The Pier 21 Story
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The Pier 21 Story
L’histoire du Quai 21 Halifax, de 1924 à 1971 Préparé par Affaires publiques Région de la Nouvelle-Écosse Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada Préface Pendant cinquante ans, les gens travaillant au Quai 21 jouèrent un rôle essentiel dans l'histoire de l'immigration du Canada. Durant cette période, plus de 1,5 million de nouveaux Canadiens ont rejoint notre pays par les portes du Quai 21 dans le but d’entamer une nouvelle vie. Pendant de longues heures, à travers la douleur et la frustration, un groupe d’individus a représenté le Canada. Grâce à leur dévouement, ils ont représenté les idéaux de la fonction publique. Ce groupe était composé de bénévoles en provenance d’églises et d’autres organismes de services sociaux, ainsi que d’employés de divers organismes fédéraux incluant, bien entendu, nos agents d'immigration. Ils ont accueilli des étrangers d’autres pays lors de plusieurs événements annuels – à Noël, par exemple. Ils ont communiqué avec des centaines de milliers de personnes, souvent dans une langue qu’ils ne comprenaient même pas. Ils ont dû s’occuper de milliers de cas particuliers en se faisant rassurants, en les encourageant et en leur fournissant l’information nécessaire. Une époque est révolue. Aujourd’hui, le nombre de nouveaux Canadiens arrivant sur nos côtes a diminué. Les grands paquebots qui avaient l’habitude de transporter des centaines de milliers de personnes parlant des langues étrangères font maintenant partie de notre passé. Les nouveaux immigrants arrivent maintenant le plus souvent par avion, directement à l’un des 31 Centres d’Immigration Canada. Cette brève histoire du Quai 21 est dédiée aux bénévoles et aux employés qui accueillirent les nouveaux arrivants au Quai 21. J.P. LeBlanc Directeur général Région de la Nouvelle-Écosse Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada Remerciements Les Affaires publiques de la région de la Nouvelle-Écosse sont fières de restituer l’histoire du Quai 21, honorant ainsi les personnes qui ont agi en vrais humanitaires lorsqu’ils accueillirent des milliers de nouveaux Canadiens par le port d’entrée d’Halifax. Il y a sans doute plusieurs récits de l'histoire du Quai 21 qui ne nous seront jamais dévoilés. Nous aimerions tout d’abord remercier Mollie Gallagher, qui fit les recherches et la rédaction originale. Nous souhaitons également témoigner notre reconnaissance au Père J.R. Brown ainsi qu’au révérend J.P.C. Fraser, qui nous ont rapporté les histoires des leurs au sujet du Quai 21, tout comme le firent d’ailleurs les employés à l'immigration John Hood, Gordon Low, Frank Wright, Gordon Thomas et Bill Marks. Les photographies présentées sont issues de nos propres dossiers ainsi que de la collection du révérend J.P.C. Fraser et de celle du Conseil des ports nationaux. Nous aimerions finalement remercier Les Gallagher, notre agent du service d’information, pour les retouches finales apportées au document. W.C. Boyle Directeur régional des Affaires publiques Région de la Nouvelle-Écosse Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada Halifax était, en 1924, une ville résolument tournée vers l'avenir. Quelques années auparavant, elle avait souffert de la guerre avec l’explosion dévastatrice de 1917 et les émeutes de 1918. En 1924, bien qu’elle ne fût pas encore remise sur pied, les signes de la relance se faisaient déjà sentir. Le recensement de 1921 nous montre que, effectivement, la population de la ville fit un bond de 25 % de 1911 à 1921, pour atteindre plus de 58 000 habitants. Dartmouth avait, alors, permis l’ajout de près de 8 000 individus à la région métropolitaine. La construction d’une gare terminale temporaire, en bois, venait d’être achevée dans l'extrémité sud de la ville afin de remplacer l’ancienne Gare du Nord, considérablement endommagée par l'explosion de 1917. Une station de radiodiffusion expérimentale située dans le Marble Building depuis quatre ans allait bientôt être remplacée par la première station radio permanente de la ville, CHNS. Fait étonnant, à la même époque, Alcock et Brown allaient réussir le premier vol transatlantique jusqu’au Old Country (Vieux Pays), tel que de nombreux Haligoniens de l'île de Terre-Neuve l’appellent encore. Mais plus importante encore que ces innovations dernier cri pour l’essor de la ville et du pays, il y avait cette recrudescence de la vague d'immigrants entrant au Canada par le port d’Halifax. Le nombre d’immigrants, qui était passé de plus de 400 000 individus en 1913 à seulement 42 000 lors de la dernière année de la guerre, était de nouveau à la hausse. Il grimpa à près de 134 000 en 1923 et restera sensiblement le même pour le reste de la décennie. L'immigration fut une composante essentielle de la croissance du Canada, celle-ci étant responsable de la plus grande partie de l'augmentation de la population totale entre 1901 et 1931. Puisque la grande majorité des immigrants provenait d'Europe, la plupart d’entre eux étaient tenus de passer par Halifax dans leur poursuite d'un avenir meilleur. Halifax était donc, déjà, pourvue d’une longue histoire colorée, caractérisée par l’accueil d'immigrants et qui commença en 1869 avec la première Loi canadienne sur l'immigration. Celle-ci favorisa l’établissement d’un bureau d’immigration à Halifax, ainsi que d'autres à Saint John, Québec, Montréal, Ottawa, Kingston, Toronto et Hamilton. Bien que les dossiers d’immigration canadiens aient été conservés depuis l'arrivée du SS PERUVIAN au er Québec le 1 mai 1865, les dossiers de la ville d’Halifax ne furent officiellement reconnus et conservés à Ottawa qu’une fois Halifax déclarée port d'entrée, au mois de janvier 1881. Au début de la Première Guerre mondiale, la ville s’était déjà occupée de centaines de milliers d'immigrants dans le nouveau pays de leurs espoirs. Avant les années 1920, l’arrivée des immigrants se faisait au Quai 21 situé dans le nord de la ville, près de la Gare du Nord – ou de la station de North Street. Les employés du Quai 2 travaillaient en étroite collaboration avec le poste de quarantaine de l'île Lawlors à Eastern Passage et avec l'hôpital de quarantaine Rockhead du secteur nord d’Halifax. L’hôpital Rockhead a maintenu ses activités jusque dans les années 1960 et, en 1957, son personnel avait atteint les trente-huit employés au moment où il fut transformé, temporairement, en foyer pour réfugiés hongrois. Malheureusement, les installations du Quai 2 furent en grande partie détruites lors de l'explosion de 1917 et, pendant les sept années qui allaient suivre, l’accueil des immigrants se ferait de manière plutôt rudimentaire. Le début des années 1920, caractérisé par la vague d’Européens fuyant les conséquences de la guerre, s’avéra particulièrement difficile. Halifax était à cette époque le principal port d'entrée pour les immigrants et la première impression de leur pays d'adoption allait les décevoir, alors qu’ils passaient par le processus officiel de débarquement. Le paysage désolé et dévasté du secteur Nord ne peut leur avoir laissé la meilleure des impressions. En 1924, cependant, la situation allait finalement être corrigée : les installations furent ouvertes en joignant la station de chemin de fer temporaire du secteur sud à un grand bâtiment bien aéré lequel, pour plus de quarante ans, portera le nom de « Quai 21 », terme si familier à des centaines de milliers d'immigrants. « Le Quai 21 » était réellement un complexe composé de bâtiments reliés par une rampe à la gare et comportant des installations telles que le Service d'immigration, la Douane, la Santé et le Bienêtre, l'Agriculture, la Croix-Rouge, une salle d'attente, un restaurant avec une salle à manger, une cantine où l'on pouvait acheter le nécessaire pour le voyage de train, une pouponnière, un hôpital avec un bloc opératoire, un centre de détention, une cuisine, des dortoirs, ainsi qu’une promenade surplombant le port. Les descriptions du Quai 21 changèrent au fil des ans, devenant inévitablement – sans doute – de moins en moins positives au fur et à mesure que les installations subissaient les caprices du temps. « Pour le passant occasionnel, le hangar de transit 21 est un simple bâtiment de deux étages et rien de son extérieur ne laisse paraître qu'il puisse être différent de