Apports de la génétique au diagnostic des troubles du spectre

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Apports de la génétique au diagnostic des troubles du spectre
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2016) 64, 395—401
Disponible en ligne sur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
MISE AU POINT
Apports de la génétique au diagnostic des
troubles du spectre autistique
Genetic approaches in autism spectrum disorders
C. Demily a,∗, M. Assouline b, N. Boddaert c, G. Barcia d,
C. Besmond e, A. Poisson a, D. Sanlaville f, A. Munnich g
a
Centre de dépistage et de prises en charge des troubles psychiatriques d’origine génétique,
centre de neuroscience cognitive, UMR 5229, CNRS et université Claude-Bernard Lyon 1,
centre hospitalier le Vinatier, 69677 Bron cedex, France
b
Association l’Élan Retrouvé, 75009 Paris, France
c
Inserm U1000, service de radiologie pédiatrique, institut Imagine,
hôpital Necker—Enfants-Malades, université Paris-Descartes, 75014 Paris, France
d
Département de neurologie pédiatrique, centre de référence épilepsies rares,
hôpital Necker—Enfants-Malades, 75014 Paris, France
e
Laboratoire de génétique translationnelle, Inserm UMR-1163, institut Imagine, 75014 Paris,
France
f
Laboratoire de cytogénétique, centre de recherche en neurosciences de Lyon, centre de
référence des anomalies du développement, Inserm U1028, UMR CNRS 5292,
université Claude-Bernard Lyon 1, 69000 Lyon, France
g
Inserm UMR-1163, institut Imagine, hôpital Necker—Enfants-Malades,
université Paris-Descartes-Sorbonne, 75014 Paris, France
MOTS CLÉS
Troubles spectre
autistique ;
Déficience
intellectuelle ;
Phénotype
comportemental ;
Génétique ;
Syndromes
microdélétionnels ;
CGH Array ;
Panel de gènes ;
∗
Résumé La génétique des troubles du spectre autistique (TSA) a longtemps été limitée à
une approche relevant purement de la recherche et peu de cliniciens en percevaient l’intérêt
concret pour leurs patients. L’arrivée des nouvelles techniques moléculaires a révolutionné la
génétique des TSA et cette approche fait aujourd’hui partie de la pratique clinique courante.
En effet, il est désormais possible de poser un diagnostic étiologique et de proposer dans de
nombreux cas un conseil génétique singulier pour une famille. Le travail de lien mené depuis
les années 1990 entre le service de génétique de l’hôpital Necker à Paris et l’association l’Élan
Retrouvé a permis de déployer un vaste programme de diagnostic étiologique des TSA comprenant trois niveaux d’approche : standard (recherche des anomalies de l’X et caryotype de haute
résolution ou CGH Array), avancé (puces de reséquençage ou panel de gènes) et de recherche
(exome). La combinaison de ces trois approches permet de poser un diagnostic étiologique
dans 35 à 40 % des TSA, la plupart des remaniements retrouvés étant de novo, c’est-à-dire non
Auteur correspondant.
Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (C. Demily).
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2016.07.002
0222-9617/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
396
C. Demily et al.
Exome ;
Mutations de novo
hérités des parents. Il n’est donc pas exclu de penser qu’un jour, chaque enfant bénéficiera
d’un diagnostic et recevra un traitement médicamenteux personnalisé. Le fait de poser un
diagnostic permet de comprendre les symptômes présentés par l’enfant mais s’avère aussi
souvent un immense soulagement pour les familles.
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Abstract The genetics of autism spectrum disorders (ASD) has long been limited to a research
approach and few clinicians perceived the concrete interest for their patients. The arrival of
new molecular techniques has revolutionized genetics of ASD and this approach is now part of
routine clinical practice. Indeed, it is now possible to determine an etiologic diagnosis and in
many cases to offer a unique genetic counseling for families. The work conducted since the
1990s between the genetics department of Necker Hospital in Paris and the association ‘‘l’Élan
Retrouvé’’ helped deploy a broad ASD etiologic diagnosis program. This program includes three
levels of approach: standard (searching abnormalities of the X chromosome and high resolution
karyotype — CGH Array), advanced (gene panel testing) and research (exome sequencing). The
combination of these three approaches helps to diagnose a rare genetic disease in 35 to 40%
of ASD. The majority of the found mutations or rearrangements occurs de novo and is not
inherited from the parents. It is not excluded that one day, every child will receive a diagnosis
and a personalized treatment. Having a diagnosis leads to understand the symptoms presented
by the child. It is also a huge relief for families.
