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Bulletin 133
6 mai 2014
Le « fracking » – chances et risques
d’une « nouvelle » technologie
Une des raisons expliquant les prix actuellement bas de l’électricité en Europe est l’extraction de gaz
de schiste grâce à la technique du « fracking ». Elle a déclenché un véritable boom gazier aux États-Unis.
Cela a eu notamment pour conséquence la baisse du prix du charbon qui est désormais exporté vers
l’Europe et permet de produire de l’électricité à bas prix. Le fracking facilite l’exploitation principalement des ressources de gaz difficilement accessibles, mais aussi la géothermie profonde. Les risques
pour l’environnement ne sont pas encore bien connus ce qui explique la résistance qui se manifeste à
son encontre. L’Europe notamment affiche davantage de scepticisme que les États-Unis. Cependant,
il existe également des arguments en faveur du fracking. En Suisse, la discussion vient de s’engager à
ce sujet. Dans notre pays, les études relatives au sous-sol et à son exploitation sont encore insuffisantes.
De nouvelles lois sont en cours d’élaboration pour tenir compte de ces évolutions.
En Europe, le prix de l’électricité est actuellement très bas. Fin
Qu’est-ce que le fracking ?
2013, les prix de gros de l’électricité étaient autour de 5 cen-
Le fracking (également appelé fracturation hydraulique) est un
times du kilowattheure. Vu ces prix, la situation de la force
principe connu depuis des décennies, utilisé pour une meilleure
hydraulique devient de plus en plus difficile. Ils remettent en
exploitation du potentiel des gisements fossiles. Depuis le dé-
question sa viabilité économique et empêchent de nouveaux
but des années 2000, le fracking permet également d’extraire
investissements car la rentabilité n’est plus garantie à l’avenir.
des combustibles dans des couches de roche plus profondes et
Les raisons expliquant cette situation sont nombreuses. Elle ré-
d’exploiter des gisements de pétrole et de gaz jusqu’alors diffi-
sulte notamment de la faiblesse de la conjoncture économique
cilement accessibles. Le gaz dont il est question (gaz de schiste)
et de l’injection massive d’énergies renouvelables subvention-
n’est pas logé dans une bulle souterraine facilement exploitable
nées, notamment en Allemagne. Le subventionnement a dopé
mais est enfermé dans des couches de roche comme, par ex-
le développement de capacités de production, créant ainsi une
emple, le schiste. Le fracking permet de fracturer cette roche et
situation de surcapacité. Une autre explication importante de la
de former des fissures d’où s’échappe le gaz que l’on récupère
situation actuelle est le prix avantageux de l’électricité issue des
ensuite. Pour fendre la roche, un mélange d’eau, de sable et de
centrales à charbon européennes. Suite à la production accrue
produits chimiques est injecté sous haute pression dans le sous-
de gaz de schiste aux Etats-Unis, les prix du charbon ont baissé.
sol. Le fluide de fracturation utilisé est composé principalement
Le lignite américain arrive sur le marché européen à des prix
d’eau. La part de sable est d’environ 5 %, tandis que les additifs
très bas. Ce charbon est utilisé pour produire de l’électricité, en
chimiques ont une proportion inférieure à 1 %. Le fluide injecté
particulier en Allemagne, où presque la moitié du courant est
à l’intérieur est ensuite ramené à la surface, une partie résiduelle
tirée de ce combustible. Par conséquent, les émissions de CO2
restant captive. La méthode du fracking n’est pas uniquement
augmentent, d’autant plus que le cours des certificats de CO2
utilisée pour l’exploitation de gisements de gaz de schiste mais
est au plus bas.
s’applique également à la géothermie profonde. Dans ce cas,
il s’agit de fissurer des roches chaudes afin d’y faire circuler de
l’eau, qui est ensuite récupérée pour produire de l’électricité et
alimenter des réseaux de chauffage à distance.
