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JEUX DE BORDELAIS 1,50 EURO MAGAZINE RÉALISÉ PAR LES ÉTUDIANTS DE L’IUT DE JOURNALISME DE BORDEAUX BRANCHÉS MORDUS FLAMBEURS INVENTIFS GRATTEURS 2 JEUX... Sur les rives du lac, les machines 17 8 à sous investissent les nouvelles salles du casino. Une armée de bandits manchots en veut à votre bourse. Ils jonglent avec les chais et parient sur les cours. Héritiers de la grande époque marchande des quais, les Un salon feutré, près du Grand-Théâtre... négociants en vin misent sur une C’est là que l’élite du bridge bordelais valeur sûre : élabore ses stratégies compliquées. le prestige bordelais. 4 18 39 10 12 Derrière la vitrine des bars du sud de la ville, d’étranges machines convertissent leurs jetons en billets. Et les cafés se prennent pour des casinos de quartier. Le “gros Pascal” et son patron sont montés sur une table pour la tester. Maintenant, c’est sûr : elle est capable de supporter 350 kg de mets. Un défi gargantuesque pour les gloutons qui viennent se frotter à leurs plats surdimensionnés. Sur les places publiques, Arnaud, Ils réinventent le jeu de l’oie ou du serpent. Marc, Bernard, Jésus et Robert Des enfants en difficulté scolaire du quartier se retrouvent depuis dix ans pour des Saint-Michel imaginent et fabriquent cartes parties de boules. et dominos. Une façon de retrouver confiance Et accueillent les gens de passage, en eux. pourvu qu’ils jouent bien. ...DE BORDELAIS PHILIPPE DULUC, NÉGOCIANT EN VIN : “mon métier est un jeu.” Page 4 JEUX IMMIGRÉS : ici comme là-bas, là-bas comme ici. Page 6 BRIDGE : les champions s’entraînent au salon. Page 8 PÉTANQUE : le printemps revient, les boules fleurissent. Page 10 LUDOTHÈQUE : Interlude au cœur de la cité. Page 11 ...D’INVENTEURS SAINT-MICHEL : apprentis trouve-tout. Page 12 CRÉATION : le rugby sur un plateau. Page 13 TAROT: Bordeaux encartée. Page 14 FÊTE DES JEUX : Les Zibrides élèvent des lutins. Page 15 3 ...DE FLAMBEURS RAPIDO : accros mais pas trop. PAGE 16 CASINO : les paillettes sont d’or et l’argent est roi. Page 17 ENQUÊTE : jeux illégaux. Page 18 ...DE PATIENTS JOUEURS PATHOLOGIQUES : rien ne va plus. Page 22 PORTRAIT : joue, perd et manque. Page 23 MALADIE D’ALZHEIMER : pour ne pas oublier. Page 24 CLOWNS À L’HÔPITAL : celui qui rit, celui qui pleure. Page 25 ...D’ACTEURS @ JEUX DE BORDELAIS EST AUSSI UN MAGAZINE MULTIMÉDIA : IMPRO : un match ne s’improvise pas. Page 29 JEUX DE RÔLES : dans l’antre des rôlistes. page 30 www.iutb.u-bordeaux.fr/journalisme/jeux LASER QUEST : l’instinct guéguerre. Page 31 JEUX EN RÉSEAU : attaque à la souris armée. Page 32 MAGAZINE RÉALISÉ PAR LES ÉTUDIANTS DE L’IUT DE JOURNALISME DE BORDEAUX ...D’ENFANTS 1, rue Jacques-Ellul 33080 Bordeaux cedex E-mail : RÉCRÉ : 1,2,3... Marelle. Page 26 [email protected] PÉDAGOGIE : “un défi au départ, du plaisir à l’arrivée”. Page 27 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Daniel Garrec. COLLECTION : Elizabeth au pays des ours. Page 28 RÉDACTRICE EN CHEF Lisa Giachino. RÉDACTION ...DE MORDUS ET SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Valérie Anton, Thomas Baltes, Rémi Carayol, Ewen Cousin, Sonia De Sousa, Nicolas Faucher, Lisa Giachino, Pierre VACANCES : été à la carte pour amis gratteurs. Page 33 Girard, Véronique Heurtematte, Jérôme JEU TÉLÉVISÉ : “Philippe, vous êtes le maillon fort”. Page 34 Lepeytre, Nicole Levigne, Alexandre Marsat, Julie CLUBS : pyramide mot à mot . Page 35 PORTRAIT: Evelyne Guérard, concouriste invétérée. Page 36 Martinez, Charles Poisson, Thomas Quéguiner, Damien Stroka, Adrien Vergnolle. ILLUSTRATION Thomas Baltes, Adrien Vergnolle. ...DE VILAINS MAQUETTISTES Thomas Baltes, Pierre Girard. CONSEILLERS DE LA RÉDACTION Jean-François Brieu, Edith ECHANGISME : le troc en vrac. Page 38 Rémond, Jeanne Villeneuve. CONSEILLER ARTISTIQUE FESTIN : au pays de Gargantua, les ogres s’amusent. Page 39 José Rodrigues. IMPRIMEUR TEST QUEL JOUEUR ÊTES VOUS ? Page 40 Sud Ouest, que la rédaction et l’IUT remercient cheleureusement. Dépôt légal : avril 2002. 4 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS “MON MÉTIER EST UN JEU” S ON MÉTIER : ACHETER, VENDRE, ACHETER, VENDRE, GOÛTER, ACHETER, VENDRE... UNE PASSION. LIPPE DULUC UN JEU AUSSI. PHI- EST NÉGOCIANT EN VIN BORDEAUX DEPUIS ANS . Issu d’une SUR LA PLACE DE PLUS DE DEUX famille bourgeoise, il goûte très vite aux joies de la vigne. Chez son grand-père d’abord, qui fait du vin dans le Médoc, à Listrac. Puis en tant que courtier, dix ans durant. Il y a quelques mois, lui et deux de ses amis montent leur propre société de négoce. Son rôle : découvrir et acheter tous les vins qu’il revendra ensuite. Lui s’occupe de la France, les autres de l’étranger. Bavard intarrissable, il nous parle de la part du jeu dans son métier. “LA CARTE DE LA CONVIVIALITÉ” Tout ce qui touche au commerce est un jeu de séduction. On se vend soi-même avant le produit. On peut arriver à vendre même si le vin est mauvais. Ce qui compte, c’est plaire. Il n’y a pas de recette. Il faut être soi-même. On joue à être naturel. Moi, j’ai la chance d’être très bavard. En plus j’ai le contact facile, je n’ai pas peur d’aller vers les autres. Donc je joue la carte de la convivialité. Quand je réussis à convaincre quelqu’un d’acheter ou de vendre, que c’est dans la poche, je m’éclate. C’est un sentiment proche de la jouissance. C’est comme quand on séduit une fille et que c’est « gagné ». On est fier de soi. “CE N’EST PAS UN RÔLE” Non, un négociant en vin n’est pas un acteur. Il doit vendre comme il vit. Il m’arrive quelquefois de forcer le trait. Comme je suis hableur, j’en fait des tonnes... Et puis je varie mes approches. Selon les clients, je décide de parler de tel ou tel vin, d’être plus ou moins convivial et festif. Mais ce n’est pas un rôle. “C’EST LE MEILLEUR QUI GAGNE” Plus qu’un jeu d’acteur, le négoce est un jeu d’influence. C’est une épreuve de force. Mon interlocuteur a des limites, moi aussi, et c’est entre ces deux frontières que l’on joue. Par exemple, lorsque je négocie avec le propriétaire pour acheter son vin, je sais que je ne peux pas dépasser un prix de 12 francs la bouteille. Lui ne pas pas aller au-dessous de 10 francs. Et après, c’est le meilleur qui gagne. C’est très excitant. Quand j’ai convaincu l’acheteur, je suis fier. C’est ça la clé : convaincre l’autre. “SURPRENDRE, VOILÀ CE QUI M’INTÉRESSE” Découvrir la perle, c’est mon travail. J’essaie de trouver des vins qui n’ont pas une grande notoriété, qui sont généralement issus de toutes petites propriétés. Actuellement, je travaille avec un producteur dont la propriété est d’un hectare, c’est ridicule. C’est très excitant. Et c’est ce qui me plaît : faire goûter à l’aveugle des vins que personne ne connaît et entendre les gens dire : … DE BORDELAIS … « ah oui, c’est très bon, c’est quoi ? ». Surprendre, voilà ce qui m’intéresse, et contrairement à ce qu’on pense, c’est encore possible à Bordeaux. “DE VRAIS JOUEURS DE POKER” Il y a un risque : celui de choisir un vin qui ne plaira pas. C’est moi seul qui décide d’acheter tel ou tel vin, et c’est une lourde responsabilité. Je choisis à partir de mon seul goût, or on a tous un goût différent. Ce qui va me plaire ne te plaira pas forcément. Mais j’assume. J’ai quand même une certaine expérience et je sais très vite où aller. Dans ce métier, il faut être le plus convaincant possible. Mais cela ne veut pas dire à tout prix. Moi, par exemple, je ne mens jamais sur la qualité du vin que je vends. Je ne vends que des vins auxquels je crois fortement. Cette démarche est de plus en plus atypique dans la profession. C’est dommage car j’estime que c’est notre métier que de sélectionner un vin qui nous semble bon. D’autres négociants privilégient la marque. Certains ne le goûtent même pas. Ce sont de vrais joueurs de poker car ils misent tout sur leurs talents de vendeurs. D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE 5 VILAINS PHOTO NICOLAS FAUCHER JEUX... pas sûr de revendre. Surtout si tu commerces avec l’étranger, comme ma société, qui négocie avec des Américains du nord et des Asiatiques. Si tu prends le 11 septembre par exemple, la société pour laquelle je travaille a eu deux énormes commandes annulées à cause des attentats. Là c’est risqué parce que cela nous est resté sur les bras et qu’il fallait absolument vendre le stock. Parce qu’un négociant qui ne remplit pas ses engagements est fini : Bordeaux peut être très grande, mais aussi très petite. Les nouvelles se savent vite. Il est donc hors de question de planter le fournisseur. Mais ce n’est pas plus mal : on n’est jamais aussi bon que quand il y a un risque, car on est motivé. Les bons crus du marché à terme Le raisin n’a pas encore vu le jour que le vin qu’il donnera est déjà soumis au principe de l’offre et de la demande... Tel est le fondement du marché à terme, basé à Paris, qui a vu le jour en avril 1999. Jusqu’à cette année-là, le “JE M’AMUSE TOUS LES JOURS” marché bordelais du vin C’est pour ça que je fais ce métier. Le jour où je ne m’amuserais plus, j’arrêterais. La vie est un jeu. Et j’ai de la chance, mon métier aussi. Je joue tout le temps. Pas au casino ou aux cartes, cela ne m’attire pas plus que ça. Non, je joue intellectuellement. A séduire, à plaire, à convaincre. Pour moi, les rapports humains sont un jeu. fonctionnait selon un rite immuable... et unique : le vin ayant six mois de maturation était soumis à des courtiers qui jugeaient la qualité du produit et établissaient un prix avec le propriétaire. Le négociant achetait puis revendait. Inconvénient : ce système est risqué. Il suffit d’une mauvaise PROPOS RECUEILLIS récolte pour que certaines PAR RÉMI CARAYOL maisons perdent beaucoup “UNE PART DE RISQUE” d’argent. Dans tout acte commercial il y a une part de risque, puisque tu achètes un produit que tu n’es Désormais, le marché à terme permet aux grands châteaux de vendre aux négociants un vin qui ne sortira que 28 mois plus tard. Des négociants qui établissent alors leur propre LE JUSTE NÉGOCE BUT DU JEU : 7500 négociants, 400 entreprises, 600 millions de bouteilles de vin de Bordeaux commercialisées sous 57 appellations de la Gironde... Plus de 16 milliards de chiffre d’affaire dont 6 à l’exportation, dans 165 pays... Les chiffres du négoce de Bordeaux sont impressionnants. Et pour cause : 70 % de la commercialisation totale du vin de Bordeaux passe par les négociants en vins et spiritueux de Bordeaux et de la Gironde. VENDRE UN MAXIMUM DE BOUTEILLES. NIVEAU 1 : LA SÉLECTION Quatre critères sont imposés pour la sélection d’un vin : • sa qualité, définie par le seul goût du négociant, • sa notoriété, selon qu’il s’agit d’un vin qui a très bonne presse et qui est connu ou non, • sa présentation, critère de plus en plus important. Surtout en ce qui concerne les négociants qui travaillent avec les grandes surfaces (60 % des consommateurs achètent leur vin en grande surface, et ils se fient principalement à l’étiquette et à l’aspect). • sa dénomination, selon qu’il est classé ou pas. Chaque négociant définit quel critère est le plus important pour lui. Deux tactiques sont possibles : • certains négociants, de plus en plus nombreux, ne suivent que de très loin la fabrication du vin qu’ils achèteront. C’est à partir de six mois de maturation qu’ils jugent la qualité du produit et qu’ils établissent un prix. • d’autres sont présents du début à la fin. Avant, pendant et après la vinification, ce type de joueur est là pour goûter et voir les évolutions de l’alcool. Il est ainsi sûr du produit qu’il vendra. Le risque est donc moindre... à condition que son goût ne le trompe pas. NIVEAU 2 : L’ACHAT DU VIN AU PRODUCTEUR Là encore, il existe deux tactiques : • soit le négociant achète le vin « en vrac », c’est à dire en grandes quantités. La tâche consiste à acheter directement au producteur des centaines, voire des milliers d’hectolitres de vin que le négociant fait venir dans ses propres chais, élève lui-même, met en bouteilles et vend. • soit il n’achète le vin qu’en bouteilles. C’est à dire que le viticulteur s’est déjà occupé de toutes les étapes de la conception de son vin, jusqu’à la mise en bouteilles. Le négociant doit alors être très rusé et rapide pour repérer la perle rare avant ses adversaires. couverture de mise. Ainsi, en 2002, ce marché spécule sur le millésime 2004. Donc sur un vin virtuel. Le but : éviter les affres de la mauvaise récolte et la volatilité des prix, très importante en ce qui concerne l’export, donc les grands crus. Ainsi, propriétaires et négociants en sortent gagnants, plus sûrs de vendre le vin à un bon prix. Éventuel dindon de la farce : le dernier acheteur, qui risque de NIVEAU 3 : se retrouver avec un mauvais LA REVENTE DU VIN AU CLIENT millésime qu’il aura payé le C’est le verdict. Le négociant doit séduire le client et lui démontrer que son vin est le meilleur. Toutes les règles sont permises. Certains préfèrent vendre un vin au bon rapport marque/prix, sans trop s’occuper de la qualité. Ils ont alors peu de chances de retrouver l’acheteur l’année d’après... D’autres adoptent une stratégie plus sûre. Ils optent pour la qualité. Ils pourront compter la prochaine fois sur les mêmes clients. A noter qu’une nouvelle version existe depuis quelques années : Le juste négociant, option marché à terme (voir ci-contre). R. C. même prix qu’un bon... Ce marché d’un genre nouveau reste minoritaire sur la place de Bordeaux. Seuls 140 propriétaires, les plus cotés, en profitent actuellement, persuadés que ce système est le bon. Mais tous ne sont pas d’accord. Si certains restent indifférents à ce type de négoce auquel ils avouent ne pas comprendre grand chose, d’autres crient à la dérive financière et au danger spéculatif. R. C. 6 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS ICI COMME LÀ-BAS ... GO POUR LES OCCIDENTAUX PHOTO L. G. Le jeu aux pastilles noires et blanches est pourtant né il y a environ 4 000 ans, en Chine, et a été adopté par la cour japonaise. Dans les années 60, des écrivains français, Perec par exemple, l’évoquent dans leurs livres. C’est le début d’un engouement confidentiel, qui aboutit en 1979 à la création de la Fédération française de jeu de go. Séduits par sa simplicité – un plateau, des pierres – les membres du club de Bordeaux se réunissent deux fois par semaine au café Rohan. « Chacun doit construire des territoires sur le plateau. Le but n’est pas la mort de l’autre, contrairement aux échecs, expliquent-ils. C’est représentatif d’une philosophie de vie orientale. Il y a l’idée de construire, les notions d’équilibre et d’échange. On essaie d’avoir de l’influence, de la force, mais on ne contrecarre pas tous les plans de l’autre. On accepte qu’il construise des territoires. » Depuis quelques années, le club ne compte plus qu’une dizaine d’adhérents, qui consultent des recueils de parties, comme les joueurs d’échecs. Les dirigeants de la fédération cherchent à faire reconnaître le jeu de go comme un sport. « C’est une grande famille, souligne un joueur. On se connaît depuis quinze ou vingt ans. » Des maîtres renommés donnent des stages dans toute la France, aux amateurs de go mais aussi parfois dans le monde du travail : « On applique la philosophie du go au fonctionnement d’une entreprise, on apprend comment étendre l’influence de la société. » DERRIÈRE SON COMPTOIR DE RESTAURATEUR VIETNAMIEN, C ORNEILLE NGUYÊN CONSERVE LES PIONS DE SON JEU D ’ ÉCHECS CHINOIS. Le temps d’une partie entre amis ou avec l’un de ses enfants, il les sort de leur boîte en plastique, et va chercher le grand plateau en bois quadrillé dans son arrièreboutique. LISA GIACHINO racines. « Il donne lucidité et sagesse», dit-il avec emphase et de grands gestes des mains. «Pour être un bon général, il faut développer son intelligence .» Très pratiqués par les communautés chinoise et vietnamienne, les échecs chinois sont peu connus des Français. Les pièces, soldats, généraux, canons, éléphants, sont identifiés par des caractères chinois difficiles à mémoriser pour le commun des occidentaux. Sans compter que les règles sont aussi complexes que celles de nos échecs. Chaque pièce se déplace et mange les autres d’une manière particulière (à l’horizontale, à la verticale...). Avec le même objectif : tuer le général de l’équipe adverse. SAGESSE ASIATIQUE Le Vietnamien, qui parle français avec difficulté, a appris les règles dès son enfance. « Làbas, tout le monde y joue dans les rues », raconte-t-il. Il associe ce jeu de stratégie à la philosophie du yin et du yang et à tout ce qui, dans la culture asiatique, le rapproche de ses PHOTO LISA GIACHINO LE CLUB DE JEU DE GO DE BORDEAUX NE COMPTE PAS UN SEUL ASIATIQUE. L. G. JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS L’AWALÉ DE TOUTES LES RÉCOLTES D ’ACT E U R S DE MORDUS DE 7 VILAINS Des toupies sculptées dans les coquilles d’escargot ou les fleurs du fromager, un arbre ivoirien, des cailloux à lancer et à rattraper sur le dos de la main… En quittant leur continent natal, les immigrés africains E S C A R G O T S TRÈS EN VOGUE CHEZ LES FRANÇAIS, LE CÉLÈBRE AWALÉ TRÔNE DANS TOUS LES MAGASINS D ’ARTISANAT EXO - Le jeu de stratégie africain imite le cycle des semailles et des moissons : chaque joueur sème ses graines dans les trous d’une planche en bois et tente d’en récolter le plus possible. Wari, owaré, l’awalé porte des noms aussi multiples que les variantes de la règle du jeu. Né en Côte-d’Ivoire, selon Ouanglo Marea, un Bordelais d’origine ivoirienne, ou en Ethiopie, selon d’autres, il daterait de toute façon du Ve ou VIe siècle. Au même titre que les échecs en occident et le jeu de go en Asie, il est aujourd’hui répandu dans toute l’Afrique. Toutes les familles immigrées n’en possèdent pas, mais elles le connaissent toutes, quelle que soit leur communauté d’origine, comme une référence commune. Et pour ceux qui ne possèdent pas la version de bois, des sites et des logiciels informatiques reproduisent même le bruit de la graine sur la planche. D’ENFANTS enfance. A Bordeaux, les matières premières manquent. “Il faudrait aller jusqu’à la mer pour ramasser des escargots”, explique Assan, Nigérien d’origine et adepte du tiercé. Les courses de chevaux, traditionnellement très suivies dans plusieurs pays d’Afrique, ont permis au PMU de s’implanter sur le continent. Arrivés en France, les immigrés ont déjà l’habitude de parier sur les chevaux. Ils connaissent et utilisent aussi depuis longtemps les jeux de dames et de cartes, apportés sur le sol africain par la colonisation. Avec, parfois, des variantes locales, telles que le poker “à l’ivoirienne”. “Le but est de montrer son intelligence et sa bravoure, de miser le plus fort possible de façon à ce que l’autre ne passe pas avant”, affirme Ouanglo Marea, qui ne connaît pas les règles du poker occidental. “On ne joue pas d’argent”, ajoute-t-il, aussitôt contredit par ses collègues plus assidus que lui. L. G. PHOTOS RÉMI CARAYOL TIQUE. ont relégué dans un coin de leur mémoire la plupart des jeux de leur L. G. PHOTO L.G. www.myriad-online.com/frawale.htm www.topgratuit.telecharger.com PHOTO S. D.E S. D’AFRIQUE NOIRE LES PÉRUVIENS ONT LARGEMENT ADOPTÉ ET ADAPTÉ APPORTÉS LES PAR JEUX ECHECS À LA SAUCE ANDINE LES COLONS ESPAGNOLS. Au hit-parade des plus pratiqués, on compte sans surprise les dames et les échecs, mais à la sauce andine. Les plateaux sont en bois laqué, les pions en céramique et pour le décor, les artisans s’inspirent de l’histoire du pays et de la culture indienne. Sur des socles ornés de frises mythologiques, s’affrontent ainsi colons en armure et indigènes en costume traditionnel. On trouvera également des scènes inspirées de la vie quotidienne, ou de la nature. Ainsi, sur les plateaux d’échecs, se côtoient parfois lamas et condors. SONIA DE SOUSA ... LÀ-BAS COMME ICI 8 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS PHOTOGRAMMES THOMAS BALTES BRIDGE : LES CHAMPIONS S’ENTRAINENT AU SALON A VANT LA MI - TEMPS , SEUL ROLAND NOURIGAT S’AFFAIRE. Le directeur pro- mène sa bedonnante silhouette entre chaque table, il aide à compter les points, s’occupe des donnes et prend les commandes. Gin tonic, whisky ou Martini. Il dit : « Bordeaux est une place forte du bridge. Le nombre de joueurs de haut niveau est très important par rapport au nombre de licenciés. Nous avons quand même cinq premières séries nationales ». Le cercle national du bridge, grand salon à l’atmosphère feutrée. Ici, les plafonds sont hauts, les murs sont blancs et la lumière, halogène. Peu de meubles, à part les sept tables de quatre joueurs. Quelques chuchotements filtrent : dans un monde de trèfles, piques, carreaux et cœurs, le brouhaha est intellectuel. « C’est l’élite du bridge bordelais », prévient Roland Nourigat. Fièrement, il désigne Hervé Pacault et son partenaire, Régis Lesguiller, premiers bridgeurs français, et Colette Ribérol, plusieurs fois championne de France et actuellement classée dans les dix premières joueuses. Il les observe, de loin, et confie : « En vue des championnats du monde, ils étudient, ils mettent au point. C’est comme pour un match de football, il faut s’entraîner à faire des passes, des acrobaties ». AU FOND DE LA SALLE, HERVÉ PACAULT EXAMINE SON ÉVENTAIL DE CARTES. Caresse son bouc épais, ajuste la monture de ses lunettes et pose une carte sur le tapis vert. Il est depuis peu le Dans les années 60, les meilleurs bridgeurs étaient médecins, grâce à leur sens du diagnostic. Puis dans les années 80, ce sont les mathématiciens et les informaticiens qui ont pris le relais ». Hervé Pacault est un bridgeur « assimilé » professionnel. Il enseigne le jeu, à l’occasion arbitre les tournois, écrit pour différentes revues et a sorti trois livres. Il raconte qu’au début des années 70, ils étaient quinze étudiants en math sup à découvrir le bridge. Trente ans plus tard, six d’entre eux sont deve- Quelques joueurs viennent consulter le premier bridgeur français. Jusqu’à créer des discussions ésotériques : « Tu dis j’ai quatre cœurs dans une main, minimum, et trois carreaux n’est pas forcing parce “En vue des championnats du monde, ils étudient, ils mettent au point” champion de France de bridge, par paire. Et pour la sixième fois. « Je suis content, c’est un bon titre ». Pas peu fier, l’homme ne s’arrête pas là, il tente en août, les championnats du monde à Montréal. Plus que serein. « C’est une habitude. Je les ai tous faits depuis 1974, et je suis souvent allé en finale. Mon meilleur classement a été neuvième mondial, c’est pas si mal », apprécie-t-il. D’ailleurs, pour Hervé, la compétition est devenue « une routine sympathique ». Ce qui fait un bon bridgeur ? Il hésite : « La logique, les mathématiques. Il y a plusieurs modèles de joueurs. nus « premières séries nationales » et jouent encore ensemble. Lui, le mathématicien de formation, a quitté le monde de l’éducation pour ouvrir son propre club de bridge. Hervé a quand même gardé le goût des chiffres : « Il y a une centaine de pros qui vivent des cartes, qu’on paie pour jouer. Il doit y avoir mille professeurs de bridge. Et un seul auteur reconnu, Michel Lebel qui tire à plus d’un million d’exemplaires ses méthodes ». LA MI - TEMPS . VOILÀ LE STUDIEUX On analyse, rit et se désaltère, au bar. SILENCE INTERROMPU. que trois trèfles est artificiel... » Mystère des jeux de cartes pour initiés. D’ailleurs, le bridge traîne une bien mauvaise réputation. Qui en ferait un jeu de retraités ? Roland Nourigat acquiesce : « C’est vrai, hélas. Malheureusement, la moyenne d’âge des joueurs est élevée. Nous devons faire des efforts dans la prolongation de ce jeu, et amener les jeunes à y participer. On avait fait une expérience dans une école de commerce, mais ils préféraient jouer au Tarot ». Pourquoi tant de mépris ? « Mon explication est simple », analyse Roland. « Ma génération n’a eu aucun mal à savoir jouer au bridge. Quand les parents jouaient à la maison, on apprenait en même temps. Maintenant, ils jouent dans des clubs. Cette pénurie est un drame. On a envie d’y remédier, même si le bridge demeurera. » Un homme ne partage pas l’ optimisme ambiant. Michel Reboulot estime : « Le bridge ressemble aux Bordelais : il est bourgeois et vieux ». Lui s’occupe de développer le jeu aux 52 cartes chez les adolescents. « Et à Bordeaux, l’âge des bridgeurs est plus élevé qu’ailleurs. Tandis qu’à Paris, beaucoup de jeunes connaissent le bridge. » Fin de la mi-temps. Les partenaires changent d’adversaires. Le grand salon silencieux s’éteindra vers minuit. ADRIEN VERGNOLLE JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS 9 MARC, LES CARTES A PLEIN TEMPS ARC M LAPEYRE JOUE AU BRIDGE TOUS LES JOURS. DEPUIS 18 ANS, “DEPUIS LA Où ? « Dans tous les clubs possibles », plaisante-t-il. C’est que le planning est chargé : le lundi à Bruges, le mardi à Blanquefort, le mercredi à Mérignac, le jeudi à Saint-Augustin et le vendredi une nouvelle fois à Mérignac. Et le week-end, repos ? « S’il y a un tournoi et qu’on m’emmène... », Marc ne dit pas non. L’homme ressemble à tous les grands-pères. Casquette, baskets, large pull col V sous une veste de costume bleue. Il met une cravate quand il sort. Appuyé sur sa canne, il entame son soixante-dix-huitième printemps dans son appartement, au septième étage. Même pas peur des marches. Parfois, il descend à pied. Parce que même après la mort de sa femme et son opéraRETRAITE”. Le bridge en chiffres 156 ans : l’âge du bridge 1250 clubs en France 29 comités 98 000 licenciés 2 500 000 bridgeurs Une Fédération française tion du dos, il n’était pas question pour lui de partir dans une maison de repos. Chez lui, il a ce qu’il faut : « Mon fauteuil, ma télévision et mon téléphone. » Le matin, il se promène lentement entre son immeuble, son épicerie, le parc et sa « cantine », la pizzeria en face de chez lui. L’après-midi, pour aller jouer aux cartes, il prend sa voiture. Et quand c’est trop loin, il demande à un ami de l’emmener. « Il y a différentes manières d’organiser sa vie. » Lui a simplement décidé de ne pas se laisser abattre par l’inactivité. En clair, il ne veut pas s’ennuyer, ni « s’abrutir devant la télévision ». « Si on n’a pas d’occupation, on “déchète” », comme il dit. Il explique que c’est pour ça que certains bridgeurs sont venus jouer le lendemain de la mort de leur femme. Marc parle d’un « dérivatif ». « Mais je ne suis pas le seul, on est des centaines ! » Seulement, parmi ceux qui ont senti le besoin de garder une activité après la retraite, certains se sont tournés vers le tennis, le golf, les associations ou les voyages. Et là, Marc a sa théorie. « A mon sens, au bridge, on est sûr de ne jamais devenir incapable. Contrairement au bricolage ou au sport. » L’esprit de logique. Voilà ce qui fait un bon bridgeur selon Marc Lapeyre. « Il faut être logique, c’est tout. On croit qu’il faut être mathématicien, mais non... » Marc, lui, était gérant d’une entreprise d’électricité. Pour les bridgeurs retraités, peu importe le niveau : la plupart du temps, Marc et ses collègues ne viennent pas jouer pour gagner, mais pour voir du monde. « Il y en a qui viennent au bridge mais qui ne sauront jamais jouer. » Marc estime fièrement qu’il sait jouer mais s’il n’a pas de partenaire fixe, c’est pour « rencontrer des gens différents ». Dans les clubs qu’il fréquente, les femmes s’habillent « super bien », élégantes et raffinées mais « qu’est-ce qu’elles sont bavardes ! » Au menu, les dernières tendances de la mode vues dans le Figaro Madame ou les avis de décès parus dans « le » Sud Ouest. Du côté des hommes, la tenue vestimentaire semble moins pointue. Entre deux « donnes », on commente les évènements politiques, la réussite aux examens d’un petitfils, le mariage de l’autre. « On cause. » Et puis Marc aime bien aider les autres. Il parle de cet homme, de 80 ans, (« pourtant costaud, c’est le frère d’un ancien rugbyman »). « Brutalement, sa vue a baissé, sans aucun espoir de guérison. Et en même temps, il perdait l’audition et le goût. » Alors Marc l’a pris sous sa coupe. « Ça lui permet de jouer deux fois par semaine, et pour lui, c’est plus qu’une distraction. Tout le monde n’a pas la chance que j’ai de pouvoir voir du monde. Je suis content comme un beau diable. » A. V. La Fédération joue la carte olympique Le bridge campe devant la porte du Comité international olympique. Ce sont les Jeux Olympiques d’hiver qui devraient accueillir ce jeu de carte. Explication : on joue beaucoup dans les stations de sport d’hiver. Histoire de ne pas se faire oublier, la Fédération mondiale de bridge a organisé un tournoi parallèle à Salt Lake City, qui réunissait les meilleures équipes du monde. Un véritable appel à la participation de ce sport de salon aux jeux de Turin en 2006. “Tout y était, indique le dossier de presse : les plus grands champions de la planète, le visage grimaçant sous la pression du jeu, les retransmissions publiques sur écran géant (le fameux bridgevision), les contrôles anti-dopage... Tout ce qui fait de ce jeu un sport de haut niveau”. Car c’est bien là le problème de la Fédération : convaincre le CIO que le bridge est un sport. Au sein du club bordelais, cela ne fait aucun doute. Les avis sont plus partagés quant à l’introduction aux JO : “Franchement, vous imaginez du bridge à la télé ? Ça n’intéressera personne à part nous !” Certes, mais “nous”, représente cinquante millions de joueurs répartis dans 125 pays. Le bridge est déjà sponsorisé (l’équipe française, victorieuse à Salt Lake City, portait le nom d’un grand maroquinier français, tendance Saint-Germain-des-Prés). La réponse du CIO tombera cet automne, avec le risque, en cas de réponse positive, de voir débarquer en masse les joueurs d’échecs, de belote ou de tarot. THOMAS BALTES 10 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS PHOTO A. V. LE PRINTEMPS REVIENT, LES BOULES FLEURISSENT R OBERT REGARDE LA La pétanque en Gironde : rien à envier au Midi BOULE D ’ACIER ROULER SUR LA TERRE BATTUE . Elle frôle le cochonnet, puis s’éloigne. Verdict : « Elle est mal tombée », apprécie Robert sous sa casquette verte. Il grogne en rallumant son cigare. L’homme à l’imposante carrure porte une chemise bleu nuit, le pantalon remonté au-dessus du ventre. « Je vais lever aussi », décide t-il, bien déterminé à placer sa boule le plus près possible du « bouchon ». Trop loin. Robert grogne encore, « j’arrive pas à toucher aujourd’hui ». L’équipe d’en face exulte : « Vous êtes Fanny ! ». Traduction : ils perdent la partie 13 à 0. AINSI “C’est regrettable, mais dans la ville (Bordeaux intra-muros) il n’y a pas de boulodrome”, explique Michel Coly. Pour le Président du comité de pétanque de la Gironde, “il y a seulement des places publiques plus ou moins bien aménagées”. La cause de cet exode ? “Aujourd’hui, on en fait des parkings ou des aires de jeux pour les enfants”. En dehors de Bordeaux, VONT LES APRÈS - MIDI , PLACE SIMIOT, entre le cours de la Somme et le cours de l’Argonne. Aujourd’hui, ils sont six : Marc, présenté comme le chef de la bande, Bernard, Jésus, Arnaud (« le Basque »), Robert (l’homme au cigare) et Robert (celui à la chemise de cow-boy). Trois contre trois, c’est une « triplette ». « On joue ensemble depuis 18 ans », explique Bernard, avec béret et lunettes de soleil. « Sinon, on s’embête. Comme ça, la semaine passe plus vite.» Bernard ne voit pas ce qu’il pourrait faire d’autre : « Il faut bien tuer le temps ». Mais seulement l’après-midi : « Le matin, on travaille, on fait le jardin. C’est qu’on est retraité, hein ! » Et puis sinon, les femmes, elles « gueulent ». dans la CUB, chaque boulodrome est géré par un club ou une association. “Il y a 197 associations qui représentent sur la Gironde Il ajoute : « On est une bonne équipe. On est tous du coin, parfois on se croise à l’hypermarché, à 300 ou 400 mètres ». BONNE ÉQUIPE, VOISINS ET AMIS DE si simple : « Il n’y a pas d’amis aux boules ! » Il y aurait seulement des connaissances, pour Marc. « Attention, c’est important ! » Il n’en doute pas : « Nous sommes des collègues de travail », plaisante-t-il. « Les amis, ça boit l’apéritif, ou ça s’invite à manger le dimanche. Nous, on ne se retrouve que pour jouer aux boules ». Il ajoute, sec, « depuis dix ans ». C’est comme ça, ici on ne va pas les uns chez les autres, même depuis dix ans. Marc a une explication. Avant, il y avait place Simiot un club qui gérait les licences du boulodrome. Il organisait aussi des tournois et surtout un repas annuel où tout le monde se retrouvait. Mais depuis cinq ans, plus de club, plus de concours et donc plus de repas. PRÈS DE 20 ANS ? Pas Pendant ce temps, les boules continuent de rouler. Marc, admire : « Elle est belle ». Jésus acquiesce, fier de son lancer. Maintenant, deux boules tutoient le cochonnet. Laquelle “Il n’y a pas d’amis aux boules” est la plus proche ? Robert sort son mètre de poche. Mesure 3 cm entre la boule adverse et le cochonnet. Perdu, la boule de son équipe est trop loin. C’est à Arnaud de jouer. « D’habitude, il pointe bien, mais aujourd’hui, c’est pas son jour, comme moi », remarque Robert. Lui vouvoie tout le monde. Comme s’il n’appartenait pas encore au cercle d’amis. « Je suis une pièce rapportée », dit-il. Il vient du Lotet-Garonne. Et joue ici depuis seulement deux semaines : « Ma femme se fait opérer d’un cancer du sein, à l’hopital Bergonié (à côté du boulodrome). Alors je viens jouer aux boules avec ces messieurs. J’ai été très bien accueilli. Je m’en vais dans deux jours mais je compte bien revenir pour les prises de tension, dans quelques semaines ». Marc, membre historique du lieu, commente : « C’est souvent comme ça, on accueille les gens de passage, on s’en fout. Tant qu’ils jouent bien... » L’autre Robert s’amuse. Il remue pour que l’ombre de sa tête vienne gêner le jeu. Robert joue depuis l’âge de 15 ans. Il en a 68, « faites le calcul ». Parfois, il jette un petit caillou pour déstabiliser ses adversaires. Et regarde en coin les jolies mamans du parc pour enfants qui jouxte le boulodrome. « Parfois, y en a des pas mal. » ADRIEN VERGNOLLE près de 11 000 licenciés, toutes catégories confondues.” “Nous sommes le département où il y a le plus de compétitions de pétanque. On n’a rien à envier au Midi. Il y a plus de 1 200 concours par an”. Les prochains championnats de France catégorie triplettes seniors, auront lieu à Souston dans les Landes, les 29 et 30 juin prochains. “Il y aura toute la fine fleur de la pétanque française, s’enthousiasmet-il. Et les Dom-Tom !” JEUX... DE ’INITIER S BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS AUX JEUX DE RÔLES, JOUER SUR CÉDÉROMS, BÉNÉFICIER DES CONSEILS ÉCLAIRÉS DES ANIMATEURS, ET REPARTIR CHEZ SOI AVEC LE JEU DE SON CHOIX POUR TROIS SEMAINES, C’EST CE QUE PRO- BORDEAUX. Implantée au cœur d’une résidence du troisième âge dans le quartier Ravezie, le lieu est un petit havre de paix aux allures de centre aéré. Quelques meubles de bois blond, des étagères qui croulent sous les boîtes de jeux de société, la conversation joyeuse des enfants : en ce mercredi après-midi pluvieux, l’espace dédié au jeu sur place accueille une dizaine d’enfants, seuls ou accompagnés d’un parent. « On adore venir ici parce qu’il y a plein de jeux, et on peut se retrouver à plusieurs, c’est vraiment super ! » Laurianne, William et Brian ont interrompu une partie de dadas acharnée pour manifester leur enthousiasme. A la table voisine, Alexis, 10 ans, joue au jeu de stratégie Othello avec sa maman. « Nous venons deux fois par semaine, et nous empruntons également des jeux pour la maison. Ça nous permet de renouveler souvent, et de tester. Quand on achète ensuite, on est sûr de ne pas se tromper », déclare cette dernière. Un peu plus loin, le petit frère d’Alexis, 4 ans, s’affaire avec un copain à une bataille de chevaliers, sous l’oeil bienveillant d’une ludo- PHOTO V. H. POSE INTERLUDE, LA LUDOTHÈQUE DE NNIE A CHIAROTTO, MAÎTRE DE DE L’ ÉDUCATION , A MIS EN 1988 À L’IUT MICHEL DE MONTAIGNE – UNIVERSITÉ BORDEAUX 3 LA SEULE FORMATION PROFESSIONNELLE DIPLOMANTE DE LUDOTHÉCAIRE EN FRANCE. PLACE EN COMMENT ÊTES-VOUS VENUE À CETTE ACTIVITÉ ? En tant qu’enseignante en espagnol, j’étais déjà très convaincue de l’importance du jeu dans l’apprentissage et le développement de l’enfant. Et puis en 1978, j’ai mis en place la première ludothèque de zone rurale à Camblanes-et-Meynac, près de Bordeaux. C’était une DE Petit, la directrice, décrit avec énergie les nombreuses activités menées par la petite équipe qu’elle coordonne. « Nous voulons faire comprendre aux familles l’intérêt du jeu pour l’enfant. Le jeu, c’est le travail du tout petit. » Un travail auquel on prend plaisir, et qui permet de progresser dans l’apprentissage du monde. La maman de Tallulah décrit les changements étonnants constatés chez sa fille : « Avant, Tallulah avait du mal à se plier aux règles d’un jeu de société. Depuis que nous fréquentons la ludothèque, où nous empruntons aussi, tout se passe beaucoup mieux. Notre relation familiale dans l’activité ludique a été complètement modifiée. » Favoriser le dialogue au sein de la famille grâce au jeu, faire admettre l’importance de cette activité non seulement pour les INTERLUDE LUDIQUE AU CŒUR DE LA CITÉ thécaire. Accueil sur place, service de prêt, animations à l’extérieur, travail de collaboration avec les structures du quartier : le projet mis en place depuis 1999 par la mairie et la Caisse d’allocations familiales joue la diversité au service d’un seul but : promouvoir le jeu comme support de rencontre et de partage. « Il s’agit d’un lieu ouvert où chacun peut venir à sa convenance, après avoir acquitté une petite cotisation annuelle. Nous avons pour mission d’accueillir tous les publics. Les enfants comme les adultes, les personnes âgées, les UNE PROFESSION EN QUÊTE DE RECONNAISSANCE CONFÉRENCES EN SCIENCES D ’ACT E U R S demande de la municipalité qui voulait une réalisation à destination des jeunes. Je suis devenue présidente de l’association régionale des ludothèques, et j’ai commencé à recevoir beaucoup de courrier de la part de personnes voulant créer ce type de structure. J’ai compris qu’il était nécessaire de proposer une formation pour répondre à cette demande. QUE PROPOSE CETTE FORMATION ? A raison d’une semaine de cours par mois, de septembre à mai, la formation aborde tous les aspects qu’il est nécessaire de maîtriser : le secteur du jouet, les approches sociologiques et psychologiques du jeu, la ges- personnes handicapées. Une de nos spécificités est de pouvoir recevoir les personnes sourdes MORDUS DE VILAINS 11 sant du public pour ce type de structure, mais atteint son seuil d’équilibre. Forte de ce succès, la mairie prévoit une expansion : l’implantation de plusieurs annexes dans les quartiers, la mise en circulation d’un ludobus, et surtout, la création d’une grande ludothèque à La Bastide en 2004. Cette structure est appelée à devenir un lieu ressource au niveau national, en regroupant une vaste documentation à destination des usagers et des professionnels. Avec un tel dispositif, gageons que Patricia Petit et son équipe parviendront à réaliser leur but avoué : inoculer à tout Bordeaux le virus du jeu. VÉRONIQUE HEURTEMATTE Interlude 45, rue du Commandant-Hautreux, 05 56 50 62 99. “Nous voulons faire comprendre aux familles l’intérêt du jeu pour l’enfant” et malentendantes, grâce à la présence dans l’équipe d’une ludothécaire qui pratique la langue des signes. Nous travaillons également beaucoup avec les collectivités. » Patricia enfants, mais aussi pour les adultes, autant d’objectifs au coeur des préoccupations de la ludothèque. Avec près de trois cents adhérents, Interlude démontre l’engouement crois- tion et l’administration d’une ludothèque. Nous recevons une centaine de candidatures par an, pour vingt-quatre places. Les étudiants viennent de toute la France, et parfois même de l’étranger. La plupart est déjà en poste dans une structure, certains ont un projet de création, d’autres font une reconversion après une carrière dans les bibliothèques ou l’animation. métiers. Il faut obtenir l’homologation de la formation, la reconnaissance de la profession, le rattachement à un ministère de tutelle, et mettre en place des outils d’évaluation. C’est indispensable à la pérennité du métier de ludothécaire. COMMENT CE SECTEUR A-T-IL ÉVOLUÉ DEPUIS VINGT ANS ? Au début des années quatrevingt, il y avait moins de 200 ludothèques en France, et beaucoup fonctionnaient grâce au bénévolat. Aujourd’hui il existe environ mille structures, et de nombreux projets sont en cours. Le personnel se professionnalise, mais il reste beaucoup à faire. Actuellement, la profession ne figure pas au registre des PROPOS RECUEILLIS PAR V. H. PHOTO V. H. 12 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS APPRENTIS TROUVETOUT MAGINER UN PLATEAU, DESSINER I LES PIÈCES OU LES CARTES , RÉFLÉCHIR AUX RÈGLES ET FABRI- QUER LE SOLIDES... TOUT A EN MATÉRIAUX CHACUN D ’ INVENTER Les animateurs de l’association O Sol de Portugal se démènent pour mettre ce travail long et compliqué à la portée d’enfants en échec scolaire du quartier Saint-Michel. Chaque mercredi matin, ils sillonnent la rue des Menuts et ses environs pour battre le rappel des retardataires. Parmi la dizaine d’enfants inscrits à l’atelier « jeux », beaucoup négligent en effet de se lever à l’heure ou de se détacher de la télévision. Il faut sonner à leur domicile pour les déloger. « Ils ont beaucoup de mal à respecter des horaires, à être réguliers », explique Joël Vaisenberg, salarié de l’association. « C’était votre cas à une époque, il fallait venir vous chercher », rappelle-t-il à Aziza et Najoie, deux brunes rieuses aujourd’hui ponctuelles. SON JEU. découpent les cheveux, ou les yeux, ou les habits d’un bonhomme, et les mettent à un autre », explique-t-elle. Libre à eux de composer des faciès borgnes ou muets. Si elle termine son jeu à temps, la petite fille pourra participer au concours « Inventez vos jeux », ouvert à tous les Bordelais, organisé par O Sol de Portugal. Mais elle n’en a pas vraiment défini les règles. « Ils n’arrivent pas à se concentrer longtemps sur une même activité. Mener à bien un travail prend des semaines et des semaines », explique Joël Vaisemberg. cadre des Contrats locaux d’accompagnement scolaire, une aide aux devoirs pilotée par la Caisse d’allocations familiales. Créée en 1981 par de jeunes Portugais, l’association a pris de l’ampleur et ses actions sociales touchent aujourd’hui surtout les enfants d’immigrés maghrébins. Titulaire d’un Diplôme d’études approfondies sur les activités ludiques et le développement cognitif, Joël Vaisenberg table sur le jeu pour « travailler le relationnel, et avoir une approche individualisée des problèmes ». Il propose ainsi au groupe d’apprendre et de fabriquer des jeux du monde entier. Mettre en valeur les origines des enfants d’immigrés Peu de projets réalisés dans le cadre de l’atelier aboutiront et pourront être présentés au concours. Une autre invention, un corps de serpent dont les cases contiennent, dissimulées derrière des post-it, des devinettes sur les animaux, attend Pour les enfants d’immigrés, ce travail est l’occasion d’interroger leurs parents, de mettre en valeur leurs origines. « Ils vivent très mal leur échec scolaire, et ne maîtrisent pas non plus leur culture. Là, ils ont pu découvrir des jeux typiquement PHOTO L. G. enrichir la « mallette pédagogique » de l’association, qui contient déjà un jeu de l’oie sur le thème du conte. Réalisé par les enfants de l’école Paul Bert, celui-ci attend d’être plastifié pour être présenté au concours. Et cohabite pour l’instant dans un placard de la salle SaintMichel avec des dominos en papier mâché, des jeux du serpent aux couleurs vives et un « boulier » modelé en terre. LISA GIACHINO Le concours “Inventez vos jeux”, propose O Sol de Portugal. “Carton, verre, tous les matériaux sont autorisés. On demande seulement que le jeu soit cohérent, avec des règles”, précise Joël Vaisenberg, salarié de l’association. “C’est l’occasion d’utiliser des capacités imaginatives que l’on n’exprime pas souvent, de les faire partager aux autres”. Il est possible de s’inspirer de jeux classiques, ou d’imaginer des règles complètement inédites. Des prix seront remis par un jury composé de membres de l’association et du centre social des quartiers Saint-Pierre et Saint-Michel. Ecoles et particuliers , tout le monde peut participer, et plusieurs classes de primaire ont déjà travaillé à un projet. Après un concours de contes, organisé l’année dernière, O Sol de Portugal a réalisé de Najoie, élève de CE2 à l’école des Menuts, colorie les trois personnages à l’anatomie et aux vêtements interchangeables du jeu qu’elle a inventé. L’un d’entre eux a un visage sans yeux, ni nez, ni bouche. « Pour jouer, il faudra que les gens toujours son support rigide et sa règle du jeu. Joël Vaisenberg est déçu. Sa créatrice devait le terminer aujourd’hui. Elle est absente et habite trop loin pour que quelqu’un aille la chercher. Mais la participation au concours est secondaire. Elle sert avant tout de prétexte pour aider les enfants en échec scolaire à « se mettre en situation de réussite, à se valoriser ». Car O sol de Portugal collabore régulièrement avec les écoles primaires du quartier SaintMichel, notamment dans le africains arrivés en Europe ». Lui-même a mis au point plusieurs « concepts » de jeux pédagogiques. Le plus achevé devrait être fabriqué « en papier collé sur du carton fort ou du bois ». Le but : ouvrir les portes d’une maison grâce à des opérations de calcul simple. Chaque porte donnera sur un personnage, un mot ou un début d’histoire qui permettra de raconter un conte. Mais cette création ne fera pas non plus partie du concours. Joël Vaisenberg la destine à nombreuses animations autour du jeu. Les créations doivent être déposées jusqu’au 26 mai au local d’O Sol de Portugal, 16 bis rue du Serpolet. L. G. JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS 13 LE RUGBY SUR UN PLATEAU PHOTO A. M. P OMPIER À LA CASERNE BORDEAUX MÉRIADECK, PHILIPPE MONRIBOT, FANA DE RUGBY, A LANCÉ SON PROPRE JEU DE SOCIÉTÉ IL Y A 3 ANS. Du nom de DE Rugbyland, le jeu voit s’affronter deux équipes de prestige : la France bien sûr, et les All Black néo-zélandais. Le but est de faire avancer les joueurs, comme au jeu de dames, mais avec des dés, vers la ligne d’essai. Celui qui l’a franchie en marque un. Une histoire qui remonte à 1998. « Un copain de Dordogne n’arrêtait pas de vouloir me présenter des règles qu’il avait créées. Je lui disais toujours non. Il pensait qu’en étant à Bordeaux, j’avais plus de chances que lui de les faire fructifier. Un jour pour lui faire plaisir et pour avoir la paix, j’ai pris ses règles et je les ai ramenées chez moi. Il y avait de bonnes idées. » Il corrige quelques imperfections et se lance dans l’aventure. « J’ai passé des nuits blanches à travailler dessus. En sortant de la caserne, je m’y mettais jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. » PENDANT 6 MOIS, PHILIPPE VA PEAUFINER LA MAQUETTE DE RUGBYLAND, sans pour autant avoir des talents de créateur ou de dessinateur. Le jeu prend forme et commence à intéresser les entreprises bordelaises. « Sur une intervention, j’ai rencontré un patron de société qui était prêt à le commercialiser. » Dès lors, la course aux partenaires s’engage. En trois mois, il trouve une personne en Dordogne qui lui taille des joueurs, une autre qui lui réalise le tapis de jeu, une qui construit la boîte en bois et le CAT du Barp pour peindre ses joueurs aux couleurs nationales. « Le plus dur était de trouver la personne qui veuille bien investir 200 000 francs dans la fabrication du premier jeu de société de rugby. » A l’unité, Rugbyland revient à 25 euros. Un coût élevé qui n’a pas refroidi les sociétés. Sauf une et pas des moindres, mais l’épisode reste encourageant : « Ravensburger trouvait le concept intéressant mais ils ne lancent la grosse machine qu’à partir de 100 000 jeux vendables en France et à l’étranger. Ils estimaient tout de même que le marché était de 40 000. » Aujourd’hui, Philippe en a vendu 3200. Lancée en l’Aquitaine faute de temps, même si la Fédération française de Rugby a néanmoins pris contact avec lui. Elle souhaitait toucher tous les licenciés en mettant le jeu sur sa revue. « Après un entretien avec le président Bernard Lapasset, la Fédération n’en a pas voulu car les dessins humoristiques de la boîte montraient un rugbyman “Je suis sûr qu’on peut le ressortir” juin 1999, toute la production de Rugbyland est partie en une seule année. « On a sorti le jeu à une période propice, lors de la coupe du monde de rugby. Par chance, la demi-finale était France-Nouvelle-Zélande. » Une aubaine pour l’apprenticréateur. Il parcourt lui-même la région pendant ses jours de repos. Plusieurs magasins Jouet Club parient sur le jeu, ce qui enthousiasme Philippe : « Je leur vendais 290 francs et eux 360. C’est cher, mais ils ont tout écoulé. » Il devient très présent en Dordogne par Intermarché et à Bordeaux où le magasin l’École buissonnière lui en prend quelques-uns. Après Noël 1999, il n’en reste plus aucun. Il n’a pas pu étendre son réseau de distribution au-delà de français en train de pousser un All Black en lui mettant la main au visage. » DEUX ANS APRÈS L’ EXPÉRIENCE , IL AVOUE AVOIR MIS LE JEU DE CÔTÉ . Aujourd’hui, se sont ses trois enfants qui jouent avec l’unique pièce qu’il a conservée. Il explique : « Le distributeur n’a pas fait son travail jusqu’au bout. Pourtant je suis sûr qu’on aurait pu en vendre plus. » En en reparlant, il reprend Comment protéger votre jeu Vous sentez des talents de créateur naître en vous. Ne espoir : « Je suis sûr qu’on peut le ressortir. D’autant plus que cette fois, les investisseurs ne partiront pas dans l’inconnu ». La plus grande satisfaction de Philippe est de toucher le plus d’acheteurs possibles. « Les régions de Toulouse, Perpignan et Pau qui aiment beaucoup le rugby devraient apprécier le jeu. Si on trouve la bonne personne qui fasse un vrai travail de commercial, je pense qu’on peut en vendre encore bien plus. Et si on le met sur Internet, ça part à coup sûr ». Pour cela, il est prêt à modifier Rugbyland. Une expérience de créateur qui n’a pas fini de faire rêver Philippe Monribot. ALEXANDRE MARSAT perdez pas de temps. Mettez au point votre jeu : maquette, dessin, règles, illustrations, logo… et courez à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) de Bordeaux, place de la Bourse, pour le déposer avant qu’un autre ait la même idée que vous. Si vous ne déposez pas votre création à l’INPI, n’importe qui pourra en profiter. Vous pouvez déposer un dessin ou modèle pour une période de 5 ans renouvelable, 5 fois. La démarche à suivre est simple et peu coûteuse (environ 400 francs). Votre création est diffusée dans le registre bimensuel de l’Inpi où un industriel peut trouver votre adresse s’il désire acquérir ou fabriquer votre jeu. A vous la gloire et la fortune si vous réussissez à commercialiser votre invention. 