© 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Autism spectrum
disorders;
Intellectual
deficiency;
Behavioral
phenotype;
Genetics;
Microdeletional
syndromes;
CGH Array;
Gene panel;
Exome sequencing;
De novo mutations
Introduction
Les troubles du spectre autistique (TSA) sont associés à une
altération du fonctionnement cognitif comprenant :
• des troubles des interactions sociales ;
• des troubles de la communication ;
• des comportements stéréotypés et des intérêts restreints.
Cette triade, décrite par Lorna Wing [1], s’observe dans
la petite enfance parfois après une phase de développement normal (on parle alors de régression). Les premières
descriptions cliniques des TSA remontent aux années 1940.
Leo Kanner en 1943 [2] aux États Unis et Hans Asperger [3]
en 1944 en Autriche ont fourni les premières descriptions
de l’incapacité innée de construire des liens affectifs avec
autrui.
Les études épidémiologiques menées dans les TSA
révèlent une prévalence de 1 % de la population générale
[4] avec une atteinte préférentielle des garçons (sex-ratio
de 4/1, de 6/1 pour le syndrome d’Asperger). Cette prévalence a fortement augmenté ces dernières années alors
qu’une distinction claire est faite entre les symptômes qui
rentrent dans le cadre des TSA et ceux qui relèvent de
la déficience intellectuelle [5]. Des critères diagnostiques
moins restrictifs, l’augmentation de l’âge parental, des
facteurs environnementaux tels que la prise de certains
traitements durant la grossesse ou les conséquences de
la pollution pourraient être des facteurs explicatifs de
l’augmentation du nombre de personnes atteintes [6].
En pratique pédopsychiatrique, le diagnostic de TSA est
basé sur un entretien avec les parents : l’ADI-R (Autism
Diagnostic Interview-Revised, [7]) et sur une évaluation de
l’enfant, l’ADOS basée sur des jeux impliquant la réciprocité
afin de juger de la qualité des relations interpersonnelles
(Autism Diagnosis Observation Schedule, [8]).
La génétique de l’autisme a longtemps été limitée à
une approche relevant purement de la recherche et peu
de cliniciens en percevaient l’intérêt concret pour leurs
patients. En effet, la plupart des données portaient sur
de vastes cohortes et ne mettaient en évidence qu’un facteur de risque statistique, peu interprétable pour un enfant
donné. L’arrivée des nouvelles techniques moléculaires a
révolutionné la génétique de l’autisme et cette approche
fait aujourd’hui partie de la pratique clinique courante. En
effet, il est désormais possible de poser un diagnostic étiologique et de proposer dans de nombreux cas un conseil
génétique singulier pour une famille.
Les TSA : une composante génétique
majeure
Les études de familles, de jumeaux et d’adoption ont fourni
de très nombreuses données concernant l’épidémiologie
génétique des TSA qui pourraient être considérées comme
l’une des pathologies neurodéveloppementales les plus
influencées par des facteurs génétiques.
Le risque de présenter la maladie pour un apparenté du
premier degré est 5 fois supérieur à celui de la population générale [9]. Le risque est également majoré en cas
de consanguinité, ce qui est un argument en faveur de
formes autosomiques récessives de la pathologie. Le taux
Apports de la génétique au diagnostic des troubles du spectre autistique
de concordance pour la maladie atteint 80—90 % chez les
jumeaux monozygotes mais est de 20 % chez les jumeaux
dizygotes [10]. Il est intéressant de constater que la concordance entre les jumeaux monozygotes n’est pas de 100 %
(il est également observé le même phénomène dans la
schizophrénie). Le phénotype « autisme » résulte donc probablement d’un système d’expression complexe incluant
des facteurs génétiques, épigénétiques, environnementaux
et/ou stochastiques (c’est-à-dire résultant de combinaisons
aléatoires).
