Le e-commerce entre en ville…
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Le e-commerce entre en ville…
CYCLE LOGISTIQUE / INDUSTRIE « Le e-commerce entre en ville… » Jeudi 01 décembre - 10h30 - 12h00 Débat animé par Jean-Philippe GUILLAUME, Président - Supply Chain Magazine Intervenants : • • • • Jacques FOUGEROUSSE - Directeur logistique Supply chain – Showroom Prive Patrick REMORDS - Head of supply chain consulting - JLL Jean-Paul RIVAL - Directeur Général Adjoint - Concerto European Developer Jonathan SEBBANE - Directeur Général - Groupe Sogaris 1 Objectif de la conférence : Faire un point sur la montée en puissance de l’e-commerce et ses conséquences sur la réorganisation de la filière logistique. Face à l’explosion de la demande des consommateurs, les acteurs du e-commerce investissent le cœur des agglomérations. L’introduction de la logistique en centre-ville, en concurrence avec les commerces de proximité existants, soulève de nombreuses questions complexes : Comment ces initiatives sont-elles accueillies par les élus et les professionnels de l’aménagement du territoire ? Comment la logistique se marie-t-elle avec les autres activités ? Comment organiser cette logistique du dernier km ? Quelles sont les opportunités de business pour les professionnels immobiliers ? L’acceptation sociale par les populations localisées en centre-ville et la protection de l’environnement viennent également compliquer la tâche des élus (la logistique, assimilée aux camions qui polluent et gênent le trafic, est davantage vue comme une nuisance que comme un besoin). La numérisation de la filière nécessite un recentrage stratégique des « derniers kilomètres ». Les entreprises, en particulier de distribution, doivent revoir leurs schémas logistiques, ce qui boostera le marché immobilier des entrepôts. Selon Jonathan SEBANNE : « La révolution culturelle est engagée ! ». **** Introduction de Jean-Philippe GUILLAUME, Président de Supply Chain Magazine Nous allons parler de commerce et de logistique en centre-ville : ce sujet est relancé par la stratégie offensive d’Amazon qui s’est implantée il y a quelques mois, en bordure de Paris. Lorsqu’on est commerçant, comment imagine-t-on la logistique du « dernier 1. kilomètre » ? Comment réorganise-t-on les flux sans que cela perturbe trop la circulation en centre-ville ? Jacques FOUGEROUSSE, Directeur logistique supply chain – Showroom Prive 2 En tant qu’acteur de l’e-commerce, nous ne disposons pas de logistique intégrée et nous reposons donc sur les réseaux extérieurs (la Poste, les relais-colis tels que Mondial Relay, Colis Privé, etc.). Pour autant, la livraison effectuée par ces réseaux est un point clef : une fois que la commande est passée, c’est presque la dernière phase de l’expérience client. Double problématique : - la capacité de ces réseaux à trouver un maximum de solutions de livraison qui vont répondre à un maximum de besoins différents, - la question de l’adéquation coûts/délais : Chronopost n’a pas le même coût qu’un point relai. S’ajoute le problème de la saturation des réseaux, pas forcément à la bonne densité des points relais. Les zones isolées, qui sont éloignées des centres commerciaux (part de marché importante), doivent également être adressées ce qui pose le double problème de (i) la logistique en ville et de (ii) la logistique et la livraison en zones reculées. Ce sont deux situations qu’il ne faut pas opposer mais faire cohabiter. 