Merlin enregistre la "Dernière bande"

Transcription

Merlin enregistre la "Dernière bande"
Merlin
enregistre
« Dernière bande »
Copyright
:
la
Brigitte
Enguerand
Bon, quand on va voir Samuel Beckett, on sait que le metteur
en scène devra nicher son travail au milieu des didascalies
originales. Les ayants droits de l’auteur n’autorisant que
l’on monte l’une de ses œuvres uniquement si elle est
respectée à la virgule près.
Cette « Dernière bande » a donc les traits communs (outre le
texte) de toutes les autres. Krapp (Serge Merlin) va commencer
par manger une banane, puis en mordra une seconde avant de la
jeter. Il va aussi « fouiller dans la pile de bobines » ou
encore « se lever brusquement pour partir derrière un rideau,
duquel on va entendre un bruit de vaisselle qu’on cogne ».
La possibilité de mise en scène et de différentiation par
rapport aux autres versions est donc ailleurs, mais dans le
travail d’Alain Françon elle ne saute pas aux yeux. Ici, Serge
Merlin est excellent, il respecte parfaitement le souhait de
l’auteur. Faire de Krapp un vieil homme qui enregistre sa
dernière bande (audio). C’est le même rituel à chaque
anniversaire. Ce soir là, après avoir écouté la bande de ses
39 ans, il en prend une nouvelle au fond du tiroir (comme
indiqué dans les didascalies), et il s’énerve contre celui
qu’il a été, se reproche la perte du bonheur affectif, hurle
dans le micro sa noire solitude. Beckett a instauré un
décalage volontaire dans le personnage, ce qui ne le rend ni
touchant ni énervant, juste seul, c’est tout. Il est même plus
drolatique que triste, difficile à cerner.
Et Serge Merlin est cela. Plongé dans un beau décor (toujours
très respectueux des didascalies : un bureau au centre,
l’obscurité tout autour…), les lumières (de Joël Hourbeigt)
sont très belles, rebondissant dans les orbites et les rides
de l’acteur. C’est en elles que réside la beauté de la pièce.
Françon, lui, en faisant cette mise en scène, a voulu donner à
cette pièce l’essence que son auteur lui a originellement
insufflée. Le résultat est donc fidèle et nul doute que
Beckett en serait ravi. Sauf que l’écrivain a disparu en 1989…
Espérons qu’un jour nous verrons le monde moderne s’accaparer
cette pièce si elle n’était pas prisonnière de ses indications
de texte. Vous l’aurez compris, cette « Dernière bande » est
très réussie, mais la plume de Beckett continue de vieillir
dans un monde qui (bien évidemment) a changé.
Pratique : Actuellement au théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de
Clichy (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44
53 88 88 ou sur www.theatredeloeuvre.fr / Tarifs : entre 10
€ (- de 26 ans) et 30 € (plein tarif) – Du mardi au dimanche.
Durée : 1 h 05
Mise en scène : Alain Françon
Avec :
Serge Merlin