14 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS BORDEAUX, SON TAROT, SON MONOPOLY téristiques numérales du jeu sont d’origine arabe. Les figures sont un ajout de la culture vénitienne». Jean-François Dominis a découvert le tarot grâce à un professeur de l’école des beaux-arts qui lui avait conseillé de l’étudier comme expression d’art populaire. « Je trouve que les paysages impressionnistes manquent de contenu : c’est l’art pour l’art » , estime-t-il. « Au cours de mes recherches sur l’art populaire, je me suis rendu compte qu’on peut faire de l’art qui a une expression, une utilité. J’ai préféré le côté artistique où il y a un acte de foi, d’amour, d’espoir. » PHOTO ALEXANDRE MARSAT LES COULEURS ONT UNE CORRESPONDANCE SYMBOLIQUE. Les quatre couleurs du tarot moderne, pratiqué en France depuis la fin du XVIIIe siècle, sont trèfle-cœurpique-carreau auxquelles correspondent bâton-coupe-épéedenier du jeu arabe du XIVe siècle. En fait, le tarot de Marseille est la reproduction d’un jeu milanais. Aujourd’hui, on joue au nouveau tarot français qui date du début du XIXe et qui a remplacé le tarot de Marseille. Jean-François Dominis nous en livre la raison. « L’ancien tarot était soumis, comme l’alcool, à des taxes importantes. C’est pour pallier la fiscalité que le nouveau tarot français fut introduit en France, en contrebande, d’Allemagne, Autriche et Suisse. » A partir de la fin du Moyen-âge, tous les pays d’Europe occidentale impriment des jeux de cartes. C’est ainsi qu’on peut en LA VILLE ENCARTÉE G IANFRANCO DOMINIS EST VÉNITIEN D’ORIGINE ET VIT EN FRANCE DEPUIS 1987. Architecte d’intérieur, professeur de dessin et d’histoire de l’art, il se consacre maintenant plus particulièrement à son activité d’artiste-peintre. En 1979 déjà, une exposition sur les tarots lui était consacrée à Gênes. En 1982, encore à Gênes, il exposait sur le thème d’inspiration orientale « l’Invi- tation au Palais ». Les Aquitains se souviennent peut-être de son exposition à Biarritz en 1984, illustration du Vieil Homme et la Mer d’Hemingway. C’est en 1985 que Jean-François Dominis crée le tarot de Bordeaux. L’artiste est passionné depuis toujours par les jeux de cartes. Il en connaît toute l’histoire : « Pour autant que l’on sache, le tarot remonte au XIVe siècle en Italie et en Espagne. Les carac- compter des milliers, tous chargés de signification. « Pour le tarot de Bordeaux, je me suis inspiré de l’iconographie du tarot de Marseille. Bordeaux possède une richesse incomparable en matière d’artistes et de penseurs. » CHARLES POISSON AU SECOURS, L’EAU EST EN DANGER Battons les cartes Sortons les atouts. Le 16, par exemple, représente la flèche qui se dresse à une quinzaine E N 1997, LA de mètres de l’église Saint- CONSEIL Michel. Haute de 114 mètres, elle est la fierté des Bordelais. Poussons jusqu’au 18, figurant la porte de la Grosse Cloche, et qui est l’arcane de la Lune. En passant entre les tours de la Grosse Cloche, on entre dans le règne de l’astre nocturne. Le croissant réfléchi dans la Garonne rappelle la Lune dans le ciel. Arrêtons-nous au tarot 21, le monde. Jean-François Dominis a choisi le génie ailé et glorieux au sommet de la colonne des Girondins. Le roi de trèfle est Odilon Redon, peintre-écrivain né à Bordeaux (1840-1916) . Le roi de carreau a la figure de Guilhem IX (1071-1126), duc d’Aquitaine et de Gascogne, grand-père d’Aliénor d’Aquitaine. François Mauriac GÉNÉRAL C. P. roi de cœur prend les traits d’un consul romain, Ausonius Decimus Magnus, professeur de à Burdigala en 310. C. P. DE FRANCE, BORDEAUX POSSÈDE SON JEU DE MONOPOLY. Sorti voici deux ans en édition limitée à 12 000 exemplaires, il est vendu dans les circuits traditionnels – entendons les magasins de jouets et non les grandes surfaces. Les merveilles achitecturales de la capitale de l’Aquitaine alternent avec ses quartiers modernes. Le cours Xavier Arnozan à 40 000 F et les quais LA de sensibiliser les jeunes aux problèmes de la pollution de l’eau, ce jeu a été distribué dans tous les collèges du département, à l’exclusion de la vente. Réalisé sur la base du jeu de l’oie, Au secours est un questionnaire comme le Trivial Pursuit. Le joueur doit répondre à des questions telles que : « Combien de mètres cubes d’eau consomme une famille girondine en une année ? Les activités humaines influencentelles la qualité de l’eau ? Ou encore, Pourquoi épure-t-on l’eau ? » Le but du jeu est de parvenir le premier au caillou 59, terme du parcours et preuve que le joueur a réussi à dépolluer la rivière. Très utilisé l’année de sa sortie, Au secours suscite toujours l’intérêt des collégiens. rhétorique, écrivain et poète né ACHETEZ A LA RUE SAINTECATHERINE DU DE GIRONDE CRÉAIT UN JEU ÉDUCATIF BAPTISÉ AU SECOURS. Conçu afin est le roi de pique et, enfin, le L’INSTAR D’AUTRES GRANDES VILLES COMMISSION ENVIRONNEMENTALE à 35 000 F sont les lieux les plus prisés. A l’inverse, la place Sainte-Croix et les bassins à flot sont les moins cotés à 6 000 F chacun. Le cours de l’Intendance, chic comme un grand boulevard parisien ou les allées de Tourny, pourtant chères à Mauriac, plafonnent à 30 000 F chacun... signe des temps. C. P. JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS FÊTE VOS JEUX LE FABULEUX ROYAUME DES L DE PATIENTS D’ENFANTS A DEUXIÈME ÉDITION DE LA FÊTE DES JEUX AURA LIEU LE SAMEDI 25 DANS TOUTE LA MAI PROCHAIN FRANCE. Cette manifestation a été instituée en 2001 par le ministère de la Jeunesse et des Sports, avec l’ambition d’égaler la désormais incontournable Fête de la musique. L’association des ludothèques de France (ALF) a été mise à contribution pour organiser des manifestations sur tout le territoire. A Bordeaux, c’est la ludothèque Interlude qui va coordonner les D ’ACT E U R S DE activités. Ce jour-là, des dizaines de jeux différents seront proposés : jeux de plateaux ou jeux d’adresse, certains très récents et d’autres plus traditionnels. Quelquesuns ayant même été restaurés, voire ré-inventés, par les animateurs d’Interlude. Les visiteurs pourront également être initiés à des créations originales, jeux de rôles et de cartes notamment. Destinés à un public de tous âges, les jeux seront disséminés MORDUS DE VILAINS 15 le jour J dans le parc Chantecris, à proximité de la ludothèque. Dans le même temps, des associations et des professionnels ouvriront les portes de leurs locaux et de leurs boutiques en centre-ville. Dans le quartier de Bacalan, la Fête du jeu s’étalera du 16 mai au 6 juin grâce au concours des associations US Chartrons et du Foyer fraternel. NICOLAS FAUCHER “ON METTRA DES TABLES DANS LA RUE” DAMA- GNACS EST UN UNIVERS IMAGINÉ PAR PAULINE LAIRAT ET DAMIEN GUÉDON PHOTOS NICOLAS FAUCHER (1). Ces « Zibrides », tel est le nom de la société qu’ils s’apprêtent à créer, sont des « éleveurs d’idées ». La Fête du jeu sera pour eux l’occasion de présenter leurs lutins au grand public et de dévoiler quelques-uns des nombreux jeux issus de leurs LANCER DE LUTINS aventures au fil des siècles. Car les Damagnacs ont beau être une création récente, ils ne datent pas d’hier. L’Antiquité déjà abritait ces nains d’un mètre vingt. Plus tard, au XIIe siècle, les ambassadeurs d’une religion unique ont chassé ces païens. Réfugiés sous terre et privés de soleil, le peuple des Damagnacs s’est mis à rapetisser, pour bientôt ne plus dépasser les 30 centimètres. Selon la prophétie de leur chef Raoul, seule la découverte d’un mystérieux grimoire peut leur permettre de retrouver leur taille originale et de reprendre leur place à la surface. Figurines de terre cuite, cartes à jouer et bientôt livres de contes, l’univers ludique de ces esprits de la nature est aujourd’hui en pleine expansion. Le 25 mai, on pourra le découvrir au parc de Chantecris. N.F. ENFIN, IL SERA POSSIBLE DE JOUER RUE SAINTE-CATHERINE : Le Relais Des- cartes attend ce jour de nombreux visiteurs auxquels il proposera tous types de jeux : à damier, de société, de convivialité, mais aussi jeux de stratégie et jeux de rôles. « Nous sortirons peut-être des tables devant le magasin et certains jeux y seront en libre-service », explique François Descamp, gérant du Relais. « Il y a une forte demande en jeux à Bordeaux », analyse-t-il, « sinon, on ne serait pas là ». Cet engouement, il l’attribue à plusieurs facteurs, parmi lesquels « le fait qu’il y ait des ludothèques ». De même, « une importante population universitaire » est de nature à multiplier le nombre de joueurs. D’ailleurs, cela va avec un accroissement « du choix et de l’intérêt des jeux qui s’adressent de plus en plus à un public adulte ». (1) [email protected] N. F. Le Relais Descartes, 162, rue Sainte-Catherine, Bordeaux. CARTES À BULLES COMME L’AN DERNIER, LE CAFÉ BD, OUVRIRA SES PORTES EN GRAND À L’OCCASION DE LA FÊTE DES JEUX. Tous les amateurs de « Bonjour Robert », « Tic tac boum », de jeux de cartes et de rapidité seront donc les bienvenus à partir de 11 heures et jusque tard dans la soirée. Le Café BD est géré depuis janvier 2001 par la société Préambule. Des anima- teurs de l’association L’enjeu y organisent régulièrement, tous les premier et troisième mardis du mois, des soirées ludiques. L’essentiel des autres manifestations du Café est bien entendu consacré à la bande dessinée. N.F. Café BD, 43, rue Saint-James, Bordeaux. 16 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE RAPIDO : ACCROS MAIS PAS TROP MORDUS DE VILAINS Des jeux au trot, le PMU au galop Les Bordelais préfèrent les jeux de grattage aux jeux de tirage. Les Millionnaires, Banco et autres Tacotac représentent ainsi 44, 6 % des mises contre 42,1 % pour le Keno, le Loto et le Loto foot. Mais cette tendance commence à s’inverser, avec le Rapido, qui PHOTO N. F. rafle à lui seul 13 % des parts de marché. Ce succès participe à l’augmentation des mises bordelaises de presque 5 % pour les seuls jeux de la Française des jeux, entre 2000 et 2001. En revanche, 2002 s’annonce moins faste... Avec l’arrivée de l’euro, les tarifs ont augmenté de 30 %. De cinq francs, le Banco est ainsi passé à 1 euro. Résulat : sur l’Aquitaine, les mises ont diminué de 9 % dès le premier trimestre. T ROIS SÉRIES DE HUIT NUMÉROS S ’AFFICHENT SUR Quant aux recettes du PMU, L’ ÉCRAN ACCROCHÉ EN HAUTEUR. elles suivent sur la région une EN LETTRES DE PLASTIQUE, ON Y LIT évolution semblable à celle de “RAPIDO”. QUELQUES PAIRES D’YEUX toute la France. L’agence de INQUIETS LE FIXENT OBSTINÉMENT. Bordeaux, qui supervise quatre Treize heures une : au bar-brasserie Le Lambert, près de la gare Saint-Jean, la tension fluctue chaque minute. Imprimés en orange sur de petites feuilles blanches, des chiffres sont cochés. Treize heures deux, treize heures trois, quatre, cinq… En une fraction de seconde, le visage d’Hélian s’éclaire : un autre tirage commence. Sa tasse de café, vide depuis déjà un bon moment, est repoussée à l’extrémité de la table en zinc. La pointe de l’index s’agace à faire glisser l’un contre l’autre les rectangles de papier. Machinalement. Seul le cendrier est toléré à proximité des phalanges. Nerveuses. Ce routier d’origine réunionnaise se défend d’être « un accro ». Tout juste un consommateur régulier. La trentaine à peine passée, il joue « depuis quatre ou cinq ans ». « Peutêtre tous les quinze jours… jamais plus d’une fois par semaine », il se paie son petit mixte d’espoir et de suspense, dealé d’un à cinq euros la dose. « On ne perd pas grandchose… ça remplace le casino et on s’arrête quand on veut », ce qui est « beaucoup mieux avec ce genre de pièges à cons ». La servitude volontaire serait un peu trop vite diagnostiquée : tout de même, grâce au Rapido, « on ne voit pas passer le temps ». L’argent non plus d’ailleurs. Hélian finit par l’avouer, son jeu fétiche le déleste « de 40 euros par départements (16, 17, 24, 33), annonce un chiffre d’affaire de 162 millions d’euros pour l’année 2001 (+ 3,84 % par rapport à 2000). Durant la même année, un million de personnes ont parié sur des chevaux en Gironde. A Bordeaux, comme sur toute la France, leurs jeux favoris sont le Quinté+ et le Couplé. semaine, plus 20 euros pour le Loto » ; mais, après tout, il en connaît « qui jouent dix fois plus ! ». S’ils gagnent ? « Pas beaucoup, mais ils gagnent… » Et lui-même ? « Pas trop, mais c’est sûr, je vais gagner un jour ! » ses gains : il est « content »… mais ne songe qu’au « pactole de 10 000 euros ; c’était déjà pareil avec les francs ! » Hélian, lui, prend encore plus de plaisir avec la nouvelle monnaie : « Pour moi, c’est comme si je jouais avec des dollars », “Les euros, pour moi, c’est comme si je jouais avec des dollars” DANIEL EST COMÉDIEN, et ce quadragénaire joue sans complexe : en toute franchise, il admet miser quotidiennement « dix euros ». Aujourd’hui c’est fête, il en a « pris pour trente » et est « presque remboursé » par s’excite-t-il. Jouer pour jouer , alors ? Pas seulement. Son regard se perd un instant dans le vague… Puis : « Une moto ! Si je gagne, c’est direct la moto ! Pas question de le laisser à la banque ! Avec le salaire, il faut toujours attendre. Là, ça serait le coup de baguette magique. » « Rêver un peu que je vais gagner de la tune, que je vais passer un été tranquille », tout ça trotte dans la tête de David, lorsqu’il valide ses grilles. Au chômage depuis peu, encore jeune, il ne se fait pourtant « pas trop d’illusions » et joue surtout pour « se désolidariser du reste » : « On ne change pas de vie en cinq minutes, il y a le Loto pour ça ! Le Rapido, c’est surtout pour s’amuser. » N’empêche, « un voyage, si je pouvais »… Par-delà le cliquetis des cuillères, le ballet des demis et le piétinement des fumeurs, David aperçoit le « Vietnam et l’Afrique noire ». FANTASMES, JOUISSANCES, DÉCEPTIONS : le Rapido est une pra- tique solitaire… Qui permet à Daniel « d’évacuer le trac avant d’aller bosser », mais aussi paradoxalement « d’échapper à la solitude de l’hôtel ». En ce lundi de Pâques, son de cloche identique chez Hélian, qui croit déceler «un petit côté pervers dans ce jeu » : « On joue pour soi… On peut même oublier la famille si on gagne »… Le trait d’égoïsme ne dénie pas toute morale : « Il faut miser seulement avec de l’argent qu’on a soi-même gagné, et pas avec son RMI ! », martèle-t-il ; tout en défendant l’idée que « grâce au Rapido, à la Française des jeux, les gens sont plus égaux », et « ne restent pas forcément toujours du même côté de la barrière ». Sur cette ambition sociale, Daniel est plus perplexe, lui qui soupçonne « l’ordinateur des tirages, à Lyon », d’être « constamment connecté » et de sortir les combinaisons « en fonction du nombre des gagnants ». David accepte par avance cette « petite arnaque statistique », au même titre « que les chances de gagner ». Cette supposition ne révolte pas non plus Daniel, qui trouve même cela normal : « Le jeu, c’est comme dans la vie, dans les relations humaines… tout n’est pas forcément très clair », philosophe-t-il un court instant, embrumé dans la fumée de sa cigarette. Avant de se reprendre, un rien honteux : « Mais je dérape, là : le jeu c’est une chose ; la vie, c’en est une autre ! ». NICOLAS FAUCHER DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS Inscrites en néons bleus sur fond de briques, les lettres sont en capitales : “Casino de Lacanau”. Derrière la porte, vingt-cinq personnes tout au plus s’affairent autour de la vingtaine de machines à sous récemment installées près des limite glauque. Voilà qui tranche avec ÉONS BLEUS, CHUTES D’EAU, N MOQUETTE ROUGE, DORURES, MIROIRS… L E BORDEAUX S’APPRÊTE CASINO DE À PRENDRE l’effervescence qui règne sur la POSSESSION station. Un parfum d’été y flotte Situé depuis près d’un an au rez-de-chaussée de l’hôtel Sofitel, il s’installera définitivement sur les rives du lac, à proximité du Palais des congrès, dans deux bâtiments distincts. Deux mondes, mais une seule ambiance. Avec ce nouveau complexe, la capitale girondine s’offre un luxe digne de Las Vegas, un univers limite rococo s’y étale sur 7 000 m2… Avec les incontournables du gigantisme à l’américaine : cinq restaurants, trois bars, une salle de gala de 300 places et une salle de spectacles pouvant accueillir jusqu’à 700 personnes. Mais le meilleur – ou le pire – est encore à venir : 300 machines à sous n’attendent plus qu’une autorisation du ministère de l’Intérieur pour investir le site, même si la Commission supérieure des Jeux n’en préconise que 150 (1). Les bandits manchots (2) constitueront alors une manne touristique sans précédent pour Bordeaux : « Les jeux de table attiraient en moyenne 1800 personnes par mois. Mais l’ouverture du nouveau casino devrait attirer près de 2500 joueurs par jour ! » Véritable poule aux œufs d’or pour les établissements de jeux, la part des machines à sous avoisine 90 % de leur chiffre d’affaires. Du côté de la classe politique, l’arrivée dans la région des roulettes et autres bandits manchots est loin de faire l’unanimité. Si la majorité municipale se déclare ravie, par la voix de son premier adjoint Hugues Martin, à gauche, on fait grise mine. Pierre Hurmic, élu écologiste qui a porté l’affaire devant les tribunaux administratifs à l’occasion de l’attribution du marché du casino, juge toujours aussi problématique l’implantation d’un tel établissement (3). Mais le groupe Accor, propriétaire du complexe, est en passe en ce dimanche de mars. Le mercure frôle les 25°. La foule des grands jours s’extirpe des embouteillages. En attendant les chaudes heures estivales, Lacanau accueille pour quelques semaines encore son public traditionnel, Girondins des villes, Aquitains des campagnes. Au casino, c’est encore l’hiver. Le bâtiment semble complètement coupé du monde. Les visages sont crispés. Jeunes et vieux, couples et célibataires, blancs et noirs, ici pas de discrimination. L’argent n’a pas de couleur. La partie se joue dans l’ombre. Baskets et vieilles godasses sont les bienvenues. Un petit air populo bien vite oublié quand le soleil disparaît à l’horizon. Place alors aux rois des tables de jeux. Deux lumières, deux mondes... La clim’ est en marche, de quoi apaiser la nervosité des joueurs. Une petite soif ? Le casino a pensé à tout : café, jus d’orange, vin ou petits gâteaux... Par un tel climat, toute sortie dans un commerce du coin risquerait d’être définitive. Autour des bandits manchots, on se regarde, on s’épie, on s’envie. A droite, les pièces clinguent et reclinguent. C’est le jackpot pour la voisine ! Un brin de chance ni plus ni moins. Mais la machine est repérée. A peine a-t-elle abandonné sa place que d’autres joueurs l’assiègent. Ils ne la lâcheront que quelques heures plus tard, enfin repus d’espoirs et d’amertume. PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS 17 LES PAILLETTES SONT D’OR ET L’ARGENT EST ROI Bon dimanche chaud chez les bandits manchots tables de blackjack. Ambiance DE LOCAUX. DE SES NOUVEAUX de devenir un véritable mécène pour la ville. La salle de concert pourrait être rapidement le grand lieu de spectacles de la région bordelaise : théâtre, ballets, opéras, chanson française… En somme, une vache à lait non négligeable pour la Ville et l’Etat, qui prélèvent à eux deux plus de 50 % des recettes de l’établissement. « Notre entreprise est populaire (…) On se veut accessible à tous », affirme encore la direction. Celle-ci s’affiche irréprochable en matière de prévention des risques dus aux abus de jeux. « Nous avons mis en place un programme visant à sensibiliser notre personnel afin de venir en aide à toute personne qui jouerait au-delà de ses moyens. Cette mesure s’ajoute aux demandes d’interdiction d’entrée opérées par les joueurs auprès du ministère ou des casinos », poursuit Didier Brezzo. Un partenariat a d’ailleurs été signé avec l’association SOS Joueurs : « Le jeu doit avant tout rester un plaisir ». C’est aussi un bon moyen de se démarquer des tripots clandestins. À ce propos, le directeur du casino s’interroge : « Est-ce que leurs machines à sous assurent le même niveau de probabilité aux joueurs ? Et l’accès aux mineurs, strictement interdit chez nous, l’est-il également ailleurs ? » Didier Brezzo reste dubitatif. L’ombre et la lumière, deux mondes qui se côtoient sans jamais se regarder. À NOUVEAU DÉCOR, NOUVELLE CLIENTÈLE. Si les heures diurnes sont réservées au grand public, les soirées sont plus smokings et paillettes. Dès la nuit tombée, roulettes et blackjack se “Notre entreprise est populaire, on se veut accessible à tous” réveillent à l’étage. « Un joueur de machines à sous dépense en moyenne 38 euros. Ce montant s’élève à 100 euros autour des tables de jeux », précise Didier Brezzo. Distants seulement de quelques marches d’escalier, ces deux mondes semblent séparés par un véritable fossé. Les responsables de l’établissement réfutent ce constat : THOMAS QUÉGUINER PHOTO NOEMIE VIDEAU JEUX... (1) L’autorisation d’installer des machines à sous ne peut être demandée au ministère de l’Intérieur qu’au bout d’un an d’exploitation. (2) Les machines à sous sont également appelées bandits manchots. A l’origine, elles étaient maniées par un seul bras métallique. Aujourd’hui, une simple touche suffit. (3) La loi du 15 juin 1907 autorise l’implantation de casinos dans les stations balnéaires, thermales ou climatiques. En 1987, le ministère de l’Intérieur autorise l’exploitation de machines à sous. Ces dispositions ont ensuite été élargies par la loi du 5 janvier 1988. Depuis cette date, toute ville classée « touristique » et comptant plus de 500 000 habitants peut accueillir des établissements de jeux. En France, Bordeaux est la deuxième métropole, après Lyon, à ouvrir un casino. JEUX... ENQUÊTE 18 DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS MACHINES À SOUS CLANDESTINES: POGNON SUR RUE Mode d’emploi LE BINGO Aussi appelé flipper belge ou score ball. L’appareil ressemble beaucoup à un flipper classique, mais il n’a pas de leviers destinés à renvoyer la U COURS DE L’YSER AU COURS D DE LA MARNE, DE balle. Il est constitué d’un BÈGLES panneau vertical, sur lequel AUX QUAIS DE LA GARONNE EN sont inscrits des nombres PASSANT PAR LA PLACE DE LA VICTOIRE, de 1 à 25. Un autre panneau, DERRIÈRE LES VITRINES DES CAFÉS, DES MACHINES ÉTRANGES légèrement incliné, est percé PEUVENT VOUS FAIRE GAGNER DE de 25 trous correspondants aux L’ARGENT. nombres du panneau vertical. Il Dans l’illégalité la plus totale, mais sans réellement se cacher, des joueurs passent leurs journées devant des machines à sous clandestines comme les flippers belges ou les pokers électroniques. Et pourtant, ces engins assez imposants, disposés en bout de comptoir, ne peuvent passer inaperçus. « Il y a même des policiers qui y jouent », ironise un cafetier. est hérissé de pointes CES d’un ressort, exactement métalliques qui modifient le parcours de la boule. Lorsque le joueur introduit une pièce (en général, 1 euro, ou 10 francs avant le premier janvier), des combinaisons de cinq chiffres apparaissent sur le panneau vertical. Le joueur lance alors cinq billes métalliques à l’aide MACHINES SONT À LA LIMITE DE LA LÉGALITÉ. A l’instar de n’importe quel billard ou baby-foot, elles sont déclarées à la douane. Les cafetiers bordelais payent en effet une taxe d’utilisation de 335 euros par an, symbolisée par une vignette verte. L’explication? La douane délivre une seule et même vignette pour tous les jeux de bars ; les flippers belges ont donc la même que les autres jeux. Et une fois l’engin déclaré, les cafetiers peuvent partager les bénéfices d’exploitation avec les placiers propriétaires des machines. Jusqu’ici, rien d’anormal, mais le bât blesse quant à l’utilisation que l’on en fait. On peut en effet, comme une quelconque partie de dés, transformer ces jeux d’amusement anodins en jeux d’argent. Un accord tacite entre l’utilisateur et le tenancier entraîne le