Immigrant Citizenship in the United States and Canada:
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Immigrant Citizenship in the United States and Canada:
Citoyenneté aux États-Unis et au Canada : Importance de la politique gouvernementale pour l’intégration politique des immigrants Irene Bloemraad 1 RÉSUMÉ Les nombres d’immigrants détenant la citoyenneté au Canada et aux États-Unis étaient très similaires il y a quatre décennies. Aujourd’hui cependant, les immigrants au Canada sont beaucoup plus susceptibles de détenir la citoyenneté que leurs compatriotes établis aux États-Unis, et ce, malgré les avantages plus grands que confère la citoyenneté américaine. La différence tient en partie à la composition et au statut juridique des populations immigrantes. Toutefois, la politique gouvernementale canadienne stimule également une plus grande intégration politique officielle. Collectivement, les organismes d’immigration et de citoyenneté, les politiques de multiculturalisme et les programmes d’intégration envoient le message symbolique que les immigrants sont importants, et ils fournissent les ressources matérielles qui aident les immigrants à devenir des citoyens actifs. Mme Irene Bloemraad est professeure adjointe en sociologie à l’Université de la Californie, à Berkeley, et chercheuse boursière pour le programme Interactions sociales, identité et mieux-être de l’Institut canadien de recherches avancées. Dans son premier livre, intitulé Becoming a Citizen: Incorporating Immigrants and Refugees in the United States and Canada (University of California Press, 2006), elle soutient que l’absence de politiques générales d’intégration aux États-Unis entraîne de plus faibles taux d’obtention de la citoyenneté chez les immigrants aux États-Unis comparativement au Canada, ainsi que des résultats inférieurs quant à la participation politique. Plus de 700 000 personnes sont devenues des citoyens américains en 2006. Si vous leur demandez pourquoi, elles vous diront peut-être qu’elles veulent la sécurité de la citoyenneté. Sans la citoyenneté, ces personnes risquent l’expulsion même pour des crimes relativement mineurs. Elles vous diront peut-être aussi qu’elles veulent des droits politiques. Aux États-Unis, sauf dans quelques localités, la citoyenneté est nécessaire pour voter ou se porter candidat à des élections. Certaines feront remarquer que la citoyenneté donne accès à des emplois dans la fonction publique ou dans l’industrie de la défense. La citoyenneté détermine également l’admissibilité à diverses prestations publiques depuis l’adoption de la Welfare Reform Act en 1996 2. Enfin, beaucoup affirmeront avoir choisi les États-Unis comme foyer d’adoption. Devenir un Américain vient officialiser ce choix. 1 Cet article est fondé sur le plus récent livre d’Irene Bloemraad, intitulé Becoming a Citizen: Incorporating Immigrants and Refugees in the United States and Canada (University of California Press, 2006). Une version antérieure de l’article a été publiée dans Canadian American Research Series (automne 2006). 2 Officiellement, la U.S. Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act. 1 Il semble en coûter peu pour devenir un citoyen américain. La non-citoyenneté ne prémunit pas contre l’enrôlement militaire, comme nombre d’immigrants l’ont constaté durant la guerre du Vietnam, et les non-citoyens doivent payer des impôts comme tout le monde. Le serment de naturalisation requiert de renoncer à ses anciennes allégeances, mais, dans les faits, un citoyen américain peut détenir plusieurs passeports. Comment expliquer, alors, qu’aussi peu d’immigrants prennent la citoyenneté américaine? En 2006, le American Community Survey estimait que, sur les 37,5 millions de personnes aux États-Unis nées à l’étranger, seulement 15,7 millions (42 %) étaient des citoyens naturalisés. En 1950, près de quatre immigrants sur cinq avaient juré de respecter la constitution américaine. Depuis ce sommet, le pourcentage de citoyens au sein de la population immigrante a diminué sensiblement. Si une légère hausse à l’égard de la naturalisation est observée depuis 2000, le changement est modeste. La diminution du nombre de citoyens d’origine étrangère est particulièrement surprenante si l’on tient compte du voisin des États-Unis, au nord. Le Canada, comme