Quelle place pour les personnes homosexuelles dans nos

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Quelle place pour les personnes homosexuelles dans nos
Quelle place pour les personnes homosexuelles dans nos communautés chrétiennes ?
L’accueil des personnes homosexuelles est-il vraiment effectif aujourd’hui dans nos communautés
chrétiennes ? Si des avancées ont vu le jour ces dernières années, la clandestinité que s’imposent les
personnes homosexuelles par peur d’être mal jugées est réelle et douloureuse pour elles-mêmes et
leurs familles.
Claude Besson1
L’homosexualité est un fait qui existe dans l’histoire de toutes les sociétés et de toutes les cultures.
On ne peut le nier. Ce fait, demeuré caché pendant des siècles, est aujourd’hui devenu public dans
notre société. L’Église catholique a pris en compte cette réalité depuis de nombreuses années. : “ Un
nombre non négligeable d’hommes et de femmes présentent des tendances homosexuelles foncières.
Ils ne choisissent pas leur condition homosexuelle; elle constitue pour la plupart d’entre eux une
épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. ”2
Cependant, vivre son homosexualité et sa foi chrétienne, est-ce possible sans avoir à se cacher ?
Récemment, un document du Conseil Famille et Société rappelait cet accueil inconditionnel: « Pour
les communautés catholiques, l’accueil inconditionnel de toute personne est premier. Toute personne,
indépendamment de son parcours de vie, est d’abord un frère ou une sœur dans le Christ, un enfant
de Dieu. Cette filiation divine transcende tous les liens humains de famille. Chaque personne a droit à
un accueil aimant, tel qu’il est, sans avoir à cacher tel ou tel aspect de sa personnalité » 3,
Nous le savons des chrétiens, des catholiques homosexuels sont parmi nous, dans nos familles, parmi
nos amis, dans nos communautés paroissiales. La diversité des situations est complexe. Cependant,
l’enquête de Martine Gross 4 révèle que les gays et lesbiennes chrétiens, ayant intériorisé les discours
de l’Église institutionnelle, vivent souvent avec déshonneur et culpabilité la découverte de leur
homosexualité.
Des témoignages fréquents de souffrance
Membre depuis plus de dix ans de l’association « Réflexion et Partage »5, je suis témoin de la
difficulté pour un bon nombre de personnes homosexuelles de trouver leur juste place dans l’Église.
De nombreux témoignages et récits de vie le révèlent. Celui de Thérèse en est un parmi d’autres :
« (…) J’en ai mis du temps à m’entendre vraiment ! A presque 53 ans, célibataire, je commence enfin à
me reconnaître homosexuelle.
(...)Je me suis enfoncée dans une longue, très longue indécision jusqu’à ce que la réalité me rattrape,
de façon extrêmement violente.
Et depuis 4 ans, j’ai donc enfin entamé ce chemin vers moi-même, et vers les autres aussi, dans les
larmes et la souffrance, mais aussi dans la paix et la joie qui naît parfois de rencontres fortes et
vraies, tant avec certain(e)s de mes ami(e)s, qu’avec d’autres qui sont rendu(e)s plus loin que moimême sur ce difficile et abrupt chemin
(…) Des avancées notables se sont produites dans la pastorale des divorcés, divorcés-remariés. Quand
verra-t-on enfin de telles avancées dans la pastorale de l’homosexualité ? Quand cessera-t-on
d’ajouter la souffrance à la souffrance ?
(…) J’ose, comme Martin Luther King, faire un rêve : dans nos églises enfin largement ouvertes à toute
l’humanité des hommes et des femmes d’aujourd’hui, que chacun et chacune soit accueilli(e) en Fils et
1
Auteur de Homosexuels catholiques, sortir de l’impasse, Les éditions de l’Atelier, 2012
Catéchisme de l’Église Catholique, n° 2358
3
Poursuivons le dialogue, Conseil Famille et Société de la Conférence des Évêques de France, mai 2013, p.5
4
Martine Gross, Être chrétien et homosexuel en France, Société Contemporaine, n°71, Paris, Presses de
Sciences Po, mars 2008
5
Association dont l’objectif est d’apporter une contribution à la réflexion des communautés chrétiennes dans
l’effort d’ouverture que chacun pourrait faire pour mieux accueillir en vérité les personnes homosexuelles.
