1810 mort de fersen

Transcription

1810 mort de fersen
1810
MORT DE FERSEN
Les rayons du soleil suédois percent les vitres du palais où le grand
maréchal achève de s'habiller. Fersen, tout blanc, pas plus blanc que la craie
des poudres qui épaississaient ses cheveux, mais pâle de visage, vêt le grand
habit de cérémonie que sa fonction et le jour de deuil imposent 1.
Au dehors, les trompettes annoncent les funérailles, saluent le retour
mortuaire du prince héritier et appellent aux cortèges solennels, pendant qu'un
valet boutonne les parements de l'éclatant uniforme du comte.
Au dehors, des voix s'élèvent, fouettent ses fenêtres en ouragan de
colère.
Fersen connaît bien ce bruit du peuple qui réclame du supplice : il l'a
entendu à Paris, autrefois, autour des Tuileries, quand il préparait la fuite vaine
de la reine et, plus tard, aux heures terribles de février 92, où se concentrèrent
les dernières paroles du roi parlant librement.
Il revoit Marie-Antoinette au front marqué d'un pli, aux cheveux de
mousseline épuisés de sève, entend dans les couloirs le pas marqué des
sentinelles.
Et voici qu'une voix basse se mêle, s'identifie à ces voix de rêverie; c'est
la voix d'Olafson, le secrétaire fidèle:
"Monsieur le comte, ne sortez pas."
"Comment ne pas sortir? Ne faut-il pas que j'aille recevoir les restes du
prince Chrétien-Auguste?"
"Vous ne savez pas ce qui se trame! On veut frapper à la tête le parti
aristocratique: on prépare une immolation qui sépare à jamais la nation de ses
légitimes souveraines.
1
Le 20 juin 1810, Fersen est chargé d'escorter le corps du prince dans Stockholm. Une
émeute se forme et Fersen meurt lapidé et piétiné par la foule, en présence de nombreuses
troupes qui n'interviennent pas.
Extraits de : François de Nion
1810
MORT DE FERSEN
Et vous êtes le seul obstacle. Savez-vous l'odieuse calomnie distribuée
dans le peuple pour émouvoir sa colère? On dit que vos mains ont présenté au
prince héritier choisi par le peuple la coupe empoisonnée où il but la mort…"
"Charles XIII1 ne tremperait pas ses mains dans le sang innocent."
"Mais il peut laisser faire… Monsieur le comte."
"De qui tiens-tu cela?"
"Ce mot , signé d'un nom que vous connaissez, m'a instruit de tout."
Fersen lit d'un coup d'œil:"Qu'on approche mon carrosse!"
Le carrosse doré est tiré par six chevaux blancs. Fersen abaisse les yeux
sur son costume, c'est ce même uniforme suédois que la reine voulut voir et
dont il se paraît en tremblant le jour qu'il fut à Trianon, où la reine le reconnu!
Fersen a tressailli; un bruit injurieux mitraille son rêve. Des cailloux,
lancés à pleines mains, brisent les glaces de la voiture, dont les éclats
atteignent le grand maréchal au visage.
Un choc lourd et sourd retentit qui écrase; à travers les glaces brisées, il
voit son cocher, atteint d'un pavé, s'abattre sur les genoux. Ce n'est plus autour
de lui qu'une marée aux têtes hurlantes.
Le carrosse s'arrête, et Fersen sent des mains l'arracher. Un moment il se
débat. Mais une porte se creuse sous ses pas, l'asile d'une maison s'offre. En
courant, il gravit les marches d'un escalier, se trouve dans la salle d'un
estaminet. De là, il voit toute la place remuée de peuple, bramant de colère, et
les hommes du régiment de la garde impassibles, alignés en haie de
baïonnettes le long de la Maison de noblesse.
Non ce n'est cela qu'il veut voir; il ferme les yeux, regarde au fond du
passé.
1
Charles XIII, roi de Suède, adopta Bernadotte, maréchal de France, qui devint roi de
Suède et de Norvège sous le nom de Charles XIV.
Extraits de : François de Nion
1810
MORT DE FERSEN
Voici la route, au 20 juin 91 (fuite à Varennes), la première poste après
Bondy. Le lourd carrosse, conduit par lui, a traversé tous les obstacles; la route
est libre devant eux.
D'étapes en étapes, les détachements attendent; demain, Louis sera
parmi ses troupes fidèles, libre et roi. Fersen, descendu de son siège,
s'approche de la berline endormie. Seule, une forme blanche vit et se dégage de
la nuit; elle se penche; Marie-Antoinette et Fersen se parlent… C'est la première
fois, c'est la seule fois qu'ils sont seuls…
Des coups, des chocs, des bruits d'armes, des cris montent l'escalier; la
porte vole en éclats.
Les mêmes faces grimaçaient en regardant la reine, les mêmes cris la
poursuivirent pendant quatre ans de martyre. Et, de nouveau, il est une épave
livrée à la tempête de la foule, un débris disputé par ses remous. On le traîne,
on le déchire, on le dispute…
Au moment où les mains et les pieds l'assomment, le foulent, Axel de
Fersen1 se soulève sur un coude:
"Pardonnez-moi, murmure-t-il, ô reine! De mourir presque comme vous!"
Mais Fersen ne meurt pas ; il se rend à Vienne puis à Bruxelles.
1
Il séjourna longtemps à la cours de France, où il voua un culte à la reine Marie-
Antoinette, qu'il escorte jusqu'à Bondy.
Extraits de : François de Nion

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