Les TSA pourraient ainsi correspondre dans certains
cas à une maladie à hérédité complexe. Ce modèle correspond à celui d’autres pathologies comme le diabète
ou l’hypertension. C’est-à-dire qu’un même gène de susceptibilité peut avoir des effets multiples (pléiotropie)
et certaines interactions géniques peuvent être additives
(chaque gène intervient dans la maladie), ou au contraire
épistatiques (un gène n’intervient dans l’expression de la
maladie qu’à la condition qu’un autre gène soit déjà intervenu au préalable). Les mutations présumées causales de
la maladie sont donc très variables : en taille, en fréquence et en manifestations phénotypiques. Ces mutations
ont un caractère de novo, c’est-à-dire qu’elles résultent
d’anomalies durant la gamétogenèse et ne sont pas héritées
des parents.
La Haute Autorité de santé a publié en 2010 des recommandations sur la conduite à tenir médicale face à un
tableau de TSA. Un examen neuropédiatrique complet doit
être systématique, associé à un examen visuel, auditif et
métabolique. Il est également important qu’une consultation soit organisée auprès d’un généticien avec la réalisation
d’un caryotype de haute résolution.
Le travail de lien mené depuis les années 1990 entre
le service de génétique de l’hôpital Necker à Paris et
l’association l’Élan Retrouvé montre l’intérêt de cette
approche. Un vaste programme de diagnostic étiologique
des TSA a pu être déployé sur les différents hôpitaux de jour
de l’association. L’originalité de ce partenariat réside tout
d’abord en l’organisation de consultation de génétique sur
site. C’est en effet le généticien qui vient à la rencontre de
l’enfant et de sa famille dans son milieu habituel. Dans un
premier temps de la rencontre, la démarche est expliquée
à la famille. L’enfant est ensuite examiné soigneusement au
plan pédiatrique général et neuropédiatrique. La réalisation
d’examens complémentaires est rarement une urgence dans
ce cas et la plupart des prélèvements peuvent être différés
et réalisés au rythme du souhait de l’enfant et de sa famille.
Un troisième temps de cette approche est la restitution des
résultats.
La rencontre d’un généticien dans le contexte d’un hôpital de jour de pédopsychiatrie a pour objectif de répondre
à 4 questions :
• s’agit-il d’une forme isolée ou syndromique de TSA ?
• s’agit-il d’une forme familiale ou sporadique ?
• s’agit-il d’une forme déficitaire ou non ?
• s’agit-il d’un syndrome génétique connu ?
Pour pouvoir répondre, trois niveaux d’approche sont
proposés : standard, avancé et de recherche. L’approche
standard et systématique comprend, outre les investigations génétiques, la réalisation d’une IRM encéphalique
et d’un EEG avec rythme veille/sommeil. La réalisation
397
d’IRM systématiques chez les enfants porteurs d’un autisme
a révélé des anomalies morphologiques fréquentes [anomalies du lobe temporal : 34 % (pour revue : [11]), de
la substance blanche : 25 % et dilatation des espaces de
Virchow-Robins : 7 %], avec possiblement l’existence d’un
effet genre [12]. Un bilan métabolique doit être systématiquement proposé bien que celui-ci ait le plus souvent une
faible rentabilité. Cependant, le fait de poser un diagnostic
de maladie héréditaire du métabolisme révolutionne
parfois le pronostic, notamment lorsqu’un traitement
étiologique est disponible, par exemple dans les syndromes
de déficit en créatine ou dans les troubles du cycle de
l’urée.
Approche standard : recherche des
anomalies de l’X et recherche des
variations du nombre de copies ou CNV
(copy number variations) par le caryotype
moléculaire de haute résolution (CGH
Array)
Recherche des anomalies liées à l’X
En raison de la prédominance masculine des TSA, le chromosome X a très tôt fait l’objet d’attentions particulières
dans la démarche diagnostique.
Le syndrome de l’X fragile (causé par l’expansion de la
répétition CGG en amont du gène FMR1 — Fragile mental
X retardation 1 — et en aval de son promoteur sur le chromosome X, la prémutation étant héritée de la mère) et le
syndrome de Rett ont été les premières affections monogéniques associées aux TSA.