2
1
Fille de Dieu, avec ses richesses et ses carences, dans la Joie et la Fraternité…et que plus personne ne
se sente « passager(e) clandestin(e) » ! » (Thérèse)
Ou bien encore le témoignage d’Aurélie :
« Nous sommes inexistants » : expression d’une responsable des manifestations de « La Manif pour
tous » contre le « Mariage pour tous »
Oui, vous étiez des milliers. Oui, vous n’avez pas été entendus. Pardon!
Mais nous (personnes homosexuelles), nous sommes des millions, depuis des siècles, à ne pas être
entendus, à être inexistants, invisibles, stigmatisés, psychiatrisés, exorcisés, torturés, humiliés, cachés,
et encore dans certains pays, enterrés vivants! »6
De même, quand un couple d’hommes (Julien et Bruno) de plus de 10 ans de vie commune, cherche
à s’intégrer dans une réflexion paroissiale pour les couples (hétéros bien sûr) ayant 10 ans de vie
commune, pourquoi les exclure ? On les contraints à se marginaliser et à créer eux-mêmes, en
dehors de leurs paroisses, leur propre groupe de réflexion avec d’autres couples homosexuels
catholiques ?
Bien évidemment, les témoignages ne prétendent en aucun cas donner une image exhaustive de ce
que vivent les chrétiens homosexuels, mais ils ont le mérite de rejeter tout regard simpliste.
Si le témoignage ne peut se substituer au débat et ne fait pas à lui seul la vérité, on ne peut le balayer
d’un revers de la main, comme on l’entend parfois : « Oui, mais toi, ce n’est pas pareil, on te
connaît ».
L’Église ne peut se passer aujourd’hui d’aller à la rencontre et de poursuivre le dialogue avec les
personnes homosexuelles et leurs familles. : « (…) le témoignage ne peut se substituer au débat et
(qu’) il ne fait pas à lui tout seul la « vérité ». C’est évident. Mais ce débat et cette recherche de la
vérité ne peuvent faire l’économie de ce type de parole. Surtout dans notre société dite de
communication, à l’heure du règne de l’information, de l’image et de l’interactivité...
… En acceptant cette nouvelle réalité (sociale et même politique) par un retour au témoignage,
l’Église bénéficie d’une nouvelle chance pour l’annonce de l’Évangile dans cette société moderne ou
même post-moderne. C’est pour elle l’occasion de prouver :
Qu’elle considère l’homme d’aujourd’hui comme un interlocuteur intelligent, de bon sens, capable de
réfléchir, et qu’elle respecte sa liberté…
Qu’elle lui fait confiance a priori (il y a une marge entre la naïveté et la paranoïa, qui condamne
d’avance l’interlocuteur), qu’elle a foi en lui. Dans toutes les rencontres qu’il fait, Jésus ne réduit
jamais l’autre à sa complexité. Il ne l’enferme jamais dans sa contingence….
Qu’elle accepte que l’homme d’aujourd’hui veuille confronter les idées à la réalité à travers le filtre de
son expérience, qu’elle a besoin de l’entendre et d’avoir son avis. (…)
Ce serait pour elle une façon de rejoindre l’homme de bonne volonté là où il se trouve, de s’adresser à
lui et de le reconnaître comme partenaire d’un monde à inventer ensemble. »7
Des avancées pastorales significatives
Si bien du chemin reste encore à faire pour que les personnes homosexuelles et leurs familles
trouvent leur juste place dans nos communautés chrétiennes, des avancées essentielles naissent
aujourd’hui dans plusieurs diocèses.
L’objectif n’est pas de tant de mettre en place une « pastorale » à part qui favoriserait l’accueil des
personnes homosexuelles, ce qui serait une forme de stigmatisation positive, mais plutôt la
reconnaissance et l’estime de ce qui est vécu par chacun « pour que ces personnes puissent vivre une
vie chrétienne ordinaire et engagée et tenir leur place dans l’Église comme toute personne
baptisée »8.