les États-Unis, est un pays qui s’est construit grâce à des vagues successives d’immigration. En 2006, près d’un résident canadien sur cinq était né dans un autre pays. En effet, en proportion de la population, le Canada accueille trois fois plus d’immigrants que les États-Unis. Fait surprenant, l’écrasante majorité de ces résidents nés à l’étranger, 73 % en 2006, avait acquis la citoyenneté canadienne 3. Pour que les taux d’attribution de la citoyenneté reflètent ceux du Canada, plus de onze millions de personnes devraient obtenir la citoyenneté américaine du jour au lendemain. Pendant la majeure partie du vingtième siècle, l’obtention de la citoyenneté chez les immigrants semblait remarquablement similaire aux États-Unis et au Canada. Mais à partir des années 1970, alors que les deux pays accueillaient de « nouveaux » immigrants d’Asie, des Caraïbes et d’Amérique latine, deux trajectoires différentes se sont dessinées. De nombreuses personnes auraient prédit des taux de citoyenneté plus élevés aux États-Unis, étant donné la plus longue histoire de nationalisme civique et une tendance assimilationniste possiblement plus forte. Au Canada, les crises récurrentes de cohésion nationale entourant l’indépendance du Québec et une politique de multiculturalisme que certains jugent propice aux dissensions devraient nuire à l’intégration politique des immigrants. En outre, la citoyenneté confère de plus grands avantages aux États-Unis. Au Canada, tous les résidents permanents non citoyens ont accès aux programmes sociaux; ce n’est pas toujours le cas aux États-Unis. Un immigrant qui veut parrainer un membre de sa famille aux États-Unis a moins de difficulté s’il est citoyen; la citoyenneté au Canada ne confère aucun avantage de ce genre. Si les avantages sont moindres ici, pourquoi y a-t-il autant d’étrangers qui prennent la citoyenneté canadienne alors que leurs compatriotes établis au sud hésitent à devenir des Américains? 3 Pour faciliter la comparaison, les chiffres des É.-U. et du Canada prennent simplement le nombre de citoyens naturalisés divisé par la population totale d’étrangers au pays, peu importe s’ils sont admissibles à la citoyenneté. Ce nombre inclut les étrangers sans documents dans les deux pays, et ceux dénombrés comme non-résidents par le Recensement au Canada. 2 Mes recherches m’incitent à penser que la différence tient essentiellement à la « chaleur relative de l’accueil » qui est réservé aux immigrants au Canada comparativement aux États-Unis. Là-bas, la politique d’immigration commence et se termine à la frontière, essentiellement. L’attention du gouvernement et les ressources sont axées sur le contrôle frontalier; les processus subséquents d’intégration ne sont pas jugés du ressort de l’État. Au Canada, le gouvernement a adopté une position plus interventionniste, allouant des fonds publics aux activités directes d’établissement et d’intégration, et adoptant une politique de multiculturalisme officielle qui reconnaît la diversité créée par les immigrants. Ces politiques augmentent la capacité des immigrants d’obtenir la citoyenneté et influent sur leur intérêt à la demander. Quelques petites particularités dans les règlements et le traitement des demandes de citoyenneté, ainsi que des différences dans les catégories d’immigrants qui vont au Canada et aux États-Unis, jouent également un rôle dans l’écart au titre de l’obtention de la citoyenneté, mais moins que nous pourrions le penser. Aspects juridiques de la citoyenneté Les personnes qui n’ont pas la citoyenneté américaine ou canadienne à la naissance doivent l’acquérir par naturalisation. Les procédures de naturalisation sont remarquablement libérales dans les deux pays. Les aspirants à la citoyenneté doivent prouver un certain nombre d’années de résidence autorisée (trois au Canada, cinq aux États-Unis en général); ils doivent posséder des compétences linguistiques (anglais aux États-Unis, anglais ou français au Canada) et une connaissance de base du pays; ils doivent payer des frais et avoir de « bonnes mœurs » 4. Dans les deux pays, une condamnation au criminel constitue un motif suffisant de refus. Les taux de refus semblent similaires. Des années 1960 jusqu’aux années 1980, le Immigration and Naturalization Service (INS) a refusé environ 2 % des