eloge de l`encyclopedie

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eloge de l`encyclopedie
ELOGE DE L’ENCYCLOPEDIE
I. DEFINITION ET ELOGE DE L’ENCYCLOPEDIE
ARTICLE « ENCYCLOPEDIE » DE DIDEROT
Diderot définit ici l’entreprise de l’Encyclopédie. Il en fait l’éloge, ainsi que celui des
Lumières.
* ENCYCLOPÉDIE, s. f. (Philosoph.) Ce mot signifie enchaînement de
connoissances ; il est composé de la préposition greque , en, & des substantifs , cercle,
& , connoissance.
En effet, le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connoissances éparses sur la
surface de la terre, d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons,
& de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des
siecles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siecles qui succéderont ; que
nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même tems plus vertueux & plus
heureux, & que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain.
[…]
Aujourd'hui que la Philosophie s'avance à grands pas ; qu'elle soûmet à son empire
tous les objets de son ressort ; que son ton est le ton dominant, & qu'on commence à
secouer le joug de l'autorité & de l'exemple pour s'en tenir aux lois de la raison, il n'y a
presque pas un ouvrage élémentaire & dogmatique dont on soit entierement satisfait.
On trouve ces productions calquées sur celles des hommes, & non sur la vérité de la
nature. On ose proposer ses doutes à Aristote & à Platon ; & le tems est arrivé, où des
ouvrages qui joüissent encore de la plus haute réputation, en perdront une partie, ou
même tomberont entierement dans l'oubli ; certains genres de littérature, qui, faute
d'une vie réelle & de moeurs subsistantes qui leur servent de modeles, ne peuvent
avoir de poétique invariable & sensée, seront négligés ; & d'autres qui resteront, & que
leur valeur intrinseque soûtiendra, prendront une forme toute nouvelle. Tel est l'effet
du progrès de la raison ; progrès qui renversera tant de statues, & qui en relevera
quelques-unes qui sont renversées. Ce sont celles des hommes rares, qui ont devancé
leur siecle. Nous avons eu, s'il est permis de s'exprimer ainsi, des contemporains sous
le siecle de Louis XIV.
[…]
Eloge de l’Encyclopédie et du progrès
Quelle reconnoissance la génération, qui viendroit après ces tems de trouble, ne
porteroit-elle pas aux hommes qui les auroient redoutés de loin ; & qui en auroient
prévenu le ravage, en mettant à l'abri les connoissances des siecles passés ? Ce seroit
alors (j'ose le dire sans ostentation, parce que notre Encyclopédie n'atteindra peut-être
jamais la perfection qui lui mériteroit tant d'honneurs), ce seroit alors qu'on nommeroit
avec ce grand ouvrage le regne du Monarque sous lequel il fut entrepris ; le Ministre
auquel il fut dédié ; les Grands qui en favoriserent l'exécution ; les Auteurs qui s'y
consacrerent ; tous les hommes de lettres qui y concoururent. La même voix qui
rappelleroit ces secours n'oublieroit pas de parler aussi des peines que les auteurs
auroient souffertes, & des disgraces qu'ils auroient essuyées ; & le monument qu'on
leur éleveroit, seroit à plusieurs faces, où l'on verroit alternativement des honneurs
accordés à leur mémoire, & des marques d'indignation attachées à la mémoire de leurs
ennemis.
[…]
Une démarche qui vise à éclairer les hommes
Si je pense qu'il y a un point au-delà duquel il est dangereux de porter l'argumentation,
je pense aussi qu'il ne faut s'arrêter, que quand on est bien sûr de l'avoir atteint. Toute
science, tout art a sa métaphysique. Cette partie est toujours abstraite, élevée &
difficile. Cependant ce doit être la principale d'un dictionnaire philosophique ; & l'on
peut dire que tant qu'il y reste à défricher, il y a des phénomenes inexplicables, &
réciproquement. Alors l'homme de lettres, le savant & l'artiste marchent dans les
ténebres ; s'ils font quelques progrès, ils en sont redevables au hasard ; ils arrivent
comme un voyageur égaré qui suit la bonne voie sans le savoir. Il est donc de la
derniere importance de bien exposer la métaphysique des choses, ou leurs raisons
premieres & générales ; le reste en deviendra plus lumineux & plus assûré dans
l'esprit. Tous ces prétendus mysteres tant reprochés à quelques sciences, & tant
allégués par d'autres pour pallier les leurs, discutés métaphysiquement, s'évanoüissent
comme les phantômes de la nuit à l'approche du jour. L'art éclairé dès le premier pas
s'avancera sûrement, rapidement, & toujours par la voie la plus courte. Il faut donc
s'attacher à donner les raisons des choses, quand il y en a ; à assigner les causes, quand
on les connoît ; à indiquer les effets, lorsqu'ils sont certains ; à résoudre les noeuds par
une application directe des principes ; à démontrer les vérités ; à dévoiler les erreurs ;
à décréditer adroitement les préjugés ; à apprendre aux hommes à douter & à attendre ;
à dissiper l'ignorance ; à apprécier la valeur des connoissances humaines ; à distinguer
le vrai du faux, le vrai du vraisemblable, le vraisemblable du merveilleux & de
l'incroyable, les phénomenes communs des phénomenes extraordinaires, les faits
certains des douteux, ceux-ci des faits absurdes & contraires à l'ordre de la nature ; à
connoître le cours général des évenemens, & à prendre chaque chose pour ce qu'elle
est, & par conséquent à inspirer le goût de la science, l'horreur du mensonge & du
vice, & l'amour de la vertu ; car tout ce qui n'a pas le bonheur & la vertu pour fin
derniere n'est rien.
