La lettre des Amis de Montluçon

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La lettre des Amis de Montluçon
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des A
Société d’histoire et d’archéologie
courriel : [email protected]
web : http://www.amis-de-montlucon.com
Compte rendu de la séance mensuelle du 8 mars 2008
numéro 126 - 13 e année
Nobles bourbonnais au service de Marie Fortunée d’Este,
princesse de Conti (1731-1803).
Aurélie Chatenet est une jeune doctorante en
histoire moderne à la faculté des lettres de Limoges.
Soixante-six Amis de Montluçon étaient venus
l’écouter présenter son travail de recherche sur des
nobles bourbonnais au service de la princesse de
Conti, Marie-Fortunée d’Este (1731–1803), d’après
un livre de comptes qu’elle a tenu de 1776 à 1789.
Cette princesse, effacée, inconnue et oubliée, que
peu de témoignages évoquent, était italienne,
fille du duc de Modène, et ne possédait ni terres
ni domaines à administrer. C’est au travers de la
lecture de ce livre de comptes que la conférencière
a pu reconstituer, par bribes, un peu de sa vie sans
relief et de son environnement immédiat.
sont à son service et vivent en commensalité
dans l’hôtel de Lude, situé rue Saint-Dominique
en plein quartier noble de Paris, elle en appointe
régulièrement soixante-cinq. Ses ressources sont
deux pensions : l’une payée sur sa dot, l’autre
délivrée par le roi soit au total 180 000 livres.
Dans sa maison une suite de cinq nobles est à
son service, avec une certaine stabilité : un écuyer
qui a toujours été le même, quatre dames de
compagnie et huit pages qui, deux par deux, se
succèdent, conformément aux principes du service
par quartier.
Cette princesse de sang appartenait à la famille
du roi depuis son mariage en 1759 avec le fils du
prince de Conti, comte de La Marche, de la branche
cadette des Bourbons. À la mort de son père, c’est
le mari de Marie-Fortunée d’Este qui fut le dernier
prince de Conti. Elle était cousine du roi, mais en
dernière position dans la hiérarchie des princes
du sang, après les familles d’Orléans et de Condé.
L’organisation de la maison des Conti, de ce fait,
n’était soumise à aucun édit royal. Ses dépenses
n’étaient pas prises en compte par la Chambre des
comptes mais sur ses deniers personnels.
En 1776 la princesse de Conti se sépare de
son mari et fonde, à partir du 1er avril de cette
même année, sa propre maison, autonome, avec
ses finances personnelles et une domesticité
indépendante. Si quarante personnes seulement
Ci-contre :
Portrait de Marie-Fortunée d’Este, princesse de Conti.
Le bulletin n° 58, année 2007, vient de paraître, les adhérents pourront le retirer
lors de la séance du vendredi 11 avril, salle Salicis,à partir de 19 h 45.
1
contacts. Très croyante et
bien que n’ayant que peu
ded’Hozier
goût545
pour la vie à la cour,
Sources : BNF, Carré
Chérin 174
son rang lui impose d’être
Jacqueline de
Antoine de
Ligondès
Rochedragon
régulièrement à Versailles,
∞ 1547
et le marquis JeanFrançois de Rochedragon,
Sébastien de
Gabrielle
Rochedragon
de Vaillant
de Montluçon, et Claude
∞ 1597
Lebel de Bellechassagne,
de Chamblet, ont connu
Geoffroy de
Isabeau de
Rochedragon
Gouzolles
cette vie et ont participé
∞1628
aux grands moments. Les
appartements de la maison
Marie de la Faye
Sylvain de
de la Porte
Rochedragon
de la princesse sont dans
∞ 1668
l’aile nord du château,
donc dans une certaine
proximité du roi et de la
Jean de
Claire de
Joseph
Rochedragon
Fougières
famille royale. Le marquis
∞1711
et le page montent sur les
carrosses de la princesse
Jean-Joseph de
Marie-Françoise
Rochedragon
de Gamaches
ou, à cheval, encadrent
∞1739
son cortège lors des
relevailles de la reine, d’un
Jean-Baptiste de Rochedragon
Jean-François de Rochedragon
mariage, d’un baptême
ou d’un deuil. Les dames
En général le cursus des pages est à peu près
d’honneur sont en contact permanent avec le
identique : leur formation s’effectue par différents
monde princier et aristocratique, et madame
maîtres d’éducation (de mathématiques, d’armes,
de Rochedragon suit la mode. Elle porte l’habit
de danse, d’équitation), aux écuries du roi, de la
de cour, des vêtements de luxe ou de chasse.