demandes de naturalisation, tandis que 3 % ont été officiellement rejetées au Canada. Dans les années 1990, certains politiciens ayant adopté une plateforme anti-immigration aux ÉtatsUnis, les taux de refus ont grimpé à 15 % du fait que nombre d’immigrants demandaient la citoyenneté sans avoir d’abord satisfait à l’obligation de résidence. Au Canada, les taux de refus se sont maintenus à 10 % environ du nombre total de demandes. Un long et morne accueil Si les conditions de naturalisation sont les mêmes, le Canada se démarque favorablement par son attitude et son administration du processus d’attribution de la citoyenneté. Selon David North, le processus de naturalisation administré par l’ancien Immigration and Naturalization Service ressemble à un « long et morne accueil ». Les formulaires de demande sont très juridiques, peu attrayants et difficiles à comprendre. Les files sont longues et le traitement peut durer plusieurs années. Dans la bureaucratie fédérale, 4 L’obligation de résidence aux États-Unis tombe à trois ans pour l’époux d’un citoyen américain, et elle peut être entièrement levée pour la personne qui a combattu au sein de l’armée américaine. Les deux pays offrent des règles plus souples pour les personnes âgées. Au cours de la dernière décennie, les États-Unis ont substantiellement augmenté les frais d’obtention de la citoyenneté, les faisant passer de 95 $ en 1996 à 675 $ en 2008. L’accueil perd ainsi un peu plus de sa « chaleur » et commence à imposer un réel fardeau financier sur les familles immigrantes de moyens modestes. Au Canada, les frais sont de 200 $ en 2008. 3 le contrôle frontalier a priorité sur les services de citoyenneté, tant dans l’attribution des ressources humaines et financières que dans l’attention du public. Telle était la situation lorsque la naturalisation relevait de l’INS, et rien n’a changé avec les U.S. Citizenship and Immigration Services (USCIS) qui font partie du département de la sécurité intérieure. Selon Doris Meissner, ancienne commissaire de l’INS, « la culture dominante de l’agence… voit l’immigration comme une source de vulnérabilité pour la sécurité et l’exécution de la loi plutôt que comme une source continue de croissance pour la nation ». En raison des perceptions négatives à l’égard de la bureaucratie de l’immigration, les immigrants hésitent davantage à demander la citoyenneté. Ces perceptions s’appliquent également à d’autres agences du gouvernement, minant ainsi la confiance des immigrants dans l’accueil que leur réservent le gouvernement et les acteurs politiques. La citoyenneté a été rendue moins attrayante. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), homologue canadien du USCIS, connaît également des retards dans le traitement des demandes, mais, de façon générale, il consacre plus d’efforts à la diffusion d’information aux immigrants et à la promotion de la citoyenneté. Comme l’expliquait un cadre supérieur de CIC lors d’une entrevue, « selon la politique canadienne, nous sommes un pays d’immigration. La seule façon pour un immigrant d’influer sur la conduite du pays, c’est en votant. Et il peut seulement voter s’il devient un citoyen. La Loi sur la citoyenneté facilite l’obtention de la citoyenneté afin que les immigrants puissent exercer leur droit de vote. Voilà le cœur de la politique. » Au lieu d’avoir un solide mandat axé sur l’exécution de la loi, CIC a élaboré diverses politiques en matière d’établissement. Administrés au départ par la fonction publique, les programmes sont maintenant presque entièrement exécutés par des organisations communautaires recevant des subventions de l’État. En 2003-2004, 173 millions de dollars ont été consacrés à la formation linguistique, aux services d’aide à l’emploi, à la traduction et à d’autres services d’établissement dans tout le Canada anglophone 5. Aux États-Unis, seuls les réfugiés officiellement désignés ont accès à ce genre de programmes fédéraux. Ces différences ont pour résultat que la citoyenneté devient plus intéressante et atteignable pour les immigrants au Canada, et ceux-ci la demandent plus tôt que leurs compatriotes établis aux États-Unis. En 1970-1971, les deux tiers environ des étrangers comptant de onze à quinze années de résidence au Canada ou aux États-Unis détenaient la citoyenneté de