Focus 3 Les banques portugaises mieux parées face aux risques ?

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Focus 3 Les banques portugaises mieux parées face aux risques ?
Delphine Cavalier
12 octobre 2012 – 12-37
Focus 3
Les banques portugaises mieux parées face aux risques ?
premier semestre 2012 et des résultats finaux du capital exercise
donnent l’occasion d’établir un point précis pour les cinq
principaux établissements.4
ƒ
Alors que le gouvernement Coelho mène de haute
lutte le redressement des finances publiques, la
restructuration du système bancaire débouche, de son
côté, sur certaines avancées positives.
Depuis l’an dernier, les banques portugaises ont intégré le
durcissement des normes de capitalisation imposées par leur
banque centrale : le secteur bancaire devait atteindre un ratio
Core Tier 1 (Bâle 2) de 9% à fin 2011 et 10% à fin 2012. En
décembre 2011, le ratio moyen ressortait à 9,6%, soit une hausse
de 1,5 point de pourcentage par rapport à décembre 2010.
L’amélioration de la solvabilité a résulté à la fois du renforcement
des fonds propres durs et de la réduction des actifs pondérés
(RWAs), en ligne avec le deleveraging en cours. Parmi les cinq
grandes banques, les RWAs ont diminué le plus fortement chez
Totta (-15,4% entre juin 2011 et juin 2012) et CGD (-12%). La
baisse est plus modeste pour BPI, BCP et BES.
ƒ Solvabilité et liquidité sortent renforcées du
processus de recapitalisation et des actions menées par
la BCE. Les ratios de capital ont convergé dans les délais
vers les niveaux requis alors que le deleveraging et la
collecte de l’épargne privée ont enclenché la
décroissance des ratios crédits/dépôts.
ƒ Ces progrès relatifs ne doivent, toutefois, pas
masquer que, à horizon visible, la récession va continuer
d’imprimer ses effets sur la qualité des actifs et la
rentabilité, nourrissant une pression constante sur les
ratios de solvabilité. Les conditions de liquidité actuelle
ne sont pas non plus pérennes.
Dans le sillage des crises souveraines grecque et irlandaise, la
situation financière du Portugal s’est détériorée de manière assez
sérieuse (déficit budgétaire et dette publique de respectivement
9,1% et 93% du PIB en 2010) pour acculer le gouvernement à
une demande de sauvetage sous la houlette de l’UE, de la BCE
et du FMI. Cette aide lui a été accordée en avril 2010 pour un
montant global de EUR78 mds dont EUR 12 mds pour les
banques.1 De par leur exposition à la dette publique nationale et
leur large dépendance aux financements de marché, les banques
portugaises ont, en effet, été prises dans la nasse et font l’objet
d’un plan de recapitalisation et de réduction du levier. A mesure
que l’économie s’enfonce dans la récession, les objectifs du
redressement des comptes publics deviennent plus difficiles à
tenir2, alors que, sur le front bancaire, le programme paraît tenu.
La phase de la recapitalisation s’achève favorablement
Le système bancaire a sensiblement amélioré sa position de
solvabilité, selon les contraintes réglementaires édictées à la fois
par la Banque du Portugal et la troïka, et l’Autorité bancaire
européenne (EBA en anglais) dans le cadre du capital
exercise lancé fin 2011.3 La publication récente des comptes du
Cf. « Les banques portugaises à l’épreuve de la crise souveraine », paru
dans Conjoncture de décembre 2011.
2 Le Portugal devrait connaître sa troisième année de récession en 2013
(-2,2%) après -1,5% et -3,5% en 2011 et 2012, alors que le déficit budgétaire
doit être ramené de 5,4% du PIB en 2012 à 5% en 2013.
3 Le ratio Core Tier 1 (CT1) de la Banque du Portugal (seuil minimum requis
de 9% à fin 2011 puis de 10% à fin 2012) répond aux normes Bâle 2. Il est
moins restrictif que le ratio CT1 de l’EBA (seuil minimum de 9% à fin juin
2012), qui satisfait aux normes Bâle 2.5 et impose, en outre, de déduire des
fonds propres au numérateur un coussin de capital correspondant à la
1
11
CGD, BCP et BPI ont eu recours aux fonds publics (directement
de l’Etat portugais pour CGD, de l’enveloppe FMI via l’Etat
portugais pour BCP et BPI) pour exécuter leurs plans de
recapitalisation, pour un montant net total de EUR4,45 mds. A
l’issue de ces opérations, le fonds de recapitalisation bancaire du
FMI dispose encore de plus des deux tiers de ses ressources
initiales pour venir en aide à d’autres banques si besoin était.
