strasbourg et kehl : doubles permanences du mouvement du nid

Transcription

strasbourg et kehl : doubles permanences du mouvement du nid
interview\délégation Rhône-Alpes
Rejoindre les clients de la prostitution…
La délégation du Mouvement du Nid tente des
expériences à Lyon. Explications de Michel, délégué départemental
¬De quelle manière votre délégation
se propose-t-elle d'interpeller le client ?
Depuis deux ans et demi, nous avons mis en place
des rencontres entre hommes. Elles rassemblent
3, 4 clients accompagnés de 3, 4 personnes du Nid.
Les clients sont contactés par le biais d'une annonce
positionnée au milieu de publicités pour des rencontres,
dans deux journaux gratuits lyonnais. S'ils nous
appellent, nous leur proposons de nous rencontrer
pour ‹ parler et réfléchir ›.
¬Avez-vous eu des difficultés à rencontrer
ces clients ?
Au tout début, l'annonce leur proposait de laisser
leurs coordonnées pour que nous puissions les rappeler. Les réponses étaient très favorables. Mais déontologiquement, nous ne pouvons plus le faire. Depuis,
ils sont deux fois moins nombreux à nous contacter.
Nous sommes bien là en face du client, cette ombre,
cet homme que l'on ne voit jamais.
¬Vous avez aussi entrepris une réflexion
sur le soutien du client par sa compagne,
de quelle façon ?
Nous avons réfléchi, avec ‹ Vie Libre ›, aux soutiens
possibles à apporter aux personnes alcooliques car
le client a également comme pour l’alcoolisme une
conduite dépendante. Ensuite, nous avons sollicité
neuf associations centrées sur les problèmes
de couple, afin de les interpeller sur les difficultés
qui peuvent amener l'homme à devenir un client.
Aucune ne se posait la question. La personne qui vit
avec le client peut pourtant jouer un rôle clef dans
sa prise de conscience. Les femmes ont une
qualité d'accompagnement que nous n'avons pas.
¬Quels résultats ont ces rencontres ?
Elles permettent aux clients de s'exprimer, de mettre
des mots sur leurs questions sous-jacentes. Plus de la
moitié reviennent. Ils se sentent concernés. Certains
expriment le besoin d'un suivi médical, d'une aide
psychologique. J'ai compris que le client n'était pas
tellement différent des autres hommes. Mais quand il
se précipite dans une conduite addictive, il se dégrade
en tant qu'homme. Le client renvoie plus largement
à des questions de manque de respect des femmes.
enquête\délégation du Bas-Rhin
STRASBOURG ET KEHL :
DOUBLES PERMANENCES
DU MOUVEMENT DU NID
Strasbourg, ville frontière, connaît un paysage
prostitutionnel particulier. Beaucoup de jeunes femmes prostituées
sur les quais de Strasbourg — Bulgares, Tchèques, Slovaques —
habitent à Kehl, en Allemagne, éventuellement avec leurs
proxénètes, et n’ont que le pont à traverser pour passer en France.
Cette réalité spécifique, le Mouvement du Nid l’a aujourd’hui
suffisamment expérimentée pour espérer mettre en place des
réponses adéquates et qui dépassent désormais le cadre étroit des
frontières. L’ampleur des trafics, notamment depuis 1996, ajoutée
aux spécificités de cette situation de carrefour, ont ainsi conduit
la délégation à ouvrir en octobre 2003 une permanence d’accueil,
d’écoute et d’orientation de l’autre côté du Rhin, à Kehl ; le pendant,
côté allemand, de la permanence tenue traditionnellement
à Strasbourg, temps de convivialité et d’échange bi-hebdomadaire.
Cette nouvelle étape vient compléter le travail bénévole
des membres de l’association qui arpentent chaque mercredi
pendant cinq à six heures les lieux de prostitution de la ceinture
strasbourgeoise pour rencontrer les personnes prostituées. Lors
de ces contacts, est remise une carte du Mouvement du Nid
en différentes langues — français, allemand, anglais, tchèque et
russe — désormais assortie de deux adresses, l’une à Strasbourg,
l’autre à Kehl.
