Entre le possible et l`impossible, une circularité de potentialités

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Entre le possible et l`impossible, une circularité de potentialités
CIRC U L AT I O N
. 1994-1995 .
DÉTAIL DE L’INSTALLATION LA TAUTOLOGIE EST POURTANT SI RASSURANTE, CÂBLE ÉLECTRIQUE, DIMENSIONS VARIABLES,
TRANSFERT DE LA COLLECTION PRÊT D’ŒUVRES D’ART DU MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC, 2005.2569
022
Nathalie de Blois
Entre le possible et l’impossible,
une circularité de potentialités
023
024 Depuis plus d’une dizaine d’années, Michel de Broin approfondit une pratique
transdisciplinaire au moyen de laquelle il remet en question les systèmes
et leur articulation. Adoptant une attitude critique et ludique vis-à-vis des
objets usuels et des conceptions courantes, l’artiste s’applique à rendre
visibles, par la voie de métaphores et d’analogies d’une riche profondeur,
les forces à l’œuvre dans le mouvement des énergies qui guident nos actions
et gouvernent nos pulsions.
Sa production hétérogène et pourtant d’une cohérence étonnante se construit
par le jeu multivoque des références à la philosophie, à la langue, à la science,
à l’histoire de l’art, à la psychologie, au politique et au social. Se faisant le
lieu d’une mise à l’épreuve des mécanismes du pouvoir, elle fait naître un
faisceau d’associations qui inspirent la découverte d’une pluralité. La résistance, l’entropie, la circulation, la mobilité, l’échange et la communication –
autant de notions qui mènent toutes et chacune à la circularité du mouvement,
du sens et du désir –, telles sont les préoccupations inhérentes à une démarche qui exerce une grande fascination du fait qu’elle réussit à établir des
relations inédites entre des objets et des concepts éloignés, voire contradictoires. Mettant corps à corps l’art et la technique, l’art et le non-art, l’univers
artistique et ce qui se rapporte à la quotidienneté et à l’espace public, l’esprit
de cette pratique se rapproche de celui des avant-gardes historiques. Mais
c’est essentiellement le constat d’échec des grandes idéologies utopistes
que met en évidence son œuvre qui sans cesse se défigure et se trahit dans
l’exercice perpétuel d’une remise en question. Les oppositions qui s’y présentent de manière systématique révèlent, à travers la stratégie du jeu et du
défi, la recherche d’un point limite où les contraires s’harmonisent pour lever
les frontières.
Impertinent et paradoxal, cet art s’attache à « inventer des solutions » sans
causes, ce qui, ultimement, rend ces solutions absurdes. L’artiste, se confiant
à Nycole Paquin dans un entretien en 1999, explique : « L’œuvre est placée
au centre d’une chaîne métaphorique et c’est beaucoup plus sa capacité
à remétaphoriser, c’est-à-dire à déplacer le problème, que ses qualités
communicationnelles qui deviennent intéressantes en l’absence d’une vérité
à établir ou d’un message à promulguer 1. »
1
Michel de Broin, dans une correspondance avec Nycole Paquin, « Peut-on s’entendre sur l’inattendu ? »,
Espace, no 47, printemps 1999, p. 7.
Tout se joue dans le vertige des renversements, perversions, transsubstantiations, refoulements et libérations menant tour à tour à la dérive, à l’impasse,
à l’erreur et au leurre dans ce travail cherchant à confondre l’évidence. Le
présent essai parcourt par la voie de rapprochements et de détours cette
œuvre erratique et inclassable qui séduit du fait qu’elle échappe toujours à
l’effort de catégorisation et d’interprétation. Les regroupements nécessairement aléatoires ici proposés considèrent l’ensemble de cette démarche
irradiante, en passant par plusieurs pièces antérieures marquantes de la
production de l’artiste, pour mener aux œuvres inédites Silent Screaming et
L’engin, qui composent l’exposition à l’origine de cet ouvrage.
De quelques grains dans l’engrenage
C’est autour de la notion de résistance comme pouvoir subversif et source de
possibles que prend d’abord forme l’œuvre de Michel de Broin 2. Opacité
du corps dans la transparence du circuit (1997; p. 049-050) 3, qui donnait
aussi son nom à une exposition individuelle de l’artiste chez Circa, à Montréal,
a préparé le terrain à toute une recherche axée sur le potentiel de l’acte de
résistance. Recourant à la démonstration scientifique, cette pièce constitue
un circuit électrique dans lequel deux récipients d’huile minérale connectés par
un câble relient un verre à pied rempli de vin rouge et une ampoule, tous
deux immergés dans le liquide conducteur. Le dispositif permettait de faire
passer le courant par le vin afin d’alimenter l’ampoule et de produire de la
lumière. Mais, comme le vin est un piètre conducteur, sa présence au sein
du circuit avait pour effet d’entraîner une perturbation du flux énergétique,
un dégagement de chaleur et un affaiblissement du signal lumineux.
C’est précisément en cette dissipation de l’énergie hors du circuit que se
trouve la clé de l’œuvre. La perte invisible – bien que perceptible au toucher –
causée par la faible conductivité du vin se fait l’expression d’un potentiel
transgressif, d’une échappée, d’une fuite, d’une trouée irradiante génératrice de sens et d’un goût d’infini. Elle conduit de Broin à penser tout corps
2
Il est d’ailleurs à noter que l’artiste a consacré son mémoire de maîtrise en arts plastiques (UQAM,
1997) au thème de la résistance. 3 Une version légèrement différente et aujourd’hui détruite de cette
œuvre (Opacité du corps dans la transparence des circuits) avait été présentée deux ans plus tôt à
la Galerie Yves Le Roux.
025
L’I N T E R D I T D U C ARR É . 1999 .
ÉPREUVE NOIR ET BLANC À LA GÉLATINE ARGENTIQUE, 40 X 47 CM, ÉDITION DE 5
026 extérieur introduit dans un système où circulent des pouvoirs comme un agent
de résistance. « Une des prémisses de ma pratique, explique-t-il, consiste à
introduire un élément étranger à l’intérieur d’un système normatif pour voir
comment cet agent résiste et produit, dans son nouveau contexte, une réaction inédite, amenant des transformations dans l’ensemble du système 4. »
Cette force d’opposition qui, par essence, entraîne une déviation de l’activité
et de l’énergie est traitée par l’artiste comme une « puissance brute », une
puissance libre, mobile et sans valeur morale prédéterminée. Elle devient
en cela une condition première de son œuvre. « D’un point de vue politique,
explique-t-il, reprenant à son compte la pensée de Foucault, il [le pouvoir]
peut tout aussi bien servir l’oppresseur que de permettre la résistance à
l’oppression. […] En arts plastiques, il m’est apparu avant tout comme le
potentiel ou le combustible indispensable à l’œuvre 5. »
Transposé dans l’espace social, ce modèle systémique dans lequel de Broin
jumelle par un brillant tour de main des références christiques et scientifiques – avec cette incarnation de la résistance par la matière « opaque » du
vin et le lien de celle-ci avec la fluidité immanente de l’esprit – matérialise des
paramètres relationnels de communication et d’échange, et souligne, comme
le note le critique et commissaire Bernard Lamarche, « le défi de l’individualité
dans le flux dominant 6 ». Dans le prolongement de ce dispositif métaphorique
de la possibilité d’une existence étendue, plusieurs interventions ultérieures
de l’artiste trouvent dans la signalisation routière et l’espace public le lieu
d’une mise en cause des normes et des règles établies.