Dans un premier temps, BCP et BPI ont respectivement émis
pour EUR3,5 mds et EUR1,5 mds d’obligations convertibles
souscrites par l’Etat, puis procédé à des augmentations de capital
auprès du public de respectivement EUR500 mns et
EUR200 mns, pour finalement ramener la dette envers l’Etat à
EUR3 mds pour BCP et EUR1,3 mds pour BPI. La banque
publique CGD a procédé à une émission brute de EUR900 mns
d’obligations convertibles souscrites par son seul actionnaire,
puis émis pour EUR750 mns d’actions pour réduire sa nouvelle
dette contingente envers l’Etat à EUR150 mns. Ces obligations
convertibles sont des instruments hybrides éligibles aux fonds
propres durs réglementaires et d’une maturité fixée à cinq ans au
terme desquels ils seront convertis en actions s’ils ne peuvent
être remboursés, ce qui reviendra alors à une nationalisation
partielle. BES a renforcé ses capitaux propres via une émission
de EUR1 md d’actions nouvelles, souscrites par ses actionnaires
privés traditionnels, alors que Totta, dont le ratio CT1 était déjà
de 10,7% en juin 2011, a mis une partie de ses bénéfices en
réserve et taillé dans ses RWAs.
décote potentielle obtenue en valorisant les portefeuilles souverains à leur
prix de marché au 30/09/2011.
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Caixa Geral de Depositos (CGD), Banco Comercial Português (BCP),
Bance Espirito Santo (BES), Banco Português de Investimento (BPI) et
Banco Santander Totta, soit environ 66% du total d’actifs du secteur
bancaire.
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Cet effort de recapitalisation a, dans le même temps, contribué à
satisfaire aux exigences de l’EBA. Le capital exercise consistait à
estimer les besoins en fonds propres supplémentaires
nécessaires pour couvrir les moins-values nettes latentes qu’un
certain nombre de banques européennes auraient dû enregistrer
si la totalité de leurs avoirs souverains avait été valorisée au prix
du marché au 30 septembre 2011. Compte tenu des déductions
réglementaires supplémentaires de capitaux propres sous Bâle
2.5 et du retranchement du montant des décotes souveraines, les
besoins cumulés en fonds propres durs des quatre banques
portugaises (hors Totta) étaient estimés à EUR7 mds (1,8% de
leurs actifs), dont EUR3,7 mds au titre du risque souverain.
D’après les résultats finaux qui viennent d’être publiés par le
superviseur européen, les banques portugaises, comme le reste
de l’échantillon de banques visées par l’exercice, ont toutes
atteint un ratio EBA CT1 d’au moins 9% à fin juin 2012.
Loin de se réduire, l’exposition des banques à la dette souveraine
s’est, toutefois, accrue tout au long de la crise, le mouvement
général à travers les pays du sud de la zone euro consistant pour
les banques à se délester de leurs actifs souverains non
nationaux tout en continuant de souscrire aux émissions de dette
publique de leur propre pays. L’exposition souveraine des quatre
banques portugaises est ainsi passée de EUR23 mds en
septembre 2010 à près de EUR34 mds en août 2012, la hausse
ayant probablement été accompagnée d’une concentration
renforcée sur la dette portugaise.
La BCE et de moindres besoins de financement ont allégé
les tensions sur la liquidité
L’absence de réouverture des marchés de la dette à court et moyen
terme reste symptomatique de la situation encore délicate des
banques portugaises, censées être ressorties mieux parées aux
chocs de la phase de recapitalisation, mais pourtant toujours liées au
risque souverain. La substitution technique de la liquidité BCE aux
ressources interbancaires et wholesale est quasi totale5. En août, le
montant cumulé emprunté auprès de l’eurosystème atteignait
EUR55 mds (contre EUR17 mds en avril 2010), ce qui représentait
9,7% de leurs actifs (contre 8% en avril 2010) ou encore 4,5% de la
totalité des opérations de politique monétaire de la BCE. Le poids de
l’économie portugaise et des actifs bancaires dans la zone euro n’est
pourtant que de respectivement 1,8% et 1,7%. Malgré le
deleveraging en cours, la marginalisation des banques portugaises
est appelée à perdurer d’autant plus longtemps qu’elles finançaient
sur les marchés des besoins de liquidité structurellement importants
avant la crise. En juin, le ratio crédits sur dépôts au niveau agrégé
avait reculé à 119% (contre 140% début 2010), alors que l’objectif de
120% fixé par la troïka était prévu pour fin 2014. Parmi les cinq
grandes banques, cependant, seule BPI et CGD y satisfont (ratios de
107% et 120,4% respectivement), contre des ratios encore
supérieurs à 130% pour les autres.
