"L`EN-FERS" DE LA VERITE

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"L`EN-FERS" DE LA VERITE
"L'EN-FERS" DE LA VERITE
Travailler avec des personnes psychotiques pose question.
A moins que la question soit depuis longtemps réglée par les exclamations lapidaires telles que celleci : " de toutes façons c'est un psychotique !". Ce qui sous-entend, quand ce n'est pas ouvertement
affirmé : " qu'il n'y a rien à en tirer " comme on tirerait le lait d'une vache sinon les vers du nez. Le
panel imagé des expressions toutes faites éclaire le mode sur lequel nous entrons en relation avec
l'autre : consommateur de l'autre, hygiéniste – purgatif, etc.
Vivre ou travailler avec un névrosé n'est d'ailleurs pas sans poser questions si ce n'est en réglant
celles-ci de la même manière : " c'est un(e) hystérique!"
Une des questions récurrentes qui semble assez symptomatique lorsque des professionnels
travaillent avec une personne psychotique se formule souvent ainsi : " quel comportement dois-je
avoir ?" Il s'agit là d'une conception de la relation qui suppose qu'à une action doit correspondre une
réaction adaptée, ou qu'à une question posée doit nécessairement être donnée une réponse juste.
On n'en appelle donc à une vérité de la réponse, à une précision qui ferait qu'à la demande de l'autre
colle une réponse idéale. Cela n'est pas sans évoquer les mythes récurrents eux-aussi de la parfaite
adaptation de la mère aux besoins ou à la demande de l'enfant
A la question concernant la justesse du comportement à avoir s'associe souvent et à sa suite celle de
savoir comment faire en sorte qu'un patient psychotique ne dépasse pas les limites. C'est ainsi que
des voies communes se fraient dans la rencontre avec les psychotiques et les hystériques : comment
éviter qu’ils ne débordent, qu'ils n'envahissent ou qu'ils ne détruisent : l'ordre?le pouvoir? ou qu'ils
ne viennent ébranler quelques certitudes ou savoirs?
S'il y a des réponses adaptées, des vérités toutes faites quant à la question du comportement alors
l'affaire est réglée ; il s'agit de faire appel à des spécialistes et d'en former.
La question de l'être humain se pose pratiquement tout le temps en terme de limites qu'il faut de gré
ou de force inculquées, d’intégration de la personne dans la collectivité afin que la vie en groupe lui
apprenne ce qu’est l’autre.
Cette question des limites que saura intégré l’enfant se pose initialement pour les parents soucieux
de la conformité de leur progéniture à la norme social : "est-il bien réglé pour ses biberons? "Va-t-il
bien au pot?".
C'est clairement entré dans les mœurs et dans les pratiques professionnelles que ce sont les règles et
les limites bien posées et soutenues par les deux parents uniformément ou par les équipes qui
favorisent la possibilité pour l’enfant de bien les intégrer - d'où l'appel à la sacro-sainte vérité de la
cohérence de l'équipe.
Aux rayons des victimes de la vérité toute faite nous pourrions appeler cela une co-errance. La
cohérence dont-il s’agit alors est celle qui fait vœu d’une pensée commune exterminatrice de toute
différence.
D'ou l'on déduira qu'un leurre faisant office de vérité est un puissant créateur de lien.
Attention la zizanie n'est pas loin crieront certains, ni ce qu'on appelle à tort l'anarchie, qui est
comme le chantait Léo Ferré : l'ordre moins le pouvoir. Ne serait-il pas plus intéressant de saisir la
question qui se pose derrière la trame des réponses toutes faites : qu'est-ce donc qui structure un
sujet? La réponse toute faite on l'a vu c'est de savoir poser les limites et les règles qui permettront à
l'enfant, aux psychotiques de se repérer, de s’intégrer et d’accepter la relation via le collectif.