n’importe quel autre hangar de transit. C’est pourtant le cas, puisque son deuxième étage y abrite le bureau d’Halifax du ministère canadien de l'Immigration. C'est ici que tout immigrant qui entre au Canada par Halifax met pour la première fois le pied en sol canadien. C'est ici qu’il se fait ses toutes premières impressions, qui le marqueront sans doute à jamais, sur son nouveau pays mais, chose certaine, ce nouvel arrivant ne sera jamais déçu de la terre sur laquelle il a choisi d’établir sa nouvelle demeure. Presque la totalité de l'étage de ce grand hangar est consacrée au ministère de l’Immigration. Ses nombreuses fenêtres le rendent aussi éclairé à l’intérieur qu’à l’extérieur, et il est si bien éclairé la nuit que l’on peut y faire de la lecture sans problème, peu importe où l’on se trouve. Le poli des planchers et des bancs accentue l’apparence de clarté et de propreté. C’est donc dans cet édifice bien chauffé, éclairé et parfaitement aéré que les immigrants sont immédiatement conduits après avoir quitté le bateau et ils sont, aussitôt, conduits à la salle d'assemblée générale par les agents d’Immigration. Un grand drapeau de l’Union Jack est accroché au mur. Cet emblème, probablement plus que toute autre chose, leur fait réaliser qu’ils sont dans un pays britannique et que, pour beaucoup d'entre eux, les coutumes, les habitudes et même la langue sont nouvelles. » (1) ********** « Une foule importante d'hommes, de femmes et d'enfants s’entassent à l’intérieur d’une pièce fortement éclairée par des lampes au-dessus de leurs têtes. La foule peut facilement dépasser le nombre de mille individus. Il y règne une certaine agitation, une certaine gaieté; l’animation est omniprésente. Des gens quittent la salle à manger du restaurant à l’autre bout, alors que d'autres attendent leur tour, avec leurs enfants, pour passer au bureau de la Croix-Rouge ou des services sociaux. D'autres encore sont groupés autour de leurs bagages, en train de converser, ou dans les files d'attente des guichets ou du bureau de change. Le plancher est couvert d’écorces d'orange et de papier, et par-dessus le brouhaha perpétuel des voix d'enfants surgissent les bruits stridents du haut-parleur annonçant les lourds bagages prêts à être inspectés. Destinée à servir de lieu de repos, et prétendument occupée par les individus attendant simplement de monter à bord de leurs trains, la salle est en réalité un labyrinthe où certaines mères courent, avec anxiété, après leurs jeunes enfants errants et où d’autres affichent leurs inquiétudes au sujet des prochaines marchandises, de la possession familiale de sacs et de boîtes. Pour utiliser une autre métaphore, la salle est un bassin turbulent où les gens passent et repassent, formant de petits tourbillons, et se déplacent comme des courants qui affluent de tous côtés, tels des ruisseaux en période de crue. Billets perdus, achats précipités à la cantine, débats véhéments au sujet de supposées destinations tels étaient les tumultes spontanés et locaux de tout ce fouillis. » (2) ********** « Par milliers, ils affluaient par les portes du Quai 21 les yeux scintillants d'espoir, mais le cœur rempli d'appréhension. On peut se demander ce qui pouvait bien se passer dans l'esprit des immigrants, alors qu’ils apercevaient cet édifice gris peu accueillant, fait de briques et pourvu de fenêtres à barreaux. Quelqu'un peut-il, sans avoir subi le traumatisme d'être déraciné et transplanté, décrire avec exactitude les sentiments de ces nouveaux Canadiens. » (3) De 1924 à 1930, l'immigration en provenance d'Europe fut soutenue et régulière, avec une moyenne de 130 000 immigrants par an. Les passagers, avant d'être examinés par les agents d'immigration, étaient triés et regroupés selon trois catégories : familles, femmes et enfants voyageant seuls, et hommes célibataires. Fixée à l'avance, chaque étape du processus, de l'examen initial à la montée à bord des trains, pouvait être faite sous un même toit avec l'aide de la Croix-Rouge et d'autres organismes de services sociaux. Les immigrants potentiels ne répondant pas aux critères lors de la première entrevue, que ce soit pour des raisons majeures ou bien techniques, étaient envoyés au bureau fédéral d'immigration pour un examen plus approfondi. Si celui-ci n'était pas concluant, ils étaient susceptibles de passer la nuit en salle de détention en attente d’une réponse positive ou d’être possiblement expulsés. Des dortoirs avaient été aménagés pour les immigrants devant passer la nuit à Halifax, avant de continuer leur route, et des logements spéciaux avaient été prévus pour les familles souhaitant demeurer groupées. Un rapport contemporain fait mention du fait que, selon la tradition, « les Anglaises et les étrangères étaient logées dans des dortoirs séparés, tout comme les Anglais étaient séparés des étrangers ». La Croix-Rouge, qui comptait parfois jusqu’à vingt-deux bénévoles, fournissait des services spéciaux pour les immigrés, en particulier pour les femmes et les enfants. Une grande pouponnière ensoleillée contenait douze lits d’enfant et sept berceaux pour les mères et leurs enfants exténués par le voyage. Il y avait aussi une aire spéciale avec des bains dans lesquels les travailleurs de la Croix-Rouge pouvaient laver les bébés, pendant que les mères fatiguées pouvaient se rafraîchir dans les baignoires et les lavabos. Tous les services de la Croix-Rouge étaient fournis gratuitement. La rémunération de son personnel dépendait entièrement des moyens et des dispositions des bénéficiaires. Outre la Croix-Rouge, diverses organisations sociales et religieuses participaient à l’accueil des nouveaux arrivants, ces dernières étant souvent motivées par l’appartenance religieuse des voyageurs, telle qu’en faisait mention le manifeste des passagers du navire. Les membres du clergé étaient sur place pour s'occuper des besoins spirituels. Les trains d’immigrants circulant sur les voies adjacentes à la gare Southend, durant les années 1920, étaient appelés « trains de colons » et étaient plutôt rudimentaires. Des poêles à charbon, à chaque extrémité des voitures, fournissaient la chaleur et le service de restauration laissait beaucoup à désirer. Les trains, d'ailleurs, n’allaient pas être améliorés au cours des vingt années à suivre. Les immigrants achetaient, en général, les provisions nécessaires à leur voyage à la cantine du Quai 21. Les aliments les plus populaires étaient le pain, le beurre, le fromage, les sardines, les conserves de viande et les fruits. Puisque beaucoup de femmes et d'enfants traversaient l'Atlantique seuls afin de rejoindre leurs maris et leurs pères, les services d'immigration avaient aménagé des installations spéciales dans le but de leur venir en aide. Mlle A.S.M. Bullock était administratrice générale, au ministère de l'Immigration, de la division féminine de la succursale d’Halifax dans les années 1920 et 1930. Elle s’occupait d’aider les femmes et les enfants au cours de leur bref séjour à Halifax et les remettait aux bons offices des femmes chefs de train, également au service du ministère de l'Immigration. Chaque train qui quittait Halifax avec des immigrants à son bord était accompagné par une femme chef de train afin de s’assurer que les besoins des femmes et des enfants étaient comblés. De 1930 à 1939, l'immigration au Canada et celle ce faisant par Halifax fut considérablement ralentie à cause du taux de chômage élevé et des conditions économiques difficiles dans le monde entier. De 1930 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'immigration au Canada n'a jamais dépassé les 15 000 individus, un bien petit nombre en comparaison aux 400 000 individus de 1913. Ce fut une époque malheureuse au Quai 21. Des milliers d'immigrants rentraient chez eux de leur plein gré ou forcés, par la loi, de le faire. Plusieurs étaient devenus des fardeaux pour l’État et étaient renvoyés, à contrecœur, là où la situation était encore pire que celle qu’ils devaient quitter. D'autres étaient désillusionnés face à leur terre d'adoption et retournaient dans leur pays natal dans l’espoir d'y trouver une situation meilleure. « Non, mais quel pays! » s’exclama un immigrant britannique mécontent, « De l’argent en papier et des maisons en bois! » En 1939, le monde s’apprêtait à changer. À Halifax, la dépression et la menace de guerre furent atténuées