2. Le choix des prestataires logistiques est-il aussi lié à ces implantations ? Jacques FOUGEROUSSE - Directeur logistique supply chain – Showroom Prive Il y a deux choses : la partie préparation de commandes (en entrepôt) et la partie distribution finale au consommateur. Avec l’acteur classique, la Poste, il y a les prestataires privés tels que Mondial Relay ou Colis Privés. Premier critère de choix : la capacité de proposer un nombre de points de retrait suffisamment denses avec des plages d’ouverture suffisamment importantes afin de faciliter le retrait du colis. Second critère : le prix (en raison du volume de colis, ce critère est important). Troisième critère excessivement important : la capacité à assurer le tracking (suivi colis). Malheureusement, on constate de grands trous dans l’information ce qui est un peu anxiogène. La capacité à faire remonter l’information est importante pour rassurer le consommateur. 3 Nous avons aussi bien des gros clients que des petites start-up, notamment en bordure de Paris. Un petit mot sur le leader Amazon qui a commencé son activité en ouvrant de très gros entrepôts (plus de 100 000 m²) nécessitant beaucoup de personnel pour le traitement manuel et avec de gros pics de saisonnalité. On a tous entendu parler de la journée des célibataires : 600 millions de colis livrés en une seule journée. Au début, Amazon externalisait la livraison. Aujourd’hui, Amazon met un pied dans la livraison avec de nouveaux entrepôts de 20 000/ 30 000 m² destinés à la consolidation de flux. Amazon entre en effet de plus en plus dans la ville pour constituer le dernier maillon de la chaine, et vient d’ouvrir un site dans le nord de Paris, un entrepôt de 4 000 m² permettant la livraison Amazon Premium en 2 heures. Cette rapidité va de pair avec la proximité. Compte tenu du trafic routier et des différents moyens de transport, la question est de savoir combien de personnes je peux toucher, et en combien de temps. La question fondamentale est : y-a-t-il beaucoup de surfaces logistiques de 4 000 m² en ville ? La réponse est non car la logistique a été sortie de la ville. Le changement des modes de consommation oblige à remettre la logistique en ville. Le problème est que nous avons d’un côté, les autorités locales préoccupées par la qualité de l’air, et de l’autre côté, les flux que nous apportons. La piste de solution la plus prometteuse est de transformer de l’immobilier qui n’a pas de vocation logistique en immobilier logistique : il s’agit de travailler les bas d’immeuble en ville. Actuellement les start-ups sont à la recherche en ville de locaux de 300/400 m². - Intervention de Jean-Philippe GUILLAUME : Mais le foncier est cher et la logistique ne rapporte pas. - Réponse de Patrick REMORDS : Nous ne sommes pas à un paradoxe près en matière de logistique urbaine, ce qui fait tout l’intérêt et la complexité du sujet. L’e-commerçant a rendu le geste de livraison gratuit, du moins dans la tête du consommateur (cf. Amazon Premium avec l’offre de livraisons gratuites moyennant un abonnement de 50 euros/an). Plus on se rapproche de la ville, plus le loyer au mètre carré est cher ce qui pose une équation peu évidente à résoudre. La piste est d’utiliser l’immeuble avec différents types de fonctionnements, ne parlons pas d’e-commerçants mais de retailers traditionnels. Citons l’exemple de Undiz qui prend une surface très petite en pied d’immeuble et derrière, utilise le sous-sol et le 1er étage, ce qui a pour résultat la maximisation de l’utilisation des m². 4 3. Question à Jean-Paul RIVAL : avant même de parler d’implantation, il faut réfléchir aux flux ? C’est l’analyse que nous avons faite qui a poussé à la création d’une start-up dont l’un des quatre fondateurs est Concerto ED. La réflexion fondamentale est : comment penser immobilier si on ne sait pas de quoi l’on parle ? Aujourd’hui on parle de flux qui sont foisonnants et fragmentés. La logistique c’est du coût (obsession : payer le moins cher) sauf qu’internet apporte une complexification qu’il faut traiter toujours en étant le moins cher possible. Le monde des transports souffre beaucoup de cette pression sur les prix car le premier moyen de baisser les coûts est de réduire ceux des transports et de la logistique en