leur pays d’adoption. Vingt ans plus tard, parmi les immigrants comptant un nombre similaire d’années de résidence, plus de trois sur quatre au Canada ont obtenu la naturalisation, contre seulement deux sur cinq aux États-Unis. Fait révélateur, les dispositions réglementaires relatives à la citoyenneté n’ont pas vraiment changé pendant cette période. Immigration clandestine et pays d’origine L’immigration clandestine, par des personnes qui traversent la frontière illégalement ou qui prolongent leur séjour au-delà de leur visa temporaire, devient un enjeu politique 5 Le gouvernement du Québec a également reçu une subvention globale de 164 millions de dollars en vertu de l’entente d’établissement fédérale-provinciale de 1991. Encore 45 millions de dollars ont été alloués à la Colombie-Britannique et au Manitoba à titre de soutien additionnel pour les services. 4 important aux États-Unis depuis les années 1980. Des estimations raisonnables situaient la population clandestine autour de 11 à 12 millions de personnes en 2006. De ce nombre, quelque 55 % seraient originaires du Mexique. Puisque seuls les résidents permanents autorisés peuvent demander la citoyenneté, un vaste groupe d’immigrants sans papiers fait chuter le taux de naturalisation total. Des immigrants clandestins se trouvent également au Canada, la plupart ayant prolongé indûment leur séjour en qualité de touriste. De récentes informations de presse estiment leur nombre à quelque 200 000, mais sans estimations fiables des gouvernements ou du milieu universitaire, ce chiffre est purement hypothétique. Il est certain, cependant, que les immigrants clandestins comptent au Canada pour une faible proportion de la population d’origine étrangère, comparativement aux États-Unis. Les origines des immigrants aux Canada et aux États-Unis diffèrent également. À la suite d’une immigration massive de 1880 à 1920, le Congrès américain a fermé la porte à l’immigration dans les années 1920, ne laissant entrer que des nombres relativement petits d’Européens et de Canadiens souhaitant obtenir la résidence permanente, ou des Mexicains pour le travail temporaire. Dans les années 1950, 53 % des nouveaux résidents permanents provenaient d’Europe tandis que seulement 6 % et 0,6 % étaient originaires d’Asie ou d’Afrique, respectivement. La Loi sur l’immigration de 1965 (ou Hart-Cellar) a éliminé les contingents d’immigration appliqués sur les pays d’origine et haussé le niveau d’admissions. Dans les années 1990, les Européens ne comptaient que pour 15 % des immigrants autorisés aux États-Unis, tandis que ceux originaires d’Asie ou d’Afrique représentaient respectivement 31 % et 4 % du total. L’immigration d’hispanophones, principalement en provenance du Mexique, mais aussi de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud ainsi que des Caraïbes hispanophones, représente la majeure partie de l’immigration contemporaine aux États-Unis. Au Canada, les critères de sélection discriminatoires ont été abolis durant les années 1960. Aussi loin qu’en 1966, les deux tiers de tous les immigrants au Canada provenaient de cinq pays seulement : Royaume-Uni, Italie, États-Unis, Allemagne et Portugal. En 2000, les Européens représentaient à peine 19 % des admissions, tandis que la majorité des immigrants (51 %) provenaient d’Asie et du Pacifique. Encore 18 % sont arrivés d’Afrique et du MoyenOrient, et seulement 9 % sont arrivés d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. L’immigration au Canada est beaucoup moins hispanique, et beaucoup plus asiatique, que celle à destination des États-Unis. Ces différences importent parce que des gens qui proviennent de pays différents présentent des tendances différentes en ce qui concerne l’acquisition de la citoyenneté. Certains croient que des traits culturels communs, comme la culture civique qu’apportent les immigrants, ont une influence sur la décision d’obtenir la naturalisation. D’autres prétendent que les immigrants originaires de pays différents sont aux prises avec des contextes décisionnels différents pour ce qui a trait aux coûts et aux avantages de la naturalisation. Par exemple, les immigrants canadiens et mexicains aux États-Unis sont moins susceptibles d’obtenir la naturalisation que la plupart des autres étrangers, peut-être parce