par la visite du roi George VI et celle de la reine Elizabeth. Leur train bleu et argenté les amena à la gare Union, le 16 juin à midi, et ils repartirent la nuit venue depuis le Quai 21. «Quand les visiteurs s’en allèrent à la fin de la journée, le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Angus L. Macdonald, fit ses adieux à la reine comme on le faisait autrefois dans les Highlands, en s’agenouillant d’une seule jambe et en lui baisant la main, un geste qui ravit tous les Néo-Écossais avec du sang highlander coulant dans leurs veines. L'escadron quitta le port au moment où le soleil se couchait, le SKEENA et le SAGUENAY en tête suivis de l’EMPRESS OF BRITAIN, dont la belle coque blanche et les cheminées dorées étaient colorées de la rougeur du soleil couchant, et suivis enfin du SOUTHAMPTON et du GLASGOW, tous en file indienne. Ils avancèrent lentement vers Chebucto Head et tournèrent en direction de l'est pour ne devenir, finalement, qu’un simple reflet sur une mer lisse et miroitante comme la nacre, un départ presque théâtral dans sa perfection. Le soleil descendait, en effet, sur eux ainsi que sur le monde car, neuf semaines plus tard, le pacte germano-soviétique allait être annoncé. Hitler fit alors ses infâmes demandes à la Pologne, la Grande-Bretagne lui donna un avertissement solennel, et la longue nuit tomba. » (4) Au cours de la guerre qui s’ensuivit, le Quai 21 dut remplir de nombreuses fonctions qui n’étaient normalement pas associées au service d’immigration. Il devint une composante essentielle du « Port canadien de la côte est », rendu célèbre grâce aux émissions et aux actualités télévisées. Cette contribution fut officiellement reconnue lorsque deux officiers responsables reçurent, de l'Empire britannique, des médailles pour leur bonne contribution à la guerre. De 1939 à 1945, le Quai 21 fut impliqué dans l'embarquement des troupes en partance pour le théâtre européen, le contrôle de la marine marchande, l'accueil des prisonniers de guerre, celui des enfants déplacés de Grande-Bretagne et celui des étrangers « de guerre », le traitement des soldats hospitalisés, l'accueil des survivants de navires marchands torpillés, la venue de personnalités telles que Winston Churchill et, enfin, l’accueil des soldats à leur retour de la guerre. À un certain moment de la guerre, les salles communes et d’examen furent transformées en casernes de l'armée. Tout régiment y logea, utilisant l’étage du bas comme aire d’entraînement. Plusieurs régiments quittaient Halifax par le Quai 21, bien que les mesures de sécurité en temps de guerre firent en sorte que les médias ne soient pas tenus informés à ce sujet. Tout aussi anonyme était l’accueil fait aux marins en provenance des pays alliés de force aux nazis, ou même des pays alliés au Canada. Beaucoup de marins de pays comme la France et la Norvège, réalisant ce qui se passait dans leurs pays d’origine, décidaient de quitter le navire en partance d’Halifax, alors que celui-ci allait rejoindre les Alliés. Toute la guerre durant, on devait faire face au problème de devoir s’occuper, à nouveau, des hommes à bord de navires ayant coulé. L'un des prisonniers de guerre les plus infâmes à entrer en Nouvelle-Écosse par le Quai 21 fut le capitaine Kurt Meyer du U-Boat, qui était fort impopulaire pour le traitement qu’il réservait aux prisonniers de guerre canadiens. Plus tôt, en 1940, les prisonniers de la GRAF SPEE, qui fût sabordée, sont entrés au Canada par le Quai 21, avant de se rendre sous escorte vers un camp de prisonniers dans le centre du Canada. Une fois la guerre terminée, l'immigration reprit immédiatement, passant de 13 000 immigrants en 1944 à 72 000 en 1946. Le Quai 21 subit un grave incendie en 1944 et les quartiers ne furent reconstruits et réoccupés qu’à partir du 1er décembre 1946. Entre temps, les quartiers de détention se trouvaient dans des huttes de l’armée construites à la hâte à l'arrière de la cuisine. Les nouveaux quartiers, cependant, furent construits juste à temps pour recevoir les épouses de guerre et les réfugiés. L’immigration rouvrit officiellement ses portes en 1947 et dut immédiatement faire face à un important afflux d’épouses de guerre, autant alliées qu’allemandes. La plupart des épouses britanniques vinrent à bord de l'AQUITANIA depuis Southampton, ou du FRANCONIA depuis Liverpool. Même alors, le voyage n'était pas si facile, comme l'une des épouses de guerre nous le rappelle : « Nous sommes montées à bord du FRANCOFONIA, à Liverpool, et avons été frappées de vents exceptionnellement forts en cours de route. À un certain moment, nous nous sommes arrêtées pendant vingt-quatre heures avant qu’on ne redémarre enfin les moteurs, puis cela se produisit à nouveau pendant douze heures. Les navires avaient été utilisés pendant la guerre et, venant tout juste d’être transformés, n’étaient pas très confortables pour les passagers. Lorsque nous sommes finalement arrivées à Halifax, nous sommes allées directement à bord des trains, mais je me souviens que les groupes confessionnels étaient très bien organisés et que la plupart des passagers furent accueillis par les pasteurs de leur foi. Il y avait un certain nombre d'épouses de guerre à bord du bateau et du train, et la NouvelleÉcosse ainsi que le Nouveau-Brunswick nous paraissaient très effrayants. Nous avons traversé, toute la journée durant, une région sauvage couverte de neige avec quelques maisons de bois par-ci par-là et je me souviens que, sur la route en direction du Québec, nous nous demandions s’il fallait encore s'inquiéter au sujet des Indiens. » Le gouvernail de l’AQUITANIA est, aujourd’hui, toujours exposé à la Citadelle en reconnaissance de son rôle dans l’histoire d’Halifax. Les principales sources d’aide pour l’immigrant de l'époque, outre les représentants officiels, étaient les dames du service d’accueil aux voyageurs, le YWCA, le Roman Catholic Sisters of Service (la « congrégation des Sœurs catholiques de service »), les représentants des différentes églises ainsi que les bénévoles omniprésents de la Croix-Rouge. Pour les épouses de guerre, cette terre sur laquelle elles étaient venues était bien étrange et inhabitée. Le caractère nouveau de ce pays favorisait une curieuse ambivalence à son sujet. Pendant une certaine période, en guise de bienvenue, un chaman amérindien en tenue de cérémonie attendait les nouveaux arrivants sur la mezzanine; « il était suggéré, de manière facétieuse parmi les comités d'accueil, qu'un gentleman à la chevelure importante se tienne près de la passerelle comme indication rassurante de la cessation de la guerre tribale ». En même temps que les épouses de guerre et que les immigrants britanniques il y avait les réfugiés, officiels ou non, de l'Europe en guerre. « Pour des observateurs à Halifax, à partir du jour d’avril 1947 où le SS AQUITANIA s’approcha du dock transportant un contingent de pionniers à son bord, il était devenu évident que le Canada avait ouvert la voie bien avant les États-Unis et d'autres pays occidentaux... que, vers le début de l’année 1948, les obstacles à l’établissement des populations dans les états étaient tels que même les sociétés philanthropiques états-uniennes les plus puissantes, bien qu’actives en Europe dans la distribution de l’aide humanitaire, ne purent vaincre les lois d’exclusion de leur propre pays et en faire un refuge pour tous leurs protégés. C'est pourquoi les personnes dans le besoin en Europe ne pouvaient pas uniquement dépendre de la générosité des grandes communions mondialement puissantes, voisines du Canada. On ne pouvait, non plus, compter sur d’autres possibilités de réinstallation. Les traversées australiennes, par exemple, ne commencèrent de manière substantielle qu’à partir de 1949 et ce jusqu’à ce que, quelques mois plus tard, les navires affrétés utilisés pour les immigrants ramènent, sur le chemin de l'aller, les troupes néerlandaises en Indonésie. L’Amérique du Sud rivalisait, au début, avec le Canada en ce qui concerne l'accueil de réfugiés, mais la traversée de l'océan y était deux fois plus longue, et d’autres conditions contribuaient également à la ralentir. Le Royaume-Uni avait déjà joué son rôle : l’établissement en Grande-Bretagne d'une grande partie de l'armée polonaise avait été fait. En 1947, la nation britannique faisait elle-même face à une crise économique, mais