6
http://www.reflexion-partage.org/ma-tentation-detre-a-nouveau-invisible/
Daniel Duigou - prêtre, journaliste, psychanalyste in La Croix du 15 novembre 2005
8
Père Denis Trinez in La Croix, 19 mars 2014, page 17
7
2
La première initiative à mettre en œuvre est de favoriser des lieux d’accueil et d’écoute, des groupes
de parole en les rendant visibles par un dépliant avec téléphone, mail, personne à contacter. Depuis
de très nombreuses années, des associations telles que David et Jonathan, Devenir Un En Christ en
ont l’expérience. Mais, de telles initiatives doivent relever de la responsabilité des églises
diocésaines, bien évidemment avec le concours des associations qui le souhaitent.
En effet, de nombreuses personnes homosexuelles et leurs parents se sentent démunis. Catholiques,
ils se tournent souvent vers leurs curés de paroisses ou le diocèse :
« Lorsque nous avons appris l'homosexualité de notre fille de 18 ans, nous nous sommes sentis
démunis : Pourquoi était-elle ainsi ? Son très grand mal-être et sa non-envie de vivre nous ont poussés
à essayer de comprendre. Étant catholiques, nous sommes allés voir un prêtre pour savoir s'il
connaissait une association pouvant nous épauler. Il était aussi démuni que nous. Notre foi nous a
conduits à nous demander comment vivre cette situation dans l'apaisement et dans l'amour attentif
pour notre fille et pour notre famille (nous avons quatre enfants et c'est la dernière).
Nous avons cheminé en association, rencontrant d'autres parents et des homos. Nous avons fait
connaissance de personnes à l'écoute, sans jugement, partageant nos doutes et nos préoccupations.
Nous nous sommes ouverts à un monde que nous ignorions. Dix ans après, nous constatons que nous
nous sommes enrichis dans notre cœur et dans notre regard. Dieu est amour. Lui seul sait de quoi
retourne l'homosexualité. Dans ce chemin que nous parcourons, nous faisons confiance à son Esprit
qui nous accompagne (...) »9
Plusieurs diocèses (St Etienne, Lyon, Grenoble, Angoulême, Aix en Provence…) ont mis en place
depuis un ou deux ans des groupes de réflexion ou/et des groupes d’accueil, d’écoute, de parole
ouverte. Ainsi à Angoulême : « Il y a deux ans avec le soutien et les encouragements de Mgr Dagens,
nous avons créé deux groupes de partage : l’un pour des personnes homosexuelles, et l’autre pour
des parents de personnes homosexuelles. Nous avons commencé ces groupes en lien avec
l’association « Devenir Un En Christ». Mais il y avait une volonté convergente du Père Dagens et des
deux groupes pour un rattachement direct au diocèse, par le biais de la pastorale familiale.
Nous commençons en ce moment à diffuser un flyer « Accueil et Parole » pour faire connaître les
deux groupes dans les paroisses ainsi que sur le site du diocèse. D’autre part, nous avions la volonté
d’avancer dans la réflexion autour de la place des personnes concernées par l’homosexualité dans
l’Église et nos communautés chrétiennes. »10
Dans plusieurs diocèses proches, la même réflexion se met en route. Il faudrait souligner également
d’autres groupes de parole pour des parents en lien avec l’association Réflexion et Partage. Mais ces
groupes n’ont pas véritablement encore une légitimité diocésaine.
Dans un diocèse de la banlieue parisienne, depuis 5 ans, existe un groupe de parole de parents ayant
un enfant homosexuel. « Nous sommes 5 ménages. Ce petit groupe est très important pour échanger,
communiquer et nous soutenir les uns les autres. Il y a environ 1 mois, nous avons pris contact avec le
curé de St Germain en Laye. Il a été très accueillant et a fait passer un encart dans la feuille
paroissiale. Personnellement, je suis de plus en plus confortée, et aujourd’hui, je n’ai plus peur de
répondre à des personnes qui ont un regard négatif. Un fait récent : « Une mère de famille apprenant
que j’avais un fils homosexuel m’a dit : je vais prier pour vous. Je lui ai répondu : non, je suis heureuse
mais je vais plutôt prier pour vous pour que votre regard s’ouvre davantage ».
Je n’ai plus le droit de me taire. Je crois que nos enfants donnent une valeur ajoutée à nos familles. »
Marie-Pierre, mère de famille.