qu’ils perçoivent une chance élevée de rentrer chez eux. 5 Toujours au chapitre de la citoyenneté, les différences entre les groupes se répercutent sur le taux de naturalisation. La très grande population d’étrangers nés au Mexique qui se trouve aux États-Unis—près de 30 % de tous les résidents nés à l’étranger en 2000—éclipse la communauté établie au Canada, laquelle constituait moins d’un point de pourcentage en 2001. Les Mexicains affichent l’un des plus faibles taux de naturalisation parmi tous les groupes présents aux États-Unis, et ils comptent pour une plus grande proportion de la population clandestine, groupe auquel la citoyenneté est refusée. La grande population mexicaine fait donc chuter le taux d’obtention de la citoyenneté aux États-Unis. En comparaison, beaucoup de groupes asiatiques ont un taux d’obtention de la citoyenneté relativement élevé. Une forte immigration d’Asiatiques augmente le taux de citoyenneté au Canada. Néanmoins, la migration clandestine et les différences quant au pays d’origine ne peuvent à elles seules expliquer les divergences de trajectoire qu’emprunte la citoyenneté. La proportion de citoyens immigrants est passée à 48 % en 2000 si l’on exclut les migrants mexicains et ceux ne satisfaisant pas à l’obligation de résidence, mais un rajustement similaire par rapport au nombre canadien la fait augmenter encore plus, à 84 % en 2001. Lorsqu’on compare les taux d’obtention de la citoyenneté pour les immigrants nés dans le même pays, le Canada affiche un taux plus élevé, et ce, pour tous les groupes d’immigrants. « Qualité » des immigrants et politique d’immigration Certaines personnes sont plus susceptibles que d’autres de demander la citoyenneté. Compte tenu des exigences en matière de langue et de connaissance générale, il n’est pas surprenant que les personnes qui maîtrisent mieux l’anglais (ou le français au Canada) et qui sont plus scolarisées soient plus susceptibles d’obtenir la naturalisation 6. Certains Américains se demandent par conséquent si la chute récente du taux d’obtention de la citoyenneté chez les immigrants ne refléterait pas une diminution de la « qualité » des nouveaux arrivants aux États-Unis. Les immigrants sont-ils maintenant trop peu scolarisés, trop peu motivés ou autrement dénués des vertus civiques essentielles pour obtenir la citoyenneté? Le Canada et les États-Unis administrent tous deux un système d’immigration mixte qui accorde le droit d’entrée en fonction des compétences et des ressources, des liens familiaux ou du besoin d’asile. La proportion relative de ces trois catégories varie, cependant. À la fin des années 1990, on estime qu’entre les deux tiers et les trois quarts des immigrants légitimes aux États-Unis ont acquis leur statut par des liens familiaux : un parent vivant déjà aux États-Unis a parrainé leur demande d’immigration. Sous l’actuel système américain de traitement préférentiel, environ 20 % des visas, délivrés en nombre limité, sont décernés en fonction de l’emploi. Dans les années 1990, les taux d’admission de réfugiés variaient de 8 à 16 %. Le Canada compte plus largement sur les immigrants « indépendants », c’est-à-dire des immigrants qui n’ont pas de famille au Canada, mais qui peuvent prouver que leurs 6 Certaines sources documentaires montrent néanmoins que les immigrants les plus scolarisés hésitent à l’obtenir. 6 compétences ou ressources (comme des capitaux de placement) sont nécessaires à l’économie canadienne. Depuis le milieu des années 1970, la sélection à titre d’immigrant indépendant est fondée sur le « système de points d’appréciation ». Les immigrants éventuels obtiennent des points pour la scolarité, la compétence linguistique, l’âge et d’autres qualités personnelles. Ceux ayant un pointage suffisant se voient délivrer un visa d’immigrant. Dans la seconde moitié des années 1990, un peu plus de la moitié de tous les immigrants ont été admis au pays en qualité d’immigrants indépendants (incluant les personnes à charge du demandeur principal); de 25 à 30 % sont entrés en vertu des dispositions sur la réunification des familles, et de 13 à 17 % environ sont arrivés en tant que réfugiés ou aux termes de conditions spéciales d’admission. En présumant que les immigrants indépendants sont susceptibles d’être plus scolarisés et de posséder