Le syndrome de Rett (prévalence de 1/10 000), il se
caractérise de manière quasi pathognomonique par la disparition (entre 6 et 30 mois) des mouvements coordonnés de
la main avec apparition de mouvements stéréotypés (battements, claquements, torsion, tapotements, automatisme
des mains à la bouche. . .). Les troubles de la communication et le retrait social apparaissent dans la petite
enfance avec une altération importante du langage mais
des phénotypes plus atténués ont été décrits. Ce syndrome atteint préférentiellement les femmes puisque les
formes masculines sont le plus souvent très sévères avec
un polyhandicap qui aboutit souvent au décès précoce
de l’enfant. Des mutations du gène MECP2 (methyl-CpG
binding protein 2 — situé sur le bras long du chromosome X) sont impliquées dans la survenue du syndrome
mais aussi de certaines formes de déficience intellectuelle,
d’encéphalopathies ou de syndrome d’Angelman atypique
[13].
Recherche des variations du nombre de
copies
Les formes syndromiques de TSA peuvent aussi être
liées à la présence d’une variation du nombre de copies
de l’ADN (CNV pour copy number variation) pénétrant,
et/ou au dysfonctionnement d’un gène donné. Les CNV
sont des remaniements génétiques rares (moins de 1 %),
398
qui correspondent à des délétions ou des duplications
de taille variable, le plus souvent non visibles sur un
caryotype standard. Ces variations intéressent un nombre
variable de gènes en fonction de leur taille. La forte
homologie de séquence des répétitions segmentaires
peut en effet provoquer des recombinaisons homologues
non alléliques à l’origine de délétions et de duplications
récurrentes.
La CGH Array (également appelée caryotype moléculaire
ou analyse chromosomique sur puce à ADN ou encore hybridation génomique comparative) qui permet l’étude des CNV
(dont la taille peut être très petite en fonction de la résolution de la puce) a constitué un premier pas vers une
mise en évidence plus fine des mécanismes génétiques responsables des TSA et correspond à une étape standard de
recherche diagnostique. La CGH array repose sur une technique d’hybridation génomique comparative. Des séquences
génomiques (ADN) du patient et d’un témoin sont marquées
par un fluochrome : ces fragments sont appelés « sondes ».
L’ADN du patient est généralement marqué par un fluorochrome émettant dans le rouge. L’ADN du témoin est quant
à lui marqué par un fluorochrome émettant dans le vert.
Ces fragments d’ADN rouge et vert sont co-hybridés en
compétition sur des lames de verres sur lesquels sont déposées des fragments d’ADN correspondantes à des régions
du génome. Un rapport d’intensité de fluorescence est calculé pour chaque région du génome testé. Un traitement
statistique des données est ensuite réalisé grâce à des logiciels dédiés. Le ratio d’intensité des deux fluorochromes
au niveau d’une région génomique donnée aura une valeur
théorique proche de 1 (2 copies pour le patient en rouge et
2 copies pour le témoin en vert : 2/2 = 1). En cas de délétion (perte d’une copie), ce rapport théorique sera de 0,5
(1 copie chez le patients versus deux chez le témoin) et de
1,5 en cas de duplication (1 copie de plus : 3 copies chez le
patient versus 2 copies chez le témoin). Les résultats sont
donnés sous forme graphique où un « point » correspond à la
valeur du ratio d’intensité de fluorescence au niveau d’une
région du génome. L’ensemble des « points » est positionné
le long d’un idéogramme représentant un chromosome. En
France, le réseau AChro-Puce permet de fédérer chaque
plateau technique avec CGH Array, d’avoir accès à la bibliographie concernant les puces à ADN et à diverses ressources
et documents utiles (http://www.renapa.univ-montp1.fr).
Nous sommes tous porteurs de CNV [14]. Les CNVs sont
classés à l’aide des bases de données internationales en CNV
pathogène, CNV polymorphe (fréquent dans la population
et sans conséquence phénotypique) et CNV de signification
inconnue dans l’état actuel des connaissances (on parle
alors de VOUS). C’est dans ce dernier cas qu’il est nécessaire de rechercher ce CNV chez l’un des parents afin de
savoir si il est hérité ou de survenue de novo afin de donner des arguments supplémentaires pour conclure quant à
sa pathogénicité, le caractère de novo étant en faveur de la
pathogénicité du CNV.
