1 Ruth Aujourd`hui, nous allons ensemble partir à la rencontre de

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1 Ruth Aujourd`hui, nous allons ensemble partir à la rencontre de
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Ruth
Aujourd'hui, nous allons ensemble partir à la rencontre de quelqu'un, un personnage discret mais
pourtant essentiel de la Bible. Il s'agit d'une femme étrangère, une migrante à proprement parler. Vous
l'aurez reconnue: il s'agit de Ruth.
Je ne vais pas lire maintenant les quatre chapitres du livre de Ruth dans leur intégralité. Vous allez
entendre quelques morceaux choisis de ce petit livre de l'AT et je vais les commenter au fur et à
mesure. Les textes bibliques seront donc intégrés à la prédication.
Ecoutons comment l'histoire de Ruth commence...
Aux jours où les juges gouvernaient, il y eut une famine dans le pays. Un homme de Beth-Léhem de
Juda partit, avec sa femme et ses deux fils, pour séjourner en immigré au pays de Moab. Le nom de
cet homme était Elimélek, le nom de sa femme Noémi et le nom de ses deux fils Mahlôn et Kiliôn ; ils
étaient Ephratites, de Beth-Léhem de Juda. Ils arrivèrent au pays de Moab et ils y vécurent. Puis
Elimélek, le mari de Noémi, mourut, et elle resta seule avec ses deux fils. Ceux-ci épousèrent des
Moabites. Le nom de la première était Orpa et le nom de la seconde Ruth. Ils habitèrent là environ dix
ans. Mahlôn et Kiliôn moururent aussi tous les deux, et la femme resta seule, privée de ses deux
enfants et de son mari. Alors elle revint du pays de Moab, avec ses belles-filles. En effet, elle avait
appris, au pays de Moab, que le SEIGNEUR était intervenu en faveur de son peuple en lui donnant du
pain. Elle quitta le lieu où elle vivait, ses deux belles-filles avec elle ; elles se mirent en route pour
retourner en Juda. [Noémi essaye alors de dissuader ses belles-filles de l'accompagner: elle leur
recommande de retourner chez leurs mères et de se remarier dans leur propre peuple. Il n'y a rien qui
les attend en terre de Juda, y venir avec elle c'est se priver d'avenir. Orpa se laisse convaincre, mais
Ruth persiste à s'attacher à Noémi.] Noémi dit alors : Ta belle-sœur est retournée à son peuple et à ses
dieux ; retourne, toi aussi, comme ta belle-sœur. Ruth dit : Ne me pousse pas à t'abandonner, à me
détourner de toi ! Où tu iras, j'irai ; là où tu passeras la nuit, je passerai la nuit ; ton peuple sera mon
peuple, et ton dieu sera mon dieu ; là où tu mourras, je mourrai, et c'est là que je serai ensevelie. Que
le SEIGNEUR me fasse ceci et qu'il y ajoute cela, si ce n'est pas la mort qui me sépare de toi ! Noémi,
la voyant résolue à aller avec elle, n'insista plus. (Rt 1,1-7;15-18)
Faut-il le dire? toute cette histoire a très mal commencé! Famine, exil, mort, isolement, stérilité,
vieillesse, amertume, désespoir. Situation bouchée, histoire sans avenir.
On oublie trop souvent que ce qui pousse des femmes et des hommes à migrer, ce n'est pas le plaisir
du tourisme mais la nécessité. Parce qu'il n'y a pas le choix, parce qu'il faut sauver sa vie. On part
chercher ailleurs ce qu'on ne peut pas avoir chez soi, on espère que ça ira mieux "là-bas"...
Malheureusement, pour cette famille juive, les choses ne se passent pas aussi bien qu'espéré. Aussi
Noémi doit-elle se préparer à l'une des pires humiliations que peuvent connaître les migrants: rentrer
au pays. Rentrer au pays, non pas avec les marques de la réussite, mais avec les stigmates d'un échec
total. Rentrer au pays seule, sans biens, sans descendance, sans rien. Ça va jaser chez les cousins!
Dans ces circonstances, la décision de Ruth d'accompagner sa belle-mère et de se lier à son destin
n'est clairement pas raisonnable... C'est même franchement une folie! La voilà prête à quitter son pays,
son peuple, sa culture, sa religion. Elle met en jeu sa sécurité, sa dignité, et jusqu'à son identité.
