Discours de Marc-Olivier Strauss
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Discours de Marc-Olivier Strauss
Discours de Marc-Olivier Strauss-Kahn Directeur général des études et des relations internationales de la Banque de France 16ème Journée du livre d’économie Paris, 26 novembre 2014 Mesdames, Messieurs, Bienvenue à la Journée du livre d’économie, que j’ai le plaisir d’inaugurer au nom de la Banque de France. C’est un rendez-vous annuel important de la pédagogie de l’économie, sujet qui compte pour nous. Vous y contribuez tous aujourd’hui par votre présence. Merci. Cette année, l’événement est dédié à l’entreprise, avec trois sousthèmes : entrepreneur, responsabilité et financement. Trois termes sur lesquels je reviendrai brièvement. Et, pour commencer de suite en essayant de vous faire sourire, je ne résiste pas à l’envie de citer la fameuse remarque attribuée au président Bush. Rappelez-vous : il aurait dit à J. Chirac et T. Blair que le problème, avec les Français, était qu’ils n’avaient pas même de traduction du mot anglais … « entrepreneur » ! 1 Au contraire de cette France parfois caricaturée en Amérique, le Français n’est pas fâché avec l’entreprise, pas plus qu’avec l’économie. Mais il appréhende parfois mal les deux et leurs interactions, celles de l’entreprise au cœur de l’économie. Je vais donc illustrer l’attention qu’il faut porter à l’entreprise dans la situation économique actuelle, d’une part, puis l’importance d’une meilleure pédagogie de l’économie et de l’entreprise, d’autre part. Quand on résume la situation économique actuelle, notamment française, on retrouve l’entreprise partout : d’abord, dans la panne d’investissement ; ensuite, dans la question du financement ; enfin, au cœur des réformes structurelles. La panne d’investissement, tout d’abord. Une des manifestations de la Grande Récession dont nous sortons à peine -la pire crise que le monde ait connue depuis la Grande Dépression des années 30- a été non seulement la chute de l’investissement des entreprises mais aussi la lenteur de sa reprise actuelle. Plus que la consommation des ménages, c’est l’investissement qui défaille. Pendant la crise, la chute de ce dernier a été telle que des machines n’ont pas été remplacées pendant longtemps et que des chômeurs de longue durée se sont retrouvés déqualifiés ; ils ont donc beaucoup de mal à retrouver aujourd’hui un emploi. Et, en sortie de crise, l’investissement n’est pas encore reparti, ou si lentement que la reprise n’est pas tirée par son fameux effet « accélérateur ». Autrement dit, la croissance potentielle, qui combine les facteurs « capital » et « travail », a décroché durablement. De la production a été perdue ; et son rythme de progression parait devoir être plus lent qu’auparavant ; et ce, pendant longtemps. Le financement des entreprises, ensuite : c’est le sujet de votre 2ème table ronde. Si le crédit aux ménages s’est toujours maintenu, celui aux entreprises avait baissé ; et s’il progresse actuellement en France, il décroît encore en Italie et en Espagne. Surtout pour les PME, que nous suivons de près à la Banque de France car elles n’accèdent pas au financement obligataire ; autrement dit : elles ne peuvent pas, ou peu, faire appel aux marchés en substitut aux crédits des banques, comme le font les grandes entreprises. 2 Or, ce sont les PME qui affichent le plus de créations d’emplois -vos emplois futursou plus précisément les nouvelles entreprises, souvent de petite taille. Dans ce contexte, qu’ont fait les banques centrales ? Elles ont été en première ligne. En termes de prix du crédit, les taux d’intérêt n’ont jamais été si bas à court et à long termes, comme le rappelle l’éditorial du Gouverneur de la Banque de France pour cette Journée. Et en termes de quantité, la liquidité fournie est aussi sans précédent et l’Eurosystème invente sans cesse de nouveaux moyens de refinancement, pour cibler les PME surtout. Au point que la plupart des experts pense que la croissance ne rebondira que si une action structurelle restaure la confiance en la demande future. Sinon, selon une formule imagée des Américains (encore eux), ce serait « comme pousser sur une ficelle » ! Ceci m’amène donc aux réformes structurelles, telles que le Pacte de Responsabilité - une responsabilité qui est également à l’honneur dans le titre d’une de vos sessions. En effet, le succès dépend beaucoup de la responsabilité des entreprises qui peuvent utiliser, par exemple, les réductions de cotisations sociales des employeurs pour renforcer la compétitivité-prix et/ou relancer l’investissement. Or, des recherches de la Banque de France