Les stratégies d’étude des CNV ont révélé qu’une large
délétion ou duplication rare mais très pénétrante pouvait
entraîner un autisme syndromique dans 25—30 % des cas,
ce taux correspond donc à la rentabilité diagnostique de
l’approche standard. La présentation clinique est alors souvent atypique, associée à des éléments dysmorphologiques
et/ou une déficience intellectuelle.
C. Demily et al.
À titre d’exemple, la microdélétion 22q11.2 est le syndrome microdélétionnel le plus fréquent dans la population
générale : 1/4000 naissances [15]. Il s’agit d’une affection
polymalformative associant de manière variable : une
cardiopathie congénitale du type conotroncale, une dysmorphie faciale, des troubles cognitifs hétérogènes allant
parfois jusque la déficience intellectuelle, une hypoplasie
du thymus et des parathyroïdes, une fente palatine ou une
insuffisance vélaire. La microdélétion 22q11.2 est associée
dans 11 % des cas aux TSA [16].
D’autres microremaniements sont associés aux TSA,
comme le syndrome de Williams (12 % de TSA), le syndrome de Smith Magenis (15 %), le syndrome de Prader
Willi et le syndrome d’Angelman (qui sont des anomalies de
l’empreinte génomique parentale), la délétion 15q13.3, la
délétion 22q13 (région chromosomique qui contient le gène
SHANK3), la microduplication 2q23.1 ou la microdélétion
5q14.3.
Cette liste n’est bien sûr pas exaustive et la généralisation du caryotype moléculaire dans le bilan standard
de l’autisme permet de découvrir de très nombreux remaniements impliqués dans l’étiologie des TSA (20 % des cas
environ).
Approche avancée : panels de
reséquençage ciblés
Lorsque l’étude par CGH Array ne révèle pas de CNV pathogène, il est nécessaire de pousser plus loin les investigations
en proposant la recherche de formes monogéniques de TSA.
Ces formes monogéniques sont des diagnostics difficiles à
poser : de part leur rareté [17], du plateau technique
nécessaire pour ces diagnostics et en raison du manque de
caractérisation cliniques de ces syndromes [18]. La plupart
des gènes associés aux TSA sont impliqués dans les circuits
neuronaux, en particulier au niveau synaptique. C’est ainsi
que les gènes stabilisateurs de la synapse, comme la famille
des neurexines, des neuroligines et les gènes SHANK ont été
les premiers à être associés au phénotype « autisme » [19].
Le service de génétique clinique du centre hospitalier
Necker—Enfants-Malades en lien avec l’IHU IMAGINE propose aujourd’hui dans les TSA et la DI en diagnostic courant,
une approche de type étude simultanée à haut débit de
gènes sur puces de reséquençage dédiée (IDFix), d’autres
CLAD (Centre labellisés anomalies du développement) en
France proposent également ce type d’approche, comme
à Strasbourg par exemple. Ces examens sont uniquement
prescrits par les généticiens à l’heure actuelle. Deux cent
cinquante-trois gènes sont actuellement ciblés par IDFix
(315 transcripts) pour une rentabilité diagnostique d’environ
20 % lorsque la CGH Array est normale.
Le projet DHOS-PNMR2 piloté par l’IHU IMAGINE a permis de déterminer une dizaine de gènes préférentiellement
impliqués dans les formes monogéniques de TSA ou de DI,
qui sont les suivants : ARID1B, SCN2A, ANKRD11, SATB2, SYNGAP1, DYRK1, GRIN2A, GRIN2B, SHANK3, NLGN3-4.
Outre le gène SHANK3 qui a fait l’objet de très nombreuses études dans l’autisme [20] notamment pour son rôle
dans la formation et la maintenance synaptique, le gène
ANKRD11 (ankyrin repeat domain 11) illustre bien l’intérêt
Apports de la génétique au diagnostic des troubles du spectre autistique
de cette nouvelle approche. Le syndrome KBG (OMIM
148050), causé par des mutations de ANKRD11 ou une délétion de la région 16q24.3, est un syndrome rare caractérisé
par un aspect morphologique cranio-facial particulier :
visage ovale, hypertélorisme, pointe du nez bulleuse, philtrum long, macrodontie des incisives. Il associe également
des malformations du squelette et des mains ainsi qu’une
petite taille. Les anomalies neurodéveloppementales associées sont essentiellement une déficience intellectuelle,
des symptômes autistiques ainsi qu’une comitialité [21].
