1,50 EURO

Transcription

1,50 EURO
JEUX
DE BORDELAIS
1,50 EURO
MAGAZINE RÉALISÉ PAR LES ÉTUDIANTS
DE L’IUT DE JOURNALISME DE BORDEAUX
BRANCHÉS
MORDUS
FLAMBEURS
INVENTIFS
GRATTEURS
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JEUX...
Sur les rives du lac, les machines
17
8
à sous investissent les nouvelles
salles du casino. Une armée
de bandits manchots en veut
à votre bourse.
Ils jonglent avec les chais et parient
sur les cours. Héritiers de la grande
époque marchande des quais, les
Un salon feutré, près du Grand-Théâtre...
négociants en vin misent sur une
C’est là que l’élite du bridge bordelais
valeur sûre :
élabore ses stratégies compliquées.
le prestige bordelais.
4
18
39
10 12
Derrière la vitrine des bars du sud
de la ville, d’étranges machines
convertissent leurs jetons en
billets. Et les cafés se prennent
pour des casinos de quartier.
Le “gros Pascal” et son patron sont montés sur une table
pour la tester. Maintenant, c’est sûr : elle est capable de
supporter 350 kg de mets. Un défi gargantuesque pour les
gloutons qui viennent se frotter à leurs plats
surdimensionnés.
Sur les places publiques, Arnaud,
Ils réinventent le jeu de l’oie ou du serpent.
Marc, Bernard, Jésus et Robert
Des enfants en difficulté scolaire du quartier
se retrouvent depuis dix ans pour des
Saint-Michel imaginent et fabriquent cartes
parties de boules.
et dominos. Une façon de retrouver confiance
Et accueillent les gens de passage,
en eux.
pourvu qu’ils jouent bien.
...DE BORDELAIS
PHILIPPE DULUC, NÉGOCIANT EN VIN : “mon métier est un jeu.” Page 4
JEUX IMMIGRÉS : ici comme là-bas, là-bas comme ici. Page 6
BRIDGE : les champions s’entraînent au salon. Page 8
PÉTANQUE : le printemps revient, les boules fleurissent. Page 10
LUDOTHÈQUE : Interlude au cœur de la cité. Page 11
...D’INVENTEURS
SAINT-MICHEL : apprentis trouve-tout. Page 12
CRÉATION : le rugby sur un plateau. Page 13
TAROT: Bordeaux encartée. Page 14
FÊTE DES JEUX : Les Zibrides élèvent des lutins. Page 15
3
...DE FLAMBEURS
RAPIDO : accros mais pas trop. PAGE 16
CASINO : les paillettes sont d’or et l’argent est roi. Page 17
ENQUÊTE : jeux illégaux. Page 18
...DE PATIENTS
JOUEURS PATHOLOGIQUES : rien ne va plus. Page 22
PORTRAIT : joue, perd et manque. Page 23
MALADIE D’ALZHEIMER : pour ne pas oublier. Page 24
CLOWNS À L’HÔPITAL : celui qui rit, celui qui pleure. Page 25
...D’ACTEURS
@
JEUX DE BORDELAIS EST AUSSI
UN MAGAZINE MULTIMÉDIA :
IMPRO : un match ne s’improvise pas. Page 29
JEUX DE RÔLES : dans l’antre des rôlistes. page 30
www.iutb.u-bordeaux.fr/journalisme/jeux
LASER QUEST : l’instinct guéguerre. Page 31
JEUX EN RÉSEAU : attaque à la souris armée. Page 32
MAGAZINE RÉALISÉ PAR
LES ÉTUDIANTS DE L’IUT
DE JOURNALISME DE BORDEAUX
...D’ENFANTS
1, rue Jacques-Ellul
33080 Bordeaux cedex
E-mail :
RÉCRÉ : 1,2,3... Marelle. Page 26
[email protected]
PÉDAGOGIE : “un défi au départ, du plaisir à l’arrivée”. Page 27
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Daniel Garrec.
COLLECTION : Elizabeth au pays des ours. Page 28
RÉDACTRICE EN CHEF
Lisa Giachino.
RÉDACTION
...DE MORDUS
ET SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Valérie Anton, Thomas Baltes,
Rémi Carayol, Ewen Cousin,
Sonia De Sousa, Nicolas
Faucher, Lisa Giachino, Pierre
VACANCES : été à la carte pour amis gratteurs. Page 33
Girard, Véronique
Heurtematte, Jérôme
JEU TÉLÉVISÉ : “Philippe, vous êtes le maillon fort”. Page 34
Lepeytre, Nicole Levigne,
Alexandre Marsat, Julie
CLUBS : pyramide mot à mot . Page 35
PORTRAIT: Evelyne Guérard, concouriste invétérée. Page 36
Martinez, Charles Poisson,
Thomas Quéguiner, Damien
Stroka, Adrien Vergnolle.
ILLUSTRATION
Thomas Baltes, Adrien
Vergnolle.
...DE VILAINS
MAQUETTISTES
Thomas Baltes, Pierre Girard.
CONSEILLERS DE LA RÉDACTION
Jean-François Brieu, Edith
ECHANGISME : le troc en vrac. Page 38
Rémond, Jeanne Villeneuve.
CONSEILLER ARTISTIQUE
FESTIN : au pays de Gargantua, les ogres s’amusent. Page 39
José Rodrigues.
IMPRIMEUR
TEST
QUEL JOUEUR ÊTES VOUS ? Page 40
Sud Ouest, que la rédaction et
l’IUT remercient
cheleureusement.
Dépôt légal : avril 2002.
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JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
“MON MÉTIER
EST UN JEU”
S
ON
MÉTIER
:
ACHETER,
VENDRE, ACHETER, VENDRE,
GOÛTER, ACHETER, VENDRE...
UNE
PASSION.
LIPPE
DULUC
UN
JEU AUSSI.
PHI-
EST NÉGOCIANT EN VIN
BORDEAUX DEPUIS
ANS . Issu d’une
SUR LA PLACE DE
PLUS DE DEUX
famille bourgeoise, il goûte très
vite aux joies de la vigne. Chez
son grand-père d’abord, qui fait
du vin dans le Médoc, à Listrac.
Puis en tant que courtier, dix
ans durant. Il y a quelques mois,
lui et deux de ses amis montent
leur propre société de négoce.
Son rôle : découvrir et acheter
tous les vins qu’il revendra
ensuite. Lui s’occupe de la
France, les autres de l’étranger.
Bavard intarrissable, il nous
parle de la part du jeu dans son
métier.
“LA CARTE DE LA CONVIVIALITÉ”
Tout ce qui touche au commerce
est un jeu de séduction. On se
vend soi-même avant le produit.
On peut arriver à vendre même
si le vin est mauvais. Ce qui
compte, c’est plaire.
Il n’y a pas de recette. Il faut
être soi-même. On joue à être
naturel. Moi, j’ai la chance
d’être très bavard. En plus j’ai le
contact facile, je n’ai pas peur
d’aller vers les autres. Donc je
joue la carte de la convivialité.
Quand je réussis à convaincre
quelqu’un d’acheter ou de
vendre, que c’est dans la poche,
je m’éclate. C’est un sentiment
proche de la jouissance. C’est
comme quand on séduit une fille
et que c’est « gagné ». On est
fier de soi.
“CE N’EST PAS UN RÔLE”
Non, un négociant en vin n’est
pas un acteur. Il doit vendre
comme il vit. Il m’arrive quelquefois de forcer le trait.
Comme je suis hableur, j’en fait
des tonnes... Et puis je varie
mes approches. Selon les
clients, je décide de parler de
tel ou tel vin, d’être plus ou
moins convivial et festif. Mais
ce n’est pas un rôle.
“C’EST LE MEILLEUR QUI GAGNE”
Plus qu’un jeu d’acteur, le
négoce est un jeu d’influence.
C’est une épreuve de force. Mon
interlocuteur a des limites, moi
aussi, et c’est entre ces deux
frontières que l’on joue. Par
exemple, lorsque je négocie
avec le propriétaire pour acheter son vin, je sais que je ne
peux pas dépasser un prix de
12 francs la bouteille. Lui ne
pas pas aller au-dessous de
10 francs. Et après, c’est le
meilleur qui gagne. C’est très
excitant.
Quand j’ai convaincu l’acheteur, je suis fier. C’est ça la clé :
convaincre l’autre.
“SURPRENDRE, VOILÀ CE QUI M’INTÉRESSE”
Découvrir la perle, c’est mon
travail. J’essaie de trouver des
vins qui n’ont pas une grande
notoriété, qui sont généralement
issus de toutes petites propriétés. Actuellement, je travaille
avec un producteur dont la propriété est d’un hectare, c’est
ridicule.
C’est très excitant. Et c’est
ce qui me plaît : faire goûter
à l’aveugle des vins que personne ne connaît et entendre
les gens dire :
…
DE
BORDELAIS
…
« ah oui, c’est très bon,
c’est quoi ? ». Surprendre, voilà
ce qui m’intéresse, et contrairement à ce qu’on pense, c’est
encore possible à Bordeaux.
“DE VRAIS JOUEURS DE POKER”
Il y a un risque : celui de choisir
un vin qui ne plaira pas. C’est
moi seul qui décide d’acheter
tel ou tel vin, et c’est une lourde
responsabilité. Je choisis à partir de mon seul goût, or on a tous
un goût différent. Ce qui va me
plaire ne te plaira pas forcément. Mais j’assume. J’ai quand
même une certaine expérience
et je sais très vite où aller.
Dans ce métier, il faut être le
plus convaincant possible. Mais
cela ne veut pas dire à tout prix.
Moi, par exemple, je ne mens
jamais sur la qualité du vin que
je vends. Je ne vends que des
vins auxquels je crois fortement.
Cette démarche est de plus en
plus atypique dans la profession. C’est dommage car j’estime que c’est notre métier que
de sélectionner un vin qui nous
semble bon.
D’autres négociants privilégient
la marque. Certains ne le goûtent même pas. Ce sont de vrais
joueurs de poker car ils misent
tout sur leurs talents de vendeurs.
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
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VILAINS
PHOTO NICOLAS FAUCHER
JEUX...
pas sûr de revendre. Surtout si
tu commerces avec l’étranger,
comme ma société, qui négocie
avec des Américains du nord et
des Asiatiques. Si tu prends le
11 septembre par exemple, la
société pour laquelle je travaille
a eu deux énormes commandes
annulées à cause des attentats.
Là c’est risqué parce que cela
nous est resté sur les bras et
qu’il fallait absolument vendre
le stock. Parce qu’un négociant
qui ne remplit pas ses engagements est fini : Bordeaux peut
être très grande, mais aussi très
petite. Les nouvelles se savent
vite. Il est donc hors de question
de planter le fournisseur. Mais
ce n’est pas plus mal : on n’est
jamais aussi bon que quand il y
a un risque, car on est motivé.
Les bons crus
du marché
à terme
Le raisin n’a pas encore vu le
jour que le vin qu’il donnera est
déjà soumis au principe de
l’offre et de la demande... Tel
est le fondement du marché à
terme, basé à Paris, qui a vu le
jour en avril 1999.
Jusqu’à cette année-là, le
“JE M’AMUSE TOUS LES JOURS”
marché bordelais du vin
C’est pour ça que je fais ce
métier. Le jour où je ne m’amuserais plus, j’arrêterais. La vie
est un jeu. Et j’ai de la chance,
mon métier aussi.
Je joue tout le temps. Pas au
casino ou aux cartes, cela ne
m’attire pas plus que ça. Non, je
joue intellectuellement. A
séduire, à plaire, à convaincre.
Pour moi, les rapports humains
sont un jeu.
fonctionnait selon un rite
immuable... et unique : le vin
ayant six mois de maturation
était soumis à des courtiers qui
jugeaient la qualité du produit
et établissaient un prix avec le
propriétaire. Le négociant
achetait puis revendait.
Inconvénient : ce système est
risqué. Il suffit d’une mauvaise
PROPOS RECUEILLIS
récolte pour que certaines
PAR RÉMI CARAYOL
maisons perdent beaucoup
“UNE PART DE RISQUE”
d’argent.
Dans tout acte commercial il y a
une part de risque, puisque tu
achètes un produit que tu n’es
Désormais, le marché à terme
permet aux grands châteaux de
vendre aux négociants un vin
qui ne sortira que 28 mois plus
tard. Des négociants qui
établissent alors leur propre
LE JUSTE
NÉGOCE
BUT DU JEU :
7500 négociants, 400
entreprises, 600 millions de
bouteilles de vin de Bordeaux
commercialisées sous 57
appellations de la Gironde...
Plus de 16 milliards de chiffre
d’affaire dont 6 à l’exportation,
dans 165 pays... Les chiffres du
négoce de Bordeaux sont
impressionnants. Et pour
cause : 70 % de la
commercialisation totale du vin
de Bordeaux passe par les
négociants en vins et spiritueux
de Bordeaux et de la Gironde.
VENDRE UN MAXIMUM DE BOUTEILLES.
NIVEAU 1 : LA SÉLECTION
Quatre critères sont imposés
pour la sélection d’un vin :
• sa qualité, définie par le seul
goût du négociant,
• sa notoriété, selon qu’il s’agit
d’un vin qui a très bonne presse
et qui est connu ou non,
• sa présentation, critère de
plus en plus important. Surtout
en ce qui concerne les négociants qui travaillent avec les
grandes surfaces (60 % des
consommateurs achètent leur
vin en grande surface, et ils se
fient principalement à l’étiquette et à l’aspect).
• sa dénomination, selon qu’il
est classé ou pas.
Chaque négociant définit quel
critère est le plus important
pour lui. Deux tactiques sont
possibles :
• certains négociants, de plus
en plus nombreux, ne suivent
que de très loin la fabrication du
vin qu’ils achèteront. C’est à
partir de six mois de maturation
qu’ils jugent la qualité du produit et qu’ils établissent un prix.
• d’autres sont présents du
début à la fin. Avant, pendant et
après la vinification, ce type de
joueur est là pour goûter et voir
les évolutions de l’alcool. Il est
ainsi sûr du produit qu’il vendra. Le risque est donc
moindre... à condition que son
goût ne le trompe pas.
NIVEAU 2 :
L’ACHAT DU VIN AU PRODUCTEUR
Là encore, il existe deux tactiques :
• soit le négociant achète le vin
« en vrac », c’est à dire en
grandes quantités. La tâche
consiste à acheter directement
au producteur des centaines,
voire des milliers d’hectolitres
de vin que le négociant fait
venir dans ses propres chais,
élève lui-même, met en bouteilles et vend.
• soit il n’achète le vin qu’en
bouteilles. C’est à dire que le
viticulteur s’est déjà occupé de
toutes les étapes de la conception de son vin, jusqu’à la mise
en bouteilles. Le négociant doit
alors être très rusé et rapide
pour repérer la perle rare avant
ses adversaires.
couverture de mise. Ainsi, en
2002, ce marché spécule sur le
millésime 2004. Donc sur un vin
virtuel.
Le but : éviter les affres de la
mauvaise récolte et la volatilité
des prix, très importante en ce
qui concerne l’export, donc les
grands crus. Ainsi,
propriétaires et négociants en
sortent gagnants, plus sûrs de
vendre le vin à un bon prix.
Éventuel dindon de la farce : le
dernier acheteur, qui risque de
NIVEAU 3 :
se retrouver avec un mauvais
LA REVENTE DU VIN AU CLIENT
millésime qu’il aura payé le
C’est le verdict. Le négociant
doit séduire le client et lui
démontrer que son vin est le
meilleur. Toutes les règles sont
permises. Certains préfèrent
vendre un vin au bon rapport
marque/prix, sans trop s’occuper de la qualité. Ils ont alors
peu de chances de retrouver
l’acheteur l’année d’après...
D’autres adoptent une stratégie
plus sûre. Ils optent pour la qualité. Ils pourront compter la prochaine fois sur les mêmes
clients.
A noter qu’une nouvelle version
existe depuis quelques années :
Le juste négociant, option marché à terme (voir ci-contre).
R. C.
même prix qu’un bon...
Ce marché d’un genre nouveau
reste minoritaire sur la place de
Bordeaux. Seuls 140
propriétaires, les plus cotés, en
profitent actuellement,
persuadés que ce système est
le bon. Mais tous ne sont pas
d’accord. Si certains restent
indifférents à ce type de négoce
auquel ils avouent ne pas
comprendre grand chose,
d’autres crient à la dérive
financière et au danger
spéculatif.
R. C.
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JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
ICI
COMME
LÀ-BAS
...
GO
POUR
LES
OCCIDENTAUX
PHOTO L. G.
Le jeu aux pastilles noires et
blanches est pourtant né il y a
environ 4 000 ans, en Chine, et
a été adopté par la cour japonaise.
Dans les années 60, des écrivains français, Perec par
exemple, l’évoquent dans leurs
livres. C’est le début d’un
engouement confidentiel, qui
aboutit en 1979 à la création de
la Fédération française de jeu
de go. Séduits par sa simplicité
– un plateau, des pierres – les
membres du club de Bordeaux
se réunissent deux fois par
semaine au café Rohan.
« Chacun doit construire des
territoires sur le plateau. Le but
n’est pas la mort de l’autre,
contrairement aux échecs,
expliquent-ils. C’est représentatif d’une philosophie de vie
orientale. Il y a l’idée de
construire, les notions d’équilibre et d’échange. On essaie
d’avoir de l’influence, de la
force, mais on ne contrecarre
pas tous les plans de l’autre. On
accepte qu’il construise des territoires. »
Depuis quelques années, le
club ne compte plus qu’une
dizaine d’adhérents, qui consultent des recueils de parties,
comme les joueurs d’échecs.
Les dirigeants de la fédération
cherchent à faire reconnaître le
jeu de go comme un sport.
« C’est une grande famille, souligne un joueur. On se connaît
depuis quinze ou vingt ans. »
Des maîtres renommés donnent
des stages dans toute la France,
aux amateurs de go mais aussi
parfois dans le monde du travail : « On applique la philosophie du go au fonctionnement
d’une entreprise, on apprend
comment étendre l’influence de
la société. »
DERRIÈRE SON COMPTOIR DE RESTAURATEUR VIETNAMIEN, C ORNEILLE
NGUYÊN CONSERVE LES PIONS DE SON
JEU D ’ ÉCHECS CHINOIS. Le temps
d’une partie entre amis ou avec
l’un de ses enfants, il les sort de
leur boîte en plastique, et va
chercher le grand plateau en
bois quadrillé dans son arrièreboutique.
LISA GIACHINO
racines. « Il donne lucidité et
sagesse», dit-il avec emphase et
de grands gestes des mains.
«Pour être un bon général, il
faut développer son intelligence .»
Très pratiqués
par les communautés chinoise et vietnamienne, les
échecs chinois sont peu
connus des
Français. Les pièces, soldats,
généraux, canons, éléphants,
sont identifiés par des caractères chinois difficiles à mémoriser pour le commun des occidentaux. Sans compter que les
règles sont aussi complexes que
celles de nos échecs. Chaque
pièce se déplace et mange les
autres d’une manière particulière (à l’horizontale, à la verticale...). Avec le même objectif :
tuer le général de l’équipe
adverse.
SAGESSE
ASIATIQUE
Le Vietnamien, qui parle français avec difficulté, a appris les
règles dès son enfance. « Làbas, tout le monde y joue dans
les rues », raconte-t-il. Il associe ce jeu de stratégie à la philosophie du yin et du yang et à
tout ce qui, dans la culture asiatique, le rapproche de ses
PHOTO LISA GIACHINO
LE CLUB DE JEU DE GO DE BORDEAUX
NE COMPTE PAS UN SEUL ASIATIQUE.
L. G.
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
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L’AWALÉ
DE
TOUTES
LES
RÉCOLTES
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DE
MORDUS
DE
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VILAINS
Des toupies sculptées dans les coquilles d’escargot ou les fleurs du
fromager, un arbre ivoirien, des cailloux à lancer et à rattraper sur le
dos de la main… En quittant leur continent natal, les immigrés africains
E
S
C
A
R
G
O
T
S
TRÈS EN VOGUE CHEZ LES FRANÇAIS,
LE CÉLÈBRE AWALÉ TRÔNE DANS TOUS
LES MAGASINS D ’ARTISANAT EXO -
Le jeu de stratégie africain imite le cycle des semailles
et des moissons : chaque joueur
sème ses graines dans les trous
d’une planche en bois et tente
d’en récolter le plus possible.
Wari, owaré, l’awalé porte des
noms aussi multiples que les
variantes de la règle du jeu. Né
en Côte-d’Ivoire, selon Ouanglo
Marea, un Bordelais d’origine
ivoirienne, ou en Ethiopie, selon
d’autres, il daterait de toute
façon du Ve ou VIe siècle. Au
même titre que les échecs en
occident et le jeu de go en Asie,
il est aujourd’hui répandu dans
toute l’Afrique. Toutes les
familles immigrées n’en possèdent pas, mais elles le connaissent toutes, quelle que soit leur
communauté d’origine, comme
une référence commune. Et
pour ceux qui ne possèdent pas
la version de bois, des sites et
des logiciels informatiques
reproduisent même le bruit de
la graine sur la planche.
D’ENFANTS
enfance. A Bordeaux, les matières premières manquent. “Il faudrait
aller jusqu’à la mer pour ramasser des escargots”, explique Assan,
Nigérien d’origine et adepte du tiercé. Les courses de chevaux,
traditionnellement très suivies dans plusieurs pays d’Afrique, ont
permis au PMU de s’implanter sur le continent. Arrivés en France, les
immigrés ont déjà l’habitude de parier sur les chevaux.
Ils connaissent et utilisent aussi depuis longtemps les jeux de dames et
de cartes, apportés sur le sol africain par la colonisation. Avec, parfois,
des variantes locales, telles que le poker “à l’ivoirienne”. “Le but est de
montrer son intelligence et sa bravoure, de miser le plus fort possible
de façon à ce que l’autre ne passe pas avant”, affirme Ouanglo Marea,
qui ne connaît pas les règles du poker occidental. “On ne joue pas
d’argent”, ajoute-t-il, aussitôt contredit par ses collègues plus assidus
que lui.
L. G.
PHOTOS RÉMI CARAYOL
TIQUE.
ont relégué dans un coin de leur mémoire la plupart des jeux de leur
L. G.
PHOTO L.G.
www.myriad-online.com/frawale.htm
www.topgratuit.telecharger.com
PHOTO S. D.E S.
D’AFRIQUE NOIRE
LES
PÉRUVIENS ONT
LARGEMENT ADOPTÉ ET
ADAPTÉ
APPORTÉS
LES
PAR
JEUX
ECHECS
À LA SAUCE ANDINE
LES
COLONS ESPAGNOLS.
Au hit-parade des plus pratiqués,
on compte sans surprise les dames
et les échecs, mais à la sauce
andine. Les plateaux sont en bois
laqué, les pions en céramique et
pour le décor, les artisans s’inspirent de l’histoire du pays et de la
culture indienne. Sur des socles
ornés de frises mythologiques, s’affrontent
ainsi colons en armure et indigènes en costume traditionnel.
On trouvera également des scènes inspirées de la vie quotidienne, ou de la nature.
Ainsi, sur les plateaux d’échecs, se
côtoient parfois lamas et condors.
SONIA DE SOUSA
...
LÀ-BAS
COMME
ICI
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D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
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DE
VILAINS
PHOTOGRAMMES THOMAS BALTES
BRIDGE :
LES CHAMPIONS
S’ENTRAINENT
AU SALON
A
VANT LA MI - TEMPS , SEUL
ROLAND NOURIGAT S’AFFAIRE. Le directeur pro-
mène sa bedonnante silhouette
entre chaque table, il aide à
compter les points, s’occupe des
donnes et prend les commandes. Gin tonic, whisky ou
Martini. Il dit : « Bordeaux est
une place forte du bridge. Le
nombre de joueurs de haut
niveau est très important par
rapport au nombre de licenciés.
Nous avons quand même cinq
premières séries nationales ».
Le cercle national du bridge,
grand salon à l’atmosphère feutrée. Ici, les plafonds sont hauts,
les murs sont blancs et la
lumière, halogène. Peu de
meubles, à part les sept tables
de quatre joueurs. Quelques
chuchotements filtrent : dans un
monde de trèfles, piques, carreaux et cœurs, le brouhaha est
intellectuel. « C’est l’élite du
bridge bordelais », prévient
Roland Nourigat.
Fièrement, il désigne Hervé
Pacault et son partenaire, Régis
Lesguiller, premiers bridgeurs
français, et Colette Ribérol, plusieurs fois championne de
France et actuellement classée
dans les dix premières joueuses.
Il les observe, de loin, et confie :
« En vue des championnats du
monde, ils étudient, ils mettent
au point. C’est comme pour un
match de football, il faut s’entraîner à faire des passes, des
acrobaties ».
AU FOND DE LA SALLE, HERVÉ
PACAULT EXAMINE SON ÉVENTAIL DE
CARTES. Caresse son bouc épais,
ajuste la monture de ses
lunettes et pose une carte sur le
tapis vert. Il est depuis peu le
Dans les années 60, les
meilleurs bridgeurs étaient
médecins, grâce à leur sens du
diagnostic. Puis dans les années
80, ce sont les mathématiciens
et les informaticiens qui ont pris
le relais ».
Hervé Pacault est un bridgeur
« assimilé » professionnel. Il
enseigne le jeu, à l’occasion
arbitre les tournois, écrit pour
différentes revues et a sorti trois
livres. Il raconte qu’au début
des années 70, ils étaient quinze
étudiants en math sup à découvrir le bridge. Trente ans plus
tard, six d’entre eux sont deve-
Quelques joueurs viennent
consulter le premier bridgeur
français. Jusqu’à créer des discussions ésotériques : « Tu dis
j’ai quatre cœurs dans une
main, minimum, et trois carreaux n’est pas forcing parce
“En vue des championnats du monde,
ils étudient, ils mettent au point”
champion de France de bridge,
par paire. Et pour la sixième
fois. « Je suis content, c’est un
bon titre ». Pas peu fier,
l’homme ne s’arrête pas là, il
tente en août, les championnats
du monde à Montréal. Plus que
serein. « C’est une habitude. Je
les ai tous faits depuis 1974, et
je suis souvent allé en finale.
Mon meilleur classement a été
neuvième mondial, c’est pas si
mal », apprécie-t-il. D’ailleurs,
pour Hervé, la compétition est
devenue « une routine sympathique ». Ce qui fait un bon
bridgeur ? Il hésite : « La
logique, les mathématiques. Il y
a plusieurs modèles de joueurs.
nus « premières séries nationales » et jouent encore
ensemble. Lui, le mathématicien de formation, a quitté le
monde de l’éducation pour
ouvrir son propre club de
bridge. Hervé a quand même
gardé le goût des chiffres : « Il
y a une centaine de pros qui
vivent des cartes, qu’on paie
pour jouer. Il doit y avoir mille
professeurs de bridge. Et un
seul auteur reconnu, Michel
Lebel qui tire à plus d’un million
d’exemplaires
ses
méthodes ».
LA
MI - TEMPS .
VOILÀ
LE STUDIEUX
On analyse,
rit et se désaltère, au bar.
SILENCE INTERROMPU.
que trois trèfles est artificiel... »
Mystère des jeux de cartes pour
initiés. D’ailleurs, le bridge
traîne une bien mauvaise réputation. Qui en ferait un jeu de
retraités ? Roland Nourigat
acquiesce : « C’est vrai, hélas.
Malheureusement, la moyenne
d’âge des joueurs est élevée.
Nous devons faire des efforts
dans la prolongation de ce jeu,
et amener les jeunes à y participer. On avait fait une expérience
dans une école de commerce,
mais ils préféraient jouer au
Tarot ». Pourquoi tant de
mépris ? « Mon explication est
simple », analyse Roland. « Ma
génération n’a eu aucun mal à
savoir jouer au bridge. Quand
les parents jouaient à la maison,
on apprenait en même temps.
Maintenant, ils jouent dans des
clubs. Cette pénurie est un
drame. On a envie d’y remédier,
même si le bridge demeurera. »
Un homme ne partage pas
l’ optimisme ambiant. Michel
Reboulot estime : « Le bridge
ressemble aux Bordelais : il est
bourgeois et vieux ». Lui s’occupe de développer le jeu aux
52 cartes chez les adolescents.
« Et à Bordeaux, l’âge des bridgeurs est plus élevé qu’ailleurs.
Tandis qu’à Paris, beaucoup de
jeunes connaissent le bridge. »
Fin de la mi-temps. Les partenaires changent d’adversaires.
