Japon - Jésuites

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Japon - Jésuites
JAPON
Le père Claude Roberge au Japon
depuis 55 ans
Voici l’occasion de rencontrer un de nos missionnaires qui s’est fait bien
discret au cours des ans. Le P. Claude Roberge est membre de la communauté jésuite de l’Université Sophia, à Tokyo. Arrivé au Japon en 1956, il y
a même fait sa formation théologique. Ses études en ont fait un spécialiste
de l’enseignement des langues et il s’est intéressé tout spécialement aux
personnes qui ont des troubles du langage. Le P. Roberge a constaté
combien ces personnes pouvaient se sentir exclues, marginalisées, et il a
dédié ses énergies à leur venir en aide. Laissons-le raconter l’histoire de sa
vocation et de ses engagements au cours de sa vie « japonaise ».
Notons au passage que cette entrevue a été réalisée avant le tremblement de
terre qui a secoué le Japon en mars dernier. Nous avons tout de même contacté à
nouveau le P. Claude en lui demandant son témoignage à la suite du cataclysme.
LE P. CLAUDE ROBERGE, À L’UNIVERSITÉ
SOPHIA DE TOKYO.
Pierre Bélanger: Père Roberge, ditesnous comment la vie religieuse vous
est apparue comme le meilleur choix
pour orienter votre avenir, au temps de
votre jeunesse.
Claude Roberge : Je suis né à SaintFerdinand-d’Halifax, dans le diocèse de
Québec; c’est maintenant Bernierville,
du nom du premier curé ou missionnaire de l’endroit. C’était un endroit
assez fermé, mon père était marchand
général. Il avait acheté son magasin de
son oncle qui n’avait pas d’enfants. Les
Roberge étaient dans les affaires.
Jusqu’à 10 ans, je suis allé à l’école du
village chez les sœurs Grises qui
admettaient les garçons. Ensuite, j’ai
fait 2 ans comme pensionnaire à
Vallée-Jonction, chez les sœurs de
Saint-François-d’Assise, puis un an au
Séminaire de Québec. Entre-temps,
mon père avait transporté son négoce
à Sherbrooke et j’ai donc fini mes
années de collège au Séminaire de
Sherbrooke, sous la responsabilité des
prêtres du diocèse qui enseignaient
toutes les matières.
À 83 ANS, LE PÈRE ROBERGE CONTINUE SON TRAVAIL QUOTIDIEN.
PB : Le Séminaire de Sherbrooke
était-il alors dédié à des jeunes qui
voulaient devenir prêtres?
CR : Ça s’appelait « séminaire » parce
que ça avait été fondé par l’évêque,
mais ce n’était pas une institution qui
préparait spécialement au sacerdoce;
beaucoup de mes confrères sont
devenus dentistes, médecins ou notaires. Mais je me souviens que le directeur, Mgr Napoléon Pépin, était vu
comme un « accrocheur de vocations ».
Un jour, il me fait venir et me demande
de lui parler de mes intentions pour
l’avenir. Je lui ai répondu que je
voudrais devenir jésuite. Il m’a dit :
« Pense aux besoins du diocèse et tu
Message du P. Claude Roberge suite au tremblement de terre, au tsunami et
aux émanations de radioactivité qu’a connus le Japon.
Lors de la bombe atomique de Hiroshima en 1945, l’imagination populaire
japonaise a créé le mot onomatopéique de « PIKADON ». « PI » qui réfère au
bruit de la chute de la bombe, « KA » lorsqu’elle a atteint le sol, et « DON » pour
représenter le bruit de l’explosion. Quelle onomatopée ne va-t-on pas inventer
maintenant pour représenter le tremblement de terre, les raz-de-marée qui ont
suivi et les explosions de la centrale nucléaire de Fukushima?
Une immense admiration jaillit de mon cœur pour ce peuple si vaillant, si
généreux, si admirable face à l’adversité. On nous abreuve d’images de ce
désastre. L’une d’elles m’a profondément touché : elle représentait un papa
tenant son jeune fils par la main. Tous deux se tenaient debout sur une mer de
débris… Il faudra aimer le Japon encore plus que nous l’avons fait jusqu’ici!
À suivre…
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reviendras me voir ». Je dois avouer
que je n’avais jamais rencontré de
jésuites de ma vie, mais c’est venu
comme ça!
PB : Comment pouviez-vous avoir
l’idée d’aller chez les jésuites?
CR : Je connaissais l’intérêt des
jésuites pour les études avancées et
j’aimais les études. Il y avait aussi leur
engagement dans les missions qui
m’attirait, leur côté international. Je ne
me voyais pas confiné au diocèse de
Sherbrooke!