Cependant, la fréquence de ce syndrome pourrait être
largement sous-estimée en raison de la fréquence des
phénotypes intermédiaires qui associent parfois des formes
purement cognitives ou autistiques et de l’absence de la
recherche spécifique de remaniements de ANKRD11 dans
les TSA.
La question des phénotypes intermédiaires illustre bien
la nécessité de développer dans l’étiologie génétique des
TSA une approche biologique assez systématisée car cette
démarche ne peut reposer sur un seul examen clinique, aussi
fin soit-il. En effet, la grande variabilité de l’expression
phénotypique d’un même remaniement et la richesse des
points d’appel possibles rendent la démarche clinique souvent insuffisante.
D’autres gènes sont également des pistes prometteuses.
Des mutations du gène GRIN2A ont été associées récemment
à un syndrome très spécifique associant une épilepsie à des
troubles du langage [22]. Dans ces tableaux très particuliers d’encéphalopathie, les troubles cognitifs spécifiques
restent à préciser. Tarabeux et al. [23] ont identifié les premiers une mutation de novo de GRIN2B chez un patient
porteur d’un TSA, d’autres mutations ont été décrites
depuis. Le gène SYNGAP1 code pour une protéine exprimée de manière sélective au niveau cérébral, constitutive
des récepteurs NMDA. Les souris KO pour SYNGAP1 décèdent
rapidement après la naissance, soulignant le rôle essentiel
de la protéine dans le développement précoce. Les souris
porteuses de mutations de SYNGAP1 présentent des troubles
de la plasticité synaptique ainsi que des troubles des
apprentissages.
L’approche par les puces de reséquençage ciblées sur des
gènes candidats permet plus largement de contourner certaines difficultés posées par les recherches globales sur le
génome, notamment la CGH Array (« accidental findings »
c’est-à-dire trouver ce que l’on ne cherche pas. . ., VOUS. . .).
Cette approche permet également d’envisager une corrélation génotype/phénotype beaucoup plus fine, notamment
grâce à la collaboration entre pédopsychiatres, neuropsychologues, neuropédiatres, radiologues et généticiens.
La recherche : séquençage d’exome ou
Next Generation Sequencing (NGS)
Il est aujourd’hui possible de proposer dans le cadre de la
recherche (c’est-à-dire non pris en charge dans le cadre
de l’assurance maladie), la technique de Next Generation
Sequencing (NGS) pour le diagnostic étiologique d’un TSA.
Plus d’une décennie après le premier séquençage complet
du génome humain, l’utilisation des techniques de NGS
est une véritable révolution pour l’étude de la génétique
399
humaine, permettant la séquence de l’exome (c’est-à-dire
de l’ensemble des exons qui codent pour des protéines) qui
constitue 1 % du génome entier [24].
Cette approche requiert seulement quelques microgrammes d’ADN qui peuvent être obtenus à partir de
quelques millilitres de sang périphérique. L’ADN extrait est
ensuite fractionné, amplifié par une procédure enzymatique
et soumis à la procédure de séquençage selon la méthode de
Sanger à l’intérieur d’un automate microfluidique qui peut
gérer jusqu’à 96 échantillons différents.
Les données de séquences générées à partir de ces fragments (environ 5 Giga octets) sont transmises en temps réel
à un serveur comportant un algorithme dont le rôle sera de
reconstruire le génome soumis à cette procédure en regroupant les séquences qui se recouvrent partiellement jusqu’à
ce que toutes les séquences générées aient été organisées
de manière cohérentes.
Celles-ci sont alors accessibles au biologiste généticien
via une interface dédiée qui permet de mettre en évidence
des variants de séquence d’ADN en fonction du mode de
transmission de la maladie (récessif homozygote ou hétérozygote, dominant, lié à l’X ou de novo).