L’idée s’inscrit logiquement dans les démarches
de partenariat engagées depuis 2001. Elle fait suite au travail
mené avec les associations Solwodi en Allemagne et Fondation
maison de la porte ouverte au Luxembourg, mais aussi à la
formation transfrontalière pour les représentants d’ONG,
de la police et de la justice d’Allemagne et de France, montée
par la délégation du Mouvement du Nid de Strasbourg en
septembre 2002 et qui avait réuni une cinquantaine
de participants du district de Kehl. ‹ On ne peut plus travailler
sans associer les Allemands ›, explique Isabelle Collot. Mais tout n’est
pas simple. À Kehl, la prostitution est interdite. Le réglementarisme
allemand organise la prostitution dans les grandes villes mais
l’interdit dans celles de moins de 35 000 habitants. En revanche,
le proxénétisme hôtelier n’existe pas. Les jeunes femmes ont donc
de petits studios ou résident dans des familles. Les réseaux ont
compris qu’il fallait être le plus banal possible. ‹Ce que nous
souhaitons, c’est constituer une équipe mixte, franco-allemande, à Kehl,
avec l’espoir que ces jeunes femmes s’y rendront plus facilement ›. Ici,
à Strasbourg, elles ‹ travaillent ›. À Kehl, aucun service spécifique
pour les personnes prostituées n’existait à ce jour. Reste à
surmonter les différences de sensibilité et de cadre légal entre
France abolitionniste et Allemagne réglementariste — sans se
montrer ‹ colonial ›. ‹ Les travailleurs sociaux allemands ont leur propre
cadre juridique, explique Isabelle Collot ; ils ne peuvent pas demander
d’aides sociales pour ces jeunes femmes. Cet aspect sera donc traité
en France. › Si elle relève les besoins de formation des acteurs
sociaux allemands, elle se félicite de voir avancer une autre forme,
décisive, de partenariat : ‹ Maintenant, les polices allemande
et française coopèrent. La proximité géographique a rendu
cette collaboration indispensable ›.
26
p&s|automne 2003
éric|le client par lui-même|
‹ ce n’est pas devant la prostituée qu’on se met à nu. ›
hugo|témoignage d’un client |‹ la rencontre avec des prostituées
était liée à des questions sur mon statut d’homme. ›
mickaël|témoignage d’un prostitué au sujet du client|
‹ ils font des caresses pour se justifier. ›
Marc Helleboid
benoît|témoignage d’un client |‹ aller voir une prostituée,
c’était comme un défi que je me donnais. ›
CLIENTS DE LA PROSTITUTION :
UNE EXPO POUR LEVER LE TABOU
Jamais aucune exposition n’avait encore été consacrée aux clients de la prostitution. Pour
cerner ces acteurs de l’ombre, le Mouvement du Nid lance un nouvel outil de prévention :
dix panneaux photographiques destinés à ouvrir le débat.
Des hommes, des silhouettes.
Pas de visages. Juste une approche
attentive et sensible, un travail sur
la pénombre et sur les corps. Sur ces
panneaux, Pierre, Hugo, Fabrice et les
autres ont accepté de se livrer au regard
du photographe, mêlés à quelques
femmes prostituées. Sous chaque image,
une phrase, extraite des échanges du
photographe avec ses ‹ modèles ›
et de leur patiente mise en confiance,
indépendamment de tout jugement :
un client qui accepte d’en parler avec sa
femme, un homme qui a eu son premier
rapport sexuel avec une prostituée,
un citoyen interpellé par la prostitution…
Tous ont accepté de jouer le jeu
de la réflexion en livrant quelque chose
d’eux-mêmes, même si la crainte d’être
identifié est allée jusqu’à empêcher l’un
d’entre eux de montrer ses mains. Pour
le photographe, Marc Helleboid, qui
a tenu à rendre à chacun ses propres
opinions, à incarner intimement le texte
par l’image, il ne s’agit pas d’un simple
travail d’illustration, mais bien d’une
27
démarche de portraitiste. Une démarche
destinée à libérer la parole : ‹ On est
dans le silence. Les clients eux-mêmes
sont enfermés dans le silence. › Outils
de débat, ces dix panneaux, destinés
à un public jeune ou adulte, s’inscrivent
dans une démarche de prévention.
Pilier de la campagne lancée par
le Mouvement du Nid sur les clients
de la prostitution, cette exposition est
un support d’animation tout trouvé
pour aborder un sujet qui commence
seulement à sortir de l’ombre…
p&s|automne 2003
délégation des Nord-Pas-de-Calais\B. Lemettre
PRÉVENTION :
MUSIQUE ET PAROLES
DE JEUNES
Chaque année, le conseil régional
Nord-Pas-de-Calais et la préfecture de
région organisent une opération dite
‹ Nos quartiers d’été ›. Il s’agit en fait
de soutenir des projets locaux durant
les mois d’été, s’inscrivant dans le
développement du lien social et culturel,
par la fête et la réflexion. La délégation
du Mouvement du Nid Nord-Pas-deCalais, en partenariat avec l’association
Pour la Vie, maître d’œuvre de l’action,
participe à cette activité.