Baliser pour berner
Conjurer l’évidence du pouvoir, écrit Baudrillard, consiste à prendre le
revers des signes plutôt que de les approcher de face, et à faire le pari de
la simulation 7. De Broin est de ces artistes qui, par le biais de l’appropriation
ludique, se plaisent à extraire des signes et des objets de leur contexte pour
les insérer dans un nouvel environnement – matériel ou conceptuel – et les
M. de Broin, « Matière dangereuse », Inter, art actuel, no 76, été 2000, p. 30. 5 M. de Broin, dans une
correspondance avec Nycole Paquin, « Peut-on s’entendre sur l’inattendu ? », Espace, op. cit., p. 9.
6
Bernard Lamarche, « Michel de Broin : une logique du contre ? », Parachute, no 115, automne 2004,
p. 16. 7 Jean Baudrillard, De la séduction, Paris, Denoël, « Folio/Essais », no 81, 1988 [1979], p. 74.
4
027
028 charger de significations autres. L’idée du circuit comme force organisatrice
et structurante servant à orienter, à guider, à diriger se voit pervertie dans
l’acharnement qu’il met à confondre, à dérouter, à induire en erreur et à faire
tourner sur eux-mêmes les codes et les objets usuels. Par l’usage de stratégies des apparences et par la voie du récit, l’artiste introduit ici de fausses
perspectives, là il crée arbitrairement l’obstacle dans le but d’entretenir un
suspense et de susciter de déconcertantes surprises.
Matière dangereuse (1999 ; p. 053-057) est exemplaire à cet effet. Présentée
au Centre des arts actuels Skol en octobre 1999, cette œuvre installative
composée de plusieurs éléments prend racine dans une intervention de
l’artiste sur le réseau routier montréalais en juillet de la même année. L’action,
qui a tous les attraits d’un road movie, consistait à circuler au volant d’une
vieille automobile de modèle Ford Galaxie 500 avec un imposant cube noir de
quatre pieds d’arête (1,22 m3) sur le toit, et à passer sous un des pictogrammes
signalant, à l’entrée d’un des tunnels de la région métropolitaine, l’interdiction
de passage aux véhicules transportant des matières dangereuses. Cette
intervention recadre et adapte l’œuvre canonique de Malevitch Carré noir
sur fond blanc (1913) pour la transformer en représentation du danger par
son association à un régime signalétique qui utilise le carré noir comme
symbole du danger.
En jouant comme il le fait avec les ambiguïtés et les glissements de sens qui
découlent du rapprochement entre des cadres de référence distincts, de Broin
mobilise un arrière-plan historique qui rend à sa réflexion toute sa complexité.
Dans la confusion entre ces deux systèmes de représentation, l’icône devient,
paradoxalement, tant un signe transgressif qu’un signe prescriptif : « tous
deux se rejoignent en présentant ce qui excède l’ordre, soit pour l’interdire
dans le cas du pictogramme, soit pour l’invoquer dans le cas du tableau de
Malevitch 8 ». L’artiste ne fait pas que réactiver un symbole historique pour
notifier son existence, il l’introduit dans un tout autre espace narratif, lequel
prend forme dans un ensemble de sculptures et de photographies présentées
en galerie. Entre autres, l’œuvre in situ Le contenant ne peut supporter
le contenu (1999 ; p. 057) consistait en un immense cube noir passant
au travers des murs d’une pièce trop étroite pour le contenir de manière à
8
M. de Broin, « Matière dangereuse », Inter, art actuel, op. cit., p. 31.
évoquer les risques encourus par l’individualité tentant une percée dans
l’écran continu des représentations. Cette pièce majeure était appuyée par
différentes images photographiques dont Chercher la vérité (1999 ; p. 056),
montrant l’arrestation de l’artiste par les autorités policières sur un fond de toile
vierge, monochrome et « nue » comme ces grands panneaux publicitaires
photographiés un an plus tôt par de Broin (Nu, 1998 ; p. 092) avant qu’ils ne
soient ensevelis sous leur revêtement commercial habituel9. Insistant sur l’idée
voulant que mettre l’abstrait en relation avec le concret et le pragmatique est
un acte dangereux, ces œuvres illustrent avec sarcasme la complexité des
rapports entre l’art et la pensée dominante.
Le sérieux avec lequel l’artiste mène et présente son intervention devient un
effet de relief dans Matière dangereuse. Dans les détours qu’il invente pour
confondre les signes et les concepts se fait jour l’esprit comique et tragique
du jeu ironique qui « implique à la fois la conscience de sa propre futilité et
la tentation subvolontaire de s’y laisser prendre 10 ». L’ironiste, comme le décrit
Jankélévitch, « organise une guerre pour rire, une comédie de destin, mais
avec l’arrière-pensée que cette partie est comme un abrégé de l’aléa destinal,
que ce jeu est une guerre elliptique, que cette chasse sans danger est une
stylisation de l’aventure dangereuse 11. »
La transgression des limites et l’expérience du dehors qui sont au cœur de
Matière dangereuse s’accompagnent de la feinte dans Épater la galerie
(2002 ; p. 058-060) où l’artiste emprunte un symbole lié à la circulation routière
pour l’immiscer par simulation dans l’espace public et ainsi déjouer les
systèmes de sens et de pouvoir. Cherchant à rendre visible la Villa Merkel,
en Allemagne, où il avait été invité à produire une œuvre in situ, de Broin fait
passer d’immenses flèches lumineuses à travers les murs du bâtiment, comme
pour insister – en cette époque où l’on se bute à une incapacité de définir
À l’occasion de son exposition personnelle Chercher l’erreur, en 2003, de Broin décrit ces panneaux
comme « un espace libre qui s’ouvre dans l’espace public réglementé. L’espace libre ne peut être
confondu avec l’idée de liberté qui fonde le libéralisme, note-t-il, et dont on retrouve le concept dans
un univers de discours où l’on doit choisir entre différentes déterminations en fonction des normes,
institutions et responsabilité qui y sont assignées. J’ai vu de par ce trou, une faille dans la normativité,
dégagée de toute intentionnalité et de toute signification, où il n’y a ni culture, ni nature ». M. de Broin,
communiqué de presse de l’exposition Chercher l’erreur, galerie Pierre-François Ouellette art contemporain, Montréal, 2003. 10 Vladimir Jankélévitch, L’ironie, Paris, Champs Flammarion, 2002, p. 57.
11
Ibid., p. 57. Dans ce passage, l’auteur se réfère à un texte de Georg Simmel, « Das Abenteuer »,
Philosophische Kultur, 1911, p. 11-28.
9
029
PR É L È V E M E N T . 1996 .