paiement d’une partie selon le nombre de points effectués. A raison d’un franc le point, des machines sur lesquelles on peut en totaliser des centaines peuvent facilement rapporter gros. « Bien évidemment, cela pimentait le jeu et attirait du monde », confie un comme au flipper. Il doit mettre ces boules dans les trous PHOTO T. B. barman, « on avait tout intérêt à jouer ce jeu là ». Plus de consommations au bar pour ces joueurs insatiables, mais surtout un revenu net assez conséquent quand le patron décidait de monnayer les parties. « 15 000 pour moi, 15 000 pour le placier », explique un cafetier bordelais. Une information évidemment très difficile à contrôler. Ce système est connu de tous, mais difficilement repérable par les services compétents. Pour le prouver, il faut un flagrant délit. Les autorités doivent donc contourner le problème pour tenter de mettre fin à ces agissements. Le principe : saisir les flippers belges au motif qu’ils sont des jeux de hasard, ce qui suffit à les rendre illégaux. Pour cela, le manque de précision de la loi concernée a été bien pratique : rien dans le code pénal ne permet de dire si ces machines sont des jeux de hasard. Aussi, quand ces machines ont fait l’objet, il y a deux ans, d’une répression de grande ampleur, ce fut la course à l’expertise. UNE PREMIÈRE ÉTUDE, pratiquée par un expert près la cour d’Appel d’Aix-en-Provence, concluait que le fonctionnement de ces appareils reposait sur le hasard et non pas sur l’adresse du joueur, les rendant ainsi illégaux. De nombreux établissements furent donc fermés provisoirement par arrêté préfectoral. « C’est tout de même assez surprenant », s’étonne Brigitte Gaillard, avocate du syndicat correspondant aux numéros allumés sur le panneau vertical. C’est une sorte de loto, mais si le joueur est habile, il peut influencer la trajectoire des billes en donnant des coups dans l’appareil. Il n’est pas rare que le cafetier rémunère les points derrière le bar. des jeux automatiques mis en cause, « si tout le monde savait que ce type de machine était interdit en France, pourquoi l’Etat leur délivrait-il des vignettes d’exploitation? » LES ÉCRANS TACTILES ENSUITE, possible de changer la cassette UNE CONTRE- EXPERTISE dans l’usine de fabrication des jeux incriminés à Bruges, en Belgique. Trente mille tests mécaniques et manuels ont été effectués pour arriver à la conclusion que ces engins ne faisaient pas uniquement intervenir le hasard, mais aussi l’adresse des joueurs. Un an après, l’arrêté préfectoral a été jugé comme un excès de pouvoir par le tribunal ••• FUT MENÉE Ce sont de petits écrans, que l’on peut trouver absolument partout. Tels quels, ils ne sont pas illégaux, mais il est qu’ils contiennent ou de modifier leur carte informatique pour en faire des jeux illégaux. En y mettant un jeu de poker, par exemple, qui est considéré comme un jeu de hasard par la loi de 1983. Ce jeu est donc illégal en soi. Mais comme pour le bingo, le cafetier peut payer les points. DE BORDELAIS ••• administratif et une demande d’indemnisation a été déposée. Depuis, la préfecture a fait appel. Deux ans après cette affaire, on peut tout de même s’étonner du peu de répression, compte-tenu de la visibilité de ces machines. POURQUOI LES POUVOIRS PUBLICS SONT-ILS INTERVENUS précisément en 1999 ? Pierre Hurmic, élu d’opposition de Bordeaux et avocat d’un cafetier mis en cause, ose une explication : « Les véritables raisons de cette répression ? Je parle en tant qu’élu, mais pour moi, l’installation d’un casino à Bordeaux n’est peut être pas anodine dans cette affaire. N’avait-on pas pour volonté de nettoyer préci- D’INVENTEURS DE FLAMBEURS pitamment le centre-ville ? » Le casino, qui vient d’installer ses machines à sous aurait ainsi bénéficié de l’affluence des joueurs compulsifs, privés de leur occupation favorite du centre-ville. Dans cette affaire, toutes les victimes s’en réfèrent aux pays limitrophes : l’illégalité de ces machines est une spécificité française. NOS VOISINS EUROPÉENS, Espagne, Angleterre ou dernièrement, Portugal, ont légalisé les machines à sous en tant que telles dans les débits de boissons. Les mises et les gains sont limités, mais elles se retrouvent naturellement placées entre des flippers et autres juke-box. DE PATIENTS D’ENFANTS Elles font l’objet de taxations, mais leur gestion peut être privée. Alors qu’en France, tous les jeux de hasard faisant intervenir de l’argent ne peuvent sortir du pré carré de l’état ; la Française des jeux et le PMU sont des sociétés d’économie mixte et les casinos, pourtant privés, sont très fortement réglementés, tant sur le plan des installations que sur celui de la fiscalité. Le taux de remboursement des bandits manchots, par exemple, est défini par l’Etat. Ce monopole permet aux autorités de garder une mainmise totale sur ce secteur qui, il faut bien l’écrire, est particulièrement rémunérateur (les prélèvements de l’Etat sur les mises de la Française des jeux en l’an 2000 ont été de 1,75 milliards d’euros). Là où de nombreux pays ont fait évoluer UN CAFETIER REVIENT SUR L’AFFAIRE DES BINGOS D ’ACT E U R S DE leur loi avec les habitudes, la France reste, pour l’instant, campée sur ses positions. Mais il faut rester prudent : si le détournement organisé de ces jeux d’amusement en machines à sous est assez fréquent (« personne ne jouerait au bingo sans argent à la clé », nous a confié un cafetier), on ne peut pas parler d’une quelconque mafia à Bordeaux. « Ça n’a rien à voir avec la Côte-d’Azur ou la région parisienne », assure-t-on du côté de la police : « les réseaux sont rares et de faible envergure. » Mais même si ces engins n’appartiennent que rarement au crime organisé, les différentes actions de répression pour un forfait fixe. Le placier me donnait chaque mois un revenu de 305 euros (2000 francs), quel que soit le montant récolté dans la machine. Disons que ça me payait l’eau et l’électricité. Maintenant, il faut que je me débrouille. En plus, ça attirait des clients : il y avait des gens qui faisaient la queue pour jouer! Et puis, ça faisait consommer. Maintenant, il n’y a plus personne. U N CAFETIER DE LA RÉGION BORDELAISE A SUBI LA VAGUE DE FERMETURES ADMINIS- 2000 PARCE QU’IL POSSÉDAIT DEUX BINGOS. Sous couvert TRATIVES DE d’anonymat, il revient aujourd’hui sur ce problème épineux. EN FÉVRIER 2000, VOTRE CAFÉ A ÉTÉ FERMÉ PARCE QUE VOUS POSSÉDIEZ DEUX BINGOS. COMMENT CELA S’ESTIL PASSÉ ? MAIS SELON VOUS, CE NE SONT PAS DES JEUX DE HASARD ? Non ! C’est pour ça que j’ai pris un avocat et que j’ai saisi le tribunal administratif. La contreexpertise a montré que j’avais raison : les bingos font appel à l’adresse du joueur. Par exemple, en tapant sur la machine, on peut faire changer DE VILAINS 19 n’ont en aucun cas enrayé le phénomène. Tout au plus y ontelles mis un frein. « De toute façon, le véritable accro se moque du jeu pratiqué, il peut changer de support, rigole un cafetier, regardez le boulodrome, à côté du café : tous les dimanches, il y a de l’argent qui tourne ! C’est quand même cinq cent francs la partie ! Et c’est pareil pour la belote, il est rare qu’on n’y joue pas de l’argent! ». JÉRÔME LEPEYTRE En toute illégalité A part les quelques grosses affaires, Bordeaux n’est pas la ville où s’épanouissent les jeux clandestins. Ils se pratiquent très discrètement et peu d’entre eux ont été répertoriés par les services de police. Les jeux de rues comme le bonneteau, où l’on doit trouver une carte ON PARLE PARFOIS DE MAFIA… Eh bien, à l’époque, j’avais en effet deux de ces jeux de salle qui ressemblent à des flippers, mais qui fonctionnent sur le principe du Loto. On envoie plusieurs boules, qui doivent tomber dans certains trous du plateau. Si on réalise la combinaison proposée par le tableau lumineux du Bingo, on a gagné. La police a fait une descente chez moi en juin 1999 et a constaté que j’avais deux machines. Ensuite, le préfet a fait fermer mon établissement pour un mois, sous prétexte que les bingos étaient des jeux de hasard. Tout le problème est là : si le joueur ne peut influencer la trajectoire de la boule, le jeu est aléatoire et il devient illégal. MORDUS ENQUÊTE JEUX... PHOTO T .B. Non, c’est complètement faux, ces machines sont placées par des entreprises légales, qui ont pignon sur rue. Comme je l’ai déjà dit, ce ne sont pas des jeux de hasard, alors il ne faut pas imaginer je ne sais quels bandits, c’est faux. Il y en a qui sont venus, qui ont voulu me mettre des jeux sans vignette, des gars bizarres… mais je les ai mis à la porte. marquée d’une croix parmi trois autres installées sur des cartons, n’ont pas trouvé leur place dans le paysage urbain bordelais. Ces jeux qui se montent et se démontent très rapidement sont au contraire courants dans les quartiers immigrés de Paris. Il n’y aurait pas non plus de combats de coqs ou de chiens dans les caves sombres des AUJOURD’HUI, la trajectoire de la boule métallique. La loi interdit bien les jeux de hasard, mais là, ce n’était pas le cas. OUI, MAIS LES JOUEURS GAGNAIENT DE L’ARGENT EN ÉCHANGE DES POINTS, CE QUI EST ILLÉGAL ? L’accusation ne portait pas làdessus : pour ça, il aurait fallu un flagrant délit. Mais certains jouent en effet pour de l’argent : ceux qui ont le jeu dans le sang. Quand ils gagnent des points, ils les convertissent en monnaie. En général, un point représente un franc. Mais il y en a aussi qui ont simplement le goût du jeu. S’ils gagnent, ils rejouent l’ar- gent et c’est tout. C’est l’hypocrisie du système : la police ne pouvait pas prouver qu’il y avait un échange d’argent, alors elle s’est attaquée aux bingos sous le prétexte « jeux de hasard ». Mais il ne faut pas caricaturer, ça reste des jeux ludiques, récréatifs. Les joueurs ne deviennent pas millionnaires. CELA VOUS RAPPORTAIT BEAUCOUP ? Oui… et non. En général, il y a un partage des recettes entre les cafetiers et les placiers, à environ 50/50. Le problème, c’est qu’en fonction de la place des machines, elles rapportent plus ou moins. Chez moi, j’avais opté TIMENT PAR QUEL EST VOTRE SENRAPPORT À CETTE AFFAIRE ? Les cafetiers sont des proies faciles car la législation n’est pas claire. Mais le tribunal a fini par annuler l’arrêté du 2 février 2000 qui avait entraîné la fermeture de mon café. Il a aussi condamné l’Etat à me rembourser les frais de justice ; cependant, le préfet a fait appel. Mais moi, je conteste cette décision, car cette somme est ridicule. Elle ne couvre pas du tout mes pertes, ni le préjudice fait à la réputation de mon bar. Rien que le mois de fermeture m’a coûté un mois de chiffre d’affaires, soit 7620 euros (50 000 francs). PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÔME LEPEYTRE ET THOMAS BALTES cités environnantes. Bien que la région compte deux hippodromes, au Bouscat et à La Teste, les grosses affaires liées aux chevaux ne marquent pas les annales judiciaires. “Il y a une petite délinquance, mais il faut reconnaître que le milieu a été bien assaini il y a quelques années”, souligne un officier de police. JEUX... ENQUÊTE 20 DE BORDELAIS D’INVENTEURS ’ORGANISATION L DE MACHINES DE D ’ UN TRAFIC ILLÉGALES DEMANDE UNE MISE DE FOND IMPORTANTE. Tout débute par la construction des machines de jeux qui peuvent être des bingos, des pokers, mais aussi des jeux vidéos plus classiques, comme des courses de voitures. Des réseaux vont acheter des appareils parfaite- FLAMBEURS DE PATIENTS a quelques années. Dès que le réseau possède ses jeux, les placiers illégaux entrent en scène. Ces hommes tiennent un rôle essentiel dans le trafic. Ils sont le relais entre les organisateurs de la filière et les patrons de bars. Grâce à un réseau de connaissances, ils proposent leurs machines modifiées aux gérants des débits de boissons. Le placier et le patron déterminent alors le montant des commissions à se partager. Un cafetier peut toucher entre 20 et 50 % des bénéfices si la machine marche bien. Malgré l’entente des deux parties, les membres de ce « commerce » peuvent retirer les bornes de jeux s’ils estiment que cela ne rapporte pas assez. VIE ET MORT D’UNE FILIÈRE ment légaux et vont leur faire subir quelques modifications, notamment au niveau des cartes-mères. Parfois, ils font directement construire les machines modifiées à l’étranger. C’était le cas en Roumanie, il y D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE Ces machines modifiées sont un bon filon car elles sont difficilement détectables pour les noninitiés. En effet, rien en apparence ne les distingue des autres machines. Le joueur gagne des points normalement, comme dans tous les jeux, mais sa partie devient illégale lorsque ses points sont transformés en argent liquide. Loin des regards indiscrets, ce trafic peut rapporter gros lorsque l’établissement est très fréquenté. Mais il suffit de peu pour que tout s’arrête. Un juteux trafic peut prendre fin un soir, par une dénonciation ou par un contrôle MORDUS DE VILAINS à l’improviste des policiers de la Sécurité Publique, qui ont des soupçons sur un établissement. Dès lors, des mois de repérages et d’enquêtes s’enchaînent pour identifier tous les acteurs de la filière. Au final, c’est la descente de police. Les machines sont saisies et placées sous scellés. Parfois, une affaire de blanchiment d’argent est mise au jour en même temps. La partie s’arrête là pour les patrons et les membres du réseau, qui se retrouveront plus tard au tribunal. JULIE MARTINEZ Le poker derrière un écran de fumée “J’AI VU DES ÉCARTS DE 10 000F SUR UNE SOIRÉE” Vingt mille francs sur la table, un sourire en coin derrière un cigare et un carré d’as qui tombe. Voila le genre de cliché que l’on a peu de chance d’apercevoir au fond d’un café. Les jeux de cartes qui reposent sur le hasard sont strictement interdits dans les lieux publics, même s’ils ne mettent pas d’argent en jeu. I L A CONNU LE MILIEU TRÈS FERMÉ La couleur de l’argent, celle des cartes de poker, a fait de lui un joueur de haut niveau, aussi à l’aise sur les champs de courses qu’au jeu d’échecs. A 50 ans, il a décidé de raccrocher ; c’est pourquoi il souhaite rester anonyme. DU JEU BORDELAIS. mais il n’y a que 200, 300 euros qui passent entre les mains, c’est tout”. C’est déjà suffisant pour risquer, en cas de flagrant délit ou d’aveu du cafetier, une fermeture immédiate. Le SE FORMENT LES CERCLES DE JOUEURS tenancier risque également de ? Ils se reconnaissent rapidement et la partie peut se jouer n’importe où. Prenez quatre joueurs, ils trouveront forcément un endroit : chez eux, dans un bar ou dans un club. Dans chaque ville, on trouve les milieux de jeu correspondant à ses propres affinités. Les lieux vont du plus sordide au plus bourgeois. A certains endroits on joue dans la crasse, à d’autres, dans des fauteuils en cuir. Chacun essaye de trouver sa place. La plupart du temps, les parties se déroulent dans des arrière-salles de bar ; les patrons y trouvent leur intérêt, parce que les joueurs consomment beaucoup. VOUS raconte un cafetier bordelais, JOUIEZ DANS CES ARRIÈRES- SALLES ? Ça m’est arrivé, mais j’ai toujours préféré les clubs de jeux, qui ont un certain nombre de règles pré-établies. Là, lorsque vous gagnez, vous êtes payé, alors que dans un bar, c’ est pas toujours évident... L’argent y est géré comme dans un casino, le deux à six mois d’emprisonnement et de 50 000 à 200 000 francs d’amende. PHOTO J. M. COMMENT “Dans mon bar, on joue au rami, C’est pourquoi les vrais joueurs, qui peuvent mettre en jeu jusqu’à leur salaire en une directeur de jeu vend des jetons avec lesquels on joue. Ça a bien sûr un coût : une commission est prélevée. Sur ces tables, les parties ont une durée imposée. Le perdant se retire quand il veut, mais le gagnant est tenu d’aller en fin de partie. Cela peut durer cinq à six heures et au bout de ce tempslà, on paye et l’on peut soit commencer une nouvelle partie, soit prolonger la partie en cours s’il y a consensus autour de la table. Il faut fixer une durée, sinon le perdant veut toujours continuer, la plupart du temps pour perdre plus. QUELS SONT LES GAINS ? Le niveau de jeu est très variable, le rapport va de un à dix selon les tables. Par exemple, à Bordeaux dans les années 80, les parties de tarot se jouaient entre 10 centimes et un franc le point. Il y a quatre ou cinq ans, j’ai vu des écarts de 10 000 francs sur une soirée. Ce n’est pas une rente, on ne gagne pas à tous les coups. Lorsque vous avez un peu d’expérience, vous perdez moins qu’un mauvais joueur, mais… vous gagnez plus. Ce sont ces écarts qui font que même en perdant, vous y gagnez sur le bilan total. Le monde des joueurs est régi par une loi simple : chacun, sur un grand nombre de coups, a les mêmes chances ; c’est la qualité du jeu qui fait la différence, à chacun de savoir saisir l’opportunité. soirée, jouent peu dans les lieux publics. “Ils flambent chez eux, explique le cafetier, pas ici. Il y en a même qui louent des chambres rien que pour ça.” Ainsi, les patrons ne risquent rien. Mais curieusement, les N’AVEZ-VOUS PAS RISQUÉ LA RUINE ? joueurs ne sont jamais ennuyés J’ai toujours consacré un budget prédéfini aux jeux. Si je ne l’ai pas, je fais une période de carême. Par contre, si je l’ai, je remets et je repars. Je n’ai jamais mis en cause l’économie familiale pour le jeu. J’ai gagné pas mal d’argent, le bilan est largement positif. par la justice. PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÔME LEPEYTRE Chez soi, on est libre de faire à peu près ce que l’on veut. Le délit commence à partir du moment où une personne organise régulièrement des parties chez elle et qu’elle touche un pourcentage sur l’argent échangé. DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE “J’AI EU TROP PEUR” BORDEAUX... POUR NE PAS JOUER. P OUR NE PLUS JOUER . A CE SPORT, LA PÉTANQUE, QUE CERTAINS PRÉFÈRENT ILLÉGALE. Un temps, Sébastien (à L EST REVENU À I DE VILAINS 21 « Dans un tournoi, on arrive avec son coach, on boit l’apéro, l’ambiance est sympa. Puis on joue. Il y a d’abord des poules qualificatives, puis des matchs éliminatoires. C’est comme un tournoi quelconque en fait ». Quelconque... Sauf que cela se joue sur des chantiers, des terrains vagues ou dans des souterrains, qu’en arrivant « on pose les billets sur la table », et qu’en partant, ce n’est pas une coupe qu’on emmène, mais de l’argent. Beaucoup d’argent. « Ou pas du tout ». « Au début je gagnais souvent, donc j’avais des tunes. Lors de certaines compétitions je pouvais gagner jusqu’à 15 000 F. En une soirée. Et encore, j’étais chez les jeunes. Les anciens, c’est un tout autre niveau ». Sébastien flambe. Il paye des pots à tout le monde, offre des week-ends de rêve à ses amis. « Je leur payais tout : l’hôtel, la menaces proférées par les « grands pontes » du réseau, des pressions répétées par le coach... Les jeux d’argent ne sont pas sans danger. « Les gens qui organisent ça appartiennent à des organisations criminelles. Il ne faut pas rigoler avec eux. Et je l’ai très vite appris à mes dépends ». Sébastien commence à perdre, il s’endette, s’attire les foudres de « sa » hiérarchie. « Je ne vivais plus. J’avais peur. On me faisait comprendre que j’avais intérêt à rembourser. Mais à chaque défaite je devais encore un peu plus d’argent. » Envie de laquelle il a grandi. Ici, les parties de boules mafieuses sont « rarissimes », les sommes sont « ridicules ». Ici, il oublie. « Je n’ai jamais craqué. On m’a proposé une fois ou deux, mais j’ai refusé. Cela existe, mais sans bouffe, les sorties, l’alcool... Il suffisait de trouver un grand frère qui avait une voiture et on partait. Quand on allait en boîte, j’achetais deux, trois bouteilles pour épater les filles. » Ses parents ne se doutent de rien. Ils croient que c’est ce qu’il gagne au marché, où il travaille depuis quelques temps. « C’est la belle vie, l’argent facile.» Mais ce n’est pas de tout repos. « Les veilles de tournois, j’arrivais pas à dormir. J’étais excité par le jeu, et surtout par la peur de perdre. Parce que là, c’est pas la fierté qui est en jeu... C’est le porte-monnaie. » Et parfois plus. Des doigts explosés à coup de boules, des partir ? De fuir ? « Non, parce que ces gens ont des réseaux partout. » Prisonnier des boules, comme un toxicomane de la drogue... « Sauf que moi j’étais pas dépendant. Je pouvais partir quand je voulais... A condition de rembourser ». Ce qu’il fait. A dix-sept ans, quelques précieuses victoires lui permettent de s’affranchir de ses dettes. Il doit alors choisir : « Je pouvais continuer. Mais j’avais eu trop peur... J’avais trop peur ». Sébastien abandonne l’argent facile, oublie la vie de « nanti ». La crainte de « retomber » le pousse à fuir. « C’est pas que j’étais accro, mais tout de même... Quand on sait qu’on excès. Bordeaux n’est pas Marseille ». Et les autres jeux ? « Non, ni casinos, ni Loto, ni jeux clandestins. Cela ne m’a jamais attiré ». Juste quelques parties de jeu de rôles, qu’il a toujours pratiqué. « Je n’ai jamais été accro au jeu. Ce qui peut gagner de l’argent si facilement... » Mais où aller ? Il lui faut trouver une région dans laquelle il ne sera pas tenté. Ce sera Bordeaux, sa ville natale dans “Il faudrait que je me retrouve à la rue, sans un sou, pour recommencer” m’intéressait dans la pétanque clandestine, c’était l’argent. Bien sûr, il y a l’excitation, mais ce n’est pas essentiel ». Aujourd’hui, Sébastien a 28 ans. Il a un boulot, un appart, et quelques problèmes avec le fisc. « Une vie normale, quoi ». Ici ou là, il participe à des parties de pétanque, « pour le plaisir, en famille ». Le démon du jeu qui ne l’a jamais vraiment habité n’est pas envahissant, celui de l’argent se fait discret. « Je ne veux plus y toucher ». « Il faudrait que je me retrouve à la rue, sans un sou, pour recommencer ». Mais à ce moment-là, « je partirais de Bordeaux ». RÉMI CARAYOL PHOTO JOSE RODRIGUES sa demande, son nom a été changé) a fait partie de ceux-là. Un temps... Il a quinze ans et vit dans la région marseillaise lorsque des « formateurs » du club dans lequel il joue le repèrent. Sébastien est doué pour la boule, il peut donc rapporter gros. Très vite, il est « intronisé » dans la confrérie : celle de ces nombreux joueurs de pétanque qui gagnent leur vie dans des tournois officieux et souvent illégaux. « C’est simple, explique Sébastien. On a un coach qui MORDUS ENQUÊTE JEUX... nous suit tout le temps, qui organise notre emploi du temps et nous dit où jouer tel ou tel jour ». Une sorte d’impresario qui prélève un pourcentage sur ce que Sébastien gagne, et qui lui prête éventuellement de l’argent lorsqu’il en manque. 