Leçon 2 : Céramique Fichier
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2. Céramique grecque La céramique est de loin le type de vestige archéologique le plus abondant. La céramique se casse certes facilement ; en revanche elle est indestructible. Là où les métaux ont généralement été fondus et réutilisés, les marbres passés au four à chaux, la céramique une fois cassée n'offre aucune valeur et se conserve indéfiniment. La plupart du temps, il s'agit de tessons dans des couches archéologiques. Grâce à l’existence de séries typologiques, un simple bord ou un fragment de pied, bref tout tesson avec un signe particulier (cela exclut les fragments de panse, non diagnostiques) suffit très souvent à reconstituer le vase entier, à déterminer la forme, la production et ainsi à dater le tesson. Lorsque l'on fouille des tombes en revanche, il arrive que la tombe n'ait pas été pillée depuis l'Antiquité ; l'archéologue a alors la chance de retrouver des vases entiers, déposés par les Anciens dans un contexte signifiant. Enfin, il faut rappeler que la plupart des beaux vases qui ornent les vitrines des musées ne viennent pas de Grèce proprement dite, mais d'Étrurie. Les princes étrusques se sont montrés très friands de céramique grecque aux époques archaïque et classique. Ils se fournissaient auprès des Grecs établis en Italie du Sud ou auprès de ceux qui circulaient en Méditerranée. Par ailleurs, certains ateliers attiques ont créé des formes spécifiquement adaptées au marché et au goût des Étrusques. Ainsi le potier Nicosthénès a-t-il créé des amphores dites « nicosthéniques », qui imitent la forme de récipients étrusques en métal. Pillées depuis le XVIIIe siècle par les amateurs d'Antiquités, les tombes étrusques ont livré une quantité phénoménale de vases grecs. Le vocabulaire désignant les différentes parties d’un vase est calqué sur celui du corps humain : on parle du pied, de la panse, de l’épaule, du col et de la lèvre d’un vase. A. Formes et usages Chaque civilisation produit sa vaisselle, avec des formes qui correspondent à des usages particuliers. Lorsqu'on compare la vaisselle grecque à la vaisselle chinoise par exemple, on est d'emblée frappé par l'autonomie complète des deux séries. Si en Chine une grande partie de la vaisselle est consacrée au service du thé, en Grèce antique la vaisselle est essentiellement destinée au service du vin et au soin du corps (vases à parfum). Le service à vin Les Grecs n'en étaient pas pour autant plus alcooliques que les Chinois. Le banquet grec est en effet une institution fondamentale dans l'organisation sociale. De fait, la consommation du vin est un acte collectif. Non seulement il intervient après chaque sacrifice et après la consommation des viandes, mais il est au cœur même de l'organisation politique de la cité et de la définition du statut de citoyen. Avant la création des assemblées, les citoyens se réunissaient en banquets et discutaient des affaires communes. Dans certaines cités, comme Sparte et celles de Crète, avoir accès au banquet était la marque la plus tangible de la condition de citoyen par rapport à tous les non-citoyens (inférieurs, esclaves, étrangers). C'est donc l'importance sociale, religieuse et politique du banquet qui justifie la création d'un service à vin très complet. 1 L'amphore (amphi- et phorein, « qu'on porte des deux côtés ») est une jarre à deux anses (verticales ou horizontales) et à large col cylindrique, munie d'un couvercle, destinée au transport et au stockage. La pelikè est une amphore courte, très tassée sur elle-même. Le cratère (kerannunai, « mélanger ») est un récipient à large ouverture, muni de deux anses horizontales, dans lequel on mélangeait le vin pur (sorte de sirop fortement alcoolisé) avec de l'eau pour le rendre consommable. Aux époques archaïque et classique, on distingue quatre types : • • • • le cratère « à colonnettes » aux anses relevées, dont la partie supérieure, aplatie, fait corps avec la lèvre tandis que les branches latérales, collées à la panse, évoquent deux petites colonnes ; le cratère « à volutes » dont les anses sont surmontées de deux volutes surplombant la lèvre ; le cratère « en calice » en forme de coupe évasée, montée sur un pied élancé et munie de deux grandes anses horizontales au bas de la panse ; le cratère « en cloche » qui a une panse en forme de cloche, un pied très bas et deux petites anses immédiatement sous la lèvre. Le lébès (ou dinos) est un vase qui imite des formes métalliques, il dispose d'un fond arrondi et est équipé d'un socle très