5 Les banques portugaises n’ont pas ou que très peu émis de nouvelles
obligations depuis 2010. Sur le marché interbancaire, leur dette envers leurs
contreparties européennes s’est réduite des deux tiers depuis son point haut
de EUR30 mds en 2009.
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„Effet substitution
Financement BCE et interbancaire des banques portugaises
Prime de risque sur taux interbancaire à 3m* (dr.)
Créances interbanc. nettes**
EUR mds
60
50
Refint BCE
points de base
230
* Différence entre l'Euribor à 3 mois et le taux OIS à 3 mois
** Prêts/créances, repos et reverse repos interbancaires
180
40
130
30
20
80
10
30
0
-20
-10
-70
-20
-30
-120
2005
2006
2007
Graph.1
2008
2009
2010
2011
2012
Sources : Banque du Portugal, BCE
A côté du soutien artificiel, et voué à demeurer temporaire, de la
BCE, le succès de la collecte des dépôts auprès des ménages au
cours de l’an passé a, néanmoins, contribué à une plus grande
stabilité de la structure de financement. Après un fort
ralentissement entre 2008 et 2010, l’encours total des dépôts a
augmenté de 3% entre janvier 2011 et juillet 2012, grâce à une
forte accélération des dépôts des ménages (hausse de 11,3%),
qui représentent plus de 80% de la base de dépôts du système,
et, dans une moindre mesure, au gonflement des encaisses des
administrations publiques sous l’effet du versement des tranches
d’aide extérieure. L’encours des avoirs des SNF s’est contracté
de 22,3% au cours de la même période. Les banques portugaises
se sont livrées à une forte concurrence pour capter l’épargne
privée, poussant les taux de rémunération sur les comptes à
terme à des niveaux assez élevés (+100 voire +200 pb selon les
horizons de placement). Les ménages ont transféré en masse
vers le secteur bancaire leurs avoirs jusqu’alors placés sur des
produits d’épargne non bilancielle (assurance-vie et OPCVM
monétaires) moins rémunérateurs. Consciente du risque que font
porter ces taux excessifs sur les marges, la Banque du Portugal a
durci, en avril dernier, les pénalités introduites en novembre 2011
(exigences de capital supplémentaires) pour mettre un terme à
cette guerre des dépôts. L’allégement quasi instantané des
tensions sur la rémunération a entraîné une modération de
l’encours des dépôts.
Sur fond de profonde récession et de baisse de revenu des
ménages, faut-il craindre à terme une désaffection de la clientèle
privée, à l’image de ce qui se déroule en Espagne ou en Grèce ?
Cela n’est pas certain. Dans ces deux pays, les banques
rencontrent des difficultés structurelles autrement plus graves
(éclatement de la bulle immobilière, vente jugée abusive de
produits financiers complexes aux ménages en Espagne ;
exposition poussée au risque souverain et effondrement
économique en Grèce). Certes, épargnants et investisseurs
portugais affichent une même préférence pour la liquidité que
dans nombre de pays de la zone euro actuellement, mais leur
confiance dans leurs banques paraît plus forte. L’absence de fuite
de capitaux témoigne aussi d’une clientèle plus captive que dans
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d’autres pays périphériques, plus prompts à subir des
délocalisations patrimoniales d’envergure.
Mais la qualité des actifs se détériore
L’encours des prêts au secteur non financier a commencé à se
contracter en 2011 et la tendance s’est aggravée cette année
(-3,3% pour les ménages sur un an en juillet, -6,2% pour les
SNF). La correction est particulièrement sévère pour les crédits à
la consommation et autres objets. Du côté des SNF, les
évolutions sont différenciées selon le type d’entreprise : toujours
dynamique pour les entreprises publiques, en baisse pour celles
du secteur privé, surtout depuis le dernier trimestre 2011, malgré
les mesures prises par les autorités pour éviter un rationnement
(réforme des procédures de restructuration amiable pour les
entreprises viables, réforme de la loi sur les faillites). Les grandes
entreprises se sont rapprochées des banques étrangères.