22 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS LUDOPATHIE : PHOTO D.R. RIEN NE VA PLUS Game Over Lorsque l’appel de la machine à sous se fait lancinant, que le liaux, etc. Il existe différents types de joueurs : certains proviennent d’une famille dans laquelle l’argent tient une place très importante, soit qu’il manque, soit qu’il masque des carences affectives. Pour d’autres, le jeu compulsif est une transgression, qui témoigne d’une difficulté à intégrer la loi, à respecter la fonction paternelle. MARC VALLEUR, PSYCHIATRE, CHEF DU R ENCONTRE AVEC SERVICE TOXICOLOGIE À L’HÔPITAL MARMOTTANT (PARIS) ET SPÉCIALISTE DE CETTE “TOXICOMANIE SANS DROGUE”. D’OU VIENT LE JEU ? A l’origine, le jeu a un caractère sacré, il marque l’affrontement entre les puissances supérieures, les Dieux, le destin, et le pouvoir de l’homme, qui tente de reprendre le contrôle de sa vie. Certains jeux, comme les dés, avaient un caractère divinatoire. Il a conservé ce caractère « ordalique (1) » : certains joueurs pathologiques s’infligent des épreuves pour voir quel est le verdict des puissances supérieures, être punis ou récompensés selon qu’ils perdent ou gagnent. QUELLE EST LA PLACE DU JEU DANS NOTRE QUOTIDIEN ? L’homme a besoin de jouer, il a besoin d’un espace et d’un temps qui permettent une respiration par rapport au temps social. Pour le sociologue Roger Caillois, le jeu ne s’oppose pas au sérieux, mais à la réalité ! Autrefois, en sortant du travail on allait au bistrot, ça marquait la frontière entre le travail et la vie privée. Aujourd’hui, la relation au jeu s’apparente pour certains au rapport à la nicotine : jeux à gratter, Loto, représentent quelques minutes passées hors de la réalité. Par ailleurs, le jeu investit aussi les lieux de travail : avec le « casse-brique » sur ordinateur, ou le solitaire, beaucoup de gens jouent au bureau. QUAND LE JEU DEVIENT- IL UNE MALADIE ? CERTAINS JEUX SONT-ILS PLUS PRE- Lorsque le jeu de hasard ou d’argent prend une place prépondérante dans la vie du joueur, il finit par dévorer son temps, son argent, sa vie affective. Il devient alors joueur compulsif, ou « ludopathe ». La définition officielle parle d’une « pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu », qui peut se manifester par différents symptômes : une préoccupation obsessionnelle, non maîtrisable du jeu, le recours au mensonge ou à l’escroquerie pour assouvir sa passion, la mise en danger des rapports qui existent entre l’individu et son milieu… Tout commence par une « lune de miel ». La sensation du jeu s’apparente à la cocaïne, qui produit une émotion, une excitation violente. Le joueur croit qu’il va résoudre ses problèmes par ce biais. Ensuite naît le besoin de rejouer, de « se refaire », ça coïncide avec une phase de perte. Puis c’est la phase du désespoir, la fuite en avant qui peut conduire le joueur à la délinquance, au suicide… Ou à la prise de conscience. NANTS QUE D’AUTRES ? Oui, la machine à sous par exemple. Il s’agit d’un dispositif totalement aléatoire, mais le joueur est en général convaincu du contraire. D’une part, il est convaincu qu’il existe une logique pseudo-mathématique, que la machine est réglée pour reverser régulièrement ses gains, ou qu’une machine qui vient de gagner est «vide », ce qui est faux. D’autre part, il est convaincu d’avoir une influence sur le cours des événements. C’est pour cela que les bandits manchots possèdent encore un levier manuel : le joueur croit qu’il peut influer physiquement sur le résultat ! Plus il y croit, plus il s’accroche : « Puisque c’est moi qui suis responsable (de mes gains ou de mes pertes), je peux être meilleur, je serai meilleur… » En résumé, plus le jeu donne l’illusion de l’interactivité, plus celui-ci est addictif. A cela s’ajoute un caractère hypnotique dû à la répétition, et à l’attente du gain. “Aujourd’hui, la relation au jeu s’apparente à la nicotine” QUI SONT LES JOUEURS PATHOLO - GIQUES ? Une étude menée auprès de l’association SOS Joueurs (2) présente un profil plutôt masculin, d’âge moyen (entre 40 et 44 ans), marié avec des enfants, souvent endetté… Comme toutes les toxicomanies, celle-ci est liée à plusieurs facteurs : psychologiques, fami- claquement sec des cartes sur le tapis devient obsession, deux solutions pour se faire refuser l’accès au paradis des jeux : • L’INTERDICTION TEMPORAIRE : Le joueur demande à la direction du casino qu’il fréquente… de lui en interdire l’accès. Le personnel de l’établissement doit pouvoir reconnaître physiquement l’impétrant, EST-CE UN EXPANSION ? PHÉNOMÈNE EN Plus il y a de joueurs, plus il y a de joueurs dépendants… Et les chiffres présentés par la Française des jeux ou les casinos sont en augmentation constante ! Par ailleurs, de nouveaux types de jeux apparaissent. En réseau sur Internet, ou en vidéo, ils touchent aujourd’hui les adultes. Le problème, c’est que la ludopathie n’est pas très reconnue en France. Les psychiatres qui travaillent sur le phénomène sont payés pour traiter d’autres formes de dépendance. Alors que, paradoxalement, cette « toxicomanie sans drogue » représente une source de profit considérable pour l’Etat, qui contrôle le système des paris et des casinos. PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLE LÉVIGNE et est habilité à lui refuser l’entrée. Une mesure plutôt aléatoire, puisque le joueur peut à tout moment revenir sur sa décision, et en demander l’annulation… Pour la plus grande joie du casino, s’il s’agit d’un gros joueur. • L’INTERDICTION DE FRÉQUENTATION DES SALLES DE JEU DE HASARD : c’est l’appellation officielle des renseignements généraux. Le joueur s’adresse alors aux services de police pour une interdiction valable sur tout le territoire français pour une durée de 5 ans, non révocable. Là aussi, tout est relatif : il n’existe pas de contrôle d’identité systématique à l’entrée des casinos, particulièrement pour les machines à sous. Si le joueur (1) L’ordalie désigne le jugement de Dieu. La conduite ordalique consiste à s’engager de façon plus ou moins répétitive dans des épreuves comportant un risque mortel. (2) SOS Joueurs, tél. 01 43 33 10 77. gagne une somme au moins équivalente à 1 500 euros, il sera découvert, mais le casino est tenu de lui verser le jackpot ! N. L. JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D. R. “… AUTREFOIS JE BOUGEAIS BEAUCOUP , ma vie était trépidante. P ATRICK JOUE DEPUIS CET TACLE DE D ’ARRÊTER 15 ANS. INTERMITTENT DU SPEC- 43 ANS A DÉCIDÉ DEPUIS QUELQUES « Lorsqu’on entre dans un casino, c’est l’excitation qui prime ; une petite voix répète sans cesse “ça va bien se passer.” On commence à jouer et le temps se met à défiler très vite. Le jeu donne l’impression trompeuse d’exister, mais en fait c’est de l’autisme, tu es seul face à une machine qui va t’arnaquer… Ça se passe souvent dans des lieux sordides, ça pue la clope et la transpiration. Et quand on lève les yeux, on trouve les gens moches, avec leurs petits rêves, leurs petites pertes… Et toi aussi tu te trouves très moche. » Dix, quinze heures par jour, SEMAINES. Maintenant, avec les enfants, le quotidien… C’est terrible, mais un vide s’est creusé. Avec le jeu, le but c’était de retrouver l’adrénaline, le “quelque chose qui arriverait” pour combler le vide. A chaque nouvelle donne, le suspense est renouvelé, il faut tenter à nouveau de maîtriser le hasard. » Plusieurs fois par semaine, au gré des tournages qui l’emmè- jours réussi à dégager quelques heures pour aller au casino s’il y en avait un à moins de 50 bornes… » Plus de temps, plus d’argent, le glissement est progressif. Patrick se souvient d’une aprèsmidi « cauchemardesque. Je perdais beaucoup, le temps passait, j’avais vidé la carte bleue… Je suis allé retirer de l’argent au guichet de la banque, je me sentais criminel, honteux. » Depuis le début de cette année, il a perdu 3 800 euros. Une perte qu’il a caché à sa femme, comme toutes les précédentes, non sans culpabilité : « Je pense à tout ce que j’aurais pu faire avec cet argent, offrir des voyages à ma femme et ma fille… » Au-delà du mensonge, le jeu est pour lui « une bonne école du vice en général ». L’argent n’a plus de valeur, pas plus que les moyens de se le procurer… « C’est de l’argent facile, quand on gagne, c’est normal qu’on le flambe. Quand on perd, on arrive très vite à escroquer son entreprise ou à sombrer dans la délinquance pour payer ses dettes… » Il a su s’arrêter avant l’irrémédiable, « par amour pour sa famille ». Un accident de ski le cloue à la maison pendant trois semaines, trois semaines d’abstinence et de « désintox’ ». « Aujourd’hui je suis décidé à arrêter le jeu, mais rien que d’en parler, ça me fend le cœur ! Avec la multiplication des casinos, ça rend les choses encore plus difficiles. » Reste à « combler le vide », en trouvant sa méthadone : Patrick a repris le théâtre. Ses amis et lui ont le projet de monter « En attendant Godot ». Une pièce sur l’absurde, l’espoir et l’illusion. JOUE, PERD ET MANQUE N. L. nent dans toute la France, il poursuit son obsession. Avant de jouer – on y pense tout le temps – mais aussi pendant les nuits insomniaques, hantées par des sarabandes de Dix / valet / As… « On bâcle son travail. J’ai tou- DE MORDUS DE VILAINS 23 Sous la pression de son éditeur, tout parieur. Fédor Dostoïevki a dû écrire Perte ou gain, le jeu devient, “Le Joueur” en une vingtaine pour la bonne société de de jours, dans les années 1860. Roulettembourg, le substrat Pour les psychothérapeutes symbolique du destin. Il est vécu comme pour les ludopathes, comme “quelque chose de fatal, le tableau clinique esquissé par de prédestiné”, et dont le libre- DOSTOÏEVSKI OU LA ROULETTE RUSSE assis devant une machine à poker, sans boire ni manger. Les muscles douloureux, le regard rivé à cet assemblage de ferraille et de plastique qui devrait dispenser la chance avec un peu d’équité. Pourquoi pas moi ? « J’avais le sentiment d’avoir de la chance… au début. Et puis un jour je suis arrivé dans un casino où le type devant moi au guichet venait de gagner le jackpot. Je me suis dit : “Il n’y a pas la place pour lui et moi…” Et je suis allé dans un autre casino. Re-belote, le type à côté de moi a gagné. Et j’ai pris ça pour un signe du destin, Dieu me parlait, il me signifiait que ma chance était passée… » Il y a quinze ans, Patrick était un « petit joueur », quinze minutes par-ci par-là au casino de Cannes. Petit à petit, sa vie se construit : une femme, une fille, une carrière avec maison, coupé et revenu fixe. L’ancien soixante-huitard perd ses repères. D ’ACT E U R S l’écrivain en moins arbitre est exempt : “celui qui de deux cents pages s’engage (…) sur cette voie, est d’une lucidité, descend de plus en plus d’une précision rapidement, comme s’il dévalait saisissante. Alexis en traîneau du haut d’une pente Ivanovitch vit sa neigeuse”. manie de la roulette dans un état Si Dostoievski décrit si bien le proche du délire, de l’ivresse, phénomène, c’est qu’il était lui- s’affirmant victime d’une “auto- même un ludopathe et a connu intoxication par l’imagination”. ces jours infernaux où “vos Pour autant, cette possession rêves, vos désirs quotidiens ne “par le désir de gagner” est loin vont […] pas plus loin que pair de dégager le personnage de et impair, rouge, noir”, où l’âme, toute responsabilité, bien au sans cesse, “exige des contraire. Ce n’est pas à propre- sensations nouvelles, de plus ment parler un sentiment de en plus violentes, jusqu’à culpabilité qui envahit le joueur l’épuisement total”. dostoievskien, mais plutôt Envisageait-il l’écriture du l’impérieuse nécessité de la Joueur comme un exorcisme ? punition et son corollaire, le Peut-être… Sans doute sa plaisir masochiste : “On trouve fulgurance, semblable à celle une délectation dans le dernier des tours de roulettes, en aura- degré de l’abaissement et de t-elle annihilé toutes les vertus l’humiliation”, ne peut-il que curatives. soupirer, comme si perdre était finalement le but véritable de NICOLAS FAUCHER JEUX... A UJOURD ’ HUI DEVRONT MÊMES DE BORDELAIS ENCORE, RÉPÉTER GESTES ILS LES QU ’ HIER. Répéter pour tenter de se souvenir, pour ne pas oublier, car tous ici, ou presque, n’ont plus la notion du temps, ni même conscience de ce qui les entoure. Tous ici souffrent de la maladie d’Alzheimer. À la Clé des âges, l’après-midi s’est installée et avec elle le temps des activités. On éteint la télévision sous les protestations de quelques-uns, on réveille ceux qui se sont assoupis dans les grands fauteuils, les ateliers peuvent commencer. Jouer pour ne pas oublier, tel est le but de l’exercice. Cinq personnes ont pris place dans une petite salle. L’animatrice donne les consignes : « Je vous donne un sachet avec des petits grains dedans. Vous entendez le bruit que ça fait ? » Aucun participant ne porte l’objet à son oreille. « Vous regardez quelqu’un dans les yeux, pendant un petit moment, et vous lui lancez votre sachet de toutes vos forces, mais sans vous lever. » Moment d’hésitation dans la salle. Une dame s’avance : « Ah ! chic, on va jouer ». Elle jette le petit paquet sur les genoux de sa voisine. « Non ! sans vous lever. Et on regarde l’autre pendant un petit moment. Il faut écouter ce que D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS DES GRAINS ET DES BALLES POUR NE PAS OUBLIER je vous demande et respecter la consigne. » L’exercice se termine, puis se succèderont des jeux de balle, d’adresse et d’assouplissement. Chacun d’entre eux nécessite énormément de temps pour être réalisé correctement. À l’écart, un autre groupe a pris place autour d’une grande table. Sur la nappe en plastique, chaque joueur a disposé devant lui un petit tas de jetons de couleur. Au centre, une grande planche en carton, qui comporte des chiffres, sert de base au jeu. Les dés roulent sur la table et s’écrasent contre le carton : « Alors, j’ai fait cinq plus six, donc ça fait onze ». Consciencieusement, le vieil homme compte et fait tomber les pastilles dans le creux de sa main, puis les dépose soigneusement sur le chiffre correspondant. L’animatrice encourage d’un sourire, et désigne le joueur suivant. La journée s’achève sur un goûter qui sert de prétexte aux animateurs. « Je vais vous faire sentir des aliments et vous allez me dire ce que c’est. » Certains n’arriveront pas à reconnaître l’odeur du café ou même celle du chocolat. Demain, ils reviendront jouer avec les mots, exercer leur mémoire, travailler leur corps. Mais demain, les animateurs le savent, il faudra tout reprendre à zéro. La maladie d’Alzheimer Fondé il y a douze ans, le service d’accueil de jour de La Clé des âges à Pessac tend à favoriser le maintien à domicile de la personne isolée, fragilisée ou en perte d’autonomie psychique ou physique. Sur les quarante patients qu’elle accueille, 85 % d’entre eux VALÉRIE ANTON souffrent de la maladie d’Alzheimer. Une affection, identifiée en 1907, par un médecin allemand, Aloïs Alzheimer, qui provoque la dégénérescence des cellules nerveuses. Le cerveau a de plus en plus de mal à analyser les informations venant du monde extérieur et à les utiliser de manière adaptée. En France, la maladie d’Alzheimer touche plus de 3 % des personnes âgées de plus de 65 ans (entre 300 000 et 350 000 personnes). PHOTOS : ALEXANDRE MARSAT 24 On estime que la progression de la maladie est d’environ 60 000 cas par an. Sources : www.medisite.fr et www.imalzheimer.com JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS 25 “C’EST L’ALLUMETTE QUI VA TOUT DÉCLENCHER” A UDE LORMANT, PSYCHOGÉRONTOLOGUE ET RESPON- SABLE DE SERVICE, S’OCCUPE EN COLLABORATION AVEC QUATRE ANIMATEURS DE L’ORGANISATION DES ACTIVITÉS AU SEIN DE LA CLÉ DES ÂGES. LE JEU EST DE PLUS EN PLUS EXPLOITÉ DANS LE MILIEU MÉDICAL. QUELS SONT CEUX QUE VOUS UTILISEZ ? « Nous proposons beaucoup de jeux, chacun d’entre eux étant adapté bien évidemment aux capacités restantes de chaque patient. La plupart de nos résidents ne peuvent plus, la maladie étant très avancée, participer à certaines activités. Avec le jeu de dés par exemple, qui fait appel à la réflexion et au raisonnement, nous travaillons le cognitif. Ils nous permettent aussi d’explorer le domaine social. La maladie d’Alzheimer a en effet tendance à désocialiser la personne malade. Le patient devient intolérant, petit à petit, il supporte mal la présence de l’autre, il en a peur. En s’amusant tous ensemble autour d’un même jeu, ils réapprennent à échanger. Ils sont également obligés de faire preuve de civisme : on ne triche pas, on ne râle pas, on attend son tour, on respecte les règles et les consignes données par les animateurs, c’est une démarche qui relève vraiment du rôle social. » MAIS PHOTO V. A. CELUI QUI RIT, CELUI QUI PLEURE QUE PROPOSEZ- VOUS ALORS AUX PERSONNES QUI N’ONT PAS LA POSSIBILITÉ DE PARTICIPER À CES JEUX DE SOCIÉTÉ ? OUL TABOUL ENFILE SA SALO- « Ils participent à des jeux d’éveil. Dans la majorité des cas, ce sont des personnes qui ont des problèmes d’orientation et d’équilibre liés bien évidemment à la maladie. Ils n’ont, par exemple, plus conscience qu’ils peuvent tomber et surtout ils n’ont plus le réflexe de mettre ne serait ce que les mains en avant pour se protéger. Dans le milieu médical, on a tendance à dire “vous tombez ? on vous attache”, nous ici on leur dit “vous tombez ? On va vous montrer que vous êtes encore capables d’avoir des réflexes”. Avec cet atelier, on travaille la détente musculaire et les réflexes. Ils doivent par exemple lancer un petit cerceau vers une cible désignée au préalable. J’utilise également des jeux de ballons pour développer la mobilité des membres. Ils se lancent chacun leur tour un petit ballon de mousse en essayant de lever le bras le plus haut possible. » L’UTILISATION DE CES ACTIVITÉS VOUS A-T-ELLE PERMIS DE CONSTATER DES AMÉLIORATIONS CHEZ CERTAINS PATIENTS ? « Ces ateliers n’ont pas d’autres buts que d’aider les personnes à rester autonomes, le plus longtemps possible, malgré la maladie. Le jeu a permis à beaucoup de nos patients de retrouver un certain entrain. En jouant, ils ont renoué un lien social avec l’autre, ils ont repris confiance en eux car ils réussissent des exercices de calcul mental par exemple. Les familles nous disent que leurs proches s’intéressent à nouveau à tout ce qui les entoure, certains redeviennent avides de connaissances. Pour nous, le jeu est un formidable médiateur. Il nous permet de travailler les points faibles de chacun. Ce n’est en aucun cas une finalité, c’est l’allumette qui va tout déclencher. » PROPOS RECUEILLIS PAR V. A. R PETTE, TROIS FOIS GRANDE POUR LUI, TROP CAPUCINE AJUSTE SA JUPE MULTICOLORE ET YAGO TERMINE D ’ATTACHER SES Accroupi devant son petit miroir, Tic Toc, alias Jacques Langlade, se grime. Il doit au moins chausser du 72. Consciencieusement, il souligne ses yeux au crayon noir, enfonce jusqu’aux oreilles son chapeau vert à tête de lion, et se glisse dans sa redingote à carreaux jaune et mauve. Un dernier petit détail mais essentiel : le nez rouge. A l’écart du bruit, derrière une porte, les clowns de l’association « Pour Rire » se préparent, personnages étranges dans ce décor de l’hôpital Pellegrin réservé aux enfants malades. Depuis trois ans, la troupe travaille avec l’association Animation et loisirs à l’hôpital (ALH) pour distraire, le temps d’une après-midi, ces gamins hospitalisés. « Ils attendent notre venue avec beaucoup d’impatience, raconte une bénévole d’ALH. Ils sont souvent là avant nous. En s’amusant, ils oublient la maladie et parfois même la douleur. Le jeu est un dérivatif pour eux. Et puis, c’est l’occasion aussi de se retrouver entre eux. On leur propose des jeux de société, du découpage, du dessin pour les plus petits. On essaie de varier les jeux mais surtout de s’adap- COUETTES. ter à leur demande, à leurs envies parce qu’ils ne sont pas là pour se casser la tête. On utilise les thèmes comme carnaval ou halloween pour leur organiser des activités. » Autour de la table, les enfants confectionnent des poissons d’avril en carton, d’autres jouent aux jeux vidéo. Mais pour les enfants qui n’ont pas la chance de participer à ces activités, les clowns ont tout prévu. Sixième étage. Ici, les enfants n’ont plus de cheveux. La majorité d’entre eux sont alités, les traitements ont eu raison de leurs forces. Accompagné par ses acolytes, Tic Toc dandine ses fesses et entame une danse rigolote. Au milieu du ballet des blouses blanches, le spectacle est un peu surréaliste. Les clowns se dirigent vers une grande baie vitrée. De l’autre côté, une petite fille leur sourit. Pendant plus de cinq minutes, les artistes vont déployer toute la palette de leur talent pour soutirer un rire à l’enfant. Carole est en chambre stérile. Seul un interphone la relie aux clowns qui grimacent en face d’elle. Coco et Capucine simulent une dispute et rient de bon cœur. Elles soufflent quelques bulles de savon avant de partir, puis le store se referme. Jusqu’à jeudi prochain. V. A. « On est un maillon vers la guérison. » Assis devant l’hôpital des enfants, Jacques Langlade n’a pas quitté son habit de clown, comme une deuxième peau. Une après-midi par semaine, le président de l’association « Pour Rire », égaye, avec sa troupe de gais lurons, le quotidien des enfants hospitalisés : « L’association est née d’une expérience personnelle. A l’âge de vingt-huit ans, je suis tombé gravement malade. J’ai mis quatre ans pour m’en sortir. A ce moment-là, je me suis promis de consacrer ma retraite aux enfants qui souffrent, mais je ne savais pas trop comment faire. Un soir, j’ai vu un reportage sur l’association parisienne Le Rire Médecin et là, le déclic. Je me suis dit, c’est ça que je veux faire. » Fonctionnaire dans la vie et pré-retraité, Jacques Anglade consacre la majeure partie de son temps libre à faire rire les enfants. Car pour lui comme pour ses compagnons de route, le jeu est essentiel dans la voie du rétablissement : « Le jeu entraîne l’enfant dans l’imaginaire. Il s’évade et oublie qu’il est à l’hôpital. Avec le jeu et donc le rire, on insuffle du positif. Et plus un enfant est heureux plus il est facile à soigner. Je suis persuadé que nous sommes un maillon dans la thérapie, un maillon vers la guérison. » « Je me souviens d’un épisode qui m’a énormément marqué. Après avoir demandé l’autorisation aux infirmières, on entre dans une chambre. Après quelques minutes de jeu, l’enfant se met à lancer des bribes de mots, et d’un seul coup la mère s’effondre en larmes. On a appris ensuite que ça faisait huit mois qu’il ne parlait plus. Si on peut arriver à aider ces gamins, c’est génial. » 26 JEUX... “À DE BORDELAIS TRAPE- TRAPE , CELUI QUI ATTRAPE, ATTRAPE QUELQU’UN ET C’EST À explique une petite fille de CP de l’école primaire Albert Schweitzer. C’est simple, ce n’est pas nouveau et il suffit d’être plusieurs pour y jouer. Les enfants euxmêmes le reconnaissent, ce sont « toujours les mêmes jeux qui reviennent » dans les cours de récréation. La marelle a toujours la cote chez les filles, même si quelques CM2 la jugent puérile. « Ça fait bébé de sauter comme ça », rigole une adepte du foot. « Ce que j’aime ? C’est quand je saute », disent invariablement les autres. La corde à sauter devrait, selon Pierre Gillet, le directeur de l’école, réapparaître avec les beaux jours. Quant à l’élastique, il reste de CELUI - CI D ’ATTRAPER”, D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S 1, 2, 3… MARELLE bon ton sous les préaux. « Les jeux restent, mais les règles évoluent », souligne l’enseignant. « Si vous les regardez sauter à la corde, vous verrez toujours de nouvelles figures, des choses que les enfants inventent. » Les élèves se transmettent ces jeux anciens tout seuls – « les grands apprennent aux petits » – ou par gées et conservées précieusement au fil des victoires et des défaites. Ephémères, soumis à la télévision et aux stratégies commerciales, les jeux de cartes sont menacés en permanence de ringardise. Ainsi les célèbres et déjà vieux Pokémon sont relégués au rang de « jeux démodés, pour les bébés ». Leurs succes- “On attrape les garçons et on les tape” l’intermédiaire de leurs parents. Seules les billes semblent vraiment tombées en désuétude. « Les enfants ont besoin d’avoir des pratiques de jeux simples et pas trop coûteuses », estime Pierre Gillet. Les billes, qui exigeaient des enfants qu’ils sacrifient une partie de leur argent de poche, ont peut-être été remplacées par les cartes liées aux dessins animés, elles aussi échan- seurs, les Digimon, ont complètement disparu des mémoires, tandis que les produits dérivés d’Harry Potter et du manga Dragon Ball Z ont encore quelques beaux jours devant eux. Mais qu’ils soient interdits ou tolérés par les instituteurs, ils ne parviennent pas à faire l’unanimité comme les bonnes vieilles bagarres. « On attrape les garçons et on les tape, c’est DE MORDUS DE VILAINS Le roi des jeux un jeu », expliquent les unes. « Et nous, on tape les filles », répondent les autres. « On a mis un revêtement souple dans une partie de la cour, confirme Pierre Gillet. C’est là qu’ils commencent à jouer à la bagarre, et ça finit toujours très mal. » Les activités sportives, auxquelles les instituteurs les initient, sont aussi considérées comme des jeux. Le foot rassemble évidemment les garçons, et une partie des filles. Et certaines de ses variantes rencontrent un succès inattendu : « on joue au papier aluminium », explique un garçon, ravi de sa trouvaille, en lançant à son copain la balle qu’il a fabriqué avec l’emballage de son goûter. LISA GIACHINO Lassés des Pokémon, les CM1CM2 anticipent sur la mode. Ils attendent le jeu de cartes inspiré d’un nouveau manga, “Yughio”, ou “le roi des jeux”. C’est l’histoire de Yugi, un garçon timide et chétif qui découvre un puzzle millénaire dans le magasin de jouets de son grand-père. Il est alors doté de pouvoirs magiques et d’une double personnalité, qui lui permet d’affronter ses rivaux et d’aider ses amis en échangeant des cartes avec eux. Comme les Pokémon ou Dragon Ball Z, le manga a donné naissance à une série de produits dérivés, dont un jeu de cartes illustrées. “On le voit à la télé, mais les cartes sont encore en Chine, elles sortiront vers 2003-2004”, annoncent les jeunes amateurs. PHOTO J. M. DANGER SUR LA RÉCRÉ ANS LA COUR DE RÉCRÉATION, D LES ENFANTS LAISSENT ÉCHAPPER LEUR TROP PLEIN qu’ils ont dû retenir en restant scotchés sur leur chaise de classe. Mais quand le défoulement vire au drame, personne ne comprend plus ce qui se passe dans la tête des élèves des primaires et collèges. D’ÉNERGIE, Les nouvelles distractions des cours de récré s’appellent « le petit pont massacreur », « la gardav » (contraction du mot garde à vue) ou « le jeu de la canette » et l’aspect ludique a été totalement gommé au profit de la violence gratuite. Le principe de ces jeux est toujours le même. Un élève est choisi au hasard. Quelqu’un lui envoie un objet dessus qui peut être une canette de soda vide ou un bouchon de stylo. Si l’enfant ne bloque pas le projectile, il reçoit les coups de ses camarades. Ce drôle d’amusement peut finir à l’hôpital comme ce fut le cas en novembre 2001 pour un collégien du Var. Ces jeux sont entourés de silence et bien souvent c’est un incident qui conduit à révéler ces pratiques aux yeux du grand public. Le jeu du foulard aurait pu rester dans le secret des cours de récréation