haut. Le stamnos, également destiné à mélanger le vin, a un col court, une panse haute et des anses horizontales sur les côtés. C'est une forme de vase à figures rouges. Le psyktèr (psukhein, « refroidir ») est un vase globulaire à embouchure ronde et haut pied galbé, qu'on remplissait de neige ou d'eau froide et qu'on faisait flotter dans le cratère pour rafraîchir le vin. L'hydrie (hydôr, « eau ») contenait l'eau destinée à allonger le vin. Jarre à embouchure ronde, assez semblable à l'amphore, mais munie de deux anses horizontales, pour la soulever et la tenir sous la fontaine, et d'une anse verticale pour verser. Le loutrophore est une version haute et élancée de l'hydrie, mais il n'appartient pas au service du banquet ; c'est un vase qui sert lors du mariage ou qui est déposé sur les tombes des célibataires. L'œnochoé (oinos, « vin », et khein, « verser ») est une cruche, généralement à bec trilobé et munie d'une anse verticale, pour verser le vin allongé d'eau. L'olpè est une espèce d'œnochoé à col court et embouchure ronde, sans bec. Les principaux vases à boire sont : • • • la coupe (kylix), large et peu profonde, montée sur un pied et munie de deux anses horizontales. le skyphos, coupe sans pied, plus profonde que la kylix, également munie de deux anses. le canthare, coupe profonde, avec pied et munie de deux hautes anses verticales. Chacun de ces vases à boire est plus spécifiquement associé à une région ou à un marché : coupe en Attique, canthare très prisé en Étrurie, skyphos en Ionie. Les vases à parfum À côté du vin, l'autre fonction essentielle des vases grecs concerne les parfums et le soin du corps. Des plus grands, nous passons donc aux plus petits volumes. Ces petits vases destinés à contenir de l'huile parfumée ont naturellement une ouverture étroite. 2 Le lécythe a une forme effilée et haute, brisée par l'épaule qui rompt la courbe. Il existe une catégorie particulière de lécythes très grands : les lécythes attiques à fond blanc, production du Ve siècle, qui sont déposés sur ou dans les tombes. L'aryballe, fiole globulaire ou piriforme (lat. pirum, « poire »), est la production la plus typique des ateliers corinthiens à l'époque archaïque. L'alabastre est une forme égyptienne, introduite dans le répertoire des formes attiques par un potier nommé Amasis vers le milieu du VIe siècle. Les lécythes et les alabastres appartiennent à la sphère féminine, tandis que l'aryballe appartient au monde masculin (notamment au gymnase). À côté du service à vin et des vases à parfum, les Grecs usaient également de céramique commune, non décorée et plus grossière, qui servait à la cuisine (casserole, marmite) ou à la table (assiette). Celle-ci commence à susciter l'intérêt des spécialistes, après avoir longtemps été dépréciée en raison de l'absence de décor. B. Techniques de production Comment les vases grecs étaient-ils produits ? Quelle technique les Grecs maîtrisaientils ? Nous n'avons aucune description antique de la manière dont les potiers procédaient. Pour s’en faire une idée, les archéologues disposent des vestiges de quelques fours de potiers, de diverses représentations sur vases de leur métier et bien entendu des vases eux-mêmes. Les potiers utilisaient généralement de l'argile locale – quoique le transport d'argile à travers le monde grec soit attesté. La plupart des argiles en Grèce contiennent de l'oxyde de fer et sont donc de couleur rouge. — modelage : le potier prenait une motte d'argile et la plaçait au centre de son tour. Tous les vases grecs sont réalisés au tour. Il s'agit d'un tour actionné manuellement par un esclave. Les grands vases étaient tournés en plusieurs parties : panse, col, anses et pied étaient ensuite assemblés. — décoration et cuisson : Les deux couleurs usées sur les vases grecs, le rouge et le noir, ne proviennent pas de l'usage de deux pigments différents, mais résultent d'une caractéristique chimique de l'argile et d'un procédé de cuisson. La « peinture » utilisée par les potiers pour décorer les vases est en effet également de l'argile, mais une argile plus fine, plus épurée que celle qui sert à modeler le vase ; on parle de solution colloïdale. Les deux couleurs, rouge et noir, sont dues à la présence dans l'argile d'une proportion importante d'oxyde de fer rouge, de l'hématite (aima, le « sang »), qui peut rester rouge ou devenir noire selon les conditions présentes dans le four. Si l'atmosphère est oxydante (avec ventilation, donc apport d'oxygène), l'hématite ne bouge pas et l'argile cuite garde sa couleur rouge. Si