INTERVENTION IN SITU, CENTRE D’EXPOSITION CIRCA, MONTRÉAL, 90 X 120 CM
030 avec conviction le sens de l’art – sur le fait que le lieu désigné est bien un lieu
de l’art et que ce qu’on y trouve, est bel et bien de l’art. Par l’utilisation ironique
d’un symbole stéréotypé de la culture commerciale nord-américaine, que
l’on retrouve le long d’immeubles au bord des autoroutes pour désigner aux
automobilistes la présence d’un motel ou d’un restaurant, de Broin opère un
déplacement astucieux. Ces flèches surdimensionnées transperçant les
murs de part en part et pointant dans toutes les directions détournent, en
effet, l’attention sur l’immeuble et ses espaces galerie dépouillés. En se
faisant invisibles par la méprise qu’elles provoquent, c’est à l’identité et à la
valeur symbolique de l’institution muséale même – lieu sacré aux yeux des
uns et inaccessible aux yeux des autres – qu’elles font référence.
Ce travail sur la frontière entre les espaces interne et externe oriente le discours
sur la question du lieu de l’art et connote la perméabilité qui s’est installée
au cours des dernières décennies entre l’espace public et l’espace muséal.
Comme le souligne Jean-Philippe Uzel, « De Broin a compris que l’espace
public est un lieu aussi institutionnalisé que le musée, que le lieu public est
en fait aujourd’hui l’ultime extension du musée 12. » Ce travail d’intervention
sur le double versant de l’intérieur et de l’extérieur rejoint le principe de la
porosité qui est fondamental dans la démarche de l’artiste. D’autres œuvres,
comme Prélèvement datant de 1996, s’établissent elles aussi en étroite relation avec le lieu où elles s’inscrivent pour souligner le lien indéfectible existant
entre l’art et la matière concrète du réel. L’artiste avait prélevé sur le « corps »
d’un des murs de la galerie Circa à Montréal un épais lambeau de peinture
formé des multiples couches accumulées au fil du temps, donnant ainsi lieu à
une belle métaphore des échanges entre l’être subjectif et le milieu extérieur
qui président à toute activité créatrice. Cette mise à nu symbolique dénote
que, comme la résistance électrique qui pour exister « doit ruser avec le circuit
en s’accaparant les pouvoirs disponibles 13 », l’art doit savoir ravir et séduire
les signes pour épater la galerie.
C’est aussi une sorte de ravissement qu’opère L’éclaireur éclairé (2000 ;
p. 061-062), cet imposant personnage campé entre l’intérieur et l’extérieur
d’un établissement d’enseignement qui s’est emparé d’un réverbère pour
12
Jean-Philippe Uzel, « Michel de Broin : l’espace public mis à nu par l’artiste même », Spirale, no 191,
juillet-août 2003, p. 47. 13 M. de Broin, « Résistance et expérience du circuit », dans Eurêka, Hull,
AXENÉO7 art contemporain, Éditions d’art Le Sabord, 1999, n. p.
031
032 éclairer l’immeuble qui l’abrite. Non sans parenté avec le geste de Prométhée
qui vola le feu aux dieux pour l’offrir en cadeau à l’humanité, ce geste
d’appropriation à la fois audacieux et irrévérencieux se veut une métaphore
de la quête de connaissance – bien légitime – de tout être. « Ici, explique
l’artiste, c’est le geste intrépide du personnage qui, dans son autonomie
singulière, éclaire et s’éclaire 14. » Cette pièce, qui reprend l’esthétique
réaliste du Malevitch des dernières années, fait une belle allusion au combat
contre l’illusion en peinture mené par ce dernier avant de réintroduire la
figuration dans son œuvre. Elle fait aussi référence aux philosophies des
Lumières – que revendiquait d‘ailleurs Staline – qui ont porté, malgré de
vigoureuses résistances, le flambeau d’un idéal collectif de libération et
d’autonomie de la pensée. Et surtout elle rappelle que l’aspiration utopique
des Lumières – qui comme toute idéologie est le fruit de croyances – a aussi
été l’occasion d’aveuglements et de bavures que nous nous devons
d’observer d’un œil critique et éclairé.
La quête de sens et de vérité qui constitue un des principaux enjeux de ce
travail figuré par le vocabulaire de la circulation et de l’aménagement routier
entraîne un dépassement du sens commun au profit de visions alternatives
et d’associations ludiques forçant une perversion des concepts et des signes
de manière à les ridiculiser et à les faire prospérer dans leur absurdité. Tel est
le cas d’ Entrelacement (2001; p. 063-064), segment de parcours asphalté,
entortillé sur lui-même et rajouté à une piste cyclable largement fréquentée
du canal Lachine. Les circonvolutions capricieuses du tracé, qui rappelle en
tout la spontanéité du dessin automatiste, rendent ironiquement ce parcours
à peu près impraticable sans encourir le risque d’accidents et de collisions.
Par sa contradiction intrinsèque, cette piste n’a d’autre conséquence que
de mener celui qui l’emprunte à la perplexité du paradoxe. Dans un texte
fondateur, de Broin résume l’essence de sa démarche qui s’évertue à prendre
en défaut la logique « rationnelle » :
Mes œuvres sont avant tout des erreurs, c'est-à-dire des occasions d’errance
et de disponibilité à l’incertitude. En l’absence d’une vérité qui pourrait garantir
le bienfait d’une proposition, c’est plutôt dans une expérience du dehors le plus
souvent paradoxale, sinon problématique que des objets troués se forment 15.
14
M. de Broin, texte de présentation de projet soumis au Programme d'intégration des arts à l'architecture du Québec, 1999. 15 M. de Broin, texte du communiqué de presse de l’exposition Chercher
l’erreur, op. cit.
L’errance et l’erreur ainsi traitées comme trouées favorisant une expérience
des limites offrent un territoire conceptuel et formel d’une richesse immense
qui incite de Broin à remettre constamment en question le sens systématiquement surimposé aux objets et à le dissoudre pour engendrer, comme le
souligne Rose-Marie Arbour, ouverture et liberté en faveur de ces derniers 16.
Cette idée de l’erreur et ses corollaires, l’inutilité, la déroute, la perte de
repères, le danger de collision et de catastrophe est reprise dans la sculpture
publique Révolutions (2003 ; p. 065-066) qui représente un gigantesque
escalier noué sur lui-même autour d’un noyau vide. Le motif enroulé de
cette imposante armature métallique qui, d’un côté, rappelle les escaliers en
colimaçon caractéristiques du paysage urbain montréalais et, de l’autre, fait
un clin d’œil aux manèges d’un parc d’attraction situé à proximité, apparaît
comme un risque d’ivresse perpétuelle. Mais surtout, cette volute aérienne
pervertit, à la manière des constructions astucieuses d’Escher, la qualité
première et fondamentale de l’escalier, sa verticalité, au profit du mouvement
cyclique de « l’éternel retour du même », selon la formule de Nietzsche.