Il s’agissait d’accueillir les adolescents
et de les inviter à s’inscrire à un concours
régional consistant à mettre des paroles
sur Carte blanche, du CD C’est ta vie.
Chacun des 1500 jeunes rencontrés
a reçu le CD comportant trois chansons
et une création musicale sans paroles,
intitulée Carte blanche.
Cinq jeunes de la ville d’Houdain du Pasde-Calais, qui se sont mis ensemble pour
une création, seront récompensés et seront
invités à venir se produire lors d’un rassemblement régional.
compte-rendu\délégation des Hauts-de-Seine\Florence Hodan
NANTERRE : 300 ACTEURS
SOCIAUX S’INTERROGENT SUR
LA PROSTITUTION DES JEUNES
La délégation du Mouvement du Nid des
Hauts-de-Seine a réuni avec succès 300
acteurs sociaux du département le 8 octobre
pour une journée de formation dans la salle de
conférence du Conseil général à Nanterre 1
Après avoir traité de la prévention et de la réinsertion en 1999,
la délégation a choisi d’approfondir les aspects psychologiques
et sociaux en lien avec la prostitution des jeunes. Les thèmes
abordés : les maltraitances, le sexisme dans les relations fillesgarçons, l’estime de soi, la résilience, ont été plébiscités par un
public qui sait intuitivement qu’ils sont liés à la prostitution
sans savoir exactement comment ni dans quelle mesure. Bien
sûr, une seule journée ne suffit pas à faire le tour de la question,
mais elle aura montré le désir de formation du public sur ces
thèmes et elle a, d’ores et déjà, permis à certains de prendre
conscience que la qualité du lien créée entre eux et leur public
en général, et à fortiori lorsqu’il s’agit de personnes en risque
ou en situation de prostitution, est au cœur de ce qui peut faire
réussir ou échouer la relation de suivi et d’accompagnement.
Quand on regarde de près les témoignages des personnes
prostituées, on se rend compte à quel point la question du lien est
centrale. C’est un lien défaillant ou impossible à créer, notamment avec les parents, qui, à travers la maltraitance, rend le
jeune vulnérable. C’est un lien aliénant, de dépendance,
qui précipite dans la prostitution. Christophe André l’a bien
expliqué : plus l’estime de soi est basse, plus les personnes sont
vulnérables à des discours manipulatoires parce qu’elles ont tendance à ‹ idéaliser les autres › et ‹ adoptent les avis extérieurs
comme des vérités ›. Ce n’est pas un hasard si, sur les 16 témoignages avec lesquels a été préparée cette journée, tous disent
avoir commencé pour faire comme une copine qui trouvait ça
facile, parce que leur mari ou petit ami le leur demandait ou
pour faire des rencontres dans le cas des garçons. C’est enfin un
lien positif, comme le soulignait le Pr Manciaux, qui permet de
continuer ou de reprendre un ‹ chemin de
développement ›, en dépit des expériences douloureuses, qui
permet aux personnes prostituées de percevoir d’autres vies
possibles pour elles, loin de la prostitution.
Cette journée a également été l’occasion de présenter, à un public
large, la recherche-action conduite dans le département par
l’association Altaïr, sur les conduites et les risques
prostitutionnels chez les jeunes, répondant à l’une des
préoccupations majeures des acteurs sociaux, bien identifiée
dans l’enquête que nous avons menée auprès d’eux,
de connaître les initiatives et les structures départementales
auxquelles faire appel lorsqu’ils sont confrontés à des jeunes
en risque ou en situation de prostitution. En bref, ce fut une
journée bien chargée et, pour citer l’un des participants,
‹ il y a encore beaucoup à apprendre et à écouter ›.
1| Les actes du colloque seront disponibles en mars 2004.
28
p&s|automne 2003
Mouvement du Nid et le projet du CIAF\Bernard Lemettre
12 JEUNES LILLOIS AU BRÉSIL POUR UN
CHANTIER DE SOLIDARITÉ INTERNATIONAL
L'action internationale du Mouvement du Nid concerne aussi les jeunes. La
Délégation du Nord-Pas-de-Calais, très impliquée dans des démarches de
citoyeneté en direction des jeunes, a mis au point une ‹ Mission › de solidarité avec une structure d'accueil de personnes prostituées au Brésil.