de meilleures compétences linguistiques, la proportion plus grande d’immigrants économiques présents au Canada pourrait-elle expliquer entièrement les différences observées dans les taux d’obtention de la citoyenneté? Probablement pas. Pendant la période de diminution des taux d’obtention de la citoyenneté aux États-Unis, le niveau de scolarité moyen chez les immigrants nouvellement arrivés a augmenté, ce qui laisse supposer que ces derniers devraient avoir moins de difficultés que leurs prédécesseurs à obtenir la naturalisation. Si nous tentons de prédire la probabilité qu’un immigrant acquière la citoyenneté à l’aide de modèles statistiques qui tiennent compte de la scolarité, de la langue, de la durée de résidence et d’autres traits personnels possiblement importants, les chances d’obtenir la citoyenneté demeurent plus élevées au Canada qu’aux États-Unis. Les qualités des immigrants sont importantes, mais la société vers laquelle ils émigrent a aussi un effet déterminant sur la décision d’obtenir la citoyenneté. Une main secourable : le rôle du gouvernement Comme son voisin américain, l’État-providence canadien est habituellement reconnu pour son approche relativement non interventionniste axée sur le commerce. Depuis les années 1960, cependant, le gouvernement canadien s’implique toujours plus dans les interventions politiques, menant notamment à la création d’un système de santé universel, inexistant aux États-Unis. Dans le secteur de l’immigration, le gouvernement canadien fait la promotion d’une politique d’intégration multiculturelle. D’abord adopté par le gouvernement fédéral en 1971, le soutien public pour la diversité ethnique a été enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés en 1982 et reconnu dans la législation fédérale avec la Loi sur le multiculturalisme de 1988. La reconnaissance publique—et le financement—de la diversité ethnique s’accompagne de programmes d’aide à l’établissement qui offrent une formation linguistique, une aide à l’emploi et des cours d’instruction civique. Par rapport aux dépenses pour le bien-être social, la santé et l’éducation, le financement public des programmes de multiculturalisme et d’établissement est très modeste. Néanmoins, il est conséquent. Ce n’est pas une coïncidence si l’écart au titre de la citoyenneté entre le Canada et les États-Unis survient précisément au moment où ces politiques ont été instaurées. Ces programmes ont deux effets principaux. D’abord, ils fournissent aux immigrants les ressources nécessaires pour acquérir la citoyenneté et exercer leurs droits politiques. L’intégration des immigrants, y compris leur intégration politique, est un phénomène social par lequel les immigrants obtiennent l’aide d’amis, de parents, d’entreprises co-ethniques et 7 d’organisations communautaires. Lorsqu’ils racontent leur démarche pour devenir citoyens, beaucoup d’immigrants ordinaires disent avoir obtenu l’aide d’une organisation locale pour remplir les formulaires, avoir acheté un guide de citoyenneté d’un notaire public co-ethnique ou s’être exercés à converser en anglais avec un de leurs enfants. Le soutien public contribue à la richesse de l’infrastructure sociale existant au Canada. Grâce aux cours de langue subventionnés par le gouvernement, les immigrants ont l’assurance de pouvoir satisfaire aux exigences linguistiques. Les subventions versées aux organisations communautaires permettent d’offrir des cours d’instruction civique supplémentaires aux personnes qui craignent que l’âge ou une scolarité insuffisante ne les empêchent d’obtenir la naturalisation. De façon plus générale, les organismes communautaires d’aide aux immigrants qui bénéficient des initiatives gouvernementales sont plus nombreux au Canada qu’aux États-Unis. Les communautés n’ont pas toutes besoin d’une aide extérieure de ce genre—beaucoup d’organisations ethnoculturelles survivent grâce aux cotisations des membres ou aux campagnes de financement—mais les groupes immigrants ayant relativement moins de ressources reçoivent un coup de main. Deuxièmement, le souci gouvernemental symbolique qui s’exprime par la prestation de biens publics et la politique de multiculturalisme du Canada rendent la citoyenneté plus attrayante pour les immigrants. La reconnaissance officielle du multiculturalisme