Le grand salon silencieux
s’éteindra vers minuit.
ADRIEN VERGNOLLE
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
9
MARC,
LES
CARTES
A PLEIN
TEMPS
ARC
M
LAPEYRE
JOUE
AU
BRIDGE TOUS LES JOURS.
DEPUIS 18 ANS, “DEPUIS LA
Où ? « Dans tous les
clubs possibles », plaisante-t-il.
C’est que le planning est
chargé : le lundi à Bruges, le
mardi à Blanquefort, le mercredi à Mérignac, le jeudi à
Saint-Augustin et le vendredi
une nouvelle fois à Mérignac. Et
le week-end, repos ? « S’il y a un
tournoi et qu’on m’emmène... »,
Marc ne dit pas non.
L’homme ressemble à tous les
grands-pères. Casquette, baskets, large pull col V sous une
veste de costume bleue. Il met
une cravate quand il sort.
Appuyé sur sa canne, il entame
son soixante-dix-huitième printemps dans son appartement, au
septième étage. Même pas peur
des marches. Parfois, il descend
à pied. Parce que même après la
mort de sa femme et son opéraRETRAITE”.
Le bridge
en chiffres
156 ans : l’âge du bridge
1250 clubs en France
29 comités
98 000 licenciés
2 500 000 bridgeurs
Une Fédération française
tion du dos, il n’était pas question pour lui de partir dans une
maison de repos. Chez lui, il a
ce qu’il faut : « Mon fauteuil, ma
télévision et mon téléphone. »
Le matin, il se promène lentement entre son immeuble, son
épicerie, le parc et sa
« cantine », la pizzeria en face
de chez lui. L’après-midi, pour
aller jouer aux cartes, il prend
sa voiture. Et quand c’est trop
loin, il demande à un ami de
l’emmener.
« Il y a différentes manières
d’organiser sa vie. » Lui a simplement décidé de ne pas se
laisser abattre par l’inactivité.
En clair, il ne veut pas s’ennuyer, ni « s’abrutir devant la
télévision ».
« Si on n’a pas d’occupation, on
“déchète” », comme il dit. Il
explique que c’est pour ça que
certains bridgeurs sont venus
jouer le lendemain de la mort de
leur femme. Marc parle d’un
« dérivatif ». « Mais je ne suis
pas le seul, on est des centaines ! » Seulement, parmi
ceux qui ont senti le besoin de
garder une activité après la
retraite, certains se sont tournés
vers le tennis, le golf, les associations ou les voyages. Et là,
Marc a sa théorie. « A mon sens,
au bridge, on est sûr de ne
jamais devenir incapable.
Contrairement au bricolage ou
au sport. »
L’esprit de logique. Voilà ce qui
fait un bon bridgeur selon Marc
Lapeyre. « Il faut être logique,
c’est tout. On croit qu’il faut être
mathématicien, mais non... »
Marc, lui, était gérant d’une
entreprise d’électricité.
Pour les bridgeurs retraités, peu
importe le niveau : la plupart du
temps, Marc et ses collègues ne
viennent pas jouer pour gagner,
mais pour voir du monde. « Il y
en a qui viennent au bridge mais
qui ne sauront jamais jouer. »
Marc estime fièrement qu’il sait
jouer mais s’il n’a pas de partenaire fixe, c’est pour « rencontrer des gens différents ». Dans
les clubs qu’il fréquente, les
femmes s’habillent « super
bien », élégantes et raffinées
mais « qu’est-ce qu’elles sont
bavardes ! » Au menu, les dernières tendances de la mode
vues dans le Figaro Madame ou
les avis de décès parus dans
« le » Sud Ouest. Du côté des
hommes, la tenue vestimentaire
semble moins pointue. Entre
deux « donnes », on commente
les évènements politiques, la
réussite aux examens d’un petitfils, le mariage de l’autre. « On
cause. »
Et puis Marc aime bien aider les
autres. Il parle de cet homme,
de 80 ans, (« pourtant costaud,
c’est le frère d’un ancien rugbyman »). « Brutalement, sa vue
a baissé, sans aucun espoir de
guérison. Et en même temps, il
perdait l’audition et le goût. »
Alors Marc l’a pris sous sa
coupe. « Ça lui permet de jouer
deux fois par semaine, et pour
lui, c’est plus qu’une distraction. Tout le monde n’a pas la
chance que j’ai de pouvoir voir
du monde. Je suis content
comme un beau diable. »
A. V.
La Fédération
joue la carte
olympique
Le bridge campe devant la porte
du Comité international
olympique. Ce sont les Jeux
Olympiques d’hiver qui
devraient accueillir ce jeu de
carte. Explication : on joue
beaucoup dans les stations de
sport d’hiver.
Histoire de ne pas se faire
oublier, la Fédération mondiale
de bridge a organisé un tournoi
parallèle à Salt Lake City, qui
réunissait les meilleures
équipes du monde. Un véritable
appel à la participation de ce
sport de salon aux jeux de Turin
en 2006. “Tout y était, indique le
dossier de presse : les plus
grands champions de la
planète, le visage grimaçant
sous la pression du jeu, les
retransmissions publiques sur
écran géant (le fameux
bridgevision), les contrôles
anti-dopage... Tout ce qui fait de
ce jeu un sport de haut niveau”.
Car c’est bien là le problème de
la Fédération : convaincre le
CIO que le bridge est un sport.
Au sein du club bordelais, cela
ne fait aucun doute. Les avis
sont plus partagés quant à
l’introduction aux JO :
“Franchement, vous imaginez
du bridge à la télé ? Ça
n’intéressera personne à part
nous !” Certes, mais “nous”,
représente cinquante millions
de joueurs répartis dans
125 pays. Le bridge est déjà
sponsorisé (l’équipe française,
victorieuse à Salt Lake City,
portait le nom d’un grand
maroquinier français, tendance
Saint-Germain-des-Prés). La
réponse du CIO tombera cet
automne, avec le risque, en cas
de réponse positive, de voir
débarquer en masse les joueurs
d’échecs, de belote ou de tarot.
THOMAS BALTES
10
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
PHOTO A. V.
LE PRINTEMPS
REVIENT,
LES BOULES
FLEURISSENT
R
OBERT
REGARDE
LA
La pétanque
en Gironde :
rien à envier
au Midi
BOULE D ’ACIER ROULER
SUR LA TERRE BATTUE .
Elle frôle le cochonnet, puis
s’éloigne. Verdict : « Elle est
mal tombée », apprécie
Robert sous sa casquette
verte. Il grogne en rallumant
son cigare. L’homme à l’imposante carrure porte une
chemise bleu nuit, le pantalon remonté au-dessus du
ventre. « Je vais lever
aussi », décide t-il, bien
déterminé à placer sa boule
le plus près possible du
« bouchon ». Trop loin.
Robert grogne encore, « j’arrive pas à toucher aujourd’hui ». L’équipe d’en face
exulte : « Vous êtes
Fanny ! ». Traduction : ils
perdent la partie 13 à 0.
AINSI
“C’est regrettable, mais
dans la ville (Bordeaux
intra-muros) il n’y a pas de
boulodrome”, explique
Michel Coly. Pour le
Président du comité de
pétanque de la Gironde,
“il y a seulement des places
publiques plus ou moins
bien aménagées”.
La cause de cet exode ?
“Aujourd’hui, on en fait des
parkings ou des aires de
jeux pour les enfants”.
En dehors de Bordeaux,
VONT LES APRÈS - MIDI ,
PLACE SIMIOT, entre le cours
de la Somme et le cours de
l’Argonne. Aujourd’hui, ils
sont six : Marc, présenté
comme le chef de la bande,
Bernard, Jésus, Arnaud (« le
Basque »), Robert (l’homme au
cigare) et Robert (celui à la chemise de cow-boy). Trois contre
trois, c’est une « triplette ».
« On joue ensemble depuis
18 ans », explique Bernard,
avec béret et lunettes de soleil.
« Sinon, on s’embête. Comme
ça, la semaine passe plus vite.»
Bernard ne voit pas ce qu’il
pourrait faire d’autre : « Il faut
bien tuer le temps ». Mais seulement l’après-midi : « Le
matin, on travaille, on fait le jardin. C’est qu’on est retraité,
hein ! » Et puis sinon, les
femmes, elles « gueulent ».
dans la CUB, chaque
boulodrome est géré par
un club ou une association.
“Il y a 197 associations qui
représentent sur la Gironde
Il ajoute : « On est une bonne
équipe. On est tous du coin, parfois on se croise à l’hypermarché, à 300 ou 400 mètres ».
BONNE
ÉQUIPE, VOISINS ET AMIS DE
si
simple : « Il n’y a pas d’amis aux
boules ! » Il y aurait seulement
des connaissances, pour Marc.
« Attention, c’est important ! »
Il n’en doute pas : « Nous
sommes des collègues de travail », plaisante-t-il. « Les
amis, ça boit l’apéritif, ou ça
s’invite à manger le dimanche.
Nous, on ne se retrouve que
pour jouer aux boules ». Il
ajoute, sec, « depuis dix ans ».
C’est comme ça, ici on ne va pas
les uns chez les autres, même
depuis dix ans. Marc a une
explication. Avant, il y avait
place Simiot un club qui gérait
les licences du boulodrome. Il
organisait aussi des tournois et
surtout un repas annuel où tout
le monde se retrouvait. Mais
depuis cinq ans, plus de club,
plus de concours et donc plus de
repas.
PRÈS
DE
20
ANS
? Pas
Pendant ce temps, les boules
continuent de rouler. Marc,
admire : « Elle est belle ».
Jésus acquiesce, fier de son lancer. Maintenant, deux boules
tutoient le cochonnet. Laquelle
“Il n’y a pas
d’amis
aux boules”
est la plus proche ? Robert sort
son mètre de poche. Mesure
3 cm entre la boule adverse et le
cochonnet. Perdu, la boule de
son équipe est trop loin. C’est à
Arnaud de jouer. « D’habitude,
il pointe bien, mais aujourd’hui,
c’est pas son jour, comme moi »,
remarque Robert. Lui vouvoie
tout le monde. Comme s’il n’appartenait pas encore au cercle
d’amis. « Je suis une pièce rapportée », dit-il. Il vient du Lotet-Garonne. Et joue ici depuis
seulement deux semaines : « Ma
femme se fait opérer d’un cancer du sein, à l’hopital Bergonié
(à côté du boulodrome). Alors je
viens jouer aux boules avec ces
messieurs. J’ai été très bien
accueilli. Je m’en vais dans
deux jours mais je compte bien
revenir pour les prises de tension, dans quelques semaines ».
Marc, membre historique du
lieu, commente : « C’est souvent
comme ça, on accueille les gens
de passage, on s’en fout. Tant
qu’ils jouent bien... »
L’autre Robert s’amuse. Il
remue pour que l’ombre de sa
tête vienne gêner le jeu. Robert
joue depuis l’âge de 15 ans. Il
en a 68, « faites le calcul ». Parfois, il jette un petit caillou pour
déstabiliser ses adversaires. Et
regarde en coin les jolies
mamans du parc pour enfants
qui jouxte le boulodrome. « Parfois, y en a des pas mal. »
ADRIEN VERGNOLLE
près de 11 000 licenciés,
toutes catégories
confondues.”
“Nous sommes le
département où il y a le
plus de compétitions de
pétanque. On n’a rien
à envier au Midi. Il y a plus
de 1 200 concours par an”.
Les prochains championnats
de France catégorie
triplettes seniors, auront
lieu à Souston dans les
Landes, les 29 et 30 juin
prochains. “Il y aura toute
la fine fleur de la pétanque
française, s’enthousiasmet-il. Et les Dom-Tom !”
JEUX...
DE
’INITIER
S
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
AUX JEUX DE RÔLES,
JOUER SUR CÉDÉROMS, BÉNÉFICIER DES CONSEILS ÉCLAIRÉS
DES ANIMATEURS, ET REPARTIR CHEZ
SOI AVEC LE JEU DE SON CHOIX POUR
TROIS SEMAINES, C’EST CE QUE PRO-
BORDEAUX. Implantée au cœur
d’une résidence du troisième
âge dans le quartier Ravezie, le
lieu est un petit havre de paix
aux allures de centre aéré.
Quelques meubles de bois
blond, des étagères qui croulent
sous les boîtes de jeux de
société, la conversation joyeuse
des enfants : en ce mercredi
après-midi pluvieux, l’espace
dédié au jeu sur place accueille
une dizaine d’enfants, seuls ou
accompagnés d’un parent. « On
adore venir ici parce qu’il y a
plein de jeux, et on peut se
retrouver à plusieurs, c’est vraiment super ! » Laurianne,
William et Brian ont interrompu
une partie de dadas acharnée
pour manifester leur enthousiasme. A la table voisine,
Alexis, 10 ans, joue au jeu de
stratégie Othello avec sa
maman. « Nous venons deux
fois par semaine, et nous
empruntons également des jeux
pour la maison. Ça nous permet
de renouveler souvent, et de tester. Quand on achète ensuite, on
est sûr de ne pas se tromper »,
déclare cette dernière. Un peu
plus loin, le petit frère d’Alexis,
4 ans, s’affaire avec un copain à
une bataille de chevaliers, sous
l’oeil bienveillant d’une ludo-
PHOTO V. H.
POSE INTERLUDE, LA LUDOTHÈQUE DE
NNIE
A
CHIAROTTO,
MAÎTRE DE
DE L’ ÉDUCATION , A MIS EN
1988 À L’IUT MICHEL DE
MONTAIGNE – UNIVERSITÉ BORDEAUX 3 LA SEULE FORMATION PROFESSIONNELLE DIPLOMANTE DE LUDOTHÉCAIRE EN FRANCE.
PLACE EN
COMMENT ÊTES-VOUS VENUE À CETTE
ACTIVITÉ ?
En tant qu’enseignante en espagnol, j’étais déjà très convaincue de l’importance du jeu dans
l’apprentissage et le développement de l’enfant. Et puis en
1978, j’ai mis en place la première ludothèque de zone rurale
à Camblanes-et-Meynac, près
de Bordeaux. C’était une
DE
Petit, la directrice, décrit avec
énergie les nombreuses activités menées par la petite équipe
qu’elle coordonne. « Nous voulons faire comprendre aux
familles l’intérêt du jeu pour
l’enfant. Le jeu, c’est le travail
du tout petit. » Un travail
auquel on prend plaisir, et qui
permet de progresser dans l’apprentissage du monde. La
maman de Tallulah décrit les
changements étonnants constatés chez sa fille : « Avant, Tallulah avait du mal à
se plier aux règles
d’un
jeu
de
société. Depuis
que nous fréquentons la ludothèque, où nous
empruntons aussi,
tout se passe
beaucoup mieux.
Notre
relation
familiale
dans
l’activité ludique
a été complètement modifiée. »
Favoriser le dialogue au sein de la
famille grâce au jeu, faire
admettre l’importance de cette
activité non seulement pour les
INTERLUDE
LUDIQUE
AU CŒUR
DE LA CITÉ
thécaire. Accueil sur place, service de prêt, animations à l’extérieur, travail de collaboration
avec les structures du quartier :
le projet mis en place depuis
1999 par la mairie et la Caisse
d’allocations familiales joue la
diversité au service d’un seul
but : promouvoir le jeu comme
support de rencontre et de partage. « Il s’agit d’un lieu ouvert
où chacun peut venir à sa
convenance,
après
avoir
acquitté une petite cotisation
annuelle. Nous avons pour mission d’accueillir tous les
publics. Les enfants comme les
adultes, les personnes âgées, les
UNE PROFESSION
EN QUÊTE DE
RECONNAISSANCE
CONFÉRENCES EN SCIENCES
D ’ACT E U R S
demande de la municipalité qui
voulait une réalisation à destination des jeunes. Je suis devenue présidente de l’association
régionale des ludothèques, et
j’ai commencé à recevoir beaucoup de courrier de la part de
personnes voulant créer ce type
de structure. J’ai compris qu’il
était nécessaire de proposer une
formation pour répondre à cette
demande.
QUE PROPOSE CETTE FORMATION ?
A raison d’une semaine de cours
par mois, de septembre à mai, la
formation aborde tous les
aspects qu’il est nécessaire de
maîtriser : le secteur du jouet,
les approches sociologiques et
psychologiques du jeu, la ges-
personnes handicapées. Une de
nos spécificités est de pouvoir
recevoir les personnes sourdes
MORDUS
DE
VILAINS
11
sant du public pour ce type de
structure, mais atteint son seuil
d’équilibre. Forte de ce succès,
la
mairie
prévoit
une
expansion : l’implantation de
plusieurs annexes dans les
quartiers, la mise en circulation
d’un ludobus, et surtout, la création d’une grande ludothèque à
La Bastide en 2004. Cette structure est appelée à devenir un
lieu ressource au niveau national, en regroupant une vaste
documentation à destination des
usagers et des professionnels.
Avec un tel dispositif, gageons
que Patricia Petit et son équipe
parviendront à réaliser leur but
avoué : inoculer à tout Bordeaux
le virus du jeu.
VÉRONIQUE HEURTEMATTE
Interlude 45, rue du Commandant-Hautreux, 05 56 50 62 99.
“Nous voulons faire comprendre
aux familles
l’intérêt du jeu pour l’enfant”
et malentendantes, grâce à la
présence dans l’équipe d’une
ludothécaire qui pratique la
langue des signes. Nous travaillons également beaucoup
avec les collectivités. » Patricia
enfants, mais aussi pour les
adultes, autant d’objectifs au
coeur des préoccupations de la
ludothèque. Avec près de trois
cents adhérents, Interlude
démontre l’engouement crois-
tion et l’administration d’une
ludothèque. Nous recevons une
centaine de candidatures par
an, pour vingt-quatre places.
Les étudiants viennent de toute
la France, et parfois même de
l’étranger. La plupart est déjà en
poste dans une structure, certains ont un projet de création,
d’autres font une reconversion
après une carrière dans les
bibliothèques ou l’animation.
métiers. Il faut
obtenir l’homologation de la
formation,
la
reconnaissance
de la profession,
le rattachement
à un ministère
de tutelle, et
mettre en place
des outils d’évaluation. C’est
indispensable à
la pérennité du
métier de ludothécaire.
COMMENT CE SECTEUR A-T-IL ÉVOLUÉ
DEPUIS VINGT ANS ?
Au début des années quatrevingt, il y avait moins de 200
ludothèques en France, et beaucoup fonctionnaient grâce au
bénévolat. Aujourd’hui il existe
environ mille structures, et de
nombreux projets sont en cours.
Le personnel se professionnalise, mais il reste beaucoup à
faire. Actuellement, la profession ne figure pas au registre des
PROPOS
RECUEILLIS
PAR V. H.
PHOTO V. H.
12
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
APPRENTIS
TROUVETOUT
MAGINER UN PLATEAU, DESSINER
I
LES PIÈCES OU LES CARTES ,
RÉFLÉCHIR AUX RÈGLES ET FABRI-
QUER
LE
SOLIDES...
TOUT
A
EN
MATÉRIAUX
CHACUN D ’ INVENTER
Les animateurs de l’association O Sol de Portugal se
démènent pour mettre ce travail
long et compliqué à la portée
d’enfants en échec scolaire du
quartier Saint-Michel.
Chaque mercredi matin, ils
sillonnent la rue des Menuts et
ses environs pour battre le rappel des retardataires. Parmi la
dizaine d’enfants inscrits à l’atelier « jeux », beaucoup négligent en effet de se lever à
l’heure ou de se détacher de la
télévision. Il faut sonner à leur
domicile pour les déloger.
« Ils ont beaucoup de mal à respecter des horaires, à être réguliers », explique Joël Vaisenberg, salarié de l’association.
« C’était votre cas à une époque,
il fallait venir vous chercher »,
rappelle-t-il à Aziza et Najoie,
deux brunes rieuses aujourd’hui
ponctuelles.
SON JEU.
découpent les cheveux, ou les
yeux, ou les habits d’un bonhomme, et les mettent à un
autre », explique-t-elle. Libre à
eux de composer des faciès
borgnes ou muets.
Si elle termine son jeu à temps,
la petite fille pourra participer
au concours « Inventez vos
jeux », ouvert à tous les Bordelais, organisé par O Sol de Portugal. Mais elle n’en a pas vraiment défini les règles. « Ils
n’arrivent pas à se concentrer
longtemps sur une même activité. Mener à bien un travail
prend des semaines et des
semaines », explique Joël Vaisemberg.
cadre des Contrats locaux d’accompagnement scolaire, une
aide aux devoirs pilotée par la
Caisse d’allocations familiales.
Créée en 1981 par de jeunes
Portugais, l’association a pris de
l’ampleur et ses actions sociales
touchent aujourd’hui surtout les
enfants d’immigrés maghrébins.
Titulaire d’un Diplôme d’études
approfondies sur les activités
ludiques et le développement
cognitif, Joël Vaisenberg table
sur le jeu pour « travailler le
relationnel, et avoir une
approche individualisée des
problèmes ». Il propose ainsi au
groupe d’apprendre et de fabriquer des jeux du monde entier.
Mettre en valeur les origines
des enfants d’immigrés
Peu de projets réalisés dans le
cadre de l’atelier aboutiront et
pourront être présentés au
concours. Une autre invention,
un corps de serpent dont les
cases contiennent, dissimulées
derrière des post-it, des devinettes sur les animaux, attend
Pour les enfants d’immigrés, ce
travail est l’occasion d’interroger leurs parents, de mettre en
valeur leurs origines. « Ils
vivent très mal leur échec scolaire, et ne maîtrisent pas non
plus leur culture. Là, ils ont pu
découvrir des jeux typiquement
PHOTO L. G.
enrichir la « mallette pédagogique » de l’association, qui
contient déjà un jeu de l’oie sur
le thème du conte. Réalisé par
les enfants de l’école Paul Bert,
celui-ci attend d’être plastifié
pour être présenté au concours.
Et cohabite pour l’instant dans
un placard de la salle SaintMichel avec des dominos en
papier mâché, des jeux du serpent aux couleurs vives et un
« boulier » modelé en terre.
LISA GIACHINO
Le concours
“Inventez vos jeux”, propose
O Sol de Portugal. “Carton,
verre, tous les matériaux sont
autorisés. On demande
seulement que le jeu soit
cohérent, avec des règles”,
précise Joël Vaisenberg, salarié
de l’association. “C’est
l’occasion d’utiliser des
capacités imaginatives que l’on
n’exprime pas souvent, de les
faire partager aux autres”.
Il est possible de s’inspirer de
jeux classiques, ou d’imaginer
des règles complètement
inédites. Des prix seront remis
par un jury composé de
membres de l’association et du
centre social des quartiers
Saint-Pierre et Saint-Michel.
Ecoles et particuliers , tout le
monde peut participer, et
plusieurs classes de primaire
ont déjà travaillé à un projet.
Après un concours de contes,
organisé l’année dernière,
O Sol de Portugal a réalisé de
Najoie, élève de CE2 à l’école
des Menuts, colorie les trois
personnages à l’anatomie et aux
vêtements interchangeables du
jeu qu’elle a inventé. L’un
d’entre eux a un visage sans
yeux, ni nez, ni bouche. « Pour
jouer, il faudra que les gens
toujours son support rigide et sa
règle du jeu. Joël Vaisenberg est
déçu. Sa créatrice devait le terminer aujourd’hui. Elle est
absente et habite trop loin pour
que quelqu’un aille la chercher.
Mais la participation au
concours est secondaire. Elle
sert avant tout de prétexte pour
aider les enfants en échec scolaire à « se mettre en situation
de réussite, à se valoriser ».
Car O sol de Portugal collabore
régulièrement avec les écoles
primaires du quartier SaintMichel, notamment dans le
africains arrivés en Europe ».
Lui-même a mis au point plusieurs « concepts » de jeux
pédagogiques. Le plus achevé
devrait être fabriqué « en papier
collé sur du carton fort ou du
bois ». Le but : ouvrir les portes
d’une maison grâce à des opérations de calcul simple. Chaque
porte donnera sur un personnage, un mot ou un début d’histoire qui permettra de raconter
un conte.
Mais cette création ne fera pas
non plus partie du concours.
Joël Vaisenberg la destine à
nombreuses animations autour
du jeu. Les créations doivent
être déposées jusqu’au 26 mai
au local d’O Sol de Portugal,
16 bis rue du Serpolet.
L. G.
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
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MORDUS
DE
VILAINS
13
LE RUGBY
SUR UN
PLATEAU
PHOTO A. M.
P
OMPIER
À
LA
CASERNE
BORDEAUX MÉRIADECK,
PHILIPPE MONRIBOT, FANA
DE RUGBY, A LANCÉ SON PROPRE JEU
DE SOCIÉTÉ IL Y A 3 ANS. Du nom de
DE
Rugbyland, le jeu voit s’affronter deux équipes de prestige : la
France bien sûr, et les All Black
néo-zélandais. Le but est de
faire avancer les joueurs,
comme au jeu de dames, mais
avec des dés, vers la ligne d’essai. Celui qui l’a franchie en
marque un. Une histoire qui
remonte à 1998. « Un copain de
Dordogne n’arrêtait pas de vouloir me présenter des règles
qu’il avait créées. Je lui disais
toujours non. Il pensait qu’en
étant à Bordeaux, j’avais plus de
chances que lui de les faire
fructifier. Un jour pour lui faire
plaisir et pour avoir la paix, j’ai
pris ses règles et je les ai ramenées chez moi. Il y avait de
bonnes idées. » Il corrige
quelques imperfections et se
lance dans l’aventure. « J’ai
passé des nuits blanches à travailler dessus. En sortant de la
caserne, je m’y mettais jusqu’à
2 ou 3 heures du matin. »
PENDANT 6 MOIS, PHILIPPE VA PEAUFINER LA MAQUETTE DE RUGBYLAND,
sans pour autant avoir des
talents de créateur ou de dessinateur. Le jeu prend forme et
commence à intéresser les
entreprises bordelaises. « Sur
une intervention, j’ai rencontré
un patron de société qui était
prêt à le commercialiser. » Dès
lors, la course aux partenaires
s’engage. En trois mois, il trouve
une personne en Dordogne qui
lui taille des joueurs, une autre
qui lui réalise le tapis de jeu,
une qui construit la boîte en
bois et le CAT du Barp pour
peindre ses joueurs aux couleurs nationales.
« Le plus dur était de trouver la
personne qui veuille bien investir 200 000 francs dans la fabrication du premier jeu de société
de rugby. » A l’unité, Rugbyland
revient à 25 euros. Un coût
élevé qui n’a pas refroidi les
sociétés. Sauf une et pas des
moindres, mais l’épisode reste
encourageant : « Ravensburger
trouvait le concept intéressant
mais ils ne lancent la grosse
machine qu’à partir de 100 000
jeux vendables en France et à
l’étranger. Ils estimaient tout de
même que le marché était de
40 000. » Aujourd’hui, Philippe
en a vendu 3200. Lancée en
l’Aquitaine faute de temps,
même si la Fédération française
de Rugby a néanmoins pris
contact avec lui. Elle souhaitait
toucher tous les licenciés en
mettant le jeu sur sa revue.
« Après un entretien avec le
président Bernard Lapasset, la
Fédération n’en a pas voulu car
les dessins humoristiques de la
boîte montraient un rugbyman
“Je suis sûr qu’on peut
le ressortir”
juin 1999, toute la production
de Rugbyland est partie en une
seule année. « On a sorti le jeu
à une période propice, lors de la
coupe du monde de rugby. Par
chance, la demi-finale était
France-Nouvelle-Zélande. »
Une aubaine pour l’apprenticréateur. Il parcourt lui-même
la région pendant ses jours de
repos. Plusieurs magasins Jouet
Club parient sur le jeu, ce qui
enthousiasme Philippe : « Je
leur vendais 290 francs et eux
360. C’est cher, mais ils ont tout
écoulé. » Il devient très présent
en Dordogne par Intermarché et
à Bordeaux où le magasin
l’École buissonnière lui en
prend quelques-uns. Après
Noël 1999, il n’en reste plus
aucun.
Il n’a pas pu étendre son réseau
de distribution au-delà de
français en train de pousser un
All Black en lui mettant la main
au visage. »
DEUX
ANS APRÈS L’ EXPÉRIENCE , IL
AVOUE AVOIR MIS LE JEU DE CÔTÉ .
