyée sur la connaissance. Aucune notion ne devrait être inculquée autrement que» par la perception, tout au moins sans avoir confirmé celle-ci. L'enfant recevrait alors un petit nombre de notions, mais approfondies et exactes. 11 apprendrait à juger les choses d'après sa propre mesure, et non d'après celle des autres. Puis il échapperait à mille caprices et à mille préjugés dont l'extirpation exige la meilleure partie de l'expérience et de l'école de la vie subséquentes. Son esprit s'habituerait pour toujours à la profondeur, à la clarté, au jugement personnel et à l'indépendance. Les enfants devraient d'ailleurs connaîtreja vie^soujL^ 138 SUR L'EDUCATION 139 chaque rapport, d'abord par l'original, et seulement ensuite par la copie. Ainsi donc, au lieu de se hâter de ne leur donner que des livres, il faudrait les initier par degrés aux choses et aux circonstances humaines. Qu'on prenne soin avant tout de leur inculquer une conception nette de la réalité et de les amener à toujours puiser directement leurs notions dans le monde réel et à les former d'après cette réalité ; mais qu'ils n'aillent pas les chercher ailleurs, dans les livres, les contes, les discours d'autrui, pour les transporter ensuite toutes faites dans la réalité. Gela reviendrait à dire que, la tête pleine de chimères, ils concevraient, d'une part, faussement celle-ci, s'efforceraient inutilement, d'autre part, de la modeler d'après ces chimères, et tomberaient dans des erreurs théoriques ou même pratiques. Car on aurait peine à croire quel mal font les chimères implantées de bonne heure, et les préjugés qui en résultent. L'éducation postérieure, qui nous vient du monde et de la vie réelle, doit être principalement consacrée à leur extirpation. C'est le sens d'une réponse d'Antisthène, qu'enregistre Diogène Laerce (Vies des philosophes, liv.IV.chap. vu) : âp«ix-ç,0«ç tiiûv fxaOij|Mfrôv| dvaY*xfo'EOTOV) Ecpvj, « -cô xaxa àïtoftâOeïv ». (Comme on lui demandait quelle était la discipline la plus nécessaire: c'est de désapprendre les choses mauvaises, dit-il). I Comme les erreurs sucées de bonne heure sont en général indéracinables, et que le jugement ne mûrit qu'en tout dernier lieu, il faut épargner aux enfants jusqu'à seize ans toutes les études qui peuvent contenir une grande somme d'erreurs, philosophie, religion, vues générales de toute nature, et ne leur laisser cultiver I mi Hé êé Hi 140 I KTIIIOt'E, ÔBOIT ET POLITIQUE que les matières où les erreurs sont impossibles, comme les mathématiques, ou peu dangereuses, comme les langues, les sciences naturelles, l'histoire, etc. ; en un mot, seulement les branches de savoir accessibles à chaque âge et que celui-ci peut comprendre. L'enfance J I et la jeunesse sont le temps propre à recueillir des faits et à apprendre les détails spécialement et à fond ; par contre, le jugement en général doit rester encore en suspens, et les explications ultimes doivent être ajournées. Il faut laisser reposer le jugement, qui présuppose maturité et expérience, et se garder d'anticiper son action, en lui insufflant des préjugés qui le para- | lyseraient à jamais. Par contre, la mémoire ayant dans la jeunesse sa plus grande force et sa plus grande ténacité, c'est à elle qu'il faut avant tout recourir ; mais avec le plus grand soin, après desréflexions scrupuleuses.Les choses qu'on a bien apprises dans la jeunesse ne s'oubliant jamais, on devrait s'efforcer de tirer de cette disposition précieuse le plus grand profit possible. Si nous nous rappelons combien sont profondément enracinées dans notre mémoire les personnes que nous avons connues dans les douze premières années de notre vie; combien sont indélébiles les événements de ce temps-là et la majeure partie des choses que nous avons alors faites, entendues, apprises, c'est une idée toute naturelle de H fonder l'éducation sur cette réceptivité et cette ténacité de l'esprit juvénile; il s'agit de diriger avec une sévé rité méthodique et systématique toutes les impressions vers ces deux propriétés. », Mais les années de jeunesse accordées à l'homme sont courtes, et la capacité de la mémoire, surtout de SUR L'EDUCATION 444 la mémoire individuelle, est limitée ; le mieux serait donc de remplir celle-ci de ce qu'il y a de plus essentiel et de plus important en tout ordre de choses, en excluant tout le reste. Ce sont les cerveaux les plus capables et les maîtres en chaque spécialité qui devraient entreprendre un jour ce choix, et l'établir après mûre réflexion. Il devrait s'appuyer sur l'examen de ce qui est nécessaire à l'homme en général, et à chaque métier en particulier. Les connaissances de la première espèce devraient être ensuite partagées en cours gradués, ou encyclopédies, adaptés au degré de culture générale qu'on est en droit d'attendre de chacun, dans les conditions où il est placé ; ces cours partiraient de l'enseignement primaire indispensable, et s'étendraient jusqu'à tous les objets traités en philosophie. Quant aux connaissances de la seconde espèce, elles resteraient au choix des vrais maîtres en chaque branche. Le tout donnerait un canon spécial de l'éducation intellectuelle, lequel aurait besoin, il est vrai, d'être revisé tous les dix ans. Ces arrangements auraient pour conséquence d'utiliser de la manière la plus avantageuse la puissance juvénile de la mémoire, et de fournir une base excellente au jugement qui se développera plus tard. La maturité de la connaissance, c'est-à-dire la perfection à laquelle celle-ci peut atteindre en chaque individu, consiste en l'existence d'une correspondance exacte entre toutes ses notions abstraites et ses perceptions. Gela signifie que chacune de ses notions repose, directement ou indirectement, sur une base d'observation qui lui donne seule une réelle valeur ; et aussi qu'elle est apte à placer chaque perception qui se 142 ÉTHIQCE. D*0*T Kf pjtTTIffCt ^9 • * présente sons la notion exacte qui loi appartient. La maturité est l'oearre de l'expérience seule, et par conséquent du temps. Cemme.nous acquérons le plus souvent séparément nos connaissances perceptibles et nos connaissances abstraites, les premières par la voie naturelle, les secondes par les bons et mauvais enseignements et par les communications des autres, il y a d'ordinaire dans la jeunesse peu d'accord et d'union entre nos notions, fixées par de simples mots, et notre connaissance réelle, obtenue par la perception. C'est seulement au fur et à mesure que celles-là et celle-ci se rapprochent, et se corrigent mutuellement ; ce n'est toutefois que quand leur union est tout à fait complète, que la connaissance est mûre. Celte maturité est absolument indépendante d'une autre espèce de perfection, celle plus ou moins grande des facultés d'un chacun. Cette dernière perfection repose non sur la cohésion de la connaissance abstraite et de la connaissance intuitive, mais sur le degré d'intensité de tontes deux. Pour l'homme pratique, l'étude la plus utile est Fac- J quisition d'une connaissance exacte et approfondie du train des choses de ce monde. Mais cette étude est aussi la plus pénible, puisqu'on peut la prolonger jusqu'à un âge très avancé, sans jamais arriver au bout ; tandis que, en matière de sciences, on possède dès la jeunesse les données les plus importantes. L'enfant et I l'adolescent ont sons ce rapport, en leur qualité de novices, les premières et les plus dures leçons à subir; mais il arrive souvent que même l'homme mûr a encore beaucoup à apprendre. • SIM» 'tïlDOCAï/OH 143 Celte difficulté déjà grande eh elle-même est encore doublée par les romans, qui représentent un état de choses et un cours d'événements humains* n'existant pas dans la réalité. Or, la jeunesse accepte ces idées-là avec sa crédulité habituelle, et elles deviennent une part de son esprit. Ainsi, à la place d'une ignorance simplement négative, on a tout un tissu de fausses présuppositions, erreur positive qui déconcerte ensuite jusqu'à l'école de l'expérience elle-même, et fait apparaître ses enseignements sous un faux jour. Si, auparavant, le jeune homme marchait dans les ténèbres, il est maintenant égaré encore par des feux-follets. La jeune fille l'est souvent encore plus. Les romans out créé chez eux toute une fausse vue de l'existence et éveillé des attentes qui ne peuvent être remplies. Ceci exerce très fréquemment la plus fâcheuse influence sur leur vie entière. A ce point de vue, ceux qui dans leur jeunesse n'ont pas trouvé le temps ou l'occasion de lire des romans, comme les ouvriers, par exemple, ont un avantage décidé. Il y a peu de romans à excepter de ce reproche, ou qui aient, surtout, un effet opposé. Citons au premier rang Gil Blas et les autres œuvres de Le Sage (ou plutôt leurs originaux espagnols), puis le Vicaire de Wahefield, et une partie des romans de Walter Scott. Don Quichotte peut être regardé comme une démonstration satirique en règle de l'erreur à laquelle je fais ici allusion. OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUE! Chaque animai, et spécialement l'homme, a besoin, pour pouvoir exister et prospérer dans le monde, d'une certaine conformité et proportion entre sa volonté et son intellect. Plus la nature les aura établies d'une façon exacte et juste, plus sa course à travers le monde sera légère, assurée, agréable. En attendant, un simple* rapprochement vers le point exact suffît déjà à le protéger contre la destruction. Il y a, par conséquent, une certaine latitude entre les limites de l'exactitude et de la proportion dudit rapport. La norme valable est la suivante : l'intellect ayant pour destination d'éclairer et de guider les pas de la volonté, plus l'impulsion intime d'une volonté sera violente, impétueuse et passionnée, plus l'intellect qui lui est adjoint sera accompli et clair. Il en est ainsi pour que la violence de la volonté et de l'effort, l'ardeur des passions, l'impétuosité des affects n'égarent pas l'homme, ou ne l'entraînent pas à des actions inconsidérées, mauvaises, périlleuses : ce qui résulterait infailliblement d'une Volonté violente associée à un faibje intellect. D'autre part, un caractère flegmatique, c'est-à-dire une volonté faible et molle, peut se tirer d'affaire avec un mince OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 145 intellect : une volonté modérée a besoin d'un intellect modéré. En général, une disproportion entre la volonté et l'intellect, c'est-à-dire chaque écart de la proportion normale indiquée, tend à rendre l'homme malheureux ; et le même fait se produit, si la disproportion est renversée. Ainsi le développement anormal et trop puissant de l'intellect, et sa prédominance tout à fait disproportionnée sur la volonté, qui constituent l'essence du génie, ne sont pas seulement superflus pour les besoins et les fins de la vie, mais leur sont directement préjudiciables. Gela signifie que, dans la jeunesse, l'excessive énergie avec laquelle on conçoit le monde objectif, accompagnée par une vive fantaisie et dépourvue d'expérience, rend la tête accessible aux idées exagérées et même aux chimères;d'où résulte un caractère excentrique, et même fantasque. Et si, plus tard, après les leçons de l'expérience, cet état d'esprit a disparu, le génie, dans le monde ordinaire, et dans la vie bourgeoise, ne se sentira néanmoins jamais aussi complètement chez lui, ne prendra jamais aussi nettement position et ne cheminera aussi à l'aise, que la tête normale j il commettra même plutôt souvent d'étranges méprises. Car l'homme ordinaire se sent si parfaitement chez lui dans le cercle étroit de ses idées et de ses vues, que personne ne peut y [avoir prise sur lui, et sa connaissance reste toujours fidèle à son but originel, qui est de servir la volonté ; cette connaissance s'applique donc constamment à ce but, sans jamais extravaguer. Le génie, au contraire, ainsi que je l'ai démontré autre part, est au fond un monstrum per excessum ; juste comme, à rebours, l'homme passionné «t violent, dépourvu d'intelliScHOPENKAUIR. — KUliqUBj 40 146 I ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE gence, le barbare sans cervelle, est un monslrum per defeclum. La volonté de vivre, qui forme le noyau le plus intime de tout être vivant, se manifeste de la façon la moins dissimulée, et se laisse en conséquence le plus nettement observer, chez les animaux supérieurs, c'est-à-dire les plus intelligents. Car, au-dessous de ceux-ci, elle n'apparaît pas encore nettement, elle a un degré moindre d'objectivation ; mais, au-dessus, c'est-à-dire chez l'homme, à la raison est associée la réflexion, et à celle-ci la faculté de dissimuler, qui jette bien vite un voile sur elle. loi ce n'est donc plus que dans les explo-" sionsdes affects et des passions.qu'elle se manifeste sans masque. C'est pourquoi la passion, chaque fois qu'elle r élève la voix, trouve créance, quelle que soit sa nature, et avec raison. Pour la même cause, les passions sont Ile thème principal des poètes et le cheval de parade •des comédiens. La manifestation de la volonté de vivre explique aussi le plaisir que nous causent les chiens, les chats, les singes, etc. ; c'est la parfaite naïveté de tous leurs actes qui nous charme tant. , H Quelle jouissance particulière n'éprouvons-nous pas à voir n'importe quel animal vaquer librement à sa besogne, s'enquêter de sa nourriture, soigner ses petits, s'associer à des compagnons de son espèce, etc., en restant absolument ce qu'il est et peut être ! Ne fût-ce qu'un petit oiseau, je puis le suivre de l'œil longtemps avec plaisir. Il