s’il n’avait pas fait de victimes. On estime que pour l’année scolaire écoulée, douze enfants sont morts en le pratiquant. Ce jeu consiste à freiner l’irrigation sanguine du cerveau en compressant la carotide avec un foulard. Parfois appelé « rêve indien » ou « jeu des poumons », il provoque des évanouissements qui peuvent conduire à la mort. Certains symptômes, comme des traces dans le cou, de violents maux de tête ou un manque de concentration peuvent alerter les parents. A Bordeaux, il semblerait que ces pratiques n’aient pas fait de victimes. Aucun de ces actes dangereux n’ont été rapportés aux fédérations de parents d’élèves. Pourtant, du côté de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), de l’Association des parents d’élèves des écoles publiques (PEEP), comme de l’Inspection académique, on a conscience que si de tels jeux existent dans d’autres académies, il est possible qu’ils se pratiquent à Bordeaux mais qu’ils ne soient pas dénoncés. Pour que les cours de récréation résonnent des rires des enfants et non plus de leurs pleurs, la vigilance et la prévention restent les solutions les plus adaptées contre ces nouvelles violences scolaires. JULIE MARTINEZ JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS 27 “UN DÉFI AU DÉPART, DU PLAISIR À L’ARRIVÉE” PHOTO J. M. On prend les mêmes, et on les pimente Pour Elsa Loubet, “les enfants raffolent des jeux où l’on s’attrape, s’affronte ou se cache”. Parmi ces jeux, trois sont bien connus des cours de récréation. Mais Elsa utilise leurs versions pimentées... Champion toutes catégories, le bulldog, variante musclée de l’épervier : le terrain est divisé en deux camps séparés. Au début de la partie, tous les enfants sont réunis dans le même. Ils doivent réussir à gagner le second sans se faire prendre par “l’épervier” qui se tient au milieu de la surface. Tous les joueurs attrapés deviennent à leur tour épervier. Le bulldog applique les mêmes règles, sauf qu’ici tous les D EPUIS 17 ANS, ELLE NE FAIT QUE JOUER ET FAIRE JOUER. ELSA LOUBET, 39 ANS, EST ANIMATRICE-FORMATRICE AU SEIN DE L’ASSOCIATION DES É CLAIREURSÉCLAIREUSES DE FRANCE. QUELLE PLACE LE JEU OCCUPE-T-IL DANS LA VIE DE L’ENFANT ? Il l’aide à grandir. Petit à petit, il lui permet de faire appel à son imaginaire, d’élaborer des stratégies et de se positionner par rapport à l’autre. On joue seul, avec ou contre les autres. Le jeu permet de se socialiser (l’enfant va constituer, peu à peu des alliances), il va apprendre la compétition, à vouloir se dépasser… coups sont permis pour gagner : plaquages, COMMENT bousculades... mais à condition SELON L’ÂGE DE L’ENFANT bien sûr de ne pas blesser ses petits camarades! Autre star des centres aérés, le cache-cache-minute. La seule différence avec le jeu traditionnel est une contrainte de temps. Egalement très apprécié par les enfants, “accroche décroche”, énième jeu de poursuite entre un “chat” et une “souris”. Seulement, la souris a la possibilité de se faire remplacer en s’accrochant à un autre joueur mais pas le chat. Le pauvre est condamné à courir sans répit, jusqu’à ce qu’il attrape enfin une souris. ADAPTE - T - ON LES JEUX ? Il y a plusieurs étapes : autour de dix-huit mois, naît le jeu symbolique. L’enfant va utiliser son imagination pour se créer un monde à partir de ses jouets. Par exemple, la poupée devient la petite sœur. Ensuite, c’est l’entrée à la maternelle, et avec elle, des jeux de socialisation. Et puis, autour de 6-7 ans, le jeu se complique. On commence à élaborer et à respecter des règles simples. On prend conscience de l’autre et on bascule peu à peu vers un jeu plus compétitif, entre 7 et 10 ans. Les enfants en bas âge sont complètement ancrés dans le présent. Ils n’arrivent pas à se projeter, donc les règles ne peuvent pas être très compliquées. Par contre, plus tard, au-delà du simple jeu, ils ont besoin de se prouver quelque-chose. QUELS SONT LES JEUX UTILISÉS PAR jeux de piste ou les jeux de camps. Certains jeux répondent à un thème précis. Il y en a qui permettent aux enfants de faire connaissance comme « la balle nommée ». Les enfants doivent envoyer le ballon à quelqu’un en donnant son prénom en même temps. Après il existe des jeux qui fonctionnent sur une idée de protection comme « le loup et les moutons », ça permet de souder le groupe. Ils peuvent aussi être un moyen de découvrir la nature. C’est le cas des Kims goût, toucher. Ces jeux font appel aux sensations. On doit reconnaître les yeux bandés, un aliment après l’avoir goûté. LES ANIMATEURS ? Il y a deux grandes catégories. Les petits jeux comme le béret et le ballon prisonnier et les grands jeux qui sont une succession de petits jeux réunis autour d’une fiction. Ce sont les COMMENT ENSEIGNE- T - ON LE JEU AUX FUTURS ANIMATEURS ? On insiste sur le fait que chaque jeu doit commencer par un temps de sensibilisation. L’animateur ne peut pas arriver et dire simplement « on va jouer ». Il faut accrocher l’enfant, lui donner envie de participer. Cela peut se faire très simplement. Un animateur peut venir les voir, par exemple, déguisé en extraterrestre et leur dire qu’il a perdu son vaisseau et qu’il a besoin d’eux pour le retrouver. Il faut que l’animateur joue aussi. Le jeu fait aussi évoluer les adultes. Ils y prennent le même plaisir que les enfants. Celui par exemple, de détourner les règles. C’est pour ça, d’ailleurs, qu’elles doivent être à la fois très précises et très courtes, pour qu’il soit plus difficile de passer au travers. QUELLE JEU ? EST LA RECETTE D ’ UN BON On peut jouer à tout âge. Tous les jeux sont adaptables. Seulement le pari, l’enjeu n’est pas le même. De manière générale, on est tous adepte de compétition. Les deux seuls ingrédients indispensables sont un défi au départ et beaucoup de plaisir à l’arrivée. PROPOS RECUEILLIS PAR SONIA DE SOUSA ET JULIE MARTINEZ 28 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS ÉLIZABETH AU PAYS DES OURS PHOTO V. H. coup de foudre. J’aime ceux qui ont un air coquin, des yeux expressifs, quelque chose qui rappelle la vie. Certains sont très beaux, mais très froids, je ne les aime pas. J’achète de tout, des ours anciens, des modèles de créateurs ou de série. Et je suis aussi heureuse d’un achat à quelques francs, que d’un autre très cher que je dois payer en plusieurs fois ». Sa communauté de plus de trois cents spécimens vit en liberté dans la maison. « Il y en a partout. J’ai fait une pyramide sur une chaise près de mon lit, il y en a une commode pleine, certains sont sur une armoire. » « Je ne pourrais pas supporter de les enfermer dans des vitrines, j’aurais l’impression qu’ils étouffent. Dès que j’en achète un, je lui donne un prénom et je l’habille. Je m’occupe beaucoup de mes ours : je les prends dans mes bras, je les photographie, il m’arrive même de les embrasser ! Quand je pars en vacances, ils me manquent, alors j’en achète sur place ! » Cette passion n’est pas du goût de “J E SUIS COMPLÈTEMENT DINGO”, LANCE- T - ELLE DANS UN ÉCLAT DE RIRE. Elizabeth, rencontrée au détour d’un stand au salon du jouet ancien à Bordeaux, a des yeux bleus dans un visage d’enfant, et la quarantaine épanouie. Elle est ici pour chasser un drôle d’animal : l’ours en peluche. Un père décorateur et des origines anglaises : tout, selon elle, la prédestinait à devenir collectionneuse. « On m’a donné très tôt le goût des belles choses, et comme tous mes compatriotes, j’adore les jolis objets et les maisons surchargées. J’ai toujours eu des collections, depuis mon plus jeune âge. » Elle a longtemps collectionné les poupées et les peluches, mais depuis une dizaine d’années, sa passion exclusive est pour les ours. Un incident, en apparence banal, a servi de déclic. « J’avais gardé de très jolis ours de mon enfance. Un jour, mon mari en a jeté un qui avait été endommagé par un dégât des ours qui me plaît beaucoup, je me dis que ce n’est pas raisonnable de craquer, et je ressors sans l’avoir acheté. Mais invariablement, une heure après, j’appelle le patron pour lui Sa communauté de plus de trois cents spécimens vit en liberté dans la maison eaux. Il m’a tellement manqué que je me suis mise à les collectionner. Et depuis, c’est un besoin irrépressible. Je me suis débarrassée de mes autres collections, j’ai même revendu de belles toiles achetées en galerie. » Une passion dévorante à laquelle elle consacre tout le temps que lui laisse son travail de psychomotricienne. « Si je dois me rendre dans une ville, j’en profite pour aller voir les magasins spécialisés. Quand je suis invitée chez des amis le week-end, je cherche s’il y a une brocante près de chez eux où je pourrais aller faire un tour. C’est obsessionnel ! » Difficile pour elle de résister à la tentation : « Il y a une boutique magnifique à Bordeaux où je vais souvent. Parfois, devant un demander de me le réserver. Je suis incorrigible ! » Pas question pour elle de bâtir, comme le font certains, une collection en fonction de la notoriété des marques, ou du prix. Elizabeth est une passionnée qui fonctionne au coup de cœur : « Je choisis en trente secondes, il faut que j’aie le Les rendez-vous des amateurs Une bourse du jouet ancien a lieu chaque deuxième dimanche du mois dans les locaux de l’Automobile club du Sud-Ouest, 8, place des Quinconces à Bordeaux, de 9 h 30 à 11 h 45. tout le monde, à commencer par son mari, qui trouve la tribu un peu trop envahissante. Quant aux amis, ils ne comprennent pas toujours, sans parler des collègues psychologues, qui jugent tout cela ridicule. Elizabeth sait que son comportement peut paraître étrange, mais elle revendique le droit de vivre librement son hobby un peu fou. Sans s’épargner de porter un regard lucide sur elle-même : « J’aime beaucoup les enfants mais je n’ai pas pu en avoir. Alors certainement que ma passion des ours comble un manque. » A peine un léger voile est-il passé sur son regard. Déjà, elle reprend, toujours aussi volubile et enthousiaste, pour montrer sa moisson du jour : sept ours de toutes les tailles dans une grande poche. « J’en ai assez pour aujourd’hui, il est temps de rentrer. » Tout en parlant, elle n’arrête pas de scruter alentour. Soudain, elle s’interrompt dans un petit cri et désigne un carton un peu caché, d’où dépasse une oreille pelucheuse : « Tiens, mais je n’avais pas vu ceux-là ! Il faut que j’aille jeter un œil ». Ramassant son gros sac, Elizabeth prend congé rapidement, déjà elle s’éloigne à grandes enjambées vers l’objet de ses convoitises. VÉRONIQUE HEURTEMATTE JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS 29 LES BOUFFONS-MINUTE DE LA SOCIÉTÉ N IMPROVISATION , “E ON N ’A RIEN . PAS DE COSTUME, PAS DE LUMIÈRE, PAS DE DÉCOR. ON CONNAÎT LA TRAME MAIS ON NE SAIT PAS CE QU’ON VA DIRE. TOUT SE PASSE EN DIRECT. ” Cathy Drixel a déjà une sérieuse expérience de l’improvisation quand elle croise le chemin d’Eric Pebayle et d’autres comédiens. Ils créent ensemble la compagnie Mobile. Depuis un an, quatre d’entre eux sont réunis au sein des « Improvisiteurs ». Ils interviennent professionnellement dans des colloques, pour des entreprises ou des institutions. L’humour est présent à tous les stades, même à l’entraînement : « Il faut vraiment travailler sur l’écoute, la mise en espace et l’immédiateté. On a des jeux pour ça. Il y en a un, par exemple, qui s’appelle “Clac et position”. On marche, on bouge et quand on entend un clac, on se bloque dans la position où on est et on démarre une impro en fonction de ça. Même nos interventions, on les prépare en s’amusant ! D’ailleurs, quand PHOTO S. DE S. je pars, ma fille dit : “Maman va jouer”. Elle pense que je joue comme un enfant. Dans un sens, c’est vrai ». Cathy est l’image même de la comédienne : expansive, volubile. Ses traits sont marqués, ses pommettes hautes, et ses boucles d’oreille imposantes. Eric est enfoncé dans son fauteuil autant que dans son col roulé, mais entre ces deux amis, les années de collaboration ont porté leur fruit. Les regards se cherchent et se trouvent, l’un finit les phrases de l’autre. Eric attaque : « En impro, il faut lâcher beaucoup de choses. Si tu veux refaire un truc, tu te plantes. A aucun moment tu peux te reposer. Beaucoup de comédiens ne se mouillent pas parce qu’ils trouvent ça trop difficile ». « Parce que forcément », poursuit Cathy, « il y a toujours un moment où t’es mauvais. Mais quand t’es bon, c’est du petit lait pour toi et le public. C’est un moment exceptionnel. » « On a une importance toute relative, mais ce qu’on vit a du sens », estime Cathy. « C’est du plaisir pour nous et le public. On est un miroir déformant ou reformant. Des bouffons de la société, quoi ! » SONIA DE SOUSA “ UN MATCH D’IMPRO NE S’IMPROVISE PAS” C ATHERINE MOURIEC A DÉCOU- VERT LES MATCHES D’IMPRO- VISATION À 16 ANS. « Depuis un moment, je faisais du théâtre dans des ateliers au collège quand un ami m’a parlé du Malin, un mouvement amateur libre d’improvisation à SaintNazaire. Ça m’a tout de suite plu. » Douze personnes s’échauffent dans une patinoire, réparties en deux équipes mixtes. Un maître de cérémonie présente les comédiens. Au coup de trompe, un arbitre et ses deux assistants entrent, sous les huées du public. Les sujets d’improvisa- tion sont tirés au sort ; le match peut commencer. A la fin, les spectateurs voteront à main levée pour leur équipe préférée. Pour l’heure, ils applaudissent, rient, réagissent au quart de pour ça que tout se passe dans une patinoire. Ils ont réussi à créer un deuxième sport national ! Il y a une ambiance vraiment particulière, déjà avec la patinoire. Puis l’arbitre joue Deux équipes s’échauffent dans une patinoire... tour, mais gare à celui qui les décevrait : tous ont en main un chausson qu’ils se réservent le droit de balancer sur la patinoire, en signe de mécontentement… « A l’origine, ce sont deux Québécois, Robert Gravel et Yvon Leduc qui ont créé ces matches, en s’inspirant du hockey, c’est volontairement les durs avec les acteurs. Il sanctionne tout : recours au cliché, manque d’écoute à l’égard du partenaire... En général, c’est lui qui reçoit les chaussons du public ! C’est très bon-enfant. Pourtant, ceux qui font partie de la ligue organisent de vrais championnats. A côté de ça, il y a un tas d’équipes indépendantes qui fonctionnent en électron libre. » Ses grands yeux noisette se font un instant plus sérieux. Pour cette étudiante du conservatoire, aujourd’hui âgée de 24 ans, l’improvisation, c’est presque une occupation à plein temps : « Improviser, ça ne s’improvise pas. On est comédien d’abord, improvisateur ensuite. J’ai fait de la formation. On avait au moins un entraînement hebdommadaire, physique, pour l’aisance corporelle, et culturel aussi. Quand vous tombez sur une impro, on ne vous donne pas seulement le thème, on vous dit aussi de la faire “à la manière de... Duras ou Shakes- peare”, par exemple. Alors il faut savoir comment ils écrivent. Et puis, le coach de l’équipe n’a que 20 secondes pour vous dire qui vous êtes et ce que vous faites. Il faut être rapide, alors, tout le jeu d’acteur en amont, on n’a pas le temps de l’apprendre à l’entraînement. » Mais à côté de ce travail fastidieux, il reste un véritable plaisir de jouer : « J’ai eu la chance de participer à des rencontres internationales. On ne se connaît pas, mais on est tous ensemble pour le show. Les points, on ne les compte pas mais quand on fait une bonne impro, ça marque. On trouve un véritable plaisir dans ce besoin de toujours inventer... » S. DE S. 30 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS PHOTO THOMAS BALTES DANS L’ANTRE DES RÔLISTES L E JOUEUR GRIMPE SUR SA CHAISE ET DÉCLAME SA TIRADE. NOUS SOMMES EN L’AN DE GRÂCE 1095. UN STYLO À LA MAIN, LE DAMOISEAU MIME LE MOUVEMENT D ’ UNE ÉPÉE . L’ŒIL NOIR , LE POING MENAÇANT, IL PREND SON RÔLE TRÈS AU SÉRIEUX. Conquis par sa prestation, les autres participants encouragent le jeune gueux, qui peu à peu maîtrise parfaitement son personnage. Ravi, il effectue une révérence et reprend sa place. Samedi 30 mars, les Apprentis du Mage Mahlow avaient choisi la salle Delteil de Bègles comme terrain de jeu. Pour la onzième année consécutive, l’association proposait aux accros de jeux de rôles de participer pendant quarante-huit heures au tournoi sur table annuel. Plus d’une soixantaine d’adeptes avaient répondu à l’appel. Huit tables et autant d’ambiances différentes. Ici, on revisite l’époque médiévale, là on se téléporte dans un monde fantastique, savant dosage entre réalisme et imaginaire. Les parties peuvent durer plus de dix heures et parfois beaucoup plus. En joueur averti, chaque participant a amené sa ration de survie : bonbons, gâteaux, sodas et l’inévitable paquet de cigarettes. Assis autour du maître du jeu, les participants attendent ses consignes. Pour cette première partie, c’est Greg qui, derrière son paravent de carton aux dessins guerriers, plante le décor : « Tu es un serviteur du monde souterrain, et je vais te décrire les armes magiques et leurs Jeux gothiques à la base nautique “Il y a les jeux de rôles gentillets, et puis il y a les autres...”, explique ce rôliste. “Ça n’a rien à voir.” Et parmi eux, “Kult”, l’un des plus pratiqués par les passionnés des jeux gothiques. “Kult est vraiment un parcours initiatique. On apprend à se connaître soi-même, à pouvoirs ». Depuis dix-huit ans qu’il joue, le jeune homme connaît bien son affaire : « J’ai commencé, j’avais tout juste dix ans. Dans mon cas on peut dire que le jeu de rôles m’a sauvé. Pour moi, c’est plus efficace qu’une thérapie chez un psy. J’étais un asocial chronique, timide et j’ai évolué grâce au jeu, parce qu’il développe le contact humain. C’est un formidable désinhibateur, on pourrait le comparer à du théâtre assis ». Greg apprécie aussi le côté Qu’est ce qu’un jeu de rôles ? Né en Grande-Bretagne dans les années 70, c’est un jeu dans lequel les participants interprètent des personnages en vivant une aventure proposée par un autre joueur appelé “Maître du jeu”. Il n’y a ni gagnant ni perdant, le but étant pour les joueurs de coopérer pour mener à bien l’aventure. En France, on compte environ 400 000 amateurs, dont 100 000 passionnés, et 600 associations recensées. Source : www.quid.fr dépasser ses limites”. Au programme : univers sombre, voire glauque, dans lequel chacun hérite du rôle d’un “fou « actor’s studio » du jeu : « Ce que j’aime bien c’est que tu interprètes des personnages aux antipodes de ta personnalité. C’est un exutoire d’enfer. Moi par exemple, j’aime bien me taper un gros monstre des fois, c’est marrant. La relation avec ton personnage est passionante. Tu passes des parties, des années entières à le construire. Tu vis avec. » Mais dans certains cas, le jeu peut devenir douloureux. « Le maître du jeu était un pote à moi. Je lui avais fait des confidences sur ma vie et au cours du jeu il les a utilisées. J’étais fragile à ce moment là et j’ai craqué. Avec le recul, je sais qu’il l’a fait pour m’aider. » S’il y a quelques années, les jeux de rôles ne séduisaient pas les filles, aujourd’hui elles sont aussi nombreuses que les garçons. A 26 ans, Carine peut passer des journées entières à jouer, sans jamais se lasser : « C’est très convivial. Avec une bande de copains, on se réunit tous les samedis et on fait des parties de neuf heures. Tu fais des trucs géniaux que tu ne pourrais pas faire dans la vie de tous les jours. Tu t’amuses énormément ». Dans la salle, les esprits s’agitent. Quelques crises de fou rires ici, une pause par là. Seul à sa table, Paul, ludothécaire, dévore son sandwich : « J’ai découvert le jeu de rôles en 1976 grâce à un copain qui revenait des Etats-unis. J’ai commencé à jouer, j’avais 17 ans, j’en ai 41 ! Ce jeu développe la curiosité, ça muscle l’imagination, c’est un sport cérébral extra. Il faut réfléchir pour se sortir de certaines situations, pour aborder une action. C’est très instructif aussi. Par exemple, lorsque l’on fait un jeu de rôles qui fait appel à des connaissances particulières, scientifiques ou religieuses, tu t’informes sur le sujet et t’apprends plein de trucs ». Et quand on lui demande ce qui pourrait le faire arrêter, le joueur prend le temps de la réflexion et lance : « La maladie ». VALERIE ANTON dans le monde d’aujourd’hui” et choisit son camp, le bien ou le mal. “On peut se retrouver dans la peau d’un ancien soldat nazi ou d’un pédophile. Et on doit faire avec, c’est très marquant.” A tel point que ce jeu est interdit depuis quelques années aux moins de 16 ans. Et déconseillé aux débutants. “C’est normal, c’est une expérience très dure”, avoue un joueur. Mais il ne faut pas oublier que c’est un jeu. On joue un rôle, et quand c’est fini, c’est fini, point.” A Bordeaux, les jeux gothiques se pratiquent du côté de la base nautique, dans des hangars sombres, le soir, tard, très tard... R. C. DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S Petit lexique du rôliste D Abréviation désignant le nombre de faces des dés utilisés dans une partie de jeu de rôles. FEUILLE DE PERSONNAGE Document sur lequel sont inscrites les caractéristiques du personnage joué (son apparence, ses capacités physiques et intellectuelles, et ses biens). JEUX DE PLATEAU Ils s’organisent autour d’un plateau de jeu sur lequel évoluent des figurines. La partie se résume la plupart du temps à des phases de combat et de stratégie permettant de conquérir des territoires. La durée moyenne d’une partie varie de 4 à 6 heures. JEUX DE RÔLES Ils restent les plus difficiles à comprendre et à jouer. Les supports de jeu sont le scénario du maître et la feuille de personnage de chaque joueur qui décrit les caractéristiques physiques et intellectuelles du personnage joueur. JEU GRANDEUR NATURE Le GN se déroule en extérieur (ruines d’un château, forêt). Trois époques de jeu sont jouées (médiévale, contemporaine, futuriste). Les joueurs interprètent des personnages en costumes et vivent physiquement les aventures proposées. Les maîtres du jeu ont un rôle d’arbitre. PJ OU PERSO Personnage Joueur. RÔLISTE Joueur de jeux de rôles. SCÉNARIO Trame générale de l’aventure, où sont décrit les personnages que les PJ sont susceptibles de rencontrer, et les lieux qu’ils pourront visiter. D’APRÈS L’ASSOCIATION DES APPRENTIS DU MAGE MAHLOW DE MORDUS DE VILAINS 31 PHOTO JÉRÔME LEPEYTRE PHOTO REMI CARAYOL JEUX... JUSTÉS SUR LES TORSES, LES A HARNAIS ÉLECTRONIQUES DISSI- MULENT MAL LES TEE - SHIRTS BARIOLÉS. D’UN INSTANT À L’AUTRE, LES HOSTILITÉS VONT DÉBUTER DANS LA SEMI-PÉNOMBRE. LASER QUEST L’INSTINCT GUÉGUERRE Pour l’heure, les pistolets laser ne sont pas dégainés et pointent encore vers les baskets dont la blancheur éclate sous les néons ultraviolets. Les portes s’ouvrent enfin : deux équipes rivales, diodes rouges contre diodes vertes, s’engouffrent et se dispersent aussitôt. C’est parti pour vingt nouvelles minutes de course-poursuite dans un dédale obscur de 500 m2. Une mini-guerre, pour de rire, où les surprises tiennent lieu de guet-apens et le hasard de stratégie. Le Laser Quest est né en Angleterre voilà plus de 10 ans. En France, l’engouement s’est fait petit à petit. Désormais, ce jeu a de nombreux inconditionnels et le bouche-à-oreille attire toujours plus de curieux et de combattants occasionnels. « L’après-midi, ce sont plutôt des enfants de huit à quinze ans qui viennent jouer », raconte Marie, animatrice de l’un des deux complexes bordelais (1). « Mais le soir, le Laser Quest est plutôt fréquenté par des étudiants. » Quant au dimanche, s’y rendraient « des familles entières ». « Lorsqu’on a ouvert en 1999, on recevait surtout des particuliers. Peu à peu sont venus des centres d’animation, des comités d’entreprise. A la demande, on organise même des enterrements de vie de garçon, des formules apéros, avec l’aide d’un traiteur », explique-t-elle encore. La population cible est donc assez vaste. Que vient donc chercher un public aussi disparate ? Un défouloir, vraisemblablement. Etroits corridors à angles droits, passerelles munies de meurtrières, murs noirs recouverts de gargouilles phosphorescentes… De légers fumigènes rendent visibles les rayons lasers qui les traversent et les cibles retentissent à chaque tir qui fait mouche. Le décor est simpliste mais l’ambiance savamment étudiée : une fois entrés dans le labyrinthe, les participants, tous affublés d’un pseudonyme, n’ont aucun mal à se sentir dans un autre monde, à la fois excitant et sans danger. Pour huit euros par personne. « Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on se prend facilement au jeu », commente Mister Freeze, la vingtaine encore haletante quelques minutes après la fin de la partie. « Au début, on nous dit de ne pas courir… Mais c’est plus fort que nous ». Ce jeune guerrier fait partie des habitués. Pour lui, le Laser Quest est une « bonne alternative au jeu vidéo », par son « côté physique ». « C’est même beaucoup plus amusant, même si ça fait un peu guéguerre », estime son acolyte Bob, très enthousiaste dès ce premier essai. Tout de