Guillaume et Élisabeth ajoutent : « c’est une « formule exceptionnelle » qui répond bien aux attentes
de parents. Une formule à promouvoir partout où cela peut se faire. Nous avons eu l’occasion d’en
parler avec un certain nombre d’amis et beaucoup d’entre eux nous ont informés qu’ils étaient
également concernés. Le partage de notre expérience a eu un accueil positif et un rayonnement sur
d’autres ménages, mais souvent ces ménages nous disent que personne ne le sait et qu’il ne faut pas
en parler. »
9
Claude Besson, Homosexuels Catholiques, sortir de l’impasse, Éditions de l’Atelier, novembre 2012, p.126
Père Denis Trinez, ibid
10
3
De même en Ardèche : « Nous sommes un groupe de parents qui existent depuis 9 ans et qui se
retrouvent 2 fois par an avec la présence du vicaire général. Il y a aujourd’hui 9 couples.
Étant donné que le vicaire général nous accompagne, l’Évêque est informé de nos réunions.
Les thèmes abordés, l’an dernier, ont été le mariage et l’homoparentalité. Nous avions fait un article
dans les journaux paroissiaux, mais il y a eu peu d’échos. »
A Paris, c’est un groupe de personnes homosexuelles vivant en couple qui se retrouvent
régulièrement. Julien témoigne : « Nous avons créé notre groupe de couples catholiques (qui se
trouvent aussi être des couples formés de personnes de même sexe).Ce groupe de 6 couples se réunit
environ toutes les 6 semaines pour réfléchir autour de la question de la fécondité du couple, terme
générique. Il y a un aspect spirituel et l’on partage aussi sur un texte de méditation. De temps à autre,
nous invitons une personne extérieure. Ce groupe a été pour nous et pour notre foi une bouée de
sauvetage indispensable pendant l’année troublée dans l’Église de France autour du mariage pour
tous. Nous y avons vécu des moments de fraternité rares. Mais nous aimerions que cela puisse se
vivre au niveau des paroisses. Et on aimerait faire cette réflexion avec des couples hétérosexuels, être
dans l’Église et ne pas cacher une part essentielle de notre être. »
Il faut également saluer la tenue de six séminaires au collège des Bernardins à Paris sur « Foi
chrétienne et homosexualité », avec des représentants d’associations (David et Jonathan, Devenir Un
En Christ, Communion Béthanie, Réflexion et Partage). Le dernier séminaire, sur le thème de « faire
couple », a permis de croiser les expériences de couples homosexuels et hétérosexuels dans l’écoute,
le dialogue, la construction d’un vivre ensemble et d’une fraternité qui porteront leurs fruits.
D’autres diocèses ont pris des initiatives pour favoriser le dialogue et la rencontre telles que le
« Chemin d’Emmaüs » (Nanterre, Orléans), pèlerinage d’un jour ouvert à tous et particulièrement
aux personnes directement ou indirectement concernées par l’homosexualité. Pour y avoir participé,
je peux vous assurer que cela fait tomber bien des préjugés sur l’homosexualité.
En effet, bien des préjugés, sont encore ancrés dans les représentations mentales, souvent par
manque de connaissance et d’information sur le vécu des personnes, et aussi par le refus de la
différence qui dérange. Je crois que ce manque de connaissance, cette ignorance amène la peur, et la
peur engendre l’exclusion, le mépris, les amalgames, les conflits parfois, les ghettos, et finalement le
désir de se débarrasser de l’autre.
L’altérité en question
La rencontre de l’autre dans son altérité est une question fondamentale. Que de discours n’avonsnous pas entendu dans la bouche de certains milieux catholiques pour stigmatiser les personnes
homosexuelles : « Les homosexuels refusent la différence » ; cette formule devient dans la bouche
de certains intellectuels « L’homosexualité est déni de l’altérité ».
