Coupe du monde 1938 : un diamant noir dans un ciel - E

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Coupe du monde 1938 : un diamant noir dans un ciel - E
Coupe du monde 1938 : un diamant noir
dans un ciel sombre
Le football a-t-il encore sa place si près de la guerre ?
1938. La coupe du monde se déroule au pays de Jules Rimet. Malheureusement, les crampons
laissent le pas aux bottes qui résonnent alors en Europe. La France vit encore dans l'espoir de la
paix alors que la marche vers la guerre est déjà inéluctable. Les matchs à Colombes sont une
parenthèse. Ils renferment le parfum d'une douceur de vivre dérisoire alors que l'Allemagne
hitlérienne multiplie les conquêtes en Autriche d'abord en mars 1938, puis en Tchécoslovaquie
(septembre 1938), en Pologne (1939) et sur tout le continent. L'Espagne se déchire depuis deux ans
entre Républicains et Franquistes. Un monde va bientôt disparaître pour céder la place à la folie, la
désolation et la mort.
Après la mise en scène fasciste de 1934, la coupe du monde 1938 confirme que le sport roi et la
politique sont étroitement liés au risque de voir l'esprit du jeu céder la place aux déchaînements des
passions nationalistes.
La coupe du monde commence au stade des 1/8 de finale avec 15 équipes et non 16 ! La grande
équipe autrichienne (4e de l'édition précédente) est en effet privée de compétition par l'Anschluss,
c'est-à-dire l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne en mars 1938, quelques mois avant la
compétition. Ses plus grands joueurs refuseront néanmoins de jouer pour l'équipe allemande dont le
maillot blanc est alors frappée de l'immonde croix gammée.
La coupe reste en Europe mais s'ouvre au monde
Après l'édition italienne, les sud-américains attendaient que la FIFA attribue à l'un des leurs,
l'Argentine, l'organisation de la prestigieuse compétition. C'est finalement la France qui l'emporte
sur ce terrain. Les boycotts se multiplient notamment de la part des Argentins et des Uruguayens.
Cette nouvelle discorde entre le vieux continent et le nouveau monde n'empêche pas le tournoi de
s'ouvrir de nouveaux horizons vers les Caraïbes avec Cuba et l'Asie avec les Indes orientales
hollandaises (future Indonésie).
Les affiches de ces 1/8 sont : Suisse-Allemagne, Cuba-Roumanie, Tchécoslovaquie-Pays-Bas,
France-Belgique, Hongrie-Indes hollandaises, Italie-Norvège et Brésil-Pologne. La Suède est
directement qualifiée pour les ¼ du fait de la défection des Autrichiens.
Les grands favoris de cette coupe du monde sont les Italiens, champions du monde en titre
emmenés par Meazza et les Brésiliens, éternels artistes du football qui comptent dans leurs rangs le
buteur Léonidas surnommé le « diamant noir ». L'Europe de l'est est également en position de force
avec ses dribbleurs tchécoslovaques et hongrois. Les Français espèrent aller le plus loin possible
devant leur public tout en étant conscients des limites de leur jeu par rapport à de nombreuses
autres équipes.
Pieds nus sous la pluie, Léonidas entre dans la légende
Après un 1er match achevé sur le score nul de 1-1, Suisses et Allemands doivent rejouer à nouveau
pour se départager. A l'époque, pas de séances de tirs au but, seule la victoire éventuellement après
prolongation permet d'accéder à l'étape suivante. Lors de ce 2e match, les Allemands prennent
rapidement les commandes en menant 2 à 0 au bout de 22 minutes. Les Suisses réduisent le score
juste avant la mi-temps. Ils devront attendre la dernière demi-heure pour renverser le cours du
match et marquer 3 buts en 15 minutes (dont 2 par Abegglen déjà buteur lors du 1er match). Le
public est alors ravi de voir les joueurs allemands éliminés par 4 buts à 2 par les Suisses, symboles
de la neutralité et de la paix, hôtes de la Société des Nations, l'ancêtre de l'ONU. Malheureusement,
un match de football ne peut changer le cours de l'histoire.
Les Cubains auront également besoin de 2 matchs pour se défaire des Roumains : 3-3 lors de leur
première confrontation, 2-1 lors de la deuxième.
Les vice-champions du monde tchécoslovaques ne font en revanche qu'une bouchée des Hollandais.
Emmenés par Nejedly, le meilleur buteur en 1934, les Danubiens remportent le match sur le score
de 3 buts à 0. Les joueurs aux maillots oranges devront attendre les années 1970 pour faire une
entrée fracassante dans le monde du football et ne plus jamais en sortir. Leur maillot orange
reconnaissable entre tous doit sa couleur au nom de la famille royale néerlandaise. La dynastie a été
fondée par Guillaume d'Orange au XVIIème siècle après l'indépendance conquise par les ProvincesUnies (c'est l'ancien nom des Pays-Bas) jusqu'alors sous la tutelle de l'Espagne des Habsbourg.
La France remporte assez facilement son 1/8 face au voisin belge par 3 buts à 1 dans le stade
olympique de Colombes, stade principal de la compétition. Nicolas marque les 2e et 3e buts et
emmène les bleus en ¼ pour la première fois de leur histoire. Le stade rempli de supporters français
exulte.
La Hongrie dynamite les Indes hollandaises. 6-0 pour les Magyars (nom historique des Hongrois),
les Indonésiens ne reviendront pas.
Très attendus, les Italiens déçoivent pour leur entrée dans la compétition. Il faudra un but à
l'arrachée de Piola pour leur permettre d'écarter les puissants scandinaves par 2 buts à 1. L'étoile de
la Nazionale ne scintille pas encore de mille feux.