Pourquoi ? Le texte ne nous donne aucune réponse, sinon que Ruth est attachée à Noémi.
Ce qui est clair, c'est qu'elle refuse de rentrer chez sa mère.
Dans ce sens, peut-être nous faut-il entendre que, du point de vue de Ruth, il y aurait pire que partir:
ce serait ne pas partir ! Rentrer chez sa mère, rester au pays, ce serait renoncer à ses rêves, à ses
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ambitions, à son désir. Ce serait rester à l'abri du besoin, certes, ce serait un choix raisonnable, certes,
mais ce serait aussi rester confinée dans le connu, dans le "même".
Or Ruth, certainement, a soif d'autre chose. Elle a soif d' "ailleurs", c'est une aventurière ! Partir, pour
elle, c'est une décision. Elle est résolue à changer de vie, jusqu'à changer de pays, de peuple, et même
de dieu. Elle décide de croire, malgré tout, malgré les apparences, qu'il y a un avenir pour elle dans ce
pays qu'elle ne connaît pas.
Ruth et Noémi arrivent à Beth-Léhem. Se pose alors la question de leur survie. Et nous retrouvons
Ruth en train de ramasser des épis dans un champ. Ce champ appartient à un homme du nom de Booz,
qui se trouve être de la famille...
Or Booz arriva de Beth-Léhem ; il dit aux moissonneurs : Que le SEIGNEUR soit avec vous ! Ils lui
répondirent : Que le SEIGNEUR te bénisse ! Booz dit au serviteur chargé de surveiller les
moissonneurs : A qui appartient cette jeune femme ? Le serviteur chargé de surveiller les
moissonneurs répondit : C'est la jeune Moabite qui est revenue avec Noémi du pays de Moab. Elle a
dit : « Laisse-moi, je te prie, glaner et ramasser des épis entre les gerbes derrière les moissonneurs. »
Depuis qu'elle est venue, ce matin, et jusqu'à présent elle est restée debout ; elle ne s'est assise que
peu de temps dans la maison. Booz dit à Ruth : Ecoute bien, ma fille ; ne va pas glaner dans un autre
champ ; ne t'éloigne pas non plus d'ici ; attache-toi à mes servantes. Tu auras les yeux sur le champ
que l'on moissonne et tu iras derrière elles. J'ai interdit aux serviteurs de te toucher ; quand tu auras
soif, tu iras aux cruches et tu boiras de ce que les serviteurs auront puisé. Alors elle se prosterna, face
contre terre. Elle lui dit : Comment ai-je pu trouver grâce à tes yeux pour que tu t'intéresses à moi,
alors que je suis une étrangère ? Booz lui répondit : On m'a raconté tout ce que tu as fait pour ta
belle-mère depuis la mort de ton mari et comment tu as abandonné ton père, ta mère et le pays de tes
origines pour aller vers un peuple que tu ne connaissais pas. Que le SEIGNEUR te rende ce que tu as
fait ! Que ta récompense soit complète de la part du SEIGNEUR, le Dieu d'Israël, sous les ailes de qui
tu es venue chercher un abri ! Elle dit : Que je trouve toujours grâce à tes yeux, mon maître ! Tu m'as
consolée, moi, ta servante ; tu as parlé à mon cœur, alors que je ne suis pas même comme l'une de tes
servantes. (Rt 2,4-13)
Ruth est indéniablement une fille courageuse qui ne se laisse pas abattre par l'adversité. C'est une
débrouillarde! Plutôt que se replier sur elle-même et se laisser enfermer dans l'amertume de sa bellemère, elle prend l'initiative d'aller aux champs.
D'aucuns appelleraient ça du travail irrégulier! Et d'abord, a-t-elle des papiers qui l'autorisent à
profiter du fruit de la sueur des honnêtes travailleurs judéens ? Est-ce qu'elle ne viendrait pas, par
hasard, leur voler leur pain en profitant honteusement du système ? Car la loi de Moïse autorise les
immigrés à glaner quelques épis lors de la moisson...
"Ruth la Moabite"... C'est comme ça que tout le monde l'appelle. Ruth l'étrangère, celle qui n'est pas
d'ici. Celle qui part mal dans la vie, avec ce double handicap d'être étrangère et femme, de n'avoir ni
père ni mari ni frère pour la protéger, et même pas d'enfant pour la consoler de sa misère...