Les inspections de la Banque du Portugal prévues au programme
de la troïka ont permis de mener une revue précise de certains
actifs (crédits immobiliers, promoteurs, secteur du tourisme) afin
d’identifier des provisions nécessaires supplémentaires. La
matérialisation du risque de crédit est, en effet, très sensible sur
le segment SNF, surtout dans les activités commerciales, de
construction et immobilières. Le ratio de crédit à risque6 ressortait
à 9,3% en juillet, soit plus du double qu’un an plus tôt. Sur le
segment des ménages, le ratio moyen était en légère hausse à
3,6%. Toutefois, selon un schéma très classique, ce sont d’abord
les impayés et les défauts sur les crédits à la consommation qui
augmentent très fortement (11,2%). Dans un deuxième temps, il
est possible que la qualité des crédits habitat, jusqu’à présent
stable à un niveau modéré (2%), se dégrade à son tour. Si le
Portugal n’a pas connu d’euphorie immobilière avant la crise, les
prix ont, néanmoins, baissé d’un tiers en trois ans.
Et la rentabilité va rester déprimée
Les profits ont été divisés par trois entre 2007 et 2011 pour les
cinq principaux établissements. En 2011, malgré une certaine
résistance des résultats avant provisions, grâce au soutien
artificiel de la politique monétaire, le deuxième semestre a été
marqué par le retournement du crédit, les pertes de trading et la
hausse du coût du risque. Au premier semestre 2012,
l’échantillon a dégagé une perte nette agrégée de EUR384 mns
(contre un bénéfice net de EUR536 mns un an plus tôt). BCP a
enregistré une lourde perte, suivie de CGD. Les trois autres
banques ont réalisé de maigres bénéfices, l’activité internationale
(Angola, Brésil, Mozambique) permettant d’amortir légèrement
celle du marché domestique. Avec la liquidité banque centrale, le
repricing des prêts a porté les revenus nets d’intérêt tant que
l’encours de crédit croissait. Dans un cycle baissier, cependant, la
stabilisation de la marge de dépôt (durcissement des mesures
prudentielles contre les taux de rémunération excessifs) devient
un impératif bien plus important pour la préservation des marges
que la hausse moyenne des taux de crédit sur les seuls
nouveaux contrats.
6
Impayés à 90 jours + prêts douteux + prêts non performants.
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„Crédits à risque
Impayés à 90 jours+ prêts douteux+ prêts non performants / encours
de crédits par segment de clientèle
Total
SNF
Ménages, dont:
Habitat
Consommation
Autre objet
12%
10%
8%
6%
4%
2%
0%
2005
2006
2007
2008
2009
2010
Graph.2
2011
2012
Source : Banque du Portugal
„De profundis
Cours de Bourse des banques cotées et taux souverain à 10 ans
Euro Stoxx Europe Banques
BCP
BES
BPI
Taux souverain à 10 ans (droite)
pourcentage
16
01.01.2007=100
160
140
14
120
12
100
10
80
8
60
6
40
4
20
0
2005
2
2006
2007
Graph.3
2008
2009
2010
2011
2012
Source : Datastream
Conclusion
L’affichage de progrès conformes aux attentes sur le volet
bancaire pourrait laisser croire que des problèmes pris à temps
peuvent se résoudre sans complication supplémentaire. La
faiblesse des banques portugaises résidait dans leur leverage
excessif, qui est en cours de réduction, mais aussi dans leur large
exposition à la dette souveraine, qui s’est, elle, accentuée (à
l’origine des difficultés de systèmes bancaires périphériques, ce
sont toutefois les taux d’intérêt réels négatifs lors de l’unification
monétaire qui ont contribué à endormir la vigilance des banques).
Les cours de Bourse à leurs plus bas niveaux et le retour toujours
reculé des banques portugaises sur les marchés soulignent donc
les limitations du programme d’assistance: dans un univers
récessif, ‘plus solvable’ ne peut être synonyme de ‘plus solide’, et
les injections de liquidité, sur un mode artificiel, ne suffiront pas à
elles seules à restaurer une rentabilité structurelle. Briser la
circularité du lien banques-Etat (l’Etat ne renflouerait plus les
banques), comme le prône le projet d’union bancaire de la
Commission, limiterait la contagion des crises. Il est moins sûr,
cependant, que cela découragerait les banques de continuer à
investir sur les marchés de la dette souveraine.
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