par l’État canadien donne aux immigrants une position normative dans le système politique. Les programmes publics conçus pour les immigrants ou les réfugiés créent un lien plus solide entre les nouveaux arrivants et l’État. Les immigrants que j’ai rencontrés en entrevue au Canada ont dit que, malgré certains problèmes, ils savent pouvoir compter sur le gouvernement et que cela suscite en eux une certaine obligation à participer et à redonner. Aux États-Unis, le concept de citoyenneté évoque bien des droits et des possibilités économiques, mais il suppose un engagement plus modeste. Un immigrant portugais qui a vécu pendant vingt ans aux États-Unis et treize ans au Canada m’a exposé une excellente synthèse des compromis qui sont fréquemment cités. Pour lui, les États-Unis représentent, sur le plan économique, « le meilleur pays au monde ». Le coût de la vie y est moins élevé et il a le sentiment que les États-Unis sont véritablement une terre d’avenir. Cependant, bien qu’il vive actuellement au Massachusetts, il rêve de revenir à Toronto, parce que c’est là qu’il se sent chez lui. Cet attachement découle en grande partie de l’accueil reçu, « du respect pour la personne que vous êtes, surtout par rapport à l’ethnicité et pour le statut d’immigrant », ainsi que « de la façon dont le gouvernement gère les choses – le bon soutien, les affaires multiculturelles, l’assistance sociale. Nous payons beaucoup d’impôt, c’est vrai. Mais le grand souci du gouvernement, c’est l’aide aux citoyens. » Tendances futures en matière de citoyenneté L’actuelle administration américaine est peu susceptible d’adopter les politiques canadiennes, mais, par son programme de réétablissement des réfugiés, elle montre son engagement à fournir un soutien proactif aux nouveaux arrivants. Par exemple, un nouveau bureau de la citoyenneté a été créé en vertu de la Homeland Security Act de 2002. Sous la responsabilité du chef, il a pour mandat de promouvoir la citoyenneté, de favoriser la conclusion de partenariats entre le public et le privé, et de superviser un effectif d’agents de 8 liaison communautaire. Il est cependant difficile de promouvoir une ambiance proactive favorable à la prestation de services lorsque le programme de naturalisation et d’immigration est administré par un ministère qui se consacre à la « sécurité intérieure », et en particulier lorsque la sécurité est définie contre des menaces étrangères. Le plan stratégique 2005 du USCIS a pour thème Securing America’s Promise (Pour concrétiser la promesse faite par les États-Unis). Ce même thème est repris comme slogan dans diverses brochures présentant les services offerts aux immigrants. La promesse est là, mais elle vient après la sécurité. De la fin des années 1990 jusqu’en 2000, les gouvernements au Canada ont réduit les fonds alloués au multiculturalisme et les services offerts aux nouveaux arrivants. Le budget fédéral de 2005 annonçait enfin un financement accru pour les services d’intégration et d’établissement, une première en cinq ans. Les prochains gouvernements devront se rappeler qu’un gain financier réalisé à court terme par des réductions risque toujours de se traduire à long terme par l’exclusion de populations immigrantes. La décision de réduire les programmes au Canada, ou d’élargir le programme d’établissement des immigrants aux États-Unis, est un choix politique s’inscrivant dans le cadre de débats qui englobent, outre l’immigration, la politique étrangère, la formation d’un État-providence et la gestion des tensions ethnoraciales historiques dans chaque pays. Les retombées de ces décisions sont importantes. Dans les pays où il y a beaucoup de diversité ethnoraciale, comme aux États-Unis et au Canada, le lien qui unit les étrangers est l’appartenance commune, ou la citoyenneté, à une entité politique. Lorsque des immigrants n’acquièrent pas la citoyenneté, le sentiment d’entreprise commune est miné, tout comme le sont les institutions d’un gouvernement démocratique. La promotion de la citoyenneté auprès des immigrants passe par la capacité des gouvernements de tendre une main accueillante : en offrant une aide concrète à l’établissement et en reconnaissant les diverses identités et cultures à l’intérieur d’un cadre s’adressant au « futur citoyen » plutôt qu’à l’étranger. 9