La fée nue - Editions Dricot

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La fée nue - Editions Dricot
La fée nue - page 1
La fée nue
Sylvia le regardait de ses grands yeux bleus.
— Comment puis-je savoir que tu es poète ?, lui demande-t-elle de sa voix douce et
veloutée.
Il lui répondit :
— Tu me choisis trois mots et je t'invente une histoire.
Elle sourit, regardant tout autour de la chambre. La fenêtre était ouverte et elle y trouva
son premier mot.
— Pommier, dit-elle.
Puis, elle pensa à une rose rouge et elle dit :
— Rose rouge.
Elle hésita. Il y a tant de mots !
— Encore un, ma tendre fée, lui dit le poète en riant.
— Tendre fée, dit-elle.
— Ce n'est pas parce que je t'appelle ainsi que tu dois choisir ce mot. Je...
Elle insista... “tendre fée”, en fixant le jeune homme de ses grands yeux bleus.
Elle portait une robe légère, de couleur orange.
Le poète ferma les yeux un instant.
— Tendre fée, rose rouge, pommier, murmura-t-il.
— Alors, vas-y. Tu m'as bien dit que tu étais poète.
Il sourit.
— Il était une fois un poète, dit-il.
— Ah non, je n'ai pas choisi ce mot.
— Rassure-toi, tendre fée, dans mon histoire, il y aura bien plus que les trois mots que
tu as choisis, dit-il dans un sourire, même un poète ne peut pas conter avec trois mots
seulement, n'est-ce pas ?
— Bien sûr, tu as raison, dit-elle.
Il reprit :
— Il était une fois un poète, qui n'avait qu'un petit jardin, et dans ce jardin se trouvait un
seul arbre, un pommier. Il en était très fier, car aucun voisin ne récoltait autant de pommes par
an que lui. Une année, toutefois – il y aura juste deux ans en septembre –, le pommier ne porta
aucun fruit.
— Aucun ? demanda-t-elle.
— Non, vraiment aucun, répéta-t-il. Et le poète fut très peiné. Chaque matin, lorsqu'il
regardait par la fenêtre de la petite salle de bains, il voyait l'arbre triste, les branches
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© EDITIONS DRICOT – LIEGE-BRESSOUX – BELGIQUE.
La fée nue - page 2
pendantes de honte, parce qu'elles ne portaient pas de fruits, et les larmes lui montaient aux
yeux. Mais un matin, au lever du jour – un matin brumeux – le pommier portait une belle rose
rouge.
La fille aux yeux bleus rit.
— Ce n'est pas possible !
— Non, répondit le poète, car lui aussi n'y croyait pas. Pourtant c'était vrai, bien vrai. Il
fut le premier étonné, et crut d'abord à une hallucination, mais en regardant de plus près, il dut
se rendre à l'évidence : une vraie rose poussait sur son pommier.
— Comment est-ce possible ?, marmonna-t-il. Oubliant qu'il était nu, il sortit en courant
vers le jardin. A cet instant, le soleil perça les nuages.
Les voisins, sortant du lit et regardant par la fenêtre pour voir quel temps il allait faire,
s'exclamèrent indignés :
— Mon Dieu, le poète court tout nu dans le jardin.
Eh oui, elle était bien là, la rose, d'un beau rouge grenat.
Elle tenait à une branche du pommier. N'était-ce pas un miracle ? Le poète, croyant
rêver, se pinça le bras droit, mais cela faisait mal.
— Non, je ne rêve pas, se dit-il , une rose rouge sur mon pommier, il faut que j'aille le
raconter aux voisins.
Soudain, il se rendit compte qu'il ne portait pas de vêtements.
— Je dois avant tout m'habiller, pensa-t-il, je suis encore tout nu.
Il n'eut pas l'occasion de s'exécuter, car la rose se mit à parler, et dit :
— Cher poète, cueille-moi, s'il te plaît, cueille-moi.
— Oh non, s'écria le poète, une rose dans mon pommier, je dois montrer cela aux
voisins.
— S'il te plaît, cueille-moi, gémit la rose, cher poète, cueille-moi. Cueille-moi avant
qu'il ne soit trop tard, et rentre-moi. Toute la nuit, j'ai grelotté. J'ai attendu des heures que
quelqu'un passe. Cueille-moi, j'ai froid. Vois...
Le poète regarda et s'aperçut que les pétales rouges de la rose étaient recroquevillés de
froid. Mais elle dégageait un merveilleux parfum.
— Je t'en prie, cueille-moi.
Et comme tous les poètes ont grand cœur, notre poète ne résista pas plus longtemps aux
gémissements de la rose. Il la cueillit et la rentra.