C'est ainsi qu’une éducatrice posait la question sur ce qu'elle devait faire face à un enfant qui refusait
de s'inscrire dans le groupe. Cet enfant se mettait toujours en dehors. Tout avait été essayé pour le
ramener à la loi du groupe, pour qu'il en accepte les règles etc. Ce qui sous-tend cette démarche
c'est bien entendu le vœu de socialisation pour ces enfants. Là encore on fait de la socialisation la
recette miracle de la résolution des problèmes. On oublie un peu trop facilement que l'enfant qui,
lui, n'est pas aux prises avec l'Autre a ce désir d'aller vers les autres. Mais les adultes imposent
souvent de force la socialisation aux enfants ou aux patients pour, on peut le vérifier parfois,
masquer les difficultés qu'ont été les leurs à aller vers les autre.
Mais est-il aussi vrai et certain que ce soit cela qui structure un sujet? Est-ce à l'aune des règles et
limites énoncés que l'être se repère?
La question se pose à propos du pervers qui peut user de la loi et des règles pour asseoir sa
jouissance. Que là où il se repére c'est dans ce moment où il voile par le fétiche et l'usage de la loi
comme fétiche la question qui se pose à lui eu égard à son désir et à la castration. Repérage on le voit
bien inconscient.
Que soutient l'hystérique dans son comportement si versatile et théâtrale ? si ce n'est le désir du «
père » et qui fait du père un être unique. Lui comme non châtré, à la différence de tous les autres
hommes, (l’hommoinsun dont parle Lacan) qui ne pourront être que des lavettes et elle, comme
soutenant le mirage d'un phallus consistant.
Et le psychotique que nous enseigne-t-il dans cet impossible à s'inscrire dans les règles et
fonctionnements sociaux ?
Il y a dans la question formulée de cette manière une indication : il ne s'inscrit pas : au sens où un
signifiant viendrait à le re-présenter. C'est avec le signifiant que l’a-sujet psychotique semble en
découdre. Quand un sujet s’inscrit dans le discours un signifiant vient seul à le représenter, comme
semblant. Le sujet se trouve ainsi aliéné au signifiant. C'est cette aliénation que refuse le
psychotique.
Lui, il choisit de s'aliéner à la jouissance en sorte qu’il prend le signifiant au pied de la lettre, au sens
où le mot est alors identique à la chose et que rien n’est extrait de la jouissance. Peut-on alors parler
de choix non-existenciel au sens d'être un non-sujet. Je n'ai pas la réponse mais je vous soumets la
question, quitte à la formuler autrement d'ailleurs. S'aliéner c'est accepter qu'un signifiant nous
représente pour un autre signifiant. Le je de l'énoncé n'est pas le je de l'énonciation. « Je m'y perds à
me faire représenter et pourtant je m'y retrouve » Le je de l’énoncé se trouve dans l’expression « je
mens » le « je » de l’énonciation serait : je dis la vérité.
Mais l’être humain ne se supporte pas d’être sans une vérité, sans une illusion ?. Celui qui dit le vrai
du moment rassurera même s’il mène sur des chemins de traverse.
Sous la barre d'un signifiant qui « voudrait dire » le vrai il y a la vérité de l’inconscient qui se constitue
comme un dérapage, une butée et révèle par les glissements possible du signifiant sur le signifié une
autre vérité qui fait du signifiant un signifiant creux.
Dans la clinique les effets :
Faire consister l’Autre, l’Autre de la Loi ou de la vérité c’est demander au père réel d’incarner le père
symbolique qui est aussi le père du fou : c’est au principe même du déclenchement de la psychose.
L’objet a quant à lui s'il n’est plus de semblant se trouve être un objet qu'on possède ce qui se passe
dans la mélancolie par exemple où la personne résout son manque à être en donnant avec son corps
dont elle se débarrasse une consistance d’objet impossible à perdre. Le sujet se perd en ne pouvant
pas perdre.
Pas étonnant que cela angoisse le sujet quand on l’amène à devoir accepter la loi. On le confronte à
un Autre de la jouissance qui sait.
Si le père c’est celui qui se confronte au désir il est aussi confronté à son manque et se constitue
comme n’en sachant rien sur la question du sexe et de la mort. Il n’y a pas de savoir non plus sur son
désir – ce à quoi se coltine l’hystérique – le savoir sur son désir placerait-il l'homme ou la femme face
à une vérité qui le ferait mourir en tant que sujet, comme tout être qui périrait devant la face de
Dieu, face à la Chose le sujet se perd.