général. Internet a engendré plus de flux et donc la problématique de la saturation trafic routier, la pollution, le bruit et chaque acteur pris isolement se dit incapable de changer les choses. Il faut donc repenser le modèle, il faut penser plus grand, décloisonner, mutualiser. La mutualisation sur les grandes distances va permettre de récupérer de l’argent qui va servir à financer le dernier kilomètre. Pour payer le personnel dans une filière qu’on ne peut pas délocaliser, il faut trouver l’équation économique : le seul moyen est de casser le modèle existant et ne pas laisser Amazon le faire seule. - Intervention de Jean-Philippe GUILLAUME : La mutualisation est le maitre mot mais c’est plus facile à dire qu’à faire, c’est compliqué. - Réponse de Jean-Paul RIVAL : Oui car il faut faire travailler des concurrents directs ensemble, c’est le problème du pooling volontariste notamment dans le domaine non-alimentaire (textile, chaussure, produits de la maison…). Ces acteurs ont du mal à imaginer travailler ensemble. Il faut un tiers neutre, de confiance, qui se charge de mettre en œuvre cette mutualisation. On assiste à la numérisation d’une filière : avec l’intelligence artificielle, le big data, on peut faire de la vraie mutualisation automatique grâce à des outils de calcul d’optimisation. Dans cet environnement complexe, on ne peut pas savoir à l’avance ce que l’on va devoir livrer, l’aléa devient la règle et il faut trouver un système qui automatiquement prend en compte l’aléa. Lorsqu’on a des millions de colis, il faut faire appel à l’intelligence artificielle donc à la numérisation de la filière. 5 4. Question à Jonathan SEBBANE : La logistique urbaine est inscrite dans les gènes de SOGARIS, comment cela a t-il évolué au fil des ans et comment vous inscrivez vous dans cette tendance ? Sogaris avait pour vocation initiale de gérer les flux de marchandises de l’agglomération parisienne au départ de Rungis. On a acté d’un recentrage stratégique important sur la logistique des derniers kilomètres qui est sous le feu des projecteurs pour plusieurs raisons. L’enjeu majeur est que les pouvoirs publics attendent une forme de domptage de cette logistique du dernier kilomètre (aujourd’hui c’est 30% de l’occupation de la voierie et 50% de des émissions de gaz à effet de serre). Les entreprises elles-mêmes se réorganisent (cf. Amazon en tête). Chez Sogaris, nous croyons fortement à l’hôtel logistique, bâtiment mixte qui va revenir en ville. L’idée est de mixer les fonctionnalités : bureau, logistique, commerce, équipements publics (cf. le projet Chapelle International que nous portons). Le sujet ne doit pas concerner que Paris mais toutes les grandes agglomérations de France. Il est de nature à répondre à de nombreux enjeux : flux des camions, création d’emplois, acceptation sociale des livraisons (poids lourds versus camionnettes). - Intervention de Jean-Philippe GUILLAUME : Une base logistique rattachée au domaine fluvial comme la plateforme Beaugrenelle, est-ce appelé à se développer ? - Réponse de Jonathan SEBANNE : Beaugrenelle, c’est le réinvestissement du parking sous la dalle, soit 3 500 m² à proximité de la Seine. L’exploitation du fluvial, nous y viendrons un jour. Il y a une demande importante des investisseurs privés alors que le modèle classique routes-routes meurt et qu’il faut anticiper ce virage pour ne pas se retrouver au pied du mur. Nous accompagnons des professionnels vers cette nouvelle forme de logistique : c’est difficile mais réalisable. - Intervention de Jean-Philippe GUILLAUME : Vous êtes propriétaire et également exploitant de bâtiments logistiques : n’est-ce pas votre vocation de devenir (comme ce que décrivait Jean-Paul Rival) ce coordonnateur, pilote de flux ? - Réponse de Jonathan SEBANNE : 6 Nous sommes dans l’immobilier et l’exploitation. La question se pose de savoir de quelle manière, le bâtiment peut venir consolider les flux (la question du flux des camions préoccupe les communes). Nous y pensons : nous cherchons des acteurs pour consolider les flux et nous allons les traiter dans les années qui viennent. 