l'atmosphère est réductrice (sans ventilation, le feu a besoin de trouver de l'oxygène dans le four), l'oxygène présent dans l'hématite (Fe2 O3) est absorbé par le feu et l’hématite se transforme en magnétite (Fe3 O4) de couleur noire. Inversement, si la magnétite est à nouveau soumise à une cuisson oxydante, elle redevient de l'hématite. Ce qui est curieux, c'est que le même vase présente des parties noires et des parties rouges. Comment est-ce possible dans la mesure où il est cuit en un seul morceau ? Cela tient à la finesse de l'argile : plus l'argile est fine, plus les processus d'oxydation et de réduction sont retardés. Autrement dit, l'argile très fine (solution colloïdale) utilisée pour décorer le vase réagit beaucoup plus lentement que l'argile de modelage, les différences de couleur peuvent être obtenues en calculant des temps de cuisson très précis. Le vase décoré est d'abord soumis 3 à une atmosphère oxydante pour assurer une bonne cuisson : rien ne se passe au niveau des couleurs et le vase reste entièrement rouge. Le vase est ensuite soumis à une atmosphère réductrice : progressivement, il devient entièrement noir, parties nues puis parties décorées. Le vase est ensuite à nouveau soumis à une atmosphère oxydante : les parties nues redeviennent très rapidement rouges, tandis que les parties décorées conservent plus longtemps leur teinte noire. Il s'agit d’éteindre le feu – c’est-à-dire de ne plus soumettre le vase aux hautes températures auxquelles seules se produisent les réactions chimiques – avant que les parties décorées redeviennent rouges. Par la séquence oxydation-réductionréoxydation partielle, le potier obtient un vase qui possède des parties rouges et des parties noires. En perfectionnant la technique, les Grecs se sont rendu compte qu'en atteignant une certaine température dans le four (entre 825 et 950°), l'argile très pure connaissait un processus de vitrification. À cette température, les particules d'argile s'enrobent de cristaux de quartz. Si cette température est atteinte en cuisson réductrice, l'argile fine des parties peintes devient imperméable à toute réoxydation et restera donc noire, quelles que soient les conditions ultérieures dans le four. En revanche, l'argile moins pure du vase ne connaît pas ce processus de vitrification et redevient rouge dès que la cuisson redevient oxydante. La maîtrise de ce procédé revient aux potiers athéniens du début du VIe siècle. Quant aux couleurs additionnelles, comme le blanc ou le jaune, il s'agit d'argiles à faible teneur en oxyde de fer – autrement dit moins rouges. La maîtrise de la cuisson requiert des artisans hautement qualifiés et expérimentés. Le principe est en revanche très simple et a pu être découvert empiriquement, sans la moindre notion de chimie. En l’occurrence, il était déjà utilisé pour la plus vieille céramique décorée de Mésopotamie, celle de Tell Halaf au 4e millénaire. Les Grecs ont néanmoins acquis une maîtrise de cette technique et l'ont perfectionnée. C. Deux modes de décoration : figures noires et figures rouges On appelle figures noires, la technique qui consiste à réaliser le décor en noir sur fond rouge. Autrement dit, les personnages sont peints avec la solution d'argile très pure, qui vire au noir pendant la cuisson réductrice. L'arrière-plan de la scène est constitué par l'argile du vase, qui demeure rouge. Après séchage (mais avant la cuisson), des incisions permettent au peintre de marquer les détails (muscles, cheveux, vêtements) à l'intérieur des aplats noirs. On appelle figures rouges, la technique qui consiste à réaliser le décor en rouge sur fond noir. Autrement dit, c'est tout l'arrière-plan qui est peint avec cette solution d'argile très pure, tandis que les personnages sont réservés et conservent la couleur de l'argile du vase. Les détails sont réalisés avant cuisson : avec un pinceau fin, l'artiste dessine à l'argile pure les motifs qui apparaîtront dans les zones réservées (lignes des vêtements, des muscles…). Historiquement, les potiers ont d'abord utilisé la décoration en figures noires. Elle est née à Corinthe au VIIe siècle, puis a été adoptée par les artisans athéniens, qui l'ont poussé jusqu'à sa perfection. Vers 530-525, certains artisans athéniens introduisent la décoration en figures rouges, qui connaîtra son apogée au Ve siècle. À la fin du IVe siècle, la production de vases peints décline rapidement ; la vaisselle de luxe est désormais majoritairement une vaisselle de métal. Les Grecs continueront bien entendu à produire des céramiques non peintes. 4