la restauration des vestiges archeologiques en wallonie, hier et

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la restauration des vestiges archeologiques en wallonie, hier et
LA RESTAURATION DES VESTIGES ARCHEOLOGIQUES
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EN WALLONIE, HIER ET AUJOURD’HUI
Philippe Mignot, Archéologue à la Direction de l’Archéologie du SPW
Restauration des vestiges archéologiques
Journées d’étude 29-30 septembre 2008 Moulins de Beez - MRW Direction de la Restauration
« Nouveau venu qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.
Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit. »
Par ces vers écrits au milieu du 16e s. extraits des « Antiquités de Rome », Joachim du
Bellay résume toute la tragédie des ruines2. Dès cet instant, l’Occident instaure une nouvelle
relation avec les vestiges du passé. Le poète, secrétaire au service du Roi de France,
François Ier, idéalise, en une cristallisation au sens stendhalien, la Rome antique. Une fois
sur place, c’est l’amère déception…
La conservation des vestiges archéologiques n’est pas un acte innocent. Il relève d’une
idéologie politique et non d’idéaux philosophiques. Idéologie qu’en Belgique, on a toujours
ignoré. Il n’y a jamais eu chez nous d’intellectualisation des actes archéologiques.
Je m’explique. Si l’Allemagne se lance, dès Bismarck, dans un programme de recherches
archéologiques du limes rhéno-danubien, ce n’est pas le fruit du hasard. Toute l’archéologie
moderne occidentale est alimentée, contaminée devrait-on plutôt dire, par le
Pangermanisme et, à partir de 1933, par l’idéologie nazie. La Belgique est concernée au
premier rang par la Westforschung. Le but est d’y retrouver tout ce qui marque l’extension de
la nation germanique des origines avec aussi l’Empire de Rome comme référence. L’Italie de
Mussolini, par réaction, prend le même chemin. Cette archéologie de la présence militaire
est obsessionnelle3. Elle va influencer notre pays de manière pernicieuse car en réalité, ni
dans l’enseignement, ni chez nos prédécesseurs, rien ne transparaît de cette irradiation4. Et
pourtant !
A y regarder de plus près, on la débusque dans tous les coins. A quelle interprétation se
prêtent les innombrables cimetières mérovingiens - « francs » - fouillés en Wallonie ? Que
serait la Belgique sans la question de sa frontière linguistique ? L’empreinte de Rome et du
prétendu Limes Belgicus plana longtemps sur la chaussée Brunehaut. J. VANNERUS publia
1
Il s’agit du texte de la présentation non remanié.
Recueil publié en 1558. En épigraphe, le sonnet 3.
3
Les Nouvelles de l’Archéologie, 67, printemps 1997 a publié un dossier « Archéologie et passions identitaires » coordonné
par A. BONIS, J. BURNOUF et J.-P. DEMOULE. Voir aussi A. SCHNAPP, « Archéologie, sens de l’histoire et conscience nationale : le
cas français », Les Nouvelles de l’Archéologie, 68, 1997, p. 27-30.
4
Nos voisins se sont penchés sur ce passé : J.-P. LEGENDRE, L. OLIVIER ET B. SCHNITZLER (dir.), L’archéologie nationalesocialiste dans les pays occupés à l’ouest du Reich, Actes de la table ronde internationale « Blut und Boden » tenue à Lyon
(Rhône) dans le cadre du Xe congrès de la European Association of Archaeologists les 8 et 9 septembre 2004, Gollion, 2007.
EIDEM, « Quand l’archéologie était au service du nazisme », Archéologia, 442, mars, 2007, p. 44-57.
2
1
son ouvrage en 1942 avec la bénédiction de la censure allemande5. Que ce soit par réaction
ou par conviction, les archéologues se concentrèrent sur le Bas-Empire. Tongres et Arlon se
disputent toujours le titre de plus ancienne ville de Belgique, autrement dit de ville romaine
mais en réalité, l’image marquante mise en avant, celle qui a laissé des traces, consiste en
des portions d’enceinte. On revient à l’élément militaire fortifié du Bas Empire et de la
présence germanique.
Avant d’aborder le vif du sujet à propos de la restauration des vestiges archéologiques, il
convient de s’interroger sur la manière dont on s’en est préoccupé jusqu’à maintenant.
RETOUR A LA POLITIQUE
Après la vague destructrice et brutale de la période révolutionnaire, les monuments sont
pour la plupart livrés aux démolisseurs et récupérateurs. La jeune nation belge de 1830 étant
en quête d’une identité nationale6, on aurait pu croire qu’elle prit fait et cause pour les
vestiges du passé. Rien ne fut moins vrai ou en tout cas, s’exprima de manière frileuse.