5. Question à Jacques FOUGEROUSSE : la poussée d’Amazon sur les grands centre urbains vous oblige t’elle (vous Showroom Privé) à revoir votre stratégie notamment par rapport aux délais ? Oui, Amazon est la référence que chacun d’entre nous attend pour sa commande. Amazon donne le « la » en termes de service (qualité, délais), de prix (livraison gratuite) mais pas de coûts mêmes (elle perd de l’argent dans ce domaine mais c’est volontaire). Face à Amazon, il y a peu de grands acteurs qui se portent bien. Pour les autres qui ne font pas de marges sur leurs couts de transport, c’est très difficile. Le modèle Amazon, avec la fiabilité et les délais est à suivre tout en dégageant des marges. Certes, la logistique urbaine du dernier kilomètre est importante mais même si les flux sont importants, nous ne disposons pas de nombreux entrepôts de préparation de commandes et ils ne sont pas tous multi-produits. L’hétérogénéité des colis (morphologie, conditionnement), avec la logistique actuelle qui n’est pas optimum à ce niveau, a un impact et il existe un vrai enjeu en termes de capacité à adresser ces centres urbains. La mutualisation fonctionne au Royaume Unis (comme évoqué par Jonathan SEBANNE). L’exemple de Clipper Logistic sur Regent Street (zone où l’immobilier est maitrisé) peut être cité : la logistique en centre-ville marche bien alors qu’en France la consolidation de flux ne fonctionne pas. Tout le monde sait que la mutualisation et la consolidation sont de bonnes idées mais nous n’arrivons pas à les réaliser. Nous disposons de plateformes collaboratives qui nous permettent de faire de la consolidation : on y arrive dans la grande distribution et le commerce traditionnel, pourquoi ne pas y arriver sur le dernier kilomètre. Là, nous avons quelque chose à travailler avec les pouvoirs publics, c’est évident. 6. Question à Jonathan SEBBANE : Pouvez-vous nous parler de Chapelle International, un projet qui verra le jour en 2017. Est-ce que cela préfigure la logistique urbaine de demain ? 7 Jonathan SEBBANE : « Chapelle international » c’est quoi ? C’est un bâtiment, un entrepôt doublé d’une gare de fret et d’un bâtiment urbain avec un certain nombre d’équipements. Un élément central de Chapelle international, c’est qu’on a ici le terminus d’une navette ferroviaire qui a vocation à relier Paris avec d’autres endroits. Par exemple, il y a des discussions très avancées avec la base logistique de Dourges dans la banlieue lilloise et avec d’autres. Chapelle International est un entrepôt logistique du dernier kilomètre qui permet de faire le lien entre des endroits qui sont éloignés de Paris et Paris. On n’est pas obligé d’être dans Paris pour y acheminer rapidement des marchandises. On peut par exemple être basé à Dourges et approvisionner chaque jour ses magasins ou entrepôts dans la capitale. On parle de ce projet depuis 10 ans, et jusqu’à récemment, le business plan n’était pas bon. Il faut noter d’ailleurs que peu de gens croient au ferroviaire autour de nous. Aujourd’hui nous sommes confiants car nous sommes sur un modèle économique différent, qui s’inspire de ce qui est fait ailleurs, comme en Allemagne sur certains sites portuaires, où il s’agit de chantier combiné. On fait de la manipulation de caisses mobiles, de la préparation de commande… La préparation étant faite en amont, Chapelle International servira uniquement à décharger les caisses de la navette, et à les envoyer à Paris et au nord de Paris. Le sujet revient désormais à savoir jusqu’à quand, un chargeur peut modifier un chargement en amont. Jusqu’à quelle heure, vous pouvez passer