Si les différences, qu’elles soient sexuelles, générationnelles ou culturelles préexistent sans que nous
puissions les maîtriser, elles ne garantissent pas le travail d’accueil de l’autre. La reconnaissance de
l’altérité relève d’un apprentissage qui n’est jamais terminé. Elle permet à chacun d’être ce qu’il est
dans la relation, de mener sa propre vie, de ne jamais se sentir dévoré par l’autre, quel qu’il soit
(conjoint, ami, parent, enseignant, collègue etc...). Ce travail éthique est le même pour tous : « Tout
couple est invité à se demander dans quelle mesure sa relation d’amour sème de la confusion ou crée
de l’unité, à l’intérieur ou à l’extérieur du couple. Il est des couples hétérosexuels qui ne respectent
guère ce rapport à l’altérité, tels ceux qui se construisent sur trop de ressemblances entre le conjoint
et le père ou la mère, ou bien ceux où les parents entretiennent des relations d’objet avec leurs
enfants .....» 11
11
Sœur Véronique Margron in Les Chrétiens et l’homosexualité, L’enquête, Les Presses de le la Renaissance,
2009, p.170.
4
La similitude génitale ne change rien à l' « étrangeté » de l'autre. Je ne peux jamais le réduire à ce
que je connais de moi-même, de mes désirs, de mes comportements.
Les personnes homosexuelles insistent sur le fait que leur quête sexuelle ne relève pas seulement,
comme le croient beaucoup de gens, d’une recherche de plaisir érotique. Le plus souvent, les
personnes espèrent trouver un(e) ami(e) avec lequel pourront se vivre tendresse, fidélité, aide
mutuelle, partage de soucis et d’intérêts divers… et plaisir sexuel. Ils essaient ainsi de tenir unis « le
désir et la tendresse », faisant du coup l’expérience qu’aimer, « ce n’est pas évident ».
« Les moins sérieux des psychanalystes ont confondu attachement amoureux et sexuel d’un individu à
une personne de même sexe à un attachement narcissique. Comme si deux personnes de même sexe
étaient la même personne ! Comme si seule la différence sexuelle désignait l’altérité entre les êtres !
Comme si également il existait davantage de différences entre hommes et femmes que de
ressemblances. L’altérité existe entre deux jumeaux, elle existe a fortiori entre deux hommes ou deux
femmes issus de familles différentes. L’altérité est un des déterminants du désir sexuel. Pour nous
désirer mutuellement, il nous faut beaucoup de pareil (ce qui nous est commun comme humains) et
un peu de pas pareil, ce que confirme la neurobiologie. Ce “pas pareil” peut être la différence des
sexes, mais pas toujours et pas seulement. Chez les humains, l’altérité source de désir sexuel peut se
trouver dans la différence physique, la différence culturelle et sociale ou la différence de
personnalité12. »
Finalement, dire que le couple homosexuel nie l’altérité revient à ramener le « même » au sexuel et
le sexuel au sexe. Pourtant, ce n’est pas parce que deux êtres sont similaires d’un point de vue
biologique qu’ils sont le « même » : deux hommes, deux femmes ont des personnalités différentes et
uniques qui en font des êtres singuliers. Les recherches en neurobiologie confirment que les
différences entre les individus d’un même sexe sont tellement importantes qu’elles dépassent les
différences entre les deux sexes. Cette variabilité s’explique par la plasticité du cerveau. A la
naissance seulement 10% de nos 100 milliards de neurones sont connectés entre eux. Les 90% de
connexions restantes vont se construire progressivement au gré des influences de la famille, de
l’éducation, de la culture, de la société, note Catherine Vidal, neurobiologiste.13
C’est dans la capacité d’aimer que s’éprouve, pour les homosexuels comme pour les hétérosexuels,
l’acceptation ou le refus de l’altérité, non dans la valeur différentielle et impersonnelle d’un objet de
pulsion. La relation homosexuelle, par-delà la similitude des sexes, peut ouvrir à la différence et à
l’altérité en ce qu’elle est rencontre entre deux personnes, chacune étant unique.14
Les couples homosexuels ont un désir de vivre ensemble durable et heureux. Tout ce qui contribue à
des engagements plus durables doit être applaudi. Une personne homosexuelle qui vit avec un
partenaire pourra être source de fécondité sociale pour son entourage.
Fécondités
Dans le langage courant, nous avons restreint le sens de la notion de « fécondité » à « donner la vie »
ou « procréer ». C’est alors réduire l’être humain à son niveau animal. Anthropologiquement, la
fécondité recouvre une signification plus large : la capacité de donner une vie humaine. Nous ne
faisons pas que nous reproduire, nous nous produisons mutuellement, nous produisons du nouveau.