reine ou d’une maison princière. Ils feront ensuite
Son intérieur est luxueusement meublé avec
une carrière d’officiers subalternes, achèteront une
marqueterie, théières, estampes, et la domesticité
bonne terre en province et finiront leur vie à la
est également logée dans sa maison. À Paris, l’hôtel
cour, dans la proximité d’un roi ou d’un grand.
de Lude, le logement du couple, est composé de
deux appartements, l’un pour la marquise, l’autre
Dans le livre de comptes, à l’occasion de
pour son mari. Rue du Bac ils ont une écurie, avec
changements de livrées, de vêtements, de deuils,
remise, grenier et chambre du cocher pour leur
la conférencière a retrouvé les noms de nobles à
attelage personnel, un carrosse et deux chevaux.
son service, en a cherché leurs origines, et en a
Quant aux pages, ils sont installés à part dans un
identifié deux d’origine bourbonnaise. L’un était
pavillon qui leur est entièrement dévolu au fond
page, issu d’une famille de Chamblet, et l’autre
du jardin. Ils sont logés, nourris, habillés, soignés,
était le mari de l’une des dames d’honneur. Il s’agit
instruits par la princesse et portent la livrée à ses
du marquis Jean-François de Rochedragon, né en
armes qui est régulièrement renouvelée. Pour les
1744 à Montluçon, dans une famille de l’aristocratie
familles nobles avoir un enfant page était donc
montluçonnaise dont la noblesse remonte à
l’assurance qu’il aurait une formation gratuite et
Guillaume de Rochedragon qui affranchit Marcillat
le temps passé comme page était pris en compte
en 1258. L’hôtel de Marcillat, leur résidence, est
dans la carrière militaire.
situé, au XIVe siècle , rue Montpeyroux. Mais ils
en firent construire un autre, en 1772, presque à
Aurélie Chatenet a établi la généalogie, sur huit
l’angle du boulevard de Courtais et de la rue des
générations, et la parentèle du marquis tout comme
Forges où il se trouve toujours, le long d’une petite
celles du page Claude Lebel de Bellechassagne.
impasse qui aboutit sur l’Amaron.
Le parcours militaire du marquis commence
La présence de ces nobles bourbonnais a posé
comme page aux grandes écuries, suivant le
à la conférencière la question de leur recrutement :
cursus général de l’honorable noblesse provinciale
comment ont-ils pu entrer au service de la maison
qui, après une formation dans les écuries du roi,
féminine de la princesse de Conti ? Le service des
de la reine ou de grands princes, ou au service
princes est une source d’honneurs et de distinctions
de ces derniers, ont une carrière militaire où il y
qui souligne l’appartenance des serviteurs au cercle
avait plus de chevau-légers, de gendarmes de la
de la noblesse de cour avec leurs rencontres et les
Jean de
Rochedragon
2
Marguerite de
Varton
Généalogiede
delalafamille
famille de
de Rochedragon
Généalogie
Rochedragon
établie par Aurélie Chatenet
garde et de capitaines de
régiments entretenus que de
colonels ou de brigadiers. Or
le marquis, page en 1760,
devient garde du corps du roi
à la compagnie de Villeroy
et aura un déroulement de
carrière inhabituel. En 1762
il est capitaine au régiment
royal de la princesse de
Piémont ; en 1763 il achète
pour 10 000 livres une
compagnie ; en 1765 il est
capitaine commandant dans
les carabiniers, avec le même
grade dans la quatrième
brigade en 1774 lorsqu’il
se marie avec une dame
d’honneur de la princesse.