Les étrangers, ont veut bien les tolérer vaguement, et encore, ça dépend des étrangers! Que disait la loi
de Moïse au sujet des Moabites, déjà ? L'Ammonite et le Moabite n'entreront pas dans l'assemblée du
Seigneur, même leur dixième génération n'y entrera pas, il en est ainsi pour toujours. (Dt 23,4)
Bonjour l'ambiance!
Et puis c'est la rencontre. Imprévue. Booz. Propriétaire. Homme mûr. Respecté. Obéi. C'est dans son
champ que l'étrangère grappille. Va-t-il la remettre durement à sa place, en invoquant la loi ? Eh bien,
non. Il va lui offrir sa pleine protection, la prendre sous son aile. A-t-il une idée derrière la tête ?
Espère-t-il être récompensé par quelque faveur ? Il y a forcément une raison à tant de générosité!
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Il y a une raison, oui. Que dit Booz? Il dit qu'il reconnaît en cette jeune femme courageuse et
débrouillarde une digne héritière... d'Abraham! Comme le grand patriarche, Ruth a laissé derrière elle
sa famille, sa patrie, le pays de ses origines, pour aller vers un avenir qu'elle ne connaissait pas.
Certes, Ruth n'est pas une descendante d'Abraham par le sang, Booz le sait bien. Mais, assurément,
elle est une descendante d'Abraham par le geste qu'elle a accompli en quittant ce qu'elle connaissait
pour se risquer à la découverte de ce qu'elle ne connaissait pas. Pour accomplir ce geste là, il fallait
une sacrée dose de foi!
On oublie trop souvent que la foi n'est pas une croyance raisonnable, tranquillement pépère, mais
qu'elle est une aventure, une folie: parier sur l'avenir alors qu'il n'y a pas d'avenir.
Booz reconnaît en Ruth une digne héritière d'Abraham. En faisant cela, il lui donne une place dans le
peuple de Dieu, il intègre celle qui jusqu'à présent n'était qu'une exclue. Ruth en demeure toute
étonnée, elle ne s'y attendait pas. Et cela, c'est la grâce.
La grâce, c'est une rencontre qui vient tout bouleverser, un événement qu'on n'attendait pas et qui
vient rouvrir la porte de l'histoire quand on la pensait irrémédiablement condamnée.
Ruth retourne voir Noémi et lui raconte tout ce qui s'est passé. Noémi retrouve espoir, elle y voit un
signe de la fidélité du Seigneur, elle qui jusque là, dans son malheur, se croyait victime de
l'acharnement de Dieu! Alors Noémi se met à échafauder un scénario dont elle va confier l'exécution à
son aventurière de belle-fille...
Noémi, sa belle-mère, lui dit : Ma fille, ne dois-je pas te chercher un lieu de repos, pour que tu sois
heureuse ? En fait, Booz, avec les servantes de qui tu as été, n'est-il pas notre parent ? Or lui-même
doit vanner ce soir les orges qui sont sur l'aire. Lave-toi, parfume-toi, puis mets ton manteau et
descends sur l'aire. Ne te fais pas connaître de lui avant qu'il ait achevé de manger et de boire. Quand
il ira se coucher, tu sauras à quel endroit il se couche. Ensuite tu iras découvrir ses pieds et tu te
coucheras. Il te dira lui-même ce que tu devras faire. Elle lui répondit : Tout ce que tu m'as dit, je le
ferai. Elle descendit jusqu'à l'aire et fit exactement ce que sa belle-mère lui avait ordonné. Booz
mangea et but ; son cœur était content. Il alla se coucher à l'extrémité du tas de gerbes. Ruth vint
furtivement découvrir ses pieds et se coucher. En pleine nuit, l'homme frissonna et se retourna : une
femme était couchée à ses pieds ! Il dit : Qui es-tu ? Elle répondit : Je suis Ruth, ta servante. Etends le
pan de ton vêtement sur moi, puisque tu es rédempteur. Il s'exclama : Sois bénie du SEIGNEUR, ma
fille ! Cette dernière marque de fidélité vaut mieux encore que la première, car tu n'as pas couru après
les jeunes gens, pauvres ou riches. Maintenant, ma fille, n'aie pas peur ; je ferai pour toi tout ce que
tu diras, car sur la place publique chacun sait que tu es une femme de valeur. (Rt 3,1-11)
Si l'on regardait cet épisode avec les lunettes étroites de la vertu et de la morale, il y aurait de quoi être
choqué! Va donc séduire un riche homme mûr et fais-toi épouser! Conseil que suivent aujourd'hui
beaucoup de "filles de l'est" et d'ailleurs... Mariage blanc, mariage gris: où est la commission
d'enquête ?