L’artiste a déjà joliment exploité ce jeu de travestissement du principe interne
d’un objet existant avec la pièce Tromper le sens (1997), formée d’un fusil
de chasse dont le canon avait été replié sur lui-même comme une coquille
spiralée. Par la manipulation de son aspect sensible, de Broin soumet l’arme
à un double piège fonctionnel et sémiologique : il compromet son utilité première en la désamorçant, et du coup la dépossède de l’aura de puissance
menaçante qui lui est habituellement associée. Avec Révolutions également,
de Broin, pour qui la double entente demeure l’une des formules privilégiées
tant à l’échelle du mot qu’au regard des situations elles-mêmes, insiste sur
le pouvoir évocateur du titre : « chacun peut se projeter […] et entrer dans
le jeu de la “révolution permanente” 17 », explique-t-il, soulignant que l’œuvre
peut être comprise tant comme une répétition éternelle que comme une force
révolutionnaire instaurant un nouvel état des choses. À l’équivoque du sens
s’ajoute ici la référence au Monument à la IIIe Internationale (1920) de Tatline,
qui convoquait lui aussi l’imaginaire dynamique de la révolution. Mais l’œuvre
de de Broin renverse l’optimisme lié à l’idée de progrès porté par les avantgardes historiques au moyen du retournement qu’il fait subir à sa structure,
empêchant toute progression.
Rose-Marie Arbour, « Pour en savoir davantage... chercher l’erreur », Espace, no 66, hiver 2004, p. 40.
M. de Broin, texte de présentation de projet soumis au Programme d'intégration des arts à l'architecture du Québec, 2002.
16
17
033
034 Mobiliser, parasiter
La dimension révolutionnaire comme moteur de transformation et d’émancipation est certes un des fils rouges qui traversent cette production où
tout tourne autour d’un pouvoir de mobiliser, de canaliser, de régénérer et
de réorienter les énergies malgré des logiques qui souvent lui font opposition.
Incarnant la symbolique du renversement d’un ordre établi par la concentration de forces mobilisatrices, la sculpture Black Whole Conference (2006 ;
p. 067-068) forme une sphère composée de plus de 70 chaises agencées
en un réseau uniforme et étroitement lié, telle une étoile massive dont
l’effondrement amènerait la formation d’un « trou noir ». Tenant à l’écart tout
élément étranger – dont nous sommes – cette étonnante assemblée se fait
le lieu d’expression d’un pouvoir déplacé vers un nouveau centre où chaque
élément se partage la même fonction afin d'assurer la stabilité de l'ensemble.
Ce réseau d’autoprotection inspire l’image d’une cellule de conspirateurs dont
la machination secrète et le but essentiel seraient de conserver le contrôle
global des forces en présence. La question de la mobilisation et de l’appropriation de l’espace symbolique a été abordée quelques années plus tôt par
l’artiste dans l’installation vidéo Monochrome rouge (2002 ; p. 071-072).
Cette œuvre satirique mettait en parallèle deux animations figurant d’un côté
le putsch perpétré par un groupe de chaises rouges dans un entrepôt
encombré, obligeant le retrait de toute chaise affichant une autre couleur,
et de l’autre, la danse orgueilleuse d’une chaise rose au milieu des rouges,
fascinées par la manifestation de sa différence. Le jeu de manigances,
d’influences, de confrontations, d’expulsion et de séduction qui ressort de
ces animations décrit avec humour les contradictions inhérentes aux interactions qui régissent les relations entre les individus et ordonnent la vie
sociale. Il s’inscrit par ailleurs dans une logique globale de dévoilement du
fonctionnement des systèmes – qu’ils appartiennent au monde physique,
sociopolitique ou culturel – qui s’affirme dans toute l’œuvre de de Broin.
La pratique de l’artiste s’enracine également dans la réalité, comme nous
l’avons vu avec Matière dangereuse, pour trouver une application concrète et
se rapprocher du rôle social auquel de Broin se destine par l’acte de résistance.
C’est cependant sans provoquer de rupture, mais en cherchant toujours à se
confondre avec ce contre quoi il résiste – par le biais de stratégies d’immixtion
et de dissimulation – qu’il alimente les dérives et crée les conditions d’une
transformation – de voir, d’agir ou de percevoir. Rien ne sert de jouer « contre »
les systèmes, prévient-il. II suffit, comme la résistance électrique qui, pour
être effective, doit s’approvisionner à même le circuit auquel elle résiste 18,
de venir à leur rencontre et, par une simple manipulation des apparences,
de s’y fondre, de s’y connecter et de les travailler subtilement de l’intérieur.
Cette réflexion se matérialise pleinement dans le projet Tenir sans servir,
c’est résister (p. 051-052, p. 069-070) qui, depuis 1998, se décline sous
différentes formes. En faisant appel une fois de plus à la métaphore de la
résistance dans le circuit électrique, de Broin fabrique de petits dispositifs
de succion et d’échange qui se fixent à toutes les surfaces métalliques comme
la sangsue colle à la peau, pour en tirer l’énergie. En galerie, ces petits organes
parasites s’infiltrent ici et là, s’accrochant désespérément à un calorifère, à
une sortie de secours ou encore à n’importe quelle autre surface « nourricière »
à laquelle s’unir pour résister. Mais sans l’apport du circuit leur permettant
de sucer à plein l’énergie, ces petites résistances tombent à plat, toutes et
chacune pendues au bout de leur fil, et la sculpture se voit détruite.
Dans le lien dynamique où se joue un pouvoir, il n’y a pas plus de dominants
et de dominés que de victimes et de bourreaux, comme l’écrit Baudrillard.
Pas de positions séparées puisque le pouvoir s’accomplit là où il est mis au
défi d’exister. S’il ne peut « s’échanger » selon ce cycle minimal de séduction,
de défi et de ruse, poursuit l’auteur, il disparaît tout simplement 19. Toute la
puissance de l’œuvre réside dans cet effet de relation.
Tenir sans servir, c’est résister pose la question de l’autonomie et ironise
avec finesse sur le rapport d’interdépendance entre l’art et le système de
l’art en matérialisant ce rapport dans le dispositif de l’œuvre. Celle-ci trouvera
un prolongement dans l’espace public avec sa version portable et autonome
qui, en 2004, a donné lieu à une intervention exécutée dans le métro de Paris
avec la complicité de l’artiste Ève K. Tremblay dans un rôle d’activiste alors
que le plan Vigipirate se situait à un niveau d’alerte orange 20. Couvrant un
champ d’action plus large, cette version autonome est destinée à accomplir
une des tâches indispensables de la citoyenneté 21, soit le maintien d’un lien
social dénué d’intérêt utilitaire dans une société aujourd’hui de plus en plus
fragilisée et tout entière tendue vers la recherche de l’efficience.
18
M. de Broin, « Résistance et expérience du circuit », dans Eurêka, op. cit. 19 J. Baudrillard, De la séduction, op. cit., p. 69. 20 Le plan Vigipirate est un dispositif de sécurité français destiné à prévenir les menaces ou à réagir aux actions terroristes. 21 M. de Broin, site Internet personnel : www.micheldebroin.org.
035
036 Cette tentative de court-circuiter les pouvoirs par infiltration et simulation qui
‹
caractérise l’œuvre de l’artiste s’exprime également dans le geste de saisir
des concepts et de les retourner contre eux-mêmes. Invité à la 11e Biennale
des arts visuels de Pancevo en Serbie et Monténégro en 2004, de Broin
présente Réparations – Une participation volontaire au programme
de revalorisation des déchets (2004 ; p. 075-076), œuvre vidéo dans
laquelle se déroule une action menée plus tôt à Paris au cours de laquelle
l’artiste, muni d’un dispositif balistique fabriqué avec une pompe à bicyclette
et un simple bouchon de caoutchouc, propulsait dans le ciel des bouteilles
de plastique usagées trouvées au hasard de sa promenade. En pompant
vigoureusement l’eau et l’air comprimés dans les bouteilles qu’il avait récupérées, l’artiste provoquait une pression intense qui se soldait en la libération
violente du liquide – décharge qui n’est pas sans évoquer les effluves de la
jouissance – et la transformation de ces rebuts en véritables petites fusées.