en est de même d'un rat d'eau, d'une grenouille, et, mieux encore, d'un hérisson, d'une belette, d'un chevreuil ou d'un cerf. Si la vue des animaux nous charme tant, c'est sur- OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 147 t.mit_ parue q"n_ nous» goûtons une satisfaction à voir devant nous notre propre être si simplifié. If y a seulement une créature mentensn - l'homme. Chaque autre créature est vraie et sincère, car elle se montre telle qu'elle est et se manifeste comme elle * se sent. Une expression emblématique ou allégorique de cette différence fondamentale, c'est que tous les animaux se manifestent sous leur forme naturelle ; cela contribue beaucoup à l'impression si heureuse que cause leur vue. Elle fait toujours battre mon cœur de joie, surtout si ce sont des animaux en liberté. L'homme, au contraire, par son vêtement, est devenu une caricature, un monstre; son aspect, déjà repoussant pour ce motif, l'est plus encore par la pâleur qui ne lui est pas naturelle, comme par toutes les suites répugnantes qu'amènent l'usage contre nature de la viande, les boissons spiritueuses, les excès et les maladies. L'homme se tient là comme une tache dans*la nature ! — C'est parce que les Grecs sentaient toute la laideur du vêtement, qu'ils le restreignaient à sa plus juste mesure. L'angoisse morale occasionne des battements de cœur, et les battements de cœur occasionnent l'angoisse morale. Chagrin, souci, agitation de l'âme ont une [action déprimante sur les fonctions de la vie et les rouages de l'organisme, qu'il s'agisse de la circulation du sang, des sécrétions, de la digestion. Des causes physiques paralysent-elles au contraire ou désorganisent-elles d'une façon quelconque ces rouages, qu'il s'agisse du cœur, des intestins, de la veine porte, des vésicules séminales, on voit s'ensuivre les préoccupa- 448 ÉTHIQUE, DBOIT ET POLITIQUE tions, les caprices et les chagrins sans objet, c'est-à-dire l'état qu'on nomme hypocondrie. De.même, par exemple, la colère se manifeste par des cris, une attitude énergique, des gestes violents; mais ces manifestations physiques accroissent de leur côlé cette passion, ou la déchaînent à la moindre occasion. Je n'ai pas besoin de dire combien tout ceci conOrme ma doctrine de l'unité et de l'identité de la volonté avec le corps ; doctrine d'après laquelle le corps n'est autre chose que la volonté ellemême se représentant dans la perception du cerveau, envisagée sous le rapport de l'espace. Maints actes attribués à la force de l'habitude reposent plutôt sur la constance et l'immuabililc du caractère originel et inné; en vertu de ces conditions, dans les circonstances analogues nous faisons toujours la même chose, qui se produit par conséquent avec la même nécessité la première fois que la centième. La véritable force de l'habitude, au contraire, repose sur l'indolence, qui veut épargner à l'intellect et à la volonté le travail, la difficulté, et aussi le danger d'un choix immédiat, et qui nous fait en conséquence faire aujourd'hui ce que nous avons déjà fait hier et cent fois, en sachant que l'on atteint ainsi son but. Mais la vérité de ce fait a des racines plus profondes; car on peut l'expliquer d'une façon plus précise qu'il n'apparaît au premier aspect. La force d'inertie appliquée aux corps qui ne peuvent être mus que par des moyens mécaniques, devient force d'habitude quand elle est appliquée aux corps qui sont mus par des motifs. Les actions que nous accomplissons par pure habitude s'effectuent en réalité sans motif individuel, isolé. OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 149 spécialement propre à ce cas ; aussi ne pensons-nous pas en réalité à elles. Ce sont seulement les premières actions, passées en habitude, qui ont eu un motif; le contre-effet secondaire de ce motif est l'habitude actuelle, qui suffit à permettre à l'action de continuer. C'est ainsi qu'un corps, mis en mouvement par une poussée, n'a pas besoin d'une nouvelle poussée pour poursuivre son mouvement; si rien n'arrête celui-ci, il se poursuivra à jamais. La même règle s'applique aux animaux : leur dressage est une habitude imposée. Le cheval traîne tranquillement sa voiture, sans y être contraint ; ce mouvement qu'il exécute est l'effet des coups de fouet qui l'y forcèrent au début ; cet effet s'est perpétué sous forme d'habitude, conformément à la loi de l'inertie. Tout ceci est réellement plus qu'une simple comparaison. C'est déjà l'identité de la volonté à des degrés très différents de son objectivation, en vertu desquels la même loi du mouvement prend des formes si différentes. Viva muchos aïlos ! C'est le salut habituel en Espagne, et sur toute la terre on a coutume de souhaiter aux gens une longue vie. Ceci s'explique non par la connaissance qu'on a de la vie, mais au contraire par la connaissance qu'on a de l'homme d'après sa nature : la volonté de vivre. Le désir que nourrit chaque homme qu'on se souvienne de lui après sa mort, et qui s'élève chez les grands ambitieux jusqu'à l'aspiration à la gloire posthume, me semble né de l'attachement à la vie. Quand on voit qu'il faut dire adieu à l'existence réelle, on s'accroche à la seule existence encore pos- siWe, qaoiqae uniquement idéale, c'est-à-dire à ombre. Xous désirons plus ou moins ea terminer avec tout ee que usas faisons ; nous somme* impatienta d'en finir, et heareax d'en avoir fini. Cest seulement la fin générale, la fia de i—les k d'ordinaire r aussi él Haye néparatioa donne aa avant -goût 4e la mort. | et chaque nouvelle teacontie na avant-goût de la résarreetion. Ceci explique que même des cens indifférents les ans ans antres se réjouissent tellement, | quand, au bout de vingt ou trente ans. ils se retrouvent ensemble. La profonde douleur que nous fait éprouver la mort d'an ami, provient du sentiment qa'en chaque individa il vaquelque chose d'indéfinissable, de propre à fan seul, et, par conséquent., d'absolument irréparable. Omme indiridmmm ineffabUe. Ceci s'applique I même à ranimai. Cent ce qu'ont pu constater ceux qai j ont blessé mortellement, par hasard, an animal aimé, et reçu son regard d'adieu, qui TOUS cause une dou-!Jear infinie. II peut arriver que nous regrettions, même longtemps après, la mort de nos ennemis et de nos adversaires presqae aussi virement que celle de nos amis : c'est quand noas voudrions les avoir pour témoins de ■ i (^ rannoujîejoudaiiie d"aa êïéuea^IJlêi OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 151 puisse facilement provoquer la mort, cela résulte du fait que notre bonheur et notre malheur dépendent seulement du rapport proportionnel^ entre nos exigences et notre situation matérielle. En conséquence, les biens que nous possédons, ou sommes sûrs de posséder, ne nous apparaissent pas comme tels, parce que toute jouissance n'est en réalité que négative, et n'a d'autre effet que de supprimer la douleur; tandis que, au contraire, la douleur (ou le mal) est réellement positive et sentie directement. Avec la possession, ou la certitude de celle-ci, nos prétentions s'accroissent immédiatement et augmentent nos désirs d'une possession nouvelle et de perspectives plus larges. Mais si l'esprit est déprimé par une infortune continuelle, et nos exigences rabaissées à un minimum, les événements heureux imprévus ne trouvent pas de terrain où prendre pied. N'étant neutralisés par aucune exigence antérieure, ils agissent maintenant d'une manière qui semble positive, et, par conséquent, avec toute leur force; ils peuvent ainsi briser l'âme, c'est-à-dire devenir mortels. De là les précautions connues que l'on prend pour annoncer un événement heureux. D'abord on le fait espérer, puis chatoyer aux yeux, ensuite connaître peu à peu et seulement par portions; car chaque partie, ainsi précédée d'une aspiration, perd la force de son effet, et laisse place à plus encore. On pourrait donc dire que notre estomac n'a pas de fond pour le bonheur, mais qu'il a une entrée étroite. Gela ne s'applique pas de même aux événements malheureux 1 soudains; l'espérance se cabre toujours contre eux, cei qui les rend beaucoup plus rarement mortels. Si la* crainte, en matière d'événements heureux, ne rend pas 152 BTHIQCR, DROIT ET POLITIQUE un service analogue, c'est que, instinctivement, nous sommes plus enclins à l'espérance qu'à l'inquiétude. C'est ainsi que nos yeux se tournent d'eux-mêmes vers la lumière et non Vers les ténèbres. t Espérer, c'est* confondre le désir d'un événement avec sa probabilité. Mais peut-être pas un seul homme n'est-il affranchi de cette folie du coeur, qui dérange pour l'intellect l'estimation exacte de la probabilité à j un degré tel, qu'il en vient à regarder une chance sur mille comme un cas très possible. Et cependant un événement malheureux sans espoir ressemble à la mort brusque, tandis que l'espoir, toujours désappointé et toujours vivace, est comme la mort à la suite d'une lente torture '. Celui qui a perdu l'espérance a aussi perdu la crainte : c'est le sens du mot « désespéré ». II est naturel pour l'homme de croire ce qu'il désire, et de le croire parce qu'il le désire. Si cette particularité bienfaisante de sa nature vient à être déracinée par des coups durs et répétés du destin, et s'il en arrive à | croire, an rebours, que ce qu'il ne désire pas arrivera, 1 et que ce qu'il désire n'arrivera jamais, précisément parce qu'il le désire, il se trouve dans l'état qu'on a nommé le « désespoir ». f Que nous nous trompions si souvent au sujet des 1. L'espérance est un état auquel concourt tout notre être, c'est-à-dife volonté et intellect : celle-là, en désirant son_ objet: celui-ci, en le supputant comme vraisemblable- Plus forte est la part du dernier facteur et plus faible celle du premier, et mieux l'espérance s'en trouve; dans le cas inverse, c'est le contraire. OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 153 autres, cela n'est pas toujours la faute de notre jugement; la raison doit en être cherchée d'ordinaire dans cette remarque de Bacon, que intellectus luminis sicci non est, sed recipit infusionem a vôlurilale et affectibus-, à notre insu, en effet, nous sommes, dès le commencement, influencés pour eux ou contre eux pat des bagatelles. Gela provient souvent aussi de ce que nous ne nous en tenons pas aux qualités que nous découvrons réellement chez eux, mais concluons de celles-ci à d'autres que nous regardons comme inséparables de celles-là, ou incompatibles avec elles. Ainsi, par exemple, nous concluons de la générosité à la justice; de la piété à l'honnêteté; du mensonge à la tromperie; de la tromperie au vol, etc. Cela ouvre la porte à beaucoup d'erreurs, par suite, d'une part, de l'élrangeté des caractères humains, de l'autre, de l'étroitesse de notre point de vue. Sans doute, le caractère est toujours conséquent et cohérent, mais les racines de toutes ses qualités sont trop profondes pour qu'on puisse décider, d'après des faits isolés, lesquelles, dans un cas donné, peuvent ou non exister ensemble. Le mot personne, employé dans toutes les langues i -européennes pour désigner l'individu humain, est! inconsciemment caractéristique; car persona signiOe à I proprement parler un masque de comédien. Or, nul I être humain ne se montre tel qu'il est, mais chacun/ porte un masque et joue un rôle. * Toute la vie sociale est fl"aj|lBuirH nnj», fiftmédje perpéluelle. Cela la rend insipide pour les gens intelligents; tandis que les imbéciles v trouvent beaucoup d agrément. 154 ÉTHIQUE, DROIT Et POLITIQUE Il nous arrive assez facilement de raconter des choses qui pourraient avoir pour nous des résultais dangereux; mais nous nous gardons bien de parler de ce qui pourrait nous rendre ridicules. C'est qu'ici l'effet suit de près la cause. Une injustice subie déchaîne chez l'homme naturel une soif ardente de vengeance, et l'on a souvent répété que la vengeance est douce. Ceci est confirmé par les nombreux sacrifices faits simplement pour la goûter, et sans intention aucune d'obtenir une réparation. La perspective certaine d'une vengeance raffinée, imaginée à son heure suprême, adoucit pour le centaure Nessus l'amertume de la mort!. La même idée, présentée sous une forme plus moderne et plus plausible, fait le fond de la nouvelle de Bertolotti1, Les deux si.eui'S, qui a été traduite en trois langues. Wal ter Scott exprime en paroles aussi justes qu'énergiques le penchant de l'homme à la vengeance : « Revenge is j •1. Est-il bien nécessaire de rappeler que Nessus, en mourant de la flèche que lui avait lancée Hercule, donna à Déjanire, femme de ce héros, sa tunique comme un talisman qui devait lui ramener son époux, s'il devenait infidèle, et qui, empoisonnée, occasionna au Gis de Jupiter, des souffrances tellement atroces, qu'il y mit fin en se précipitant sur le bûcher qu'il avait | préparé de ses propres mains sur le mont CE ta? [Le trad.) 2. Bertolotti (Oavide). né à Milan, fut poète tragique et] lyrique, nouvelliste, historien, biographe, auteur de guides de voyages, etc. Son activité littéraire s'étend de la fin de l'Empire au règne de LouisPhilippe. La nouvelle à laquelle fait allusion Schopenhauer a été traduite en français, sous ce titre -..L'Indienne, ou les funestes effets de la jalousie, dans un petit volume de Romans et nouvelles, 1824, Paris, in-12. {Le trad.) OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 153 the stoeelesl morsel to the mouth, that ever ions coo-ked in hell ' ». Je vais essayer maintenant d'expliquer psychologiquement la vengeance. Toutes les