Le nombre de variants mis en évidence doit être pondéré en fonction de leurs fréquences dans les populations
concernées et en fonction de l’aspect potentiellement délétère du type de variant qui peut être une substitution d’une
base pour une autre, une insertion ou une délétion. Les
conséquences peuvent consister en un changement d’acide
aminé au niveau de la protéine, à la perte ou au gain d’un
exon au niveau du gène et donc à une perte ou un ajout
d’acides aminés, ou encore à une terminaison prématurée
de la séquence protéique produisant ainsi une molécule non
fonctionnelle.
Cette dernière étape est facilitée par l’utilisation
d’algorithmes de prédiction de l’aspect délétère d’un
variant. Cependant, il absolument nécessaire de relativiser
ces prédictions car deux algorithmes indépendants peuvent
générer des résultats contradictoires.
La décision de considérer un variant donné pour son
implication dans une maladie génétique appartient donc en
final au généticien qui pourra également s’appuyer sur des
travaux portant sur la protéine concernée précédemment
effectués et sur la bibliographie scientifique au sens le plus
large possible.
Cette approche d’analyse exomique, maintenant très
fiable, a permis d’identifier en quelques années un très
grand nombre de gènes impliqués dans toutes sortes de
pathologies génétiques. Dans le cas des TSA, de grandes
cohortes ont pu être analysées et générées de nombreux
résultats en des temps très courts [25—27].
La prochaine étape, déjà utilisée par certains laboratoires, consistera à séquencer la totalité du génome et non
plus seulement les parties codantes. Les défis sont ici de
taille car il faut mettre au point et améliorer des outils
bioinformatiques permettant de manipuler une masse de
données cent fois supérieure, de considérer des variants
qui sont hors des régions codantes (les introns et les
régions intergéniques), et surtout de pouvoir établir une
relation fonctionnelle entre un variant nucléotidique situé
à plusieurs mégabases d’un gène cible, voire sur un autre
chromosome. À terme, l’avenir de la génétique se situe
donc dans la résolution des interactions à distance et la
400
C. Demily et al.
compréhension fonctionnelle des structures génomiques en
trois dimensions.
[7]
Conclusion
Aujourd’hui, la génétique des TSA est en pleine expansion et nous fournira demain les clés pour une meilleure
compréhension et un traitement ciblé de la maladie. Dès
aujourd’hui, l’approche diagnostique telle que décrite dans
ce travail permet d’aboutir à un diagnostic dans 35 à 40 %
des cas. Il n’est pas exclu de penser qu’un jour, chaque
enfant bénéficiera d’un diagnostic et recevra un traitement médicamenteux personnalisé. Le fait de poser un
diagnostic permet de comprendre les symptômes présentés par l’enfant, même si le développement d’une approche
phénotypique plus fine reste un enjeu pour les années à
venir. Le conseil génétique permet également de guider les
futures grossesses pour les mères en âge de procréer. Le
bénéfice immédiat est donc immense.
Malheureusement les enfants porteurs d’un TSA ne bénéficient pas tous d’un diagnostic génétique alors que des
centres de références spécialement dévolus à ces affections existent. Cette lacune peut s’expliquer en partie par
l’histoire même de la psychiatrie dont les acteurs de soin
ont longtemps revendiqué un modèle non médical, opposant traditionnellement les soins de la psyché à la médecine
somatique, voire étant réfractaire à celle-ci.
D’ores et déjà, il est important qu’en pratique courante,
les pédopsychiatres et les généticiens travaillent ensemble
pour améliorer, dans la mesure de nos connaissances, le quotidien des enfants porteurs d’un TSA et de très nombreux
centres hospitaliers en France développent des consultations pluridisciplinaires génétique/psychiatrie.
Le fait de nommer la maladie n’est jamais un frein
aux soins mais permet au contraire des stratégies mieux
adaptées. Et enfin, le diagnostic étiologique est toujours
un immense soulagement pour les familles toujours très
éprouvées et parfois culpabilisées par la maladie de leur
enfant.
[8]
[9]
[10]
[11]
[12]
[13]
[14]
[15]
[16]
[17]
[18]
Déclaration de liens d’intérêts
[19]
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
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