Mais il n'y a pas de jugement moral dans cette histoire. On ne se situe pas sur le terrain de la vertu
mais sur celui de la foi. Ce qui guide les personnages, c'est leur foi inébranlable en l'avenir. Leur désir
de vivre, de s'en sortir coûte que coûte, de trouver une issue, une brèche.
Ce qui compte, ce qui est compté comme justice, c'est la fidélité à un désir de vivre. Assurer un avenir,
pour soi-même et pour ses descendants. La vraie fidélité, c'est la fidélité à l'avenir.
Des esprits chagrins reprochent aux migrants de tomber amoureux et de faire des enfants... avant que
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leur situation ne soit régularisée: quelle imprudence, quel scandale!
Eh oui, il est scandaleux, il sera toujours scandaleux, que l'être humain, même sans papiers, ne soit ni
un animal, ni un robot, mais un être de désir. Il est scandaleux, il sera toujours scandaleux, que le salut
d'une personne, d'une famille et parfois même d'un peuple, ne tienne pas fondamentalement à un
respect borné des règles mais à la capacité d'écouter la voix vivante du désir.
Il est et il sera toujours scandaleux que le Dieu de la Bible soit du côté du désir et non des pieuses
bondieuseries, des prêchi-prêcha de bigotes, des rationalisations savantes ou des cloisonnements
administratifs.
Alors, Ruth est-elle une opportuniste aux mœurs légères? Booz, un vieux profiteur libidineux? Et la
belle-mère, une maquerelle manipulatrice? L'histoire ne juge pas. Au contraire, la nuit passée entre
Ruth et Booz sur le champ d'orge nous est racontée à la manière d'une nuit de noces, avec un érotisme
délicat mêlé de pudeur. Et Booz reconnaît en Ruth non pas une vulgaire traînée mais une femme de
valeur digne d'être épousée.
C'est pourquoi Booz va se comporter, nous dit le texte, en rédempteur. Selon le droit et la coutume, un
rédempteur, c'est un racheteur. Il s'agit d'un membre de la famille qui rachète la part d'héritage de ceux
qui sont morts sans descendance, pour que malgré tout une descendance soit assurée à cette branche
de la famille.
Le rédempteur fait en sorte que la branche desséchée soit greffée sur une racine pleine de sève. Il
prend la relève de l'avenir. Il donne sa chance à une nouvelle pousse. Après quelques péripéties, Booz
est en mesure d'opérer cette rédemption...
Alors Booz dit aux anciens et à tout le peuple : Vous êtes témoins aujourd'hui que j'ai acheté à Noémi
tout ce qui appartenait à Elimélek, à Kiliôn et à Mahlôn, et que j'ai également acheté pour femme
Ruth la Moabite, femme de Mahlôn, pour maintenir le nom du défunt sur son patrimoine et pour que
le nom du défunt ne soit pas retranché d'entre ses frères et de la porte de sa ville. Vous en êtes témoins
aujourd'hui. Tout le peuple qui était à la porte de la ville et les anciens dirent : Nous en sommes
témoins ! Que le SEIGNEUR donne à la femme qui entre chez toi d'être comme Rachel et Léa qui, à
elles deux, ont bâti la maison d'Israël ! Déploie ta force à Ephrata, fais-toi un nom à Beth-Léhem !
Puisse la descendance que le SEIGNEUR te donnera par cette jeune femme rendre ta maison
semblable à la maison de Pérets, que Tamar donna à Juda ! Booz prit Ruth et elle devint sa femme ; il
alla avec elle. Le SEIGNEUR donna à Ruth de concevoir, et elle mit au monde un fils. Les femmes
dirent à Noémi : Béni soit le SEIGNEUR qui ne t'a pas laissée aujourd'hui sans rédempteur ; que son
nom soit proclamé en Israël ! Il te fait revenir à la vie, il pourvoira à tous tes besoins dans ta
vieillesse ; car ta belle-fille qui t'aime l'a mis au monde, elle qui vaut mieux pour toi que sept fils.