À l’occasion de la Biennale, de Broin entreprend d’adapter son concept et
de le situer dans le contexte spécifique de l’histoire récente de la Serbie. Il
aménage sur le site de la Biennale un « Bureau des réparations » consistant
en une version plus élaborée d’une rampe de lancement que son dispositif
portatif ayant pour visée de nettoyer la ville de ces rebuts encombrants que
sont les bouteilles usagées en les projetant dans les airs. Avec ce dispositif
apparemment fonctionnel mais d’une utilité douteuse, de Broin rend opératoire le concept de « réparation » en exaltant son instrumentalisation jusqu’à
l’absurde. Pour l’entrepreneur aguerri, écrit-il :
l’écroulement de l’économie locale permet de bénéficier de la diminution des
coûts de production. De plus, le délabrement des infrastructures génère une
augmentation considérable des besoins et cela dans toutes les sphères d’activités. Et enfin, l’affaiblissement des réglementations permet d’opérer librement et
de s’implanter solidement dans le pays en liquidation. Bref, la Serbie est une
occasion d’affaires pour notre entreprise démagogique.
[Elle] ne dispose apparemment d’aucun dispositif de recyclage et les contenants
n’y sont pas consignés, ce qui explique en partie la surabondance de déchets
qui apparaissent dispersés dans le paysage. Notre dispositif industriel tire profit
de cette réalité qui contraste avec celle des pays riches, lesquels ont su gommer
les nuisances industrielles 22.
22
M. de Broin, « Bureaux des réparations », Inter, art actuel, no 89, hiver 2005, p. 46.
Par ce récit mêlant le factuel et le fictionnel au discours de la propagande
trompeuse, de Broin évoque, non sans dérision, la nouvelle « éthique industrielle » qui dissimule sous des prétentions humanistes et environnementales
des intentions mercantiles inavouées. L’artiste se réfère aux opérations de
récupération et au recyclage de l’uranium appauvri par de nombreux pays,
dont le Canada et les États-Unis, en vue de le réinvestir dans la fabrication de
munitions utilisées notamment par l’OTAN lors de ses « interventions humanitaires 23 ». Répliquant au non-sens de ces opérations menées sous de
nobles apparences, Réparations plonge dans un monde de contradictions.
Ce second extrait dépeint avec plus de force encore la nature satirique de
l’entreprise d’assainissement de de Broin et le renversement pervers auquel
elle ressortit :
Envoyer massivement des bouteilles dans le ciel est une manière inédite de
participer à la reconstruction de la Serbie en revalorisant ses déchets.
Bien que la transformation des déchets serbes soit une manière de chercher à
améliorer le sort de nos semblables par une action profitable menée de manière
désintéressée, les plaintes des citoyens et citoyennes serbes nous ont forcés à
suspendre nos activités. Le recyclage est un programme exigeant et nous avions
choisi l’implantation de l’usine en plein centre-ville pour faciliter l’accumulation
des déchets et assurer la participation volontaire des citoyens. Mais l’importance
d’agir pour le plus grand bien et d’autres problèmes de communications nous
ont empêchés d’organiser les consultations publiques qui auraient permis
d’informer les résidants avoisinant l’usine des retombées possibles de corps
insolubles dans l’espace aérien.
En effet, les bouteilles, au terme de leur voyage dans le ciel, ont tendance à
retomber sur le sol ou dans les jardins de la population locale. Il faut comprendre
que le cycle de recyclage doit être maintenu au risque de recevoir une bouteille
sur la tête. Si certains voisins, pour maintenir le cycle, ont bien voulu nous rapporter
les corps venus du ciel, d’autres l’ont fait avec un profond mécontentement, ce
qui nous a contraints à fermer l’usine.
En attendant l’éveil des consciences à la réalité du recyclage, l’usine restera en
arrêt de production. Mais le savoir-faire et l’ensemble technologique sont restés
entièrement disponibles, prêts à servir lorsque la population sera prête pour une
prochaine campagne de récupération massive 24.
23
Les bombardements de Belgrade par l’OTAN en 1999 auraient provoqué la contamination de l’atmosphère, des cours d’eau et des sols, entraîné l’apparition de graves problèmes sanitaires et causé la mort
de nombreux individus exposés. 24 M. de Broin, « Bureaux des réparations », Inter, art actuel, op. cit.,
p. 46.
037
038 Par ces raisonnements spécieux, de Broin démontre qu’il sait jouer de l’effet
de sous-entendu et manier l’art subtil de l’ironie qui, « mimant les fausses
vérités, les oblige à se déployer, à s’approfondir, à détailler leur bagage [et]
à révéler des tares qui, sans elle, passeraient inaperçues 25 ». À l’image de
l’entreprise ironique mettant à jour le leurre des discours, Réparations –
Une participation volontaire au programme de revalorisation des déchets
se tourne contre elle-même et s’édifie sur ce qu’elle prétend saper en
chargeant l’absurde d’administrer lui-même la preuve de son impossibilité 26.
En d’autres mots, elle répond à l’absurdité de la situation qu’elle entend
réparer en proposant une « solution » utopique et tout aussi absurde.
L’entropie renversée
Cette modalité de réparation se rapproche vivement du concept de dépense,
décrit par Bataille comme un ensemble de formes improductives caractérisées « par le fait que dans chaque cas l’accent est placé sur la perte qui
doit être la plus grande possible pour que l’activité prenne tout son sens 27 ».
Le concept de dépense productive qui est à l’état latent dans de nombreuses
œuvres antérieures de de Broin et qui s’articule, dans Réparation, par une
mise en scène de la volonté d'en « faire trop », devient un thème central des
œuvres Shared Propulsion Car (2005 ; p. 077-078) et Keep on Smoking
(2006 ; p. 079-080), lesquelles abordent les notions d’écologie, de recyclage
de l’énergie et de l’entropie tout en exploitant un principe et son contraire.
Si vous êtes des promeneurs qui, à l’été 2005, se sont baladés dans les rues
achalandées de New York, peut-être aurez-vous remarqué au passage une
Buick Regal 1986 dans le flot de la circulation urbaine. Mais encore peut-être
pas, étant donné que Shared Propulsion Car, malgré sa différence, présente
une apparence parfaitement conforme aux autres véhicules de son espèce.
De fait, sans modifier son aspect extérieur, de Broin a dépouillé le véhicule
d’une foule de ses composantes internes avant de l’envoyer sur la route,
remplaçant son moteur, sa suspension, sa transmission et son système électrique par quatre pédaliers. Outre le fait de réduire la vitesse maximale du
25
V. Jankélévitch, L’ironie, op. cit., p. 100. 26 Idem, p. 100. 27 Georges Bataille, La part maudite,
précédé de La notion de dépense, Paris, Éditions de Minuit (collection Critique), 1980, p. 28.
véhicule à 15 km/h, ce qui a eu pour conséquence de perturber la circulation,
cette altération commandait une attitude particulière en matière de conduite.