Aujourd’hui, se sont ses trois
enfants qui jouent avec l’unique
pièce qu’il a conservée. Il
explique : « Le distributeur n’a
pas fait son travail jusqu’au
bout. Pourtant je suis sûr qu’on
aurait pu en vendre plus. »
En en reparlant, il reprend
Comment
protéger
votre jeu
Vous sentez des talents de
créateur naître en vous. Ne
espoir : « Je suis sûr qu’on peut
le ressortir. D’autant plus que
cette fois, les investisseurs ne
partiront pas dans l’inconnu ».
La plus grande satisfaction de
Philippe est de toucher le plus
d’acheteurs possibles. « Les
régions de Toulouse, Perpignan
et Pau qui aiment beaucoup le
rugby devraient apprécier le
jeu. Si on trouve la bonne personne qui fasse un vrai travail
de commercial, je pense qu’on
peut en vendre encore bien
plus. Et si on le met sur Internet, ça part à coup sûr ». Pour
cela, il est prêt à modifier Rugbyland. Une expérience de
créateur qui n’a pas fini de faire
rêver Philippe Monribot.
ALEXANDRE MARSAT
perdez pas de temps. Mettez au
point votre jeu : maquette,
dessin, règles, illustrations,
logo… et courez à l’INPI (Institut
national de la propriété
industrielle) de Bordeaux, place
de la Bourse, pour le déposer
avant qu’un autre ait la même
idée que vous. Si vous ne
déposez pas votre création à
l’INPI, n’importe qui pourra en
profiter.
Vous pouvez déposer un dessin
ou modèle pour une période de
5 ans renouvelable, 5 fois. La
démarche à suivre est simple et
peu coûteuse (environ 400
francs). Votre création est
diffusée dans le registre
bimensuel de l’Inpi où un
industriel peut trouver votre
adresse s’il désire acquérir ou
fabriquer votre jeu. A vous la
gloire et la fortune si vous
réussissez à commercialiser
votre invention.
14
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
BORDEAUX,
SON TAROT,
SON MONOPOLY
téristiques numérales du jeu
sont d’origine arabe. Les figures
sont un ajout de la culture vénitienne».
Jean-François Dominis a découvert le tarot grâce à un professeur de l’école des beaux-arts
qui lui avait conseillé de l’étudier comme expression d’art
populaire. « Je trouve que les
paysages impressionnistes manquent de contenu : c’est l’art
pour l’art » , estime-t-il. « Au
cours de mes recherches sur
l’art populaire, je me suis rendu
compte qu’on peut faire de l’art
qui a une expression, une utilité. J’ai préféré le côté artistique où il y a un acte de foi,
d’amour, d’espoir. »
PHOTO ALEXANDRE MARSAT
LES COULEURS ONT UNE CORRESPONDANCE SYMBOLIQUE. Les quatre
couleurs du tarot moderne, pratiqué en France depuis la fin du
XVIIIe siècle, sont trèfle-cœurpique-carreau auxquelles correspondent bâton-coupe-épéedenier du jeu arabe du XIVe
siècle.
En fait, le tarot de Marseille est
la reproduction
d’un jeu milanais. Aujourd’hui, on joue
au
nouveau
tarot français
qui date du
début du XIXe
et qui a remplacé le tarot
de Marseille.
Jean-François Dominis nous en
livre la raison. « L’ancien tarot
était soumis, comme l’alcool, à
des taxes importantes. C’est
pour pallier la fiscalité que le
nouveau tarot français fut introduit en France, en contrebande,
d’Allemagne, Autriche et
Suisse. »
A partir de la fin du Moyen-âge,
tous les pays d’Europe occidentale impriment des jeux de
cartes. C’est ainsi qu’on peut en
LA VILLE
ENCARTÉE
G
IANFRANCO
DOMINIS
EST
VÉNITIEN D’ORIGINE ET VIT EN
FRANCE DEPUIS 1987.
Architecte d’intérieur, professeur de dessin et d’histoire de
l’art, il se consacre maintenant
plus particulièrement à son activité d’artiste-peintre. En 1979
déjà, une exposition sur les
tarots lui était consacrée à
Gênes. En 1982, encore à
Gênes, il exposait sur le thème
d’inspiration orientale « l’Invi-
tation au Palais ». Les Aquitains
se souviennent peut-être de son
exposition à Biarritz en 1984,
illustration du Vieil Homme et
la Mer d’Hemingway. C’est en
1985 que Jean-François Dominis crée le tarot de Bordeaux.
L’artiste est passionné depuis
toujours par les jeux de cartes.
Il en connaît toute l’histoire :
« Pour autant que l’on sache, le
tarot remonte au XIVe siècle en
Italie et en Espagne. Les carac-
compter des milliers, tous chargés de signification. « Pour le
tarot de Bordeaux, je me suis
inspiré de l’iconographie du
tarot de Marseille. Bordeaux
possède une richesse incomparable en matière d’artistes et de
penseurs. »
CHARLES POISSON
AU
SECOURS,
L’EAU
EST EN
DANGER
Battons
les cartes
Sortons les atouts. Le 16, par
exemple, représente la flèche
qui se dresse à une quinzaine
E
N
1997,
LA
de mètres de l’église Saint-
CONSEIL
Michel. Haute de 114 mètres,
elle est la fierté des Bordelais.
Poussons jusqu’au 18, figurant
la porte de la Grosse Cloche, et
qui est l’arcane de la Lune. En
passant entre les tours de la
Grosse Cloche, on entre dans le
règne de l’astre nocturne. Le
croissant réfléchi dans la
Garonne rappelle la Lune dans
le ciel. Arrêtons-nous au tarot
21, le monde. Jean-François
Dominis a choisi le génie ailé et
glorieux au sommet de la
colonne des Girondins.
Le roi de trèfle est Odilon
Redon, peintre-écrivain né à
Bordeaux (1840-1916) . Le roi
de carreau a la figure de
Guilhem IX (1071-1126), duc
d’Aquitaine et de Gascogne,
grand-père d’Aliénor
d’Aquitaine. François Mauriac
GÉNÉRAL
C. P.
roi de cœur prend les traits d’un
consul romain, Ausonius
Decimus Magnus, professeur de
à Burdigala en 310.
C. P.
DE FRANCE, BORDEAUX POSSÈDE SON
JEU DE MONOPOLY. Sorti
voici deux
ans en édition limitée à 12 000 exemplaires, il est vendu dans les circuits
traditionnels – entendons les magasins
de jouets et non les grandes surfaces.
Les merveilles achitecturales de la
capitale de l’Aquitaine alternent avec
ses quartiers modernes. Le cours
Xavier Arnozan à 40 000 F et les quais
LA
de sensibiliser les jeunes aux
problèmes de la pollution de
l’eau, ce jeu a été distribué dans
tous les collèges du département, à l’exclusion de la vente.
Réalisé sur la base du jeu de
l’oie, Au secours est un questionnaire comme le Trivial Pursuit. Le joueur doit répondre à
des questions telles que :
« Combien de mètres cubes
d’eau consomme une famille
girondine en une année ? Les
activités humaines influencentelles la qualité de l’eau ? Ou
encore, Pourquoi épure-t-on
l’eau ? »
Le but du jeu est de parvenir le
premier au caillou 59, terme du
parcours et preuve que le joueur
a réussi à dépolluer la rivière.
Très utilisé l’année de sa sortie,
Au secours suscite toujours l’intérêt des collégiens.
rhétorique, écrivain et poète né
ACHETEZ A
LA RUE
SAINTECATHERINE
DU
DE
GIRONDE CRÉAIT UN JEU ÉDUCATIF
BAPTISÉ AU SECOURS. Conçu afin
est le roi de pique et, enfin, le
L’INSTAR D’AUTRES GRANDES VILLES
COMMISSION
ENVIRONNEMENTALE
à 35 000 F sont les lieux les plus prisés. A l’inverse, la place Sainte-Croix
et les bassins à flot sont les moins cotés
à 6 000 F chacun. Le cours de l’Intendance, chic comme un grand boulevard parisien ou les allées de Tourny,
pourtant chères à Mauriac, plafonnent
à 30 000 F chacun... signe des temps.
C. P.
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
FÊTE
VOS
JEUX
LE
FABULEUX ROYAUME DES
L
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
A DEUXIÈME ÉDITION DE LA
FÊTE
DES JEUX AURA LIEU LE
SAMEDI
25
DANS TOUTE LA
MAI PROCHAIN
FRANCE. Cette
manifestation a été instituée en
2001 par le ministère de la Jeunesse et des Sports, avec l’ambition d’égaler la désormais
incontournable Fête de la
musique. L’association des
ludothèques de France (ALF) a
été mise à contribution pour
organiser des manifestations sur
tout le territoire.
A Bordeaux, c’est la ludothèque
Interlude qui va coordonner les
D ’ACT E U R S
DE
activités. Ce jour-là, des
dizaines de jeux différents
seront proposés : jeux de plateaux ou jeux d’adresse, certains très récents et d’autres
plus traditionnels. Quelquesuns ayant même été restaurés,
voire ré-inventés, par les animateurs d’Interlude. Les visiteurs
pourront également être initiés à
des créations originales, jeux de
rôles et de cartes notamment.
Destinés à un public de tous
âges, les jeux seront disséminés
MORDUS
DE
VILAINS
15
le jour J dans le parc Chantecris, à proximité de la ludothèque. Dans le même temps,
des associations et des professionnels ouvriront les portes de
leurs locaux et de leurs boutiques en centre-ville. Dans le
quartier de Bacalan, la Fête du
jeu s’étalera du 16 mai au 6 juin
grâce au concours des associations US Chartrons et du Foyer
fraternel.
NICOLAS FAUCHER
“ON METTRA
DES TABLES
DANS
LA
RUE”
DAMA-
GNACS EST UN UNIVERS IMAGINÉ PAR
PAULINE LAIRAT ET DAMIEN GUÉDON
PHOTOS NICOLAS FAUCHER
(1). Ces « Zibrides », tel est le
nom de la société qu’ils s’apprêtent à créer, sont des « éleveurs
d’idées ». La Fête du jeu sera
pour eux l’occasion de présenter
leurs lutins au grand public et
de dévoiler quelques-uns des
nombreux jeux issus de leurs
LANCER
DE LUTINS
aventures au fil des siècles. Car
les Damagnacs ont beau être
une création récente, ils ne
datent pas d’hier. L’Antiquité
déjà abritait ces nains d’un
mètre vingt. Plus tard, au XIIe
siècle, les ambassadeurs d’une
religion unique ont chassé ces
païens. Réfugiés sous terre et
privés de soleil, le peuple des
Damagnacs s’est mis à rapetisser, pour bientôt ne plus dépasser les 30 centimètres. Selon la
prophétie de leur chef Raoul,
seule la découverte d’un mystérieux grimoire peut leur permettre de retrouver leur taille
originale et de reprendre leur
place à la surface. Figurines de
terre cuite, cartes à jouer et
bientôt livres de contes, l’univers ludique de ces esprits de la
nature est aujourd’hui en pleine
expansion. Le 25 mai, on pourra
le découvrir au parc de Chantecris.
N.F.
ENFIN, IL SERA POSSIBLE DE JOUER RUE SAINTE-CATHERINE : Le Relais Des-
cartes attend ce jour de nombreux visiteurs auxquels il proposera
tous types de jeux : à damier, de société, de convivialité, mais aussi
jeux de stratégie et jeux de rôles. « Nous sortirons peut-être des
tables devant le magasin et certains jeux y seront en libre-service »,
explique François Descamp, gérant du Relais. « Il y a une forte
demande en jeux à Bordeaux », analyse-t-il, « sinon, on ne serait
pas là ». Cet engouement, il l’attribue à plusieurs facteurs, parmi
lesquels « le fait qu’il y ait des ludothèques ». De même, « une
importante population universitaire » est de nature à multiplier le
nombre de joueurs. D’ailleurs, cela va avec un accroissement « du
choix et de l’intérêt des jeux qui s’adressent de plus en plus à un
public adulte ».
(1) [email protected]
N. F.
Le Relais Descartes, 162, rue Sainte-Catherine, Bordeaux.
CARTES À
BULLES
COMME L’AN
DERNIER, LE
CAFÉ BD,
OUVRIRA SES PORTES EN GRAND À
L’OCCASION DE LA FÊTE DES JEUX.
Tous les amateurs de « Bonjour
Robert », « Tic tac boum », de
jeux de cartes et de rapidité
seront donc les bienvenus à partir de 11 heures et jusque tard
dans la soirée. Le Café BD est
géré depuis janvier 2001 par la
société Préambule. Des anima-
teurs de l’association L’enjeu y
organisent régulièrement, tous
les premier et troisième mardis
du mois, des soirées ludiques.
L’essentiel des autres manifestations du Café est bien entendu
consacré à la bande dessinée.
N.F.
Café BD, 43, rue Saint-James,
Bordeaux.
16
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
RAPIDO :
ACCROS
MAIS
PAS TROP
MORDUS
DE
VILAINS
Des jeux au trot,
le PMU au galop
Les Bordelais préfèrent les jeux
de grattage aux jeux de tirage.
Les Millionnaires, Banco et
autres Tacotac représentent
ainsi 44, 6 % des mises contre
42,1 % pour le Keno, le Loto et
le Loto foot. Mais cette
tendance commence à
s’inverser, avec le Rapido, qui
PHOTO N. F.
rafle à lui seul 13 % des parts
de marché. Ce succès participe
à l’augmentation des mises
bordelaises de presque 5 %
pour les seuls jeux de la
Française des jeux, entre 2000
et 2001. En revanche, 2002
s’annonce moins faste... Avec
l’arrivée de l’euro, les tarifs ont
augmenté de 30 %. De cinq
francs, le Banco est ainsi passé
à 1 euro. Résulat : sur
l’Aquitaine, les mises ont
diminué de 9 % dès le premier
trimestre.
T
ROIS SÉRIES DE HUIT NUMÉROS
S ’AFFICHENT
SUR
Quant aux recettes du PMU,
L’ ÉCRAN
ACCROCHÉ EN HAUTEUR.
elles suivent sur la région une
EN
LETTRES DE PLASTIQUE, ON Y LIT
évolution semblable à celle de
“RAPIDO”. QUELQUES PAIRES D’YEUX
toute la France. L’agence de
INQUIETS LE FIXENT OBSTINÉMENT.
Bordeaux, qui supervise quatre
Treize heures une : au bar-brasserie Le Lambert, près de la
gare Saint-Jean, la tension fluctue chaque minute. Imprimés en
orange sur de petites feuilles
blanches, des chiffres sont
cochés. Treize heures deux,
treize heures trois, quatre,
cinq… En une fraction de
seconde, le visage d’Hélian
s’éclaire : un autre tirage commence. Sa tasse de café, vide
depuis déjà un bon moment, est
repoussée à l’extrémité de la
table en zinc. La pointe de l’index s’agace à faire glisser l’un
contre l’autre les rectangles de
papier. Machinalement. Seul le
cendrier est toléré à proximité
des phalanges. Nerveuses.
Ce routier d’origine réunionnaise se défend d’être « un
accro ». Tout juste un consommateur régulier. La trentaine à
peine passée, il joue « depuis
quatre ou cinq ans ». « Peutêtre tous les quinze jours…
jamais plus d’une fois par
semaine », il se paie son petit
mixte d’espoir et de suspense,
dealé d’un à cinq euros la dose.
« On ne perd pas grandchose… ça remplace le casino
et on s’arrête quand on veut »,
ce qui est « beaucoup mieux
avec ce genre de pièges à
cons ».
La servitude volontaire serait
un peu trop vite diagnostiquée :
tout de même, grâce au Rapido,
« on ne voit pas passer le
temps ». L’argent non plus
d’ailleurs. Hélian finit par
l’avouer, son jeu fétiche le
déleste « de 40 euros par
départements (16, 17, 24, 33),
annonce un chiffre d’affaire de
162 millions d’euros pour
l’année 2001 (+ 3,84 % par
rapport à 2000). Durant la
même année, un million de
personnes ont parié sur des
chevaux en Gironde.
A Bordeaux, comme sur toute la
France, leurs jeux favoris sont
le Quinté+ et le Couplé.
semaine, plus 20 euros pour le
Loto » ; mais, après tout, il en
connaît « qui jouent dix fois
plus ! ». S’ils gagnent ? « Pas
beaucoup, mais ils gagnent… »
Et lui-même ? « Pas trop, mais
c’est sûr, je vais gagner un
jour ! »
ses gains : il est « content »…
mais ne songe qu’au « pactole
de 10 000 euros ; c’était déjà
pareil avec les francs ! »
Hélian, lui, prend encore plus
de plaisir avec la nouvelle monnaie : « Pour moi, c’est comme
si je jouais avec des dollars »,
“Les euros, pour moi, c’est comme
si je jouais avec des dollars”
DANIEL EST COMÉDIEN, et ce quadragénaire joue sans complexe :
en toute franchise, il admet
miser quotidiennement « dix
euros ». Aujourd’hui c’est fête,
il en a « pris pour trente » et
est « presque remboursé » par
s’excite-t-il. Jouer pour jouer ,
alors ? Pas seulement. Son
regard se perd un instant dans le
vague… Puis : « Une moto !
Si je gagne, c’est direct la moto !
Pas question de le laisser à la
banque ! Avec le salaire, il faut
toujours attendre. Là, ça serait
le coup de baguette magique. »
« Rêver un peu que je vais
gagner de la tune, que je vais
passer un été tranquille », tout
ça trotte dans la tête de David,
lorsqu’il valide ses grilles. Au
chômage depuis peu, encore
jeune, il ne se fait pourtant « pas
trop d’illusions » et joue surtout
pour « se désolidariser du
reste » : « On ne change pas de
vie en cinq minutes, il y a le
Loto pour ça ! Le Rapido, c’est
surtout pour s’amuser. » N’empêche, « un voyage, si je pouvais »… Par-delà le cliquetis
des cuillères, le ballet des
demis et le piétinement des
fumeurs, David aperçoit le
« Vietnam et l’Afrique noire ».
FANTASMES, JOUISSANCES, DÉCEPTIONS : le Rapido est une pra-
tique solitaire… Qui permet à
Daniel « d’évacuer le trac avant
d’aller bosser », mais aussi
paradoxalement « d’échapper à
la solitude de l’hôtel ». En ce
lundi de Pâques, son de cloche
identique chez Hélian, qui croit
déceler «un petit côté pervers
dans ce jeu » : « On joue pour
soi… On peut même oublier la
famille si on gagne »… Le trait
d’égoïsme ne dénie pas toute
morale : « Il faut miser seulement avec de l’argent qu’on a
soi-même gagné, et pas avec son
RMI ! », martèle-t-il ; tout en
défendant l’idée que « grâce au
Rapido, à la Française des jeux,
les gens sont plus égaux », et
« ne restent pas forcément toujours du même côté de la barrière ».
Sur cette ambition sociale,
Daniel est plus perplexe, lui qui
soupçonne « l’ordinateur des
tirages, à Lyon », d’être
« constamment connecté » et
de sortir les combinaisons « en
fonction du nombre des
gagnants ». David accepte par
avance cette « petite arnaque
statistique », au même titre
« que les chances de gagner ».
Cette supposition ne révolte pas
non plus Daniel, qui trouve
même cela normal : « Le jeu,
c’est comme dans la vie, dans
les relations humaines… tout
n’est pas forcément très clair »,
philosophe-t-il un court instant,
embrumé dans la fumée de sa
cigarette.
Avant de se reprendre, un rien
honteux : « Mais je dérape, là :
le jeu c’est une chose ; la vie,
c’en est une autre ! ».
NICOLAS FAUCHER
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
Inscrites en néons bleus sur
fond de briques, les lettres sont
en capitales : “Casino de
Lacanau”. Derrière la porte,
vingt-cinq personnes tout au
plus s’affairent autour de la
vingtaine de machines à sous
récemment installées près des
limite glauque.
Voilà qui tranche avec
ÉONS BLEUS, CHUTES D’EAU,
N
MOQUETTE ROUGE, DORURES,
MIROIRS… L E
BORDEAUX S’APPRÊTE
CASINO DE
À PRENDRE
l’effervescence qui règne sur la
POSSESSION
station. Un parfum d’été y flotte
Situé depuis près d’un
an au rez-de-chaussée de l’hôtel
Sofitel, il s’installera définitivement sur les rives du lac, à
proximité du Palais des congrès,
dans deux bâtiments distincts.
Deux mondes, mais une seule
ambiance. Avec ce nouveau
complexe, la capitale girondine
s’offre un luxe digne de Las
Vegas, un univers limite rococo
s’y étale sur 7 000 m2… Avec
les incontournables du gigantisme à l’américaine : cinq restaurants, trois bars, une salle de
gala de 300 places et une salle
de spectacles pouvant accueillir
jusqu’à 700 personnes.
Mais le meilleur – ou le pire –
est encore à venir : 300
machines à sous n’attendent
plus qu’une autorisation du
ministère de l’Intérieur pour
investir le site, même si la Commission supérieure des Jeux
n’en préconise que 150 (1). Les
bandits manchots (2) constitueront alors une manne touristique
sans précédent pour Bordeaux :
« Les jeux de table attiraient en
moyenne 1800 personnes par
mois. Mais l’ouverture du nouveau casino devrait attirer près
de 2500 joueurs par jour ! »
Véritable poule aux œufs d’or
pour les établissements de jeux,
la part des machines à sous
avoisine 90 % de leur chiffre
d’affaires.
Du côté de la classe politique,
l’arrivée dans la région des roulettes et autres bandits manchots est loin de faire l’unanimité. Si la majorité municipale
se déclare ravie, par la voix de
son premier adjoint Hugues
Martin, à gauche, on fait grise
mine. Pierre Hurmic, élu écologiste qui a porté l’affaire devant
les tribunaux administratifs à
l’occasion de l’attribution du
marché du casino, juge toujours
aussi problématique l’implantation d’un tel établissement (3).
Mais le groupe Accor, propriétaire du complexe, est en passe
en ce dimanche de mars. Le
mercure frôle les 25°. La foule
des grands jours s’extirpe des
embouteillages. En attendant
les chaudes heures estivales,
Lacanau accueille pour
quelques semaines encore son
public traditionnel, Girondins
des villes, Aquitains des
campagnes.
Au casino, c’est encore l’hiver.
Le bâtiment semble
complètement coupé du monde.
Les visages sont crispés.
Jeunes et vieux, couples et
célibataires, blancs et noirs, ici
pas de discrimination. L’argent
n’a pas de couleur. La partie se
joue dans l’ombre. Baskets et
vieilles godasses sont les
bienvenues. Un petit air populo
bien vite oublié quand le soleil
disparaît à l’horizon. Place alors
aux rois des tables de jeux.
Deux lumières, deux mondes...
La clim’ est en marche, de quoi
apaiser la nervosité des
joueurs. Une petite soif ? Le
casino a pensé à tout : café, jus
d’orange, vin ou petits
gâteaux... Par un tel climat,
toute sortie dans un commerce
du coin risquerait d’être
définitive. Autour des bandits
manchots, on se regarde, on
s’épie, on s’envie. A droite, les
pièces clinguent et reclinguent.
C’est le jackpot pour la voisine !
Un brin de chance ni plus ni
moins. Mais la machine est
repérée. A peine a-t-elle
abandonné sa place que
d’autres joueurs l’assiègent. Ils
ne la lâcheront que quelques
heures plus tard, enfin repus
d’espoirs et d’amertume.
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
17
LES
PAILLETTES
SONT D’OR
ET L’ARGENT
EST ROI
Bon dimanche
chaud
chez les bandits
manchots
tables de blackjack. Ambiance
DE
LOCAUX.
DE
SES
NOUVEAUX
de devenir un véritable mécène
pour la ville. La salle de concert
pourrait être rapidement le
grand lieu de spectacles de la
région bordelaise : théâtre, ballets, opéras, chanson française… En somme, une vache à
lait non négligeable pour la
Ville et l’Etat, qui prélèvent à
eux deux plus de 50 % des
recettes de l’établissement.
« Notre entreprise est populaire
(…) On se veut accessible à
tous », affirme encore la direction.
Celle-ci s’affiche irréprochable
en matière de prévention des
risques dus aux abus de jeux.
« Nous avons mis en place un
programme visant à sensibiliser
notre personnel afin de venir en
aide à toute personne qui jouerait au-delà de ses moyens.
Cette mesure s’ajoute aux
demandes d’interdiction d’entrée opérées par les joueurs
auprès du ministère ou des casinos », poursuit Didier Brezzo.
Un partenariat a d’ailleurs été
signé avec l’association SOS
Joueurs : « Le jeu doit avant
tout rester un plaisir ». C’est
aussi un bon moyen de se
démarquer des tripots clandestins. À ce propos, le directeur
du casino s’interroge : « Est-ce
que leurs machines à sous assurent le même niveau de probabilité aux joueurs ? Et l’accès aux
mineurs, strictement interdit
chez nous, l’est-il également
ailleurs ? » Didier Brezzo reste
dubitatif. L’ombre et la lumière,
deux mondes qui se côtoient
sans jamais se regarder.
À NOUVEAU DÉCOR, NOUVELLE CLIENTÈLE. Si les heures diurnes sont
réservées au grand public, les
soirées sont plus smokings et
paillettes. Dès la nuit tombée,
roulettes et blackjack se
“Notre
entreprise
est populaire,
on se veut
accessible
à tous”
réveillent à l’étage. « Un joueur
de machines à sous dépense en
moyenne 38 euros. Ce montant
s’élève à 100 euros autour des
tables de jeux », précise Didier
Brezzo. Distants seulement de
quelques marches d’escalier,
ces deux mondes semblent
séparés par un véritable fossé.
Les responsables de l’établissement réfutent ce constat :
THOMAS QUÉGUINER
PHOTO NOEMIE VIDEAU
JEUX...
(1) L’autorisation d’installer des
machines à sous ne peut être
demandée au ministère de l’Intérieur qu’au bout d’un an d’exploitation.
(2) Les machines à sous sont
également appelées bandits
manchots. A l’origine, elles
étaient maniées par un seul bras
métallique. Aujourd’hui, une
simple touche suffit.
(3) La loi du 15 juin 1907 autorise l’implantation de casinos
dans les stations balnéaires,
thermales ou climatiques. En
1987, le ministère de l’Intérieur
autorise l’exploitation de
machines à sous. Ces dispositions ont ensuite été élargies par
la loi du 5 janvier 1988. Depuis
cette date, toute ville classée
« touristique » et comptant plus
de 500 000 habitants peut
accueillir des établissements de
jeux. En France, Bordeaux est
la deuxième métropole, après
Lyon, à ouvrir un casino.
JEUX...
ENQUÊTE
18
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
MACHINES À SOUS
CLANDESTINES:
POGNON SUR RUE
Mode d’emploi
LE BINGO
Aussi appelé flipper belge ou
score ball. L’appareil ressemble
beaucoup à un flipper
classique, mais il n’a pas de
leviers destinés à renvoyer la
U COURS DE L’YSER AU COURS
D
DE LA
MARNE,
DE
balle. Il est constitué d’un
BÈGLES
panneau vertical, sur lequel
AUX QUAIS DE LA GARONNE EN
sont inscrits des nombres
PASSANT PAR LA PLACE DE LA
VICTOIRE,
de 1 à 25. Un autre panneau,
DERRIÈRE LES VITRINES
DES CAFÉS, DES MACHINES ÉTRANGES
légèrement incliné, est percé
PEUVENT VOUS FAIRE GAGNER DE
de 25 trous correspondants aux
L’ARGENT.
nombres du panneau vertical. Il
Dans l’illégalité la plus totale,
mais sans réellement se cacher,
des joueurs passent leurs journées devant des machines à
sous clandestines comme les
flippers belges ou les pokers
électroniques. Et pourtant, ces
engins assez imposants, disposés en bout de comptoir, ne peuvent passer inaperçus. « Il y a
même des policiers qui y
jouent », ironise un cafetier.
est hérissé de pointes
CES
d’un ressort, exactement
métalliques qui modifient le
parcours de la boule. Lorsque le
joueur introduit une pièce (en
général, 1 euro, ou 10 francs
avant le premier janvier), des
combinaisons de cinq chiffres
apparaissent sur le panneau
vertical. Le joueur lance alors
cinq billes métalliques à l’aide
MACHINES SONT À LA LIMITE DE
LA LÉGALITÉ. A l’instar de n’importe quel billard ou baby-foot,
elles sont déclarées à la douane.