mit sur pied les opérations “Balt Cygnet” et “Westward Ho” grâce auxquelles quatre-vingt-quatre mille [réfugiés] furent accueillis. Néanmoins, lorsque les navires furent disponibles en 1946 après le retour des combattants, les courts trajets de six jours pour traverser l'Atlantique jusqu’à Halifax contribuèrent à donner au Canada une avance naturelle sur tous les autres pays. Ces importants facteurs dans la situation générale devinrent évidents pour les employés sur le Quai. C'est ainsi qu’en 1947, alors que les sombres nuages des épreuves et de la privation obscurcissaient l’Europe centrale, un petit faisceau de lumière pointait à l'horizon nord-ouest pour les personnes sans foyer, là où le Canada attendait ses nouveaux habitants. Le Canada offrit alors le moyen le plus prometteur de réinstallation aux apatrides migrants, avec une loi efficace et la promesse d’un transport rapide et satisfaisant. » (2) Cela représenta une occasion sans pareil dans l'histoire de l’immigration du Canada. Les gens venaient au Canada en raison de l'espoir qu'il leur offrait, mais aussi parce qu'ils fuyaient leurs pays ravagés par la guerre et la famine. Les vagues les plus marquantes de cette période furent celles des réfugiés baltes de 1948-1949 et celles des personnes déplacées de 1948 à 1952. Il y eut aussi l’importante immigration néerlandaise de 1947 à 1949, et l'immigration italienne qui débuta en 1948. Les employés du Quai 21 se souviennent tout particulièrement des immigrants hollandais en raison de leur habitude à mettre leurs objets ménagers à l’intérieur d'énormes caisses en bois qui pourraient être les précurseurs des contenants d’expédition modernes. Les employés du Quai 21 avaient l'habitude de plaisanter en affirmant que ces caisses contenaient absolument tout à l’exception de leur évier de cuisine, jusqu'au jour où les autorités douanières en ouvrirent une pour y découvrir, parmi les autres articles, un évier de cuisine. L’immigration allemande commença en 1950, après la levée de l’interdiction au sujet des pays ennemis. Les réfugiés les plus marquants furent ceux des pays baltes de 1948 à 1950, en particulier les Estoniens. Les réfugiés baltes s’unirent dans le but d’acheter des navires n’étant souvent pas en état de naviguer, exposant les passagers aux dangers des éléments de la nature. Parmi les navires qu'ils utilisèrent, on retrouve le WALNUT et le SARABANDE (deux chalutiers transformés), le PARNU (un dragueur de mines transformé), et le GLADSTONE (une goélette de pêche). À l'été 1949 l’AMANDA, un chalutier transformé, arriva en provenance de la Suède. Il était le plus petit navire à avoir réussi la traversée de l'Atlantique, ce qui suscita le plus grand intérêt des médias. Commandé par trois capitaines de la marine lettone, il transporta plus de vingt réfugiés baltes ayant fui en Suède au début de la guerre. Plus tard durant l'année, le GLADSTONE allait prendre à l’AMANDA le titre du plus petit bateau à atteindre le port. On retrouvait stationné au Quai 21, à cette époque, un officier de l'OIR (l’Organisation internationale pour les réfugiés) qui y joua de nombreux rôles et qui s’arrêtait à peine pour respirer. En collaboration avec les services d'immigration et les organismes bénévoles, il fit de son mieux afin de s'assurer que les nouveaux arrivants reçoivent un accueil des plus chaleureux et qu’ils puissent poursuivre leur route aidés de la meilleure manière possible. « C'était grâce aux longues heures supplémentaires volontairement investies par les personnes âgées et les commis aux guichets, et par les services personnels aux passagers de la salle des bagages, ceux de la salle à manger et du bureau de change, ainsi que par la police des chemins de fer, par les porteurs de bagages et les hommes des chantiers navals, que la plupart des difficultés ont pu être surmontées. Ces hommes et ces femmes ont formé un bureau de réception amateur. Ils prenaient si bien soin des besoins des passagers que, en dépit du tumulte des véhicules en mouvement et du passage d’un demi-million de gens attirés par le spectacle qu’offre un grand port de mer, pas un seul enfant ne fut blessé. » (2) Les Églises, le YWCA, la Croix-Rouge, les Scouts et les Guides furent tous impliqués dans l’accueil et dans l'aide apportée aux réfugiés. Le YWCA offrait déjà, depuis plusieurs années, un lieu de rencontre où les réfugiés pouvaient se réunir et discuter de problèmes communs et des possibilités d'emploi. On aidait également les réfugiés à chercher un emploi et on organisait des soirées où ils pouvaient s’exercer à parler l’anglais. Le directeur international des réfugiés qui était en service durant ces années est bien resté gravé dans la mémoire des nombreuses personnes qu'il a aidées. Une réfugiée lettone se souvient de sa gentillesse lorsqu’elle arriva en compagnie de son mari et de sa fille de deux ans : « Nous sommes venus en février sans vêtements d'hiver ni caoutchoucs, et notre petite fille avait l'air très affamée et triste. Il nous amena dans son bureau et nous servit une tasse de chocolat et des biscuits aux figues Newtons. Aussi longtemps que je vivrai, je n'oublierai jamais à quel point ces biscuits ont pu avoir bon goût pour nous ». Les années 1946 à 1950 furent des années difficiles, mais plutôt enivrantes pour le Quai 21. La prise en charge de réfugiés était alors une tâche remplie de défis, de frustrations et de réussites. « Abandonnées dans le hall alors que les trains se préparent à partir, tels des espars laissés sur une plage par la marée basse, apparaissent ici et là un certain nombre de personnes non prévues par les voies officielles. Ces personnes inadmissibles pour le passage gratuit avaient, dans une entreprise risquée, converti l'ensemble de leurs possessions en billets pour prendre le bateau et en argent à l’arrivée. On leur avait accordé un visa dans l'espoir que le soi-disant répondant soit suffisamment généreux pour les réclamer et subvenir à leurs besoins. Il y avait, par exemple, cette femme d'âge moyen qui avait perdu les membres de sa famille au cours du mouvement de résistance de son pays natal. Elle se tenait là, hésitante, craignant chaque étape, isolée à cause de son dialecte, sans financement, désemparée et seule dans le Nouveau Monde. On sait à quel point de telles réflexions solitaires peuvent être dangereuses pour l'esprit, voire pour la vie elle-même. Il y avait aussi ces enfants confiés à des parents nourriciers pour le voyage. Ces enfants se retrouvèrent à bord de trains avec des destinations différentes de celles de leurs accompagnateurs, et c’est seulement à quelques minutes du départ et après une recherche épuisante que l’agent de l’OIR parvenait à trouver des tuteurs de remplacement. Il y avait aussi ces voyageurs, d’âge mûr également, et troublés par des expériences du passé, pour qui les crises décisionnelles au moment du débarquement produisaient un désarroi, un genre d'effroi, que même la gentillesse des employés bien formés ne parvenait pas à dissiper. Craignant une malchance plus grande, un groupe d’individus assis attendait avec inquiétude leur deuxième examen. Ils étaient vaguement au courant du nombre d’individus envoyés vers l'Europe depuis le Canada. L'autorisation accordée avec le visa en Europe n'était que provisoire et les personnes ayant été acceptées là-bas étaient, selon le code canadien, simplement «considérées» comme aptes à se conformer à la réglementation, l’admissibilité n’étant décidée de manière définitive que dans le port d'entrée. Tous étaient, d’une même manière, des survivants de l'holocauste de cette époque et avaient échappé de justesse aux bouleversements du moment le plus fort de la guerre, des derniers jours d'Hitler et de l'avancée russe. Ces événements avaient dispersé et décimé les ménages, et ceux toujours présents vécurent la famine, conséquence de cette guerre ayant affligé les pays occidentaux. Puis il y avait les retards crève-cœur pour ceux qui attendaient que se présente une occasion de s’établir à l'étranger, ainsi que les angoisses profondes des séparations lorsque, conséquence d’un processus de sélection rigoureux, certains membres d’une famille se voyaient être refusés ». (2) ********** « Certaines des afflictions que subissaient les immigrants étaient le fruit de leurs propres erreurs. Ils étaient passés par toute la gamme des dangers