Noémi prit l'enfant et le mit sur son sein ; c'est elle qui fut sa nourrice. Les voisines lui donnèrent un
nom en disant : Un fils est né de Noémi ! Elles l'appelèrent du nom d'Obed. C'est le père de Jessé,
père de David. (Rt 4,9-17)
La branche morte de la famille est régénérée. Elle est régénérée par l'union de Booz avec Ruth la
Moabite, Ruth l'étrangère! C'est grâce à un apport extérieur qu'une nouvelle page de l'histoire de cette
famille, et plus largement du peuple d'Israël, va pouvoir s'écrire.
Or, il faut savoir que dans la loi de Moïse, le mariage avec des femmes étrangères est très mal vu et la
plupart du temps interdit. De plus, à l'époque où le livre de Ruth est écrit, le peuple juif est tout juste
revenu de son exil à Babylone. En cette période de crise, dans un souci de préserver "l'identité
nationale", les dirigeants radicalisent l'interdiction des mariages mixtes. On en a un exemple dans les
livres d'Esdras et de Néhémie.
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Eh bien le livre de Ruth non seulement raconte le mariage d'un juif avec une femme étrangère, mais il
va plus loin: il fait de cette étrangère l'arrière-arrière-grand-mère de David... David le grand roi qui
avait fondé le royaume d'Israël, qui avait unifié les 12 tribus et qui avait posé les bases de l'identité
juive! L'histoire de Ruth est là pour ouvrir la question de l'identité, dans un contexte où on était en
train de la verrouiller.
Ainsi, à la racine de David et du peuple d'Israël il y a cette femme étrangère qui aurait dû être exclue,
mais qui est pleinement intégrée. A la racine du peuple de Dieu, il y a cette femme qui en vient à être
comparée à Rachel et à Léa, rien que ça! Les femmes du patriarche Jacob, les mères des 12 tribus! (cf.
Gn 29-30) Ruth reçoit le même statut: le Seigneur pose par elle les fondations d'un nouvel avenir,
comme une re-création après un temps de néant, de stérilité et de mort.
Et pour qu'aucun détail ne manque au tableau, Ruth est aussi comparée à Tamar. Pour rafraîchir très
rapidement vos mémoires, Tamar est celle qui a suscité une descendance à son défunt époux en
séduisant son beau-père après s'être fait passer pour une prostituée! (cf. Gn 38) En matière de vertu et
de bonne moralité, on a vu mieux!
Mais, encore une fois, la vie n'est pas une histoire de vertu et de bonne moralité. Ruth est là pour en
témoigner. L'avenir du peuple de Dieu va être restauré par l'intermédiaire d'une femme étrangère, une
aventurière (dans tous les sens du terme!), une migrante pleine de foi, audacieuse, courageuse,
obstinée, débrouillarde, parfumée... Et surtout, surtout, fidèle à la voix du désir, fidèle à l'avenir, fidèle
à l'espérance.
Le livre de Ruth est lu aujourd'hui chez les juifs lors de la fête des récoltes. Il symbolise la générosité
de Dieu qui donne l'abondance à son peuple. Mais Ruth a aussi sa place dans une des grands fêtes
chrétiennes: Noël ! En effet, dans l'évangile selon Matthieu, juste avant de nous raconter la naissance
de Jésus, on nous présente une liste de ses ancêtres, et parmi ces ancêtres, il y a Ruth !
Ruth, le symbole par excellence de la femme étrangère, la païenne, celle que d'aucuns qualifieraient
d'impure et qu'il faudrait rejeter à cause de ses origines ou de ses mœurs, Ruth fait partie intégrante de
l'histoire du peuple de Dieu, elle est l'ancêtre non seulement de David, mais encore de Jésus et, en ce
sens, elle est littéralement notre ancêtre dans la foi! Elle est, cette Moabite, notre arrière-arrièrearrière-arrière-etc.-grand-mère, à nous et à tous les chrétiens!
A la racine de notre identité, il y a toujours une part étrangère, une part qui vient d'ailleurs. C'est grâce
à cela que notre identité peut demeurer ouverte. C'est seulement en acceptant cette part étrangère en
nous-mêmes que nous serons fidèles à notre identité. C'est seulement en accueillant cette part
étrangère en nous-mêmes que nous aurons un avenir. Amen.