Les cafetiers bordelais payent
en effet une taxe d’utilisation de
335 euros par an, symbolisée
par une vignette verte. L’explication? La douane délivre une
seule et même vignette pour
tous les jeux de bars ; les flippers belges ont donc la même
que les autres jeux. Et une fois
l’engin déclaré, les cafetiers
peuvent partager les bénéfices
d’exploitation avec les placiers
propriétaires des machines.
Jusqu’ici, rien d’anormal, mais
le bât blesse quant à l’utilisation
que l’on en fait. On peut en
effet, comme une quelconque
partie de dés, transformer ces
jeux d’amusement anodins en
jeux d’argent. Un accord tacite
entre l’utilisateur et le tenancier
entraîne le paiement d’une partie selon le nombre de points
effectués. A raison d’un franc le
point, des machines sur lesquelles on peut en totaliser des
centaines peuvent facilement
rapporter gros. « Bien évidemment, cela pimentait le jeu et
attirait du monde », confie un
comme au flipper. Il doit mettre
ces boules dans les trous
PHOTO T. B.
barman, « on avait tout intérêt à
jouer ce jeu là ». Plus de
consommations au bar pour ces
joueurs insatiables, mais surtout un revenu net assez conséquent quand le patron décidait
de monnayer les parties.
« 15 000 pour moi, 15 000 pour
le placier », explique un cafetier
bordelais. Une information
évidemment très difficile à
contrôler.
Ce système est connu de tous,
mais difficilement repérable par
les services compétents. Pour le
prouver, il faut un flagrant délit.
Les autorités doivent donc
contourner le problème pour
tenter de mettre fin à ces agissements. Le principe : saisir les
flippers belges au motif qu’ils
sont des jeux de hasard, ce qui
suffit à les rendre illégaux. Pour
cela, le manque de précision de
la loi concernée a été bien pratique : rien dans le code pénal
ne permet de dire si ces
machines sont des jeux de
hasard.
Aussi, quand ces machines ont
fait l’objet, il y a deux ans, d’une
répression de grande ampleur,
ce fut la course à l’expertise.
UNE PREMIÈRE ÉTUDE, pratiquée
par un expert près la cour
d’Appel d’Aix-en-Provence,
concluait que le fonctionnement
de ces appareils reposait sur le
hasard et non pas sur l’adresse
du joueur, les rendant ainsi illégaux. De nombreux établissements furent donc fermés provisoirement par arrêté préfectoral.
« C’est tout de même assez surprenant », s’étonne Brigitte
Gaillard, avocate du syndicat
correspondant aux numéros
allumés sur le panneau
vertical. C’est une sorte de loto,
mais si le joueur est habile, il
peut influencer la trajectoire
des billes en donnant des coups
dans l’appareil. Il n’est pas rare
que le cafetier rémunère les
points derrière le bar.
des jeux automatiques mis en
cause, « si tout le monde savait
que ce type de machine était
interdit en France, pourquoi
l’Etat leur délivrait-il des
vignettes d’exploitation? »
LES ÉCRANS TACTILES
ENSUITE,
possible de changer la cassette
UNE CONTRE- EXPERTISE
dans l’usine de fabrication des jeux incriminés à
Bruges, en Belgique. Trente
mille tests mécaniques et
manuels ont été effectués pour
arriver à la conclusion que ces
engins ne faisaient pas uniquement intervenir le hasard, mais
aussi l’adresse des joueurs. Un
an après, l’arrêté préfectoral a
été jugé comme un excès de
pouvoir par le tribunal •••
FUT MENÉE
Ce sont de petits écrans, que
l’on peut trouver absolument
partout. Tels quels, ils ne sont
pas illégaux, mais il est
qu’ils contiennent ou de
modifier leur carte
informatique pour en faire des
jeux illégaux. En y mettant un
jeu de poker, par exemple, qui
est considéré comme un jeu de
hasard par la loi de 1983. Ce jeu
est donc illégal en soi. Mais
comme pour le bingo, le cafetier
peut payer les points.
DE
BORDELAIS
••• administratif et une
demande d’indemnisation a été
déposée. Depuis, la préfecture a
fait appel.
Deux ans après cette affaire, on
peut tout de même s’étonner du
peu de répression, compte-tenu
de la visibilité de ces machines.
POURQUOI LES POUVOIRS PUBLICS
SONT-ILS INTERVENUS précisément
en 1999 ? Pierre Hurmic, élu
d’opposition de Bordeaux et
avocat d’un cafetier mis en
cause, ose une explication :
« Les véritables raisons de cette
répression ? Je parle en tant
qu’élu, mais pour moi, l’installation d’un casino à Bordeaux
n’est peut être pas anodine dans
cette affaire. N’avait-on pas
pour volonté de nettoyer préci-
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
pitamment le centre-ville ? » Le
casino, qui vient d’installer ses
machines à sous aurait ainsi
bénéficié de l’affluence des
joueurs compulsifs, privés de
leur occupation favorite du
centre-ville.
Dans cette affaire, toutes les
victimes s’en réfèrent aux pays
limitrophes : l’illégalité de ces
machines est une spécificité
française.
NOS VOISINS EUROPÉENS, Espagne,
Angleterre ou dernièrement,
Portugal, ont légalisé les
machines à sous en tant que
telles dans les débits de boissons. Les mises et les gains sont
limités, mais elles se retrouvent
naturellement placées entre des
flippers et autres juke-box.
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
Elles font l’objet de taxations,
mais leur gestion peut être privée. Alors qu’en France, tous
les jeux de hasard faisant intervenir de l’argent ne peuvent sortir du pré carré de l’état ; la
Française des jeux et le PMU
sont des sociétés d’économie
mixte et les casinos, pourtant
privés, sont très fortement réglementés, tant sur le plan des installations que sur celui de la fiscalité.
Le
taux
de
remboursement des bandits
manchots, par exemple, est
défini par l’Etat. Ce monopole
permet aux autorités de garder
une mainmise totale sur ce secteur qui, il faut bien l’écrire, est
particulièrement rémunérateur
(les prélèvements de l’Etat sur
les mises de la Française des
jeux en l’an 2000 ont été de 1,75
milliards d’euros). Là où de
nombreux pays ont fait évoluer
UN CAFETIER
REVIENT SUR
L’AFFAIRE
DES BINGOS
D ’ACT E U R S
DE
leur loi avec les habitudes, la
France reste, pour l’instant,
campée sur ses positions.
Mais il faut rester prudent : si le
détournement organisé de ces
jeux d’amusement en machines
à sous est assez fréquent (« personne ne jouerait au bingo sans
argent à la clé », nous a confié
un cafetier), on ne peut pas parler d’une quelconque mafia à
Bordeaux. « Ça n’a rien à voir
avec la Côte-d’Azur ou la région
parisienne », assure-t-on du
côté de la police : « les réseaux
sont rares et de faible envergure. » Mais même si ces engins
n’appartiennent que rarement
au crime organisé, les différentes actions de répression
pour un forfait fixe. Le placier
me donnait chaque mois un
revenu de 305 euros (2000
francs), quel que soit le montant
récolté dans la machine. Disons
que ça me payait l’eau et l’électricité. Maintenant, il faut que je
me débrouille. En plus, ça attirait des clients : il y avait des
gens qui faisaient la queue pour
jouer! Et puis, ça faisait
consommer. Maintenant, il n’y a
plus personne.
U
N CAFETIER DE LA RÉGION
BORDELAISE A SUBI LA VAGUE
DE FERMETURES ADMINIS-
2000 PARCE QU’IL POSSÉDAIT DEUX BINGOS. Sous couvert
TRATIVES DE
d’anonymat, il revient aujourd’hui sur ce problème épineux.
EN FÉVRIER 2000, VOTRE CAFÉ A ÉTÉ
FERMÉ PARCE QUE VOUS POSSÉDIEZ
DEUX BINGOS. COMMENT CELA S’ESTIL PASSÉ ?
MAIS
SELON VOUS, CE NE SONT PAS
DES JEUX DE HASARD ?
Non ! C’est pour ça que j’ai pris
un avocat et que j’ai saisi le tribunal administratif. La contreexpertise a montré que j’avais
raison : les bingos font appel à
l’adresse du joueur. Par
exemple, en tapant sur la
machine, on peut faire changer
DE
VILAINS
19
n’ont en aucun
cas enrayé le
phénomène. Tout
au plus y ontelles mis un frein.
« De toute façon,
le véritable accro
se moque du jeu
pratiqué, il peut
changer de support, rigole un
cafetier, regardez le boulodrome, à côté du café : tous les
dimanches, il y a de l’argent qui
tourne ! C’est quand même cinq
cent francs la partie ! Et c’est
pareil pour la belote, il est rare
qu’on n’y joue pas de l’argent! ».
JÉRÔME LEPEYTRE
En toute
illégalité
A part les quelques grosses
affaires, Bordeaux n’est pas la
ville où s’épanouissent les jeux
clandestins. Ils se pratiquent
très discrètement et peu d’entre
eux ont été répertoriés par les
services de police. Les jeux de
rues comme le bonneteau, où
l’on doit trouver une carte
ON PARLE PARFOIS DE MAFIA…
Eh bien, à l’époque, j’avais en
effet deux de ces jeux de salle
qui ressemblent à des flippers,
mais qui fonctionnent sur le
principe du Loto. On envoie
plusieurs boules, qui doivent
tomber dans certains trous du
plateau. Si on réalise la combinaison proposée par le tableau
lumineux du Bingo, on a gagné.
La police a fait une descente
chez moi en juin 1999 et a
constaté que j’avais deux
machines. Ensuite, le préfet a
fait fermer mon établissement
pour un mois, sous prétexte que
les bingos étaient des jeux de
hasard.
Tout le problème est là : si le
joueur ne peut influencer la trajectoire de la boule, le jeu est
aléatoire et il devient illégal.
MORDUS
ENQUÊTE
JEUX...
PHOTO T .B.
Non, c’est complètement faux,
ces machines sont placées par
des entreprises légales, qui ont
pignon sur rue. Comme je l’ai
déjà dit, ce ne sont pas des jeux
de hasard, alors il ne faut pas
imaginer je ne sais quels bandits, c’est faux. Il y en a qui sont
venus, qui ont voulu me mettre
des jeux sans vignette, des gars
bizarres… mais je les ai mis à la
porte.
marquée d’une croix parmi trois
autres installées sur des
cartons, n’ont pas trouvé leur
place dans le paysage urbain
bordelais. Ces jeux qui se
montent et se démontent très
rapidement sont au contraire
courants dans les quartiers
immigrés de Paris.
Il n’y aurait pas non plus de
combats de coqs ou de chiens
dans les caves sombres des
AUJOURD’HUI,
la trajectoire de la boule métallique. La loi interdit bien les
jeux de hasard, mais là, ce
n’était pas le cas.
OUI, MAIS LES JOUEURS GAGNAIENT
DE L’ARGENT EN ÉCHANGE DES POINTS,
CE QUI EST ILLÉGAL ?
L’accusation ne portait pas làdessus : pour ça, il aurait fallu
un flagrant délit. Mais certains
jouent en effet pour de l’argent :
ceux qui ont le jeu dans le sang.
Quand ils gagnent des points, ils
les convertissent en monnaie.
En général, un point représente
un franc. Mais il y en a aussi qui
ont simplement le goût du jeu.
S’ils gagnent, ils rejouent l’ar-
gent et c’est tout. C’est l’hypocrisie du système : la police ne
pouvait pas prouver qu’il y avait
un échange d’argent, alors elle
s’est attaquée aux bingos sous le
prétexte « jeux de hasard ».
Mais il ne faut pas caricaturer,
ça reste des jeux ludiques,
récréatifs. Les joueurs ne
deviennent pas millionnaires.
CELA VOUS RAPPORTAIT BEAUCOUP ?
Oui… et non. En général, il y a
un partage des recettes entre les
cafetiers et les placiers, à environ 50/50. Le problème, c’est
qu’en fonction de la place des
machines, elles rapportent plus
ou moins. Chez moi, j’avais opté
TIMENT
PAR
QUEL EST VOTRE SENRAPPORT
À
CETTE
AFFAIRE ?
Les cafetiers sont des proies
faciles car la législation n’est
pas claire. Mais le tribunal a fini
par annuler l’arrêté du 2 février
2000 qui avait entraîné la fermeture de mon café. Il a aussi
condamné l’Etat à me rembourser les frais de justice ; cependant, le préfet a fait appel. Mais
moi, je conteste cette décision,
car cette somme est ridicule.
Elle ne couvre pas du tout mes
pertes, ni le préjudice fait à la
réputation de mon bar. Rien que
le mois de fermeture m’a coûté
un mois de chiffre d’affaires,
soit 7620 euros (50 000 francs).
PROPOS RECUEILLIS
PAR JÉRÔME LEPEYTRE
ET THOMAS BALTES
cités environnantes.
Bien que la région compte deux
hippodromes, au Bouscat et à La
Teste, les grosses affaires liées
aux chevaux ne marquent pas
les annales judiciaires. “Il y a
une petite délinquance, mais il
faut reconnaître que le milieu a
été bien assaini il y a quelques
années”, souligne un officier de
police.
JEUX...
ENQUÊTE
20
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
’ORGANISATION
L
DE
MACHINES
DE
D ’ UN TRAFIC
ILLÉGALES
DEMANDE UNE MISE DE FOND
IMPORTANTE.
Tout débute par la construction
des machines de jeux qui peuvent être des bingos, des pokers,
mais aussi des jeux vidéos plus
classiques, comme des courses
de voitures. Des réseaux vont
acheter des appareils parfaite-
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
a quelques années. Dès que le
réseau possède ses jeux, les placiers illégaux entrent en scène.
Ces hommes tiennent un rôle
essentiel dans le trafic. Ils sont
le relais entre les organisateurs
de la filière et les patrons de
bars. Grâce à un réseau de
connaissances, ils proposent
leurs machines modifiées aux
gérants des débits de boissons.
Le placier et
le
patron
déterminent
alors le montant des commissions à se
partager. Un
cafetier peut
toucher entre 20 et 50 % des
bénéfices si la machine marche
bien. Malgré l’entente des deux
parties, les membres de ce
« commerce » peuvent retirer
les bornes de jeux s’ils estiment
que cela ne rapporte pas assez.
VIE ET MORT
D’UNE FILIÈRE
ment légaux et vont leur faire
subir quelques modifications,
notamment au niveau des
cartes-mères. Parfois, ils font
directement construire les
machines modifiées à l’étranger.
C’était le cas en Roumanie, il y
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
Ces machines modifiées sont un
bon filon car elles sont difficilement détectables pour les noninitiés. En effet, rien en apparence ne les distingue des
autres machines. Le joueur
gagne des points normalement,
comme dans tous les jeux, mais
sa partie devient illégale
lorsque ses points sont transformés en argent liquide. Loin des
regards indiscrets, ce trafic peut
rapporter gros lorsque l’établissement est très fréquenté.
Mais il suffit de peu pour que
tout s’arrête. Un juteux trafic
peut prendre fin un soir, par une
dénonciation ou par un contrôle
MORDUS
DE
VILAINS
à l’improviste des policiers de la
Sécurité Publique, qui ont des
soupçons sur un établissement.
Dès lors, des mois de repérages
et d’enquêtes s’enchaînent pour
identifier tous les acteurs de la
filière. Au final, c’est la descente de police.
Les machines sont saisies et
placées sous scellés. Parfois,
une affaire de blanchiment d’argent est mise au jour en même
temps.
La partie s’arrête là pour les
patrons et les membres du
réseau, qui se retrouveront plus
tard au tribunal.
JULIE MARTINEZ
Le poker
derrière
un écran
de fumée
“J’AI VU DES
ÉCARTS DE 10 000F
SUR UNE SOIRÉE”
Vingt mille francs sur la table,
un sourire en coin derrière un
cigare et un carré d’as qui
tombe. Voila le genre de cliché
que l’on a peu de chance
d’apercevoir au fond d’un café.
Les jeux de cartes qui reposent
sur le hasard sont strictement
interdits dans les lieux publics,
même s’ils ne mettent pas
d’argent en jeu.
I
L A CONNU LE MILIEU TRÈS FERMÉ
La couleur
de l’argent, celle des cartes
de poker, a fait de lui un joueur
de haut niveau, aussi à l’aise sur
les champs de courses qu’au jeu
d’échecs. A 50 ans, il a décidé
de raccrocher ; c’est pourquoi il
souhaite rester anonyme.
DU JEU BORDELAIS.
mais il n’y a que 200, 300 euros
qui passent entre les mains,
c’est tout”. C’est déjà suffisant
pour risquer, en cas de flagrant
délit ou d’aveu du cafetier, une
fermeture immédiate. Le
SE FORMENT LES CERCLES
DE JOUEURS
tenancier risque également de
?
Ils se reconnaissent rapidement
et la partie peut se jouer n’importe où. Prenez quatre joueurs,
ils trouveront forcément un
endroit : chez eux, dans un bar
ou dans un club. Dans chaque
ville, on trouve les milieux de
jeu correspondant à ses propres
affinités. Les lieux vont du plus
sordide au plus bourgeois. A
certains endroits on joue dans la
crasse, à d’autres, dans des fauteuils en cuir. Chacun essaye de
trouver sa place. La plupart du
temps, les parties se déroulent
dans des arrière-salles de bar ;
les patrons y trouvent leur intérêt, parce que les joueurs
consomment beaucoup.
VOUS
raconte un cafetier bordelais,
JOUIEZ DANS CES ARRIÈRES-
SALLES ?
Ça m’est arrivé, mais j’ai toujours préféré les clubs de jeux,
qui ont un certain nombre de
règles pré-établies. Là, lorsque
vous gagnez, vous êtes payé,
alors que dans un bar, c’ est pas
toujours évident... L’argent y est
géré comme dans un casino, le
deux à six mois
d’emprisonnement et de 50 000
à 200 000 francs d’amende.
PHOTO J. M.
COMMENT
“Dans mon bar, on joue au rami,
C’est pourquoi les vrais
joueurs, qui peuvent mettre en
jeu jusqu’à leur salaire en une
directeur de jeu vend des jetons
avec lesquels on joue. Ça a bien
sûr un coût : une commission est
prélevée. Sur ces tables, les parties ont une durée imposée. Le
perdant se retire quand il veut,
mais le gagnant est tenu d’aller
en fin de partie.
Cela peut durer cinq à six
heures et au bout de ce tempslà, on paye et l’on peut soit commencer une nouvelle partie, soit
prolonger la partie en cours s’il
y a consensus autour de la table.
Il faut fixer une durée, sinon le
perdant veut toujours continuer,
la plupart du temps pour perdre
plus.
QUELS SONT LES GAINS ?
Le niveau de jeu est très
variable, le rapport va de un à
dix selon les tables. Par
exemple, à Bordeaux dans les
années 80, les parties de tarot se
jouaient entre 10 centimes et un
franc le point. Il y a quatre ou
cinq ans, j’ai vu des écarts de
10 000 francs sur une soirée. Ce
n’est pas une rente, on ne gagne
pas à tous les coups. Lorsque
vous avez un peu d’expérience,
vous perdez moins qu’un mauvais joueur, mais… vous gagnez
plus. Ce sont ces écarts qui font
que même en perdant, vous y
gagnez sur le bilan total. Le
monde des joueurs est régi par
une loi simple : chacun, sur un
grand nombre de coups, a les
mêmes chances ; c’est la qualité
du jeu qui fait la différence, à
chacun de savoir saisir l’opportunité.
soirée, jouent peu dans les lieux
publics. “Ils flambent chez eux,
explique le cafetier, pas ici. Il y
en a même qui louent des
chambres rien que pour ça.”
Ainsi, les patrons ne risquent
rien. Mais curieusement, les
N’AVEZ-VOUS PAS RISQUÉ LA RUINE ?
joueurs ne sont jamais ennuyés
J’ai toujours consacré un budget
prédéfini aux jeux. Si je ne l’ai
pas, je fais une période de
carême. Par contre, si je l’ai, je
remets et je repars. Je n’ai
jamais mis en cause l’économie
familiale pour le jeu. J’ai gagné
pas mal d’argent, le bilan est
largement positif.
par la justice.
PROPOS RECUEILLIS PAR
JÉRÔME LEPEYTRE
Chez soi, on est libre de faire à
peu près ce que l’on veut. Le
délit commence à partir du
moment où une personne
organise régulièrement des
parties chez elle et qu’elle
touche un pourcentage sur
l’argent échangé.
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
“J’AI EU
TROP
PEUR”
BORDEAUX...
POUR NE PAS JOUER. P OUR NE
PLUS JOUER . A CE SPORT, LA
PÉTANQUE, QUE CERTAINS PRÉFÈRENT
ILLÉGALE. Un temps, Sébastien (à
L EST REVENU À
I
DE
VILAINS
21
« Dans un tournoi, on arrive
avec son coach, on boit l’apéro,
l’ambiance est sympa. Puis on
joue. Il y a d’abord des poules
qualificatives, puis des matchs
éliminatoires. C’est comme un
tournoi quelconque en fait ».
Quelconque... Sauf que cela se
joue sur des chantiers, des terrains vagues ou dans des souterrains, qu’en arrivant « on pose
les billets sur la table », et
qu’en partant, ce n’est pas une
coupe qu’on emmène, mais de
l’argent. Beaucoup d’argent.
« Ou pas du tout ».
« Au début je gagnais souvent,
donc j’avais des tunes. Lors de
certaines compétitions je pouvais gagner jusqu’à 15 000 F.
En une soirée. Et encore, j’étais
chez les jeunes. Les anciens,
c’est un tout autre niveau ».
Sébastien flambe. Il paye des
pots à tout le monde, offre des
week-ends de rêve à ses amis.
« Je leur payais tout : l’hôtel, la
menaces proférées par les
« grands pontes » du réseau, des
pressions répétées par le
coach... Les jeux d’argent ne
sont pas sans danger. « Les gens
qui organisent ça appartiennent
à des organisations criminelles.
Il ne faut pas rigoler avec eux.
Et je l’ai très vite appris à mes
dépends ».
Sébastien commence à perdre,
il s’endette, s’attire les foudres
de « sa » hiérarchie. « Je ne
vivais plus. J’avais peur. On me
faisait comprendre que j’avais
intérêt à rembourser. Mais à
chaque défaite je devais encore
un peu plus d’argent. » Envie de
laquelle il a grandi. Ici, les parties de boules mafieuses sont
« rarissimes », les sommes sont
« ridicules ». Ici, il oublie. « Je
n’ai jamais craqué. On m’a proposé une fois ou deux, mais j’ai
refusé. Cela existe, mais sans
bouffe, les sorties, l’alcool... Il
suffisait de trouver un grand
frère qui avait une voiture et on
partait. Quand on allait en boîte,
j’achetais deux, trois bouteilles
pour épater les filles. » Ses
parents ne se doutent de rien.
Ils croient que c’est ce qu’il
gagne au marché, où il travaille
depuis quelques temps. « C’est
la belle vie, l’argent facile.»
Mais ce n’est pas de tout repos.
« Les veilles de tournois, j’arrivais pas à dormir. J’étais excité
par le jeu, et surtout par la peur
de perdre. Parce que là, c’est
pas la fierté qui est en jeu...
C’est le porte-monnaie. » Et
parfois plus. Des doigts explosés à coup de boules, des
partir ? De fuir ? « Non, parce
que ces gens ont des réseaux
partout. » Prisonnier des boules,
comme un toxicomane de la
drogue... « Sauf que moi j’étais
pas dépendant. Je pouvais partir
quand je voulais... A condition
de rembourser ». Ce qu’il fait. A
dix-sept ans, quelques précieuses victoires lui permettent
de s’affranchir de ses dettes. Il
doit alors choisir : « Je pouvais
continuer. Mais j’avais eu trop
peur... J’avais trop peur ».
Sébastien abandonne l’argent
facile, oublie la vie de « nanti ».
La crainte de « retomber » le
pousse à fuir. « C’est pas que
j’étais accro, mais tout de
même... Quand on sait qu’on
excès. Bordeaux n’est pas Marseille ». Et les autres jeux ?
« Non, ni casinos, ni Loto, ni
jeux clandestins. Cela ne m’a
jamais attiré ». Juste quelques
parties de jeu de rôles, qu’il a
toujours pratiqué. « Je n’ai
jamais été accro au jeu. Ce qui
peut gagner de l’argent si facilement... »
Mais où aller ? Il lui faut trouver
une région dans laquelle il ne
sera pas tenté. Ce sera Bordeaux, sa ville natale dans
“Il faudrait que je me retrouve
à la rue, sans un sou,
pour recommencer”
m’intéressait dans la pétanque
clandestine, c’était l’argent.
Bien sûr, il y a l’excitation, mais
ce n’est pas essentiel ».
Aujourd’hui, Sébastien a 28
ans. Il a un boulot, un appart, et
quelques problèmes avec le
fisc. « Une vie normale, quoi ».
Ici ou là, il participe à des parties de pétanque, « pour le plaisir, en famille ». Le démon du
jeu qui ne l’a jamais vraiment
habité n’est pas envahissant,
celui de l’argent se fait discret.
« Je ne veux plus y toucher ».
« Il faudrait que je me retrouve
à la rue, sans un sou, pour
recommencer ». Mais à ce
moment-là, « je partirais de
Bordeaux ».
RÉMI CARAYOL
PHOTO JOSE RODRIGUES
sa demande, son nom a été
changé) a fait partie de ceux-là.
Un temps...
Il a quinze ans et vit dans la
région marseillaise lorsque des
« formateurs » du club dans
lequel il joue le repèrent. Sébastien est doué pour la boule, il
peut donc rapporter gros. Très
vite, il est « intronisé » dans la
confrérie : celle de ces nombreux joueurs de pétanque qui
gagnent leur vie dans des tournois officieux et souvent illégaux. « C’est simple, explique
Sébastien. On a un coach qui
MORDUS
ENQUÊTE
JEUX...
nous suit tout le temps, qui
organise notre emploi du temps
et nous dit où jouer tel ou tel
jour ». Une sorte d’impresario
qui prélève un pourcentage sur
ce que Sébastien gagne, et qui
lui prête éventuellement de l’argent lorsqu’il en manque.
22
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
LUDOPATHIE :
PHOTO D.R.
RIEN NE VA
PLUS
Game
Over
Lorsque l’appel de la machine
à sous se fait lancinant, que le
liaux, etc. Il existe différents
types de joueurs : certains proviennent d’une famille dans
laquelle l’argent tient une place
très importante, soit qu’il
manque, soit qu’il masque des
carences affectives.
Pour d’autres, le jeu compulsif
est une transgression, qui
témoigne d’une difficulté à intégrer la loi, à respecter la fonction paternelle.
MARC VALLEUR, PSYCHIATRE, CHEF DU
R
ENCONTRE AVEC
SERVICE TOXICOLOGIE
À
L’HÔPITAL
MARMOTTANT (PARIS) ET
SPÉCIALISTE DE CETTE “TOXICOMANIE
SANS DROGUE”.
D’OU VIENT LE JEU ?
A l’origine, le jeu a un caractère
sacré, il marque l’affrontement
entre les puissances supérieures, les Dieux, le destin, et
le pouvoir de l’homme, qui tente
de reprendre le contrôle de sa
vie. Certains jeux, comme les
dés, avaient un caractère divinatoire.
Il a conservé ce caractère
« ordalique (1) » : certains
joueurs pathologiques s’infligent des épreuves pour voir quel
est le verdict des puissances
supérieures, être punis ou
récompensés selon qu’ils perdent ou gagnent.
QUELLE
EST LA PLACE DU JEU DANS
NOTRE QUOTIDIEN
?
L’homme a besoin de jouer, il a
besoin d’un espace et d’un
temps qui permettent une respiration par rapport au temps
social. Pour le sociologue Roger
Caillois, le jeu ne s’oppose pas
au sérieux, mais à la réalité !
Autrefois, en sortant du travail
on allait au bistrot, ça marquait
la frontière entre le travail et la
vie privée. Aujourd’hui, la relation au jeu s’apparente pour certains au rapport à la nicotine :
jeux à gratter, Loto, représentent
quelques minutes passées hors
de la réalité. Par ailleurs, le jeu
investit aussi les lieux de travail : avec le « casse-brique »
sur ordinateur, ou le solitaire,
beaucoup de gens jouent au
bureau.
QUAND
LE JEU DEVIENT- IL UNE
MALADIE ?
CERTAINS
JEUX SONT-ILS PLUS PRE-
Lorsque le jeu de hasard ou
d’argent prend une place prépondérante dans la vie du
joueur, il finit par dévorer son
temps, son argent, sa vie affective. Il devient alors joueur compulsif, ou « ludopathe ».