— Le poète court nu dans le jardin et tient une rose à la main, s'écrièrent les voisins.
— Pour qui cueille-t-il cette rose ?
Ils s'habillèrent en vitesse, sortirent et jetèrent un regard à travers la fenêtre ouverte.
— Je me sens déjà mieux dans la douce chaleur de votre maison, dit la rose. Sa fleur
s'épanouit et dégagea un parfum plus prononcé encore, qui remplit toute la petite chambre du
poète. La rose s'exprima d'une voix douce et charmeuse :
— C'est bon, que c'est bon..., lui souffla-t-elle. Je te remercie, cher poète. Viens,
embrasse-moi. Vite, embrasse-moi.
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Doucement, le poète saisit la rose de ses deux mains et lui embrassa le cœur... et,
comme souvent cela se passe dans les contes, la rose rouge se transforma en une belle fée nue
avec de grands yeux bleus.
Les voisins, passant à ce moment précis devant la fenêtre ouverte, chuchotèrent :
— Voyez, maintenant nous savons pourquoi le poète a traversé le jardin avec une rose
rouge. Le voilà nu, dans sa chambre, avec une femme nue.
— Il déshonore ma maison, s'écria une femme, il doit partir.
Ils coururent vers la porte et l'enfoncèrent.
Le poète, qui tenait dans ses bras la rose métamorphosée en ravissante fée, l'embrassait
deux, puis trois fois en la serrant de plus en plus contre lui. Soudain il entendit la porte
s'effondrer.
— Que faire, s'exclama-t-il, les voisins, mes voisins sont furieux.
— Ne crains rien, poète, lui dit la fée en se blottissant plus encore dans ses bras. De sa
main délicate, elle lui caressa l'épaule et lui demanda de prononcer un vœu.
Soudain, le poète se sentit heureux. Formuler un vœu, mais quel était son désir le plus
cher ?
La richesse ? Non.
Etre le poète le plus aimé dans le pays ? Non. Trouver un éditeur pour ses poèmes...
Que la fée demeure à ses côtés...
Qu'avec la fée... Mais à ce moment, il entendit les voisins tout proches. Ils allaient
ouvrir la porte et pénétrer dans la chambre.
— Je souhaite que tu redeviennes rose rouge, lâcha-t-il, angoissé... Non... Oh non...
Mais il était trop tard, il avait prononcé son vœu.
Lorsque la porte céda, les voisins ne virent que le poète tenant la rose rouge à la main.
— Où est la femme ? Où est cette femme nue ?, s'écrièrent-ils.
Le poète, triste et malheureux, n'entendit pas leurs cris. Il était seul, nu, tenant la rose
rouge dans ses mains et versait de chaudes larmes.
Les voisins ont ouvert les armoires, ont cherché dans le lit, derrière, dessous, dans la
salle de bains, sans trouver de femme.
Hystériques, les femmes hurlèrent :
— Où donc caches-tu cette sale femme ?
Le poète voulut ironiser, mais sa tristesse l'en empêcha et il se tut.
— Je n'ai que la rose, la rose rouge, dit-il simplement.
— Menteur. Nous avons vu une femme, une femme nue. Nous l'avons vue de nos
propres yeux. Attends..., nous la trouverons.
Abandonnant le poète et son gros chagrin, les voisins fouillèrent la maison, mais n'ont
trouvé personne. Même la rage ne les aida pas.
Lorsqu'ils eurent quitté la maison, le poète prit la rose et la plaça dans le plus beau vase
en espérant toute la journée qu'à un moment, elle retrouverait la parole, mais en vain, elle
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resta muette. Il l'embrassa passionnément, mais rien ne rendit la vie à la rose qui demeura une
rose rouge.
Le poète, très peiné, maudit ses voisins. Ceux-ci peuvent être très cruels !
***
Le poète se tut.
— C'est une belle histoire, mais si triste, lui dit la fille aux yeux bleus. Viens, embrassemoi.
Le poète hésita.
— Viens, embrasse-moi. Je ne vais pas devenir rose.
— En quoi te transformeras-tu ?, demanda-t-il.
— En une jolie fée nue, dit-elle, en déboutonnant sa robe.
Marco l'embrassa et se laissa pleinement aller.
— Tu es un vrai poète, lui chuchota Sylvia. C'était une belle histoire.
Il voulut l'embrasser encore, mais elle le repoussa en riant.
— Mon cher conteur, pas d'excès, pas tout en un jour, dit-elle, demain, nous
poursuivrons notre jeu de l'amour.
Voici la fin du premier jour.
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