souffrances qui nous sont imposées par la nature, le hasard ou le destin, ne sont pas aussi douloureuses, cœleris paribu». que celles qui nous sont infligées par l'arbitraire des autres. Cela provient de ce que nous regardons la nature et le destin comme les maîtres originels du monde, et comprenons que les coups qu'ils nous ont portés peuvent être également portés à tout autre. Aussi, dans les cas de souffrances dérivées de ces sources, déplorons-nous plus le sort commun de l'humanité que notre propre sort. Au contraire, les souffrances infligées par l'arbitraire des autres sont une addition amère, d'une nature toute spéciale, à la douleur ou au tort causés : elles impliquent la conscience de la supériorité d'autrui, soit en force, soit en ruse, vis-à-vis de notre faiblesse. Le tort causé peut être réparé par un dédommagement, lorsque celui-ci est possible; mais celle addition amère : « Il me faut subir cela de toit », souvent plus douloureuse que le tort même, ne peut être neutralisée que par la vengeance. En causant de notre côté du dommage, par force ou par ruse, à celui qui nous a nui, nous montrons notre supériorité sur lui et annulons par là la preuve de la sienne. Cela donne à l'âme la satisfaction à laquelle elle aspirait. En conséquence, là où il y a beaucoup d'orgueil ou de vanité, il y aura une ardente 1. « La vcnKoaneo est pour la bouche lo plu» suave morceau qui ait jamais olû cuit un enfer ». '.U- CT«K>CX. DSOÏT ET KiUTIûrs soif de vengeance- Mais chaque désir accompli occasionne plus ou moins de désillusion, et cela est vrai i aussi de la vengeance. Le plaisir que nous en attendions nous est le plus son vent empoisonné par la pitié. Oai. la vengeance qu'on a exercée déchirera ensuite fréquemment le coeur et torturera la conscience. Son motif n'agissait plus, et nous restons en face do témoignage de notre méchanceté. La souffrance du désir inaccompli est faible, comparé* à celle da repentir. Car celle-là a devant elle ï'aveaàr toujours ouvert et incommensurable; celle-ci, le passé irrévocablement fermé. La patieoce — patienti* en latin, mais particulièremeat le sufrimuemio espagnol — vient da mot souffrir; elle indique par conséquent passivité, le contraire de r&elîvité de l'esprit, avec laquelle, lorsque celle-ci est grande, elle est difficilement compatible. La patieoce eut la vertu innée des flegmatiques, comme celle des gens dont l'esprit est indolent ou pauvre, et des fem mes. Que néanmoins elle soit si utile et si nécessaire, cela indique que le monde est tristement fait. 9 L'argent est la sorte que celui qui 1 lui donne tout suacuearj « La base de l'entêtement, c'est que la volonté s'est imposée aa lie* de la connaissance. La morosité et la mélancolie sont fort éloignées l'une de l'autre. U y a beaucoup moins loin de la OBSERVATIONS PSTCllOLOniOCt» 157 gaieté a la mélancolie, que de la morosité à celle-ci.) La mélancolie attire; la morosité repousse L'hypocondrie ne nous torture pas seulement sans raisons au sujet des choses présentes; elle ne nous remplit pas seulement d'une angoisse sans motifs au sujet do malheurs imaginaires dans l'avenir; elle nous tourmente encore par des reproches immérités sur nos actions dans le passé. L'effet le plus direct de l'hypocondrie, c'est de rechercher constamment des motifs d'irritation ou de tourment. La cause en est une dépression morbide intérieure, à laquelle se joint souvent un trouble intérieur qui provient du tempérament. Quand tous deux atteignent lu plus haut degré, lu résultat est lu suicide. J'ai cité, dans mon chapitre sur Y Ethique, eu vers de Juvénal : Qunntulacunque adcoest occasio, sofflcit ira)'. Je vais l'expliquer plus en détail. La colère provoque immédiatement un mirage consistant en un agrandissement monstrueux et en une distorsion non moins monstrueuse de la cause qui lui a donné naissance. Or, ce mirage à son tour accroît la colore, et, en vertu de cette colère accrue, s'agrandit encore lui-même. Ainsi s'augmente continuellement l'action réciproque, jusqu'à eu qu'elle aboutisse au furur ©rerts. Les personnes vives, dès qu'elles commencent à 1. Voir plus haut, pugtj 158 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITÏQCK s'irriter, devraient chercher à prendre sur elles de prévenir cette « fureur brève », de façon à n'y plus penser pour le moment. Si, en effet, la chose leur revient à l'esprit une heure après, elle sera loin de leur paraître aussi grave, et bientôt peut-être ils l'envisageront comme insignifiante. La haine concerne le cœur; le mépris, la tête. Le « moi » n'a aucun des deux en son pouvoir. Son cœur est immuable et est mû par des motifs, et sa tête juge d'après des règles invariables et des faits objectifs. Le « moi » est simplement l'union de ce cœur avec cette tète, le Çsîîyu.a. Haine et mépris sont en antagonisme décidé et s'excluent. Mainte haine n'a même d'autre source que le respect qu'on ressent pour les mérites d'autrui. D'autre part, si l'on voulait haïr tous les misérables coquins, on aurait fort à faire. On peut les haïr à son aise en bloc. Le véritable mépris, qui est l'envers du véritable orgueil, reste absolument secret et ne laisse rien apparaître. Celui qui laisse apparaître son mépris donne en effet déjà par là une marque de quelque estime, en voulant faire savoir à l'autre le peu de cas qu'il fait de lui ; il trahit ainsi de la haine, qui exclut le mépris et l'affecte simplement. Le véritable mépris, au contraire, est la -pure conviction du manque de valeur de l'autre ; il est compatible avec les égards et les ménagements, par lesquels on évite, pour son propre repos et pour sa propre sécurité, d'exaspérer celui qu'on méprise; car tout individu peut vous nuire. Mais que ce pur mépris froid et sincère vienne une fois à se manifester, il y sert répondu par la haine la plus san- OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 159 glante, TU l'impossibilité où est l'individu méprisé d'y faire la même réponse. Chaque événement qui nous transporte dans un état d'esprit désagréable, y produira, même s'il est très insignifiant, un contre-coup qui, tant qu'il dure, est préjudiciable à la conception claire et objective des choses et des circonstances. Toutes nos idées en subissent l'action, de même qu'un objet très petit, mis directement sous nos yeux, limite et dénature notre champ visuel. Ce qui rend les hommes durs de cœur, c'est que chacun croit avoir assez à supporter avec ses propres peines, ou du moins se l'imagine. Aussi un état de bonheur inaccoutumé a-t-il pour effet de développer chez la plupart des êtres humains des sentiments de sympathie et de bienfaisance. Mais un état de bonheur durable, qui a toujours existé, produit souvent l'effet contraire. Il les rend si étrangers à la souffrance, qu'ils ne peuvent plus y prendre part. Delà vient que les pauvres se montrent parfois plus secourables que les riches. Ce qui, d'autre part, rend les hommes si curieux, comme nous le voyons à la façon dont ils épient et espionnent les actions des autres, c'est le pôle de la vie opposé à la souffrance, — l'ennui; quoique l'envie contribue souvent aussi à cette curiosité. Celui qui veut se rendre compte de ses sentiments sincères envers une personne, n'a qu'à prendre garde à l'impression qu'une lettre de cette personne, arrivée tout à coup par la poste, produit sur lui à première vue. H setBÈfe riiaàt «fœe ae«s ««sans d s ee ~è.—£ teceps rrr; : ze :ir*f- cl ç^W] œêœs 5K»3s lèyaaàsssss et s&as attnsSsss eat Ï£SBge«i*i ait trmwiL Si —«s iffm, f) aie. rater sar sfejc-ste <fad Iniaia aa* èfweai* 4ecè-aicctbfw&l esa très i»;-:cuaa — asas4asar-lir «ictenesx. SSCES sc«kufccae «C »f»t temi<s le wat 4e s» teaae. ^aair* ces »c«s I i£itecâass.«gs£ <* i «S* BOBS Fs?e^iî3 et ac*s afgiggga. à S* iass: g«r ïâ chase. 4~aa« part. caa&arie a** rees. et» 4e raaftnt. la feare àmpariilr, 4*àsr»e. «ai aa ries: fi££- H Es forai cas. «V*x awrfifr £2SSES5 «casse** «s rèfe-Ule sa m&ES : aa piss faii. assis eieècaè. — le 4ësir | c* sMScsur Téfcccve, «"arriver 4 rae shxùea; «t «s pSas fiiaH_ sus ■aafrwfcé. — le êesàr «"«Oc r-:«r fÏBâsEl cai repc<&, cl ccatââfwata**; ea ssaee a&êrieae <âs rm>Un «jse rèStîT berrâ4>»a«àras«rrissa*aarfVatfaw gtasàfetk-- i prWsil4«aKiâaaia>ic»lcccjaîseacW«àtaaafc| q*x*L.étxs mett* eaaaas nadai «ajel p*&^\ ctagnac^tBcsgRtieBi«iylfl8£ gsa*i, I Laracsfw ÏXSS: a éreàt àêtre faïaW «t p«v«*««e -eBe aaas pcè-peaâr <em eâei raneaâr. ceauae resùtat cl eaVtate **tre ceaâaïte actae&e. Qk se rrrte 4aac par j bàa*«sl<aarea a«àle,caua4 I» apaèti&s 4ela aa-j lapée, ks traasperts 4e la tu liai «s Ses aariteli—r 4e rfxmuMiamt aaas tami. OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 164 Le cours et les événements de notre vie individuelle peuvent être comparés, quant à leur sens et à leur connexion véritables, aune mosaïque grossière. Tant qu'on la regarde de tout près, on ne reconnaît pas très bien les objets représentés et l'on ne se rend compte ni de leur importance ni de .leur beauté; ce n'est qu'à quelque distance que l'une et l'autre apparaissent. De même, nous ne comprenons souvent la véritable connexion des événements importants de notre propre vie ni pendant qu'ils se déroulent, ni un peu plus tard, mais seulement assez longtemps après. En est-il ainsi parce que nous avons besoin des verres grossissants de l'imagination? ou parce que l'ensemble ne se laisse saisir que de loin? ou parce que les passions doivent être refroidies? ou parce que l'école de l'expérience mûrit seule notre jugement?—-IPeutêtre pour toutes ces raisons à la fois. Ce qui est certain, c'est que la véritable lumière ne se fait sou-vent dans notre esprit sur les actions des autres, parfois même sur les nôtres, qu'après de nombreuses années. Et ce qui se passe en notre vie se passe aussi dans l'histoire. II en est de l'état du bonheur humain comme le plus souvent de certains groupes d'arbres. Vus de loin, ils paraissent admirables ; les examine-t-on de tout près, celte beauté disparaît. On ne sait pas ce qu'elle est devenue, et l'on se trouve entre des arbres. Voilà d'où vient que nous envions si souvent la situation d'autruj. Pourquoi, en dépit de tous les miroirs, ne connaissons-nous pas exactement notre figure, et ne pouvonsJjciiopFKiiAveii. — Éthique. • 11 162 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE nous représenter à notre imagination notre propre personne, comme nous faisons pour toute personne connue? Une difficulté qui s'oppose, dès le premier pas, au yvwOi GsauTôv (connais-toi toi-même). Cela provient incontestablement en partie de ce qu'on ne se voit jamais dans le miroir que le regard droit et immobile, ce qui fait que le jeu si important des yeux, et avec lui la véritable caractéristique de la face, sont à peu près complètement perdus. A cette impossibilité physique semble aussi se joindre une impossibilité éthique de nature analogue. On ne peut jeter sur sa propre image, dans un miroir, un regard étranger, condition nécessaire pour se voir soi-même objectivement. Ce regard repose en effet, en dernière analyse, sur Pégoïsme moral, avec son « non moi » profondément senti ; et ceux-ci sont indispensables pour percevoir au point de vue purement objectif et sans défalcation toutes les défectuosités, ce qui seul laisse apparaître le tableau fidèle et vrai. Au lieu de cela, l'égoïsme en question nous murmure constamment, à l'aspect de notre propre personne dans le miroir : « Ce n'est pas un autre, mais moi-même », qui a l'effet préventif d'un i noli tne tangere, et met obstacle à la vue purement objective, qui ne parait pas possible sans un grain de malice. Personne ne sait quelles forces il porte en lai pour souffrir et pour agir, tant qu'une occasion ne vient pas les mettre en jeu. C'est ainsi qu'on ne voit pas avec quelle impétuosité et quel vacarme l'eau tranquille et unie de l'étang se précipite soudainement du rocher, ou comme elle est capable de jaillir en haut sous forme P OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 163 de fontaine; ni qu'on ne soupçonne la chaleur latente dans l'eau glacée. L'existence inconsciente n'a de réalité que pour les autres êtres dans la conscience desquels elle se représente ; la réalité directe résulte de la conscience propre. Par conséquent, l'existence individuelle réelle de l'homme réside avant tout dans saconscience. Celle-ci, comme telle, est nécessairement une conscience représentante, qui résulte de l'intellect, de la sphère et de la matière de l'activité de celui-ci. Les degrés de clarté de la conscience, par conséquent de réflexion, peuvent donc être envisagés comme les degrés de réalité de l'existence. Or, ces degrés de réflexion, ou de conscience claire1 de sa propre existence et de celle d'autrui, sont peut-être, dans la race humaine elle-même, émoussés de nombreuses façons, selon lamesure des forces intellectuelles naturelles, du développement de celles-ci, et des loisirs réservés à la pensée. Quant à la diversité réelle et primordiale des forces intellectuelles, il est assez difficile d'établir entre elles une comparaison, tant qu'on les considère dans leur ensemble et qu'on ne les examine pas en détail-; car cette diversité ne peut être embrassée de loin, et elle n'est pas non plus aussi distincte extérieurement que les différences de développement, de loisir et d'occupation. Mais, pour s'en tenir à celles-ci, il faut avouer que tel homme a un degré d'existence au moins décuple à&-\ celle d'un autre, qu'il vit dix fois autant. Je ne parlerai pas ici des