pour réussir leur évasion par-dessus la frontière et leur survie avait alors nécessité l’utilisation de tous les moyens, légitimes comme illégitimes. Ils faisaient preuve, contre l’OIR et les gouvernements d’accueil, d’une ingéniosité égale à celle qui leur permit de passer les vérifications des gardes-frontière et les obstacles dangereux. Ils continuaient à fournir de fausses informations même s'ils risquaient ainsi de subir un interrogatoire qui, s’il les mettait à nu, les condamnerait à l’internement perpétuel dans les terres de la famine et du chômage. La duperie ainsi pratiquée n'avait pas toujours des objectifs égoïstes; la plupart du temps, elle était la conséquence d’un excès de ferveur au nom des personnes à charge. Ils inventaient des adresses de répondants au Canada qui s'avéraient être fictives, rendant leur localisation impossible par la suite. Ils obtenaient des fonds du marché noir en dollars américains et canadiens, mais les jetaient par-dessus bord en entendant les rumeurs affirmant que toute personne en possession de telle contrebande risquait de ne pas être autorisée à naviguer. Ils étaient mal conseillés par des connaissances qui les avaient renseignés de manière erronée à propos des conditions les plus favorables pour entrer au pays et, par conséquent, faisaient des déclarations au sujet des lieux de naissance et de l'origine de la famille en détention derrière les barreaux, ne correspondant pas aux listes. C’était donc avec des agents à leur porte que plusieurs passaient leur toute première nuit au Canada. Plusieurs connurent ces ennuis sans qu’ils en soient responsables, mais simplement parce que le répondant les avait laissés tomber. Cependant, dans le cas d’infractions dues à de fausses déclarations volontaires, l’autorisation d’entrer pouvait être refusée, accompagnée d’une possible et imminente expulsion. Pour d'autres malheurs qui les frappaient, les immigrants n’étaient aucunement responsables. Pour certains, l'urgence de leur situation était hors de la portée de toute assistance humaine. Atteints de maladies que l'œil ne pouvait déceler, c’était la mort en personne qui les suivait dans leur traversée et qui leur édictait un enterrement indigent. » (2) Dans les années qui suivirent la guerre, près de 500 000 immigrants passèrent par le Quai 21 et une centaine de mille d’entre eux étaient des personnes déplacées. Dotés d’un grand cœur, les travailleurs du Quai 21 furent seulement critiqués pour leur acharnement technique du détail. « Un changement de nomenclature aurait été souhaitable dans toute cette couleur et cette confusion », pourrait-on se dire. On aurait pu, comme aux États-Unis, inscrire le terme « travailleuses ménagères privées » dans le manifeste au lieu de « domestiques » et, comme en Grande-Bretagne, utiliser le terme « travailleur bénévole européen » à la place du terme « P.D » (personne déplacée).(2) Le travail était dur, les journées étaient longues, mais les résultats procuraient de grandes satisfactions aux personnes impliquées au Quai 21 à la fin des années 1940. Les immigrants arrivaient en grand nombre, le pays était en pleine croissance et la tragédie humaine résultant de la guerre était en train de se résorber. Le 23 février 1949, la première page du Halifax Mail Star soulignait que le Canada venait d’accueillir son 50 000e réfugié. « Ausma Nevalds, alors âgée de huit ans, eut droit à la plus grande réception de sa vie ce matinlà quand elle arriva dans le port d’Halifax, à bord du SAMARIA. Elle devenait la 50 000e personne déplacée à venir au Canada dans le cadre du plan de l’Organisation internationale pour les réfugiés. La jeune et mince blonde lettone fut accueillie dans le Centre d'Immigration par le bruit des flashs des appareils photo, par un essaim de journalistes de la presse et de la radio, et son arrivée fut le sujet des actualités télévisées. Ausma fut l'une des 1200 personnes déplacées depuis Cuxhaven qui débarquèrent à Halifax, en route vers leurs nouveaux foyers au Canada. Accompagnée de sa mère Karline et de sa sœur Rasma, la petite P.D. était en route pour rejoindre son père, un aide-fermier à New Hamburg, en Ontario. Leur maison en Lettonie se trouvait dans la campagne de Liepaja. » Pendant qu’Ausma était interviewée, la chanson To Think You’ve Chosen Me des Ames Brothers jouait comme musique de fond. Aujourd'hui, Ausma vit à Peterborough avec son fils. Elle partage une maison avec sa mère et son père, aujourd'hui retraités, et elle a toujours le médaillon et la poupée que lui avait offerts le maire d’Halifax, J.E. Ahern. « Enfin, la longue journée que nous avons tenté ici de décrire, typique de plusieurs autres en quatre ans, tire à sa fin. En haut, dans la section interdite où les agents de sécurité font l’inspection de tous les immigrants, le silence tombe enfin. Quelques-uns sont retenus pour un deuxième examen et doivent attendre la décision, logés dans des chambres de détention accueillantes sous la supervision d’une infirmière. Il serait impossible d'énumérer toutes les sections de ce ministère de l'Immigration et de bien répondre aux ordres d'Ottawa, celles-ci changeant tous les mois. Néanmoins, c'était l'affaire de l'inspecteur en chef et de son personnel de faire en sorte que les règlements soient suivis et, qu’ainsi, l'opinion publique des Canadiens leur soit favorable. À une heure tardive, les employés des cinq autres départements se partageant la responsabilité de l’admission d’immigrants ont rassemblé leur équipement, éteint les lumières et fermé les portes de tous les bureaux ; celui de la Santé et du Bien-être, avec un hôpital sur place et ses infirmières; de la Justice, avec des gendarmes en civil dans les coulisses; de l'Agriculture, chargé de confisquer toutes les matières végétales et animales pouvant transporter des germes; des chemins de fer nationaux et de ses employés; de la Direction générale des douanes qui, à Halifax, eut la bonne idée de placer quatre de ses charmantes employées derrière les vitres des portes du Canada. Toutes ces personnes donc, ainsi que les agents, le personnel de la salle à manger, les agents maritimes, et bien d'autres, étaient prêts à quitter les lieux jusqu’à ce que les signaux du Camperdown rapportent, le lendemain : “9 h : l’AQUITANIA, pris en charge par le capitaine, abandonne maintenant le mode automatique dans sa route vers le port. » Le dernier des navires affrétés à Halifax fut le ANNA SALEM, le 19 décembre 1951. Déjà, le vacarme polyglotte qui avait accompagné le débarquement des premiers navires avait donné place à une procédure plus banale. La ruée et l'hystérie associées à toutes les formalités de ce mouvement à l’étranger avaient été réduites et, à en juger par l'humeur générale des passagers, ceux se trouvant sur le quai pour les accueillir savaient que la vie revenait une fois de plus à la normale. Halifax était redevenue, comme autrefois, le port d'hiver du Canada. Le maître des cérémonies durant toutes ces années, l’unique agent de l'OIR pour les réfugiés, renonça à son poste, le coffre-fort de l’OIR fut vendu, le téléphone débranché, et cet extraordinaire chapitre de l’histoire du Canada prit fin. » (2) Avec la fin de la vague d’épouses de guerre et de réfugiés, les années 1950 à 1961 furent porteuses de leurs propres problèmes et triomphes pour le Quai 21. L’immigration passa de 74 000 en 1950 à une moyenne de près de 160 000 au cours de la décennie suivante. Le Quai 21 accueillit 16 000 immigrants en décembre 1961, et 17 000 au mois de mars suivant. Parmi les autres faits marquants, il y eut l'arrivée du premier transfuge russe, Petrovitch, passager clandestin sur un navire italien. Il est resté dans les quartiers d'immigration pendant presque un an, le temps qu’on règle les détails de son cas. Un des premiers événements mémorables fut l'arrivée, à la veille de Noël, de deux navires, l'ARGENTINA et le VULCANIA, avec plus de 1800 passagers à leur bord. On servit aux passagers des repas traditionnels, composés de dinde et d’accompagnements, avant qu’ils ne montent à bord des trains pour la suite du voyage mais les installations de cuisine avaient été mises à rude épreuve. À peu près à la même époque, le paquebot AROSA KLUM se rua vers le Quai afin d’y arriver avant un bateau Cunard. Il s’épargna ainsi les problèmes d'ancrage et l’attente pour un poste d’amarrage, mais