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Points critiques du fracking
Fracking gazier aux États-Unis
Si le fracking possède un énorme potentiel pour l’approvisionne-
Le pic pétrolier et la lente disparition des énergies fossiles ont
ment énergétique, les risques ne sont toutefois pas totalement
fait l’objet de nombreux pronostics ces dernières décennies. Il y a
connus. Comme toutes les technologies de production énergé-
quelques années encore, les États-Unis avec leurs gigantesques
tiques, le fracking présente aussi des risques environnementaux.
importations d’énergies fossiles semblaient se trouver dans une
Le fracking est extrêmement controversé et son procédé est cri-
position peu enviable. Aujourd’hui, la situation a changé et pa-
tiqué par les défenseurs de l’environnement. Les points les plus
raît particulièrement positive. Grâce au fracking, l’extraction du
sensibles sont les suivants :
gaz naturel aux États-Unis a considérablement augmenté et l’on
parle d’une révolution énergétique. Depuis 2009, le pays est
–– Pollution de l’eau : le fracking menace de polluer les eaux sou-
même devenu le premier producteur de gaz naturel (devant la
terraines et superficielles. Une pollution de l’eau peut être due
Russie). Il est donc probable que les États-Unis passent bientôt
au fluide de fracturation ou à son élimination, au gaz extrait,
de pays importateur à pays exportateur d’énergies fossiles. Ils
à l’eau des gisements libérant des substances, à des pertes de
proposent non seulement une énergie peu coûteuse à leur in-
forage ou à des fuites de gaz.
dustrie, ils réduisent également leur dépendance énergétique
par rapport à l’étranger. Cela entraîne des avantages concur-
–– Consommation d’eau : le fracking nécessite beaucoup d’eau
rentiels pour l’industrie américaine. On peut aussi imaginer des
(de 9000 à 30 000 m par trou). La quantité d’eau requise
influences géopolitiques favorables pour les Etats Unis, notam-
dépend de la perméabilité de la roche.
ment à l’égard du Proche-Orient.
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–– Surfaces de terrains requis : l’exploitation exige plusieurs fora-
Du fait du boom du fracking aux États-Unis, les prix du gaz s’y
ges et, par conséquent, de vastes surfaces. De plus, il est néces-
sont effondrés. Depuis, de plus en plus de centrales à gaz sont
saire de prévoir des bassins d’eaux usées qui peuvent doubler
désormais utilisées pour produire de l’électricité de manière très
le besoin en terrains.
rentable. Les États-Unis consommant moins de charbon domestique, ils l’exportent désormais, principalement en Europe et en
–– Séismes : la fracturation de la roche à haute pression peut
déclencher des séismes. De même, le fluide de fracturation
Asie. Les États-Unis peuvent ainsi améliorer également leur bilan
de CO2 car le gaz en émet nettement moins que le charbon.
non réutilisable est parfois injecté dans le sous-sol ce qui peut
également engendrer des tremblements de terre.
–– Effet de serre : le gaz étant une source d’énergie fossile, il engendre des émissions de CO2 et contribue à créer un bilan
négatif de gaz à effet de serre. Le gaz présente toutefois un
meilleur bilan de CO2 que le charbon ou le pétrole.
–– Bruit : les nuisances sonores augmentent en raison des forages
et de la circulation.
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Prix du gaz, Europe, USA, Japon
Potentiels et situation en Europe
Tandis que la production d’électricité avec le gaz est rentable
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Japon
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aux États-Unis, en Europe de plus en plus de centrales à gaz
ont été arrêtées ces dernières années. La production électrique
utilise généralement l’agent énergétique disponible le moins
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Europe
coûteux. En Europe, contrairement aux États-Unis, il est actuel-
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lement moins cher de produire de l’électricité avec du charbon
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(même américain) qu’avec du gaz. Les centrales à charbon ont
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USA
évincé les centrales à gaz du marché.
