Amossy Ruth, La présentation de soi. Ethos et identité
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Amossy Ruth, La présentation de soi. Ethos et identité
Communication & langages http://www.necplus.eu/CML Additional services for Communication & langages: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Amossy Ruth, La présentation de soi. Ethos et identité verbale, 2010, PUF, 235 p. Hécate Vergopoulos Communication & langages / Volume 2011 / Issue 167 / March 2011, pp 143 - 144 DOI: 10.4074/S0336150011011124, Published online: 03 May 2011 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0336150011011124 How to cite this article: Hécate Vergopoulos (2011). Communication & langages, 2011, pp 143-144 doi:10.4074/S0336150011011124 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/CML, IP address: 78.47.27.170 on 15 Feb 2017 LES LIVRES écriture limpide, témoignant de la volonté des auteurs de toujours faire émerger l’essentiel. Aussi, cet ouvrage intéressera les chercheurs en SIC, pas tant pour ses apports théoriques que pour ses qualités de clarté et de concision ; il pourra être un appui pour l’enseignant désireux de compléter sa bibliographie afin d’offrir à ses étudiants en information-communication ou en journalisme les moyens d’acquérir les bases de l’histoire récente de la presse française. JULIETTE CHARBONNEAUX LA PRÉSENTATION DE SOI. ETHOS ET IDENTITÉ VERBALE AMOSSY, Ruth, 2010, PUF, 235 p. Dans son dernier ouvrage, Ruth Amossy propose de penser la façon dont les individus, délibérément ou non, se donnent à voir quand ils prennent la parole ou la plume. Son objectif est de montrer, d’une part, que la « présentation de soi » – ou ethos – doit être conçue comme une dimension constitutive de tout type de discours et, d’autre part, qu’elle participe pleinement à la construction de l’identité du locuteur dans le monde social. C’est ce que l’auteur met en évidence, au moyen d’une pluralité d’analyses portant sur des textes politiques et médiatiques, mais encore sur des œuvres littéraires ou des situations d’énonciations ponctionnées dans le vaste corpus des interactions ordinaires. Son ouvrage se compose de deux parties. La première, intitulée « Les fondements théoriques de la réflexion », est consacrée au positionnement scientifique et à la construction notionnelle de l’objet. La seconde, intitulée, quant à elle, « Les modalités verbales de la présentation de soi », s’attache à étudier des situations spécifiques de discours pour proposer une grille de lecture et donner ainsi des outils d’analyse de la « présentation de soi ». Pour dresser le cadre théorique de la notion centrale de son ouvrage, Ruth Amossy mobilise trois types d’approches tout à fait distinctes : la rhétorique, et plus particulièrement la rhétorique classique d’Aristote ; la microsociologie d’Erving Goffman ; enfin, l’analyse du discours en convoquant, notamment, les travaux de Dominique Maingueneau mais aussi les siens. Elle rappelle ainsi qu’Aristote avait, parmi les premiers, pensé la construction d’une figure de soi dans le discours. Ce qu’il nomme ethos est un art de se donner à voir à travers une parole dans l’objectif de convaincre ou de persuader un auditoire. L’ethos était alors l’apanage des professionnels du discours (et plus particulièrement des hommes de loi). Quelques siècles plus tard, Erving Goffman propose la notion de 143 « présentation de soi » dans son ouvrage The Presentation of self in everyday life (1959). Il y montre que, dans toutes les circonstances de la vie, chaque individu effectue une présentation de soi, qu’elle soit volontaire ou non. Si le premier réduit, selon Ruth Amossy, l’ethos à une pratique professionnelle, le second ouvre, quant à lui, la notion de « présentation de soi » à toute forme de communication non-verbale. Cherchant à concilier ces deux lectures, l’auteur propose de définir la « présentation de soi », qu’elle tiendra pour synonyme d’ethos, comme « une mise en scène de sa personne plus ou moins programmée » à travers le discours. Le cadre théorique de son ouvrage repose ainsi sur les travaux qu’elle a menés ces dix dernières années sur l’analyse du discours et plus précisément sur la dimension argumentative de ce dernier (chapitre 1). L’ethos, ainsi défini, se construit nécessairement à partir de modèles culturels, c’est-à-dire de représentations préexistantes à l’acte de communication qui composent l’imaginaire social : « c’est dans l’échange, note Ruth Amossy, et donc en fonction de normes partagées, que je construis une identité à l’intention de mes partenaires » (chapitre 2). Ces modèles culturels ne sont pas, cependant, sclérosants. À travers le discours le locuteur peut les retravailler. En maniant sa parole, il peut ainsi modifier son « ethos préalable », c’est-à-dire « l’ensemble des données dont on dispose sur le locuteur au moment de sa présentation de soi » qui repose sur une intelligence sociale des modèles culturels (chapitre 3). En somme, l’ethos est une construction communicationnelle au sens où il s’élabore à travers la circulation sociale des discours. Dans la seconde partie, Ruth Amossy propose d’analyser certains types de situations de communication. Elle analyse d’abord « comment le sujet advient en disant “je” », ainsi que la façon dont « il se donne une identité à travers l’image qu’il construit de sa personne à la fois dans son énonciation (modalités de son dire) et ses énoncés (ce qu’il dit de lui) » (chapitre 4). Elle s’intéresse ensuite à la gestion collective de l’ethos. En partant d’un corpus de conversations orales et numériques, elle montre que l’ethos est un travail de réajustements permanents qui s’élaborent dans l’échange (chapitre 5). Elle s’attaque également à la question du « nous » et des identités de groupe. Elle questionne ainsi la façon dont le