Impliquant l’action concertée de quatre passagers pour sa mise en marche,
Shared Propulsion Car semble en effet aux antipodes de la perception proprement individualiste de la conduite automobile qui caractérise notre époque.
L’enjeu de ce véhicule sans moteur à essence réside dans l’organisation
à créer de manière à ce que la force de travail (les cyclistes) trouve dans
sa mise en commun une source d’autovalorisation et un « pouvoir d’agir »
libérateur. Pour de Broin, cette situation de coopération doit être pensée
comme un processus souverain où l’objet du processus (sa visée) et le
processus lui-même (la mise en commun de la force de travail) construisent
par influence mutuelle un cycle capable de se poursuivre à perpétuité. Ainsi,
en troquant l’énergie non renouvelable du pétrole par celle que produit
l’effort humain, l’artiste prétend renverser le phénomène de l’entropie, qui
est le propre de tout système d’échange, en créant des machines capables
de fonctionner indéfiniment grâce à la seule énergie qui soit éternellement
renouvelable, dit-il avec humour, la « volonté de puissance » 28. Keep on
Smoking, qui affiche en apparence une attitude inverse, procède de cette
même réflexion sur la quête éternelle de l’autodépassement et la tendance
à la consommation excessive des ressources énergétiques naturelles par
l’activité humaine. Cette œuvre fait également appel à un véhicule de transport,
une bicyclette, mais celle-ci a été modifiée de manière à produire de la fumée.
Paradoxalement, l’utilisation de cet objet met en jeu des forces contradictoires
qui font que l’action de l’une voue fatalement l’autre à sa perte : plus le
cycliste pédale, plus la bicyclette libère de fumée, et plus il y a de fumée,
plus le cycliste est incommodé. En créant un cycle de transformation où la
dimension du faire s’accompagne distinctement de celle du défaire, de Broin
met en évidence les effets pervers de certaines de nos actions quotidiennes
et habitudes de consommation. Son œuvre, quant à elle, renvoie à la force
subversive qui conduit à consumer en pure perte toute énergie excédentaire
et résume la volonté de l’artiste de donner une propriété positive à cette
perte en se saisissant de « ce qui est considéré comme négatif pour le
retourner en pouvoir créatif 29 ».
28
En référence à la formulation connue de Nietzsche.
chercher l’erreur », Espace, op. cit., p. 40.
29
R.-M. Arbour, « Pour en savoir davantage…
039
040 Dans le même ordre d’idées, de Broin avait conçu en 2003 Monochrome
bleu (p. 073-074), consistant en un conteneur de déchets transformé en
confortable bain thérapeutique à jets propulsés. Cette œuvre hybride, comme
celles décrites précédemment, corrompt sous une apparence légère le sens
de l’objet utilitaire et formule une réflexion critique concernant l’exploitation
et le recyclage des ressources énergétiques. Par le passage drôlement habile
et déconcertant de l’image de la benne à ordures souillée à celle du jacuzzi
contenant une eau chlorée et filtrée, elle met à l’épreuve notre rapport à
une catégorie d’objets d’ordinaire peu attrayante, et entraîne du coup une
conversion de sa « coloration affective ». Vidé de ses ordures et rempli d’une
eau limpide et stérilisée, le conteneur sert dès lors de « cadre assurant la
pureté de son contenu 30 », écrit de Broin, parodiant au passage le dogme
greenbergien de la spécificité et de la pureté du médium – par l’abolition, en
peinture, de l’opposition forme/fond.
Tout m’avale
31
Le trop-plein comme le durcissement du discours qui menace l’équilibre des
systèmes – qu’ils soient d’ordre électrique, politique ou social – évoqué dans
plusieurs œuvres est contrebalancé par toute une part de la production
de l’artiste abordant le vide comme matériau. En 2002, dans le cadre de
l’exposition prévoyant des interventions dans l’espace public La demeure,
organisée par la commissaire Marie Fraser 32, de Broin propose de suspendre
une caravane – qu’il aurait occupée pendant quelques jours – à une grue, à
plusieurs dizaines de mètres au-dessus de la ville. Son projet, avorté faute
d’avoir pu obtenir les permis nécessaires à sa réalisation 33, se rapprochait à
certains égards de l’expérience d’Henry David Thoreau qui avait voulu, en
trouvant refuge dans les bois, redonner un sens au quotidien. Le montage
photographique Solitude (2002 ; p. 081-082) offre une illustration utopique
et absurde de cet idéal de vie indépendante en offrant une vue de la caravane
voguant dans un ciel infini pendant que se détache sous elle l’horizon entassé
30
M. de Broin, site Internet personnel : www.micheldebroin.org. 31 Sur ces mots d’une puissance
redoutable s’ouvre le célèbre roman de Réjean Ducharme, L’avalée des avalés. 32 En collaboration
avec la galerie Optica, Montréal, du 13 septembre au 7 décembre 2002. 33 À ce sujet, l’artiste écrit :
« D’un point de vue strictement pratique le fait de suspendre une caravane à une grue ne présente aucun
danger, ni aucun problème d’ordre technique : son utilisation est courante pour le transport d’ouvriers
vers les étages supérieurs de très hauts bâtiments. C’est symboliquement que se vit et se pense ici le
danger. J’essaie en fait de mettre en forme une manière de percevoir le danger comme se situant au
centre d’un paradoxe où il y a faillite de l’imaginaire, donc expérience extrême. » Texte non publié, 2002.
de l’agglomération urbaine. Cette représentation montrant le petit habitacle
en marge de la société, hissé entre l’espace de la communauté et l’extrême
solitude, dépeint cette idée de refuge mais d’un refuge vertigineux. « Du coup,
note l’artiste, la sécurité et le confort promis par la demeure sont compromis
par le danger imminent de la chute 34. » Comme pour l’auteur de La désobéissance civile, selon qui le remède au conformisme et à la résignation consiste
à s’ouvrir à « l’envers de ce qui est au-dedans de nous », l’expérience du nonlieu dans Solitude devient une occasion d’éprouver la séduction du vide.
La situation de retrait et d’isolement est également présente dans Trou
(2002 ; p. 083-084), caravane installée temporairement dans divers quartiers
de Montréal pendant la manifestation La demeure, à l’arrière de laquelle
l’artiste a pratiqué une ouverture lisse et arrondie, tout juste assez grande
pour qu’une personne puisse pénétrer dans sa cabine intérieure d’une blanche
pureté, exiguë mais invitante. Exaltant l’étrange puissance des formes vides,
cette cavité ambiguë et précaire suscite l’étonnement, voire la méfiance,
mais le désir y trouve rapidement un lieu d’absorption contemplative. Cet
espace n’est pas hermétiquement clos, séparé du monde et opposé à lui,
mais plutôt un espace où s’établit un dialogue entre la cavité bâtie et son
environnement. Orifice, enfoncement, passage, conduit, canal, la figure du
trou ajoute un enracinement sensuel où s’expriment les forces du désir.