la commande pour avoir la marchandise le lendemain… C’est un service nouveau. On doit comparer son coût à celui d’avoir des zones de stockage en ville avec l’acheminement des marchandises sur ces zones. Ce mode de transport multimodal ne va pas remplacer le transport par la route qui représente 90% de cette activité. Mais le transport multimodal est supporté par l’administration, on parle d’un hôtel logistique dans le sud de Paris et d’autres encore. Il y a aussi les autres villes… Notre objectif c’est d’arriver à un coût équivalent à celui de la route, sinon, non seulement cela ne marchera pas, mais on découragera les solutions multimodales. L’enjeu aujourd’hui, pour la Chapelle International, c’est l’économie collaborative. Il faut arriver au maximum de standardisation dans le process, dans les transports, en termes de stockage et d’entreposage. L’enjeu, c’est de construire la capacité collaborative entre les acteurs, c’est un des leviers de productivité du dernier kilomètre. 7. Question d’un auditeur: n’est-ce pas aux acteurs publics de jouer ce rôle ? 8 Jonathan SEBBANE : En France on a souvent cette tendance à renvoyer la responsabilité sur les acteurs publics pour s’assurer de l’efficacité du marché. SOGARIS c’est un acteur de capitaux publics. Nous sommes un outil de nos actionnaires publics. On ne peut pas reprocher à la ville de Paris ou au département des Hauts de Seine de ne pas s’impliquer sur le sujet. Ils identifient des sites à préserver ou à développer, ils garantissent des prix du foncier qui sont nivelés… Toutefois, avec le prix de l’immobilier, la livraison du dernier kilomètre reste un problème. Acheter des bâtiments pour faire de la logistique - activité qui a elle-même, des prix très serrés - est très peu rentable, comparé à d’autres investissements. La seule solution, c’est de gagner en efficacité. La question pour les pouvoirs publics n’est pas de savoir si demain ils organisent le marché, mais de voir de quelle manière le faire, pour éviter que demain de grands acteurs comme Uber, Amazon ou autres prennent des positions dominantes. 8. Question à Jonathan SEBBANE: C’est quoi les besoin du marché ? Pour distribuer, vous avez deux possibilités, soit peu de références sur place, soit des millions stockés ailleurs. • 1er besoin du marché: avoir accès à un maximum de référence avec livraison hyper rapide en ville. • 2ème besoin : c’est d’avoir une petite partie en stock en permanence pour les achats de proximités. Jacques FOUGEROUSSE intervient : Il y a un autre besoin : trouver un fournisseur près de soi qui a déjà un stock énorme en ville et peut vous livrer en 2 heures. C’est à dire que le consommateur voit l’article sur Amazon et commande celui-ci à quelqu’un près de chez lui. A titre d’exemple, une start-up à Istanbul semble capable de cette performance. Elle possède quelques entrepôts en ville et le reste du stock se trouve sur des dizaines de petites camionnettes connectées entres-elles. La plus proche du client, avec le produit à bord, le livre. Toutefois, cette expérience rencontre des limites et, en voulant développer le système, la start-up arrive aux mêmes solutions que celles dont nous parlons déjà. Réponse de Jonathan SEBBANE : L’offre doit être homogène et globale, et inclure la logistique qui doit être aussi visible que l’offre du produit. 9 Finalement, un des besoins concerne le retour des produits et leurs remboursements. Cela concerne de 5 à 25% des livraisons selon le type de marchandise. C’est une phase anxiogène pour le consommateur, il faut bien la gérer, cela fait aussi partie intégrante de l’offre. C’est fondamental, c’est un dixième des flux mais pour le consommateur, c’est capital. C’est un point faible de nombreuses initiatives qui n’ont pas un système de tracking efficace. 