Depuis plusieurs années,
le Mouvement du Nid soutient
le projet du CIAF 1 de Ribeirao
Preto au Brésil, prenant en charge
l’accueil des personnes prostituées.
Nos amis brésiliens sont confrontés
à un développement de la
prostitution dans cette ville
de 500000 habitants, située
au centre de l’État de Sao Paulo.
Devant cette situation, le CIAF
développe des activités et met
en place des outils de prévention
et d’aide à la réinsertion sociale
et professionnelle. Du 5 au
25 juillet 2003, six étudiants
de l’EDHEC 2 de Lille et six
adolescents engagés dans un
processus de réinsertion
sont partis à Rebeirao Preto
pour prêter main-forte
à la construction du centre.
Dans le cadre du programme
TRACE de la Mission locale
de Lille-centre, cette initiative
est conduite par Philippe Stalin,
un potentiel énorme. Partir au Brésil
ne leur pose pas de problème.
Ils ont du mal à s’occuper d’euxmêmes, mais donnent énormément
d’eux-mêmes. ›
Le but est aussi de créer un lien
social entre ces jeunes qui
ont été en échec scolaire et des
étudiants qui ont réussi.
Il ajoute que les différences sont
importantes et on ne peut les
gommer comme ça. Il ne s’agissait
pas d’un voyage d’agrément,
mais bien d’une action valorisant
tellement les participants
que l’on prépare déjà le séjour
2004 avec d’autres jeunes
étudiants et apprentis.
directeur de l’atelier menuiserie
de l’ABEJ 3. Le Mouvement du Nid
Nord-Pas-de-Calais, partenaire
de l’ABEJ dans le cadre de son
action de réinsertion sociale
et professionnelle des adolescentes
et des adolescents, a contribué
à la réalisation de ce projet.
De leur côté, les responsables
de la mairie de quartier du centre
de Lille ont soutenu fortement
ce séjour. Une fondation, alertée
par le Mouvement du Nid a,
quant à elle, permis l’achat du
terrain sur lequel, peu à peu,
s’étendra la structure du CIAF.
Ce large partenariat offre
à des jeunes, d’origines sociales
différentes, de s’inscrire dans
une démarche de solidarité
internationale et de développer
ainsi leur citoyenneté universelle.
Philippe Stalin souligne
qu’à l’occasion de ce séjour il a
découvert ces jeunes apprentis
sous un nouveau jour : ‹Ils ont
1|Centre intégré d’appui familial
2|École des hautes études commerciales
3|Association Baptiste d’entraide de la jeunesse
www.prostitutions.info, le premier site sur
le web lié à l'information du phénomène prostitutionnel.
Une actualité nationale et internationale
aux forums débats et de remplir en ligne
relayée régulièrement pour apporter
l'enquête ‹ client ›.
une information brève sur les événements ayant
trait à la prostitution. Mais aussi des articles
de fond, des témoignages qui prolongent
la réflexion et une rubrique ‹ ressources › pour
les plus demandeurs.
Des internautes de plus en plus nombreux qui
pour le quart d'entre eux se connectent au moins
deux fois dans le mois, avec la possibilité
d'exprimer leurs idées par leur participation
29
p&s|automne 2003
Festival de cinéma\Julienne Lemb
RÉSISTANCES !
Résistances, le Festival international de films de Foix, dans l'Ariège,
qui s’est tenu du 4 au 13 juillet 2003, avait choisi pour thème de réflexion
‹ Sexe et pouvoir › . En toute logique, il a donc consacré une journée
au thème : ‹ la prostitution entre réglementation et abolition ›.
La projection du film d’Hubert Dubois, ‹ La vitrine
hollandaise ›, a provoqué émoi et consternation dans
le public. Tout était en place pour un débat passionné. À commencer par le choix des invité-e-s :
Anny Poursinoff militante abolitionniste à la commission Femmes des Verts, Marie-Cécile Périllat
de la Lutte Communiste Révolutionnaire 31 (LCR),
Françoise Guillemaut, qui milite à Cabiria en
faveur d’un statut pour les personnes prostituées,
et Serge Regourd, professeur de droit. Tous les intervenants se sont inquiétés de la tendance, flagrante
en Europe, de normaliser la prostitution en tant que
secteur commercial et ont souligné l’importance de
s’attaquer avant tout aux causes de la prostitution.