Le père et la mère du psychotique se constitue souvent comme observateur qui sait ce qui convient à
leur enfant. Il n’y a pas d’écart, de doute possible. Ce savoir tue le sujet car il écarte le désir. Le sujet
est jouit par l’Autre qui en fait son objet.
Lacan dans le séminaire 3 chap. 17 p.243, 244 écrit :
« En 1939 encore, quand Freud écrit Moïse et le monothéisme, on sent que son interrogation
passionnée n'a pas baissé, et que c'est toujours de la même façon acharnée, presque désespérée,
qu'il s'efforce d'expliquer comment il se fait que l'homme, dans la position même de son être, soit
aussi dépendant de ces choses pour lesquelles il n'est manifestement point fait. Cela est dit et
nommé - il s'agit de la vérité.
J'ai relu Moise et le monothéisme à dessein de préparer la présentation qu'on m'a chargé de vous
faire de la personne de Freud, dans deux semaines. Il me semble qu'on peut y trouver une fois de
plus la confirmation de ce que j'essaie ici de vous faire sentir, à savoir que l'analyse est absolument
inséparable d'une question fondamentale sur la façon dont la vérité entre dans la vie de l'homme. La
dimension de la vérité est mystérieuse, inexplicable, rien ne permet décisivement d'en saisir la
nécessité, puisque l'homme s'accommode parfaitement de la non-vérité. J'essaierai de vous montrer
que c'est bien là la question qui jusqu'au bout tourmente Freud dans Moïse et le monothéisme.
On sent dans ce petit livre le geste qui renonce et la figure qui se couvre. Acceptant la mort, il
continue. L'interrogation renouvelée autour de la personne de Moïse, de son hypothétique peur, n'a
pas d'autre raison que de répondre à la question de savoir par quelle voie la dimension de la vérité
entre de façon vivante dans la vie, dans l'économie de l'homme. Freud répond que c'est par
l'intermédiaire de la signification dernière de l'idée du père.
Le père est d'une réalité sacrée en elle-même, plus spirituelle qu'aucune autre, puisqu'en somme
rien dans la réalité vécue n'en indique à proprement parler la fonction, la présence, la dominance.
Comment la vérité du père, comment cette vérité que Freud appelle lui-même spirituelle, vient-elle à
être promue au premier plan ? La chose n'est pensable que par le biais de ce drame an-historique,
inscrit jusque dans la chair des hommes à l'origine de toute histoire - la mort, le meurtre du père.
Mythe bien évidemment, mythe très mystérieux, impossible à éviter dans la cohérence de la pensée
de Freud. Il y a là quelque chose de voilé.
Tout notre travail de l'année dernière vient ici confluer - on ne peut nier le caractère inévitable de
l'intuition freudienne. Les critiques ethnographiques portent à côté. Ce dont il s'agit est une
dramatisation essentielle par laquelle entre dans la vie un dépassement intérieur de l'être humain le symbole du père.
La nature du symbole est encore à éclairer. Nous en avons approché l'essence en le situant au même
point de la genèse que l'instinct de mort. C'est une seule et même chose que nous exprimons. Nous
tendons vers un point de convergence - que signifie essentiellement le symbole dans son rôle
signifiant ? Quelle est la fonction originelle et initiatrice, dans la vie humaine, de l'existence du
symbole en tant que signifiant pur ? »
Dans "I’Analyse avec fin et l'analyse sans fin, 1937", Freud écrit que « la relation psychanalytique est
fondée sur l'amour de la vérité, c'est-à-dire la reconnaissance de la réalité ». de quelle vérité et de
quelle réalité s'agit-il ? Pour Lacan la vérité ne peut avoir d'autre fondement que la parole.
Pour Lacan la parole apparaît d'autant plus vraiment une parole que la vérité n’est pas adéquate à la
chose - (Écrits). Le signifiant ne désigne pas la chose, il représente le sujet, il ne peut y avoir
d'adéquation à la chose que hors du registre du signifiant et du sujet.