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US Henry Hub
Average German Import Price cif
UK NBP
Japon LNG cif
Dans certains pays européens, l’exploitation du gaz de schiste
suscite l’espoir d’une baisse des prix de l’énergie, d’une hausse
des recettes fiscales et d’une diminution des importations et
de la dépendance envers l’étranger. Ce continent possède du
potentiel, même s’il est nettement inférieur à celui des États-
http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/energy-economics/statistical-review-of-world-energy-2013/review-by-energy-type/natural-gas/natural-gas-prices.html
Unis. Jusqu’à présent, en Europe, aucun forage d’essai à grande
échelle qui permettrait de fournir de sérieuses estimations sur les
gisements réels de gaz dans des couches de roche profondes n’a
été réalisé. La Pologne, la Norvège, l’Ukraine, la Suède, le Dane-
U.S. coal exports and Imports
mark et la Grande-Bretagne sont cités parmi les pays disposant
des principaux gisements. La France et l’Allemagne pourraient
également avoir un gros potentiel. Cependant, dans ces deux
pays, les réserves à l’encontre du fracking sont actuellement
très importantes en raison de l’impact négatif pour l’environnement. En France, le parlement a même décidé l’interdiction
de l’exploration de ces gisements en 2011. Dans une interview
de mars 2014, le commissaire européen en charge de l’énergie,
Günther Oettinger, a plaidé en revanche pour une diversification
la plus large possible des sources d’énergie en Europe. À cette
occasion, il a également abordé le sujet du fracking. Selon lui,
cette option doit être défendue et des projets de démonstration
exports
imports
http://www.eia.gov/coal/production/quarterly/
rendus possibles.
Réserves estimées de gaz de schiste
http://www.eia.gov/todayinenergy/detail.cfm?id=14431
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La situation en Suisse
En Suisse, la prochaine étape importante est la création de bases
En Suisse, l‘exploitation minière relève de la responsabilité des
légales pour l‘exploitation du sous-sol, que l‘on soit pour ou
cantons. L’exploitation plus fréquente du sous-sol nécessite une
contre le fracking. Face à la sortie du nucléaire en Suisse, les
révision de la législation, suite à l’utilisation croissante de son-
autres méthodes de production d‘énergie vont prendre de plus
des géothermiques pour les pompes à chaleur, aux forages géo-
en plus de poids. Le sous-sol pourrait jouer un rôle majeur dans
thermiques profonds et à l’éventuelle utilisation du fracking ou
ce contexte. Nous ne devrions donc pas gâcher a priori de
du stockage souterrain du CO2. Le canton d’Argovie a déjà fait
possibles approches par des interdictions technologiques. Il ne
le pas et une dizaine de cantons alémaniques devraient suivre.
faut se fermer à aucune opportunité tout en analysant les ris-
En Suisse romande, Fribourg et Vaud ont imposé un moratoire
ques le plus précisément possible.
par rapport aux recherches de gaz. Compte tenu de ces évolutions, il serait important d‘engager une démarche coordonnée.
L‘an passé, l‘Association suisse des géologues a recommandé
une harmonisation des différents règlements cantonaux. En février de cette année, l‘Académie suisse des sciences a publié un
document (http://www.proclim.ch/4dcgi/proclim/fr/News?3143)
sur le thème du fracking. Celui-ci constitue une bonne base de
discussion. La Commission fédérale de géologie (CFG) souhaite
examiner la question du fracking dans un rapport qui sera publié dans les prochains moins. Jusqu‘à présent, la commission
n‘était pas favorable aux interdictions générales et souhaitait
que la sécurité soit garantie à un niveau supra-cantonal. Les partis rouge-vert exigent cependant une interdiction du fracking au
niveau cantonal et national. Une interdiction générale pourrait
toutefois nuire également à la géothermie, puisque la fracturation des roches est aussi parfois utilisée par ce procédé.
Source: Adapted from Aldhous (2012).
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