Le cas de Bouillon est exemplatif. En 1848, l’Etat belge inaugure au milieu de la Place royale
à Bruxelles une statue de Godefroid de Bouillon7. La Belgique rend alors hommage à une
figure « belge » créée de toute pièce. Ses biographes fabriquent ses origines brabançonnes,
mettant en exergue sa fonction de duc de Basse Lotharingie, territoire qui courrait de
l’Escaut à l’Ardenne. Quant au château, ce n’est que 50 ans plus tard qu’on commence à
s’en préoccuper8. D’ailleurs, on constate que la Commission royale des Monuments, fondée
en 1835, ne traite, jusqu’aux années 1890, pour ainsi dire que des dossiers relatifs à
l’entretien des églises9. En 1892, la Commission fait procéder à des relevés de plusieurs
châteaux comme Bouillon, Franchimont, Moha, Logne…
L’Etat belge pour sa part avait acquis plusieurs ruines de château pour en stopper la
dégradation : La Roche en 1852, Moha en 1889.
Il est évident que les ruines, derniers témoins de grandeurs défuntes, ne seront pas l’objet
d’enjeux idéologiques, et donc victimes d’un désintérêt certain. Seuls, le Steen d’Anvers, le
Château des Comtes à Gand et, à Bruxelles, la Porte de Halle seront les trois vestiges
militaires médiévaux remis en scène dans cet esprit de restauration, cette fois abusive.
COMMENT ON FABRIQUE DES RUINES…
Je voudrais évoquer brièvement le cas d’Orval10. Au milieu du 18e siècle, l’abbé d’Orval
confie la construction d’une nouvelle abbaye à L.-B. DEWEZ. L’austérité décrétée par Bernard
de Clairvaux cède le pas aux fastes classiques. La nouvelle abbatiale, bâtie à 50 mètres de
l’ancienne est 1,5 fois plus grande que celle du 13e siècle. Les extensions prévoient la
démolition des l’ensemble médiéval. Ce sont d’abord les difficultés financières et puis la
révolution qui sauvent l’abbaye médiévale d’une disparition complète, les Révolutionnaires
concentrant leur acharnement sur la nouvelle église. La communauté est supprimée, la
nature reprend ses droits.
5
J. VANNERUS, Le Limes et les fortifications gallo-romaines de Belgique. Enquête toponymique , Bruxelles, 1942.
6
Sur cette question traitée sous l’angle des châteaux médiévaux en Belgique : Fr. CHANTINNE, Ph. MIGNOT et J. DE
MEULEMEESTER, « La perception du château en Belgique : de la recherche d’une identité nationale aux apports récents de
l’archéologie », Château Gaillard, 25, à paraître.
7
I. WANSON, « Godefroid de Bouillon », in MORELLI A.., (dir.), Les grands mythes de l’Histoire de Belgique, de Flandre et de
Wallonie, Bruxelles, 1995, p. 47-54. DESPY G., « Godefroid de Bouillon : mythes et réalités », Bulletin de la Classe des Lettres et
des Sciences morales et politiques, 5e sér., 71, 1985, p. 249-275.
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En 1843, l’Etat belge décide de démilitariser la place-forte. La même année, Léopold Ier effectue sa première visite officielle à
Bouillon. Le bourgmestre supplie le roi de réarmer le château. Jusqu’en 1851, le collège de Bouillon réclame auprès du
gouverneur provincial le retour d’une garnison. Ce n’est qu’à partir de 1888 que la Ville fait les démarches pour que l’Etat
restaure le château. La Ville réclame aussi la fameuse statue de Godefroid érigée Place royale. En 1890, la Commission royale
des Monuments se dit favorable à la démolition des casernes de l’époque de Louis XIV et des constructions des Hollandais.
Voir Bulletin des Commissions d’Art et d’Archéologie, 29, 1890, p. 351-352.
9
Voir les Bulletins des Commissions Royales d’Art et d’Archéologie, 1, 1862 et sv.
Le Patrimoine monumental de la Belgique. Wallonie, s.v. Orval, 21, Liège, 1995, p. 142-151.
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2
En 1899, la CRMS tente d’instruire un dossier sur l’état des ruines11. Il faut attendre 1913,
pour que l’Etat confie une mission d’étude à l’architecte Louis Cloquet. La guerre intervient.
Et là, miracle ! Les ruines sont dégagées de leur végétation, on fouille et on consolide. Qui ?
les autorités allemandes !
Derrière cette action, un homme : Paul CLEMEN (1866-1947). Professeur d’Histoire de l’Art à
Bonn, Inspecteur des Monuments de Rhénanie, il fut le fondateur du « Kunstschutz im
Krieg » de 1914-1918, organisme qui, sous couvert de protection des œuvres d’art en zone
militaire, n’était pas loin de la spoliation. Il fut aussi professeur particulier d’Histoire de l’Art
du Kronprinz. Pourquoi ces travaux à Orval en pleine guerre ?