PB : Jusqu’à la fin de vos études à
Sherbrooke, vous n’aviez jamais rencontré de jésuites. Vous souvenez-vous
de votre première rencontre avec l’un
d’eux?
CR : Oui, c’était le Père Jean Laramée
et, sans difficulté, il m’a invité à entrer
au Sault-au-Récollet pour le noviciat.
Mes souvenirs du noviciat sont assez
vagues; c’était aussi un milieu fermé
avec beaucoup de discipline. J’étais
tendu et je ne me sentais pas chez moi.
C’était un milieu vraiment nouveau, et
c’est comme si on devait se tenir sur
nos gardes, ne pas trop se faire connaître. Ça n’était certainement pas un lieu
de spontanéité car nous savions que
nous vivions une « période d’essai »,
qu’on pouvait nous demander de partir
n’importe quand. C’est peut-être moi
LE JAPON A BEAUCOUP CHANGÉ
DEPUIS LES ANNÉES 50.
PB : Vous avez donc été de
ceux qui se sont offerts pour
répondre à cet appel universel.
Étiez-vous
le
seul
Québécois à le faire?
CR : Il y eu aussi le père Conrad
Fortin, décédé il y a quelques années,
et le père Bernard Saint-Jacques qui,
lui, a quitté la Compagnie.
qui comprenais mal le contexte. Si
j’avais été plus dégagé, plus confiant,
c’eût peut-être été différent. Mais,
l’important, c’est que « je suis passé au
travers », je n’ai pas été malade. J’ai
maigri mais sans plus!
PB : Et comment la perspective missionnaire de votre vocation s’est-elle
dessinée?
CR : C’est un peu grâce à mon esprit
d’aventure que je suis devenu missionnaire. Nous étions au début des années
50; j’aurais pu partir pour la Chine puisqu’on en entendait beaucoup parler,
mais la Chine était fermée pour les missionnaires étrangers depuis quelques
années. Taïwan ne m’attirait pas tellement, mais le Japon avait la cote et le
Père Général demandait des vocations
pour ce pays d’Asie; si on s’offrait pour
le Japon, on était pratiquement certain
d’être accepté. C’est ce que j’ai fait;
j’avais alors 26 ans.
pas compter sur leur pays pour
envoyer de la relève. C’est ainsi que
des missionnaires de plusieurs pays
sont venus et les Canadiens, des
Québécois surtout, sont venus en
grand nombre. À un moment donné, il
y avait 400 missionnaires québécois
ici, au Japon, de diverses congrégations.
PB : L’Église jugeait que le peuple
japonais méritait une attention spéciale, en particulier à cause de sa situation
de pauvreté qui prévalait après la
guerre.
CR : C’est cela. Je me souviens qu’un
jésuite allemand, le père Lasalle (il
avait un nom français, mais c’était véritablement un Allemand) avait fait le
tour des Provinces pour demander de
PB : Vous êtes arrivé au Japon en
1956. Avez-vous eu des surprises? Le
Japon était-il ce que vous aviez
imaginé?
CR : Tout me surprenait : la façon
dont on saluait, par exemple, en s’inclinant. Tout était beau, amusant, comme
l’expérience de manger avec des
baguettes. La nourriture, les kimonos,
la densité de la population : tout nous
surprenait, tout était nouveau.
PB : La langue n’était-elle pas un obstacle?
CR : Nous allions d’abord à l’école de
langue, dans un milieu relativement
fermé. C’était sur une ancienne base
militaire des sous-marins japonais,
base que le général MacArthur, après
PB : Quel était votre intérêt pour le
Japon?
CR : Après la guerre de 39-45,
beaucoup croyaient que le climat était
bon pour convertir les Japonais au
christianisme : il fallait donc des missionnaires. On pensait qu’après l’échec
vécu par la société japonaise, le fait
d’avoir perdu la guerre contre les
Alliés, les gens étaient malheureux et
que le christianisme pourrait les aider
à surmonter leurs tourments. D’autre
part, les jésuites qui étaient restés au
Japon durant la guerre, des pères allemands, autrichiens ou belges, étaient
fatigués ou malades et ils ne pouvaient
LE P. ROBERGE AVEC CERTAINS DE SES ANCIENS ÉTUDIANTS.
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JAPON
l’aide, en particulier pour la
région d’Hiroshima qui avait
connu l’attaque de la bombe
atomique. Il demandait des
missionnaires et on se
doutait bien qu’avec les missionnaires viendraient des
perspectives de financement.