9. Le rôle des pouvoirs publics dans le temps. Jean-Paul RIVAL revient sur le rôle des pouvoirs publics et compare le temps qu’il faut à ceux-ci pour agir car ils travaillent sur le long terme - la réorganisation de la ville et de l’espace urbain se fait sur 20 ans - et les besoins des acteurs de la logistique qui voudraient une impulsion maintenant pour agir. Sans cette impulsion, personne ne bouge alors qu’on a la technique pour. D’une manière générale, le monde politique a très peu d’intérêt pour la logistique. On a raté le virage de la logistique européenne. Les ports des pays du nord sont saturés, on parle d’une dorsale d’immobilier logistique Lille, Paris, Lyon et Marseille. Aujourd’hui, il y a un flux de camions du nord au sud parce que les ports français sont évités. Un navire qui arrive d’Asie passe devant Marseille mais n’y va pas à cause des dockers, il passe devant Saint Nazaire, il n’y a pas l’infrastructure, il ne s’arrête donc pas et termine en Belgique ou aux Pays-Bas. Enfin, les produits redescendent en camions vers toutes les régions de France. Aujourd’hui, on risque de rater le virage de la logistique urbaine, parce qu’on ne s’intéresse pas à cette étape. Amazon, ou un autre, va s’installer, installer ses infrastructures et à terme dictera ses conditions. Il ne faut pas s’imaginer qu’il y aura un dialogue public/privé car ce n’est pas le style de cette entreprise. Et c’est pour cela qu’il y a de vraies questions à se poser aujourd’hui, après ce sera trop tard. Jonathan SEBBANE intervient: Je ne partage pas ce point de vue. Certes on a raté le virage de la logistique en ce qui concerne les grands ports français mais du point de vue du dernier kilomètre, c’est une autre histoire. Aujourd’hui, l’Etat est décentralisé et le sujet c’est la capacité des collectivités locales à s’emparer de ce thème et je dois dire qu’il y a un réel intérêt de leur part. Quand je rencontre des maires en Ile-de-France, au début, ils sont un peu méfiants mais ensuite ils participent activement et savent trouver des surfaces pour des activités logistiques (par exemple, une gare de bus désaffecté ou un autre site). Ce que regardent aujourd’hui les collectivités locales, c’est la congestion, combien de camions circulent dans les rues ? Comment optimiser le nombre de ces camions ? Avoir une base logistique en ville peut 10 aider. Cela ne résout pas le problème de la compétitivité de nos champions nationaux par rapport à Amazon, c’est un autre sujet. Un aspect important est aussi l’implication des acteurs immobiliers. On peut investir pour créer un entrepôt à Lille (c’est moins cher de construire à Lille qu’au nord de Paris) et c’est possible si on a une navette qui apporte les marchandises à Paris en 2h30. Les acteurs immobiliers peuvent donc apporter une réponse au besoin de compétitivité pour faire face à Amazon. Il ne faut pas tout attendre de l’Etat. Jean-Paul RIVAL intervient: Oui effectivement, au niveau local, les pouvoirs publics sont bien impliqués. Le problème, c’est le modèle global, au niveau du pays, qui n’est pas soutenu. Aujourd’hui, il n’y a pas d’acteurs qui soient capables de faire face à Amazon, ils sont trop petits. Il faudrait que cette filière soit soutenue financièrement par l’Etat, pas sur le long terme mais efficacement. Les pouvoirs publics ont du mal à appréhender ce sujet, qui est très technique et restreint pour les intéresser vraiment. J’en ai fait l’expérience moi-même en les rencontrant. Animateur : Est-ce qu’il y a des modèles qui peuvent inspirer ? Réponse de Jean-Paul RIVAL: Nous avons échangé avec des acteurs asiatiques ou aux USA. En Asie, il y des initiatives de municipalisation des infrastructures pour constituer un réseau avec une couverture à 100%, où l’on doit s’affranchir d’un droit de passage. C’est une option. Aux USA, au contraire, ce sont des logisticiens qui construisent l’infrastructure, et ils font payer un droit de