sauvages, dont l'existence n'est souvent que d'un degré supérieure à celle;ile* singes qui vivent sur leurs arbres; mais que l'on è\a- 164 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE mine seulement le cours de la vie ê'un portefaix dej Naples ou de Venise. (Dans le Nord, la préoccupation de l'hiver rend déjà l'homme plus réfléchi et plus sérieux). Harcelé par le besoin, porté par sa propre force, pourvoyant par le travail aux nécessités du jour, même de l'heure, beaucoup de fatigues, agitation constante, misères infinies, nul souci du lendemain, repos bienfaisant succédant à l'épuisement, querelles fréquentes avec les autres, pas un instant pour penser, jouissance sensuelle dans les climats doux et avec une nourriture supportable, et, pour finir, comme élément métaphysique, une couche d'épaisse superstition religieuse : en résumé, donc, un genre de vie-passablement émoussé sous le rapport conscient. Ce rêve agité et confus constitue l'existence de nombreux millions d'êtres humains. Us connaissent uniquement en vue de leur volonté présente ; ils ne réfléchissent pas à la connexion de leur existence, à plus forte raison à celte de l'existence même ; ils sont en quelque sorte là sans vraiment s'en apercevoir. Aussi l'existence du prolétaire dont la vie s'écoule sans penser, ou celle de l'esclave, se rapproche-t-elle déjà beaucoup plus que la nôtre de celle de l'animal qui est limité tout entier au présent ; mais, pour cette raison même, elle est moins douloureuse. Oui, toute jouissance, en vertu de sa nature, étant négative, c'est-à-dire consistant dans l'affranchissement ] d'un besoin ou d'une peine, la succession alternative et rapide des misères actuelles, avec leur terminaison, qui accompagne constamment le travail du prolétaire 1 et s'affirme en dernier lieu par le repos et la satisfaction des besoins de celui-ci, est une source perpétuelle de jouissance, dont porte témoignage certain la gaieté UMUfATNiM rMCaaUMilgCI* 16$ qui se lit infiniment pins fréquemment mm se risoge dea pauvres que sur celui des riches I Examine» ensuite le marchand ■•M*, réSéchi. qui passe M vie è spéculer* exécute arec prudence des projets 1res eudacieni. fonde M waisai. pourvoit an» heaume de ?a frimne, rie ta* entants et de aie deseca» riants, et pr#n.J aeaaé une part active « la chose pubis» •!»•• : il eal ananifeatesneat beaucoup plu conacieal kjue le précèdes!, ■•eal .t lire que son eaisteoce a un plus haut degré de réalité. l'uisvoyes l'érudil, qui <-(udie, par csraipis, l'hiakHrlu passé. Celui ci eat déjà pleioeoieat conscient de] Faxisteftee, H l'élève au deaeae dsj temps esj il ttt, |ft* rieaaas de g* propre personne : tl niédjte sur le cours ris» choses ria «a momie M ht finalement l« ports, ou même la philoawphe, ebes lequel la reHesioo a atteint la degré ou, non satisfait !'•' aarater un pbénomém qui I ■ e ;■ ■ rie l'existence. U ! :> conscience a grandi eaj lui jusqu'à* degré de clarté •ii aile eal sVveeew conaessew* universelle; la reprêrapport, m sécréta rie la vulanM, H offre è esai ! rase par laquelle une» ^«noterons an tel homme s» la peae réel rie toaa ». aura un sens et une ■*«* !•*# DOIBU inL»*r* 166 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE Ce vers d'Ovide : Pronaque cum speclent animalia cetera terrain *, ne s'applique en réalité, au sens physique, qu'aux animaux ; mais, au sens figuré et intellectuel, il s'applique malheureusement aussi à la plupart des hommes. Toutes leurs idées, pensées et aspirations s'ont tendues vers la jouissance et le bien-être matériels, ou vers l'intérêt personnel, dont la sphère renferme toutes sortes de choses qui ne tirent leur importance que de leurs rapports avec celui-ci ; ils ne s'élèvent pas plus haut. C'est ce que témoignent non seulement leur manière de vivre et leur conversation, mais leur seul aspect, leur physionomie et son expression, leur tournure, leurs gestes. Tout chez eux crie : in terrain prona!\ Ce n'est donc pas à eux, mais seulement aux natures nobles et bien douées, aux hommes qui pensent et s'interrogent véritablement, qui apparaissent comme des exceptions parmi leur race, que s'appliquent les vers suivants : Os homini sublime dédit, cœlumque tueri Jussit, et erectos ad sidéra tollere vultus *. Pourquoi le mot a commun » est-il une expression de mépris ? les mots « non commun », « extraordinaire », « distingué », des expressions d'approbation ? 1. « Tandis que les autres animaux ont la face courbée vers la terre... » 2. « ".% (Le fils de Japhet) donna à l'homme un front élevé, lui] ordonna de contempler les ci eux et de lever ses regards vers les astres ». Ovide, Métamorphoses, livre I, chap. i". OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 467 Pourquoi tout ce qui est commun est-il méprisable? « Commun » signifie originellement ce qui est propre et commun à toute l'espèce, c'est-à-dire ce qui est inné en elle. Voilà pourquoi celui qui n'a pas d'autres qualités que celles de l'espèce humaine, est un « homme commun ». «Homme ordinaire » est une expression beaucoup plus douce et qui concerne davantage l'in-tellectualité, tandis qu' « homme commun » concerne plutôt le moral. Quelle valeur peut bien avoir un être qui n'est rien de plus que des millions de son espèce? Des millions? Bien plutôt une infinité, un nombre incommensurable d'êtres que la nature fait jailliréternellement, in sœcula sœculorum, de sa source intarissable, avec la prodigalité du forgeron dont le marteau fait voler de toutes parts des étincelles. Il devient même évident qu'un être qui n'a pas d'autres qualités que celles de l'espèce, n'a pas non plus de droits à une autre existence qu'à celle de l'espèce et qui est conditionnée par elle. J'ai expliqué plus d'une fois que, tandis que les animaux ont seulement le caractère générique, l'homme, lui seul, a le caractère individuel proprement dit. Néanmoins, chez le plus grand nombre, il n'y a en réalité qu'une petite part d'individualité ; ils se laissent presque tous classifier. Ce sont des espèces '. Leur volonté et leur penser, comme leurs physionomies, sont ceux de l'espèce entière, en tout cas de la classe d'hommes à laquelle ils appartiennent, et voilà pourquoi tout cela est trivial, banal, commun, tiré à des milliers d'exem1. En français clans le texte 168 BTHIQUE, l'HOÎT IT POUTIQTJI plaires. On peut prévoir aussi à l'avance, en général, ce qu'ils (liront et feront. Ils n'ont pas d'empreinte propre : c'est une marchandise de fabrique. De même que leur être, leur existence aussi ne doitelle pas être absorbée dans celle de l'espèce? La malédiction du caractère commun rabaisse l'homme, sous ce rapport, au niveau de l'animal. Il va de soi que tout ce qui est élevé, grand, noble par nature, restera à l'état isolé dans un monde où l'on n'a pu trouver, pour désigner ce qui est bas.et méprisable, une expression meilleure que celle indiquée par moi comme généralement employée : «commun ». La volonté, comme la chose en soi, est la matière commune de tous les êtres, l'élément courant des choses ; nous la possédons par conséquent en commun avec tous les hommes et avec chacun, même avec les animaux, et à un degré plus bas encore. En elle, à ce point de vue, nous sommes donc égaux à chacun ; car toute chose prise dans son ensemble ou en détail, est emplie de volonté et en déborde. Par contre, ce qui élève un être au-dessus d'un être, un homme au-dessus d'un homme, c'est la connaissance. Aussi elle seule, autant que possible, devrait-elle apparaître dans nos manifestations. Car la volonté, propriété absolument commune à tous, est aussi « le commun ». Toute affirmation violente de sa part est en conséquence « commune ». Elle nous rabaisse jusqu'à n'être qu'un exemplaire de l'espèce, car nous ue montrons ensuite que le caractère de celle-ci. Il convient donc d'appliquer le mot « commun » à la colère, à la joie démesurée, à la haine, à la crainte, bref, à tout affect, c'est-à-dire à | OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 169 tout mouvement de la volonté qui devient assez fort pour faire prédominer incontestablement la connaissance dans la conscience, et faire apparaître l'homme plus comme un être voulant que comme un être connaissant. Livré à un tel affect, le plus grand génie devient semblable au fils le plus vulgaire de la terre. Celui, au contraire, qui veut être «non commun», c'est-à-dire grand, ne doit jamais laisser les mouvements de la volonté s'emparer complètement de sa conscience, quelque sollicitation qu'il éprouve à ce sujet. Il lui faut, par exemple, pouvoir entendre les autres émettre leurs opinions détestables, sans qu'il ■ente les siennes atteintes par ce fait. Oui, il n'y a pas de marque plus assurée de grandeur que de laisser émettre, sans y attacher d'importance, des propos blessants ou offensants, qu'on impute tout bonnement, comme quantité d'autres erreurs, à la débile connais' tance du discoureur, et que l'on se contente de percevoir, sans qu'ils vous touchent. C'est en ce sens qu'il faut entendre ce mot de Gracian : «• El mayor desdoro de un hombre es dav muestras de que es nombre » '. Conformément à ce qui vient d'être dit, on doit cacher sa volonté, comme ses parties génitales, quoique l'une et les autres soient la racine de notre être. On ne doit laisser voir que la connaissance, comme •on visage, sous peine de devenir commun. Même dans le drame, qui a proprement pour thème les passions et les affecte, tous deux produisent facilement une impression commune. C'est ce que l'on 1. « La plus grande honte pour an homme est de donner des prouvi's qu'il est homme ». (Voir, sur (Ji'uciun, Ecrivains et style, note de la page 163). 170 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE constate tout spécialement chez les tragiques français, qui ne se proposent pas de but plus élevé que la représentation des passions, et cherchent à dissimuler la banalité du fait tantôt derrière un pathos ridiculement enflé, tantôt derrière des pointes épigrammatiques. La célèbre M"0 Kachel, dans le rôle de Marie Stuart ', quand elle invectiva la reine Elizabeth, me fît songer, si excellent que fût son jeu, à une harengère. La scène finale des adieux perdit aussi, interprétée par elle, tout ce qu'elle a de sublime, c'est-à-dire de vraiment tragique, chose dont les Français n'ont aucune idée. 'Ce même rôle fut mieux tenu, sans aucune comparaison, par l'Italienne Ristori. C'est qu'Italiens et Allemands, en dépit de grandes différences sous beaucoup de rapports, ont le même sentiment pour ce qu'il y a d'intime, de sérieux et de vrai dans l'art, et contrastent sur ce point avec les Français, qui sont absolument dénués de ce sentiment : lacune qu'ils trahissent en tout. La noblesse, c'est-à-dire le « non commun », voire le sublime, est aussi introduite dans le drame, avant tout par la connaissance, en opposition à la volonté. La connaissance plane en effet librement sur tous ces mouvements de la volonté et les prend même pour matière de ses considérations, comme le fait voir particulièrement Shakespeare, surtout dans Hamlet. Et, quand la connaissance s'élève au point où disparait pour elle l'inutilité de toute volonté et de tout effort, par suite de quoi la volonté s'abolit elle-même, alors seulement le drame devient 1. Dans la tragédie de Schiller, ou peut-être dans l'imitation qu'en a donnée Pierre Lebrun. (Le irad. OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 171 vraiment tragique, par conséquent véritablement sublime, et atteint son but suprême. Selon que l'énergie de l'intellect est tendue ou relâchée, la vie apparaît à celui-ci toute différente. Dans le dernier cas, elle apparaît si courte, si fugitive, que rien de ce qui y advient ne mérite de nous émouvoir, et que tout semble sans importance, même le plaisir, la richesse, la gloire; tellement sans importance, que, quelque perte qu'on ait subie, il n'est pas possible qu'on ait beaucoup perdu. Dans le premier cas, à l'opposé, la vie apparaît si longue, si importante, tellement tout en tout, si sérieuse et si difûcile, que nous nous élançons sur elle de toute notre Âme, pour participer à ses bienfaits, disputer ses récompenses et nous les assurer, et exécuter nos projets. Ce second point de vue est celui qu'on nomme immanent; c'est celui auquel songe Gracian, quand il parle de tomar muy de veras el vivir *. Le premier point de vue, au contraire, le point de vue transcendant, est le mot d'Ovide : non est tanti -. L'expression est bonne, et celle-ci, de Platon, est encore meilleure : oû3e ti TUV dvOpuHtivwv àÇiov £OTI jAeyiAtjî OTTOUSYJÇ3. La première disposition d'esprit résulte de ce que la connaissance a pris la suprématie dans la conscience, où, s'affranchissant du pur service de la volonté, elle saisit objectivement le phénomène de la vie, et ne peut manquer alors de voir clairement la futilité et le néant 1. « prendre très an sérieux la vie ». ' 2. « Cela n'a pas grande importance ». 