Louise Canche
Philippe Le bel
Généalogie de la famille
Lebel
Bellechassaigne
La famille
Lebelde
de Bellechassaigne
∞1548
établie par Aurélie Chatenet
Louise du Plain
Jacques Lebel
∞1575
Marie du Betz
Jean Lebel
∞1599
Claude Lebel
Louise des Ages
∞1636
Jean Lebel
Marguerite de la Garde
∞1688
Jacques Lebel
Gilberte Marquet de Barbaudière
∞ 1721
Sources : BNF, Chérin 21
Celle-ci, Adélaïde de
Sailly, est la fille du premier
gentilhomme du comte de La
Marche et de Gabrielle, Flore Le Tellier de Souvré,
fille d’un maître de la garde-robe de roi. Elle
apporte 160 000 livres et une dot de 30 000 livres.
Cette famille est insérée dans un réseau d’alliances
avec des familles de la cour et particulièrement
avec la famille du comte de Mailly dont l’épouse,
Anne Françoise de Sainte-Hermine, est dame
d’atour de la reine. Cette dame est également alliée
aux d’Aubigné, donc à madame de Maintenon.
Pour le marquis de Rochedragon son mariage est
l’aboutissement d’un cursus honorum nobiliaire
dû sans aucun doute à la nébuleuse princière
qui s’étend en réseaux sur la cour, sorte de toile
difficile à décrire tissée par les nobles qui y sont
admis. Elle est composée d’une solidarité dans les
familles, de cousinages lointains, de parrainages
entre officiers supérieurs des régiments royaux
ou princiers, d’interaction des femmes dans les
alliances et les enchevêtrements de celles-ci et
d’entraide géographique car les gens de cour
gardent toujours un œil sur leur pays natal afin
d’y renforcer leur influence. La conférencière en
donne quelques exemples.
Intégré dès lors à la noblesse de cour, le marquis
de Rochedragon voit sa carrière accélérée et il
poursuit son ascension militaire et sociale. En 1778
il reçoit la croix de Saint-Louis des mains du prince
de Conti. Cette protection princière, conjuguée
avec des relations familiales bien placées, lui
permet de solliciter charges et pensions. Ainsi,
en 1780, il reçoit une gratification exceptionnelle
de 2000 livres, et en 1785 une pension royale de
2000 livres, ainsi qu’une autre, en 1788, de 1 000
livres de l’ordre de Saint-Louis.
Gilbert Lebel
Marie-Marguerite de Louan
∞1766
Claude Lebel de Bellechassaigne 1766
Charles Lebel de Bellechassaigne 1771
En 1781 il est mestre de camp, puis colonel,
ensuite colonel général juste avant la Révolution,
enfin maréchal de camp en 1791. Après le décès
de la marquise de Rochedragon, son épouse, en
1785, il quitte la princesse de Conti et Paris pour
se retirer dans son hôtel de Montluçon qu’il a fait
construire en 1772, où résidait sa mère, ou dans
son château de Bouges en Berry qu’il avait acquis
en 1779 et lui rapportait de confortables revenus. Il
possédait également le grand château de Fougières
à Saint-Caprais en Bourbonnais. En 1814 il obtient
le brevet de lieutenant général des armées, mais il
ne sera pas commandeur de l’ordre de Saint-Louis
comme il le réclamait. Ses deux fils firent carrière
dans l’armée.
En ce qui concerne la famille Lebel de
Bellechassagne et le page Claude Lebel de
Bellechassagne, né en 1766 à Chamblet, les
recherches ont été moins fructueuses pour la
conférencière. Cette maison forte, bien connue des
Amis de Montluçon, est mentionnée en 1569 par
Nicolas de Nicolaï avec la maison et la seigneurie
du Plaix. Bellechassagne fut donnée en 1515 par
Marc Coppin, bourgeois de Chamblet à sa fille lors
de son mariage avec Jacques Lebel et la propriété
resta dans cette famille jusqu’en 1887.
Cette famille était partagée en deux branches :
les Lebel du Plot à Mazirat qui possédaient l’hôtel
Lebel du Plot, sis rue des Forges à Montluçon,
et la terre de Vérolles à Sainte-Thérence. En
1559 les Lebel de Bellechassagne deviennent
propriétaires du château de La Voreille à Mazirat.