Toutes les Provinces qui pouvaient le faire faisaient un
effort
particulier
pour
appuyer la mission au Japon.
JAPON
LE PROFESSEUR
GUBERINA,
MENTOR DE
CLAUDE
ROBERGE.
la guerre, avait laissée aux Japonais
pour la « rééducation ». L’Université
Sophia existait déjà puisque nous
allons bientôt célébrer son 100e anniversaire, mais ça n’est pas ici qu’on
avait installé l’école de langue où j’ai
passé deux ans.
PB : Vous veniez au Japon. Qu’est-ce
que vous pensiez y faire, quels étaient
vos projets comme prêtre catholique à
ce moment-là?
CR : Soyons clairs : mon projet c’était
de baptiser beaucoup de Japonais, de
convertir le Japon! Si au début j’ai pu
faire quelques baptêmes, je me suis
vite aperçu que mes baptisés ne continuaient pas à suivre la voie catholique.
Après la cérémonie du baptême, c’était
fini! J’ai donc pensé qu’il me faudrait
une autre approche avec les Japonais
et j’ai compris que je devais avoir une
compétence académique pour être
accueilli et respecté. En un sens, c’était
un projet bien personnel et peut-être
même égoïste. Mais c’est aussi une
certitude qui m’est venue : je devais
acquérir une compétence professionnelle et pas chercher d’abord et avant
tout à baptiser le plus de gens possible.
études de théologie et mon ordination.
Puisque j’avais déjà enseigné le
français aux Japonais durant un an,
j’étais quelque peu au courant des problèmes rencontrés, en particulier des
problèmes de phonétique. À Paris, je
suis allé à l’Institut de phonétique sur
la rue des Bernardins. Il y avait là des
dames, françaises, pincées, qui insistaient surtout sur la manière de placer
la langue! Ça ne me satisfaisait pas.
DICTIONNAIRE JAPONAIS
SPÉCIALISÉ.
Tout à fait par hasard, j’apprends que
l’été suivant, à Besançon, il y aurait un
cours pour l’enseignement d’une
nouvelle méthode de français qui
s’appelait « Voix et images de France ».
Je me suis inscrit. Il y avait là 200
enseignants du français qui allaient
partir partout dans le monde, beaucoup d’entre eux comme missionnaires, en Amérique du Sud, en Asie, au
Japon même. Le corps professoral
était français, mais, pour la phonétique, il y avait des Croates – qui, à ce
moment-là, étaient yougoslaves. J’ai
trouvé leur méthode extraordinaire et
je leur ai demandé plus de précisions
sur celle-ci. Ils m’ont dit : « Notre professeur, le professeur Guberina, n’est
pas avec nous, mais il sera à Ponza,
une île près de Capri à l’automne. J’ai
suivi leur conseil et je suis allé à la
session du professeur en question.
L’eau chaude de la Méditerranée, la
bonne nourriture italienne : c’était une
occasion à ne pas manquer! Là-bas,
bien vite, le professeur m’a invité à le
suivre pour approfondir sa méthode
phonétique. Il m’a dit : « Claude, tu dois
venir à Zagreb! Tu pourras y faire les
‘optimales’ et tu vas voir ce qu’on fait
pour les sourds ».
Ce qu’il enseignait était tellement
intéressant – et ça répondait tellement à ce que je cherchais – que
j’ai passé par-dessus mes
préjugés sur les pays communistes! J’ai donc écrit au Provincial
du Japon qui m’a donné la permission de suivre le professeur
Guberina. Ça a remplacé le
voyage au Canada que j’avais
prévu, même si ça faisait 13
ans que je n’étais pas retourné
chez moi. Mais l’expérience en
valait la peine. Je me souviens
donc qu’à Zagreb, il y avait
deux Japonais, et ce sont eux qui
m’ont ouvert à cette notion des
« optimales ».
Qu’est-ce que c’est,
les optimales? Ce
sont les meilleures fréquences
de son qu’on
peut entendre,
à partir de son
propre univers linguistique. Dans la conversation
courante, la plupart des sons ont
PB : Et comment avez-vous fait le
choix de votre spécialité : les langues,
la linguistique, la phonétique?
CR : Après deux ans d’études du
japonais, j’ai commencé à enseigner le
français et on m’a dit qu’on me destinait à être professeur de français, ici,
au Japon. Mon sentiment, c’était que
je parlais « canadien » alors qu’il fallait
enseigner le français standard. Je suis
donc parti pour Paris, après mes
DES OUVRAGES DU P. ROBERGE : PUBLICATIONS
SUR LA MÉTHODE VERBO-TONALE.
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