3. « Rien, dans les choses humaines, ne mérite qu'on se tra casse beaucoup ». ,' 172 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQCE de celle-ci. Dans la seconde disposition, par contre, la volonté prédomine, et la connaissance n'est là que pour éclairer les objets de la volonté et leurs voies. L'homme est grand, ou petit, selon que prédomine chez lui l'une ou l'autre manière d'envisager la vie. Chacun tient le bout de son champ d'observation pour le bout du monde. Ceci est aussi inévitable dans le domaine intellectuel, qu'au point de vue physique l'illusion qu'à l'horizon le ciel touche la terre. Mais une des conséquences de ce fait, c'est que chacun nous jauge avec sa mesure, qui le plus souvent n'est qu'une aune de tailleur, et que nous devons en passer par là; domine aussi chacun nous prêle sa petitesse, fiction qui est admise une fois pour toutes. Il y a quelques idées qui existent très rarement d'une façon claire et déterminée dans une tète, et ne prolongent leur existence que par leur nom; celui-ci n'indique en réalité que la place d'une telle idée, et, sans lui, elles se perdraient à tout jamais. L'idée I de sagesse, par exemple, est de ce genre. Combien elle est vague dans presque toutes les têtes! On peut se référer sur ce point aux explications des philosophes. La « sagesse » me paraît indiquer non seulement la perfection théorique, mais aussi la perfection pratique. Je la définirais : la connaissance exacte et accomplie des choses, dans l'ensemble et en général, qui a si complètement pénétré l'homme, qu'elle se manifeste aussi dans sa conduite, dont elle est la règle en toute circonstance. OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 173 Tout ce qui est primordial, et par conséquent authentique dans l'homme, agit comme tel, de même que les forces naturelles, inconsciemment. Ce qui a pénétré par la conscience y est devenu une représentation; par suite, la manifestation de cette conscience est en une certaine mesure la communication d'une représentation. En conséquence, toutes les qualités vraies et éprouvées du caractère et de l'esprit sont originellement inconscientes, et ce n'est que comme telles qu'elles produisent une profonde impression. Tout ce qui, sous ce rapport, est conscient, est déjà corrigé et voulu, dégénère par conséquent déjà en affectation, c'est-à-dire est une tromperie. Ce que l'homme accomplit inconsciemment ne lui coûte aucune peine, et aucune peine ne peut y suppléer. C'est là le caractère des conceptions originelles qui constituent le fond et le noyau de toutes les créations véritables. Voilà pourquoi ce qui est inné est seul authentique et valable. Ceux qui veulent faire quelque chose doivent, en tout ordre d'idées, action, littérature, art, suivre les règles sans les connaître. II est certain que mainte personne n'est redevable du bonheur de sa vie qu'à ce qu'elle possède un sourire agréable, qui lui conquiert les cœurs. Cependant ceuxci feraient mieux de se tenir sur leurs gardes, et de se rappeler, d'après la table mnémonique d'Hamlet, ' thaï one may smile, and smile, and be a viliain1. Les gens pourvus de grandes et brillantes qualités I i. • On peut sourira, sourire encore, et cire un coquin ». 174 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE ne font guère difficulté d'avouer leurs défauts et leurs faiblesses, ou de les laisser voir. Ils les considèrent comme une chose qu'ils ont payée, ou sont même d'avis que ces faiblesses leur font moins honte qu'eux-mêmes ne leur font honneur. C'est particulièrement le cas, quand ces défauts sont inséparables de leurs éminentes qualités, qu'ils en sont des conditioner sine quibus non. Comme l'a dit George Sand, « chacun a les défauts de ses vertus * ». Par contre, il y a des gens de bon caractère et de tête irréprochable qui, loin d'avouer leurs rares et petites faiblesses, les cachent soigneusement, et se montrent très susceptibles à toute allusion à leur sujet. La raison en est que, tout leur mérite consistant en l'absence de défauts et d'imperfections, ils se sentent amoindris par la révélation de chaque défec-tuosité. La modestie, chez les gens médiocres, est simplement de l'honnêteté; chez les gens brillamment doués, elle est de l'hypocrisie. Aussi le sentiment avoué et la conscience non dissimulée de leur talent exceptionnel siéent-ils autant à ceux-ci que la modestie sied à ceux-là. ValèreHaxime cite à ce sujet d'intéres- j sants exemples, sous sa rubrique : De fiducia sut1. •1. En français dans le texte. 2. Valent Maximi Diclorum Factorumgue memorabilium libri IX. C'est au chap. vu du livre III que s,â> trouvent <5es exemples, qui mettent en scène les Scipions, Licinius, Crdssus. Cuton l'ancien, l'orateur Antoine, le poète Accius, et beaucoup d'autres, Romains et Grecs. (Le trad.) OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 175 Même en aptitude an dressage, l'homme dépasse tous les animaux. Les musulmans sont dressés à prier cinq fois par jour, le visage tourné vers La Mecque; ils le font invariablement. Les chrétiens sont dressés à faire en certaines occasions le signe de la croix, à s'incliner, etc. La religion, en somme, est le cliefd'œuvre par excellence du dressage, le dressage de la pensée; or, on sait que, dans cette voie, on ne peut jamais commencer trop tôt. Il n'est pas d'absurdité si évidente qu'on ne pourrait faire entrer dans la tête de tous les hommes, si l'on commençait à la leur inculquer avant leur sixième année, en la leur répétant constamment et sur un ton convaincu. Le dressage de l'homme, comme celui des animaux, ne réussit parfaitement que dans la première jeunesse. Les nobles sont dressés à ne tenir pour sacrée que leur parole d'honneur, à croire en tout sérieux et en toute rigueur au code grotesque de l'honneur chevaleresque, à le sceller, le cas échéant, par leur mort, et à considérer le roi comme véritablement un être d'espèce supérieure. Nos témoignages de politesse et nos compliments, particulièrement nos attentions respectueuses envers les dames, reposent sur le dressage ; de même, notre estime pour la naissance, la situation, les titres; de même aussi le déplaisir que nous font éprouver, suivant leur nature, certaines assertions dirigées contre nous. Les Anglais sont dressés à considérer comme un crime digne de mort l'imputation de manque de gentilhommerie et plus encore celle de mensonge; les Français, celle de lâcheté; les Allemands, celle de sottise; et ainsi de suite. Beaucoup de gens sont' dressés h une honnêteté invariable en une 176 ÈTIHQCE, DROIT ET POLITIQUE chose, tandis que dans tontes les autres ils n'en montrent pas beaucoup. Ainsi, bon nombre ne volent pas d'argent, mais dérobent tout ce qui peut leur procurer indirectement une satisfaction. Maint marchand trompe sans scrupules; mais voler, c'est ce qu'il ne ferait certainement pas. Le médecin voit l'homme dans toute sa faiblesse; le juriste, dans toute sa méchanceté ; le théologien, dans toute sa sottise. Il y a dans ma tête un parti d'opposition constant qui s'élève après coup contre tout ce que j'ai fait ou résolu, même à la suite de sérieuses réflexions, sans néanmoins avoir pour cela chaque fois raison. Ce parti d'opposition n'est probablement qu'nne forme de l'esprit d'examen susceptible de rectification, mais il m'adresse souvent des reproches immérités. Je soupçonne que plus d'on autre est aussi dans le même cas; quel est celui,qui ne doit pas se dire, en effet : ... Qoid tam dextro pede concipis, ut te Conatus non pajniteat, votique peracti ' ? Celui-là a beaucoup d'imagination, dont l'activité cérébrale intuitive est assez forte pour n'avoir pas besoin chaque fois de l'excitation des sens, en vue d'agir. Conformément à ce principe, l'imagination est d'autant plus active que les sens nous apportent moins 1. « Quel projet conçois-tu d'une façon si heureuse, que In ne te repentes de ton effort et de la réussite de ton désir? » Juvénal, Satire X, vers 5-6. OBSERVATIONS PsTCHOLÔÔlQUES 177 d'intuition extérieure. Un long isolement (soit en prison, soit dans une chambre où vous retient, la maladie), le silence, le crépuscule, l'obscurité sont favorables à son activité; sous l'influence de ces conditions, elle se met spontanément en jeu. A l'opposé, quand l'intuition reçoit beaucoup de matière réelle du dehors, comme en voyage, dans le tumulte du monde, par une claire matinée, l'imagination chôme, et, même sollicitée, n'entre pas en activité; elle se rend compte que ce n'est pas son heure. Cependant l'imagination doit, pour se montrer féconde, avoir reçu beaucoup de matière du monde extérieur; lui seul, en effet, peut l'approvisionner. Mais il en est de la nourriture de l'imagination comme de celle du corps : quand celui-ci a reçu du dehors beaucoup de nourriture qu'il doit digérer, c'est alors qu'il devient le plus incapable d'activité, et chôme volontiers. C'est pourtant cette nourriture, à laquelle -il est redevable de toutes ses forces, qu'il sécrète plus tard, quand le moment est venu. L'opinion obéit à la loi du balancement du pendule: si elle dépasse le centre de gravité d'un côté, elle doit le dépasser d'autant de l'autre. Ce n'est qu'avec le temps qu'elle trouve le vrai point de repos et demeure stationnaire. L'éloignement, dans l'espace, rapetisse toute chose, en la contractant; ainsi ses défauts et ses lacunes disparaissent, comme, dans une glace rapetissante ou dans la chambre obscure, tout se montre beaucoup plus beau que dans la réalité. Le passé agit de même 178 ÉTHIQ0E, DROIT ET POLITIQUE dans le temps. Les scènes et les événements reculés, avec leurs acteurs, se présentent au souvenir sous l'aspect le plus aimable, car ils ont perdu ce qu'ils avaient d'irréel et de troublant. Le présent, qui est privé de cet avantage, est toujours défectueux. Et, dans l'espace, de petits objets, vus de près, paraissent grands ; vus de très près, ils couvrent même tout le champ de notre vision; mais, dès que nous nous éloignons un peu, ils deviennent petits et invisibles. De même, dans le temps, les petits événements et accidents quotidiens de notre vie, tant qu'ils sont là devant nous, nous paraissent grands, importants, considérables, et excitent en conséquence nos affects : soucis, ennuie, passions; mais dès que l'infatigable torrent du temps les a seulement un peu éloignés de nous, ils deviennent insignifiants, sans importance, et sont bientôt oubliés. C'est leur seul rapprochement qui faisait leur grandeur. La joie et la souffrance n'étant pas des représentations, mais des affections de la volonté, elles ne résident pas non plus dans le domaine de la mémoire, et nous ne pouvons pas les rappeler elles-mêmes, comme qui dirait les renouveler; ce sont seulement les représentations dont elles étaient accompagnées que nous pouvons faire repasser devant nos yeux, et surtout nous rappeler nos manifestations provoquées alors par elles, pour mesurer par là ce qu'elles ont été. Voilà pourquoi notre souvenir des joies et des souffrances est toujours incomplet, /et que, une fois passées, elles nous sont indifférentes. Il est inutile de Chercher parfois à rafraîchir les plaisirs ou les dou- OBSERVATIONS PSTCHOLOGIQCBS ' ' fff\ leurs du passé. Leur essence proprement dite gît dans la volonté. Mais celle-ci, en soi et comme .telle, n'a | pas de mémoire, la mémoire étant une fonction de l'intellect qui, par sa nature, ne livre et ne renferme que de simples représentations : chose dont il ne s'agit pas ici. Il est étrange que, dans les mauvais jours, nous puissions nous représenter très vivement les jours heureux disparus ; et que, par contre, dans les bons jours, nous ne nous retracions plus les mauvais que d'une façon très incomplète et effacée. Il y a lieu de craindre, pour la mémoire, l'enchevêtrement et la confusion des choses apprises, mais non l'encombrement proprement dit. Ses facultés ne sont pas diminuées de ce fait, pas plus que les formes dans lesquelles on a modelé successivement la terre glaise ne diminuent l'aptitude de celle-ci à de nouvelles formes. En ce sens, la mémoire est sans fond. Cependant, plus un homme a de connaissances diverses, plus il lui faudra de temps pour trouver ce qu'on exige soudainement de lui. Il est comme un marchand qui doit rechercher dans un énorme magasin la marchandise qu'on lui demande; ou, à proprement parler, il a évaporé, parmi tant d'idées qui étaient à sa disposition, précisément celle qui, par suite d'un exercice antérieur, l'amène à la chose réclamée. La mémoire n'est pas en effet un récipient où l'on garde les objets, mais simplement une faculté servant à l'exercice des forces intellectuelles. Aussi le cerveau possède-t-il toutes ses connaissances seulement potentiâ, jamais actu. Je renvoie & ce sujet au § 45 de ma dissertation sur La quadruple racine du principe de la raison suffisante. î 480 ÉTHIQUE.. DROIT ET POLIT 10CE Parfois ma mémoire s'obsline à ue pas reproduire un mot d'une langue étrangère, ou un nom, ou un lerme d'art que je connais pourtant très bien. Après que je me suis plus ou moins longtemps inutilement tourmenté à leur sujet, je ne m'en occupe plus. Puis, au bout d'une heure ou deux, rarement davantage, parfois cependant au bout de quatre à six semaines, le mot cherché m'arrive si soudainement, au milieu d'un courant d'idées tout autre, que je pourrais croire qu'on vient de me le souffler du dehors. (Il est bon ensuite de fixer ce mot par un moyen mnémonique, jusqu'à ce qu'il s'imprime de nouveau dans la mémoire.) Après avoir fréquemment observé, en m'en étonnant, ce phénomène depuis de longues années, j'en suis arrivé à trouver vraisemblable l'explication suivante : à la suite de la pénible recherche inutile, ma volonté conserve la curiosité du mot et lui constitue un surveillant dans l'intellect. Plus tard, quand, dans le cours et le jeu de mes idées, se présente par hasard un mot commençant par les mêmes lettres ou ressemblant à celui-là, le surveillant s'élance, complète le mot cherché, dont il s'empare brusquement et qu'il ramène en triomphe, sans que je sache où et comment il l'a fait prisonnier; aussi