la course à quai dut avoir apporté son lot d’efforts physiques puisque, après quelques minutes alors qu’il repartait pour l'Allemagne, le capitaine mourut sur le pont suite à une crise cardiaque. Lors de sa visite au Canada en 1957, le train de la reine était sur la voie ouest de la station de chemin de fer durant les trois jours qu'elle passait à Halifax. La voiture officielle fut entreposée dans la salle des bagages du Quai 21, et les agents devaient exécuter l’agréable tâche d'ouvrir la porte à Sa Majesté, chaque fois qu’elle ou qu’un membre royal devait l’utiliser. Au milieu des années 50, les débardeurs des États-Unis se mettent en grève et Halifax reçut alors un lot supplémentaire de paquebots. En une seule journée, lorsque cinq grands navires de passagers, dont le QUEEN ELIZABETH, étaient dans le port, les agents d'immigration accueillirent un total de 3800 passagers, avec l'aide des autorités états-uniennes de l'immigration. On pouvait à peine se déplacer dans le Quai 21 ce jour-là. Les années 1950 furent l’époque des paquebots, transportant des immigrants au Canada par milliers. Le personnel des bureaux de l'immigration était parfois invité à déjeuner et, chaque fois, le menu se composait de salade (à la pieuvre), de spaghetti, de sauce, de bifteck, de frites, ainsi que de fruits, de fromage ou de crème glacée et, bien sûr, de rafraîchissements, le tout de style continental. Quand il n’était pas invité à bord d'un paquebot, le personnel de l'immigration rejoignait généralement les passagers arrivant dans la salle à manger du Quai 21 où, à la fin des années 1940, l’on pouvait se procurer un repas complet pour 55 cents. Dans les années 50, son prix augmenta à 75 cents, mais il s’agissait toujours d’une des meilleures affaires en ville. La cantine offrait également un « spécial » : une boîte en carton contenant l'essentiel pour le long voyage en train, le tout pour 2 $. Les denrées alimentaires que de nombreux immigrants apportaient posaient un problème permanent, car elles avaient tendance à subir les conséquences des retards dans les voyages. Les douanes durent faire face à ce problème avec les immigrants du Sud de l'Italie, car ceux-ci avaient l’habitude d’apporter des contenants de vins, du pepperoni, du salami et des fromages de toutes sortes. Le fromage de chèvre, en particulier, subissait les conséquences des variations de température au cours du voyage et était généralement très malodorant au moment de le présenter aux agents des douanes, à Halifax. Mais l’odeur la plus désagréable jamais sentie fut sans nul doute celle du poulpe séché qu’avait transporté avec soin une femme âgée, depuis la Sicile. Parfois, la nourriture apportée représentait autant un problème pour les immigrants eux-mêmes que pour le personnel d'immigration. Dans le cas des grands paquebots, la pratique consistait à faire descendre 250 personnes à la fois, car c'était le maximum que la salle d’Assemblée pouvait contenir. Lorsque le groupe de 250 personnes était envoyé dans la salle d'examen avec les médecins, un autre groupe était invité dans la salle de l'Assemblée. Un tel système supposait, cependant, que tous les bancs de la salle d'Assemblée étaient occupés, et que tout espacement inutile entre les passagers pourrait faire en sorte que certaines personnes doivent rester debout. Cela mit les agents face à un dilemme lorsque, une fois, les passagers refusèrent de s'asseoir directement à côté d'un petit homme avec une serviette roulée sur ses genoux. Le mystère fut résolu lorsqu’on découvrit que la serviette contenait du poulpe séché en état de décomposition avancée, emporté avec soin depuis son île natale grecque. Les agents résolurent donc le problème en plaçant le poulpe en « détention provisoire ». Pour ajouter aux problèmes des agents, plusieurs entreprises commencèrent à donner des échantillons gratuits de leurs produits à tous les immigrants arrivants. Imperial Tobacco faisait cadeau de tabac Ogden et de papiers à cigarettes aux hommes, et de cigarettes Turret aux femmes. Ces dons étaient généralement les bienvenus, et bien gardés. Les petites boîtes de céréales « Kellogg’s Corn Flakes » posèrent de plus grands problèmes. Ignorant que les flocons de maïs constituaient un déjeuner, les immigrants avaient tendance à les jeter après un coup d’œil, et le sol du Quai 21 jusqu’à la gare se retrouvait régulièrement jonché de boîtes de flocons de maïs. Un problème plus grave, en particulier avec les immigrants en provenance de pays où la corruption était courante au sein du gouvernement, se révéla au moment de savoir si les immigrants avaient les fonds suffisants pour se rendre à leur destination. La question « Avez-vous de l'argent ? » venant de toute personne en uniforme était parfois reçue avec grande inquiétude et la réponse était souvent une secousse ferme de la tête accompagnée d’un « Non! » catégorique. L’interprète pouvait avoir besoin de beaucoup de temps afin de rassurer les immigrants et de leur faire comprendre que l'officier responsable voulait simplement voir son argent, et non pas de le lui confisquer pour usage personnel. Finalement, ces immigrants, acceptant avec hésitation le fait que les choses pouvaient être différentes dans ce nouveau pays, finissaient par sortir d’une cachette personnelle un petit paquet d'argent enroulé sur lui-même. L'huile de cuisson fut un autre article que les employés du Quai 21 apprirent à soupçonner. Beaucoup de familles arrivaient avec un bidon bien soudé contenant cinq litres d’huile. Cela avait toujours paru inoffensif jusqu'au jour où un douanier en ouvrit un, par hasard, et y trouva une arme de poing. Depuis ce temps, tous les bidons d'huile durent être ouverts et vérifiés, avec des conséquences désastreuses pour les planchers du Quai 21. Le Service médical reçut tout un choc lorsqu’un jour le FORRESTAL, un navire-transporteur états-unien, s’éloigna trop rapidement du dock et heurta, avec son pont d’envol en surplomb, le Quai à proximité des installations médicales. Le trou résultant était assez grand pour y faire passer une voiture, mais heureusement personne ne fut blessé par cet accident insolite. Puisque le Quai était à l'occasion infesté de cafards, chose fréquente dans un tel établissement, des appareils brevetés pour éliminer les cafards furent installés afin de résoudre le problème. Malheureusement, les cafards finirent par grossir, en même temps que l’écoeurement du personnel, et les inventions nouveau genre devinrent superflues. On dut alors recourir à des méthodes plus traditionnelles pour se débarrasser des cafards. Une fois on aperçut, parmi les nombreuses célébrités à avoir été vues dans le couloir menant de la gare du CN au pont d'embarquement, Alan Ladd. Les agents d'immigration, faisant des heures supplémentaires, furent payés 3,50 $ de l'heure par la compagnie maritime pour l'escorter jusqu’à la salle d’attente de la gare. Au moment de monter à bord du train cependant, Alan avait perdu son chapeau et sa ceinture, maintenant les propriétés d’agressives admiratrices. Lorsqu’une passagère décéda dans le port à bord du navire en route pour le Canada, l'Immigration accepta de s'occuper de ses effets personnels et, en accord avec sa famille, on détermina un site d'inhumation. Les agents furent quelque peu déconcertés lorsqu’ils trouvèrent des billets équivalents à plus de cent mille dollars parmi ses effets personnels, mais le problème fut rapidement résolu et l’argent fut envoyé à son exécuteur testamentaire. Des centaines de jeunes femmes vinrent au Canada en tant qu’employées de maison au début des années cinquante. Plusieurs d'entre elles étaient, à la fin des années quarante, qualifiées pour de meilleurs emplois, mais c'était pour elles la seule façon d’entrer au pays. Vingt à trente d'entre elles passaient, en même temps, la nuit au Quai 21, jusqu'à ce que le train parte le jour suivant. À la fin des années cinquante, les autorités d’Immigration d’Halifax furent appelées à s’occuper des premiers arrivants de la révolution hongroise. Le premier réfugié arriva au début du mois de décembre 1956 et des 35 000 Hongrois admis au Canada, environ la moitié passèrent par le port d’Halifax. Le vieil hôpital Rockhead, à l'origine lieu de quarantaine, fut temporairement transformé en centre d'hébergement où l’on installa des dortoirs séparés pour les hommes et les