La définition officielle parle
d’une « pratique inadaptée,
persistante et répétée du jeu »,
qui peut se manifester par différents symptômes : une préoccupation obsessionnelle, non maîtrisable du jeu, le recours au
mensonge ou à l’escroquerie
pour assouvir sa passion, la
mise en danger des rapports qui
existent entre l’individu et son
milieu…
Tout commence par une « lune
de miel ». La sensation du jeu
s’apparente à la cocaïne, qui
produit une
émotion,
une excitation
violente. Le
joueur croit
qu’il
va
résoudre
ses
problèmes par ce biais. Ensuite
naît le besoin de rejouer, de «
se refaire », ça coïncide avec
une phase de perte. Puis c’est la
phase du désespoir, la fuite en
avant qui peut conduire le
joueur à la délinquance, au suicide… Ou à la prise de
conscience.
NANTS QUE D’AUTRES
?
Oui, la machine à sous par
exemple. Il s’agit d’un dispositif
totalement aléatoire, mais le
joueur est en général convaincu
du contraire. D’une part, il est
convaincu qu’il existe une
logique pseudo-mathématique,
que la machine est réglée pour
reverser régulièrement ses
gains, ou qu’une machine qui
vient de gagner est «vide », ce
qui est faux. D’autre part, il est
convaincu d’avoir une influence
sur le cours des événements.
C’est pour cela que les bandits
manchots possèdent encore un
levier manuel : le joueur croit
qu’il peut influer physiquement
sur le résultat ! Plus il y croit,
plus il s’accroche : « Puisque
c’est moi qui suis responsable
(de mes gains
ou de mes
pertes), je peux
être meilleur, je
serai
meilleur… »
En
résumé,
plus le jeu
donne l’illusion
de l’interactivité, plus celui-ci
est addictif. A cela s’ajoute un
caractère hypnotique dû à la
répétition, et à l’attente du gain.
“Aujourd’hui,
la relation au jeu
s’apparente
à la nicotine”
QUI
SONT LES JOUEURS PATHOLO -
GIQUES
?
Une étude menée auprès de
l’association SOS Joueurs (2)
présente un profil plutôt masculin, d’âge moyen (entre 40 et
44 ans), marié avec des enfants,
souvent endetté…
Comme toutes les toxicomanies,
celle-ci est liée à plusieurs facteurs : psychologiques, fami-
claquement sec des cartes sur
le tapis devient obsession, deux
solutions pour se faire refuser
l’accès au paradis des jeux :
• L’INTERDICTION TEMPORAIRE : Le
joueur demande à la direction
du casino qu’il fréquente…
de lui en interdire l’accès. Le
personnel de l’établissement
doit pouvoir reconnaître
physiquement l’impétrant,
EST-CE
UN
EXPANSION
?
PHÉNOMÈNE
EN
Plus il y a de joueurs, plus il y a
de joueurs dépendants… Et les
chiffres présentés par la Française des jeux ou les casinos
sont
en
augmentation
constante ! Par ailleurs, de nouveaux types de jeux apparaissent. En réseau sur Internet, ou
en vidéo, ils touchent aujourd’hui les adultes.
Le problème, c’est que la ludopathie n’est pas très reconnue
en France. Les psychiatres qui
travaillent sur le phénomène
sont payés pour traiter d’autres
formes de dépendance. Alors
que, paradoxalement, cette
« toxicomanie sans drogue »
représente une source de profit
considérable pour l’Etat, qui
contrôle le système des paris et
des casinos.
PROPOS RECUEILLIS
PAR NICOLE LÉVIGNE
et est habilité à lui refuser
l’entrée. Une mesure plutôt
aléatoire, puisque le joueur
peut à tout moment revenir sur
sa décision, et en demander
l’annulation… Pour la plus
grande joie du casino, s’il s’agit
d’un gros joueur.
• L’INTERDICTION DE FRÉQUENTATION
DES SALLES DE JEU DE HASARD
:
c’est l’appellation officielle des
renseignements généraux.
Le joueur s’adresse alors aux
services de police pour une
interdiction valable sur tout le
territoire français pour une
durée de 5 ans, non révocable.
Là aussi, tout est relatif :
il n’existe pas de contrôle
d’identité systématique
à l’entrée des casinos,
particulièrement pour les
machines à sous. Si le joueur
(1) L’ordalie désigne le jugement de Dieu. La conduite ordalique consiste à s’engager de
façon plus ou moins répétitive
dans des épreuves comportant
un risque mortel.
(2) SOS Joueurs, tél. 01 43 33
10 77.
gagne une somme au moins
équivalente à 1 500 euros, il
sera découvert, mais le casino
est tenu de lui verser le
jackpot !
N. L.
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D. R.
“… AUTREFOIS JE BOUGEAIS BEAUCOUP , ma vie était trépidante.
P
ATRICK JOUE DEPUIS
CET
TACLE DE
D ’ARRÊTER
15
ANS.
INTERMITTENT DU SPEC-
43
ANS A DÉCIDÉ
DEPUIS
QUELQUES
« Lorsqu’on entre
dans un casino, c’est l’excitation
qui prime ; une petite voix
répète sans cesse “ça va bien se
passer.”
On
commence à
jouer et le
temps se met à
défiler très vite.
Le jeu donne
l’impression
trompeuse
d’exister, mais
en fait c’est de
l’autisme, tu es
seul face à une
machine qui va
t’arnaquer…
Ça se passe
souvent dans des lieux sordides,
ça pue la clope et la transpiration. Et quand on lève les yeux,
on trouve les gens moches, avec
leurs petits rêves, leurs petites
pertes… Et toi aussi tu te
trouves très moche. »
Dix, quinze heures par jour,
SEMAINES.
Maintenant, avec les enfants, le
quotidien… C’est terrible, mais
un vide s’est creusé. Avec le jeu,
le but c’était de retrouver l’adrénaline, le “quelque chose qui
arriverait” pour combler le vide.
A chaque nouvelle donne, le
suspense est renouvelé, il faut
tenter à nouveau de maîtriser le
hasard. »
Plusieurs fois par semaine, au
gré des tournages qui l’emmè-
jours réussi à dégager quelques
heures pour aller au casino s’il y
en avait un à moins de
50 bornes… »
Plus de temps, plus d’argent, le
glissement est progressif.
Patrick se souvient d’une aprèsmidi « cauchemardesque. Je
perdais beaucoup, le temps passait, j’avais vidé la carte
bleue… Je suis allé retirer de
l’argent au guichet de la
banque, je me sentais criminel,
honteux. »
Depuis le début de cette année,
il a perdu 3 800 euros. Une
perte qu’il a caché à sa femme,
comme toutes les précédentes,
non sans culpabilité : « Je
pense à tout ce que j’aurais pu
faire avec cet argent, offrir des
voyages à ma femme et ma
fille… » Au-delà du mensonge,
le jeu est pour lui « une bonne
école du vice en général ». L’argent n’a plus de valeur, pas plus
que les moyens de se le procurer… « C’est de l’argent facile,
quand on gagne, c’est normal
qu’on le flambe. Quand on perd,
on arrive très vite à escroquer
son entreprise ou à sombrer
dans la délinquance pour payer
ses dettes… » Il a su s’arrêter
avant l’irrémédiable, « par
amour pour sa famille ». Un
accident de ski le cloue à la
maison pendant trois semaines,
trois semaines d’abstinence et
de « désintox’ ». « Aujourd’hui je suis décidé à arrêter le
jeu, mais rien que d’en parler,
ça me fend le cœur ! Avec la
multiplication des
casinos, ça rend les
choses encore plus
difficiles. »
Reste à « combler
le vide », en trouvant sa méthadone :
Patrick a repris le
théâtre. Ses amis et
lui ont le projet de
monter « En attendant Godot ». Une
pièce sur l’absurde,
l’espoir et l’illusion.
JOUE,
PERD ET
MANQUE
N. L.
nent dans toute la France, il
poursuit son obsession. Avant
de jouer – on y pense tout le
temps – mais aussi pendant les
nuits insomniaques, hantées par
des sarabandes de Dix / valet /
As…
« On bâcle son travail. J’ai tou-
DE
MORDUS
DE
VILAINS
23
Sous la pression de son éditeur,
tout parieur.
Fédor Dostoïevki a dû écrire
Perte ou gain, le jeu devient,
“Le Joueur” en une vingtaine
pour la bonne société de
de jours, dans les années 1860.
Roulettembourg, le substrat
Pour les psychothérapeutes
symbolique du destin. Il est vécu
comme pour les ludopathes,
comme “quelque chose de fatal,
le tableau clinique esquissé par
de prédestiné”, et dont le libre-
DOSTOÏEVSKI
OU LA ROULETTE
RUSSE
assis devant une machine à
poker, sans boire ni manger. Les
muscles douloureux, le regard
rivé à cet assemblage de ferraille et de plastique qui devrait
dispenser la chance avec un peu
d’équité. Pourquoi pas moi ?
« J’avais le sentiment d’avoir
de la chance… au début. Et
puis un jour je suis arrivé dans
un casino où le type devant moi
au guichet venait de gagner le
jackpot. Je me suis dit : “Il n’y
a pas la place pour lui et moi…”
Et je suis allé dans un autre
casino. Re-belote, le type à côté
de moi a gagné. Et j’ai pris ça
pour un signe du destin, Dieu
me parlait, il me signifiait que
ma chance était passée… »
Il y a quinze ans, Patrick était
un « petit joueur », quinze
minutes par-ci par-là au casino
de Cannes. Petit à petit, sa vie
se construit : une femme, une
fille, une carrière avec maison,
coupé et revenu fixe. L’ancien
soixante-huitard perd ses
repères.
D ’ACT E U R S
l’écrivain en moins
arbitre est exempt : “celui qui
de deux cents pages
s’engage (…) sur cette voie,
est d’une lucidité,
descend de plus en plus
d’une précision
rapidement, comme s’il dévalait
saisissante. Alexis
en traîneau du haut d’une pente
Ivanovitch vit sa
neigeuse”.
manie de la roulette dans un état
Si Dostoievski décrit si bien le
proche du délire, de l’ivresse,
phénomène, c’est qu’il était lui-
s’affirmant victime d’une “auto-
même un ludopathe et a connu
intoxication par l’imagination”.
ces jours infernaux où “vos
Pour autant, cette possession
rêves, vos désirs quotidiens ne
“par le désir de gagner” est loin
vont […] pas plus loin que pair
de dégager le personnage de
et impair, rouge, noir”, où l’âme,
toute responsabilité, bien au
sans cesse, “exige des
contraire. Ce n’est pas à propre-
sensations nouvelles, de plus
ment parler un sentiment de
en plus violentes, jusqu’à
culpabilité qui envahit le joueur
l’épuisement total”.
dostoievskien, mais plutôt
Envisageait-il l’écriture du
l’impérieuse nécessité de la
Joueur comme un exorcisme ?
punition et son corollaire, le
Peut-être… Sans doute sa
plaisir masochiste : “On trouve
fulgurance, semblable à celle
une délectation dans le dernier
des tours de roulettes, en aura-
degré de l’abaissement et de
t-elle annihilé toutes les vertus
l’humiliation”, ne peut-il que
curatives.
soupirer, comme si perdre était
finalement le but véritable de
NICOLAS FAUCHER
JEUX...
A
UJOURD ’ HUI
DEVRONT
MÊMES
DE
BORDELAIS
ENCORE,
RÉPÉTER
GESTES
ILS
LES
QU ’ HIER.
Répéter pour tenter de se souvenir, pour ne pas oublier, car tous
ici, ou presque, n’ont plus la
notion du temps, ni même
conscience de ce qui les
entoure. Tous ici souffrent de la
maladie d’Alzheimer.
À la Clé des âges, l’après-midi
s’est installée et avec elle le
temps des activités. On éteint la
télévision sous les protestations
de quelques-uns, on réveille
ceux qui se sont assoupis dans
les grands fauteuils, les ateliers
peuvent commencer. Jouer pour
ne pas oublier, tel est le but de
l’exercice.
Cinq personnes ont pris place
dans une petite salle. L’animatrice donne les consignes : « Je
vous donne un sachet avec des
petits grains dedans. Vous
entendez le bruit que ça fait ? »
Aucun participant ne porte l’objet à son oreille. « Vous regardez
quelqu’un dans les yeux, pendant un petit moment, et vous
lui lancez votre sachet de toutes
vos forces, mais sans vous
lever. » Moment d’hésitation
dans la salle. Une dame
s’avance : « Ah ! chic, on va
jouer ». Elle jette le petit paquet
sur les genoux de sa voisine.
« Non ! sans vous lever. Et on
regarde l’autre pendant un petit
moment. Il faut écouter ce que
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
DES GRAINS
ET DES BALLES
POUR NE PAS
OUBLIER
je vous demande et respecter la
consigne. »
L’exercice se termine, puis se
succèderont des jeux de balle,
d’adresse et d’assouplissement.
Chacun d’entre eux nécessite
énormément de temps pour être
réalisé correctement.
À l’écart, un autre groupe a pris
place autour d’une grande table.
Sur la nappe en plastique,
chaque joueur a disposé devant
lui un petit tas de jetons de couleur. Au centre, une grande
planche en carton, qui comporte
des chiffres, sert de base au jeu.
Les dés roulent sur la table et
s’écrasent contre le carton :
« Alors, j’ai fait cinq plus six,
donc ça fait onze ». Consciencieusement, le vieil homme
compte et fait tomber les pastilles dans le creux de sa main,
puis les dépose soigneusement
sur le chiffre correspondant.
L’animatrice encourage d’un
sourire, et désigne le joueur suivant.
La journée s’achève sur un goûter qui sert de prétexte aux animateurs. « Je vais vous faire
sentir des aliments et vous allez
me dire ce que c’est. » Certains
n’arriveront pas à reconnaître
l’odeur du café ou même celle
du chocolat. Demain, ils reviendront jouer avec les mots, exercer leur mémoire, travailler leur
corps. Mais demain, les animateurs le savent, il faudra tout
reprendre à zéro.
La maladie
d’Alzheimer
Fondé il y a douze ans, le
service d’accueil de jour de
La Clé des âges à Pessac tend à
favoriser le maintien à domicile
de la personne isolée, fragilisée
ou en perte d’autonomie
psychique ou physique. Sur les
quarante patients qu’elle
accueille, 85 % d’entre eux
VALÉRIE ANTON
souffrent de la maladie
d’Alzheimer. Une affection,
identifiée en 1907, par un
médecin allemand, Aloïs
Alzheimer, qui provoque la
dégénérescence des cellules
nerveuses. Le cerveau a de plus
en plus de mal à analyser les
informations venant du monde
extérieur et à les utiliser de
manière adaptée. En France, la
maladie d’Alzheimer touche
plus de 3 % des personnes
âgées de plus de 65 ans (entre
300 000 et 350 000 personnes).
PHOTOS : ALEXANDRE MARSAT
24
On estime que la progression de
la maladie est d’environ 60 000
cas par an.
Sources : www.medisite.fr
et www.imalzheimer.com
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
25
“C’EST
L’ALLUMETTE
QUI VA TOUT
DÉCLENCHER”
A
UDE
LORMANT, PSYCHOGÉRONTOLOGUE ET RESPON-
SABLE DE SERVICE, S’OCCUPE EN COLLABORATION
AVEC QUATRE ANIMATEURS DE L’ORGANISATION DES
ACTIVITÉS AU SEIN DE LA CLÉ DES ÂGES.
LE
JEU EST DE PLUS EN PLUS EXPLOITÉ DANS LE MILIEU
MÉDICAL. QUELS SONT CEUX QUE VOUS UTILISEZ ?
« Nous proposons beaucoup de jeux, chacun
d’entre eux étant adapté bien évidemment aux
capacités restantes de chaque patient. La plupart
de nos résidents ne peuvent plus, la maladie étant
très avancée, participer à certaines activités.
Avec le jeu de dés par exemple, qui fait appel à la
réflexion et au raisonnement, nous travaillons le
cognitif. Ils nous permettent aussi d’explorer le
domaine social. La maladie d’Alzheimer a en effet
tendance à désocialiser la personne malade. Le
patient devient intolérant, petit à petit, il supporte
mal la présence de l’autre, il en a peur. En s’amusant tous ensemble autour d’un même jeu, ils réapprennent à échanger. Ils sont également obligés de
faire preuve de civisme : on ne triche pas, on ne
râle pas, on attend son tour, on respecte les règles
et les consignes données par les animateurs, c’est
une démarche qui relève vraiment du rôle social. »
MAIS
PHOTO V. A.
CELUI
QUI RIT,
CELUI
QUI PLEURE
QUE PROPOSEZ- VOUS ALORS AUX PERSONNES QUI
N’ONT PAS LA POSSIBILITÉ DE PARTICIPER À CES JEUX DE
SOCIÉTÉ
?
OUL TABOUL ENFILE SA SALO-
« Ils participent à des jeux d’éveil. Dans la majorité
des cas, ce sont des personnes qui ont des problèmes d’orientation et d’équilibre liés bien évidemment à la maladie. Ils n’ont, par exemple, plus
conscience qu’ils peuvent tomber et surtout ils
n’ont plus le réflexe de mettre ne serait ce que les
mains en avant pour se protéger. Dans le milieu
médical, on a tendance à dire “vous tombez ? on
vous attache”, nous ici on leur dit “vous tombez ?
On va vous montrer que vous êtes encore capables
d’avoir des réflexes”. Avec cet atelier, on travaille
la détente musculaire et les réflexes. Ils doivent par
exemple lancer un petit cerceau vers une cible
désignée au préalable. J’utilise également des jeux
de ballons pour développer la mobilité des
membres. Ils se lancent chacun leur tour un petit
ballon de mousse en essayant de lever le bras le
plus haut possible. »
L’UTILISATION DE CES ACTIVITÉS VOUS A-T-ELLE PERMIS DE
CONSTATER DES AMÉLIORATIONS CHEZ CERTAINS PATIENTS ?
« Ces ateliers n’ont pas d’autres buts que d’aider
les personnes à rester autonomes, le plus longtemps
possible, malgré la maladie. Le jeu a permis à
beaucoup de nos patients de retrouver un certain
entrain. En jouant, ils ont renoué un lien social
avec l’autre, ils ont repris confiance en eux car ils
réussissent des exercices de calcul mental par
exemple. Les familles nous disent que leurs
proches s’intéressent à nouveau à tout ce qui les
entoure, certains redeviennent avides de connaissances. Pour nous, le jeu est un formidable médiateur. Il nous permet de travailler les points faibles
de chacun. Ce n’est en aucun cas une finalité, c’est
l’allumette qui va tout déclencher. »
PROPOS RECUEILLIS
PAR V. A.
R
PETTE,
TROIS
FOIS
GRANDE POUR LUI,
TROP
CAPUCINE
AJUSTE SA JUPE MULTICOLORE ET
YAGO
TERMINE
D ’ATTACHER
SES
Accroupi devant son
petit miroir, Tic Toc, alias
Jacques Langlade, se grime. Il
doit au moins chausser du 72.
Consciencieusement, il souligne
ses yeux au crayon noir, enfonce
jusqu’aux oreilles son chapeau
vert à tête de lion, et se glisse
dans sa redingote à carreaux
jaune et mauve. Un dernier petit
détail mais essentiel : le nez
rouge. A l’écart du bruit, derrière une porte, les clowns de
l’association « Pour Rire » se
préparent, personnages étranges
dans ce décor de l’hôpital Pellegrin réservé aux enfants
malades. Depuis trois ans, la
troupe travaille avec l’association Animation et loisirs à l’hôpital (ALH) pour distraire, le
temps d’une après-midi, ces
gamins hospitalisés.
« Ils attendent notre venue avec
beaucoup d’impatience, raconte
une bénévole d’ALH. Ils sont
souvent là avant nous. En
s’amusant, ils oublient la maladie et parfois même la douleur.
Le jeu est un dérivatif pour eux.
Et puis, c’est l’occasion aussi de
se retrouver entre eux. On leur
propose des jeux de société, du
découpage, du dessin pour les
plus petits. On essaie de varier
les jeux mais surtout de s’adap-
COUETTES.
ter à leur demande, à leurs
envies parce qu’ils ne sont pas
là pour se casser la tête. On utilise les thèmes comme carnaval
ou halloween pour leur organiser des activités. »
Autour de la table, les enfants
confectionnent des poissons
d’avril en carton, d’autres jouent
aux jeux vidéo. Mais pour les
enfants qui n’ont pas la chance
de participer à ces activités, les
clowns ont tout prévu.
Sixième étage. Ici, les enfants
n’ont plus de cheveux. La majorité d’entre eux sont alités, les
traitements ont eu raison de
leurs forces. Accompagné par
ses acolytes, Tic Toc dandine
ses fesses et entame une danse
rigolote. Au milieu du ballet des
blouses blanches, le spectacle
est un peu surréaliste. Les
clowns se dirigent vers une
grande baie vitrée. De l’autre
côté, une petite fille leur sourit.
Pendant plus de cinq minutes,
les artistes vont déployer toute
la palette de leur talent pour
soutirer un rire à l’enfant. Carole
est en chambre stérile. Seul un
interphone la relie aux clowns
qui grimacent en face d’elle.
Coco et Capucine simulent une
dispute et rient de bon cœur.
Elles soufflent quelques bulles
de savon avant de partir, puis le
store se referme. Jusqu’à jeudi
prochain.
V. A.
« On est un
maillon vers
la guérison. »
Assis devant l’hôpital des
enfants, Jacques Langlade n’a
pas quitté son habit de clown,
comme une deuxième peau.
Une après-midi par semaine, le
président de l’association
« Pour Rire », égaye, avec sa
troupe de gais lurons, le quotidien des enfants hospitalisés :
« L’association est née d’une
expérience personnelle. A
l’âge de vingt-huit ans, je suis
tombé gravement malade. J’ai
mis quatre ans pour m’en sortir. A ce moment-là, je me suis
promis de consacrer ma
retraite aux enfants qui souffrent, mais je ne savais pas trop
comment faire. Un soir, j’ai vu
un reportage sur l’association
parisienne Le Rire Médecin et
là, le déclic. Je me suis dit,
c’est ça que je veux faire. »
Fonctionnaire dans la vie et
pré-retraité, Jacques Anglade
consacre la majeure partie de
son temps libre à faire rire les
enfants. Car pour lui comme
pour ses compagnons de route,
le jeu est essentiel dans la voie
du rétablissement : « Le jeu
entraîne l’enfant dans l’imaginaire. Il s’évade et oublie qu’il
est à l’hôpital. Avec le jeu et
donc le rire, on insuffle du
positif. Et plus un enfant est
heureux plus il est facile à soigner. Je suis persuadé que
nous sommes un maillon dans
la thérapie, un maillon vers la
guérison. » « Je me souviens
d’un épisode qui m’a énormément marqué. Après avoir
demandé l’autorisation aux
infirmières, on entre dans une
chambre. Après quelques
minutes de jeu, l’enfant se met
à lancer des bribes de mots, et
d’un seul coup la mère s’effondre en larmes. On a appris
ensuite que ça faisait huit mois
qu’il ne parlait plus. Si on peut
arriver à aider ces gamins, c’est
génial. »
26
JEUX...
“À
DE
BORDELAIS
TRAPE- TRAPE ,
CELUI
QUI ATTRAPE, ATTRAPE
QUELQU’UN ET C’EST À
explique
une petite fille de CP de l’école
primaire Albert Schweitzer.
C’est simple, ce n’est pas nouveau et il suffit d’être plusieurs
pour y jouer. Les enfants euxmêmes le reconnaissent, ce sont
« toujours les mêmes jeux qui
reviennent » dans les cours de
récréation.
La marelle a toujours la cote
chez les filles, même si
quelques CM2 la jugent puérile.
« Ça fait bébé de sauter comme
ça », rigole une adepte du foot.
« Ce que j’aime ? C’est quand je
saute », disent invariablement
les autres. La corde à sauter
devrait, selon Pierre Gillet, le
directeur de l’école, réapparaître avec les beaux jours.
Quant à l’élastique, il reste de
CELUI - CI D ’ATTRAPER”,
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
1, 2, 3…
MARELLE
bon ton sous les préaux. « Les
jeux restent, mais les règles évoluent », souligne l’enseignant.
« Si vous les regardez sauter à la
corde, vous verrez toujours de
nouvelles figures, des choses
que les enfants inventent. » Les
élèves se transmettent ces jeux
anciens tout seuls – « les grands
apprennent aux petits » – ou par
gées et conservées précieusement au fil des victoires et des
défaites. Ephémères, soumis à
la télévision et aux stratégies
commerciales, les jeux de cartes
sont menacés en permanence de
ringardise. Ainsi les célèbres et
déjà vieux Pokémon sont relégués au rang de « jeux démodés,
pour les bébés ». Leurs succes-
“On attrape les garçons
et on les tape”
l’intermédiaire de leurs parents.
Seules les billes semblent vraiment tombées en désuétude.
« Les enfants ont besoin d’avoir
des pratiques de jeux simples et
pas trop coûteuses », estime
Pierre Gillet. Les billes, qui exigeaient des enfants qu’ils sacrifient une partie de leur argent de
poche, ont peut-être été remplacées par les cartes liées aux dessins animés, elles aussi échan-
seurs, les Digimon, ont complètement disparu des mémoires,
tandis que les produits dérivés
d’Harry Potter et du manga Dragon Ball Z ont encore quelques
beaux jours devant eux.
Mais qu’ils soient interdits ou
tolérés par les instituteurs, ils
ne parviennent pas à faire l’unanimité comme les bonnes
vieilles bagarres. « On attrape
les garçons et on les tape, c’est
DE
MORDUS
DE
VILAINS
Le roi des jeux
un jeu », expliquent les unes.
« Et nous, on tape les filles »,
répondent les autres. « On a mis
un revêtement souple dans une
partie de la cour, confirme
Pierre Gillet. C’est là qu’ils
commencent à jouer à la
bagarre, et ça finit toujours très
mal. »
Les activités sportives, auxquelles les instituteurs les initient, sont aussi considérées
comme des jeux. Le foot rassemble évidemment les garçons,
et une partie des filles. Et certaines de ses variantes rencontrent un succès inattendu : « on
joue au papier aluminium »,
explique un garçon, ravi de sa
trouvaille, en lançant à son
copain la balle qu’il a fabriqué
avec l’emballage de son goûter.
LISA GIACHINO
Lassés des Pokémon, les CM1CM2 anticipent sur la mode. Ils
attendent le jeu de cartes
inspiré d’un nouveau manga,
“Yughio”, ou “le roi des jeux”.
C’est l’histoire de Yugi, un
garçon timide et chétif qui
découvre un puzzle millénaire
dans le magasin de jouets de
son grand-père. Il est alors doté
de pouvoirs magiques et d’une
double personnalité, qui lui
permet d’affronter ses rivaux et
d’aider ses amis en échangeant
des cartes avec eux. Comme les
Pokémon ou Dragon Ball Z, le
manga a donné naissance à une
série de produits dérivés, dont
un jeu de cartes illustrées. “On
le voit à la télé, mais les cartes
sont encore en Chine, elles
sortiront vers 2003-2004”,
annoncent les jeunes amateurs.
PHOTO J. M.
DANGER
SUR
LA RÉCRÉ
ANS LA COUR DE RÉCRÉATION,
D
LES
ENFANTS
LAISSENT
ÉCHAPPER LEUR TROP PLEIN
qu’ils ont dû retenir
en restant scotchés sur leur
chaise de classe.
Mais quand le défoulement vire
au drame, personne ne comprend plus ce qui se passe dans
la tête des élèves des primaires
et collèges.
D’ÉNERGIE,
Les nouvelles distractions des
cours de récré s’appellent « le
petit pont massacreur », « la
gardav » (contraction du mot
garde à vue) ou « le jeu de la
canette » et l’aspect ludique a
été totalement gommé au profit
de la violence gratuite. Le principe de ces jeux est toujours le
même. Un élève est choisi au
hasard. Quelqu’un lui envoie un
objet dessus qui peut être une
canette de soda vide ou un bouchon de stylo. Si l’enfant ne
bloque pas le projectile, il reçoit
les coups de ses camarades. Ce
drôle d’amusement peut finir à
l’hôpital comme ce fut le cas en
novembre 2001 pour un collégien du Var.
