Histoire n°190 - Les vitraux de Dürrbach - Charleville
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Histoire n°190 - Les vitraux de Dürrbach - Charleville
HiStOiRe DE DUELS EN DIALOGUES Les vitraux de Dürrbach : 36 ans d’ombre et de lumière © Ville de Charleville-Mézières © Jean-Marie Lecomte Le vitrail est à l’honneur à Charleville-Mézières. Le Service territorial d’architecture et du patrimoine (Stap) propose jusqu’au 25 septembre 2015 une exposition, Matières de lumière : balade carolomacérienne à travers l’art du vitrail. Et cette année, le 6 mai, il y aura 36 ans que les vitraux de René Dürrbach illuminent la basilique Notre-Dame d'Espérance. Sous la direction de Pauline Lotz, architecte des Bâtiments de France, le jeune architecte Maxime Dupont a conçu une exposition remarquable sur les différents types de vitraux que l’on rencontre dans notre cité. Avec les contributions de Catherine Pochylski, créatrice de vitraux à Saint-LoupTerrier, et l’auteur du présent article, Maxime Dupont présente à la fois de très belles photos de vitraux mais aussi des pièces anciennes (vestiges des anciens vitraux de Saint-Lié) ou modernes (l’imposte du vitrail de l’ancienne école normale dont Dürrbach a supervisé la création). Une présentation sobre valorise pleinement les éléments présentés, qu’ils soient religieux, « civils » (habitations ou sites publics) ou funéraires. cAROlO Mag n° 190 - mai 2015 - p. 26 Du XVIe siècle à nos jours, une longue tradition de vitrail « L’église de Mézières a une réputation de vitraux », écrivit Victor Hugo en 1838. Dès le XVIe siècle, des vitraux y ont été érigés, malheureusement détruits lors des différents conflits (1815, 1870, 1918 et 1944). Depuis 1979, plus de 1 000 m2 de vitraux répartis en 62 verrières et 6 oculi font jouer la lumière à travers les pièces de verre. C’est dans le département voisin de la Meuse, à Bar-le-Duc, que René Dürrbach (1910-1999) est né. Il fut élève de Picasso et l’on se laisse à rêver si cela avait été le maître qui avait réalisé ce projet unique en Europe à l’époque ! Mais Dürrbach a aussi travaillé avec Albert Gleizes, grand théoricien du cubisme qui a nettement inspiré notre artiste. Il a fallu 24 ans de travail à Dürrbach pour achever son œuvre. Le projet a débuté en 1954 pour une inauguration le 6 mai 1979. La Vierge au cœur du projet C’est un double dialogue que Dürrbach a voulu installer : dialogue entre la froideur de la Vierge noire (résurgence d’un ancien culte païen de la déesse mère qui symbolise le Bien et le Mal, la Création et la Destruction, l’obscurité et la lumière, etc.) et la chaleur de Notre-Dame d’Espérance, « vierge de lumière » ; l’autre dialogue, plus religieux, est celui entre Dieu et les hommes. Gleizes ne disait-il pas : « pas d’œuvre d’art vraie qui ne trouve sa justification et son sens dans les besoins physiques et métaphysiques » ? Autre forme d’un dialogue, les deux thèmes qui composent l’œuvre : dans la partie haute les Litanies de la Vierge (les qualités et les différents noms dont Elle est dotée, mais on peut aussi retrouver la dualité entre les deux vierges – Vierge de Lumière et Vierge Noire – à l’instar de la musique des litanies pour la Vierge Noire de Francis Poulenc). Dans la partie basse, Dürrbach évoque les grandes étapes de la vie de la Vierge. Un travail d’équipe René Dürrbach ne fut pas le seul à travailler à la conception de cette œuvre. L’auteur Henri Giriat (qui a écrit un livre sur Gleizes : Gleizes l’initiateur) eut de nombreux entretiens avec Dürrbach à qui il présenta également de nombreux textes et documents. C’est de ces échanges qui ont duré plusieurs années que sont nés l’architecture du projet et le choix des thèmes des différentes verrières. Ces conversations sont regroupées dans un livre, Eva Ave. C’est fort de cette réflexion spirituelle pour ne pas dire mystique, que René Dürrbach a dessiné ses cartons et conçu cet ensemble unique. Ensuite, André Seurre réalisa les verrières basses et Jacqueline Nicol les verrières hautes. Des choix techniques innovants Le côté abstrait des vitraux peut surprendre. Il a permis à Dürrbach de se différencier des représentations classiques des vitraux dans les églises, qualifiés de « Bible des pauvres » puisque les verrières représentaient le plus souvent des scènes religieuses, des images réalistes illustrant les écritures. Ici, le message spirituel impose une réflexion, démarche personnelle pour le visiteur qui contemple ce travail atypique. Mais Dürrbach va aussi