CLEMEN s’intéresse aux trois abbayes cisterciennes majeures de Belgique: Villers, Aulne et
Orval12. Il cherche à démontrer - je simplifie - que la voûte gothique et l’élancement qu’elle
permit ne sont pas issu du foyer bourguignon remonté vers l’Ile de France, à travers les
filiales cisterciennes mais bien de la zone rhéno-mosane. Par cette mise en valeur des
ruines d’Orval, il démontre que la recherche scientifique allemande est efficace et n’a rien à
voir avec celle des Barbares de l’incendie de la Bibliothèque de Louvain. Idéologie donc et
toujours… Il fallut attendre 1926 pour que les Belges réinvestissent Orval.
A partir des années 1950, on a voulu associer tourisme et archéologie13. Le Musée Gaumais
de Virton a lancé plusieurs initiatives à Buzenol, Huombois, Saint-Mard… Ensuite, on
aménagea des sites à Chameleux, à Arlon. Chaque fois, des initiatives locales fondées sur
des personnalités isolées et dont le flambeau a du mal à se transmettre.
Ces projets illustrent avant tout le désengagement en la matière de l’Etat 14. Le pouvoir public
n’est pas contre mais il n’est pas auteur de projet ; il délègue telle ou telle opération. La suite
n’est plus son problème. L’entretien ne lui incombe pas. Alors comment s’étonner du
délabrement, des aménagements disparates, etc.
A partir des années 1980, il y a eu une série d’initiatives locales, de bénévoles surtout,
soutenues par des aides publiques, la Fondation Roi Baudouin aussi, pour consolider des
ruines : on pense au château de Montaigle, mais tout cela finit toujours par s’essouffler… Le
temps passe, le Temps, activateur des ruines. Je pense au château d’Herbeumont où les
travaux de restauration ont été divisés en tranches. La première phase débuta en 1996, soit
30 ans après le déblaiement des fouilles complètes ! Une phase se poursuit15 et personne ne
sait quand les aménagements seront enfin dignes de telles ruines.
Le cas du château d’Autelbas est tout aussi significatif. Ce quadrilatère classique de plaine,
érigé dans la seconde moitié du 13e siècle avait déjà perdu la moitié de ses tours lors d’un
siège en 1413… Le logis et deux tours d’angle s’étaient maintenus même si l’intérieur avait
été dépouillé et était inhabité depuis 1966 pour finalement partir en fumée dans la nuit du 31
août 1983. Il a fallu 10 ans pour qu’on tente une restauration qui débuta par des fouilles
archéologiques, puis qu’après des projets irréalistes, une poignée de bénévoles emmenés
par Guy Fairon se lancent enfin dans la stabilisation in extremis des pans de murs.
Il faudrait encore évoquer l’idée de protéger sous toit des vestiges comme en 1908, la pièce
d’hypocaustes de la villa romaine de la Place Saint-Lambert à Liège, la tour du rempart
romain d’Arlon, vers 1960, les hypocaustes romains, toujours à Arlon, la crypte
archéologique sous la collégiale de Nivelles, jusqu’au tout récent Archéoforum de Liège. On
ne déroge pas à la règle : il s’agit toujours d’initiative locale. Sauf peut-être dans le dernier
exemple où on a été plus loin mais parce qu’on voulait en faire un exemple unique.
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Toute cette affaire a été très bien analysée par Chr.KOTT, Préserver l’art de l’ennemi ?, Bruxelles, 2006.
P. CLEMEN et .C. GURLITT, Die Klausterbauten des Cistercienser in Belgien, Berlin, 1916.
H. ROOSENS, Préservation des sites archéologiques en Belgique, Bruxelles, 1973. (Archaeologia Belgica, 149). p. 31 : « En
conclusion, nous pouvons affirmer qu’il existe en Belgique des témoins majeurs des différentes périodes archéologiques qui
mériteraient bien d’être mis en lumière. A l’échelon national rien ou presque n’a été entrepris dans ce sens : hélas, cette
conclusion aussi s’impose. Il n’existe pas de plan d’ensemble pour la protection de ce patrimoine ». Même après 19 ans de
régionalisation, le propos reste d’actualité.
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Le constat est donc amer mais il est surtout consternant quand ce désengagement soit clairement revendiqué par les
responsables de la Régie des Bâtiments comme on a pu l’entendre au cours de ces journées.
15
Et pas vraiment dans les règles de l’art puisqu’il s’agit de démontages des maçonneries quasi intégraux et donc de
reconstruction de fond en comble.
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La question de ces journées n’est pas tant de savoir comment restaurer des vestiges
archéologiques. Des maçonneries en plein air, on peut en voir partout en Europe, dans des
régions au climat parfois bien plus ingrat que chez nous. En fin de compte, c’est la question
du pourquoi mettre en valeur des vestiges archéologiques qui importe. Mais la Wallonie a-telle envie de poser la question ?
De l’idéologie, en fin de compte……
Philippe Mignot, Archéologue à la Direction de l’Archéologie du SPW
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