Nombre de sujets ont été abordés : rapports
Nord/Sud, place de la prostitution et de ses profits
dans les échanges commerciaux internationaux,
question du ‹ choix › dénoncée comme pernicieuse,
criminalisation de la précarité… La loi dite de sécurité intérieure instaurée par le Ministère de
l'Intérieur a au moins eu l'avantage de souder les
participant-e-s dans une unanime condamnation.
La politique suédoise a également été
évoquée, suscitant des réactions opposées entre
crainte d’une réponse répressive et soulagement de
voir reconnu le rôle majeur des clients dans l’exploitation des personnes prostituées.
Au terme des discussions, un accord s’est
toutefois dessiné dans le sens d’un refus de toute
réglementation de la prostitution, réponse modelée
sur une pure logique de marché qui déshumaniserait les personnes. Après un échange un peu vif dû
à l’absence à la table des intervenants de personnes
vivant ou ayant vécu la prostitution, celles-ci sont
intervenues depuis la salle, déplorant la ‹ moralisation › des discours autour de leur activité et redoutant elles aussi la pente réglementariste empruntée
par l’Europe. Des hommes, dans le public, ont à
leur tour pris la parole pour dénoncer la vision
insultante véhiculée de l'homme pulsionnel à l'irrépressible besoin de ‹ décharger› au nom duquel
des êtres devraient être sacrifiés.
Créer un observatoire du système prostitutionnel, ouvrir des lieux d'hébergement et de
réinsertion, développer l'accompagnement des
personnes ; miser sur la prévention, en particulier
auprès des pays source de la traite ; favoriser l'accès à l'éducation, encourager l'éducation sexuelle ;
lutter contre la précarité, qui touche majoritairement les femmes ; protéger les victimes de la prostitution et de la traite ; sensibiliser les acteurs
sociaux et les professionnels de la santé… C’est l’inventaire à la Prévert qui a conclu ces échanges, avec
la demande de moyens pour les partenaires associatifs et institutionnels, fondés sur un engagement politique clair.
www.marievictoirelouis.net
une nouvelle mine à explorer
La chercheuse Marie-Victoire Louis,
tête de file du féminisme abolitionniste , a désormais son site : marievictoirelouis.net On y puisera parmi
une vingtaine de rubriques, classées
par ordre alphabétique : critique
féministe du droit, des politiques
publiques et des politiques internationales, domination masculine, harcèlement sexuel et droit de cuissage,
luttes de femmes, parité, travail des
femmes, violences masculines, etc…
Un important chapitre est consacré à
la prostitution et au proxénétisme,
domaines privilégiés parmi les nombreux centres d’intérêt de la chercheuse
féministe. Une liste imposante de textes, articles publiés dans la presse et
dans diverses revues (y compris dans
« Prostitution et Société ›) , analyses
touffues, constitue une véritable mine
pour qui souhaite prendre le temps de
réfléchir en profondeur. On citera,
entre autres, quelques textes-clé : « A
propos des violences, de la prostitution, de la traite, de la sexualité ›
interview parue dans Chronique
féministe en mai 1997, ‹ Quand les
Pays-Bas décriminalisent le proxénétisme › (Monde Diplomatique, mars
1997) ou ‹ Pour un nouvel abolitionnisme › (Cahiers Marxistes, juin
2000). On lira avec un intérêt tout
particulier des textes non publiés,
notamment un ‹ Non, M. Badinter ›
adressé au Monde suite aux réticences
30
p&s|automne 2003
,
du sénateur socialiste dans le
domaine de la pénalisation des clients
de prostitué-e-s mineur-e-s, lors du
débat qui aboutit au vote de la loi du
4 mars 2002. Rien n’est omis, ni les
lettres adressées par Marie-Victoire
Louis aux politiques, de Lionel Jospin
à Marie-George Buffet, ni les pétitions et manifestes.Les engagements
de Marie-Victoire Louis se dessinent
avec une parfaite clarté qu’il serait
possible de résumer ainsi : oui à la
pénalisation des clients, non à
l’Europe proxénète.
3 questions à Pierre Henry de France Terre d’Asile\par Claudine Legardinier
‹ LE DROIT D’ASILE DÉTOURNÉ PAR LES RÉSEAUX ›
L’association France Terre d’Asile a mis en place un numéro Vert à l’intention des jeunes
femmes victimes de la traite. Une initiative à double tranchant, selon un premier bilan
tiré par le directeur général, Pierre Henry, qui a bien voulu répondre à nos questions.
!
Qu’est-ce que France Terre d’Asile ?