semble-t-il avoir été murmuré. C'est le cas de l'enfant qui ne peut pas prononcer un j vocable. Le maître finit par lui en indiquer la première et même la seconde lettre, et le mot lui vient. Quand ce procédé échoue, il faut bien chercher le mot méthodiquement, à travers toutes les lettres de l'alphabet. Les images intuitives se fixent plus solidement dans la mémoire que les simples notions. Aussi les cerveaux OBSEItVATrONS PSYCHOLOGIQUES 181 imaginatifs apprennent-ils plus facilement les langues que les autres. Ils associent immédiatement au mot nouveau l'image intuitive de la chose; tandis que les autres y associent seulement le mot équivalent de leur propre langue. On doit chercher à ramener autant que possible à une image intuitive ce qu'on veut incorporer à la mémoire, soit indirectement, ou comme exemple de la chose, ou comme simple comparaison, analogie, et n'importe quoi d'autre; parce que tout ce qui est intuitif se fixe beaucoup plus solidement que ce qui n'est pensé qu'ïn abslracto, ou que les simples mots. Voilà pourquoi nous retenons si incomparablement mieux ce que nous avons fait que ce que nous avons lu. Le nom mnémonique convient moins à l'art de transformer artificiellement la mémoire indirecte en mémoire directe, qu'à une théorie systématique de celle-ci, qui exposerait toutes ses particularités et les dériverait de sa nature essentielle, et ensuite les unes des autres. On n'apprend que de temps en temps; mais on désapprend toute la journée. Notre mémoire ressemble à un crible qui, avec le temps et par l'usage, retient de moins en moins ce qu'on y met. Plus nous vieillissons, d'autant plus vite s'échappe de notre mémoire ce que nous lui confions désormais. Elle conserve au contraire ce qui s'y est fixé quand nous étions jeunes. Les souvenirs d'un vieillard sont donc d'autant plus nets qu'ils remontent plus loin, et le sont d'autant moins qu'ils se rapprochent davantage du présent; de sorte que sa mémoire, comme sa vue, est devenue aussi presbyte (ffpfo£ug^g 182 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE Il y a dans la vie des moments où, sans cause extérieure particulière, plutôt par un accroissement de la sensibilité, venant de l'intérieur, et seulement explicable d'une manière physiologique, les choses ambiantes et le présent prennent un degré de clarté plus élevé et rare ; il résulte de là que ces moments restent gravés d'une façon indélébile dans la mémoire et se conservent dans toute leur individualité, sans que nous sachions pour quelle raison, ni pourquoi, parmi tant de milliers de moments semblables, ceux-là précisément s'imposent. C'est probablement par pur hasard, comme les exemplaires de races animales complètement disparues que contiennent les bancs de pierres, ou comme les insectes écrasés entre les pages d'un livre. Les souvenirs de cette espèce, ajoutons-le, sont toujours doux et agréables. Il advient parfois, sans cause apparente, que des scènes depuis longtemps oubliées se présentent soudainement et vivement à notre souvenir. Cela peut provenir, en beaucoup de cas, de ce que nous venons de sentir, maintenant comme jadis, une légère odeur à peine perceptible. Les odeurs, on le sait, éveillent avec une facilité toute particulière le souvenir, et le nexus idearwm n'a besoin en toute occasion que d'une inci-j tation très faible. Soit dit en passant, l'oeil est le sens de l'intelligence, l'oreille le sens de la raison, et l'odorat le sens de la mémoire, comme nous le voyons ici.) Le toucher et le goût sont des réalistes attachés au contact, sans côté idéal. La mémoire a aussi cette particularité, qu'une légère OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 183 ivresse renforce souvent beaucoup le souvenir des temps et des événements passés, de manière qu'on se rappelle toutes leurs circonstances plus complètement qu'on n'aurait pu le faire à l'état de sobriété. Par contre, le souvenir de ce que l'on a dit ou fait pendant l'ivresse même est plus incomplet qu'en temps ordinaire ; après une forte ivresse, il n'existe môme plus. L'ivresse renforce donc le souvenir, mais ne lui apporte qu'un faible aliment. Ce qui prouve que l'arithmétique est la plus basse de toutes les activités intellectuelles, c'est qu'elle est la seule qui puisse être exercée aussi à l'aide d'une machine. On se sert déjà beaucoup, en Angleterre, par commodité, de machines à calculer. Or, toute analyste flnitorum et inflnilorum se ramène finalement au calcul. On peut mesurer d'après cela le « profond sens mathématique », qu'a déjà raillé Lichtenberg '. Il a dit en effet à ce sujet : « Les mathématiciens de profession, appuyés sur la naïveté enfantine des autres hommes, se sont acquis une réputation de profondeur qui a beaucoup de ressemblance avec celle de sainteté que s'arrogent les théologiens ». En règle générale, les gens d'un très grand talent s'entendront mieux avec les hommes d'une intelligence extrêmement limitée, qu'avec ceux d'une intelligence ordinaire. C'est pour la même raison que le despote et 1. Spirituel écrivain et penseur allemand (1742-1799) que Schopenhauer aime a citer, et dont nous avons dit un mot dans la Préface d'Ecrivains et style, page 16. [I.e trad.l 184 ETHIQUE, DROIT ET POLITIQUE la plèbe, les grands-parents et les petits-enfants sont des alliés naturels. Les hommes ont besoin d'une activité extérieure, parce qu'ils sont dépourvus d'une activité intérieure. Mais quand celle-ci existe, celle-là produit plutôt une perturbation très désagréable, et même souvent exécrée. La première raison explique aussi l'agitation et la passion des voyages sans but des gens désœuvrés. Ce qui les chasse ainsi à travers le monde, c'est le même ennui qui, à la maison, les réunit et les presse en tas, d'une façon vraiment risible à voir. Cette vérité me fut confirmée un jour d'une façon exquise par un inconnu d'une cinquantaine d'années, qui me parlait de son voyage de plaisir pendant deux ans dans les contrées étrangères les plus lointaines. Comme je remarquais qu'il avait dû subir à cette occasion de grandes fatigues, de grandes privations et de grands dangers, il me fit immédiatement et sans préambule, mais en avançant des enthymèmes, la réponse excessivement naïve que voici : « Je ne me suis pas ennuyé un seul instant ». Je ne m'étonne pas qu'ils s'ennuient quand ils sont seuls : ils ne peuvent pas rire seuls, et même cela leur paraît fou. Le rire ne serait-il donc qu'un signal pour les autres et un simple signe, comme le mot? Manque général d'imagination et de vivacité d'esprit (dulnéts, sottise, àvï'.iOrj-îva ■/.%'. fspaô^tuî 'i-j/f^ (hébétude et lourdeur d'âme), comme dit Théophraste (Caractères, chap. xxvii), voilà ce qui les empêche de rire quand ils sont seuls. Les animaux ne rient ni seuls ni en société. OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 185 Un homme de cette espèce ayant surpris Myson le misanthrope à rire tout seul, lui demanda pourquoi il riait: « Précisément parce que je suis seul », répondit-il. Celui qui, avec un tempérament flegmatique, n'est qu'un imbécile, serait un fou avec un tempérament sanguin. Les gens qui ne vont pas au théâtre ressemblent à celui qui fait sa toilette sans miroir; mais celui-là agit plus mal encore, qui prend ses décisions sans recourir aux conseils d'un ami. Un homme peut avoir en effet en toutes choses le jugement le plus juste et le plus net, sauf dans ses propres affaires ; car ici la volonté dérange aussitôt le concept de l'intellect. Voilà pourquoi il faut consulter les autres, pour la même raison qu'un médecin, qui soigne tout le monde, ne se soigne pas lui-même, et fait appeler un confrère. La gesticulation naturelle ordinaire qui accompagne toute conversation vive, est une langue à soi, et beaucoup plus universelle que celle des mots; étant indépendante de ceux-ci, elle est la même chez toutes les nations, quoique chacune en fasse usage en proportion de sa vivacité. Il en est même quelques-unes, comme la nation italienne, par exemple, où elle s'augmente de certains gestes purement conventionnels qui n'ont par conséquent qu'une valeur locale. L'usage universel de la gesticulation est analogue à celui de la logique et de la grammaire, car elle exprime simplement la forme, et non la matière de la conversation. Elle se distingue cependant de la logique et de la grammaire, en ce qu'elle se rapporte non seulement au 186 ÉTHIQUE, DROIT ET POLITIQUE côté intellectuel, mais aussi au côté moral, c'est-à-dire aux mouvements de la volonté. Elle accompagne ainsi la conversation, comme une basse correctement progressive accompagne la mélodie, et sert, de même que cette basse, à renforcer l'effet. Le caractère le plus intéressant de la gesticulation, c'est que, dès que la parole prend la même forme, il y a répétition des mêmes gestes. Il en est ainsi, quelque différente que puisse être la matière, c'est-à-dire la circonstance. De sorte que je puis très bien comprendre la signification générale, c'est-à-dire simplement formelle et typique d'une conversation animée, en regardant par la fenêtre, sans entendre an seul mot. Je sens infailliblement que la personne qui parle, argumente, expose ses raisons, puis les résume, insiste, tire une conclusion victorieuse; ou bien elle rapporte quelque tort qu'on lui a causé, dépeint au vif et sur un ton d'accusation la dureté de cœur et la sottise de ses adversaires; ou bien elle raconte comment elle a imaginé un plan superbe dont elle décrit le succès, à moins qu'elle ne se plaigne qu'an contraire ce plan n'ait pas réussi, par la faute du hasard, on qu'elle n'avoue son impuissance dans le cas en question; pu bien enfin elle narre qu'elle a vu clair à temps dans les machinations d'autrui, et, en affirmant ses droits on en usant de sa force, les a déjouées et a puni leurs auteurs; et mille autres choses semblables. Mais ce que la gesticulation seule m'apporte en réalité, c'est la matière essentielle — morale on intellectuelle — de la parole in abslracto. La quintessence, la vraie substance de celle-ci demeure identique au milieu des sujets les plus différents et aussi de la matière la plus différente, et se comporte à l'égard OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES 187 de celle-ci comme la notion à l'égard des individus. Le côté le plus intéressant et le plus amusant de la chose est, comme il a été dit, la complète identité et stabilité des gestes pour dépeindre les mêmes circonstances, même si ces gestes sont employés par les personnes les plus différentes; juste comme les mots d'une langue sont les mêmes dans la bouche de chacun, et ne subissent que les petites modifications résultant de la prononciation ou de l'éducation. Et cependant ces formes persistantes et universellement suivies de la gesticulation ne sont certainement pas le résultat d'une convention ; elles sont naturelles et primordiales, un vrai langage de la nature, bien qu'elles puissent être fortifiées par l'imitation et l'habitude. L'aeteur et l'orateur, celui-ci à un degré moindre, doivent, on le sait, étudier soigneusement la gesticulation. Mais celle* ci consiste principalement dans l'observation et l'imitation. 11 est en effet difficile de ramener cette matière à des règles abstraites, si l'on en excepte quelques principes tout à fait généraux, comme celui-ci, par exemple : le geste ne doit pas suivre le mot, mais il doit plutôt le précéder immédiatement, pour l'annoncer et provoquer ainsi l'attention. Les Anglais ont un mépris tout particulier pour la gesticulation, qu'ils regardent comme une chose indigne et commune; mais je vois simplement en cela l'un des sots préjugés de la pruderie anglaise. Il s'agit en effet du langage que la nature donne à chacun et que chacun comprend. Aussi, le supprimer et l'interdire sans autre forme de procès, uniquement pour l'amour de l'illustre « gentlemanry », me semble chose scabreuse. TABLE DES MATIERES Préface du traducteur . . ETHIQCK . . . . ». DHOIT ET POLIT100JS . -9f • PHILOSOPHIE M DROIT ... Se* L'EJHHUTTOX....................... OBSERVATIONS psïcaoLOuigrEs . ÉVBECS, IMPRIMERIE CH. HÉRISSEÏ ET FILS «1 | 19 76 116 135 144 Août 1907 FÉLIX ALÇAN, ÉDITEUR LIBflAUUBsVÉLIXAfcCAp ET GUILLAUMIN RÉUNIES ■108, Boulevard Saint-Germain, 10S, Paris, 6*. k EXTRAIT p\j CATALOGUE SCIENCES — MEDECIUP *— HISTOIRE — PHILOSOPHIE ECONOMIE POUTIÇJ>U#—- STATISTIQUE — FINANCES BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE Volumes iO-8, cartonnés à l'anglaise. •j- Demttrs-mtitmes publias .109. LOEB. La dynamique des phénomènes de-la vie, ill. 9 fr. 108. C°* CONSTANTIN*. La râle sociologique de la guerre. 6 fr. 107- LALOY,, Parasitisme et mutuâlisme dans la nature, illustré. 6 fr. 106. COSTANTlN. Le transformisme appliqué à l'agriculture, illustré. ■ x. ,..t 6 fr. F 405. JAVAL. 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Les sens, 5° édition, illustré. ' . 17. BERTHELOT. La synthèse chimique, ift édition. 18. photochimie, ill. 19 et 20. {Êpuist-s.) *» 21. FUCUS. Les volcans et les tremblements de terra, 6* éd. ___ . ________ -,—-,—.—_—M 2 FÉLIX AIX AN, ÉDITEUR ». (Êpuisi.Y 23. A. DR Ol'ATREFAGES. L'espèce humaine, 13* édition. 24. BLASERNA et HELMUOLTZ. Le son et la musique, 5* éd. 29. (Épuisé.) 26. BRUCKE et HELMHOLTZ. Principe» scientifiques de» beaux-arts, 4* édition, illustré. 27. WL'RTZ. La théorie atomique/8» édition. 28-29. SECCHI (Le Père). Les étoiles, 3* édit., 2 vol. illustrés. 80. (Épuisé.) 31. A. BAIN. La science de l'éducation, 10* édition. 