se différencier en innovant techniquement. Classiquement, le plomb qui assemble les pièces de verre constitue d’abord une contrainte technique, même s’il est parfois utilisé aussi pour souligner une forme. Chez Dürrbach (comme chez Gérard Lardeur à Saint-Lié à Mohon), le plomb devient une composante majeure du vitrail. Parfois très épais, ailleurs très aminci, Dürrbach transforme la contrainte en un élément de dessin qui dirige les lignes et construit une image en jouant avec les pièces de verre et leurs couleurs. Alors, le plomb devient un pinceau, un crayon. HISTOIRE DE NOS RUES Autre innovation, l’utilisation de verre noir ou très foncé (rouge très foncé parfois). Dürrbach prend à contre-pied le but du vitrail traditionnel : laisser passer la lumière, en occultant celle-ci à certains endroits. Il faut y voir également un lien avec la Vierge noire. Et Dürrbach propose une nouvelle dualité entre le verre translucide qui illumine l’édifice et le revêt de couleurs changeantes qu’il oppose (ou met en dialogue ?) avec des pièces opaques qui altèrent cette lumière. Rue Charles Bruneau élément patrimonial méconnu, le vitrail se retrouve dans de nombreux édifices de Charleville-Mézières. Le Stap le met à l’honneur et vous pourrez en découvrir des aspects remarquables. Célèbres dans le monde entier, les verrières de la basilique Notre-Dame d’Espérance ne laissent pas indifférent. Œuvre magistrale, monumentale, elles proposent des oppositions, des dualités et surtout des dialogues. Le Carolomacérien peut les regarder distraitement en déambulant ou s’arrêter pour scruter ce travail complexe qui fait jouer l’ombre avec la lumière. Peut-être que vous y instaurerez un nouveau dialogue, celui que votre sensibilité voudra exprimer, confrontée au langage de René Dürrbach. Jean-François Saint-Bastien Société d’histoire des Ardennes Né au Petit-Chooz (Givet) le 19 novembre 1883, Charles Bruneau est un linguiste qui a joué un rôle important dans le développement des études philologiques françaises. il passa sa jeunesse dans les Ardennes, à Givet puis à Poixterron, Signy-l’Abbaye, Rumigny et NovionPorcien, au fil des mutations de son père qui était receveur de l’Enregistrement. Le spécialiste des parlers ardennais Nommé professeur à Evreux (1906-1910), puis à Reims (1910-1913), il se spécialisa dans la dialectologie ardennaise en soutenant à la Sorbonne deux thèses mémorables, l’une sur l’Étude phonétique des patois des Ardennes (1911) et l’autre sur La limite des dialectes wallon, champenois et lorrain en Ardenne (1913). Charles Bruneau s’appuyait sur une enquête de terrain d’une ampleur inédite, au cours de laquelle il visita 97 villages des Ardennes pour y étudier 1700 mots ou expressions dont la prononciation fut enregistrée au moyen du phonographe ! Son intérêt pour les parlers locaux des Ardennes ne se démentit jamais. En 1913, il avait encore publié une intéressante introduction à Trente-deux chartes de Mézières originales en langue vulgaire. En 1947, dans un article sur « Le patois de Rimbaud », il s’intéressa aux ardennismes, comme « darne », présents dans l’œuvre du poète. L’historien de la langue française Après la Première Guerre mondiale qu’il passa comme téléphoniste au 132e Ri, Charles Bruneau fut nommé à la faculté des lettres de Nancy. En 1934, il occupa la chaire d’histoire de la langue française de l’université de Paris, où il succédait à son maître et collègue Ferdinand Brunot. il travailla d’abord à la refonte du Précis de grammaire historique de la langue française (1933-1949), qu’il compléta d’une Petite histoire de la langue française (1955-1958), qui est le couronnement de sa carrière et de son œuvre. Professeur de renommée internationale, Charles Bruneau fut accueilli à Varsovie, à Montréal et à Yale (états-Unis). Depuis 1953, il était membre associé de l’Académie royale de Belgique. Président d’honneur de la Société des écrivains ardennais, il s’est éteint à Paris le 5 août 1969 à l’âge de 85 ans. Florent Simonet Société d’histoire des Ardennes Bibliographie - Vailllant Philippe, « Aperçu de l’œuvre d’un grand philologue ardennais : Charles Bruneau (1883-1969) », Revue historique ardennaise n° 2 (1969) - Piron Maurice, « Charles Bruneau et l’Ardenne », La Grive n° 144 (1969) EXPOSITION « Matières de lumière », Stap, 1 rue Delvincourt à Charleville-Mézières 03 24 56 23 16. Ouverte du lundi au vendredi de 9 h à 12 h et de 14 h à 17 h, jusqu’au 25 septembre © Jean-Marie Lecomte cAROlO Mag n° 190 - mai 2015 - p. 27