même, « dommage qu’on ne puisse pas plonger », regrette-t-il. « C’est super mais éprouvant », reconnaît Sab. Du côté des filles, la formule a d’autant mieux pris qu’elles ont canardé plus et plus précisément que les garçons : « La partie passe hyper vite, cinq ou dix minutes de plus, ça ne serait pas si mal », avoue-t-elle. Sa comparse, Lara Croft, acquiesce et risque même un petit commentaire : « Il y a deux styles de joueurs : les bourrins qui courent partout, et ceux qui attendent derrière les meurtrières… Entre tout ça on n’a pas vraiment le temps de se repérer… Mais bon, dès qu’on s’est fait allumer deux ou trois fois, l’instinct de survie reprend le dessus ». Quoiqu’il en soit, le groupe est unanime : « ça doit rester sympa, pas question de se faire la gueule en sortant… ». « De toute façon, on ne se reconnaît pas à l’intérieur », ironise Cob. Sur les six amis, un seul, Bigou, a fait son service militaire, mais il était « chauffeur… Alors les vrais flingues, très peu pour moi ! », se défend-il. En revanche, les garçons ont prévu « un petit week-end de paint-ball, cet été ». Deux jours supplémentaires de guéguerre au grand air, « avec campement la nuit ». Les filles, quant à elles, n’attendront pas jusque-là pour remettre ça. A peine ont-elles repris leur souffle que, un rien moqueuses, elles toisent leurs compagnons : « Alors, on en refait une ? » “Il y a deux styles de joueurs : les bourrins qui courent partout, et ceux qui attendent derrière les meurtrières” NICOLAS FAUCHER (1) Laser Quest, 24-36 rue de la Faïencerie, 33000 Bordeaux. www.laserquest-france.com 32 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS “LAN”, “MAP” ET “FRAG”, LE VOCABULAIRE DE DAMIEN LAUMOND PEUT E NTRE PARAÎTRE ASSEZ HERMÉTIQUE AU Ses mots courts désignent l’univers des jeux en réseau : sa passion. A travers elle, il a déjà fait plusieurs débarquements en Normandie, il a arrêté des centaines de terroristes et éliminé des nazis armés jusqu’aux dents. Tout ça sur l’écran du cybercafé qu’il fréquente à chaque moment de liberté. PREMIER ABORD. PHOTOS P. GI. ATTAQUE À LA SOURIS ARMÉE s’en servir. Ensuite, une arme de sniper peut être très efficace. » A l’écran, il tombe d’une échelle. Il est devenu la proie de ses adversaires qui ne tardent pas à le mitrailler. « Aïe ! », s’exclame-t-il. Dans les hautparleurs, le bruit sourd des armes automatiques résonne sur les ruines de la ville. Contre toute apparence, Damien s’offre une séance de relaxation. Il doit rester extrêmement concentré trois heures durant pour ses travaux de BTS en Il a déjà fait plusieurs débarquements en Normandie Jargon en réseau CLAN : équipe de joueurs. FLAG : drapeau à récupérer pour remporter la partie. FRAG : mort d’un adversaire ou un point dans le jeu. LAN : rassemblement de joueurs ou de créateurs en réseau informatique. MAP : univers virtuel où évoluent les personnages. communication audiovisuelle. Après, il s’autorise toujours un moment de détente. « C’est un moyen de poursuivre l’entraînement et de maintenir le niveau », explique-t-il. Avec son clan CVC, son équipe de jeux en réseau, il est classé parmi les meilleurs d’Aquitaine sur le jeu Counter-Strike. Les huit membres de CVC se doivent de rester à la hauteur de leur devise que Damien dévoile, amusé : « CVC, c’est les initiales de “Ça va chier”. » Une phrase fétiche qu’ils prononcent souvent pour se donner de l’assurance. « C’est quand c’est le rush, ça veut dire qu’on va au front. » Le clan est soudé comme une véritable armée. Un groupe de potes qui se sont découvert une passion au lycée. Dès la première, ils ont fait leurs armes sur une des premières références du jeu en réseau, Halflife. « Rapidement, on a testé les différents modes. Le Golden Eye, la capture de flag. » Dans la foulée, ils ont monté AccesLan, une association qui permet l’organisation de lans. Ces tournois de jeux ont permis de réunir jusqu’à 280 compétiteurs. CounterStrike est le jeu favori de ces rassemblements. C’est aussi celui de Damien. Terroristes contre anti-terroristes, les joueurs évoluent dans des couloirs sombres. Une sorte de bunker géant où leur seule ambition est l’extermination de l’équipe adverse. Mais on ne prononce pas le mot « tuer ». En jargon réseau, il s’agit de « frag » parce que personne ne meurt vraiment. Dans la vraie vie, Damien s’exerce aussi aux interventions de type GIGN. Toujours de la simulation. Réunis entre amis dans une ferme, ils sont équipés d’armes répliques de vrais Beretta, de fusils d’assaut. « Peu passent de la simulation au réel, dans le monde des jeux en réseau », témoigne-t-il. « Le but c’est de jouer, pas de tuer. » D. R. Là, dans la pénombre, les mouvements se reflètent sur son visage attentif. Il fixe les inscriptions qui défilent : le jeu DoD2 est en cours de chargement. Il va jouer avec un ami, assis directement à sa droite. Après quelques bugs, le décor est finalement planté. Les deux joueurs ont les yeux fixés sur leur moniteur, ils se baladent, l’arme au poing. En réalité, leur main gauche est crispée sur le clavier et la droite sur la souris. Leur mission : faire reculer les nazis, dans la ville de Caen, en récupérant un à un les drapeaux. « Les flags », remarque Damien. « Le réalisme est assez proche. » Dans le jeu, l’arme tire au rythme du clic. Beretta, fusil d’assaut, machine gun ou simple couteau : la liste est longue. « Un pistolet peut très bien suffire », commente Damien, « mais si on sait bien PIERRE GIRARD L E PREMIER ÉTAGE DU MÉTAMORPHOSÉ H14 EST EN UNE ÉNORME SALLE DE CONTRÔLE POUR LES BESOINS TECHNIQUES DE LA BURDIGA’LAN. Sur le sol, les sacs de couchage témoignent que les CHASSE VIRTUELLE AUX TERRORISTES AU HANGAR 14 joueurs ne se sont pas éloignés de leur écran de tout le weekend. Deux cent cinquante personnes participent à la première rencontre de joueurs en réseau de cette envergure à Bordeaux. Ce dimanche 24 mars au soir, il ne doit rester qu’une seule équipe. L’installation de ce tournoi est colossale. Pour chaque groupe d’ordinateurs, un boîtier switch permet de relier les données à un calculateur central. Une sorte de gigantesque réseau éphémère, le temps de cette lan party. Le matériel a été mis à disposition par des associations de jeu et les moyens techniques ont été apportés par leurs partenaires. Les techniciens sont présents en permanence pour assurer le moindre dépannage. Tout est au point. P. GI. JEUX... A USSI DE BORDELAIS SÛREMENT QUE LES GRILLONS LE SOIR DANS LES PRÉS, LES CARTES À GRATTER D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE ÉTÉ À LA CARTE POUR AMIS GRATTEURS SERONT DE RETOUR TOUS LES MATINS DE L’ ÉTÉ DANS LE JOURNAL pourront à nouveau s’installer sur leur terrasse, le quotidien dans une main, une pièce de monnaie dans l’autre. S’arrêtant vite à la page des jeux d’été, ils s’emparent aussitôt de la carte magique. Débute alors un dur labeur : il s’agit de retirer de haut en bas, de droite à gauche la pellicule d’or ou d’argent qui recouvre chacune des petites cases du bonheur. Faire-valoir de la presse quotidienne régionale dans les années 80, les jeux de grattage avaient permis d’augmenter les ventes du quotidien aquitain en magasin de 7 à 8 %. Nombreux sont ceux en effet qui n’achètent le journal qu’à la seule condition de participer au grand jeu estival. Mais l’âge d’or n’a pas DE VILAINS 33 Ayez l’œil et cherchez l’erreur Ayez l’œil, Tape à vue, ces deux noms restent aujourd’hui encore dans l’esprit d’un grand nombre de lecteurs du journal Sud Ouest. Deux jeux qui semblent en 2002 bien désuets mais qui, en ce début des années 80, déclenchent l’effervescence dans un grand nombre de foyers. Souvenez- SUD OUEST. Chaque jour, les lecteurs MORDUS duré. Ce succès a peu à peu induit un effet pervers : « A la longue, le lecteur s’use. Et si le jeu est jugé ringard, le journal l’est également », note Laurence Deschamps, responsable de la communication-vente du groupe Sud Ouest. « Il faut donc sans cesse renouveler le concept afin de ne pas tomber dans le train-train quotidien. » La solution ? « Un retour depuis trois ans aux grilles de mots fléchés ou à des questionnaires de culture générale. » Passent ainsi les étés 1999, 2000, 2001... « Mais si leur coût est moindre, leur influence sur les ventes du journal reste faible. » Ajoutez à cela des gratteurs en état de manque, et Sud Ouest se décide à faire marche arrière. vous : jeu des sept erreurs, énigmes, recherche d’un élément caché dans un fusion en même temps », précise Laurence Deschamps. Erreur fatale. Pour les habitants du nordouest de l’hexagone, à la moindre évocation du mot Grolo, c’est une véritable ferveur populaire qui secoue chaque été les chaumières. Amis gratteurs, la question vous est posée : de la pièce de 50 centimes ou d’un euro, laquelle succédera à celle d’un franc entre vos pouce et index ? “L’objectif est d’augmenter les ventes de 4 %” Les petites cartes sont de retour cet été. « L’objectif est d’augmenter les ventes de 4 %. » Un petit bonus est également prévu le dimanche. « De quoi attirer les lecteurs du quotidien vers l’édition dominicale. » La longévité du succès nécessite un titre accrocheur. A l’inverse du quotidien Ouest France, dont le Grolo perdure depuis une quinzaine d’années, Sud Ouest n’a jamais pérennisé ses jeux, si ce n’est le Trigolo, réchauffé trois ans de suite, « mais pas sur toute la zone de dif- THOMAS QUÉGUINER dessin... Ce principe ludique a assis la renommée du quotidien aquitain durant plusieurs années. Exutoire face à la crise, instant de détente le soir en famille ou entre voisins autour d’un bon verre de vin, ils demandaient une simple dose d’observation, de sagacité et de bon sens. Et si ce type de loisir est aujourd’hui mis au ban des règles du marketing journalistique, il fait encore fureur auprès des plus jeunes. Achetez une quelconque boîte de céréales et une véritable chasse au trésor vous sera généralement proposée au dos du paquet. Ayez l’œil, les p’tits loups, c’est à vous de faire perdurer aujourd’hui un jeu que vos aînés ont par le passé délaissé. LES PETITS PLUS POUR DÉPENSER MOINS UOI QU’ON EN DISE, JOUER A UN COÛT. Q QUE CE SOIT AU CASINO BIEN ÉVIDEM- MENT, AU LOTO OU ENCORE EN PARTICI- PANT À UN CONCOURS. D. R. Pour les joueurs les plus chevronnés, les enragés du gain, il existe une multitude de petits trucs pour jouer à moindre frais. En voici une liste non-exhaustive. En ce qui concerne les concours à bulletinsréponse à poster, on peut aisément se faire rembourser le timbre, bien que ce ne soit pas automatique. Avant toute chose, vérifiez bien que la mention « remboursement du timbre » est présente dans le règlement. Ensuite, il vous suffit de le préciser lors de l’envoi. Le réglement doit, par ailleurs, vous être adressé gratuitement si vous en faites la demande. Si vous êtes des plus scrupuleux, observez tous les règlements à la loupe, s’ils ont été mal rédigés, vous pouvez les faire tourner à votre avantage. Vous êtes un joueur invétéré sur Internet, minitel ou au téléphone ? Inutile de tenter de mettre un frein à vos ardeurs. Il suffit d’adresser une preuve (facture téléphonique…) de votre temps de connexion à l’organisateur du jeu. Il est dans l’obligation de vous dédommager dès lors que la notion de hasard intervient. Attention cependant, les remboursements sont souvent forfaitaires et ne couvrent qu’une partie des frais. Du moins pour certains participants. VOTRE AVARICE va jusqu’à comptabiliser le temps que vous consacrez au jeu ? Vous aimeriez en dépenser moins ? Plus de soucis, Liet éditions pense à vous. Outre sa revue qui recense de nombreux jeux et qui fournit nombre de détails les concernant, dans son catalogue de produits dérivés, vous trouverez tout pour vous faciliter la tâche, moyennant une certaine somme. Cela va des cartes postales aux grandes enveloppes (« Un format plus grand = plus de chance au tirage ») en passant par des tampons encreurs ou des étiquettes avec la mention « remboursement du timbre SVP ». D’autres modèles sont également proposés, dont certains avec vos coordonnées. Ainsi, vous ne passerez plus des heures à remplir des bulletins. Enfin, si l’avarice qui vous ronge est des plus insupportable, une dernière solution : cessez de jouer et vous ne dépenserez plus un seul centime. EWEN COUSIN 34 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS “PHILIPPE, VOUS ÊTES LE MAILLON FORT” P GIOVANNANGELI HILIPPE VIENT DE GAGNER AU « Cette fois, c’était un peu avant Noël. J’ai vu une annonce à la télé sur Le Maillon faible. C’était la même maison de production que pour FaSiLa. Je les connaissais, alors j’ai appelé. J’ai fait les sélections téléphoniques : 15 bonnes réponses sur 20 ! » Philippe est enfin sélectionné, mais il devra attendre le 22 mars pour participer aux enregistrements. Jusqu’à cette date, il reçoit plusieurs coups de fil de l’équipe. On lui demande combien il mesure, quel personnage historique il aurait aimé être. Très content d’avoir été retenu, il évite cependant d’ébruiter l’affaire : « Je ne l’ai dit qu’à mon entourage très proche. Dans mon travail, si ça s’était su et que j’avais perdu, après... » Philippe assure pourtant que ce ne sont ni la passion du jeu ni l’attrait de la victoire qui ont guidé ses pas vers les studios : « J’y allais surtout pour voir comment on réalisait une émission. Par curiosité. Après, le jeu me plaisait, bien sûr. La présentatrice, Laurence Boccolini, a un peu le même humour grinçant que moi. C’est sûr, j’ai choisi une émission qui demande des connaissances moyennes. Je ne me serais jamais présenté à Questions pour un champion, par exemple. » Mauvais joueur, Philippe ? Il le concède, mais seulement avec ses amis et quand il s’agit « de jeux de hasard » (comprenez par là tout ce qui se joue avec des cartes). Pour le reste, entre le coucou suisse, le synthétiseur et l’ordinateur du salon, toujours sous cellophane, les étagères PHOTO SONIA DE SOUSA MAILLON FAIBLE. MORDU DE TÉLÉVISION, ET DE JEUX EN PARTICULIER, IL AVAIT DÉJÀ PROPOSÉ SA CANDIDATURE AU B IGDIL , À FA S I L A CHANTER OU À QUI VEUT GAGNER DES MILLIONS. EN VAIN. sont chargées de CD dont certains viennent tout droit des studios radio : « J’ai souvent gagné des petits lots avec les émissions de radio. Quand je sais, j’appelle. Bon, des fois, on a des surprises. Une fois je me suis retrouvé avec un CD de hard rock... », sourit-il. Au royaume des cadeaux oubliés, Philippe montre un baladeur, également gagné, et toujours dans son emballage... « Pour l’enregistrement, nous sommes arrivés le 11 mars à Paris. Le soir, on a dîné ensemble avec les autres candidats. Il n’y avait pas de rivalité, c’était très convivial, mais en les écoutant parler, nous avons compris que nous n’étions que deux à vivre notre “première fois” et on s’est demandé où on était tombé. » Le lendemain, jour de tournage, le réveil est brutal : les candidats doivent être au studio à 7 heures moins le quart. « La grande difficulté, ça a été de tout retenir en même temps. On a dû recommencer des dizaines de fois : “Philippe. 35 ans. Chauffeur de bus. De Bordeaux en Gironde”. Et dans cet ordre là ! puis il y a eu la séance de maquillage », se souvient-il, l’air faussement dégoûté, « la poudre, le fond de teint et tout le reste. Comme une star. Et le carton qu’il faut retourner de haut en bas, pour éviter la réverbération de la lumière... Ce qu’il y avait de bien en tout cas, c’est que la salle était très sombre autour de nous. On ne voyait pas l’émission n’est pas diffusée je ne toucherai rien ! » Mais Philippe ne se laisse pas aller à des excès de fierté : « Bien sûr, ça fait plaisir, mais vous savez, je n’ai pas trop usé de tactique. Pendant le briefing, on nous a incité à faire des petites remarques sur les autres candidats pour pimenter le jeu. J’en ai pas vraiment fait, et de “Je me suis laissé massacrer mais je ne suis pas maso. C’est le jeu, un point c’est tout ” les caméras, du coup, j’étais assez détendu ». UNE DÉCONTRACTION QUI PORTE, SES FRUITS. Par coquetterie, il dit qu’il a simplement « atteint son objectif » qui était de « ne pas se faire éliminer au premier tour ». Il faut le presser de questions pour qu’il lâche finalement un « Je suis allé en finale. Et j’ai gagné 4 000 euros, et j’aurais pu avoir plus ! Enfin, c’est déjà une somme. Cela dit, pour l’instant, ce sont des euros virtuels : si FINALEMENT, toute manière quand on va au Maillon faible, on sait qu’à un moment ou à un autre on va se faire descendre. Moi, je me suis laissé massacrer sans rien dire. Comme ça, ça dure moins long- temps. Mais je ne suis pas maso pour autant. C’est le jeu, un point c’est tout. » Mine de rien, sa victoire, il la savoure : « Quand l’émission sera diffusée, on se réunira pour la regarder avec les copains. Bon, c’est vrai que si je n’avais pas gagné, je n’aurais certainement pas fait ça », sourit-il. L’aventure lui a plu, et, visiblement, il se rejetterait bien à l’eau. Pourtant, s’il remonte sur un plateau télé, ça ne sera pas sans une petite appréhension : « J’ai tenté, je suis arrivé tout en haut. Si j’allais autre part et que je perdais, il y aurait un petit goût de défaite. L’important, c’est de gagner maintenant ! Vous savez, je suis d’origine corse, mais dans ma tête, c’est pas Waterloo : j’ai gagné une fois, maintenant je reste à la maison ! » SONIA DE SOUSA JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS 35 LE CLUB PYRAMIDE, MOT À MOT CE SONT LES PRÉSIDENTE DU CLUB COLETTE ITEY, LA BORDELAIS, EN SOU- On aurait pu penser que le charme dévastateur de Patrice Laffont, le présentateur de l’émission, était à l’origine de la passion qui entoure Pyramide, mais à y regarder de plus près, c’est la gymnastique de l’esprit qui fascine tous ses initiés. Le but de ce jeu télévisé, qui a engendré une avalanche de clubs à travers la France, est assez simple : deux équipes s’affrontent ; chaque joueur doit faire deviner des mots à son partenaire par association d’idées en un minimum d’essais. Les « maîtres-mots », ce sont les deux présentateurs-joueurs, qui sont toujours présents sur le plateau : Claire Gautraud et Jérôme Tichit, « Jérôme et Claire », pour les intimes de l’émission de France 2. A Bordeaux, c’est à l’Union Saint-Bruno que se retrouvent les aficionados de la devinette. « C’est un jeu culturel, mais pas trop », résume non sans humour Solange, une joueuse du club bordelais. Ici, ils sont vingtdeux. Un nombre assez modeste si on le rapporte aux 8 000 licenciés français, répartis en 560 clubs. Les femmes y sont reines : peu d’hommes ont délaissé le boulodrome pour venir se mesurer à ces dames, qui, comme le dit Solange, sont « bien plus malignes ». Des retraitées dynamiques à l’esprit vif, passées pour la plupart du Scrabble à Pyramide pour occuper leurs journées. Les mains passent dans les cheveux blanchis par les années lorsque le mot à deviner est trop dur et les tailleurs sont griffés Rodier. « Il y a des plus jeunes, aussi », explique Colette, comme pour s’excuser. Mais elles ne sont pas là. Peu importe : ces dames s’affrontent comme des enfants dans des joutes verbales sans merci : « Catégorie cinéma : PompiRIANT. dou ! », propose le maître-mot. « Ah... Georges Mélies ? », répond sa partenaire. « Oui ! » Ainsi pris sur le vif, les joueurs parlent une langue étrange, où les mots s’enchaînent sans logique apparente. Les rires fusent et tous les mardis soir, l’ambiance est bonne, pour le simple plaisir du jeu. On est loin des fastes informatiques de l’émission, des cotillons qui tombent du ciel et des lots à gagner. Pourtant, elles en sont toutes fans. « On regarde tous les jours, et on l’enregistre », dit Colette. Comme les téléspectateurs de Questions pour un champion, ces initiées sexagénaires, les ongles plantés dans le canapé et les cheveux blancs hérissés par le stress tentent de répondre plus vite que le candidat, tous les jours, à 12 h 20. Par goût du jeu, certes, mais aussi parce qu’elles rêvent d’être à sa place. Toutes ici ont tenté de passer les sélections : des délégations venues de Paris passent dans les régions et choisissent les candidats à la gloire cathodique. Mais aucune ici n’a été retenue. « C’est noyauté par les profs ! », s’indigne Colette Itey. « Regardez, encore hier, il y avait un instituteur et un prof de philosophie ! »Le feu de la révolte brûle contre cette injustice sans nom. Et il n’est pas prêt de s’éteindre : loin d’être un effet de mode, Pyramide a survécu au changement de plage horaire et à l’arrivée de Marie-Ange Nardi au poste de présentatrice. « Ce jeu, c’est une drogue, si on ne joue pas, ça nous manque » explique Colette Itey en riant. Il faut dire qu’ici, on n’a pas peur des mots. PHOTO D. S. L’ IMPORTANT , ÉCHECS ACADEMY Les joueurs parlent une langue étrange ARGEMENT AU - DESSUS DES L AUTRES CLUBS BORDELAIS, BORDEAUX-ECHECS RÈGNE SANS PARTAGE SUR L’AQUITAINE ET FIGURE RÉGULIÈREMENT DANS LES DIX PREMIERS CLUBS FRANÇAIS. THOMAS BALTES PHOTO T. B. À PYRAMIDE, MAÎTRES-MOTS, EXPLIQUE Son palmarès a effectivement de quoi impressionner : l’an passé, fidèle à ses habitudes, Bordeaux-Echecs avait fait le plein de titres : « Nous avons eu 17 champions de France (16 scolaires et un en individuel), commente Serge Tabaroni, président du club. C’est énorme. Les catégories jeunes ne sont dominées par personne, le titre se joue donc dans un mouchoir de poche et l’on peut très facilement se retrouver premier comme 6e ou 7e ». Une nouvelle fois, cette saison ne devrait pas déroger à la règle puisque le club va voir une de ses équipes intégrer la première division, l’élite nationale des échecs. Le secret d’une telle réussite ? Du travail, du travail et encore du travail : sans forcément promettre du sang, de la sueur et des larmes à ses élèves, Serge. Tabaroni explique que « les échecs, il n’y a pas de secrets, ça se bosse. En plus du travail sur l’échiquier, il faut aussi se plonger dans les manuels qui exposent les coups, les tactiques à déployer. Nous avons en plus une grosse base de données informatisée où les coups de nombreux joueurs sont passés à la moulinette. Par exemple, notre champion individuel de l’année dernière s’entraîne à raison de 2 à 3 heures par jour ». Et, non content de faire « transpirer » les élèves au sein du club, les instructeurs leur donnent en plus des « devoirs » à faire chez eux : « rien de bien méchant ; mais je crois qu’il est bon qu’ils continuent à penser un peu aux échecs une fois chez eux », ajoute le président. Un sérieux et un professionnalisme qui forcent le respect et qui ont eu le mérite de faire de BordeauxEchecs un club de niveau national, régulièrement classé dans les dix premiers clubs français. Une politique certes volontariste mais dans laquelle le club trouve néanmoins son compte : « Dans les catégories jeunes, en gros jusqu’à 11-12 ans, les filles sont plus fortes, explique Serge Tabaroni. Elles sont plus patientes, moins impulsives que les garçons. Elles utilisent tout le temps nécessaire ». Des qualités que le club a eu l’intelligence de mettre en avant dans sa moisson de titres... Loin de l’atmosphère tendue des salles de championnats, Bordeaux-Echecs intervient dans une trentaine d’écoles, essentiellement sur Bordeaux. Serge Tabaroni est en effet convaincu des vertus pédagogiques du jeu d’échecs, « notamment sur la concentration », explique le président. De là à mettre mat l’échec scolaire... DAMIEN STROKA Bordeaux-Echecs : 36, rue Buhan, 33000 Bordeaux. Tél. : 05 56 51 71 71 36 JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS BULLETINS, RÉPONSES ET AUTRES MOTSCROISÉS V ELYNE É GUÉRARD EST UNE JOUEUSE INVÉTÉRÉE, MAIS RAISONNÉE . C’EST ELLE QUI Concouriste : personne qui participe à de nombreux concours. Elle. Ou presque. Le jeu. Première interrogation et première réaction un peu vive. « Attention. Je ne joue pas aux jeux d’argent, au contraire. Le jeu, pour moi, est une passion. Surtout lorsque les mots y ont une grande importance. » Les mots, la recherche des mots, la passion des mots, mots croisés, jouer avec les mots. Des expressions qui reviennent souvent dans la bouche d’Evelyne Guérard. LE DIT. LE LOT N’EST JAMAIS QUE LA CERISE « Je ne demande pas grand chose, un petit cadeau, pas une maison ou de l’argent. » Les mains s’animent un peu. Jouer pour « passer son plaisir ». Le jeu, une passion. Encore, toujours. Une passion commencée très jeune, à 7 ans, avec le journal Spirou. Premiers jeux et premiers gains. « Un livre de la bibliothèque rose. » Ce qu’elle ne savait pas, c’est que ce passe-temps n’allait plus la quitter. Et elle participe à tous les concours qui lui tombent sous la main. Mais jamais plus que de raison. « S’il fallait acheter une boîte de sardines ou de raviolis pour jouer, je l’achetais. Je les mangeais de toutes façons. » Dans une annonce, elle découvre la Revue des jeux, qui lui permet d’éviter des dépenses inutiles. Elle est concouriste, mais « dans la limite du raisonnable. Je ne suis pas comme ces joueurs que l’on entend ici ou là et qui font appel