Ces jeux sont entourés de
silence et bien souvent c’est un
incident qui conduit à révéler
ces pratiques aux yeux du grand
public. Le jeu du foulard aurait
pu rester dans le secret des
cours de récréation s’il n’avait
pas fait de victimes. On estime
que pour l’année scolaire écoulée, douze enfants sont morts en
le pratiquant. Ce jeu consiste à
freiner l’irrigation sanguine du
cerveau en compressant la carotide avec un foulard. Parfois
appelé « rêve indien » ou « jeu
des poumons », il provoque des
évanouissements qui peuvent
conduire à la mort. Certains
symptômes, comme des traces
dans le cou, de violents maux de
tête ou un manque de concentration peuvent alerter les
parents.
A Bordeaux, il semblerait que
ces pratiques n’aient pas fait de
victimes. Aucun de ces actes
dangereux n’ont été rapportés
aux fédérations de parents
d’élèves. Pourtant, du côté de la
Fédération des conseils de
parents d’élèves (FCPE), de
l’Association des parents
d’élèves des écoles publiques
(PEEP), comme de l’Inspection
académique, on a conscience
que si de tels jeux existent dans
d’autres académies, il est possible qu’ils se pratiquent à Bordeaux mais qu’ils ne soient pas
dénoncés.
Pour que les cours de récréation
résonnent des rires des enfants
et non plus de leurs pleurs, la
vigilance et la prévention restent les solutions les plus adaptées contre ces nouvelles violences scolaires.
JULIE MARTINEZ
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
27
“UN DÉFI
AU DÉPART,
DU PLAISIR
À L’ARRIVÉE”
PHOTO J. M.
On prend
les mêmes,
et on les pimente
Pour Elsa Loubet, “les enfants
raffolent des jeux où l’on
s’attrape, s’affronte ou se
cache”.
Parmi ces jeux, trois sont bien
connus des cours de récréation.
Mais Elsa utilise leurs versions
pimentées...
Champion toutes catégories, le
bulldog, variante musclée de
l’épervier : le terrain est divisé
en deux camps séparés. Au
début de la partie, tous les
enfants sont réunis dans le
même. Ils doivent réussir à
gagner le second sans se faire
prendre par “l’épervier” qui se
tient au milieu de la surface.
Tous les joueurs attrapés
deviennent à leur tour épervier.
Le bulldog applique les mêmes
règles, sauf qu’ici tous les
D
EPUIS
17
ANS, ELLE NE FAIT
QUE JOUER ET FAIRE JOUER.
ELSA LOUBET, 39
ANS, EST
ANIMATRICE-FORMATRICE AU SEIN DE
L’ASSOCIATION DES É CLAIREURSÉCLAIREUSES DE FRANCE.
QUELLE PLACE LE JEU OCCUPE-T-IL
DANS LA VIE DE L’ENFANT ?
Il l’aide à grandir. Petit à petit, il
lui permet de faire appel à son
imaginaire, d’élaborer des stratégies et de se positionner par
rapport à l’autre. On joue seul,
avec ou contre les autres. Le jeu
permet de se socialiser (l’enfant
va constituer, peu à peu des
alliances), il va apprendre la
compétition, à vouloir se dépasser…
coups sont permis pour
gagner : plaquages,
COMMENT
bousculades... mais à condition
SELON L’ÂGE DE L’ENFANT
bien sûr de ne pas blesser ses
petits camarades!
Autre star des centres aérés, le
cache-cache-minute. La seule
différence avec le jeu
traditionnel est une contrainte
de temps. Egalement très
apprécié par les enfants,
“accroche décroche”, énième
jeu de poursuite entre un “chat”
et une “souris”. Seulement, la
souris a la possibilité de se
faire remplacer en s’accrochant
à un autre joueur mais pas le
chat. Le pauvre est condamné à
courir sans répit, jusqu’à ce
qu’il attrape enfin une souris.
ADAPTE - T - ON LES JEUX
?
Il y a plusieurs étapes : autour
de dix-huit mois, naît le jeu
symbolique. L’enfant va utiliser
son imagination pour se créer
un monde à partir de ses jouets.
Par exemple, la poupée devient
la petite sœur.
Ensuite, c’est l’entrée à la
maternelle, et avec elle, des
jeux de socialisation. Et puis,
autour de 6-7 ans, le jeu se complique. On commence à élaborer et à respecter des règles
simples. On prend conscience
de l’autre et on bascule peu à
peu vers un jeu plus compétitif,
entre 7 et 10 ans. Les enfants en
bas âge sont complètement
ancrés dans le présent. Ils n’arrivent pas à se projeter, donc les
règles ne peuvent pas être très
compliquées. Par contre, plus
tard, au-delà du simple jeu, ils
ont besoin de se prouver
quelque-chose.
QUELS
SONT LES JEUX UTILISÉS PAR
jeux de piste ou les jeux de
camps.
Certains jeux répondent à un
thème précis. Il y en a qui permettent aux enfants de faire
connaissance comme « la balle
nommée ». Les enfants doivent
envoyer le ballon à quelqu’un
en donnant son prénom en
même temps. Après il existe des
jeux qui fonctionnent sur une
idée de protection comme « le
loup et les moutons », ça permet de souder le groupe. Ils
peuvent aussi être un moyen de
découvrir la nature. C’est le cas
des Kims goût, toucher. Ces
jeux font appel aux sensations.
On doit reconnaître les yeux
bandés, un aliment après l’avoir
goûté.
LES ANIMATEURS ?
Il y a deux grandes catégories.
Les petits jeux comme le béret
et le ballon prisonnier et les
grands jeux qui sont une succession de petits jeux réunis
autour d’une fiction. Ce sont les
COMMENT
ENSEIGNE- T - ON LE JEU
AUX FUTURS ANIMATEURS
?
On insiste sur le fait que chaque
jeu doit commencer par un
temps de sensibilisation. L’animateur ne peut pas arriver et
dire simplement « on va
jouer ». Il faut accrocher l’enfant, lui donner envie de participer. Cela peut se faire très simplement. Un animateur peut
venir les voir, par exemple,
déguisé en extraterrestre et leur
dire qu’il a perdu son vaisseau
et qu’il a besoin d’eux pour le
retrouver. Il faut que l’animateur joue aussi.
Le jeu fait aussi évoluer les
adultes. Ils y prennent le même
plaisir que les enfants. Celui par
exemple, de détourner les
règles. C’est pour ça, d’ailleurs,
qu’elles doivent être à la fois
très précises et très courtes,
pour qu’il soit plus difficile de
passer au travers.
QUELLE
JEU ?
EST LA RECETTE D ’ UN BON
On peut jouer à tout âge. Tous
les jeux sont adaptables. Seulement le pari, l’enjeu n’est pas le
même. De manière générale, on
est tous adepte de compétition.
Les deux seuls ingrédients
indispensables sont un défi au
départ et beaucoup de plaisir à
l’arrivée.
PROPOS RECUEILLIS
PAR SONIA DE SOUSA
ET JULIE MARTINEZ
28
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
ÉLIZABETH
AU PAYS
DES OURS
PHOTO V. H.
coup de foudre.
J’aime ceux qui
ont
un
air
coquin, des yeux
expressifs,
quelque chose
qui rappelle la
vie. Certains sont
très beaux, mais
très froids, je ne
les aime pas.
J’achète de tout,
des ours anciens,
des modèles de
créateurs ou de
série. Et je suis
aussi heureuse
d’un achat à
quelques francs,
que d’un autre
très cher que je
dois payer en
plusieurs fois ».
Sa communauté
de plus de trois
cents spécimens
vit en liberté
dans la maison.
« Il y en a partout. J’ai fait une pyramide sur
une chaise près de mon lit, il y
en a une commode pleine, certains sont sur une armoire. »
« Je ne pourrais pas supporter
de les enfermer dans des
vitrines, j’aurais l’impression
qu’ils étouffent. Dès que j’en
achète un, je lui donne un prénom et je l’habille. Je m’occupe
beaucoup de mes ours : je les
prends dans mes bras, je les
photographie, il m’arrive même
de les embrasser ! Quand je
pars en vacances, ils me
manquent, alors j’en
achète sur place ! »
Cette passion n’est
pas du goût de
“J
E SUIS COMPLÈTEMENT
DINGO”,
LANCE- T - ELLE
DANS UN ÉCLAT DE RIRE.
Elizabeth, rencontrée au détour
d’un stand au salon du jouet
ancien à Bordeaux, a des yeux
bleus dans un visage d’enfant,
et la quarantaine épanouie. Elle
est ici pour chasser un drôle
d’animal : l’ours en peluche. Un
père décorateur et des origines
anglaises : tout, selon elle, la
prédestinait à devenir collectionneuse. « On m’a donné très
tôt le goût des belles choses, et
comme tous mes compatriotes,
j’adore les jolis objets et les
maisons surchargées. J’ai toujours eu des collections, depuis
mon plus jeune âge. » Elle a
longtemps collectionné les poupées et les peluches, mais
depuis une dizaine d’années, sa
passion exclusive est pour les
ours. Un incident, en apparence
banal, a servi de déclic.
« J’avais gardé de très jolis ours
de mon enfance. Un jour, mon
mari en a jeté un qui avait été
endommagé par un dégât des
ours qui me plaît beaucoup, je
me dis que ce n’est pas raisonnable de craquer, et je ressors
sans l’avoir acheté. Mais invariablement, une heure après,
j’appelle le patron pour lui
Sa communauté
de plus de trois cents spécimens
vit en liberté dans la maison
eaux. Il m’a tellement manqué
que je me suis mise à les collectionner. Et depuis, c’est un
besoin irrépressible. Je me suis
débarrassée de mes autres collections, j’ai même revendu de
belles toiles achetées en galerie. » Une passion dévorante à
laquelle elle consacre tout le
temps que lui laisse son travail
de psychomotricienne. « Si je
dois me rendre dans une ville,
j’en profite pour aller voir les
magasins spécialisés. Quand je
suis invitée chez des amis le
week-end, je cherche s’il y a
une brocante près de chez eux
où je pourrais aller faire un tour.
C’est obsessionnel ! » Difficile
pour elle de résister à la tentation : « Il y a une boutique
magnifique à Bordeaux où je
vais souvent. Parfois, devant un
demander de me le réserver. Je
suis incorrigible ! »
Pas question pour elle de bâtir,
comme le font certains, une collection en fonction de la notoriété des marques, ou du prix.
Elizabeth est une passionnée
qui fonctionne au coup de
cœur : « Je choisis en trente
secondes, il faut que j’aie le
Les rendez-vous
des amateurs
Une bourse du jouet ancien a
lieu chaque deuxième dimanche
du mois dans les locaux de
l’Automobile club du Sud-Ouest,
8, place des Quinconces à
Bordeaux, de 9 h 30 à 11 h 45.
tout le monde, à commencer par
son mari, qui trouve la tribu un
peu trop envahissante. Quant
aux amis, ils ne comprennent
pas toujours, sans parler des
collègues psychologues, qui
jugent tout cela ridicule. Elizabeth sait que son comportement
peut paraître étrange, mais elle
revendique le droit de vivre
librement son hobby un peu fou.
Sans s’épargner de porter un
regard lucide sur elle-même :
« J’aime beaucoup les enfants
mais je n’ai pas pu en avoir.
Alors certainement que ma passion des ours comble un
manque. » A peine un léger
voile est-il passé sur son regard.
Déjà, elle reprend, toujours
aussi volubile et enthousiaste,
pour montrer sa moisson du
jour : sept ours de toutes les
tailles dans une grande poche.
« J’en ai assez pour aujourd’hui,
il est temps de rentrer. » Tout en
parlant, elle n’arrête pas de
scruter alentour. Soudain, elle
s’interrompt dans un petit cri et
désigne un carton un peu caché,
d’où dépasse une oreille pelucheuse : « Tiens, mais je n’avais
pas vu ceux-là ! Il faut que
j’aille jeter un œil ». Ramassant
son gros sac, Elizabeth prend
congé rapidement, déjà elle
s’éloigne à grandes enjambées
vers l’objet de ses convoitises.
VÉRONIQUE HEURTEMATTE
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
29
LES
BOUFFONS-MINUTE
DE LA SOCIÉTÉ
N IMPROVISATION ,
“E
ON N ’A RIEN .
PAS
DE COSTUME, PAS
DE LUMIÈRE, PAS DE
DÉCOR.
ON
CONNAÎT LA TRAME MAIS
ON NE SAIT PAS CE QU’ON VA DIRE.
TOUT SE PASSE EN DIRECT. ”
Cathy Drixel a déjà une sérieuse
expérience de l’improvisation
quand elle croise le chemin
d’Eric Pebayle et d’autres comédiens. Ils créent ensemble la
compagnie Mobile. Depuis un
an, quatre d’entre eux sont
réunis au sein des « Improvisiteurs ». Ils interviennent professionnellement dans des colloques, pour des entreprises ou
des institutions.
L’humour est présent à tous les
stades, même à l’entraînement :
« Il faut vraiment travailler sur
l’écoute, la mise en espace et
l’immédiateté. On a des jeux
pour ça. Il y en a un, par
exemple, qui s’appelle “Clac et
position”. On marche, on bouge
et quand on entend un clac, on
se bloque dans la position où on
est et on démarre une impro en
fonction de ça. Même nos interventions, on les prépare en
s’amusant ! D’ailleurs, quand
PHOTO S. DE S.
je pars, ma fille dit : “Maman va
jouer”. Elle pense que je joue
comme un enfant. Dans un sens,
c’est vrai ».
Cathy est l’image même de la
comédienne : expansive, volubile. Ses traits sont marqués, ses
pommettes hautes, et ses
boucles d’oreille imposantes.
Eric est enfoncé dans son fauteuil autant que dans son col
roulé, mais entre ces deux amis,
les années de collaboration ont
porté leur fruit. Les regards se
cherchent et se trouvent, l’un
finit les phrases de l’autre.
Eric attaque : « En impro, il
faut lâcher beaucoup de choses.
Si tu veux refaire un truc, tu te
plantes. A aucun moment tu
peux te reposer. Beaucoup de
comédiens ne se mouillent pas
parce qu’ils trouvent ça trop difficile ».
« Parce que forcément », poursuit Cathy, « il y a toujours un
moment où t’es mauvais. Mais
quand t’es bon, c’est du petit lait
pour toi et le public. C’est un
moment exceptionnel. »
« On a une importance toute
relative, mais ce qu’on vit a du
sens », estime Cathy. « C’est du
plaisir pour nous et le public.
On est un miroir déformant ou
reformant. Des bouffons de la
société, quoi ! »
SONIA DE SOUSA
“ UN MATCH D’IMPRO
NE S’IMPROVISE PAS”
C
ATHERINE
MOURIEC A DÉCOU-
VERT LES MATCHES D’IMPRO-
VISATION À 16 ANS. « Depuis
un moment, je faisais du théâtre
dans des ateliers au collège
quand un ami m’a parlé du
Malin, un mouvement amateur
libre d’improvisation à SaintNazaire. Ça m’a tout de suite
plu. »
Douze personnes s’échauffent
dans une patinoire, réparties en
deux équipes mixtes. Un maître
de cérémonie présente les
comédiens. Au coup de trompe,
un arbitre et ses deux assistants
entrent, sous les huées du
public. Les sujets d’improvisa-
tion sont tirés au sort ; le match
peut commencer. A la fin, les
spectateurs voteront à main
levée pour leur équipe préférée.
Pour l’heure, ils applaudissent,
rient, réagissent au quart de
pour ça que tout se passe dans
une patinoire. Ils ont réussi à
créer un deuxième sport national ! Il y a une ambiance vraiment particulière, déjà avec la
patinoire. Puis l’arbitre joue
Deux équipes s’échauffent
dans une patinoire...
tour, mais gare à celui qui les
décevrait : tous ont en main un
chausson qu’ils se réservent le
droit de balancer sur la patinoire, en signe de mécontentement…
« A l’origine, ce sont deux Québécois, Robert Gravel et Yvon
Leduc qui ont créé ces matches,
en s’inspirant du hockey, c’est
volontairement les durs avec les
acteurs. Il sanctionne tout :
recours au cliché, manque
d’écoute à l’égard du partenaire... En général, c’est lui qui
reçoit les chaussons du public !
C’est très bon-enfant. Pourtant,
ceux qui font partie de la ligue
organisent de vrais championnats. A côté de ça, il y a un tas
d’équipes indépendantes qui
fonctionnent en électron libre. »
Ses grands yeux noisette se font
un instant plus sérieux. Pour
cette étudiante du conservatoire, aujourd’hui âgée de 24
ans, l’improvisation, c’est
presque une occupation à plein
temps : « Improviser, ça ne s’improvise pas. On est comédien
d’abord, improvisateur ensuite.
J’ai fait de la formation. On avait
au moins un entraînement hebdommadaire, physique, pour
l’aisance corporelle, et culturel
aussi. Quand vous tombez sur
une impro, on ne vous donne
pas seulement le thème, on vous
dit aussi de la faire “à la
manière de... Duras ou Shakes-
peare”, par exemple. Alors il
faut savoir comment ils écrivent. Et puis, le coach de
l’équipe n’a que 20 secondes
pour vous dire qui vous êtes et
ce que vous faites. Il faut être
rapide, alors, tout le jeu d’acteur
en amont, on n’a pas le temps de
l’apprendre à l’entraînement. »
Mais à côté de ce travail fastidieux, il reste un véritable plaisir de jouer : « J’ai eu la chance
de participer à des rencontres
internationales. On ne se
connaît pas, mais on est tous
ensemble pour le show. Les
points, on ne les compte pas
mais quand on fait une bonne
impro, ça marque. On trouve un
véritable plaisir dans ce besoin
de toujours inventer... »
S. DE S.
30
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
PHOTO THOMAS BALTES
DANS
L’ANTRE
DES RÔLISTES
L
E JOUEUR GRIMPE SUR SA
CHAISE
ET
DÉCLAME
SA
TIRADE. NOUS SOMMES EN L’AN
DE GRÂCE
1095. UN
STYLO À LA
MAIN, LE DAMOISEAU MIME LE MOUVEMENT D ’ UNE ÉPÉE .
L’ŒIL
NOIR , LE
POING MENAÇANT, IL PREND SON RÔLE
TRÈS AU SÉRIEUX.
Conquis par sa prestation, les
autres participants encouragent
le jeune gueux, qui peu à peu
maîtrise parfaitement son personnage. Ravi, il effectue une
révérence et reprend sa place.
Samedi 30 mars, les Apprentis
du Mage Mahlow avaient choisi
la salle Delteil de Bègles
comme terrain de jeu. Pour la
onzième année consécutive,
l’association proposait aux
accros de jeux de rôles de participer pendant quarante-huit
heures au tournoi sur table
annuel. Plus d’une soixantaine
d’adeptes avaient répondu à
l’appel. Huit tables et autant
d’ambiances différentes. Ici, on
revisite l’époque médiévale, là
on se téléporte dans un monde
fantastique, savant dosage entre
réalisme et imaginaire.
Les parties peuvent durer plus
de dix heures et parfois beaucoup plus. En joueur averti,
chaque participant a amené sa
ration de survie : bonbons,
gâteaux, sodas et l’inévitable
paquet de cigarettes.
Assis autour du maître du jeu,
les participants attendent ses
consignes. Pour cette première
partie, c’est Greg qui, derrière
son paravent de carton aux dessins guerriers, plante le décor :
« Tu es un serviteur du monde
souterrain, et je vais te décrire
les armes magiques et leurs
Jeux
gothiques
à la base
nautique
“Il y a les jeux de rôles
gentillets, et puis il y a les
autres...”, explique ce rôliste.
“Ça n’a rien à voir.” Et parmi
eux, “Kult”, l’un des plus
pratiqués par les passionnés
des jeux gothiques. “Kult est
vraiment un parcours
initiatique. On apprend à se
connaître soi-même, à
pouvoirs ». Depuis dix-huit ans
qu’il joue, le jeune homme
connaît bien son affaire : « J’ai
commencé, j’avais tout juste dix
ans. Dans mon cas on peut dire
que le jeu de rôles m’a sauvé.
Pour moi, c’est plus efficace
qu’une thérapie chez un psy.
J’étais un asocial chronique,
timide et j’ai évolué grâce au
jeu, parce qu’il développe le
contact humain. C’est un formidable désinhibateur, on pourrait
le comparer à du théâtre assis ».
Greg apprécie aussi le côté
Qu’est ce qu’un
jeu de rôles ?
Né en Grande-Bretagne dans
les années 70, c’est un jeu dans
lequel les participants
interprètent des personnages
en vivant une aventure
proposée par un autre joueur
appelé “Maître du jeu”. Il n’y a
ni gagnant ni perdant, le but
étant pour les joueurs de
coopérer pour mener à bien
l’aventure. En France, on
compte environ 400 000
amateurs, dont 100 000
passionnés, et 600 associations
recensées.
Source : www.quid.fr
dépasser ses limites”. Au
programme : univers sombre,
voire glauque, dans lequel
chacun hérite du rôle d’un “fou
« actor’s studio » du jeu : « Ce
que j’aime bien c’est que tu
interprètes des personnages aux
antipodes de ta personnalité.
C’est un exutoire d’enfer. Moi
par exemple, j’aime bien me
taper un gros monstre des fois,
c’est marrant. La relation avec
ton personnage est passionante.
Tu passes des parties, des
années entières à le construire.
Tu vis avec. » Mais dans certains cas, le jeu peut devenir
douloureux. « Le maître du jeu
était un pote à moi. Je lui avais
fait des confidences sur ma vie
et au cours du jeu il les a utilisées. J’étais fragile à ce moment
là et j’ai craqué. Avec le recul,
je sais qu’il l’a fait pour m’aider. » S’il y a quelques années,
les jeux de rôles ne séduisaient
pas les filles, aujourd’hui elles
sont aussi nombreuses que les
garçons. A 26 ans, Carine peut
passer des journées entières à
jouer, sans jamais se lasser :
« C’est très convivial. Avec une
bande de copains, on se réunit
tous les samedis et on fait des
parties de neuf heures. Tu fais
des trucs géniaux que tu ne
pourrais pas faire dans la vie de
tous les jours. Tu t’amuses énormément ». Dans la salle, les
esprits s’agitent. Quelques
crises de fou rires ici, une pause
par là. Seul à sa table, Paul,
ludothécaire, dévore son sandwich : « J’ai découvert le jeu de
rôles en 1976 grâce à un copain
qui revenait des Etats-unis. J’ai
commencé à jouer, j’avais 17
ans, j’en ai 41 ! Ce jeu développe la curiosité, ça muscle
l’imagination, c’est un sport
cérébral extra. Il faut réfléchir
pour se sortir de certaines situations, pour aborder une action.
C’est très instructif aussi. Par
exemple, lorsque l’on fait un jeu
de rôles qui fait appel à des
connaissances particulières,
scientifiques ou religieuses, tu
t’informes sur le sujet et t’apprends plein de trucs ». Et
quand on lui demande ce qui
pourrait le faire arrêter, le
joueur prend le temps de la
réflexion et lance : « La maladie ».
VALERIE ANTON
dans le monde d’aujourd’hui”
et choisit son camp, le bien ou
le mal. “On peut se retrouver
dans la peau d’un ancien
soldat nazi ou d’un pédophile.
Et on doit faire avec, c’est très
marquant.” A tel point que ce
jeu est interdit depuis
quelques années aux moins de
16 ans. Et déconseillé aux
débutants. “C’est normal, c’est
une expérience très dure”,
avoue un joueur. Mais il ne faut
pas oublier que c’est un jeu.
On joue un rôle, et quand c’est
fini, c’est fini, point.”
A Bordeaux, les jeux gothiques
se pratiquent du côté de la
base nautique, dans des
hangars sombres, le soir, tard,
très tard...
R. C.
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
Petit lexique
du rôliste
D
Abréviation désignant le
nombre de faces des dés utilisés dans une partie de jeu
de rôles.
FEUILLE DE PERSONNAGE
Document sur lequel sont inscrites les caractéristiques du
personnage joué (son apparence, ses capacités physiques
et intellectuelles, et ses biens).
JEUX DE PLATEAU
Ils s’organisent autour d’un plateau de jeu sur lequel évoluent
des figurines. La partie se
résume la plupart du temps à
des phases de combat et de
stratégie permettant de conquérir des territoires. La durée
moyenne d’une partie varie de
4 à 6 heures.
JEUX DE RÔLES
Ils restent les plus difficiles à
comprendre et à jouer. Les supports de jeu sont le scénario du
maître et la feuille de personnage de chaque joueur qui
décrit les caractéristiques physiques et intellectuelles du personnage joueur.
JEU GRANDEUR NATURE
Le GN se déroule en extérieur
(ruines d’un château, forêt).
Trois époques de jeu sont
jouées (médiévale, contemporaine, futuriste). Les joueurs
interprètent des personnages en
costumes et vivent physiquement les aventures proposées.
Les maîtres du jeu ont un rôle
d’arbitre.
PJ OU PERSO
Personnage Joueur.
RÔLISTE
Joueur de jeux de rôles.
SCÉNARIO
Trame générale de l’aventure,
où sont décrit les personnages
que les PJ sont susceptibles de
rencontrer, et les lieux qu’ils
pourront visiter.
D’APRÈS L’ASSOCIATION DES
APPRENTIS DU MAGE MAHLOW
DE
MORDUS
DE
VILAINS
31
PHOTO JÉRÔME LEPEYTRE
PHOTO REMI CARAYOL
JEUX...
JUSTÉS SUR LES TORSES, LES
A
HARNAIS ÉLECTRONIQUES DISSI-
MULENT MAL LES TEE - SHIRTS
BARIOLÉS. D’UN INSTANT À L’AUTRE, LES
HOSTILITÉS VONT DÉBUTER DANS LA
SEMI-PÉNOMBRE.
LASER
QUEST
L’INSTINCT
GUÉGUERRE
Pour l’heure, les pistolets laser ne
sont pas dégainés et pointent
encore vers les baskets dont la
blancheur éclate sous les néons
ultraviolets. Les portes s’ouvrent
enfin : deux équipes rivales,
diodes rouges contre diodes
vertes, s’engouffrent et se dispersent aussitôt. C’est parti pour vingt
nouvelles minutes de course-poursuite dans un dédale
obscur de 500 m2. Une mini-guerre, pour de rire, où les
surprises tiennent lieu de guet-apens et le hasard de stratégie.
Le Laser Quest est né en Angleterre voilà plus de 10 ans.
En France, l’engouement s’est fait petit à
petit. Désormais, ce jeu a de nombreux
inconditionnels et le bouche-à-oreille attire
toujours plus de curieux et de combattants
occasionnels. « L’après-midi, ce sont plutôt
des enfants de huit à quinze ans qui viennent jouer », raconte Marie, animatrice de
l’un des deux complexes bordelais (1).
« Mais le soir, le Laser Quest est plutôt fréquenté par des étudiants. » Quant au
dimanche, s’y rendraient « des familles
entières ».
« Lorsqu’on a ouvert en 1999, on recevait
surtout des particuliers. Peu à peu sont
venus des centres d’animation, des comités
d’entreprise. A la demande, on organise
même des enterrements de vie de garçon,
des formules apéros, avec l’aide d’un traiteur », explique-t-elle encore. La population cible est
donc assez vaste. Que vient donc chercher un public aussi
disparate ?
Un défouloir, vraisemblablement. Etroits corridors à
angles droits, passerelles munies de meurtrières, murs
noirs recouverts de gargouilles phosphorescentes… De
légers fumigènes rendent visibles les rayons lasers qui les
traversent et les cibles retentissent à chaque tir qui fait
mouche. Le décor est simpliste mais l’ambiance savamment étudiée : une fois entrés dans le labyrinthe, les participants, tous affublés d’un pseudonyme, n’ont aucun mal
à se sentir dans un autre monde, à la fois excitant et sans
danger. Pour huit euros par personne.
« Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on se prend
facilement au jeu », commente Mister Freeze, la vingtaine
encore haletante quelques minutes après la fin de la partie. « Au début, on nous dit de ne pas courir… Mais c’est
plus fort que nous ». Ce jeune guerrier fait partie des habitués. Pour lui, le Laser Quest est une « bonne alternative
au jeu vidéo », par son « côté physique ». « C’est même
beaucoup plus amusant, même si ça fait un peu guéguerre », estime son acolyte Bob, très enthousiaste dès ce
premier essai. Tout de même, « dommage qu’on ne puisse
pas plonger », regrette-t-il.
