L`oxymore ou la face cachée des mots
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L`oxymore ou la face cachée des mots
Industrie Tribune L’oxymore ou la face cachée des mots Bertrand Méheust, professeur de philosophie et sociologue, vient de publier un essai écologique qui frappe par le caractère radical et pessimiste de ses thèses. Ceux qui nous gouvernent, explique-t-il, nous masquent la réalité du monde. DR L’humanité se trouve face à un vrai défi écologique. La presse s’en fait quotidiennement l’écho. Pensezvous qu’elle soit loin du compte dans son analyse et ses comptes rendus ? ● On ne peut pas jouer aux dés avec le destin de l’humanité. Nous devons donc cesser de nous raconter des histoires et examiner en priorité les thèses BERTRAND MÉHEUST, PHILOSOPHE ET SOCIOLOGUE. les plus pessimistes, dès lors qu’elles sont fondées. La question du climat n’est qu’un des problèmes que nous devons affronter. Nous sommes aussi confrontés à la pollution des nappes phréatiques, à celle des océans, à l’effondrement des réserves de poisson, à celui de la biodiversité, à la destruction des surfaces cultivables délabrées par l’usage massif des engrais chimiques... La destruction des abeilles fait à elle seule peser une menace sur l’écosystème. Et il y a 101 PHARMACEUTIQUES - AVRIL 2009 aussi la face psychique du problème : la pollution des esprits, amplifiée par les moyens de communication modernes. Quelle est votre thèse centrale ? ● Elle est d’une simplicité cristalline. Une société cherche toujours à persévérer dans son être. Quand elle rencontre un obstacle, une société ruse, elle emploie un détour, mais elle ne renonce jamais à elle-même. Plus une société dispose de moyens puissants et plus elle s’en sert. Or, la nôtre dispose des moyens les plus puissants jamais réunis par l’espèce humaine. Elle les utilisera donc pour persévérer dans sa voie, avec tout ce que cela implique. Je pense que notre société ne pourra s’auto-contraindre et continuera à mettre tout en œuvre pour persister dans son modèle de développement, allant même, pour ne pas renoncer, jusqu’à affirmer que l’écologie est compatible avec la croissance. Je ne crois pas le libéralisme moderne capable de modifier sa stratégie dans des délais utiles. Quand un avion a développé une certaine poussée, il faut qu’il décolle, sinon c’est le crash. J’ai peur que nous ayons passé le seuil. Pourquoi avez-vous intitulé votre livre « La politique de l’oxymore » ? ● Quand une société est soumise à de fortes tensions, elle tente de concilier dans l’imaginaire ce qui ne peut l’être dans la réalité. C’est le rôle des oxymores, ces figures qui font coexister des réalités contradictoires. Comme la nôtre est soumise à des tensions grandissantes, elle crée de plus en plus d’oxymores. Et plus on produit d’oxymores, plus les gens sont désorientés et inaptes à penser. Le plus célèbre est le « développement durable ». Le mot « durable » est ainsi devenu une clé de communication, un incitateur positif sensé déclencher un réflexe de consommation. On prétend concilier l’idée d’un développement infini dans un monde fini ! Depuis quelque temps nous avons aussi : la « croissance négative », « l’agriculture raisonnée », la « flexisécurité », « la moralisation du capitalisme », et ainsi de suite. Ces oxymores sont forgés par des idéologues pour désorienter et contrôler les esprits. Ce sont des poisons sociaux et des outils de mensonge. Pourtant, nos colonnes sont remplies de ces termes. Pensez-vous que nous soyons manipulés à ce point et que nous sommes les « postiers » du mensonge organisé ? ● Je n’incrimine personne en particulier, mais le fait est qu’une partie de la presse est condamnée à se faire l’écho de l’idéologie dominante, ne serait-ce que parce qu’elle est captive du capital. C’est un processus inexorable, un produit de la « physique sociale ». n Propos recueillis par Brigitte Postel (1) Connu pour ses livres sur l’histoire de la métapsychique et du mesmérisme, Bertrand Méheust a publié « La politique de l’oxymore » aux Editions de la Découverte.