montrent qu’une combinaison appropriée, courageuse, crédible et continue de réformes structurelles sur les marchés du travail et des biens rehausserait le PIB français de près de 10 points de pourcentage en une décennie. L’action de l’État peut également viser à ce que l’innovation se développe et les créations d’entreprises deviennent moins lourdes administrativement, par exemple. Au-delà de l’alternance des Gouvernements, les réformes s’enchaînent et vont dans le bon sens. Mais elles sont longues à porter leurs fruits ; leur rythme ne peut donc ralentir. La confiance dans leur poursuite est clé pour soutenir offre et demande. Restaurer cette confiance suppose alors que le public comprenne bien les rouages économiques. D’où trois remarques sur l’identification des besoins pédagogiques, la connaissance des entreprises et l’action des autorités, illustrée par celle de la Banque de France. 3 D’abord, la nécessaire pédagogie en économie. Sans anticiper sur le sondage IPSOS qui vous sera présenté dans quelques instants, je vais résumer un sondage TNS SOFRES réalisé pour la Banque de France à l’occasion des récentes Journées de l’économie (JECO) de Lyon. 61% des français sont intéressés par l’économie, mais 48% seulement des moins de 35 ans ! 62% des sondés pensent être bien informés sur l’actualité économique, mais cette information n’est compréhensible que pour … 40%. Et les derniers tests PISA de l’OCDE en matière d’éducation financière classent les jeunes français en dessous de la moyenne, pas très loin des jeunes américains d’ailleurs ! Ceci semble étayer la conjecture du Prix Nobel d’économie, Edmund Phelps, pour qui relever le niveau de culture économique des Français rehausserait la croissance potentielle. Ensuite, la connaissance de l’entreprise. Dans ce sondage, l’entreprise arrive juste après les finances publiques, la protection sociale et le coût de la vie dans ce que les Français souhaiteraient mieux connaitre. Mais les politiques de l’offre, comme la compétitivité, l’innovation et la baisse des charges, viennent aussi après des mesures de soutien de la demande les touchant certes plus directement comme le niveau des salaires et des impôts sur les ménages. Or méconnaissance ou incompréhension engendre la défiance. Le contraire de la confiance qu’il nous faut tous restaurer. Pour répondre à ces besoins en pédagogie ou connaissance de l’entreprise et, plus largement, de l’économie, les autorités ont une action coordonnée que je me contenterai d’illustrer par les initiatives que je connais le mieux, celles de la Banque de France. La Banque de France est d’ailleurs elle-même une entreprise, et même une entreprise industrielle via sa papeterie et sa fabrication de billets ; au-delà de son apport, déjà cité, au financement de l’économie, elle informe sur le monde économique et l’entreprise. 4 Son réseau territorial aide notamment à prévoir la conjoncture économique, à évaluer, voire coter, les entreprises et, depuis la crise, à servir de médiateur entre banquiers et entreprises fragilisées. Elle va même plus loin, en contribuant à l’éducation économique et financière. C’est dans son intérêt, d’ailleurs, car un public éduqué comprend mieux ses objectifs de stabilité monétaire et financière et l’aide ainsi à les atteindre. Je me limiterai à cinq exemples : Son parrainage de lycées, ses stages et ses ateliers ou conférences pédagogiques ; Son partenariat avec plusieurs universités françaises, qui a débuté en 2008 avec la Toulouse School of Economics et Jean Tirole, notre nouveau Nobel d’économie ; Son exposition itinérante sur l’économie, qui a attiré 175 000 visiteurs à la Villette jusqu’en janvier 2014 et qui est prévue à Marseille en 2015 et Bordeaux en 2016 ; Son projet de Cité de l’Économie et de la Monnaie qui créera à Paris une sorte de musée pédagogique, interactif et ludique, que l’exposition itinérante préfigure ; Le site internet citedeleconomie.fr qui s’adresse notamment aux jeunes de 15 à 25 ans et offre, sur l’économie et l’entreprise, des bibliographies jeunesse, des jeux (par exemple, via facebook, un jeu sérieux appelé Cit€co, sur la gestion de l’entreprise) et plusieurs vidéos pédagogiques. Et pour finir en clin d’œil, comme j’ai débuté par le regard de certains Américains sur les Français, je note que ces vidéos au grand succès n’hésitent pas à se présenter au besoin comme des dessins animés, des comics américains. Ces dessins animés où les Français, comme les Américains, excellent, mais où les héros américains comme Batman et Iron Man sont … des chefs d’entreprise : Wayne Enterprises et Stark Industries respectivement ! Je vous remercie. 5