« C’est super mais éprouvant », reconnaît Sab. Du côté
des filles, la formule a d’autant mieux pris
qu’elles ont canardé plus et plus précisément que les garçons : « La partie passe
hyper vite, cinq ou dix minutes de plus, ça
ne serait pas si mal », avoue-t-elle. Sa
comparse, Lara Croft, acquiesce et risque
même un petit commentaire : « Il y a deux
styles de joueurs : les bourrins qui courent
partout, et ceux qui attendent derrière les
meurtrières… Entre tout ça on n’a pas vraiment le temps de se repérer… Mais bon,
dès qu’on s’est fait allumer deux ou trois
fois, l’instinct de survie reprend le dessus ».
Quoiqu’il en soit, le groupe est unanime :
« ça doit rester sympa, pas question de se
faire la gueule en sortant… ». « De toute
façon, on ne se reconnaît pas à l’intérieur »,
ironise Cob. Sur les six amis, un seul, Bigou, a fait son service militaire, mais il était « chauffeur… Alors les vrais
flingues, très peu pour moi ! », se défend-il. En revanche,
les garçons ont prévu « un petit week-end de paint-ball,
cet été ». Deux jours supplémentaires de guéguerre au
grand air, « avec campement la nuit ».
Les filles, quant à elles, n’attendront pas jusque-là pour
remettre ça. A peine ont-elles repris leur souffle que, un
rien moqueuses, elles toisent leurs compagnons : « Alors,
on en refait une ? »
“Il y a deux
styles de
joueurs :
les bourrins
qui courent
partout,
et ceux qui
attendent
derrière les
meurtrières”
NICOLAS FAUCHER
(1) Laser Quest, 24-36 rue de la Faïencerie, 33000
Bordeaux. www.laserquest-france.com
32
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
“LAN”, “MAP” ET
“FRAG”, LE VOCABULAIRE DE
DAMIEN LAUMOND PEUT
E
NTRE
PARAÎTRE ASSEZ HERMÉTIQUE AU
Ses mots courts
désignent l’univers des jeux en
réseau : sa passion. A travers
elle, il a déjà fait plusieurs
débarquements en Normandie,
il a arrêté des centaines de terroristes et éliminé des nazis
armés jusqu’aux dents. Tout ça
sur l’écran du cybercafé qu’il
fréquente à chaque moment de
liberté.
PREMIER ABORD.
PHOTOS P. GI.
ATTAQUE
À LA SOURIS
ARMÉE
s’en servir. Ensuite, une arme
de sniper peut être très efficace. » A l’écran, il tombe d’une
échelle. Il est devenu la proie de
ses adversaires qui ne tardent
pas à le mitrailler. « Aïe ! »,
s’exclame-t-il. Dans les hautparleurs, le bruit sourd des
armes automatiques résonne sur
les ruines de la ville.
Contre toute apparence, Damien
s’offre une séance de relaxation.
Il doit rester extrêmement
concentré trois heures durant
pour ses travaux de BTS en
Il a déjà fait plusieurs
débarquements en Normandie
Jargon
en réseau
CLAN : équipe de joueurs.
FLAG : drapeau à récupérer
pour remporter la partie.
FRAG : mort d’un adversaire ou
un point dans le jeu.
LAN : rassemblement de
joueurs ou de créateurs en
réseau informatique.
MAP : univers virtuel où
évoluent les personnages.
communication audiovisuelle.
Après, il s’autorise toujours un
moment de détente. « C’est un
moyen de poursuivre l’entraînement et de maintenir le
niveau », explique-t-il.
Avec son clan CVC, son équipe
de jeux en réseau, il est classé
parmi les meilleurs d’Aquitaine
sur le jeu Counter-Strike. Les
huit membres de CVC se doivent de rester à la hauteur de
leur devise que Damien dévoile,
amusé : « CVC, c’est les initiales de “Ça va chier”. » Une
phrase fétiche qu’ils prononcent
souvent pour se donner de l’assurance. « C’est quand c’est le
rush, ça veut dire qu’on va au
front. »
Le clan est soudé comme une
véritable armée. Un groupe de
potes qui se sont découvert une
passion au lycée. Dès la première, ils ont fait leurs armes
sur une des premières références du jeu en réseau, Halflife. « Rapidement, on a testé
les différents modes. Le Golden
Eye, la capture de flag. » Dans
la foulée, ils ont monté AccesLan, une association qui permet
l’organisation de lans. Ces tournois de jeux ont permis de
réunir jusqu’à 280 compétiteurs.
CounterStrike est le jeu favori
de ces rassemblements. C’est
aussi celui de Damien. Terroristes contre anti-terroristes, les
joueurs évoluent dans des couloirs sombres. Une sorte de bunker géant où leur seule ambition
est l’extermination de l’équipe
adverse. Mais on ne prononce
pas le mot « tuer ». En jargon
réseau, il s’agit de « frag » parce
que personne ne meurt vraiment.
Dans la vraie vie, Damien
s’exerce aussi aux interventions
de type GIGN. Toujours de la
simulation. Réunis entre amis
dans une ferme, ils sont équipés
d’armes répliques de vrais
Beretta, de fusils d’assaut.
« Peu passent de la simulation
au réel, dans le monde des jeux
en réseau », témoigne-t-il. « Le
but c’est de jouer, pas de tuer. »
D. R.
Là, dans la pénombre, les mouvements se reflètent sur son
visage attentif. Il fixe les inscriptions qui défilent : le jeu
DoD2 est en cours de chargement. Il va jouer avec un ami,
assis directement à sa droite.
Après quelques bugs, le décor
est finalement planté. Les deux
joueurs ont les yeux fixés sur
leur moniteur, ils se baladent,
l’arme au poing. En réalité, leur
main gauche est crispée sur le
clavier et la droite sur la souris.
Leur mission : faire reculer les
nazis, dans la ville de Caen, en
récupérant un à un les drapeaux. « Les flags », remarque
Damien. « Le réalisme est assez
proche. »
Dans le jeu, l’arme tire au
rythme du clic. Beretta, fusil
d’assaut, machine gun ou
simple couteau : la liste est
longue. « Un pistolet peut très
bien suffire », commente
Damien, « mais si on sait bien
PIERRE GIRARD
L
E PREMIER ÉTAGE DU
MÉTAMORPHOSÉ
H14 EST
EN
UNE
ÉNORME SALLE DE CONTRÔLE
POUR LES BESOINS TECHNIQUES DE LA
BURDIGA’LAN. Sur le sol, les sacs
de couchage témoignent que les
CHASSE VIRTUELLE
AUX TERRORISTES
AU HANGAR 14
joueurs ne se sont pas éloignés
de leur écran de tout le weekend.
Deux cent cinquante personnes
participent à la première rencontre de joueurs en réseau de
cette envergure à Bordeaux. Ce
dimanche 24 mars au soir, il ne
doit rester qu’une seule équipe.
L’installation de ce tournoi est
colossale. Pour chaque groupe
d’ordinateurs, un boîtier switch
permet de relier les données à
un calculateur central. Une
sorte de gigantesque réseau
éphémère, le temps de cette lan
party. Le matériel a été mis à
disposition par des associations
de jeu et les moyens techniques
ont été apportés par leurs partenaires. Les techniciens sont
présents en permanence pour
assurer le moindre dépannage.
Tout est au point.
P. GI.
JEUX...
A
USSI
DE
BORDELAIS
SÛREMENT
QUE
LES
GRILLONS LE SOIR DANS LES
PRÉS, LES CARTES À GRATTER
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
ÉTÉ À LA
CARTE
POUR AMIS
GRATTEURS
SERONT DE RETOUR TOUS LES MATINS
DE L’ ÉTÉ DANS LE JOURNAL
pourront à nouveau s’installer
sur leur terrasse, le quotidien
dans une main, une pièce de
monnaie dans l’autre. S’arrêtant
vite à la page des jeux d’été, ils
s’emparent aussitôt de la carte
magique. Débute alors un dur
labeur : il s’agit de retirer de
haut en bas, de droite à gauche
la pellicule d’or ou d’argent qui
recouvre chacune des petites
cases du bonheur.
Faire-valoir de la presse quotidienne régionale dans les
années 80, les jeux de grattage
avaient permis d’augmenter les
ventes du quotidien aquitain en
magasin de 7 à 8 %. Nombreux
sont ceux en effet qui n’achètent
le journal qu’à la seule condition de participer au grand jeu
estival. Mais l’âge d’or n’a pas
DE
VILAINS
33
Ayez l’œil
et cherchez
l’erreur
Ayez l’œil, Tape à vue, ces deux
noms restent aujourd’hui
encore dans l’esprit d’un grand
nombre de lecteurs du journal
Sud Ouest. Deux jeux qui
semblent en 2002 bien désuets
mais qui, en ce début des
années 80, déclenchent
l’effervescence dans un grand
nombre de foyers. Souvenez-
SUD
OUEST. Chaque jour, les lecteurs
MORDUS
duré. Ce succès a peu à peu
induit un effet pervers : « A la
longue, le lecteur s’use. Et si le
jeu est jugé ringard, le journal
l’est également », note Laurence
Deschamps, responsable de la communication-vente
du groupe Sud
Ouest. « Il faut donc
sans cesse renouveler le concept afin de ne pas
tomber dans le train-train quotidien. »
La solution ? « Un retour depuis
trois ans aux grilles de mots fléchés ou à des questionnaires de
culture générale. » Passent
ainsi les étés 1999, 2000,
2001... « Mais si leur coût est
moindre, leur influence sur les
ventes du journal reste faible. »
Ajoutez à cela des gratteurs en
état de manque, et Sud Ouest se
décide à faire marche arrière.
vous : jeu des sept erreurs,
énigmes, recherche d’un
élément caché dans un
fusion en même temps », précise Laurence Deschamps.
Erreur
fatale.
Pour les habitants du nordouest de l’hexagone,
à
la
moindre évocation du mot Grolo, c’est une
véritable ferveur populaire qui
secoue chaque été les chaumières. Amis gratteurs, la question vous est posée : de la pièce
de 50 centimes ou d’un euro,
laquelle succédera à celle d’un
franc entre vos pouce et index ?
“L’objectif est d’augmenter
les ventes de 4 %”
Les petites cartes sont de retour
cet été. « L’objectif est d’augmenter les ventes de 4 %. » Un
petit bonus est également prévu
le dimanche. « De quoi attirer
les lecteurs du quotidien vers
l’édition dominicale. »
La longévité du succès nécessite un titre accrocheur. A l’inverse du quotidien Ouest
France, dont le Grolo perdure
depuis une quinzaine d’années,
Sud Ouest n’a jamais pérennisé ses jeux, si ce n’est le
Trigolo, réchauffé trois
ans de suite, « mais pas
sur toute la zone de dif-
THOMAS QUÉGUINER
dessin... Ce principe ludique a
assis la renommée du
quotidien aquitain durant
plusieurs années.
Exutoire face à la crise, instant
de détente le soir en famille ou
entre voisins autour d’un bon
verre de vin, ils demandaient
une simple dose d’observation,
de sagacité et de bon sens. Et si
ce type de loisir est aujourd’hui
mis au ban des règles du
marketing journalistique, il fait
encore fureur auprès des plus
jeunes. Achetez une
quelconque boîte de céréales et
une véritable chasse au trésor
vous sera généralement
proposée au dos du paquet.
Ayez l’œil, les p’tits loups, c’est
à vous de faire perdurer
aujourd’hui un jeu que vos
aînés ont par le passé délaissé.
LES PETITS
PLUS
POUR DÉPENSER
MOINS
UOI QU’ON EN DISE, JOUER A UN COÛT.
Q
QUE
CE SOIT AU CASINO BIEN ÉVIDEM-
MENT, AU LOTO OU ENCORE EN PARTICI-
PANT À UN CONCOURS.
D. R.
Pour les joueurs les plus chevronnés, les
enragés du gain, il existe une multitude
de petits trucs pour jouer à moindre
frais. En voici une liste non-exhaustive.
En ce qui concerne les concours à bulletinsréponse à poster, on peut aisément se faire
rembourser le timbre, bien que ce ne soit pas
automatique. Avant toute chose, vérifiez bien que
la mention « remboursement du timbre » est présente dans le règlement. Ensuite, il vous suffit de
le préciser lors de l’envoi. Le réglement doit, par
ailleurs, vous être adressé gratuitement si vous en
faites la demande.
Si vous êtes des plus scrupuleux, observez tous les
règlements à la loupe, s’ils ont été mal rédigés,
vous pouvez les faire tourner à votre avantage.
Vous êtes un joueur invétéré sur Internet, minitel
ou au téléphone ? Inutile de tenter de mettre un
frein à vos ardeurs. Il suffit d’adresser une preuve
(facture téléphonique…) de votre temps de
connexion à l’organisateur du jeu. Il est dans
l’obligation de vous dédommager dès lors que la
notion de hasard intervient. Attention cependant,
les remboursements sont souvent forfaitaires et ne
couvrent qu’une partie des frais. Du moins pour
certains participants.
VOTRE AVARICE va jusqu’à comptabiliser le temps
que vous consacrez au jeu ? Vous aimeriez en
dépenser moins ? Plus de soucis, Liet éditions
pense à vous. Outre sa revue qui recense de nombreux jeux et qui fournit nombre de détails les
concernant, dans son catalogue de produits dérivés, vous trouverez tout pour vous faciliter la
tâche, moyennant une certaine somme. Cela va
des cartes postales aux grandes enveloppes (« Un
format plus grand = plus de chance au tirage ») en
passant par des tampons encreurs ou des étiquettes avec la mention « remboursement du
timbre SVP ». D’autres modèles sont également
proposés, dont certains avec vos coordonnées.
Ainsi, vous ne passerez plus des heures à remplir
des bulletins.
Enfin, si l’avarice qui vous ronge est des plus
insupportable, une dernière solution : cessez de
jouer et vous ne dépenserez plus un seul centime.
EWEN COUSIN
34
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
“PHILIPPE,
VOUS ÊTES
LE MAILLON
FORT”
P
GIOVANNANGELI
HILIPPE
VIENT
DE
GAGNER
AU
« Cette fois, c’était un peu avant
Noël. J’ai vu une annonce à la
télé sur Le Maillon faible.
C’était la même maison de production que pour FaSiLa. Je les
connaissais, alors j’ai appelé.
J’ai fait les sélections téléphoniques : 15 bonnes réponses
sur 20 ! »
Philippe est enfin sélectionné,
mais il devra attendre le
22 mars pour participer aux
enregistrements.
Jusqu’à cette date, il reçoit plusieurs coups de fil de l’équipe.
On lui demande combien il
mesure, quel personnage historique il aurait aimé être. Très
content d’avoir été retenu, il
évite cependant d’ébruiter l’affaire : « Je ne l’ai dit qu’à mon
entourage très proche. Dans
mon travail, si ça s’était su et
que j’avais perdu, après... »
Philippe assure pourtant que ce
ne sont ni la passion du jeu ni
l’attrait de la victoire qui ont
guidé ses pas vers les studios :
« J’y allais surtout pour voir
comment on réalisait une émission. Par curiosité. Après, le jeu
me plaisait, bien sûr. La présentatrice, Laurence Boccolini, a
un peu le même humour grinçant que moi. C’est sûr, j’ai
choisi une émission qui
demande des connaissances
moyennes. Je ne me serais
jamais présenté à Questions
pour un champion, par
exemple. »
Mauvais joueur, Philippe ? Il le
concède, mais seulement avec
ses amis et quand il s’agit « de
jeux de hasard » (comprenez par
là tout ce qui se joue avec des
cartes). Pour le reste, entre le
coucou suisse, le synthétiseur et
l’ordinateur du salon, toujours
sous cellophane, les étagères
PHOTO SONIA DE SOUSA
MAILLON FAIBLE. MORDU DE
TÉLÉVISION, ET DE JEUX EN PARTICULIER, IL AVAIT DÉJÀ PROPOSÉ SA CANDIDATURE AU B IGDIL , À FA S I L A
CHANTER OU À QUI VEUT GAGNER DES
MILLIONS. EN VAIN.
sont chargées de CD dont certains viennent tout droit des studios radio : « J’ai souvent gagné
des petits lots avec les émissions de radio. Quand je sais,
j’appelle. Bon, des fois, on a des
surprises. Une fois je me suis
retrouvé avec un CD de hard
rock... », sourit-il. Au royaume
des cadeaux oubliés, Philippe
montre un baladeur, également
gagné, et toujours dans son
emballage...
« Pour l’enregistrement, nous
sommes arrivés le 11 mars à
Paris. Le soir, on a dîné
ensemble avec les autres candidats. Il n’y avait pas de rivalité,
c’était très convivial, mais en
les écoutant parler, nous avons
compris que nous n’étions que
deux à vivre notre “première
fois” et on s’est demandé où on
était tombé. »
Le lendemain, jour de tournage,
le réveil est brutal : les candidats doivent être au studio à
7 heures moins le quart. « La
grande difficulté, ça a été de
tout retenir en même temps. On
a dû recommencer des dizaines
de fois : “Philippe. 35 ans.
Chauffeur de bus. De Bordeaux
en Gironde”. Et dans cet ordre
là ! puis il y a eu la séance de
maquillage », se souvient-il,
l’air faussement dégoûté, « la
poudre, le fond de teint et tout le
reste. Comme une star. Et le carton qu’il faut retourner de haut
en bas, pour éviter la réverbération de la lumière... Ce qu’il y
avait de bien en tout cas, c’est
que la salle était très sombre
autour de nous. On ne voyait pas
l’émission n’est pas diffusée je
ne toucherai rien ! »
Mais Philippe ne se laisse pas
aller à des excès de fierté :
« Bien sûr, ça fait plaisir, mais
vous savez, je n’ai pas trop usé
de tactique. Pendant le briefing,
on nous a incité à faire des
petites remarques sur les autres
candidats pour pimenter le jeu.
J’en ai pas vraiment fait, et de
“Je me suis laissé massacrer
mais je ne suis pas maso.
C’est le jeu, un point c’est tout ”
les caméras, du coup, j’étais
assez détendu ».
UNE
DÉCONTRACTION QUI PORTE,
SES FRUITS. Par
coquetterie, il dit qu’il a simplement « atteint son objectif » qui
était de « ne pas se faire éliminer au premier tour ». Il faut le
presser de questions pour qu’il
lâche finalement un « Je suis
allé en finale. Et j’ai gagné
4 000 euros, et j’aurais pu avoir
plus ! Enfin, c’est déjà une
somme. Cela dit, pour l’instant,
ce sont des euros virtuels : si
FINALEMENT,
toute manière quand on va au
Maillon faible, on sait qu’à un
moment ou à un autre on va se
faire descendre. Moi, je me suis
laissé massacrer sans rien dire.
Comme ça, ça dure moins long-
temps. Mais je ne suis pas maso
pour autant. C’est le jeu, un
point c’est tout. »
Mine de rien, sa victoire, il la
savoure : « Quand l’émission
sera diffusée, on se réunira pour
la regarder avec les copains.
Bon, c’est vrai que si je n’avais
pas gagné, je n’aurais certainement pas fait ça », sourit-il.
L’aventure lui a plu, et, visiblement, il se rejetterait bien à
l’eau. Pourtant, s’il remonte sur
un plateau télé, ça ne sera pas
sans une petite appréhension :
« J’ai tenté, je suis arrivé tout en
haut. Si j’allais autre part et que
je perdais, il y aurait un petit
goût de défaite. L’important,
c’est de gagner maintenant !
Vous savez, je suis d’origine
corse, mais dans ma tête, c’est
pas Waterloo : j’ai gagné une
fois, maintenant je reste à la
maison ! »
SONIA DE SOUSA
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
35
LE CLUB
PYRAMIDE,
MOT À MOT
CE
SONT
LES
PRÉSIDENTE DU
CLUB
COLETTE ITEY, LA
BORDELAIS, EN SOU-
On aurait pu penser que le charme
dévastateur de Patrice Laffont, le présentateur
de l’émission, était à l’origine de la passion qui
entoure Pyramide, mais à y regarder de plus
près, c’est la gymnastique de l’esprit qui fascine tous ses initiés. Le but de ce jeu télévisé,
qui a engendré une avalanche de clubs à travers la France, est assez simple : deux équipes
s’affrontent ; chaque joueur doit faire deviner
des mots à son partenaire par association
d’idées en un minimum d’essais.
Les « maîtres-mots », ce sont les deux présentateurs-joueurs, qui sont toujours présents sur
le plateau : Claire Gautraud et Jérôme Tichit,
« Jérôme et Claire », pour les intimes de
l’émission de France 2. A Bordeaux, c’est à
l’Union Saint-Bruno que se retrouvent les aficionados de la devinette. « C’est un jeu culturel, mais pas trop », résume non sans humour
Solange, une joueuse
du club bordelais.
Ici, ils sont vingtdeux. Un nombre
assez modeste si on le
rapporte aux 8 000
licenciés français,
répartis en 560 clubs.
Les femmes y sont reines : peu d’hommes ont
délaissé le boulodrome pour venir se mesurer à
ces dames, qui, comme le dit Solange, sont
« bien plus malignes ». Des retraitées dynamiques à l’esprit vif, passées pour la plupart du
Scrabble à Pyramide pour occuper leurs journées.
Les mains passent dans les cheveux blanchis
par les années lorsque le mot à deviner est trop
dur et les tailleurs sont griffés Rodier. « Il y a
des plus jeunes, aussi », explique Colette,
comme pour s’excuser. Mais elles ne sont pas
là. Peu importe : ces dames s’affrontent
comme des enfants dans des joutes verbales
sans merci : « Catégorie cinéma : PompiRIANT.
dou ! », propose le maître-mot. « Ah... Georges
Mélies ? », répond sa partenaire. « Oui ! »
Ainsi pris sur le vif, les joueurs parlent une
langue étrange, où les mots s’enchaînent sans
logique apparente. Les rires fusent et tous les
mardis soir, l’ambiance est bonne, pour le
simple plaisir du jeu. On est loin des fastes
informatiques de l’émission, des cotillons qui
tombent du ciel et des lots à gagner. Pourtant,
elles en sont toutes fans. « On regarde tous les
jours, et on l’enregistre », dit Colette. Comme
les téléspectateurs de Questions pour un champion, ces initiées sexagénaires, les ongles plantés dans le canapé et les cheveux blancs hérissés par le stress tentent de répondre plus vite
que le candidat, tous les jours, à 12 h 20.
Par goût du jeu, certes, mais aussi parce
qu’elles rêvent d’être à sa place. Toutes ici ont
tenté de passer les sélections : des délégations
venues de Paris passent dans les régions et
choisissent les candidats à la gloire cathodique. Mais aucune ici n’a été retenue. « C’est
noyauté par les
profs ! », s’indigne
Colette Itey. « Regardez, encore hier, il y
avait un instituteur et
un prof de philosophie
! »Le feu de la révolte
brûle contre cette
injustice sans nom. Et il n’est pas prêt de
s’éteindre : loin d’être un effet de mode, Pyramide a survécu au changement de plage
horaire et à l’arrivée de Marie-Ange Nardi au
poste de présentatrice. « Ce jeu, c’est une
drogue, si on ne joue pas, ça nous
manque » explique Colette Itey en riant. Il faut
dire qu’ici, on n’a pas peur des mots.
PHOTO D. S.
L’ IMPORTANT ,
ÉCHECS
ACADEMY
Les joueurs parlent
une langue
étrange
ARGEMENT AU - DESSUS DES
L
AUTRES CLUBS BORDELAIS,
BORDEAUX-ECHECS
RÈGNE
SANS PARTAGE SUR L’AQUITAINE ET
FIGURE RÉGULIÈREMENT DANS LES DIX
PREMIERS CLUBS FRANÇAIS.
THOMAS BALTES
PHOTO T. B.
À
PYRAMIDE,
MAÎTRES-MOTS, EXPLIQUE
Son palmarès a effectivement de
quoi impressionner : l’an passé,
fidèle à ses habitudes, Bordeaux-Echecs avait fait le plein
de titres : « Nous avons eu 17
champions de France (16 scolaires et un en individuel), commente Serge Tabaroni, président
du club. C’est énorme. Les catégories jeunes ne sont dominées
par personne, le titre se joue
donc dans un mouchoir de
poche et l’on peut très facilement se retrouver premier
comme 6e ou 7e ». Une nouvelle
fois, cette saison ne devrait pas
déroger à la règle puisque le
club va voir une de ses équipes
intégrer la première division,
l’élite nationale des échecs.
Le secret d’une telle réussite ?
Du travail, du travail et encore
du travail : sans forcément promettre du sang, de la sueur et
des larmes à ses élèves, Serge.
Tabaroni explique que « les
échecs, il n’y a pas de secrets,
ça se bosse. En plus du travail
sur l’échiquier, il faut aussi se
plonger dans les manuels qui
exposent les coups, les tactiques à déployer. Nous avons
en plus une grosse base de données informatisée où les coups
de nombreux joueurs sont passés à la moulinette. Par
exemple, notre champion individuel de l’année dernière s’entraîne à raison de 2 à 3 heures
par jour ». Et, non content de
faire « transpirer » les élèves au
sein du club, les instructeurs
leur donnent en plus des
« devoirs » à faire chez eux :
« rien de bien méchant ; mais je
crois qu’il est bon qu’ils continuent à penser un peu aux
échecs une fois chez eux »,
ajoute le président. Un sérieux
et un professionnalisme qui forcent le respect et qui ont eu le
mérite de faire de BordeauxEchecs un club de niveau national, régulièrement classé dans
les dix premiers clubs français.
Une politique certes volontariste mais dans laquelle le club
trouve néanmoins son compte :
« Dans les catégories jeunes, en
gros jusqu’à 11-12 ans, les filles
sont plus fortes, explique
Serge Tabaroni. Elles sont plus
patientes, moins impulsives que
les garçons. Elles utilisent tout
le temps nécessaire ». Des qualités que le club a eu l’intelligence de mettre en avant dans
sa moisson de titres...
Loin de l’atmosphère tendue des
salles de championnats, Bordeaux-Echecs intervient dans
une trentaine d’écoles, essentiellement sur Bordeaux. Serge
Tabaroni est en effet convaincu
des vertus pédagogiques du jeu
d’échecs, « notamment sur la
concentration », explique le
président. De là à mettre mat
l’échec scolaire...
DAMIEN STROKA
Bordeaux-Echecs : 36, rue
Buhan, 33000 Bordeaux.
Tél. : 05 56 51 71 71
36
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
BULLETINS,
RÉPONSES
ET AUTRES
MOTSCROISÉS
V ELYNE
É
GUÉRARD
EST UNE
JOUEUSE INVÉTÉRÉE, MAIS
RAISONNÉE .
C’EST
ELLE QUI
Concouriste : personne
qui participe à de nombreux
concours. Elle. Ou presque.
Le jeu. Première interrogation
et première réaction un peu
vive. « Attention. Je ne joue pas
aux jeux d’argent, au contraire.
Le jeu, pour moi, est une passion. Surtout lorsque les mots y
ont une grande importance. »
Les mots, la recherche des mots,
la passion des mots, mots croisés, jouer avec les mots. Des
expressions qui reviennent souvent dans la bouche d’Evelyne
Guérard.
LE DIT.
LE
LOT N’EST JAMAIS QUE LA CERISE
« Je ne demande
pas grand chose, un petit
cadeau, pas une maison ou de
l’argent. » Les mains s’animent
un peu. Jouer pour « passer son
plaisir ».
Le jeu, une passion. Encore,
toujours. Une passion commencée très jeune, à 7 ans, avec le
journal Spirou. Premiers jeux et
premiers gains. « Un livre de la
bibliothèque rose. » Ce qu’elle
ne savait pas, c’est que ce
passe-temps n’allait plus la
quitter. Et elle participe à tous
les concours qui lui tombent
sous la main. Mais jamais plus
que de raison. « S’il fallait acheter une boîte de sardines ou de
raviolis pour jouer, je l’achetais.
Je les mangeais de toutes
façons. » Dans une annonce,
elle découvre la Revue des jeux,
qui lui permet d’éviter des
dépenses inutiles.
Elle est concouriste, mais
« dans la limite du raisonnable.
Je ne suis pas comme ces
joueurs que l’on entend ici ou là
et qui font appel à des prêtenoms pour multiplier leurs
chances. » Puis elle se ravise.
Elle se souvient de l’avoir fait
pendant six mois avec deux personnes. Avant de se rendre
compte que c’était plus enquiquinant qu’autre chose. Depuis,
« je joue pour moi, c’est tout.
