Les dossiers pédagogiques

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Les dossiers pédagogiques
 Le corps expressif dans la peinture des XVIIème et XVIIIème
siècles
d'après Nicole Rouillé
Les tableaux de cette collection sont peuplés de personnages qu’animent de multiples "mouvements de l’âme" ou
"passions de l'âme" : passions amoureuse, religieuse, pulsions, frayeurs…
L’expression des sentiments s’impose dès lors comme une clé de lecture majeure de cette collection.
Né à la faveur de la Réforme catholique, l'art baroque aux XVIIeme et XVIIIeme siècles, fonde de nouveaux modes
d'expression et de communication, une nouvelle "stratégie" pour mieux toucher et convaincre en frappant
l'imagination, en émouvant, en éblouissant. La peinture doit porter l'observateur à la vertu ou à la piété. Elle
véhicule les messages du dogme ou de l'histoire sainte mais aussi offre une leçon d'humanisme plus générale.
Pour cela les peintres utilisent la technique du corps expressif, de la gestualité.
On voit alors apparaître un langage du corps très précis : manière de construire le corps dans l'espace, d'en
organiser le placement, le maintien, d'en définir les postures, les expressions du visage, d'en préciser les gestes,
d'en nuancer les physionomies. L'étude de cet assemblage de signes préétablis et codés dans de véritables
manuels, s'avère nécessaire à la compréhension total du message transmis par le peintre.
En 1668, le peintre Charles Le Brun, exprime dans un discours devant l'Académie
royale de peinture, sa conception très rationnelle de l'expression des sentiments,
un véritable système formel, une grammaire recensant les différentes émotions et les
postures correspondantes. Le Brun dresse un tableau systématique des passions
puis les représente de façon codée et très formelle.
C'est une recherche quasi scientifique et mécanique. Il écrit : "l'expression est ce qui rend
visible les effets de la passion" […] "premièrement, la passion est un mouvement de l'âme […],
tout ce qui cause à l'âme de la passion, fait faire au corps quelques actions." [….]. Suit toute
une théorie sur les interactions entre cœur, cerveau, sang, muscles et nerfs… L'amour,
la haine, le désir, la joie, la tristesse, la crainte, la hardiesse, l'espérance, le désespoir,
la colère, la peur… ont donc une traduction bien spécifique sur les muscles et dès lors
sur les mouvements du corps et du visage. A chaque émotion correspond donc une
attitude.
A la même époque, Descartes écrit son "Traité des passions" (1649) dans lequel il
explique le lien entre passion et cerveau. L'époque est la rationalisation.
La posture corporelle des personnages, leurs gestes et leur physionomie obéissent aussi à une gestuelle très
codifiée dérivant des arts oratoires définies à l’origine par Cicéron (doigt pointé, paume ouvertes, inclinaison du
corps…) mais aussi de la danse baroque (position des bras et des jambes).
Le corps éloquent se met au service de la démonstration qui doit à la fois enseigner et instruire, mais surtout
convaincre. C'est l'exemple par l'image. Les gestes des mains et des doigts attestent, réfutent, dénombrent,
indiquent, condamnent, supplient, bref expriment toute la palette des actions.
Gérard de Lairesse, peintre français du XVIIeme siècle, Grand Livre des Peintres, "Mon idée est
de faire connaître les affections de l'âme par les mouvements du corps, dont chaque membre doit concourir
à l'expression qu'il veut rendre."
> voir La Conversion de saint Augustin de Gérard de Lairesse dans les collections du musée.
On sait que Nicolas Poussin disposait des figurines dans une boîte ouverte sur l’un de ses côtés afin de modéliser
la composition, la perspective et la lumière de son tableau comme dans un petit théâtre. Le tableau peut alors être
considéré comme un instantané, un "arrêt sur image" dans le déroulé d'un drame – souvent même son moment
crucial.
Comment le corps exprime-t-il, illustre-t-il toutes les actions, comment explique-t-il toutes les circonstances ? Le
corps expressif nous surprend, nous interroge, nous persuade, nous émeut, nous inquiète, nous subjugue, nous
enseigne, nous exhorte, en aucun cas il ne nous indiffère car c'est à nous et pour nous qu'il parle.
EXEMPLE : Jésus chez Marthe et Marie, Charles de La Fosse (Paris 1636-1716)
Texte de référence : Evangile selon saint Luc, X, 38-42
Marthe et Marie, sœurs de Lazare qui fut ressuscité par le Christ, accueillent Jésus dans leur maison à
Béthanie.
- Marie est assise au pied de Jésus pour l'écouter avec une grande attention. Elle est représentée dans une
attitude de total abandon, le regard se perdant dans le lointain, la tête mollement appuyée sur la main gauche,
le coude posé sur la cuisse, le bras droit tombant souplement.
- Après un certain temps, Marthe survient et dit à Jésus : Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m'ait
laissée seule faire le service ? Dis lui donc de m'aider." Marthe a la tête légèrement inclinée vers Jésus, les bras
en en direction du sol, et présente à son interlocuteur les paumes faiblement creusées de ses mains ouvertes
dans un geste qui constate et atteste.
- Jésus répond par une indication injonctive : "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et t'agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire. C'est bien Marie qui a choisi la meilleur part; elle ne lui sera pas enlevée." L'index
droit pointé vers le visage de Marie, Jésus réplique avec finesse et fermeté. Ce geste de la main droite
appartient à deux catégories de gestes : la désignation et l'argumentation, du latin "indicare", qui indique, qui
dénonce, mais également de « indicere » qui impose, qui prescrit.
Les regards des 3 protagonistes forment un triangle dont la pointe désigne Marie qui irradie pour démontrer
que la vie contemplative, libérées des entraves et des préoccupations matérielles, constitue l'essentiel.
Une peinture émouvante
Jésus chez Marthes et Marie, Cherles de la Fosse, Musée Bossuet, Meaux