passage aux concurrents. Je pense que l’enjeu, aujourd’hui en Ile-de-France, c’est de capitaliser sur tout ce qui existe déjà. Il y a un enjeu d’organisation de toutes ces structures, tous ces bâtiments qui existent déjà. Par exemple Rungis, créé dans les années 60, qui a évolué, et qui reste dans un giron public, il pourrait avoir cette capacité à répondre à cette demande d’organisation de la filière. Il est important pour les acteurs immobiliers de comprendre que, quand il existe du foncier, quand il devient disponible, il peut aussi avoir une utilisation logistique. Bien évidemment, la logistique aujourd’hui, c’est moins rémunérateur que les bureaux ou du logement mais c’est tout aussi important pour la ville. Réponse de Jonathan SEBBANE : Aujourd’hui il s’agit de consolider le parcellaire. On a plein de livraisons qui partent de plein d’acteurs, il faudrait les consolider. Pour le faire il n’y a pas 36 solutions, il faut un réseau d’entrepôts avec différentes tailles, et des réseaux qui rentrent dans la ville avec un système 11 d’information pour relier tous les points du réseau. On a pour cela la technologie, comme celle des véhicules autonomes qui vont se répandre, c’est certain. Uber a fait une première livraison de plateforme à plateforme, il y a deux mois. On a utilisé le métro pour livrer la nuit dans le passé, aujourd’hui on ne le fait plus. Car il y a des difficultés avec la maintenance et aussi, avec le droit du travail mais c’est une vraie piste pour dégorger la ville. L’arrivée de la technologie devrait nous aider. Question d’un auditeur: Quelle est la taille minimum de population de la ville pour ouvrir un centre du dernier kilomètre ? Réponse de Patrick REMORDS : Je pense que la question ne se joue pas en population mais en densité et en clientèle. Et ensuite, elle se joue en promesse de service, comme par exemple : jusqu’à quelle heure, je peux passer une commande pour l’avoir demain ? C’est plutôt une question de flux qu’une question de taille de population. Réponse complémentaire de Jonathan SEBBANE : Permettez-moi d’intervenir. Je suis d’accord sur ce qui a été dit. Pour donner un exemple : la base de Beaugrenelle, fait 3 500 m², et gère 1/10 du flux des 15ème et 14ème arrondissements de Paris. Si vous connaissez la population sur ces arrondissements, vous pourrez faire vousmême le calcul pour avoir une idée. 10. Question d’un auditeur quelles sont les tendances pour le futur : espaces logistiques urbains (ELU) ou bien hôtel logistique ? Verra-t-on des hôtels logistiques en centre-ville ou des espaces logistiques urbains (ELU1) en périphérie qui alimenteraient la ville avec des véhicules propres? Réponse de Jonathan SEBBANE : Je crois vraiment à la mixité et la complémentarité des modèles de fonctionnement en logistique ce que vous avez cité ne répond pas aux mêmes besoins. L’ELU convient bien à des centres villes denses qui ont besoin de canaliser des flux camions avec, par exemple, un besoin de consolidation pour de grandes avenues commerçantes, c’est un vrai levier de productivité. L’hôtel logistique est un point d’ancrage, de convergence des marchandises dans la ville. On dit que les entrepôts ont quitté la ville, c’est une façon de les faire revenir sous une forme différente. Ceux qui prennent des participations foncières dans ces entrepôts engagent derrière une modernisation de leur chaine logistique. Car nous les 1 Espace logistique urbain 12 aidons pour la prise du bail ou la modernisation de leur flotte, peut-être même demain, c’est nous qui proposerons la flotte. Faire seulement des ELU, c’est rater une possibilité de faire de la massification pour amortir les coûts. Faire seulement des hôtels logistiques, c’est trop cher. Synthèse rédigée par VALERYA PAVLOVA et SONIA RETTAB - Etudiantes DESUP IMMOBILIER D’ENTREPRISE UNIVERSITE PARIS 1 PANTHEON SORBONNE. 13