32-33. THURSTON.Histoirede la machine à vapeur,3»éd., 2 vol. 3t. (Épuisé.) SS.HEKBEHT SPENCER. Les bases de la morale évolution.* nlsto, 7* édition. 30. TII.-M. HUXLEY. L'eorevisae, I* édition, illustré. 37. DE ROBERTT. La sociologie, 3* édition. 38. O.-N. 1100D. Théorie scientifique des couleurs et leurs applications a l'art et A l'industrie, 2° édition, illustré. 39. (A'/JUIV.) 40-41. CHARLTON-BASTIAN. Le cerveau et la pensée. 2" éd., 2 vol. illustrés. 42. JAMES SULLY. Les Illusions des sens et de l'esprit, 3* éd., iU. 43. (Épuisé.) 44. A. DE CANOOLLE. Origine des plantes cultivée*. 4* édit. 45-40. (Épuisé.) 47. ED. PERR1ER. La philos, zoologique avant Darwin, 3* éd. 48. STALLO. La matière et la physique moderne, 3° édition. 49. MANTEGAZZA. La physionomie et l'expression des sentiments, 3° édit., illustré, avec 8 pi. hors texte. 50. DE MEYER. Les organes de la parole, illustré. 51. DE LANESSAN. introduoUon à la botanique» Le sapin, 2* édit., illustré. 52-53. (Épuisé.) 54. TROUESSART. Microbes, ferments et moisissures. 2° éd., illustré. ' 55. (Épuisé.) 56. SCBMIDT. Les mammifères dans leurs rapports aveo leurs ancêtres géologiques, illustré. * 57. B1NET et FÉRÉ. Le magnétisme animal, 4* éd., illustré. 58-59. ROMANES. L'intelligence des animaux, 3"' éd., 2 vol. 60. F. LAGRANGE. Physiologie des exercices du corps, 8e éd. 61. DREYFUS. L'évolution des mondes et des sociétés, 3* édit. 62. DAUBRÉE. Les régions Invisibles du globe et des espaces célestes. 2e édition, illustré. 63-64. (Épuisé.) 65. RICHET (Ch.). La ohaleur animale, illustré. 66. (Épuisé.) 67. BEAUNIS. Les sensations internes. 68. CARTAILHAC. La France préhistorique, 2^d^Uustfé^_ BIBLIOTHÈQUE SCIENTHTIQUE INTERNATIONALE 3 69. BERTHBLOT. La révolution chimique, Lavolsier.UI.2"éd. 70. J. LUBBOCK. Les sens et l'instinct chez les animaux, ill. 71. STARGKB. La famille primitive. .72. ARL01NG. Les viras, illustré. 73. TOPJNARD. L'homme dans la nature, illustré. 74. BINET. Les altérations de la personnalité. 75. DE QBATREFAGES.Darwinetsesprëourseurs français,2«éd. 76. LEPÈVRE. Les raoea et les langues. 77-78. A. DE QUATREFAGES. Les émules de Darwin, 2 vol. 79. BRUNACHE. La centre de l'Afrique ; autour du Tchad, ill. 80. A. ANGOT. Les aurores polaires, illustré. 81. JACCARD. Le pétrole, l'asphalte et le bitume, illustré. 82. STANISLAS MEUNIER. La géologie comparée, illustré. 83. LE DANTEC. Théorie nonveUe de la vie, 4° éd., Illustré. 44. DE LANESSAN. Principes de colonisation. 88. DEMOOR, M ASSAUT et VANDEHVELDE. L'évolution régressive en biologie et en sociologie, illustré. 86. G. DE MORTILLET. Formation de la nation française, 2" édition, illustré. 87. G. ROCHE. La oulture des mers en Europe, illustré. 88. J. COSTANTIN. Les végétaux et les milieux cosmiques (Adaptation, évolution), illustré. 89. LE DANTEC. Évolution individuelle et hérédité. 90. E. GUIGNET et E. GARN1ER. La céramique ancienne et moderne, illustré. 91. Ë.-M. GELLË. L'audition et ses organes, illustré. 92. STANISLAS MEUNIER. Géologie expérimentale. 2* éd., ill. 93. J. COSTANTIN- La nature tropicale, illustré. 94. E. GROSSE. Les débuta de l'art, illustré. 95. J. GRASSET. Les maladies de l'orientation et 4a l'équilibre, illustré. 96. G. DËMENY. 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La concurrence sociale et les devoirs sociaux, par LE MÊME. • La 'démocratie devant la science, par C. B OUCLE, professeur à l'Université de Toulouse» L'individualisme anarchiste. Max Stirner, par V. BASCH, professeur à l'Université de Rennes. Les applications sociales de la solidarité, par MM. P. BUDIN, CH. GIDE, H- MONOD, PAOLET, ROBIN, SIEGFRIED, BROOAHDEL. Préface de M. LEON BOURGEOIS. La paix et l'enseignement pacifiste, par MM. FR. PASSY, CH. RICHBT, D'ESTOURNBLLBS DE CONSTANT, £. BOURGEOIS, À. WEISS, H. LA FONTAINE, G. LTON. Études snr la philosophie morale au XIX* siècle, par MM. BELOT, A. DARLP, M. BERNES, A. LANDRY, CH. GIDE, E. ROBERTY, B. ALLIER, H. LICHTBNBERGBR, L. BRUNSCHVICG. Enseignement et démocratie, par MM. CBOISBT, DEVINAT, BOITEL, MILLERAND, APFBLL, SEIGNOBOS, LANSON, CH.-V. LANGLOIS. Religions et sociétés, par MM. TH. RBINACH, A. POECH, R.j ALLIER, A. LEROY-BEAUUEU, le B°" CARRA DB VAUX, H. DREYFUS. Essaie socialistes, La religion. L'alcoolisme, L'art, par E. VANDERVBI.DE, professeur à l'Université nouvelle de Bruxelles. Le surpeuplement et les habitations a bon marché, p.ir H. TCROT et H. BELLAHY. L'Individu, l'association et l'État, par E. FOORNIERE. MINISTRES ET HOMMES D'ETAT Chaque volume in-16, % fr. 60 Ôkoubo, ministre japonais, par Bismarck, par H. WBLSCHINGER. Prîm. par H. LBONARDON. M. COURANT. Chamberlain, par Disraeli, par M. COURCELLE. A. VULLATK. LES MAITRES DE LA MUSIQUE ETUDES D'HISTOIRE ET D'ESTHETIQUE . Publiées sous la direction de M. JEAN CHANTAVOISE Chaque volume in-i de $50 pagei environ, 3 fr. 50 Polcsiriua, par M. BRENET. Beethoven, par JEAN CHANTAVOINB. 3* édii. ■eodelssohn, par j'.-S. Bach, par A. PuiR0.2'édit. CAMILLE [ésar Franck, par VINCENT BELLAIGUE. SmcJaiia, par D'IMIT. 3' édit. WILLIAM KITTRR. En préparation : Grétrr, par PIERRE ADBRY. — Irlande de Lassas, par HENRY EXI'IXT. — Wagner, par HENRI LICHTENBERGER. — Berlioz, par ROMAIN ROLLAND. — Hameau, par L. LALOY. — Schubert, par A. 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Dieu et l'âme. 2« édit. A. Cresson. Le malaise de la penséo philos. La morale de Kant. '2' éd. G. Banville. Psychologie de l'amour. 4* édit. L. Danriac. La psyohol. dans l'Opéra français. 'I* Dngas. Psittaoisme et pensée symbolique. La timidité. 4* édit. Psychologie du rira. L'absolu. G. Dumas. Le sourire. Dnnan. Théorie psychologique do l'espace. Dupiat. Les causes sociales de la folie. Le mensonge. Darand (DE GROS). Philosophie morale et sociale. £. Dnrkheim. Les règles de la méthode sooiol.é'éd. E. d'Eichtbal. Cor. des. Millet G. d'Èiohthal. Les probl. sociaux et le sooialisme. BIBL. DE PHILOS. CONTEMP. (FORMAT I>hUtt Encausse (PAPOS). Oocultiame et spiritualisme. 2« éd. A. Espinas. La philos, expérimeut. ea Italie. CIi. Féré. Sensation et mouvement. î*édit. Dégénérescence et crumualité. 4* éd. E. Ferri. Les criminels dans l'art et la littérature. 2" édit. Fierens-Gevaert. Essai «ur l'art contemporain. 2° éd. La tristesse contemporaine. «* éd. Psychol. d'une ville. Bruges. 2° éd. Nouveaux essais sur l'art contemp. Maurice de Fleury. L'âme du criminel. 2° éd. Fonsegrive. La causalité efficiente. A. Foalllée. Propriété sociale et démocratie. Nouv. édit. E. Fournlère. Essai sur l'individualisme. Guuckler. Le beau et son histoire. G. Geley. L'être subconscient. '&« édit. E. Gobtot. Justice et liberté. 2" édit. A. Godfernaux. Le sentiment et la pensée. 2° édit. JT. Grasset. Los limites de la biologie. 5* édit. G. de Grcef. Les lois sociologiques. 3" édit. Guy au. La genèse de l'idée de temps. 2" éd. E. de Hartmann. La religion de l'avenir. 5* édition. Le Darwinisme. 7° édition. B. C. Herekenr&th. Probl- d'esthétique et de morale. Marie Jfaëll. L'intelligence el le rythme dans les mouvement* artistiques. W.a dames. La théorie de l'émotion. 3 édit. Faut dauet. La philosophie de Lamennais. .laiikelcvilcli. } Nature et société. J. Ziaeiielier. Du fondement de l'Induction. 5» éd. I 1» JH"" Lampérièrc. Le rùl6 social de la femme. A. Landry» La responsabilité pénale. Lange. Les émotions. 2* édit. Laple. LA justice par l'État. Gustave Le Bon. Lois psychol.de l'évol. des peuples. 8" éd. Psychologie des foules. 12" éd. Lechalas. Étude sur l'espace et le temps. F. Le Dantcc. Le déterminisme biologique. 2* éd. L'individualité et l'erreur individualiste. 2» édit. Lamarékiens et darwiniens. 2" éd. G. Lefèvre. Obligation morale et idéalisme. Llard. Les logiciens anglais contemporains. 5* édition. Définition) géométriques. 3" édit. H. Ltentenberger. La philosophie de Nietzsche. 10' éd. Aphorisme» et fragment* choisis de Nietzsche. 3* édit. Lombuoso. L'anthropologie criminelle. 5d éd. John l.ubbocb. Le bonheur de vivre. S vol. 10Dôd. L'emploi de la vie. 6° édit. G. Lyon. La philosophie de Hubbos. E. Margucry. L'œuvro d'art et révolution. S' édit. Hlauxfon. L'éducation pari instruction. 2» éd. Nature et éléments de la moralité. vG. Milbaud. Las conditions et les limites de la certitude logique. 8° édit. Le rationnel. Mbsso. La peur. 4" éd. La fatigue intellect, et pays. 5' éd. E. ■lirlsier. Les maladies du sentiment religieua^j^jjdit^ _ 20 A.~Hï*lllc. gÈLra^jCAtVjÈWÏÊ^ HChTRlehëtTr ineet. t* id. ■as îVordivn. Paradoxes psychologiques. 6* éd. Paradoxes sociologiques. 5* édit. Psycho-physiologie du génie et du talent. 4* édit. ÏVovicow. L'avenir do U raae blanche. î« édit. Ossip-I.ont-lé. Pensées do Tolstoï. S* édit. Philosophie de Tolstoï. S» édit. La philos, soo. dans le thé&t.d' Ibsen. Nouvelles pensées de Tolstoï. Le bonheur et l'intelligence. G. Pillante. Précis do sociologie. 3* édit. W.-tt. Putcrsott (SWIFT). L'éternel eoofliL. Paulhan. Les phénomènes nuoelifs. S* édit. J. de Maistre, sa philosophie. Psychologie de l'invention. Analystes et esprits synthétiques. La fonction do la mémoire. ■ J. Philippe. ■ Pioger. L'image mentale. J. PbiUppe et G. PaulBoncour. Les anomalies mentales chez les écoliers. 9* édit. F. FUI on. La philosophie de Charles Seorélan. Le monde physique. Queyrat. L'imagination chez l'enfant. 3* édit. L'abstraction. 2* édit. Les caractères et l'éducation morale. La logique chez l'enfant. 3* éd. Les jeux des enfant*. P. Regnaud. Précis de logique évololiooniste. Comment naissent les mythes. G. Renard. •Le régime socialiste. 6" édit. A. Kéville. Dogme de la divinité de JésusChrist. 4° éd. I Th. Ribot. La philos, de Schop'-nhaner. 11* éd. Le» maladies de la mémoire. 20» éd. Les maladies de la volonté. 94» éd. Les maladies de la personnalité. 13-odiL La psychologie de l'attention. 10* éd. G. Richard. Socialisme et science sociale. 2» éd. Psychologie générale. T* éd. j Dus Roberiy. L'inconnaissable. L'agnosticisme. î* édit. La recherche de l'Unité. Auguste Comte et H. Spencer. 9* M. Le bien »l le mal. Psychisme social. Fondements île l'éthique. Constitution de l'éthique. Frédéric Nietzsche. Roisel. De la substance. L'idée spirilualiste. 2* édit. Roussel-Dcspierres. L'idéal esthétique. Schopeiihaucr. Le libre arbitre. 10* édition. Le fondement de la morale. 0* édit. .'ensops et fragments. SI* édition. Ecrivains et style. Sur la religion. P. Sellier. Les phénomènes d'auloscopie. Herbert Spencer. I ClassiScatioa des soieuces. S* édit. L'individu contre l'Etat. 6* éd. Stnart Mill. Auguste Comte et 1a philosophie positive. 8* édition. L'utilitarisme. 5« édition. La liberté. 3* édit. Sully Pradhomme et Cit. Richct. Le probl. des causes Onales. 4* éd. Timon. L'évol.du droit ot la consc.soo.2' éd. Tarde. La criminalité comparée. 6" éd. Le* transformaUODS du droit. 5* éd. Les lois sociales. 5* édit. Thantin. Éducation et positivisme. S* éd. P.P. Thomas. La suggestion, son râle dans l'éducnliou intellectuelle. 4' édit. Morale et éducation. 2* éd. Tissié. Les rêves. 2" édit. H Wundt. Hypnotisme et suggestion. 2* édit. /etler. Christ. Banr 01 l'école de Tubingue. Th. Zlcgler. La question sociale est une que** __Uon_jno^alei_3^_éd1__ BIBL. DE PHILOS. CONTEMP. (FORMAT 1N-8) 21 VOLUMES IN-8. 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Le langage intérieur et les parapbaaio*. 5 fr. E. Sanz y Escai'tin. L'individu et la réforme sociale. 7fr. 50 Scliopenliauer. Aphorisincs sur la sagesse dans la vie. 9" éd. 5 fr. Le monde comme volonté et représentation. 3« éd. 3 vol. 22 fr. 50 SéaiUes. Ess. sur le génie dans l'art. 2'éd. 5fr. Philosopb. de ReoouVier. 7 fr. 50 Sigbele. La foule criminelle. 2* édlt. 5 fr. Sollier. Psychologie de l'idiot et de l'im bécile. 2? éd. . 5fr. Le problème do la mémoire. 3 fr. 78 Le mécapisme des émotions. 5 fr. Souriau. L'esthétique du mouvement. 5 fr. La suggestion dans l'art. 5 fr. La beauté rationnelle. 10 fr. Spencer (Herbert). Les premiers principes. 9'éd. 10 fr. Priucipos depsycnôIogle^voLSOfrj I Priucip. de biologie. 5*éd. 3 v. 80 fr. Princiu.de sociol. 5 vol. 43fr. 75 I. Donnée» de la sociologie, 10 fr. — II. Inductions de la locletogU. Jtclmioiis ilûincsiii/ucsi 7- fr. KO. — III. Institution! ttrtiiionielltx. et , politii/ucu. l.'l fr. — IV. imlltutiont ecclésiastiques, 3 tt. 73. — V. Institutions /-rafcsiionneiles, 1 fr. (10. Justice 3« éd. 7 fr. 50 Le râle moral de la bienfaisant». 7fr.50 La morale des différents peuples. 7fr. 50, Problèmes de morale et de socio logie. «• éd. 7 fr. 50 Essais sur le progrès. 5" éd. 7 fr. 50 Essais de politique. 4' éd. 7 fr. 50 Essais scientifiques. 3* éd. 7 fr. 50 De l'éducation physique, intellec tuelle et morale. 13° édit. 5 fr. P. Slapfer. Questions esthétiques et religieuses. 3fr.75 Sleln. La question sociale au point de vue philosophique. 10 fr. Stiiart niU. Mes mémoires. 5° éd. 5 fr. Système de logique déductive et induclive. 4* édit. 8 vol. 20 fr. Essais sur la religion.4* édit. 5 fr. * •Tantes Sully.!----------- ■ ----*Le pessimisme. 2* éd. Etudes sur l'enfanoe. 7fr. 50 10 fr. pfr. 50 Sully Pruilliiiiiiiiie. La vraie religion selon Pascal. 7fr. 50 G. Tarde. La logique sociale. 3* édit. 7 fr. 50 Les lois de l'imitation. 5* éd. 7 fr. 50 L'opposition Universelle.a 7 fr. 50 L'opinion et la foule. 3 édit. 5 fr. Psychologie économique.2 vol. 15 fr. En. Tardieu. L'ennui. 5 frjjS P.-Féllx Thomas. ' L'édoe. des sentiments. 4* éd. 5 fr. Pierre Leroux. Sa philosophie. 5fr. Et. Vaeherot. Estais dephilosophieoritiqoe.7fr.50 La religion. 