Comment avez-vous été confrontés à la
question de la traite des jeunes femmes ?
Créée en 1971 pour la promotion
et la défense du droit d’asile, France
Terre d’Asile a une vingtaine de sites
sur la France, avec quatre missions :
l’hébergement des demandeurs d’asile,
la protection des mineurs isolés
demandeurs d’asile, l’accès aux droits
et l’intégration des réfugiés statutaires par l’emploi et la formation. Pour
déposer une demande d’asile, la personne doit avoir une domiciliation,
soit chez un tiers, soit chez un avocat
ou dans une association. À Paris, nous
avons ainsi 16 000 personnes domiciliées chez nous. La domiciliation
donne droit au processus d’asile, et
donc à une autorisation provisoire de
séjour, à la couverture sociale de la
CMU et sert d’adresse postale. C’est
par ce biais que nous avons découvert
certaines choses, comme l’existence
de vente de jeunes femmes sur catalogue. Nous avons très vite compris que
ce processus de demande d’asile
n’était pas choisi, mais bien contraint,
pour certaines jeunes femmes.
Les réseaux utilisent la méthode de
la demande d’asile pour les asservir.
Vous avez donc mis en place un
"
numéro Vert à l’intention des victimes.
Quel bilan tirez-vous de cette
expérience ?
Nous avons eu l’idée de mettre en
place un programme d’assistance, de
soutien et d’orientation aux personnes
victimes de la traite et nous avons
donc créé ce numéro Vert anonyme et
gratuit permettant aux personnes victimes d’exploitation sexuelle de trouver
une écoute et une aide de la part d’un
travailleur social. Nous avons édité des
cartes disponibles en six langues.
Depuis sa mise en place, au printemps
dernier, nous avons eu des appels,
notamment concernant ce que nous
appelons des mineurs/majeurs
(des jeunes dont l’examen osseux ne
correspond pas à l’âge affiché à l’état
Pierre Henry : ‹ La politique actuelle ne sert qu’à ghettoïser les victimes ›.
civil). Avec un peu de recul, on peut
parler de demi-succès…ou de demiéchec. Les réseaux ont une faculté
d’adaptation impressionnante. Ils ont
agi pour retirer ces jeunes femmes du
circuit qui les amenait jusqu’à nous.
De plus, j’ai reçu personnellement des
menaces. Il nous est apparu qu’il fallait
garantir la sécurité de notre personnel
mais aussi que faire du bruit autour de
ce numéro Vert avait des conséquences opposées à celles recherchées :
éloigner les gens qui ont besoin de
nous. Aujourd’hui, nous préférons
choisir la discrétion. Nous avons par
exemple des plateformes d’accueil de
jour pour les mineur(e)s. En fait, on
s’aperçoit qu’on arrive à toucher autant
de victimes potentielles ou réelles par
ces canaux de contacts quotidiens.
Que faudrait-il selon vous pour faire
#
avancer la lutte contre ces réseaux ?
Nous, qui avons contribué à démanteler deux gros réseaux de prostitution,
avons également compris que lutter
contre les réseaux n’est pas notre
métier ; nous ne sommes pas outillés
pour ça. Ce type d’opération ne peut
être mené qu’en partenariat avec la
police spécialisée. Or, c’est très compliqué aujourd’hui, d’autant plus que
la loi Sarkozy sur le racolage passif
criminalise la victime. Je suis sidéré
par cette loi qui laisse les personnes
dans la vulnérabilité et dit en gros :
‹ tu coopères ou tu dégages ›. Ce qu’il
faut avant tout, c’est les protéger. Là,
elles pourront peut-être parler, mais
après. Il n’y a pas de volonté politique
réelle au plus haut niveau, du moins
pas de moyens à la hauteur du défi.
Ce qu’il faut, c’est une coordination
de l’ensemble des acteurs concernés,
avec un pilote. Ce n’est pas en agitant
des éléments de com’ et en criminalisant les victimes que l’on y arrivera.
La politique actuelle est catastrophique ; elle ne sert qu’à ghettoïser
les victimes et à les condamner à
subir encore plus durement le joug
des réseaux. Pour mener notre
action, nous avons reçu l’aide de la
Ville de Paris. Mais une collectivité
locale ne peut pas tout faire toute
seule. Il faut une volonté de l’État.
Numéro Vert \0800 800 157 {à destination des femmes victimes
d’exploitation sexuelle, du lundi au vendredi de 11h à 18h}
@ www.France-terre-asile.org
31
p&s|automne 2003