Il s’agit de mettre au monde une personne jusqu’a` ce que cette personne naisse a elle-même. Et
cela dépasse infiniment la seule procréation biologique.
Donner la vie humaine, c’est ce que la théologienne Marie-Christine Bernard, spécialisée en
épistémologie des sciences humaines, appelle la « parentalité spirituelle ». C’est la responsabilité qui
nous incombe à tous d’engendrer quelqu’un à lui-même, d’engendrer quelqu’un à sa propre
vocation, de lui permettre d’entrer dans sa propre vie : « Mettre au monde, au sens large que nous
12
Stéphane Clerget, Comment devient-on homo ou hétéro ?, Paris, Jean-Claude Lattès, 2006., p.269.
Les neurones du genre, http://www.liberation.fr/sciences/01012358301-les-neurones-du-genre consulté le
12 mars 2012
14
*Claude Besson, Homosexuels catholiques sortir de l’impasse, Éditions de l’Atelier, novembre 2012, p. 44 et
ss
13
5
venons d’évoquer, pas seulement physique donc, se présente comme le chemin par excellence que se
fraye la bénédiction de Dieu destinée a` tous. La bénédiction de Dieu, c’est tout a` la fois la promesse
qu’il prononce, son souhait le plus cher d’une vie bonne, féconde de sens et de fruits, et sa réalisation
à travers notre consentement libre. La personne humaine nait à elle-même lorsqu’elle entend que
cette promesse lui est destinée personnellement, et en suit la voie 15. »
Pourquoi alors refuser les couples homosexuels en invoquant leur non fécondité ? Ils sont féconds ou
créatifs mais différemment. L’ordre biologique de la fécondité, Jésus vient la bouleverser : l’homme
n’est plus fécond parce qu’il engendre, il est fécond parce qu’il se reconnaît comme appartenant au
Christ. Le passage de l’évangile selon St Jean (Jean 15, 1-4.12.16) montre que la fécondité réside dans
l’accomplissement du commandement d’amour de Jésus, c’est-à-dire, en fait, d’entrer dans la
communion d’amour de Jésus et de son Père, se laisser approcher par Dieu, devenir son intime, son
ami. Cet amour va jusqu’à se dessaisir de soi-même. Jésus a poussé cette dépossession de soi jusqu’à
mourir sur la Croix, et c’est la Croix qui assure sa fécondité « à l’extrême » : « Si le grain de blé qui
tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance ».
Entrer dans la fécondité, ce n’est donc plus vivre pour soi, c’est vivre pour d’autres. La fécondité
selon le Christ, c’est le don de soi, une mort à soi-même et une résurrection. Elle dépasse infiniment
nos limites humaines. Elle s’opère, non selon une volonté humaine, mais dans une libre consécration
de nos actions à Dieu, elle est don de Dieu. Ainsi en témoigne Yvon, homosexuel et chrétien engagé
depuis plus de quarante ans dans sa paroisse : « Au bout de ces quarante années de luttes, avec ses
moments de joie et de désespérance – avec ses ratés aussi – je m’étonne de vouloir encore faire partie
de cette Église qui m’a si souvent malmené. Pourtant, si les chrétiens (et pas seulement leurs
pasteurs) savaient ce que l’Église doit à tous ces homosexuels (hommes et femmes) qui œuvrent en
son sein, dans le secret de leur identité, si les chrétiens reconnaissaient tous les trésors de patience,
de dévouement et d’attention aux plus “pauvres” dont les homosexuels font preuve chaque jour (aide
aux malades du Sida, aux personnes âgées, travail dans le secteur de la santé ou de l’éducation, etc.),
ces chrétiens ne seraient pas si prompts à condamner des milliers de leurs frères et de leurs sœurs ou
à ne les accepter que du bout des lèvres »
La véritable fécondité chrétienne n’est pas liée d’abord au fait d’avoir des enfants, mais à
l’accomplissement en nos vies du Royaume.
Claude Besson
15
Marie-Christine Bernard, Être parent une aventure humaine et spirituelle, Paris, Presses de la Renaissance,
2011, p. 262.
6

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