femmes. Parmi les problèmes rencontrés, il y avait ce jeune garçon qui tentait sans cesse d’être admis dans le dortoir des femmes, mais on comprit qu’il s’agissait réellement d’une fille lorsqu’« il » expliqua qu'elle avait dû mettre les vêtements de son frère pour s’échapper. Comme en plus elle avait les cheveux courts, les agents d’immigration l’avaient prise pour un garçon jusqu’à ce qu’un interprète soit disponible. Les années 1960 commençaient et il devenait évident que les jours de traversée par bateau de l'Atlantique tiraient à leur fin. Le Quai 21 avait accueilli jusqu’à 50 000 immigrants par an pendant les années cinquante, mais le paquebot allait inexorablement céder sa place à l’avion, toujours de plus en plus rapide et de moins en moins cher. L’espoir soulevé par le vol d'Alcock et Brown, plus de quarante ans plus tôt, allait finalement se concrétiser. En fait, le dernier grand groupe de réfugiés à être accueilli au Quai 21 arriva principalement par avion et non par le port. De 1961 à 1963, un grand nombre d'exilés cubains quittèrent leurs avions à Gander, à TerreNeuve, et cherchèrent à se rendre aux États-Unis. Puisque l'attente d'un visa états-unien pouvait prendre jusqu’à six mois, ils furent temporairement logés au Quai 21. Originaires de tous les domaines de la vie, des propriétaires fonciers aux médecins et des pilotes d'avion aux agriculteurs, les réfugiés cubains mirent en place leurs propres comités et désignèrent leurs porteparole afin de faire face aux problèmes quotidiens d'adaptation face à un environnement inconnu et à une culture nouvelle. Une formation linguistique de base fut donnée et tout allait être négocié, du lit pour les réfugiés avec des problèmes de dos à la préparation de repas cubains dans les cuisines du Quai. Rien pour aider le personnel de l'Immigration, les deux porte-parole de ces négociations quotidiennes étaient avocats en droit criminel et en droit commercial et, donc, plutôt habiles le temps venu de parvenir à leurs fins. Il y eut, à un certain moment, plus d'une centaine de Cubains en résidence au Quai, la plus grande population depuis celle des réfugiés baltes de la fin des années 1940. La morue salée-séchée était prisée des réfugiés et ils étaient ravis de la trouver à si bon marché à Halifax. Ils la préparaient en la trempant dans l'eau chaude, puis en la recouvrant d’oignons hachés, d’oeufs durs et d’une sauce aux oeufs. Un traitement encore plus spécial allait attendre certains immigrants lorsque l'un des agents du Quai 21 répondit au téléphone et fut informé, par une voix enthousiaste, qu'il venait d’être choisi au hasard dans un concours et de gagner 25 $. Après s’être entretenu avec l'officier responsable, l’agent accepta le chèque et il se rendit, accompagné de deux femmes choisies par le groupe, au supermarché le plus près. S’en tenir aux 25 $ au moment des achats s'avéra être un petit problème,mais les enfants apprécièrent certainement les quantités massives de gâteau et de crème glacée qu’on leur offrit. Le Père J.R. Brown, représentant catholique au Quai 21 pendant les années soixante, se souvient d'un réfugié particulièrement marquant. Après avoir échappé à la garde de Gander sur un vol à destination de Cuba, il fut transporté à Halifax afin que l’on s’occupe de son cas. Le Père Brown lui demanda s'il avait besoin de quelque chose, faisant allusion aux articles usuels tels que le nécessaire pour se raser ou bien des cigarettes. « Oui, un piano » répondit le réfugié. « Je fus si surpris que je lui demandai : De quelle couleur ? » affirma le Père Brown. Le Cubain expliqua alors qu’il était pianiste et que ce qui lui manquait par-dessus tout, c’était de jouer du piano. Avec l’accord des agents d’immigration, le Père Brown l’amena à l’Université Mount Saint Vincent, où se trouvaient deux grands pianos. « Il joua de manière admirable pendant des heures », rapporta le Père Brown en souriant, « et ce fut un plaisir de l’entendre jouer ainsi ». Noël fut un moment particulièrement mémorable pour les réfugiés et les agents d'immigration qui, avec l'aide d'organismes bénévoles, tentèrent de s'assurer que les enfants allaient passer une fête de Noël aussi traditionnelle que possible. Les Cubains avaient soigneusement construit un autel fait de boîtes d'œufs dans la salle 33 et posèrent sur celui-ci le traditionnel retable blanc qui, dans ce cas, était une nappe empruntée à la cuisine. Une fête de Noël fut organisée pour le groupe composé à ce moment d'environ 14 enfants et de 24 femmes et un arbre joliment décoré accompagnait un dîner spécial de Noël et des cadeaux pour tous. On pouvait toujours se fier aux différents groupes d’aide sociale pour contribuer d’une manière ou d’une autre à la fête de Noël des enfants. Le père Noël était toujours joué par l'un des immigrants de sorte que les enfants puissent le comprendre facilement. Un autre événement inoubliable se produisit en 1965 lorsque l'ancien drapeau canadien fut abaissé et que le nouveau fut déployé en même temps qu’on tira le coup de midi à la Citadelle. Comme un gardien nous le rapporte : « Pas un seul des membres du personnel n’applaudit lorsque le drapeau canadien fut descendu, mais tous les immigrants qui était sortis pour assister à la cérémonie acclamèrent la levée du nouveau drapeau canadien. » Le Quai 21 accueillait encore des immigrants de façon régulière durant les années soixante. Les groupes les plus importants étaient les Italiens et les Grecs. Les différentes églises étaient, à cette époque, dotées d’un réseau national bien organisé, de sorte à ce que les immigrants puissent être rencontrés individuellement et ce, quelle que soit leur destination finale. Les représentants de l'Église à Halifax recevaient des exemplaires du manifeste des passagers du navire peu de temps avant son arrivée, et écrivaient à leurs homologues du pays pour leur dire à quel moment et à quelle gare allaient arriver les nouveaux immigrants. L'Église Unie jouait un rôle particulièrement important à cette époque, puisque très peu d’immigrants en provenance d'Europe étaient directement affiliés à elle. « Nous étions donc libres d’aider ceux qui en avaient le plus besoin », se souvient le révérend J.P.C. Fraser qui, en compagnie de sa femme, passait de longues heures au Quai 21 dans les années soixante. Mme Fraser distribua des milliers de « sacs de marin » offerts par les différents groupes religieux du pays. Chacun de ces petits sacs en tissu comprenait des objets de première nécessité tels que des formulaires pour l’avion, du savon, des peignes, des mouchoirs de papier, du dentifrice, des brosses à dents, des gants de toilette, des bonbons pour les enfants, un carnet et un crayon, des timbres et un évangile dans la langue du nouvel arrivant. Ils étaient souvent faits sur place afin de répondre à des besoins particuliers, pour un immigrant ayant besoin d’un foulard et de mitaines chaudes ou encore pour un couple de jeunes mariés pour qui on trouvait un petit quelque chose à donner. Jusqu’à 200 sacs de marin étaient distribués chaque jour, et la nuit pouvait être très longue si un navire arrivait tard à quai. « Plusieurs fois, nous rentions à la maison alors que le soleil se levait », se souvient Mme Fraser. Plusieurs personnes s’inquiétaient grandement au sujet d’argent qui aurait dû les attendre à leur arrivée à Halifax, mais qui était en retard ou égaré. Parfois, une famille avait réservé un voyage en train pour une journée « rouge » à bas prix, et arrivait une journée « bleue » ou « blanche », toutes deux beaucoup plus chères. Pire encore, il arrivait parfois qu'un agent de voyage ait faussement assuré aux immigrants que tout avait été payé. Les victimes arrivaient alors au Quai 21 sans le sou et sans les moyens pour voyager plus loin. L'Église Unie mit alors à la disposition du révérend Fraser un fonds afin de faire face à ces situations d'urgence, et plus d'un billet de train fut ainsi acheté par l'Église. L'argent était généralement retourné ultérieurement depuis les villes de tout le pays, se rappelle le révérend Fraser, bien qu'en de rares occasions, il arriva qu’il ne revoie jamais la couleur de cet argent. Les églises et les organismes de services sociaux n’étaient pas les seuls à souhaiter la bienvenue aux réfugiés avec des cadeaux. Des immigrants se souviennent que certains agents d'immigration avaient