à des prêtenoms pour multiplier leurs chances. » Puis elle se ravise. Elle se souvient de l’avoir fait pendant six mois avec deux personnes. Avant de se rendre compte que c’était plus enquiquinant qu’autre chose. Depuis, « je joue pour moi, c’est tout. J’assimile ces pratiques (les prête-noms) à de la triche. Si je gagne, je ne le dois qu’à moi seule. » La triche, elle ne la supporte pas. « Ça ne fait pas partie du jeu. J’ai horreur des tricheurs. » Mauvaise joueuse Evelyne ? PHOTO D. R. SUR LE GÂTEAU. Retour sur son enfance durant SI ELLE PERD, ELLE RÂLE intérieurement et se rassure en se disant laquelle le jeu sous toutes ses qu’elle n’est pas morte et qui formes était déjà très présent. Dans sa sait, un jour... famille, ils La chance “J’embête étaient cinq frappera à sa enfants. Et porte. La quatout le monde pour Evelyne lité principale parce que il était normal du concouriste je suis toujours que les jeux selon elle ? devant les jeux” de société Vivre sur l’espoir. Attendre fassent partie du quotidien. les résultats, un coup de téléphone, une Comme une tradition. Tradition lettre, un télégramme, un qu’elle a perpétuée au sein de sa propre famille : « Avec mes recommandé. enfants, il ne s’est pas passé un dimanche sans que nous ne jouiions à un jeu de société. » Et lorsqu’elle évoque ces moments, aujourd’hui un peu disparus, ses mains semblent flotter dans les airs alors que ses yeux bleus s’évadent derrière les carreaux de ses lunettes. LES CONCOURS. Le thème revient comme se ravive la flamme d’une bougie. Cette activité a toujours été présente dans sa vie. Sur tous types de magazines. Qu’ils lui soient destinés ou qu’ils le soient aux autres. « Tous les magazines qui ren- traient à la maison. » Les timbres. Primordiaux pour pouvoir participer. Ses parents l’ont d’abord aidée, avant qu’elle ne puisse elle-même se les acheter. Jusqu’à tard dans sa vie, elle a ignoré qu’elle pouvait se les faire rembourser. Maintenant, elle est entrée dans la combine. « On est remboursé à 90 %. Une année, j’ai même joué sans acheter de timbres ! » Evelyne Guérard aime les concours mais pas au point de se laisser déborder par eux. ELLE S’ORGANISE. Tous les quinze jours, elle remplit des bulletins. « Ça me prend d’une demiheure à une heure. » Voire une ou plusieurs après-midis, lorsque les réponses à trouver sont particulièrement corsées et qu’il faut se rendre à la bibliothèque pour consulter des encyclopédies. Les jeux comme moyen d’accumuler des connaissances. Un plus non négligeable, qui peut servir par la suite. Dans les mots croisés, par exemple. Les jeux de papiers intéressent plus particulièrement la joueuse invétérée, mais qu’en est-il des autres supports ? Le téléphone, elle l’a expérimenté, mais son principe sacro-saint l’a tout de suite arrêtée. « Je ne joue pas d’argent. » Internet ? Elle s’y essaie parfois. Le Loto, les jeux de grattage ? Comme tout le monde, elle y a tenté sa chance une fois ou deux. Sans conviction. Les jeux télévisés ? Elle les aime énormément et peut quasiment tous les citer. Avec une préférence pour les jeux intellectuels comme Questions pour un champion. Par contre, elle ne se prive pas de fustiger des jeux qu’elle qualifie de « débiles », comme le Bigdil, où le candidat « est plus là pour amuser la galerie qu’autre chose ». Elle aimerait beaucoup participer aux jeux télévisés mais, pour l’instant, toutes ses demandes ont échoué. Reste Questions pour un champion, qui l’intimide trop pour qu’elle soit candidate. Elle ne se sent pas à la hauteur. La peur d’échouer, l’appréhension. Et elle s’interrompt pour lâcher, l’air fautive : … JEUX... DE BORDELAIS … « De toutes façons j’embête tout le monde parce que je suis toujours devant les jeux. » Quand un lot l’intéresse plus particulièrement, Evelyne dépose sur le bulletin ses trois grigris pendant un petit moment. UN TRÈFLE À QUATRE FEUILLES, UN (souvenir d’un voyage en Egypte) et un coquillage acheté à Marseille. « Des bêtises, mais bon, chacun ses SCARABÉE D’INVENTEURS DE FLAMBEURS petit trucs. Je ne suis pas gaga ! » Le résultat n’est donc pas faussé. Cependant, à force de jouer, Evelyne gagne. Cela va du salon en cuir dans lequel se passe l’entretien (« j’ai même pu choisir la couleur ») à « un frisbee ». En passant par un four à micro-ondes, un frigo, un mixeur, des livres, des CD, des CD-roms, un lapin articulé à piles... Mais, « pas de voyage ». Dommage pour cette femme qui, Le B.A.Ba du concouriste Les gagnants sont sélectionnés par simple tirage au sort, la participation étant gratuite. JEUX-CONCOURS Les participants sont en premier lieu classés par le nombre de réponses exactes ex-aequo éventuels départagés par un tirage au sort ; la participation étant toujours PATIENTS D’ENFANTS pourtant, voyage et aime voyager et voudrait « découvrir d’autres pays ». Dans l’appartement, on ne trouvera presque aucun des lots gagnés. « Je suis quelqu’un qui n’accumule pas. Je donne tout. Ou presque. » Passionnée mais généreuse. C’est une joueuse invétérée, mais raisonnable. Cela sonne D ’ACT E U R S DE MORDUS DE EWEN COUSIN PHOTO E. C. E MONDE DES JEUX-CONCOURS EST UNE JUNGLE. ILS L SONT NOMBREUX, ONT DIFFÉRENTES FORMALITÉS ET SURTOUT DES RÉPONSES TRÈS VARIÉES. D’OÙ L’IDÉE JULIEN PARROU, UN JEUNE BORDELAIS, 1995 LA REVUE DES JEUX. DE DE CRÉER EN définition des opérations comportant à la fois deux E. C. CONCOURS Opération liée à une obligation d’achat pour laquelle la sélection du (des) gagnant(s) ne peut se faire que par sa (leur) sagacité (connaissances, habileté, rapidité), sans qu’il ne soit jamais procédé à un tirage au sort ou laissé la moindre place au hasard. 37 comme une contradiction. Evelyne assure qu’elle n’a pas que la passion du jeu qui coule dans ses veines. La peinture est là également. Et puis, l’amour qu’elle porte à son mari est bien plus fort. « Il n’aime pas vraiment le jeu. Alors, s’il me demande de tout arrêter du jour au lendemain, je le ferai. » Cela concerne des jeux sur papier (courrier et bulletin) et par téléphone. Les autres rubriques vont de l’arnaque au forum (bourse d’échange de lots gagnés, témoignages de joueurs), en passant par de nombreuses brèves sur... les jeux. La revue est entièrement conçue par la petite équipe, qui cherche les différentes réponses aux concours (avec l’aide des abonnés) et qui en parallèle se développe sur Internet par le biais de son site : concours.fr. Ce dernier, qui revendique entre 2 500 et 3 000 visiteurs par jour et 20 000 abonnés par mailing, fait un listing de jeux présents sur le net. Il s’agit là pour la revue papier d’un moyen de trouver de nouveaux abonnés. Le lecteur-type de la publication de Liet éditions (un million d’euros de chiffre d’affaires) est plutôt une femme (60 % du lectorat) ayant fait peu d’études supérieures et habitant en milieu périurbain. Enfin, pour information, le lectorat se divise en trois blocs distincts et égaux : les 20-35 ans, les 35-40 ans et les plus de 45 ans. gratuite. VILAINS LA REVUE DES JEUX : TOUS POUR GAGNER JEUX (ou de points obtenus) et les DE En presque sept ans, la publication a beaucoup évolué. On est bien loin des 16 premières pages fabriquées artisanalement par Julien Parrou chez lui et tirées à 20 exemplaires. Aujourd’hui, la revue publiée par la SARL Liet éditions, qui compte quatre salariés, affiche fièrement un compteur à 12 000 exemplaires. Uniquement par abonnement et sur toute la France. « Le succès est dû en très grande partie au bouche à oreille. » La revue des jeux est un mensuel de 28 pages (qui va prochainement passer à 32) comportant 11 rubriques, qui liste de nombreux jeux organisés avec leurs différentes modalités de participation. LOTERIES OU TOMBOLAS Termes à proscrire, même assortis de l’adjectif “gratuite”, dans la mesure où elles sont prohibées, signifiant par notions incompatibles : obligation d’achat et hasard. E MOINS QUE L’ON PUISSE DIRE, L C’EST QUE LES TEXTES DE LOI RÉGISSANT LES JEUX SONT AMBIGUS. En général, en cas de litige, c’est la jurisprudence qui fait office de référence. En pratique, pour les différents jeux, concours et jeux-concours, la seule obligation est de déposer le règlement complet chez huissier, ainsi que tous les documents ayant trait au jeu (bulletin de participation, mailing, affiche...), afin de procéder à la rédaction du procès verbal de dépôt daté du jour de la réception. L’huissier a alors à sa charge de contrôler la régularité du règlement. Par exemple, il ne peut y avoir d’obligation d’achat si la notion de hasard apparaît, comme c’est le cas pour un tirage au sort. C’est pour cela qu’un bulletin de participation présent dans une revue doit pouvoir être recopié sur papier libre. Un règlement, dont le nombre d’articles est laissé au librechoix de l’organisateur, doit obligatoirement spécifier le mode d’attribution des lots. De plus, il doit en préciser le nombre, la consistance et surtout la valeur. Cela évite bien des désagréments aux organisateurs. Ainsi, une personne gagnant un voyage dont le montant n’est pas précisé est libre de choisir son agence de voyage, quel qu’en soit le coût. Le règlement doit également mentionner qu’il est déposé chez un huissier, avec le nom et la ville de ce dernier. Il doit être adressé à titre gratuit à toute personne qui en fait la demande. Ce afin d’éviter toute illégalité et contestation possible. Par ailleurs, il ne doit pas y avoir d’ambiguïté dans l’intitulé du règlement, qui men- dibilité du jeu, sa présence est conseillée. Concernant le remboursement des frais engagés par un participant, le remboursement du timbre n’est pas obligatoire, mais dans la pratique, il est des plus courant de le faire. En revanche, concernant les Il est parfaitement illégal d’associer la notion de hasard à l’obligation d’achat. C’est strictement interdit aux sociétés commerciales. Une seule exception, et elle est de taille : l’Etat a le droit d’organiser des jeux associant CE QUE DIT LA LOI tionne précisément la date limite de participation et ses modalités. Il n’est pas obligatoire, si ça n’est pas précisé que l’huissier assiste au tirage au sort. Cependant, pour garantir la cré- l’obligation d’achat d’un ticket et le hasard : tirage au sort (Loto) ou grattage. jeux par téléphone, minitel ou Internet, dès que la notion de hasard apparaît, les frais doivent être remboursés. Une limite : les remboursement ne se font qu’à la demande du participant. E. C. 38 JEUX... M DE ARCHÉ DES BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS DE PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE MORDUS DE VILAINS CHARTRONS, SAMEDI SOIR, À 23 HEURES. UNE GRANDE PORTE CLOSE N ’ INDIQUE EN RIEN L’ OBJET DU JEU QU’ELLE DISSIMULE. Tout juste une inscription équivoque en lettres italiques, blanc sur noir : La Novice. Pas de poignée. Un judas et une sonnette, cachée à gauche dans le renfoncement des gonds. Un homme, une femme se présentent. La porte s’ouvre. Une silhouette apparaît : celle de la patronne des lieux, Anne. Soutien-gorge et string à franges rouges : « Bonne soirée ». La piste de danse est déjà bien remplie. Six femmes s’éclatent. Elles font un strip-tease, se caressent. Les maris sont au bar, ils observent. La couleur du soir, c’est le rouge. Celle de la chemise des hommes qui discutent allègrement en sirotant leur cocktail, celle des rideaux drapés et suspendus le long des murs. La couleur des vêtements des femmes aussi, qu’elles laissent tomber, un à un. Les miroirs reflètent leur jeu érotique. Avec son profil de catwoman, Anne joue les maîtresses du jeu. Un genou sur le comptoir, un talon en l’air et la main sur un barreau, elle se penche vers un client qui attend au bar. « Qu’est-ce qu’il veut le jeune homme ? », lui susurre-t-elle à l’oreille avant de l’embrasser fougueusement. Riches bourgeois et Bordelais plus modestes, beaux ou vieillis, tous partagent le même amusement. Pour une nuit, les règles changent. Maris et femmes s’autorisent à goûter le sexe avec un autre. PHOTO D. S. ILLES , G TROCS EN VRAC LE JEU EST CODÉ. LES FEMMES Les couples s’abordent selon un jeu de regard très précis. Une femme, la trentaine, lance une œillade, une deuxième lui renvoie. Elles s’éloignent pour se déshabiller mutuellement. La case suivante est celle du petit salon, aménagé derrière la cage. Un couple BCBG semble hésiter à faire le premier pas. Lui est en costume. Elle porte une belle petite robe noire et paillettes, avec des talons. D’un pas décidé, elle se dirige vers un canapé, s’installe avec une femme. Elles entreprennent de se découvrir. Une troisième les rejoint rapidement. Un homme s’intercale. Un voyeur d’une cinquantaine d’années s’arrête quelques secondes devant la scène. Sa présence procure du plaisir aux couples qui s’exhibent. La partie se poursuit derrière l’épais rideau noir. Là, un premier matelas noir de trois mètres sur trois est bordé de barreaux de fer. Une croix de bois avec des menottes, une table de gynécologie... La nuit se poursuit ici jusqu’au petit matin, tôt. Les couples referment alors la porte. La partie est finie. 44 ANS , FRÉQUENTE ASSIDÛMENT LES CLUBS BOR- DELAIS. S’affirmant « Partouzard » assumé, il parle de la dimension ludique de l’échangisme. OÙ EST LE JEU DANS L’ÉCHANGISME ? Pour moi et ma partenaire, le but est de rencontrer des gens qui vont partager notre complicité, notre sens du jeu : la pratique du sexe par plaisir et pour le plaisir. Ensuite, il faut voir comment les couples réagissent des êtres humains et un être humain, ça se respecte, on ne le possède pas. Il a des envies, j’ai des envies : si on peut les partager, alors c’est merveilleux. Il n’y a rien de sale, il n’y a rien de vulgaire. Cela dit, il arrive que des gens se montrent irrespectueux. Ce sont d’ailleurs toujours des personnes qui n’ont absolument pas la mentalité libertine mais qui essayent quand même de pénétrer dans le milieu... P. GI. PARTOUZARD AFFIRMÉ LES CORPS NE SONT - ILS QUE DES CORPS ? Non. Dans le libertinage, le respect est très important. Ce n’est pas parce que l’on aime jouer avec les corps que l’on possède ces corps. En face de nous, nous savons très bien que nous avons Lors de mon éveil sexuel, j’avais 18 ans. C’est le goût du « toujours plus » qui m’y a poussé. Quand j’avais des relations avec une femme, cela me plaisait énormément. Je trouvais plus logique de les avoir ensemble plutôt que séparément. Et comme je ne suis ni macho ni phallo, je trouve normal qu’une femme pense la même chose... COMMENT VOUS QUALIFIERIEZ-VOUS ? N’ENTRENT PAS EN PANTALON. en fonction de ce qu’ils aiment et de ce que nous, nous aimons. Si vous voulez, c’est comme si chaque nouvelle fois était une première fois ! Il y a le plaisir de découvrir un corps : celui qui est à la maison, on sait comment il est, on sait comment il bouge, on sait comment il réagit… C’est cela qui est très ludique dans les rapports sexuels à plusieurs : plus on multipliera les partenaires et plus les sensations seront nombreuses et variées. QUAND ET COMMENT ÊTES-VOUS VENU ? AU LIBERTINAGE QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LES CLUBS ÉCHANGISTES ACTUELS ? À mon sens, la nouvelle clientèle des clubs, beaucoup « plus soft », pose un vrai problème. Les clubs font de la publicité et ouvrent leurs portes à tous, y compris aux « fantasmeurs » qui ne s’expriment pas en public et qui tuent l’ambiance et l’image de ces clubs. Ces gens ne jouent pas. Ils arrivent dans les clubs pour tenter de résoudre leurs problèmes de couple alors que c’est précisément le genre d’endroit qu’il ne faut fréquenter que lorsqu’on a aucun problème de couple ! Dans la vie sexuelle, le libertinage, c’est la cerise sur le gâteau, ce n’est pas le gâteau. Le libertinage, c’est prendre le sexe par l’amusement et le jeu. Or, dans les clubs, c’est quelque chose que l’on ne trouve plus du tout. Le terme qui me conviendrait le mieux est celui de « partouzard » . Il y a énormément d’appellations : échangistes, mélangistes, voyeurs, exhibitionnistes... « Echangiste » est un terme qui ne me convient pas : à mon sens, il revient à dire : « je te prête ma femme, tu me prêtes ta femme et on va chacun de notre côté » . Où est le respect ? Où est l’amusement ? C’est de la consommation de viande... QU’EST-CE QUE LE MÉLANGISME ? Les mélangistes échangent des caresses avec différents partenaires mais sans pénétration hors couple. Personnellement, je ne peux pas m’amuser avec eux. Le problème, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux, ils composent même la majorité de la clientèle des clubs. C’est ce qui fait que les gens ne s’amusent pas. QUE RESTE-T-IL POUR “PURISTES” COMME VOUS ? DES Les soirées privées. On se retrouve, entre gens de même sensibilité, en lieu privé où rien n’est tabou, rien n’est interdit. PROPOS RECUEILLIS PAR DAMIEN STROKA ET PIERRE GIRARD JEUX... DE BORDELAIS D’INVENTEURS DE FLAMBEURS PATIENTS D’ENFANTS D ’ACT E U R S DE DE VILAINS 39 AU PAYS DE GARGANTUA, LES OGRES S’AMUSENT L ÉTAIT UNE FOIS, EN PLEIN QUAR- I SAINT-PIERRE DE LA “BELLE ENDORMIE”, UN LIEU EXTRAORDINAIRE... TOUS LES OGRES DE LA VILLE, ET MÊME D’AILLEURS, S’Y RETROUVAIENT. C’était le seul TIER endroit de Bordeaux où ils pouvaient manger à leur faim, où ils pouvaient manger sans fin. Les couverts étaient si gros qu’eux seuls pouvaient s’en servir. Tout était adapté à leur appétit. Si bien que l’on nomma le menu roi de cet endroit du nom de celui que tous ces gourmands vénéraient : Gargantua. Un menu si garni, si lourd et si complet, que même les plus voraces des gloutons avaient du mal à finir. Ainsi, plus qu’un repas, cette avalanche de plats devint une bravade. Il fallait tous les engloutir. La soupe aux choux, le bastiau de charcutaille, le foie gras de canard mi-cuit, les crevettes sautées, le camembert flambé à l’Armagnac... En tout, huit plats, un apéritif, un trou périgourdin, le café et son pousse, une surprise, un cigare, un magnum de vin rouge (1,5 litre) et quelques verres de Loupiac et d’Entre-Deux Mers ici ou là. Depuis, tous les ogres de la ville doivent un jour ou l’autre passer sur le grill de ce festin en guise de pélerinage culinaire. Une sorte de rite, né en même temps que La soupe aux choux, le restaurant dans lequel on le trouve... voilà deux ans. « Ce menu est notre thème central », explique le patron, Pierre Mon- MORDUS PHOTO NICOLE LEVIGNE toux. « C’est d’ailleurs grâce à lui que les gens nous connaissent. Il ne laisse pas indifférent. » Et d’assurer que « les clients qui s’y essayent sont là pour jouer. Souvent, ils se lancent des défis : celui qui finira tous les plats sans exception, celui qui finira le plus vite... » Le record de vitesse est de cinq heures et demi... celui de la lenteur est de plus de onze heures. “C’ÉTAIT UNE FILLE TOUTE PETITE et assez mince. Elle devait faire à peine 50 kilos bien trempés. Elle est venue avec son copain et ils ont commencé, tout doucement. Mais elle a fini tous les DE ce menu. « Nous sommes montés dessus à trois. En tout, il y avait plus de 350 kilos. C’était le test. Elle a tenu, et on a su qu’elle pouvait supporter autant de mets. » Car si les plats sont nombreux, ils sont aussi surdimensionnés. ASSIETTES, PHOTOS NICOLE LÉVIGNE plats, c’est exceptionnel. » Car tous ne peuvent pas se targuer d’un tel exploit. « Des fois il y a des jeunes qui viennent pour se lancer des défis, mais dès le début on voit qu’ils n’arriveront pas au bout. Ils commencent à fond, sans prendre le temps, et ça ne loupe pas : après troisquatre plats, ils calent et c’est beaucoup plus pénible. Il y a aussi ceux qui ne se sont pas préparés et qui n’en peuvent plus. Un jour, un couple est venu et n’a pas pu finir. Ils étaient dépités et sont partis avant la fin du repas, très déçus, peut-être même touchés dans leur orgueil. » L’orgueil du joueur qui a perdu face à plus fort que lui. Le menu Gargantua n’est pas fait pour les goinfres irréfléchis. SEULS LES FINS TACTICIENS peuvent venir à bout de cette montagne gastronomique. « Il faut savoir prendre son temps, déguster les mets, discuter entre chaque plat.» D’où l’importance de venir en nombre. « Le mieux, c’est huit. A ce moment-là, c’est une vraie fête. Ils se provoquent à longueur de repas, ceux qui n’y arrivent plus sont poussés par les autres... Mais on peut venir à deux ou trois. De toute façon, en six heures, les clients ont le temps de s’amuser avec les cuisiniers. » Et parmi ces derniers, « le gros Pascal », figure emblématique du lieu qui a testé avec Pierre Montoux le menu lorsqu’ils l’ont créé. « Nous avons tout goûté, du début à la fin. Et en même temps nous en avons profité pour tester la table. » Brinquebalante, tordue, inclinée, seule cette table ornée d’un poivrier géant semble digne d’accueillir VERRES ET BOUTEILLES sont à la mesure des ambitions des joueurs, histoire de marquer le coup. « On ne les sort que pour ce menu. C’est un événement important, les gens s’en souviendront longtemps .» Mais qui sont ces gens au juste ? « Il y a de tout. Des vieux, des jeunes, des riches, des moins riches... » Leur seul point commun ? « Ils aiment la bonne bouffe. » A tel point que certains sont prêts à vider leurs bas de laine pour ce petit plaisir à 80 euros (530 francs). « Ce sont généralement des personnes qui font un gros sacrifice financier. Cela fait des mois qu’ils y pensent et qu’ils se privent d’aller au resto pour venir ici. D’ailleurs je préfère ce type de clients qui viennent là vraiment pour prendre du plaisir et s’amuser, et qui se forcent à finir tous les plats, que d’autres qui goûtent à tout pour déguster mais qui ne prennent pas ça à la rigolade.» Et d’ajouter, fièrement : « Pour l’instant, aucun n’est revenu. C’est une chose qu’on fait une fois, pour voir. » RÉMI CARAYOL QUEL JOUEUR ÊTES- VOUS ? 1• A la fin d’un dîner chez des amis, on vous propose une partie de poker à 5 centimes d’euro le point : ♠ Vous ne jouez pas, de toute façon vous n’avez jamais 6• A Noël, votre enfant a eu un jeu vidéo. Il vous demande de faire une partie avec lui : ♠ Vous le laissez gagner ♣ Vous vous prenez au jeu ♥ Vous lui mettez 20 points de chance dans la vue, il a peut-être ♣ Vous participez en faisant monter les enchères ♥ Vous acceptez mais juste oublié que vous étiez champion inter-lycées toutes catégories 1972-1973 pour une partie Cochez dans la grille des doigts ci-dessous les réponses ventes flash pour ne pas louper l’affaire du jour ♥ Équilibrez entre promotions et le strict nécessaire B C A B A A B A C B 7 A lequel vous évoluez B B A A C B C A C 5 4 3 Vous avez un maximum de B Ni flambeur, ni allergique aux modéré. Dans la vie, il faut se A B C jeux, vous êtes un joueur 2 9• Vous décidez d’acquérir une voiture, arrivé chez le concessionnaire, vous : ♠ L’achetez au prix indiqué ♣ Marchandez pour obtenir fixer des limites et vous le prix qui vous convient quitte A C B ♣ modèle moins onéreux Mais vous ne boudez pas votre plaisir à jouer quelques euros ♣ de vous rabattre sur un ♠ ♥ Tentez de négocier avant dépassez rarement les vôtres. au casino ou à gratter des tickets de la Française des jeux. 10• Quelle citation se rapproche le plus de votre conception du jeu : ♠ “Le jeu permet de tout Vous considérez avant tout le jeu comme un divertissement car l’essentiel est ailleurs. Vous avez un maximum de C oublier, y compris qu’on n’a Le jeu ? Très peu pour vous. pas les moyens de jouer” Une partie de petits chevaux Philippe Bouvard chez tante Agathe et encore... ♣ “Dans le jeu on n’est pas libre, pour le joueur, le jeu est un piège” Milan Kundera ♥ “On ne doit pas jouer franc jeu quand les autres trichent” Gil Bluteau En un mot, les jeux vous PHOTO RÉMI CARAYOL ♣ Suivez l’animateur des échiquier grandeur nature sur avec brio. à y passer l’après-midi votre liste titiller le démon du jeu qui est en vous. La vie est un B sensations à découvrir 5• Au supermarché, vous : ♠ Suivez scrupuleusement chez des amis. Toutes les occasions sont prétexte à C ami 4• Vous compareriez le jeu à : ♠ La vitesse ♣ L’angoisse ♥ L’excitation monde une partie de cartes 6 ♣ Vous acceptez à condition ♥ Super ! de nouvelles mieux demain manqueriez pour rien au de votre assurance-vie ♣ Vous vous fâchez avec cet ♥ Vous vous dites que ça ira à tous les concours et ne C de sauter en tandem seconde nature. Joueur dans l’âme, vous participez C d’avoir été aussi naïf 10 8• Votre entreprise vous offre un stage de parachutisme pour trois jours : ♠ Vous vérifiez les garanties Chez vous le jeu est une 9 3• Vous avez joué gros en bourse sur les conseils d’un ami et vous avez tout perdu.Quelle est votre réaction ? ♠ Vous vous en voulez Vous avez un maximum de A correspondant à vos questions 8 ♣ Envie de partir ♥ Une montée d’adrénaline 1 2• Quand vous jouez, vous détestez : ♠ Que les autres trichent ♣ Que les autres râlent ♥ Perdre 7• Quand vous entrez dans un casino, vous avez : ♠ Des picotements au bout laissent de marbre. Pour vous, le hasard et la chance ne sont pas des valeurs sûres. C’est clair, vous n’aimez pas prendre de risques.