Là aussi Aurélie Chatenet a fait des recherches
généalogiques sur la famille, retraçant la lignée sur
3
huit générations, et sur la parentèle, mais il a été
difficile de comprendre comment le jeune Claude
Lebel de Bellechassagne a quitté, à seize ans, son
petit terroir de Chamblet pour la cour de Louis
XVI à Versailles, étant donné que les alliances
et relations de cette petite noblesse étaient bien
moins prestigieuses que pour le marquis.
Ne devient pas page qui veut. Cela ne peut
se faire sans parrainage car il faut produire ses
preuves de noblesse, qui doivent être apportées au
généalogiste du roi et validées par lui, puis les faire
enregistrer à Versailles, ce qui n’est pas évident pour
une famille de petit rang de lointaine province. Il
lui faut obligatoirement le soutien d’un noble, bien
intégré à la cour, qui sera l’intermédiaire.
La première possibilité serait l’intervention
du marquis de Rochedragon pour le parrainer.
Il a alors trente-huit ans et vit à l’hôtel de Lude
chez la princesse de Conti. De plus, à Montluçon,
son hôtel est voisin de l’hôtel des Lebel du Plot.
Par ailleurs, le marquis qui possède le château
de Bouges a déjà parrainé de jeunes Berrichons
au sein d’écoles militaires, mais son rôle vis-àvis de Claude Lebel de Bellechassagne ne peut
être prouvé par aucun document. Le rôle de
mandataire, en effet, est confié en 1782, et pour
les trois enfants Lebel ensemble, à la famille de
Thianges, encore plus connue, famille nivernaise
propriétaire du château de Bord-Péchin à Doyet,
tout proche de Chamblet. En 1726 un de Thianges
a été parrain d’une cloche de Chamblet et la
marraine en était Lebel de la Vaureille, dont le mari,
seigneur du Plaix, est brigadier des gendarmes de
la garde du roi et chevalier de Saint-Louis. Charles,
le cadet des trois Lebel est entré aux prestigieuses
écuries du prince de Condé. L’aîné, Claude, n’a
eu pour perspective d’avenir que celle d’une souslieutenance indépassable au régiment de Poitou.
En 1820 il se marie avec Louise Brizot de Cosne
d’Allier, commune où il fut maire. Il meurt en
1828, sans avoir reçu la croix de Saint-Louis à la
différence de son frère au service des Condé.
En conclusion, Aurélie Chatenet pense qu’il
serait intéressant de poursuivre ce travail et de
retrouver le parcours de jeunes pages de la province
et celui des nobles bourbonnais au service des
maisons princières afin d’établir les réseaux des
parentés ou des relations qui les ont parrainés.
Maurice Malleret
La porte des Forges à Montluçon, vue de l’hôtel de Rochedragon
À noter sur votre agenda …
Séances mensuelles :
[ Vendredi 11 avril 2008 - 20 h 30 - salle Salicis :
Roland FERRAGU : Louise-Thérèse de Montaignac : la fin d’une vie extraordinaire.
Maurice BRUN : Si Bach avait réussi sa noyade à Montluçon, il n’aurait pas écrit La Madelon !
[ Dimanche 27 avril 2008 : Excursion des Amis de Montluçon dans la région de La Charité-sur-Loire :
Rassemblement 7 h 15 devant Monoprix, Avenue Marx-Dormoy à Montluçon, départ 7 h 30
4
Visite avec guide de la ville de La Charité-sur-Loire (église Notre-Dame, remparts, jardins des Bénédictins,).
Déjeuner à La Charité (restaurant Le grand Monarque)
Retour par La Guerche-sur-l’Aubois (visite de l’église Saint-Étienne du Gravier) et par Germigny-l’Exempt
(visite de l’église Notre-Dame). Retour à Montluçon vers 20 h.
Prix par personne : 50 €
Inscription (accompagnée d’un chèque) auprès de Marie-Hélène Meurville, 17, Le Mont, 03170 Saint-Angel.