locuteur manifeste son appartenance à un groupe et met en évidence les enjeux politiques et sociaux de ce type d’énonciation (chapitre 6). Enfin, dans un dernier temps, elle analyse certains cas qui voient le locuteur se dissimuler derrière une troisième personne. Elle montre que ce procès d’effacement énonciatif, qu’on observe d’ailleurs souvent dans les discours scientifiques et journalistiques, participe lui aussi à la construction de l’ethos en ce sens communication & langages – n◦ 167 – Mars 2011 144 LES LIVRES qu’il engage notamment un idéal d’objectivité. Ainsi, le « je » n’a pas besoin d’être énoncé pour que l’identité du locuteur soit présentée (chapitre 7). Avec cet ouvrage qu’elle veut accessible à des chercheurs d’horizons divers, Ruth Amossy montre très clairement que l’identité n’est pas un donné ou une essence qu’on pourrait exhiber ou dissimuler. Elle se travaille, en effet, constamment et particulièrement à travers le discours, et se définit, en ce sens, comme construction proprement communicationnelle. HÉCATE VERGOPOULOS LE WEB COLLABORATIF. MUTATIONS DES INDUSTRIES DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION, BOUQUILLION, Philippe, MATTHEWS, Jacob T., 2010, Presses universitaires de Grenoble, 147 p. Dans la continuité des recherches menées au sein de l’Observatoire des mutations des industries culturelles (OMIC), Philippe Bouquillion et Jacob T. Matthews entreprennent dans cet ouvrage rigoureux une analyse critique du Web dit « collaboratif », également connu sous l’appellation « Web 2.0 ». À l’heure où le « passage du concept d’industries culturelles à la notion d’industries créatives consacre une évacuation quasi-totale de la posture critique qui caractérise tant les auteurs de l’École de Francfort » (p. 14), le parti-pris des auteurs semble particulièrement audacieux : Bouquillion et Matthews nous montrent avec finesse l’actualité d’une série de perspectives critiques qui résistent aux caricatures habituelles de la Kulturindustrie et s’avèrent très pertinentes dans l’analyse des discours d’accompagnement du « Web 2.0 ». Loin des querelles qui opposeraient des enthousiastes « intégrés » à des pessimistes « apocalyptiques » dans un débat réducteur, les enjeux relatifs au Web collaboratif sont restitués dans leur complexité communicationnelle et c’est là le grand mérite de l’ouvrage. Dans cette perspective, Bouquillion et Matthews s’adonnent à l’étude détaillée d’un ensemble de discours auto-promotionnels tenus publiquement par des acteurs professionnels du « Web 2.0 ». Faisant l’objet d’une soigneuse traduction bilingue, ces propos de propriétaires de plateformes vidéo, de développeurs de « mondes virtuels » et autres entrepreneurs californiens enrichissent l’analyse des apports éloquents d’un travail de terrain. Ce même souci de polyphonie dans le texte caractérise également la discussion approfondie des propositions théoriques d’auteurs anglo-saxons dont les points de vue circulent de communication & langages – n◦ 167 – Mars 2011 manière conciliante ou influente. Ainsi, les vues quasi-programmatiques de la « convergence culturelle » chez Henry Jenkins et les dichotomies de la global culture industry de Scott Lash et Celia Lury sont tour à tour relativisées dans leur approche de la culture et donnent matière à débattre. Forts de l’héritage critique de la négativité, Bouquillion et Matthews passent en revue une série de « nouveautés » attribuées euphoriquement au « Web 2.0 » et déconstruisent dès les premiers chapitres les matrices discursives de leur objet. Du côté des logiques socioéconomiques, l’inscription du Web collaboratif dans l’économie marchande soulève ainsi de nombreux enjeux relatifs à la mise en avant du modèle du user-generated content : la question obsédante de la « monétisation » chez les acteurs du Web (p. 18), le rapprochement des marques et de l’entertainment autour des contenus culturels en apparence « personnalisables », ainsi que leur supposée capacité à « révéler des comportements de consommation » suggèrent pour les auteurs une « culturisation » des marchandises qui glissent vers la vie intime dans cette « économie de l’intermédiation » (pp. 32-35). Cette trajectoire problématique se prolonge alors par la prise en compte d’une série d’implications idéologiques décelées en filigrane dans les discours des acteurs. Dans cette approche de l’idéologie qui articule « réalités matérielles et réalités idéelles » à la manière de Godelier, Bouquillion et Matthews identifient les ambiguïtés constitutives des thèmes de la créativité et de la consommation active telles qu’elles s’actualisent dans les propos cités (chapitre 3). Dans cette perspective, les « rhétoriques de l’empowerment » et de l’« engagement gratifiant » euphémisent ou euphorisent la productivité de contenus et de données marketing par l’usager fournisseur. La « participation » de cet « ami » qui « partage » est ainsi examinée dans ses semblants compatibles avec les idéologies professionnelles qui prétendent réunir les affects de marketeurs, fans et annonceurs dans une « économie de l’émotion » (p. 63). Pour les auteurs, l’« habileté idéologique du Web collaboratif » tend dès lors à « dessiner les contours d’un enrichissement et d’un épanouissement individuel qui profitent directement aux acteurs capitalistes » (p. 88). Dans la continuité de cette idée forte, le quatrième chapitre est ponctué par des questions corollaires proprement sociopolitiques : celles-ci concernent les facettes de ce qui serait « une expérimentation sociale à grande échelle » susceptible d’orienter sur le Web les rapports, les échanges, l’autonomie, la surveillance, le travail et le divertissement des figures de la « communauté » et du « sujet ». Tel que le suggère le cinquième et dernier chapitre de l’ouvrage, face au Web collaboratif