Du « dedans » au « dehors », tout l’imaginaire de la vie se déploie entre les
schèmes de la pénétration, de l’aspiration et de l’absorption, de même que
ceux de l’ouverture, de la réception, de l’assimilation, de l’enveloppement et
de l’involution. Trou met en évidence la chair. Elle est forme nue, invaginée,
en attente de l’audacieux qui osera s’engouffrer dans l’intimité de son nid.
Parmi les multiples œuvres de de Broin qui jouent avec les frontières en les
déplaçant pour pénétrer d’autres mondes et se laisser pénétrer à leur tour,
plusieurs expriment une sexualité latente et côtoient d’une façon ambiguë le
symbolisme du refoulement et de l’attraction. Dans les œuvres Objet perdu
(2002 ; p. 085-086), Dedans/Dehors (2005) et Ironie (2002 ; p. 087-088),
toutes trois fondées sur l’organicité des matériaux et l’antithèse dynamique
du dedans et du dehors, le trou, en tant que cavité autour de laquelle la
matière s’organise, devient le lieu d’un mouvement libidinal.
34
Notes de l’artiste, énoncé de projet.
041
S O F IA . 2003 .
ÉPREUVE NOIR ET BLANC À JET D’ENCRE, 1/5, 99 X 150 CM, TRANSFERT DE LA COLLECTION PRÊT D’ŒUVRES D’ART DU
MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC, 2005.2714
042 Dans les deux premières pièces évoquées, un « corps caverneux », long et
souple gisant au sol, se rétracte dans l’arrière-monde d’un petit orifice pratiqué
dans un mur au premier indice d’une présence physique dans la galerie,
pour réapparaître seul une fois que son occupant l’a quittée. Ce va-et-vient
qui exprime une attitude ambivalente faite d’attraction et de défiance se
répète compulsivement au rythme des déplacements des visiteurs dans la
galerie. Par l’éternel recommencement qu’elles mettent en scène, ces œuvres
métaphorisent avec humour le concept psychanalytique du « retour du refoulé ». L’« objet perdu » se dérobant à la vue excite la curiosité et par là ouvre
la voie au désir. Mais dans ce travail de dissimulation, on pressent un plaisir
vicieux de l’économie et de la réserve : au lieu d’amener à la satisfaction du
désir, cette comédie ouvre sur la frustration de l’observateur dont l’attente
est déçue et la jouissance, refusée.
La puissance virile se voit autrement tournée en dérision dans la sculpture
Ironie qui met en jeu les figures archétypales du féminin et du masculin par
l’invagination d’une membrane saillante enclavée dans un caisson de plexiglas
lui-même intégré à une table. Aspirée par le vide, elle se déforme, se contracte,
se renverse sur elle-même et passe de protubérance à cavité dans un mouvement de « copulation mécanique » qui affiche, sans rien voiler, son absurdité.
L’intégration de ce mécanisme saugrenu célébrant l’inutilité à un meuble des
années 1950 – époque portée par la glorification de la machine, de la standardisation et de l’esthétique fonctionnelle – s’avère un véritable « délire ironique du
principe de fonctionnalité35 », une échappée face à l’hégémonie de l’efficience.
Le trou est aussi pouvoir d’absorption et d’anéantissement comme le
suggère le livre perforé en son centre dans la photographie Sofia (2003),
réalisée dans la ville bulgare d’où elle tire son titre, nom qui désigne aussi
une fascination pour le mystère de la femme. Ouvrant sur un espace insondable qui, comme un abîme, se creuse entre les pouvoirs de la connaissance
et ceux de l’endoctrinement, cette œuvre établit un lien sémantique entre
l‘origine étymologique du mot sophia et l’appellation de cette ville aujourd’hui
déshéritée de la « sapience » soviétique au profit d’autres valeurs. Elle rappelle,
comme nous l’a appris Socrate, que ni l’endoctrinement idéologique ni le fait
de se cacher derrière les acquis de la connaissance ne sont garants de la
35
J. Baudrillard, De la séduction, op. cit., p. 92.
043
044 sagesse : seul « le désir de Sophia perdure », souligne l’artiste, la vertu elle-
même ne pouvant être transmise. Tel le trou noir cosmique dont l’influence
augmente au fur et à mesure qu’il se nourrit de matière, le livre meurtri
absorbant Sofia hors du sens se fait l’expression d’une aspiration à la
pensée libre et affranchie de tout dogmatisme.
Machinations
Cette idée de percée libératrice, qui n’est pas sans évoquer la volonté déployée
dans le geste artistique, est reprise dans Silent Screaming (esquisse, 2006 ;
p. 014), œuvre qui invoque les notions de pouvoir et de coercition. Le dispositif consiste en une sorte d’appareil circulatoire étranglé où une cloche de
verre reliée à une pompe à vide enferme une sonnerie d’alarme, étouffe le
martèlement obstiné d’un petit marteau sur un disque de métal et fait tomber
l’appel acoustique dans le silence. Par un étrange retournement, le « cri » de
l’alarme qui sert habituellement à signaler une situation d’urgence devient ici
l’ennemi à combattre, l’énergie à contenir. L’ambiguïté du pouvoir est manifeste
dans ce mécanisme qui, tel un porte-voix renversé, empêche la libre communication du signal acoustique. Dévorée par le vide, l’alerte se fait l’expression
d’une force désirante refoulée par un contrôle répressif luttant contre tout ce
qui menace l’ordre existant. Et le pouvoir, de puissance sécurisante, devient
symptôme alarmant et source d’anxiété, du fait de sa censure.
Mais l’interdit, comme le suggère Silent Screaming, ne saura jamais triompher
de la puissance du désir d’expression. Tel l’objecteur de conscience qui, dans
l’arène politique, s’élève contre des mesures d’apparence cohérentes mais
non pertinentes et essentiellement destinées à renforcer des déterminismes,
le petit marteau maintenu dans l’isolement par l’enceinte scellée à vide résiste
aux forces coercitives qui pèsent sur lui et poursuit son assaut. Malgré son
retranchement forcé, ce messager dont les efforts cherchent à exprimer la
volonté n’agit pas en pure perte. Son opiniâtreté trouve à s’incarner dans une
force alternative située ailleurs, soit dans l’agitation de l’eau contenue dans les
réservoirs connectés par un tube de caoutchouc aux « orifices » de l’enceinte.
Déjouant les machinations du pouvoir oppressif, les bulles qui montent à la
surface de l’eau témoignent de la perturbation du système – autrement
invisible – et du « bouillonnement » occasionné par l’agitation du petit agent
perturbateur. Par ce déplacement – lequel se veut une tentative de réponse à
la campagne de peur et de désinformation qui sévit présentement à l’échelle
planétaire, affecte nos vies et met en péril les droits démocratiques –, de
Broin désamorce l’effet de coercition et redirige l’énergie triomphante dans le
sens d’un débordement ludique qui fait éclater le scandale des finalités vides.