AVERTISSEMENT DE L’ENCYCLOPEDIE PAR D’ALEMBERT
D’Alembert rappelle les objectifs et les difficultés de l’entreprise de l’Encyclopédie.
Notre principal objet étoit de rassembler les découvertes des siecles précédens ; sans
avoir négligé cette premiere vue, nous n'exagérerons point en appréciant à plusieurs
volumes in-folio ce que nous avons porté de richesses nouvelles au dépôt des
connoissances anciennes. Qu'une révolution dont le germe se forme peut-être dans
quelque canton ignoré de la terre, ou se couve secretement au centre même des
contrées policées, éclate avec le tems, renverse les villes, disperse de nouveau les
peuples, & ramene l'ignorance & les ténebres ; s'il se conserve un seul exemplaire
entier de cet Ouvrage, tout ne sera pas perdu.
On ne pourra du-moins nous contester, je pense, que notre travail ne soit au niveau de
notre siecle, & c'est quelque chose. L'homme le plus éclairé y trouvera des idées qui
lui sont inconnues, & des faits qu'il ignore. Puisse l'instruction générale s'avancer d'un
pas si rapide que dans vingt ans d'ici il y ait à peine en mille de nos pages une seule
ligne qui ne soit populaire ! C'est aux Maîtres du monde à hâter cette heureuse
révolution. Ce sont eux qui étendent ou resserrent la sphere des lumieres. Heureux le
tems où ils auront tous compris que leur sécurité consiste à commander à des hommes
instruits ! Les grands attentats n'ont jamais été commis que par des fanatiques
aveuglés. Oserions-nous murmurer de nos peines & regretter nos années de travaux, si
nous pouvions nous flatter d'avoir affoibli cet esprit de vertige si contraire au repos des
sociétés, & d'avoir amené nos semblables à s'aimer, à se tolérer & à reconnoître enfin
la supériorité de la Morale universelle sur toutes les morales particulieres qui inspirent
la haine & le trouble, & qui rompent ou relâchent le lien général & commun ?
II. UN ELOGE DISSEMINE DANS LES ARTICLES DE
L’ENCYCLOPEDIE
ARTICLE « DIZIER (SAINT) »
L’éloge de Montesquieu est l’occasion d’affirmer à nouveau que l’Encyclopédie est et se
veut un monument de la littérature et de l’Histoire
ELOGE DE M. LE PRESIDENT DE MONTESQUIEU.
L'INTEREST que les bons citoyens prennent à l'ENCYCLOPEDIE, & le grand
nombre de Gens de Lettres qui lui consacrent leurs travaux, semblent nous permettre
de la regarder comme un des monumens les plus propres à être dépositaires des
sentimens de la Patrie, & des hommages qu'elle doit aux hommes célébres qui l'ont
honorée. Persuadés néanmoins que M. de Montesquieu étoit en droit d'attendre
d'autres Panégyristes que nous, & que la douleur publique eût mérité des interprètes
plus éloquens, nous eussions renfermé au-dedans de nous-mêmes nos justes regrets &
notre respect pour sa mémoire ; mais l'aveu de ce que nous lui devons nous est trop
précieux pour en laisser le soin à d'autres. Bienfaiteur de l'Humanité par ses écrits, il a
daigné l'être aussi de cet Ouvrage ; & notre reconnoissance ne veut que tracer
quelques lignes au pié de sa Statue.
ARTICLE « INVENTION » DE JAUCOURT (FIN DE L’ARTICLE)
Jaucourt fait ici l’éloge de l’Encyclopédie. Mais il rappelle que le livre ne peut exister
que s’il est soutenu par le pouvoir : allusion très nette à la censure dont il sera victime
L'Encyclopédie, s'il m'est permis de répéter ici les paroles des éditeurs de cet ouvrage,
(Avert. du tom. III.) " l'Encyclopédie fera l'histoire des richesses de notre siécle en ce
genre ; elle la fera & à ce siecle qui l'ignore, & aux siecles à venir qu'elle mettra sur la
voie, pour aller plus loin. Les découvertes dans les Arts n'auront plus à craindre de se
perdre dans l'oubli ; les faits seront dévoilés au philosophe, & la refléxion pourra
simplifier & éclairer une pratique aveugle ".
Mais pour le succès de cette entreprise, il est nécessaire que le gouvernement éclairé
daigne lui accorder une protection puissante & soutenue, contre les injustices, les
persécutions, & les calomnies de ses ennemis. (D. J.)
ARTICLE « ZZUENE » DE JAUCOURT
Il s’agit du dernier article de l’Encyclopédie. Mais la clôture de l’œuvre se change en
ouverture vers les temps futurs, éclairés par le flambeau de l’Encyclopédie.
ZZUÉNÉ ou ZZEUENE, (Géog. anc.) ville située sur la rive orientale du Nil, dans la
haute Egypte, au voisinage de l'Ethiopie. Voyez SYENE.
C'est ici le dernier mot géographique de cet Ouvrage, & en même tems sans doute
celui qui fera la clôture de l'Encyclopédie.
" Pour étendre l'empire des Sciences & des Arts, dit Bacon, il seroit à souhaiter qu'il y
eût une correspondance entre d'habiles gens de chaque classe ; & leur assemblage
jetteroit un jour lumineux sur le globe des Sciences & des Arts. O l'admirable
conspiration ! Un tems viendra, que des philosophes animés d'un si beau projet,
oseront prendre cet essor ! Alors il s'élevera de la basse région des sophistes & des
jaloux, un essain nébuleux, qui voyant ces aigles planer dans les airs, & ne pouvant ni
suivre ni arrêter leur vol rapide, s'efforcera par de vains croassemens, de décrier leur
entreprise & leur triomphe ". (Le chevalier DE JAUCOURT.)