l'habitude de distribuer des pièces d’un cent ou d’autres jetons, surtout aux enfants. Peu de temps avant la fermeture du Quai 21, une femme apparut au poste de garde. Elle était à la recherche d'un agent en particulier mais, bien qu’elle eût été en mesure de le décrire, elle ne connaissait pas son nom. Au même moment, Frank Wright entra dans le bureau. « C'est lui! », s’écria la femme, en le pointant du doigt. Alors que les autres agents affichaient leurs sourires, elle demanda à Frank s'il se souvenait d'elle et il dut lui avouer que non. « Eh bien, moi je me souviens de vous », lui dit-elle. Elle appela son fils puis apparut un jeune homme de dix-sept ans avec une chaîne autour du cou d'où pendait un cent canadien. Frank avait donné le sou à son fils il y a plusieurs années, expliqua-t-elle, disant qu’il s’agissait de sa toute première monnaie canadienne. Le petit garçon s’était tant attaché à cette pièce que sa mère décida de la faire mettre sur une chaîne afin qu'il puisse l’avoir avec lui en permanence. Elle était revenue à Halifax tout spécialement pour dire « merci » à Frank. À la fin des années soixante, les réfugiés tchèques commencèrent à arriver et beaucoup d'entre eux demeurèrent au Quai 21 jusqu'à ce qu'ils aient trouvé un logement ailleurs dans la ville. Le Père J.R. Brown se souvient avoir parlé à l'un des premiers groupes arrivés et d’avoir demandé s'il y avait quelque chose qu’il pouvait faire pour eux. « Le premier couple qui s’approcha vers moi était tout souriant et tenait des documents. Mon interprète, les écoutant, se mit à sourire lui aussi. Il s'avéra que les documents étaient des invitations pour leur mariage. Ils avaient prévu se marier à Prague le matin de l'invasion russe, et c’était encore la seule chose qu’ils avaient en tête. » Le Père Brown reçut une permission spéciale pour les marier en moins de temps que la période d'attente habituelle. En attendant le mariage, la future mariée avait quitté le Quai 21 pour loger dans une pension de famille. Lorsque la propriétaire d’origine grecque découvrit la situation, elle la prit sous son aile. Pour le mariage, tout le nécessaire avait été emprunté, y compris la robe blanche et le voile. Tous les réfugiés tchèques vinrent au mariage et ce fut un grand succès. « Un couple d’Halifax s’était très gentiment offert pour être l’hôte de la réception », se souvient le Père Brown, « et un autre avait organisé la lune de miel ». À peu près en même temps que la crise tchèque, un certain nombre de réfugiés polonais abandonnèrent leurs navires à Halifax. Beaucoup n'étaient pas de vrais marins, mais plutôt des gens qui, suite à une longue préparation, avaient réalisé que cela représentait leur meilleure chance d’atteindre un nouveau pays en toute sécurité. À la première occasion, ils allaient se présenter aux agents d'immigration dans le but de demander le statut de réfugié. Les communautés polonaises du Canada apprirent rapidement la situation et écrivirent afin de savoir s'il y avait quelque chose qu'ils pouvaient faire afin de leur venir en aide. Le premier groupe de Polonais put gagner son appel à Ottawa avec l'aide du Père J.R. Brown. Un deuxième groupe fut, cependant, rejeté. Avec l'aide d'autres ecclésiastiques et d’un avocat d’Halifax, un débat d'urgence se tint au Parlement et l’expulsion des Polonais, alors au nombre de neuf, fut retardée. Finalement, un nouvel appel fut entendu et on consentit aux réfugiés le statut d'immigrant pour des raisons humanitaires. La décision fit grandement plaisir à tout le monde, y compris aux agents d'immigration qui avait d’entrée de jeu encouragé le Père Brown à agir en faveur des réfugiés. À la fin des années soixante, toutefois, il était de plus en plus évident que le Quai 21 devenait inutile. Le 4 décembre 1967, le journal local rapporte que le paquebot de la Cunard, le CARINTHIA, venait de payer sa dernière visite à Halifax et qu’il devrait être vendu à son retour à Southampton. Cette semaine-là, le SYLVANIA et le CARMANIA allaient également devoir faire leurs adieux à Halifax, car Cunard allait abandonner la traversée, autrefois si lucrative, de l'Atlantique. Le CARINTHIA qui, à l'apogée des voyages par paquebot avait été rempli à pleine capacité avec 800 passagers, en comptait seulement 240 au cours de son dernier voyage mais comptait 70 000 sacs de courrier de Noël. À la fin du mois de mars 1971, le service d'Immigration quitta officiellement le Quai 21. Durant ses meilleures années, le Quai 21 et ses 221 000 pieds carrés d'espace nécessitèrent un effectif de près de 30 personnes en plus des agents d'immigration et des autres employés du Ministère. Il y avait 22 agents, un traiteur et son assistant, deux cuisiniers, quatre aides-cuisiniers, deux préposés à l’entretien général pour exercer les fonctions de concierge, deux infirmières et deux femmes de ménage. Le Quai comportait deux cuisines, deux cantines, une pouponnière, des installations pour les organisations bénévoles venant en aide aux immigrants, des guichets pour l’achat des billets de train, un bureau de change, de l’hébergement pour environ 120 personnes, des places assises pour 600 personnes en attente d'examen, un hôpital et une clinique ainsi que des quartiers de détention de haute sécurité pouvant accueillir dix personnes. Pendant les périodes d’affluence, on pouvait compter jusqu’à dix agents d'immigration impliqués dans l'examen des passagers arrivant. Deux autres agents pouvaient être occupés avec le règlement et le placement ou avec les conseils. Puis deux autres encore pouvaient être à bord du navire pour lui donner la permission de quitter le port. Deux agents pouvaient être requis à la passerelle et six autres en service à des endroits stratégiques dans tout le complexe. À l’occasion, l'arrivée simultanée de deux ou de trois navires faisait en sorte que des agents de bureaux devaient venir prêter main-forte pour les examens. Plusieurs navires situés le long du quai pouvait signifier un nombre total de près de 2000 immigrants, tous requérant d’être traités rapidement et efficacement. Les examens pouvaient durer jusqu’aux petites heures du matin avant que le tout dernier immigrant ne soit autorisé à aller prendre son train. Même dans de tels cas, les agents d'immigration devaient être présents le lendemain matin à l'heure habituelle. Certaines nuits, il leur aurait été préférable de rester au Quai plutôt que de faire le long trajet jusqu’à la maison, et de nouveau jusqu’au Quai. En 1971, tout cela était déjà chose du passé. Le Quai 21 n'était plus nécessaire et l’époque des grands paquebots était définitivement révolue. Les vols étaient maintenant plus réguliers, plus petits et plus faciles à traiter, présentant certains avantages pour les agents d'immigration. Néanmoins, malgré tous les avantages du transport aérien, beaucoup de gens vous diront qu’avec la fermeture du Quai 21, un chapitre de la vie canadienne s’est achevé. Disparus, apparemment pour toujours, sont l'émotion, le défi et l’exaltation de s’occuper de centaines, voire de milliers d'immigrants à la fois qui avaient voyagé pendant une semaine, ou même plus, pour atteindre le Canada et qui en avaient encore pour quelques jours de train avant d’arriver à destination; ces personnes dont la première impression fut celle d’un pays vaste et nouveau; ces personnes ayant des besoins spéciaux et des problèmes uniques; ces personnes qui, au Quai 21, pendant près de 50 ans, se sont rencontrées, ont été examinées, nourries, soignées, parfois logées, ont reçu de l’aide financière, se sont mariées et même, quelques fois, ont été enterrées. Le Quai 21 fut, à bien des égards, un véritable village autosuffisant, bourdonnant d’activités, dissimulé à l’intérieur du vaste mais non apparent hangar de transit, et les gens qui y travaillèrent ne l'oublieront jamais. Bibliographie [Comme les ouvrages suivants n’ont été publiés qu’en anglais, toutes les citations tirées de ces ouvrages ont été traduites dans le texte.] 1. The Open Gateway. Vol. 1, nº 2 (1932), p. 12., publié par Halifax Harbour Commissioners. Halifax, Nouvelle-Écosse 2. Canada and the Minority Churches of Eastern Europe 1946-50, Mackinnon, Ian Forbes. Bookroom, Halifax, Nouvelle-Écosse (1958). 3. Notes inédites de J. Hood. 4. Halifax: Warden of the North, Raddall, Thomas. McClelland and Stewart Ltd., Toronto/Montréal (1971).