Dans Subversion du sujet et dialectique du désir, in Écrits. P 167 lacan écrit :
« Il est clair que la parole ne commence qu’avec le passage de la feinte à l'ordre du Signifiant et que
le signifiant exige un autre lieu - le lieu de l'Autre, l'Autre témoin, le témoin Autre qu'aucun des
partenaires - pour que la Parole qu'il supporte puisse mentir, c'est-à-dire se poser comme Vérité.
Ainsi, c'est d'ailleurs que de la Réalité quelle concerne que la Vérité tire sa garantie: c'est de la
Parole. Comme c'est d'elle qu'elle reçoit cette marque qui l'institue dans une structure de fiction. »
C’est donc dans la tromperie que le sujet se manifeste Lacan propose cette histoire juive reprise de
Freud:
« Pourquoi me mens-tu en me disant que tu vas à Lemberg pour que je croie que tu vas à Cracovie
alors que tu vas vraiment à Lemberg ?
C’est le paradoxe de celui qui dit qu’il ment si bien que celui qui dit qu’il ment dit effectivement la
vérité. Si le psychanalyste adopte cette position comme le font ceux qui postulent une partie saine
du moi avec laquelle ils débattent de la vérité -, il tient le sujet quitte de sa division alors que c'est
justement par cette division qu'il y a vérité. La distinction pertinente est celle de l'énoncé et de
l'énonciation (séminaire 1964, les Quatre Concepts.... 1973). I!intervention de l'analyste ne vise pas
le « je » qui s'affirme dans l'énoncé - ce serait alors une relation duelle -, elle doit intéresser le sujet
de l'énonciation de façon que l'analysant puisse entendre en retour son message comme un « je te
trompe » et la ponctuation de l'analyste comme un « tu dis la vérité ». C'est la révélation, dans le
transfert, de la tromperie inconsciente qui produit ici un effet de vérité. Celui-ci est obtenu parce que
l'analyste, au fait de l'ambiguïté de toute assertion, ne s'éprouve pas trompé, à la différence de
l'interlocuteur de l'histoire juive.
I!analyste fait entendre à l'analysant la vérité de son dire, il ne se met pas en posture de « dire le vrai
sur le vrai -, ce qui reviendrait à masquer l'impossible
L'effet de vérité dans la cure est dans ce qu’il voile et dévoile et cela tient au manque à être que
détermine le signifiant, au réel qu'il met en place. C'est parce qu'il y a ce réel que celui qui s'efforce
de dire la vérité ne fait que la mi-dire » et que celle-ci a - structure de fiction .la vérité devient alors la
reconnaissance de ce réel comme impossible à dire. Lacan dira ainsi que la vérité est étrangère ,
inhumaine, et qu' est du sort de tous d'en refuser l'horrible. Du coup, c’est elle qui parle : « moi la
vérité je parle . dans la Chose freudienne. Elle parle dans les formations de l'inconscient et dans les
symptômes. La vérité des symptômes névrotiques, dit Lacan, c'est d'avoir la vérité comme cause.
Qu’est-ce que cela peut vouloir dire que d’aimer la vérité s’interroge Lacan l’envers de la
psychanalyse, vérité sœur de jouissance p 76 . Ne s’agit-il pas là d’un amour qui ne porterait que sur
les manifestations symptomatiques de la vérité, ne renonçant pas à la jouissance qu’elles procurent
et ancrerait par-là dans l’impuissance à être autre chose que l’instrument de la jouissance divine
(page 75 et 76)
La vérité ! ce qui chez le psychotique s’énonce comme la certitude ne souffre pas de l’ombre d’un
doute, ce doute qui ferait de Dieu une ombre, un vent. Ici Le dieu du psychotique est Jouissance
sœur de la vérité.
Alors le psychotique est-il irrémé-diablement au prise avec le réel , pas tout à fait puisqu’il essaie de
le saisir par des mots qui serait comme la vérité de la chose. Mais ce saisissement est hors du
semblant . Il impose une adéquation mythique entre le signifiant et le réel, le signifiant et la chose. Il
impose la tyrannie de l’Autre non barré.
Comment traiter alors avec le psychotique, disons plutôt avec l’Autre du psychotique?

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