La vague appréhension d’une menace s’inscrit également dans L’engin (2006 ;
p. 002-003). Par cette œuvre au volume imposant creusé en son centre, de
Broin s’écarte des objets utilitaires au profit d’une structure abstraite. Avec
sa cavité profonde, cette impressionnante figure oblongue peut évoquer par
sa forme organique et enveloppante l’image d’un cocon, d’une coquille, d’un
ovule ou d’un œuf, mais par sa taille on l’associerait davantage à une pièce
de machinerie lourde comme un missile ou un réacteur d’avion qui aurait été
troué ici et là par des projectiles. Mais cette forme qui, en définitive, demeure
sans ressemblance assurée avec aucun objet déterminé s’impose avant tout
par sa corporalité, l’évidence de sa présence physique, aérodynamique, et
son inertie.
À l’immobilité résolue de L’engin échoué en plein cœur de la galerie s’opposent
des images le montrant en suspension dans les airs comme un ballon en
apesanteur. Ces images modélisées, qui ressemblent à ce qui pourrait être
une simulation ou une démonstration des capacités techniques de cet « objet
volant non identifié », ajoutent un élément de fiction à la pièce exposée et
soulèvent certains soupçons quant à son identité et à sa fonction, pièce dont
le titre maintient d’ailleurs un flou sémantique. D’autres documents encore
alimentent le doute et font peser l’incertitude sur elle. Des images aériennes
du Musée national des beaux-arts du Québec permettent d’entrevoir l’ombre
de L’engin projetée sur ses installations architecturales. Comment cet objet
insolite s’est-il donc introduit dans le musée ?
Trop massif pour avoir pu pénétrer le bâtiment qui l’abrite sans causer
de dommages matériels, cet objet démesuré par rapport à l’espace qui le
contient – souvenons-nous de l’installation Le contenant ne peut supporter le
contenu – est une illustration de la nécessité, pour toute énergie de résistance,
de forcer son entrée au sein du système qu’elle veut ébranler pour y déployer
ses forces. C’est là où la limite a été atteinte que survient un potentiel de
dépassement et de libération.
045
046 Mais L’engin peut également être abordé sous l’angle des théories de la
conspiration, qui trouvent leur concrétisation la plus complète dans l’attentat
du 11 septembre. L’intromission et la présence inopinée de cette « machine »
mystérieuse et inquiétante, indéfinissable et fascinante au sein du musée
rappelle l’attaque du Pentagone, où aucune pièce qui aurait pu permettre
d’identifier avec conviction le Boeing 757-200 ayant percuté la façade de
l’imposant immeuble gouvernemental n’a été retrouvée après l’événement.
Selon la version officielle de la Maison-Blanche, l’avion se serait littéralement
pulvérisé « dans le ventre » de l’immeuble, symbole de la puissance étatsunienne, au moment de l’impact. Mais le trou béant de plusieurs mètres et
parfaitement rond présent dans la façade du bâtiment en laisse plusieurs
sceptiques à l’égard de cette théorie, ces derniers voyant plutôt dans l’engin
un missile 36.
De Broin raille la logique hasardeuse qui sous-tend l’explication du Pentagone
en pénétrant symboliquement par effraction à l’intérieur du musée avec son
prototype en ogive. Il identifie fallacieusement l’art aux inventions douteuses
qui mettent en péril l’ordre politique et social et, ce faisant, il expose la complexité des rapports entre le normatif et l’esthétique, c’est-à-dire, entre ce qui
est admis (socialement, juridiquement, moralement) et les conventions informelles qui délimitent l’art. Le flottement maintenu autour de L’engin et de sa
légitimité fait mine de réanimer les débats idéologiques et esthétiques suscités
par l’insoumission des avant-gardes artistiques qui ont dû élargir les frontières
de l’art afin que les critères de reconnaissance de l’œuvre d’art soient assouplis et que les nouvelles pratiques soient intégrées par l’institution 37. Il rappelle
que ce n’est qu’à la suite d’une lente évolution que le « trop-plein » décrié par
une génération peut être parfaitement intégré par celle qui lui succède.
Certains analystes proposent des théories et des explications qui remettent profondément en question
les déclarations officielles au sujet de l’attaque du 11 septembre 2001. Voir à cet effet les écrits de Thierry
Meyssan, L’effroyable imposture, Paris, Carnot, 2002, et Le Pentagate, Paris, Carnot, 2002. 37 De Broin
se réfère notamment au procès intenté par le sculpteur Brancusi qui, en 1928, avait poursuivi l’État
américain pour faire reconnaître à l’une de ses sculptures le statut d’œuvre d’art (celle-ci, ayant été
perçue comme un objet utilitaire par les douanes américaines, avait été lourdement taxée à son
importation). Ce procès mettait en scène « la difficile construction d’un consensus autour de l’art, valeur
fortement investie, mais dont de récentes tentatives de déconstruction avaient commencé, depuis au
moins une génération, à saper l’universalité ». Selon ses détracteurs, l’abstraction était le signe d’un
manque de talent et de l’incapacité pour un artiste de faire de la figuration. De plus, ces derniers prétendaient que « L’abstraction ou, plus précisément son excès, est propre à dénaturer, en la “pervertissant’’
l’œuvre d’art, au point de lui faire perdre son identité. » Nathalie Heinich, « “C’est un oiseau !’’ »,
Brancusi vs États-Unis, ou quand la loi définit l’art », Droit et société, no 34, 1996, p. 652, 666.
36
Ce rapprochement entre l’incompréhension par leurs contemporains des
propositions plastiques d’artistes novateurs de la modernité, tels les Malevitch,
Brancusi ou encore Duchamp, et la confusion générale qui règne aujourd’hui
au sujet des événements tragiques qui touchent le monde actuel – menaces
terroristes, attaques à la bombe, occupation de territoires par des forces
armées, guerres, etc. – nous apprend que, dans le domaine des faits et du
réel, comme dans celui des formes et des idées, le possible peut se manifester
à terme par une série d’impossibilités.
Toute en insinuations et en sous-entendus, la production de Michel de Broin
se pense, s’éprouve, s’expérimente et se jouit dans son ensemble au moyen
des sens et l’intelligence. Rigoureuse et rationnelle ici, elle se laisse, là, glisser
sur les rivages de la sensualité, de l’érotisme et du pulsionnel, pour jouer
ailleurs avec les limites imprécises existant entre la réalité et la fiction. Ces
traits particuliers marquent bien la nature paradoxale d’une œuvre qui scrute
et sonde l’articulation des systèmes du pouvoir sans pourtant chercher à
s’emparer d’eux.
Plutôt fondés sur la capacité de tromper et de détromper en mettant en
tension des forces et des énergies de sources aussi diverses que l’électricité,
la mécanique, l’idéologie et les pulsions libidinales, les manœuvres et les
mécanismes divers de de Broin sont tous et chacun l’ouvrage de machinations
ludiques, de mises en scène déroutantes et de ruses fines qui nourrissent
un questionnement constant sur l’interdépendance des systèmes. Fidèle
à l’esprit de son époque, cette œuvre s’élève contre l’évidence, fouille les
vérités, cherche l’erreur et s’insinue patiemment là où se cache la faille de
nos illusions. Par une approche multiple qui en appelle à la logique perceptive
comme aux investissements affectifs et à l’expérimentation dans l’espace
social, elle permet d’imaginer de nouvelles visions du monde et de nouvelles
perspectives d’existence. Elle se révèle, comme tout idéal, dans le vertige
d’une menace contre l’immobilisme stérile.
047