J’assimile ces pratiques (les
prête-noms) à de la triche. Si je
gagne, je ne le dois qu’à moi
seule. » La triche, elle ne la
supporte pas. « Ça ne fait pas
partie du jeu. J’ai horreur des
tricheurs. » Mauvaise joueuse
Evelyne ?
PHOTO D. R.
SUR LE GÂTEAU.
Retour sur son enfance durant
SI ELLE PERD, ELLE RÂLE intérieurement et se rassure en se disant laquelle le jeu sous toutes ses
qu’elle n’est pas morte et qui formes était déjà très présent.
Dans
sa
sait, un jour...
famille, ils
La
chance
“J’embête
étaient cinq
frappera à sa
enfants. Et
porte. La quatout le monde
pour Evelyne
lité principale
parce que
il était normal
du concouriste
je suis toujours
que les jeux
selon elle ?
devant les jeux”
de
société
Vivre sur l’espoir. Attendre
fassent partie
du quotidien.
les résultats,
un coup de téléphone, une Comme une tradition. Tradition
lettre, un télégramme, un qu’elle a perpétuée au sein de sa
propre famille : « Avec mes
recommandé.
enfants, il ne s’est pas passé un
dimanche sans que nous ne
jouiions à un jeu de société. » Et
lorsqu’elle évoque ces moments,
aujourd’hui un peu disparus,
ses mains semblent flotter dans
les airs alors que ses yeux bleus
s’évadent derrière les carreaux
de ses lunettes.
LES CONCOURS. Le thème revient
comme se ravive la flamme
d’une bougie. Cette activité a
toujours été présente dans sa
vie. Sur tous types de magazines. Qu’ils lui soient destinés
ou qu’ils le soient aux autres.
« Tous les magazines qui ren-
traient à la maison. » Les
timbres. Primordiaux pour pouvoir participer. Ses parents l’ont
d’abord aidée, avant qu’elle ne
puisse elle-même se les acheter.
Jusqu’à tard dans sa vie, elle a
ignoré qu’elle pouvait se les
faire rembourser. Maintenant,
elle est entrée dans la combine.
« On est remboursé à 90 %. Une
année, j’ai même joué sans
acheter de timbres ! »
Evelyne Guérard aime les
concours mais pas au point de
se laisser déborder par eux.
ELLE S’ORGANISE. Tous les quinze
jours, elle remplit des bulletins.
« Ça me prend d’une demiheure à une heure. » Voire une
ou plusieurs après-midis,
lorsque les réponses à trouver
sont particulièrement corsées et
qu’il faut se rendre à la bibliothèque pour consulter des encyclopédies. Les jeux comme
moyen
d’accumuler
des
connaissances. Un plus non
négligeable, qui peut servir par
la suite. Dans les mots croisés,
par exemple.
Les jeux de papiers intéressent
plus particulièrement la joueuse
invétérée, mais qu’en est-il des
autres supports ? Le téléphone,
elle l’a expérimenté, mais son
principe sacro-saint l’a tout de
suite arrêtée. « Je ne joue pas
d’argent. » Internet ? Elle s’y
essaie parfois. Le Loto, les jeux
de grattage ? Comme tout le
monde, elle y a tenté sa chance
une fois ou deux. Sans conviction. Les jeux télévisés ? Elle
les aime énormément et peut
quasiment tous les citer. Avec
une préférence pour les jeux
intellectuels comme Questions
pour un champion. Par contre,
elle ne se prive pas de fustiger
des jeux qu’elle qualifie de
« débiles », comme le Bigdil, où
le candidat « est plus là pour
amuser la galerie qu’autre
chose ». Elle aimerait beaucoup
participer aux jeux télévisés
mais, pour l’instant, toutes ses
demandes ont échoué. Reste
Questions pour un champion,
qui l’intimide trop pour qu’elle
soit candidate. Elle ne se sent
pas à la hauteur. La peur
d’échouer, l’appréhension. Et
elle s’interrompt pour lâcher,
l’air fautive :
…
JEUX...
DE
BORDELAIS
…
« De toutes façons j’embête tout le monde parce que je
suis toujours devant les jeux. »
Quand un lot l’intéresse plus
particulièrement,
Evelyne
dépose sur le bulletin ses trois
grigris pendant un petit
moment.
UN
TRÈFLE À QUATRE FEUILLES, UN
(souvenir d’un voyage
en Egypte) et un coquillage
acheté à Marseille. « Des
bêtises, mais bon, chacun ses
SCARABÉE
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
petit trucs. Je ne suis pas
gaga ! » Le résultat n’est donc
pas faussé. Cependant, à force
de jouer, Evelyne gagne. Cela va
du salon en cuir dans lequel se
passe l’entretien (« j’ai même pu
choisir la couleur ») à « un frisbee ». En passant par un four à
micro-ondes, un frigo, un
mixeur, des livres, des CD, des
CD-roms, un lapin articulé à
piles... Mais, « pas de voyage ».
Dommage pour cette femme qui,
Le B.A.Ba
du concouriste
Les gagnants sont sélectionnés
par simple tirage au sort, la
participation étant gratuite.
JEUX-CONCOURS
Les participants sont en
premier lieu classés par le
nombre de réponses exactes
ex-aequo éventuels départagés
par un tirage au sort ;
la participation étant toujours
PATIENTS
D’ENFANTS
pourtant, voyage et aime voyager et voudrait « découvrir
d’autres pays ». Dans l’appartement, on ne trouvera presque
aucun des lots gagnés. « Je suis
quelqu’un qui n’accumule pas.
Je donne tout. Ou presque. »
Passionnée mais généreuse.
C’est une joueuse invétérée,
mais raisonnable. Cela sonne
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
EWEN COUSIN
PHOTO E. C.
E MONDE DES JEUX-CONCOURS EST UNE JUNGLE. ILS
L
SONT NOMBREUX, ONT DIFFÉRENTES FORMALITÉS ET
SURTOUT DES RÉPONSES TRÈS VARIÉES. D’OÙ L’IDÉE
JULIEN PARROU, UN JEUNE BORDELAIS,
1995 LA REVUE DES JEUX.
DE
DE CRÉER EN
définition des opérations
comportant à la fois deux
E. C.
CONCOURS
Opération liée à une obligation
d’achat pour laquelle la
sélection du (des) gagnant(s) ne
peut se faire que par sa (leur)
sagacité (connaissances,
habileté, rapidité), sans qu’il ne
soit jamais procédé à un tirage
au sort ou laissé la moindre
place au hasard.
37
comme une contradiction. Evelyne assure qu’elle n’a pas que
la passion du jeu qui coule dans
ses veines. La peinture est là
également. Et puis, l’amour
qu’elle porte à son mari est bien
plus fort. « Il n’aime pas vraiment le jeu. Alors, s’il me
demande de tout arrêter du jour
au lendemain, je le ferai. »
Cela concerne des jeux sur papier (courrier et bulletin) et par téléphone. Les autres rubriques vont
de l’arnaque au forum (bourse d’échange de lots
gagnés, témoignages de joueurs), en passant par
de nombreuses brèves sur... les jeux. La revue est
entièrement conçue par la petite équipe, qui
cherche les différentes réponses aux concours
(avec l’aide des abonnés) et qui en parallèle se
développe sur Internet par le biais de son site :
concours.fr. Ce dernier, qui revendique entre
2 500 et 3 000 visiteurs par jour et 20 000 abonnés par mailing, fait un listing de jeux présents sur
le net. Il s’agit là pour la revue papier d’un moyen
de trouver de nouveaux abonnés.
Le lecteur-type de la publication de Liet éditions
(un million d’euros de chiffre d’affaires) est plutôt
une femme (60 % du lectorat) ayant fait peu
d’études supérieures et habitant en milieu périurbain. Enfin, pour information, le lectorat se divise
en trois blocs distincts et égaux : les 20-35 ans, les
35-40 ans et les plus de 45 ans.
gratuite.
VILAINS
LA REVUE
DES JEUX :
TOUS
POUR
GAGNER
JEUX
(ou de points obtenus) et les
DE
En presque sept ans, la publication a beaucoup
évolué. On est bien loin des 16 premières pages
fabriquées artisanalement par Julien Parrou chez
lui et tirées à 20 exemplaires. Aujourd’hui, la
revue publiée par la SARL Liet éditions, qui
compte quatre salariés, affiche fièrement un
compteur à 12 000 exemplaires. Uniquement par
abonnement et sur toute la France. « Le succès est
dû en très grande partie au bouche à oreille. »
La revue des jeux est un mensuel de 28 pages (qui
va prochainement passer à 32) comportant 11
rubriques, qui liste de nombreux jeux organisés
avec leurs différentes modalités de participation.
LOTERIES OU TOMBOLAS
Termes à proscrire, même
assortis de l’adjectif “gratuite”,
dans la mesure où elles sont
prohibées, signifiant par
notions incompatibles :
obligation d’achat et hasard.
E MOINS QUE L’ON PUISSE DIRE,
L
C’EST QUE LES TEXTES DE LOI
RÉGISSANT LES JEUX SONT
AMBIGUS.
En général, en cas de litige,
c’est la jurisprudence qui fait
office de référence. En pratique,
pour les différents jeux,
concours et jeux-concours, la
seule obligation est de déposer
le règlement complet chez huissier, ainsi que tous les documents ayant trait au jeu (bulletin de participation, mailing,
affiche...), afin de procéder à la
rédaction du procès verbal de
dépôt daté du jour de la réception.
L’huissier a alors à sa charge de
contrôler la régularité du règlement. Par exemple, il ne peut y
avoir d’obligation d’achat si la
notion de hasard apparaît,
comme c’est le cas pour un
tirage au sort. C’est pour cela
qu’un bulletin de participation
présent dans une revue doit
pouvoir être recopié sur papier
libre.
Un règlement, dont le nombre
d’articles est laissé au librechoix de l’organisateur, doit
obligatoirement spécifier le
mode d’attribution des lots. De
plus, il doit en préciser le
nombre, la consistance et surtout la valeur. Cela évite bien
des désagréments aux organisateurs. Ainsi, une personne
gagnant un voyage dont le montant n’est pas précisé est libre
de choisir son agence de voyage,
quel qu’en soit le coût.
Le règlement doit également
mentionner qu’il est déposé
chez un huissier, avec le nom et
la ville de ce dernier. Il doit être
adressé à titre gratuit à toute
personne qui en fait la
demande. Ce afin d’éviter toute
illégalité et contestation possible. Par ailleurs, il ne doit pas
y avoir d’ambiguïté dans l’intitulé du règlement, qui men-
dibilité du jeu, sa présence est
conseillée. Concernant le remboursement des frais engagés
par un participant, le remboursement du timbre n’est pas obligatoire, mais dans la pratique, il
est des plus courant de le faire.
En revanche, concernant les
Il est parfaitement illégal
d’associer la notion de hasard à
l’obligation d’achat. C’est
strictement interdit aux
sociétés commerciales. Une
seule exception, et elle est de
taille : l’Etat a le droit
d’organiser des jeux associant
CE QUE DIT
LA LOI
tionne précisément la date
limite de participation et ses
modalités.
Il n’est pas obligatoire, si ça
n’est pas précisé que l’huissier
assiste au tirage au sort.
Cependant, pour garantir la cré-
l’obligation d’achat d’un ticket
et le hasard : tirage au sort
(Loto) ou grattage.
jeux par téléphone, minitel ou
Internet, dès que la notion de
hasard apparaît, les frais doivent être remboursés. Une
limite : les remboursement ne se
font qu’à la demande du participant.
E. C.
38
JEUX...
M
DE
ARCHÉ DES
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
DE
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
MORDUS
DE
VILAINS
CHARTRONS,
SAMEDI SOIR, À 23 HEURES.
UNE
GRANDE PORTE CLOSE
N ’ INDIQUE EN RIEN L’ OBJET DU JEU
QU’ELLE DISSIMULE. Tout juste une
inscription équivoque en lettres
italiques, blanc sur noir : La
Novice. Pas de poignée. Un
judas et une sonnette, cachée à
gauche dans le renfoncement
des gonds.
Un homme, une femme se présentent. La porte s’ouvre. Une
silhouette apparaît : celle de la
patronne des lieux, Anne. Soutien-gorge et string à franges
rouges : « Bonne soirée ».
La piste de danse est déjà bien
remplie. Six femmes s’éclatent.
Elles font un strip-tease, se
caressent. Les maris sont au bar,
ils observent.
La couleur du soir, c’est le
rouge. Celle de la chemise des
hommes qui discutent allègrement en sirotant leur cocktail,
celle des rideaux drapés et suspendus le long des murs. La
couleur des vêtements des
femmes aussi, qu’elles laissent
tomber, un à un. Les miroirs
reflètent leur jeu érotique.
Avec son profil de catwoman,
Anne joue les maîtresses du jeu.
Un genou sur le comptoir, un
talon en l’air et la main sur un
barreau, elle se penche vers un
client qui attend au bar.
« Qu’est-ce qu’il veut le jeune
homme ? », lui susurre-t-elle à
l’oreille avant de l’embrasser
fougueusement.
Riches bourgeois
et Bordelais plus
modestes, beaux ou
vieillis, tous partagent le même amusement. Pour une
nuit, les règles changent. Maris
et femmes s’autorisent à goûter
le sexe avec un autre.
PHOTO D. S.
ILLES ,
G
TROCS
EN VRAC
LE
JEU EST CODÉ.
LES
FEMMES
Les
couples s’abordent selon un jeu
de regard très précis. Une
femme, la trentaine, lance une
œillade, une deuxième lui renvoie. Elles s’éloignent pour se
déshabiller mutuellement.
La case suivante est celle du
petit salon, aménagé derrière la
cage. Un couple BCBG semble
hésiter à faire le premier pas.
Lui est en costume. Elle porte
une belle petite robe noire et
paillettes, avec des talons. D’un
pas décidé, elle se dirige vers
un canapé, s’installe avec une
femme. Elles entreprennent de
se découvrir. Une troisième les
rejoint rapidement. Un homme
s’intercale.
Un voyeur d’une cinquantaine
d’années s’arrête quelques
secondes devant la scène. Sa
présence procure du plaisir aux
couples qui s’exhibent.
La partie se poursuit derrière
l’épais rideau noir. Là, un premier matelas noir de trois
mètres sur trois est bordé de
barreaux de fer. Une croix de
bois avec des menottes, une
table de gynécologie... La nuit
se poursuit ici jusqu’au petit
matin, tôt.
Les couples referment alors la
porte. La partie est finie.
44
ANS , FRÉQUENTE
ASSIDÛMENT LES CLUBS BOR-
DELAIS. S’affirmant « Partouzard » assumé, il parle de la
dimension ludique de l’échangisme.
OÙ EST LE JEU DANS L’ÉCHANGISME ?
Pour moi et ma partenaire, le
but est de rencontrer des gens
qui vont partager notre complicité, notre sens du jeu : la pratique du sexe par plaisir et pour
le plaisir. Ensuite, il faut voir
comment les couples réagissent
des êtres humains et un être
humain, ça se respecte, on ne le
possède pas. Il a des envies, j’ai
des envies : si on peut les partager, alors c’est merveilleux. Il
n’y a rien de sale, il n’y a rien de
vulgaire.
Cela dit, il arrive que des gens
se montrent irrespectueux. Ce
sont d’ailleurs toujours des personnes qui n’ont absolument pas
la mentalité libertine mais qui
essayent quand même de pénétrer dans le milieu...
P. GI.
PARTOUZARD
AFFIRMÉ
LES
CORPS NE SONT - ILS QUE DES
CORPS
?
Non. Dans le libertinage, le respect est très important. Ce n’est
pas parce que l’on aime jouer
avec les corps que l’on possède
ces corps. En face de nous, nous
savons très bien que nous avons
Lors de mon éveil sexuel, j’avais
18 ans. C’est le goût du « toujours plus » qui m’y a poussé.
Quand j’avais des relations avec
une femme, cela me plaisait
énormément. Je trouvais plus
logique de les avoir ensemble
plutôt que séparément. Et
comme je ne suis ni macho ni
phallo, je trouve normal qu’une
femme pense la même chose...
COMMENT VOUS QUALIFIERIEZ-VOUS ?
N’ENTRENT PAS EN PANTALON.
en fonction de ce qu’ils aiment
et de ce que nous, nous aimons.
Si vous voulez, c’est comme si
chaque nouvelle fois était une
première fois ! Il y a le plaisir
de découvrir un corps : celui
qui est à la maison, on sait comment il est, on sait comment il
bouge, on sait comment il
réagit… C’est cela qui est très
ludique dans les rapports
sexuels à plusieurs : plus on
multipliera les partenaires et
plus les sensations seront nombreuses et variées.
QUAND ET COMMENT ÊTES-VOUS VENU
?
AU LIBERTINAGE
QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LES
CLUBS ÉCHANGISTES ACTUELS ?
À mon sens, la nouvelle clientèle des clubs, beaucoup « plus
soft », pose un vrai problème.
Les clubs font de la publicité et
ouvrent leurs portes à tous, y
compris aux « fantasmeurs » qui
ne s’expriment pas en public et
qui tuent l’ambiance et l’image
de ces clubs.
Ces gens ne jouent pas. Ils arrivent dans les clubs pour tenter
de résoudre leurs problèmes de
couple alors que c’est précisément le genre d’endroit qu’il ne
faut fréquenter que lorsqu’on a
aucun problème de couple !
Dans la vie sexuelle, le libertinage, c’est la cerise sur le
gâteau, ce n’est pas le gâteau.
Le libertinage, c’est prendre le
sexe par l’amusement et le jeu.
Or, dans les clubs, c’est quelque
chose que l’on ne trouve plus du
tout.
Le terme qui me conviendrait le
mieux
est
celui
de
« partouzard » . Il y a énormément d’appellations : échangistes, mélangistes, voyeurs,
exhibitionnistes...
« Echangiste » est un terme qui
ne me convient pas : à mon sens,
il revient à dire : « je te prête ma
femme, tu me prêtes ta femme et
on va chacun de notre côté » .
Où est le respect ? Où est l’amusement ? C’est de la consommation de viande...
QU’EST-CE QUE LE MÉLANGISME ?
Les mélangistes échangent des
caresses avec différents partenaires mais sans pénétration
hors couple. Personnellement,
je ne peux pas m’amuser avec
eux. Le problème, c’est qu’ils
sont de plus en plus nombreux,
ils composent même la majorité
de la clientèle des clubs. C’est
ce qui fait que les gens ne
s’amusent pas.
QUE RESTE-T-IL POUR
“PURISTES” COMME VOUS ?
DES
Les soirées privées. On se
retrouve, entre gens de même
sensibilité, en lieu privé où rien
n’est tabou, rien n’est interdit.
PROPOS RECUEILLIS
PAR DAMIEN STROKA
ET PIERRE GIRARD
JEUX...
DE
BORDELAIS
D’INVENTEURS
DE
FLAMBEURS
PATIENTS
D’ENFANTS
D ’ACT E U R S
DE
DE
VILAINS
39
AU PAYS DE
GARGANTUA,
LES OGRES
S’AMUSENT
L ÉTAIT UNE FOIS, EN PLEIN QUAR-
I
SAINT-PIERRE DE LA
“BELLE ENDORMIE”, UN LIEU
EXTRAORDINAIRE... TOUS LES OGRES
DE LA VILLE, ET MÊME D’AILLEURS, S’Y
RETROUVAIENT. C’était le seul
TIER
endroit de Bordeaux où ils pouvaient manger à leur faim, où ils
pouvaient manger sans fin. Les
couverts étaient si gros qu’eux
seuls pouvaient s’en servir. Tout
était adapté à leur appétit. Si
bien que l’on nomma le menu
roi de cet endroit du nom de
celui que tous ces gourmands
vénéraient : Gargantua. Un
menu si garni, si lourd et si complet, que même les plus voraces
des gloutons avaient du mal à
finir. Ainsi, plus qu’un repas,
cette avalanche de plats devint
une bravade. Il fallait tous les
engloutir. La soupe aux choux,
le bastiau de charcutaille, le
foie gras de canard mi-cuit, les
crevettes sautées, le camembert
flambé à l’Armagnac... En tout,
huit plats, un apéritif, un trou
périgourdin, le café et son
pousse, une surprise, un cigare,
un magnum de vin rouge
(1,5 litre) et quelques verres de
Loupiac et d’Entre-Deux Mers
ici ou là.
Depuis, tous les ogres de la ville
doivent un jour ou l’autre passer
sur le grill de ce festin en guise
de pélerinage culinaire. Une
sorte de rite, né en même temps
que La soupe aux choux, le restaurant dans lequel on le
trouve... voilà deux ans. « Ce
menu est notre thème central »,
explique le patron, Pierre Mon-
MORDUS
PHOTO NICOLE LEVIGNE
toux. « C’est d’ailleurs grâce à
lui que les gens nous connaissent. Il ne laisse pas indifférent. » Et d’assurer que « les
clients qui s’y essayent sont là
pour jouer. Souvent, ils se lancent des défis : celui qui finira
tous les plats sans exception,
celui qui finira le plus vite... »
Le record de vitesse est de cinq
heures et demi... celui de la lenteur est de plus de onze heures.
“C’ÉTAIT UNE FILLE TOUTE PETITE et
assez mince. Elle devait faire à
peine 50 kilos bien trempés.
Elle est venue avec son copain
et ils ont commencé, tout doucement. Mais elle a fini tous les
DE
ce menu. « Nous sommes montés dessus à trois. En tout, il y
avait plus de 350 kilos. C’était
le test. Elle a tenu, et on a su
qu’elle pouvait supporter autant
de mets. » Car si les plats sont
nombreux, ils sont aussi surdimensionnés.
ASSIETTES,
PHOTOS NICOLE LÉVIGNE
plats, c’est exceptionnel. » Car
tous ne peuvent pas se targuer
d’un tel exploit. « Des fois il y a
des jeunes qui viennent pour se
lancer des défis, mais dès le
début on voit qu’ils n’arriveront
pas au bout. Ils commencent à
fond, sans prendre le temps, et
ça ne loupe pas : après troisquatre plats, ils calent et c’est
beaucoup plus pénible. Il y a
aussi ceux qui ne se sont pas
préparés et qui n’en peuvent
plus. Un jour, un couple est
venu et n’a pas pu finir. Ils
étaient dépités et sont partis
avant la fin du repas, très déçus,
peut-être même touchés dans
leur orgueil. » L’orgueil du
joueur qui a perdu face à plus
fort que lui. Le menu Gargantua
n’est pas fait pour les goinfres
irréfléchis.
SEULS LES FINS TACTICIENS peuvent
venir à bout de cette montagne
gastronomique. « Il faut savoir
prendre son temps, déguster les
mets, discuter entre chaque
plat.» D’où l’importance de
venir en nombre. « Le mieux,
c’est huit. A ce moment-là, c’est
une vraie fête. Ils se provoquent
à longueur de repas, ceux qui
n’y arrivent plus sont poussés
par les autres... Mais on peut
venir à deux ou trois. De toute
façon, en six heures, les clients
ont le temps de s’amuser avec
les cuisiniers. »
Et parmi ces derniers, « le gros
Pascal », figure emblématique
du lieu qui a testé avec Pierre
Montoux le menu lorsqu’ils l’ont
créé. « Nous avons tout goûté,
du début à la fin. Et en même
temps nous en avons profité
pour tester la table. » Brinquebalante, tordue, inclinée, seule
cette table ornée d’un poivrier
géant semble digne d’accueillir
VERRES ET BOUTEILLES
sont à la mesure des ambitions
des joueurs, histoire de marquer
le coup. « On ne les sort que
pour ce menu. C’est un événement important, les gens s’en
souviendront longtemps .»
Mais qui sont ces gens au juste ?
« Il y a de tout. Des vieux, des
jeunes, des riches, des moins
riches... » Leur seul point commun ? « Ils aiment la bonne
bouffe. » A tel point que certains sont prêts à vider leurs bas
de laine pour ce petit plaisir à
80 euros (530 francs). « Ce sont
généralement des personnes qui
font un gros sacrifice financier.
Cela fait des mois qu’ils y pensent et qu’ils se privent d’aller
au resto pour venir ici.
D’ailleurs je préfère ce type de
clients qui viennent là vraiment
pour prendre du plaisir et
s’amuser, et qui se forcent à finir
tous les plats, que d’autres qui
goûtent à tout pour déguster
mais qui ne prennent pas ça à la
rigolade.» Et d’ajouter, fièrement : « Pour l’instant, aucun
n’est revenu. C’est une chose
qu’on fait une fois, pour voir. »
RÉMI CARAYOL
QUEL JOUEUR
ÊTES- VOUS ?
1• A la fin d’un
dîner chez des
amis, on vous
propose une partie
de poker à
5 centimes d’euro
le point :
♠ Vous ne jouez pas, de
toute façon vous n’avez jamais
6• A Noël,
votre enfant a eu
un jeu vidéo.
Il vous demande
de faire une partie
avec lui :
♠ Vous le laissez gagner
♣ Vous vous prenez au jeu
♥ Vous lui mettez 20 points
de chance
dans la vue, il a peut-être
♣ Vous participez en faisant
monter les enchères
♥ Vous acceptez mais juste
oublié que vous étiez
champion inter-lycées toutes
catégories 1972-1973
pour une partie
Cochez dans la grille
des doigts
ci-dessous les réponses
ventes flash pour ne pas
louper l’affaire du jour
♥ Équilibrez entre
promotions et le strict
nécessaire
B
C
A
B
A
A
B
A
C
B
7
A
lequel vous évoluez
B
B
A
A
C
B
C
A
C
5
4
3
Vous avez un
maximum de B
Ni flambeur, ni allergique aux
modéré. Dans la vie, il faut se
A
B
C
jeux, vous êtes un joueur
2
9• Vous décidez
d’acquérir une
voiture, arrivé chez
le concessionnaire,
vous :
♠ L’achetez au prix indiqué
♣ Marchandez pour obtenir
fixer des limites et vous
le prix qui vous convient quitte
A
C
B
♣
modèle moins onéreux
Mais vous ne boudez pas votre
plaisir à jouer quelques euros
♣
de vous rabattre sur un
♠
♥ Tentez de négocier avant
dépassez rarement les vôtres.
au casino ou à gratter des
tickets de la Française des
jeux.
10• Quelle
citation se
rapproche le plus
de votre
conception
du jeu :
♠ “Le jeu permet de tout
Vous considérez avant tout le
jeu comme un divertissement
car l’essentiel est ailleurs.
Vous avez un
maximum de C
oublier, y compris qu’on n’a
Le jeu ? Très peu pour vous.
pas les moyens de jouer”
Une partie de petits chevaux
Philippe Bouvard
chez tante Agathe et encore...
♣ “Dans le jeu on n’est pas
libre, pour le joueur, le jeu est
un piège” Milan Kundera
♥ “On ne doit pas jouer franc
jeu quand les autres trichent”
Gil Bluteau
En un mot, les jeux vous
PHOTO RÉMI CARAYOL
♣ Suivez l’animateur des
échiquier grandeur nature sur
avec brio.
à y passer l’après-midi
votre liste
titiller le démon du jeu qui
est en vous. La vie est un
B
sensations à découvrir
5• Au
supermarché,
vous :
♠ Suivez scrupuleusement
chez des amis. Toutes les
occasions sont prétexte à
C
ami
4• Vous
compareriez
le jeu à :
♠ La vitesse
♣ L’angoisse
♥ L’excitation
monde une partie de cartes
6
♣ Vous acceptez à condition
♥ Super ! de nouvelles
mieux demain
manqueriez pour rien au
de votre assurance-vie
♣ Vous vous fâchez avec cet
♥ Vous vous dites que ça ira
à tous les concours et ne
C
de sauter en tandem
seconde nature. Joueur dans
l’âme, vous participez
C
d’avoir été aussi naïf
10
8• Votre entreprise
vous offre un stage
de parachutisme
pour trois jours :
♠ Vous vérifiez les garanties
Chez vous le jeu est une
9
3• Vous avez joué
gros en bourse sur
les conseils d’un
ami et vous avez
tout perdu.Quelle
est votre réaction ?
♠ Vous vous en voulez
Vous avez un
maximum de A
correspondant à vos questions
8
♣ Envie de partir
♥ Une montée d’adrénaline
1
2• Quand vous
jouez, vous
détestez :
♠ Que les autres trichent
♣ Que les autres râlent
♥ Perdre
7• Quand vous
entrez dans un
casino, vous avez :
♠ Des picotements au bout
laissent de marbre. Pour
vous, le hasard et la chance
ne sont pas des valeurs sûres.
C’est clair, vous n’aimez pas
prendre de risques.