7 fr. 50 L. Weber. Vers le positivisme absolu par l'idéalisme. HTÏllSnBB Essai sur le rirfc^ 26 FEUX ALCAN, ÉDITEUR ÉCONOMIE POLITIQUE - SCIENCE FINANCIÈRE JOURNAL DES ÉCONOMISTES BEVUE MENSUELLE DB LA SCIENCE ECONOMIQUE ET DE LA STATISTIQUE Fondé en 1841, par G. GUILLAUMIN Parait le 15 de chaque mois par fascicules grand in-8 da 10 à 18 feuilles (180 à 193 pages). RÉDACTEUR EN CHEF : H. G. DE MOLINARI Correspondant de l'Institut. CONDITIONS DE L'ABONNEMENT .: France et Algérie : UN AN..,............ 86 fr.; Six MOIS .............. 18 fr„; Union postale : UN AN ___ ........;.,. 38 fr.; Six MOIS ............... 80 fr. LE NUMERO.......................... 3 fr. 50 Les abonnements partent de Janvier ou de Juillet. . ,jJQ NOUVEAU DICTIONNAIRE D'ÉCONOMIE POLITIQUE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION DE M. LÉON SAY et de M. JOSEPH CHAÏLLEY-BEHT Deuxième édition. 3 vol. grand in-8 raisin et an Supplément : prix, brochés ............. 60 fr. — — demi-reliure chagrin .............................. 68 fr. COMPLETE PAR 3 TABLES : Tables des auteurs, table méthodique et table analytique. Cet important ouvrage peut s'acquérir en envoyant un mandat-poste de 20 fr., an reçu duquel est faite l'expédition du livre, et en payant le reste, soit 40 fr-, en quatre traites de 10 fr. chacune, de deux mois en deux mois. (Pourrecevoir Fouvrage relié ajouter S fr. aupremier paiement). DICTIONNAIRE DU COMMERCE DE L'INDUSTRIE ET DE LA BANQUE DIRECTEURS : MM. Yves GUTOT et Arthur RAPPALOVICH 3 volumes grand iu-8. Prix, brochés......................... >......,,.... 50 fr. 58 fr. Cet important ouvrage peut s'acquérir en envoyant un mandatposte de 10 fr., au reçu duquel est faite l'expédition du livre, et en payant le Teste, soit 40 fr., en quatre traites de 10 fr. chacune, de deux mois en deux mois. (Pour recevoir l'ouvrage relié ajouter 8 fr. aupremier paiement.y COLLECTION ODILLAUMIN 2|_ COLLECTION DES PRINCIPAUX ÉCONOMISTES Enrichie do commentaires, de notes aiplicilites et de notices historiques MALTHUS Essai sur le prlnolpa de population. Intraduction, par Rossr, de l'Institut. 3" édition. 1 roi. grand in-8. ,. ............................................ 10 fr. MÉLANGES (ln PARTIE) David Hume. Etiai sur le commerce, le luxe, Forgent, les impôt», le cré dit public, sur la balance du commerce, la jalousie commerciale, ta, population des nations anciennes. —> V. de Forbonnais- Principes éco nomiques. — Condlllao. Le commerce et le gouvernement. — Condorcet. Lettres d'un laboureur de Picardie à M. N*" (Neckor). — Réflexions sur l'esclavage des nègres. — Réflexions sur la justice criminelle. — De l'influence de la révolution d'Amérique sur l'Europe. — De l'impôt progressif. — Lavoisier. De la richesse territoriale du royaume de France. — Franklin. La science du bonhomme Richard et ses autres opuscules. 1 vol. grand in-8...................................................... 10 fr. MÉLANGES (2* PARTIE) Neoker. Sur la législation et le commerce des grains. — L'abbé Dallant. Dialogues sur le commerce des blés avec la Réfutation de l'abbé Morellet. — Montyon. Quelle influence ont les diverses espèces d'impôts sur la moralité, l'activité et l'industrie des peuple* f — Bentham. Défente de l'usure. 1 vol. gr- in-8..................................................... . . 10 fr. RICARDO Œuvres complètes. Les œuvres de Ricardo se composent : 1» des Prin cipes de l'économie politique et de l'impôt. — 9» Des ouvrages ci-après : De la protection accordée à l'agriculture. •— Plan pour tétablissement d'une banque nationale. ~% Essai sur l'influence du bas prix des blés sur les profits du capital. — Proposition pour l'établissement d'une cir culation monétaire économique et sûre. — Le haut prix de» lingot» est une preuve de la dépréciation de» billet» de banque. — Essai sur les emprunts publics, avec des notes. 1 vol. in-8 ....................... 10 fr. J.-B. SAT Cours complet d'doonomle politique pratique. S vol. grand in-8. 90 fr. J.-B. SAT Œuvres diverses : Catéchisme d'économie politique. — Lettre» à JUalthu» et correspondance générale. — Olbie. — Petit volume. — Frag ment» et opuscule» inédits. 1 vol. grand in-8 ................ «,■ • 10 fr. ADAM SMITH Recherches sur la nature et les causes de ta richesse des nations, traduction de G. GARNUH. 5* édition, augmentée. 2 vol. in-8. .. ,^1 fcfc__ 28 ^EW_AtC/mj^6l5EËëa.- COLLECTION DES ECONOMISTES | ET PUBUCISTES CONTEMPORAINS FORMATJÎtS.. ANTQ1NE (Ch.). Cpurs d'économie sooiale. et augmentée 1 vol. in-8. .,.,..', #i. . . ..'.-. . »ÏV ,r, 9 fr. ARNAUNÉ (Aug.), directeur de la Monnaie. La monnaie, le crédit et le change. 1 vol. in-8. 3* édition, revue et augmentée, 1006. ... 8 fr. BANFIELD, Professeur à l'Université de Cambridge. Organisation de l'industrie, traduit sur la 2* édition, et annoté par M. EMILE THOMAS. 1 roi. in-8. . . SV . .,........................................... . ...................... 6'fr. i BASTIAT. Œuvres complètes en 7 volumes in-8 (vélin) ..............35 fr. (Voir détails page 30, édition in-lS). BAUDR1LLART (H.), de l'Institut. Philosophie de l'économie politique. Des rapports de l'économie politique et de la morale. Oeu.xièm» édition, revue et augmentée. 1 vol. in-S. . . . . fJ?- - . .*,?. 9 fr. BLArïQUI, de l'Institut. Histoire de l'économie politique en Europe, depuis les anciens jusqu'à nos jours, 5' édition. 1 vol. in-8. . . 8 fr. BI.OCK (M.), de l'Institut. Les progrès de la soience économique depuis ADAM SMITH. 2* édit. augmentée. 2 vol. in-8 . . . . . .... 16 fr. BLUNTSCHLI. Le droit International codilié. Traduit de l'allemand par M. C. LARDV. 5* édition, revue et augmentée. 1 vol. in-8. ... 10 fr. — Théorie générale de l'Etat, traduit de l'allemand par M. DE RIEDWATJ TEM. 3" édition. 1 vol. in-8.. . . ;|» . . . . ■,', . -."•.-■.''ï .v .• 9 fr. COLSON (G.), ingénieur en chef des ponts et chaussées. Cours d'économie politique, professé s- l'École nationale des ponts et chaussées. 3 vol. grand in-S. ........................................ . . . . 56 fr. — Tome 1. Le» phénomènes économiques. Le travail et les questions ouvrières.. . . . . . . . . . . . , . . . . . . , .............................................10 fr. — Tome II. La propriété des biens. Le commerce et la circulation. 10 fr. — Tome III. 1" partie. Les finances publiques et le budget de la France .-". . 2........................................................ 6 fr. COURCELLE-SENEU1L, de l'IostUot, Traité théorique et pratique d'économie politique. 3« édition, revue et corrigée- 3 vol. in-18, 7 fr. _ Traité théorique et pratique des opérations de banque. Neuviètne édition, 'Menue et mise d jour, par A. LIESSE, professeur au Conserva toire des arts et métiers, i vol. in-8...............................,:'i j.,. 8 fr. 1 COURTOIS (A.). Histoire du banques en France- 2* édition. 1 vol. in-8. '."•?"'. '. . '."'« • '. . . ................................................... . 8 fr. 50 EICHTHAL (Eugène d'), de l'Institut. La formation des richesses et ses conditions sociales actuelles, note* d'économie politique. . . 7 fr. 50 FAUCHER (I..), de l'Institut. Études sur l'Angleterre. 2° édition augmentée, î forts volumes in-8. . . . . . . . . . .-. T"? . : ;. .- '6 fr. — Mélanges d'économie politique et de finances. 2 forts vol. in-8. 6 fr. FIX (Th.). Observations sur l'état <les classes ouvrières. Nouvelle édi tion. 1 vol. in-8................... ...................... ;V|i . . . . . . . 5 fr. QARNIER (J.), .de l'Institut. Dn principe de population. 2? édition, i vol. __jn£8 avec portr»^ ^^•^T%^5?LiVLi_ïiî^~3S^Lj^^_^'' fr. 'ECONOMISTES ET PUBLICISTES CONTEMPORAINS 2> GROTIUS. Le droit de la guerre et de la pais. Nouvelle traduction. 3 roi. in-8. .' »s , ,>; .■;/.-.................................... . . . jy . . . 18 fr. 50 HATJTEFE0tt.LE. Des droits et des devoirs des nations neutres en temps de guerre maritime- 3* édit. refondue. 3 forts vol. in-S. 23 fr. 50 — Histoire des origines, des progrès et des variations du droit mari time international. 2* édition. 1 vol. in-8 ............................ . ... 7 fr. 50 DAVERGNE (L. de), de l'institut. Les économistes français du dix-hui tième siècle. 1 vol. in-8..................................... ï» «..».,,. 7 fr. 50 ' — Essai sur l'économie rurale de l'Angleterre, de l'Ecosse et de l'Irlande. 5* édition. 1 vol. in-8 avec portrait. . • (,. . •» ft. ..... S fr. 50 | LEROY-BEAUMEU (P.), de l'Institut. Traité théorique et pratique d'éco nomie politique. 3° édition. 4 vol. in-8. ...............................................30 fr. — Traité de la science des finances. 7* édition, revue, corrigea et , 'augmentée. 2 forts vol. In-8. . . ,, . . . . . ..................................... 25 fr— Essai sur la répartition des richesses et sur la tendance-& une moindreinégalité des conditions. 3" édit., revue et corrigée. 1 vol. in-8. » fr. — Le collectivisme, examen critique du nouveau socialisme. 4" édition, revue et augmentée d'une préface. 1 vol. in-8. . . . . An» .j* 9 fr»— De la colonisation ohes les peuples modernes. 6' édition. S vol. in-8 . . . 1,'V; ,.-..,.. .: r.« ............................16 fr. \ — L'état moderne et ses fonctions. 3» édition. 1 vol. in-8. . . . 9 fr. LIESSE (A.), professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Le travail aux pointu de vue scientifique industriel et social, i vol. | in-8,. . . . ; 7', . ■A ■ ...... . . .'.7, , . .,5*. 7 fr. 50 ; MORLBY (John). La vie de Richard Cobden, traduit par SOPHIE RAFFA-W)VICH. 1 vol. in-8. . . . xL, .... W•' ••;■* • «y ..-. • V"U- S fr. *| NEYMARCK (A.). Finances contemporaines. — Tome I. Trente annéesfinancières 1872-1901. 1 vol. iir-8, 7 fr. 50. — Tume II. Le* Budget» 18721903. 1 roi. in-8, 7 fr. 50. — Tome III. Questions économiques et financières ltTt-1904. 1 vol. in-8, 10 fr. — Tomes IV-V : /.'obsession fiscale, questions fiscales1, propositions et projets relatifs aux inipits depuis 1871 jusqu'à nos jours. «2 vol. in-8 (1907). . . . . . . . 15 fr. ! PASSY (H.), de l'Institut. Des formes de gouvernement et des lois gui les régissent. 9* édition. 1 vol. in-S. ..... .,'.*. . . 7 fr. 50' PRAD1ER-FODERÉ. Précis de droit administratif. 7* édition, tenue au courant de la législation. 1 fort vol, in-8*. .,i/ . . . . .... 10 fr. RAFFAJLOVICH (A.). Le marché financier. France, Angleterre, Allemagne,. Russie, Autriche, Japon, Suisse, Italie, Espagne, États-Unis. Questions 1 monétaires. Années 1894-1895. 1 vol. 7 fr. 50; 1895-1896.1 roi. 7 fr. 50; 18961897. 1 vol. 7 fr. 50; IS97-1898 à 1901-1902, chacune 1 vol. 10 fr. 1902-1903 à 1006-1907, chacune 1 vol. ... J^. ...... . 18 fr. ' RICHARD fA.). L'organisation colectlve dn travail, essai sur la coopération de main-d'œuvre, le contrat collectif et la sous-entreprise ouvrière, préface par Yves GUYOT. l vol. grand ïn-S. . . . ^,a... . . 6 fr. ROSSI (P.), de l'Institut. Cours d'économie politique, revu et augmenté- ' de leçons inédites. 5* édition. 4 vol. in-8. ......................#-...,. 15 fr. — Cours de droit constitutionnel, professé à la Faculté de droit de Paris, recueilli par M. A. Posés. 8* édition. 4 vol. in-8. . . ,'. . . 15 fr.' STOORM (R-), d'e l'Institut, professeur k l'École libre des sciences politiques. Cours de finances. Le budget, son histoire et son mécanisme. 5* édition. 1 vol. in-8. . .•*: . *SÇ ................................... 10 fr. — Les systèmes généraux d'impôts. 2* édition révisée et mise an courant. 1 vol. in-8.............................................. • . . «f-»* ... 9 fr. VIGNES (Edouard). Traité des impôts en France. 4" édition, mise au courant do la législation, par M. VEHGNMUD. 8 vol.,in-S. . . . 16 fr. PBJX DE CHAQDÈ VOLUME IN-32, OBNÉ D'UJI.PORTHAIT - Cartonné"tollé, ... , ;,-..*. ',': ;. 2 fr. 30 ' XVIII*. VOLUMES PUBLIÉS , 1,-— VA1ÎIBAN. r— Dîme royale, par G. MICHEL. PETITE BIBLIOTHÈQUE ÉCONOMIQUE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE PUBLIEE SOUS LA DIRBCTIÔH DE H. J. CHAILLEÏ-BBKTV Jfc II. — BENTHAM. — Prlnoipea de Législation, pu M"* R**FAL0vic«1f <vÏ9î .«*■ HUÎfE..— Œuvre- économique, par Léon iajf.. t *J. iV; ^-i- 'j.-By'^.Y. — Economie politique, par H. 8AoWu.iEii??ifo l'Institut. V. —» ADAM SMITH. —: Richesse des Hâtions, par •CouRCEitE-SÈNEtnL, 4 «tâKlDBtiLut. Vt.'S SULLY. — Economies royales, par M„.3yÛHAiLLEY-BERT. J*- il' \ | ' * -VIL *-Rl(^KOO.^-Rentes,..SalaitesetJrrtSUj>arM.*P. BEAUBEOABP, <âe JUnsUlulfr T*L .--"■ .?..* vmf.~ TBRGOT/'"— Administration* et Œttwres économiques, p*r TU. L..,koBrN'ÉjC[;. .^ . I js. IX. -«■ JOIIN-ST0AHt. MIEL. — Principes d'économie politique, par W M.' &'■ RoQÛET. '\ -i X. — MALTytFS- (-.Essai sur le principe de population, par, M. O. *, île. MoLUi-du. ■ ^**£? X/f'. —"BASTIAT. -^Œuvres choisies, car î£, de 'ifâfiujs,, de l'Institut. U'- ' XII. — FOtelEB. — Œuvres choisies, par M. Ch„G«E. .. xlii."— Y, LE Pùffît. — Économie sociale, pur.~M. J$.f AUEUMTIN. XU*T — "COBDEN..— ligue contre les lois, Céréales et Discours politiques, par Léoii SAY, de l'Académie française. •XV,.— KARL MARX. | Le Capital, par M. VILBFREDO PABETO. I Statistique 1 XVI? —. EAVOISIER . -• agricole et projets de réformes, par MM. SCHELLE et Ed.»GniMAUx, de l'In stitut. XVII. — LÉON SAY. —'Éfljerté du Commerce, flBances publiques, par M. J. CiiAnXEY-BEBT. XVIII. — QUÊSNAY. — La Pnysiocratie, par M. $£ves Gtnof Chaque volume est précédé d'une introduction et d'une étude biogra-,pnique, bibliographique et critique sur choque auteur. 1132-07. — Coulftmmicrs. Inp.'Paol BH0PAB.D. — 9rOZ. 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