Le dernier 1/8 est, sans conteste, le plus beau. Au bout du suspense et des prolongations, les
Brésiliens s'imposent 6-5 grâce au génial Léonidas qui jouera quelques minutes pieds nus sur une
pelouse détrempée ! Léonidas ouvre le score, les Polonais égalisent 5 minutes plus tard. Les
Auriverde accélèrent, 2-1 puis 3-1 avant que les Polonais marquent 2 nouveaux buts en début de
2ème mi-temps : 3-3 ! Les Brésiliens reprennent l'avantage et croient à la victoire. Ils auront besoin
d'une prolongation car les Polonais égalisent à 4-4 à la 89ème minute. Léonidas marque 2 nouveaux
buts. Le Brésil prend le large, un dernier but polonais ne les empêchera pas de poursuivre leur route
vers le titre que tout le monde attend de l'autre côté de l'Atlantique.
Les Bleus en ¼ face aux champions du monde italiens
Les ¼ de finale sont France-Italie, Suède-Cuba, Hongrie-Suisse et Brésil-Tchécoslovaquie.
Au stade de Colombes, la France rencontre à domicile les champions du monde en titre pour une
affiche de rêve. C'est le 1er épisode d'un futur grand classique européen (coupes du monde 1978,
1986, 1998 et 2006, Euro 2000). les bleus sont cueillis à froid par les Italiens déjà très réalistes. 1-0
à la 9e minute. Dans la minute qui suit, les Français reviennent au score grâce à l'attaquant du RC
Strasbourg Oscar Heisserer. Le match reste longtemps indécis et serré avant que les Italiens ne
trouvent la faille en 2e mi-temps par leur buteur Piola qui inscrit deux nouveaux buts. Eliminés par
3 buts à 1, les Français n'ont pas démérité mais ils sont encore trop juste pour rivaliser avec les
meilleures équipes.
Les Suédois, qui n'ont pas encore joué, écrasent des Cubains fatigués par leur double confrontation
avec la Roumanie. 8-0. Le score est sévère pour les Caribéens.
La Hongrie se défait de la Suisse dans son ¼ par 2 buts à 0. Zsengeller s'illustre une nouvelle fois.
Le dernier match est le plus indécis sur le papier. Brésiliens et Tchécoslovaques sont en effet 2
candidats sérieux au titre mondial. Comme souvent, ce sont les grands joueurs qui forcent le destin
et se révèlent dans ce type de match. Léonidas marque encore. Nejedly, le meilleur buteur de la
coupe du monde 1934, lui répond. 1-1, il faudra rejouer pour connaître le vainqueur. Les
Tchécoslovaques prennent l'avantage en 1ère mi-temps. Les sud-américains piétinent, leur jeu
offensif se grippe... jusqu'à la 57e et un but de l'inévitable Léonidas. 15 minutes plus tard, les
Brésiliens marquent une 2e fois. Ils iront en ½ finales.
De l'orgueil brésilien et du réalisme italien
Le duel le plus attendu du dernier carré est Italie-Brésil, tout le monde étant persuadé que le
vainqueur sera champion.
La première demi-finale ne laisse aucune place au suspense. Les Hongrois balayent les Suédois par
5 buts à 1 (3-1 à la mi-temps). Les Hongrois accèdent à leur première finale grâce à un triplé de
Zsengeller, une 2e suivra en 1954, âge d'or du football magyar.
Dans l'autre demi-finale, la surprise est totale lorsque les joueurs font leur entrée sur le terrain.
Léonidas n'est pas sur la pelouse. Comme aucun remplacement n'est possible en cours de match, le
buteur brésilien restera sur la touche pendant toute la rencontre. Ce choix est dicté par l'entraîneur
sûr de la victoire et désireux de laisser au repos un joueur très sollicité depuis le début de la
compétition. Fatale erreur à l'origine de la première grande désillusion brésilienne en coupe du
monde (suivront notamment 1950, 1982, 1998 et 2006) ! Les Italiens maîtrisent le match. Ils
ouvrent le score en 2e mi-temps grâce à Colaussi. Meazza marque le but du 2-0 sur pénalty, les
Brésiliens ne feront que réduire la marque dans les dernières minutes. 2-1, l'Italie défendra son titre
en finale.
Avant cela, les Brésiliens remportent le match de la 3e place, 4-2, contre la Suède avec 2 nouveaux
buts de Léonidas.
Bis repetita pour la squaddra azzurra
La finale commence tambours battant. Colaussi ouvre le score à la 6e minute. La Hongrie égalise à
la 8e. Piola redonne l'avantage aux Transalpins avant que Colaussi marque un 2e but. 3-1 à la mitemps. Les Hongrois reviennent à 3-2 à la 70e avant que Piola marque lui aussi un doublé. 4-2,
l'Italie est championne du monde.
Cette victoire a néanmoins un goût amer pour le public lorsqu'il voit les joueurs italiens multiplier
les saluts fascistes en hommage à Mussolini. La propagande se saisit de cette victoire pour
démontrer aux masses la prétendue supériorité du fascisme sur la démocratie.
Côté sport, on notera que l'Italie réalise un doublé (1934-1938) que seul le Brésil est parvenu à
réitérer (1958-1962). Piola et Colaussi réalisent chacun un doublé en finale, ils seront imités par
d'autres grands joueurs comme Pelé, Zidane ou Ronaldo.
Les légendes de cette édition sont Léonidas, le héros malheureux, joueurs aux pieds nus et meilleur
buteur avec 7 buts, Zsengeller le buteur hongrois (6 buts), Piola le buteur italien (5 buts), et Meazza,
le maître à jouer des champions du monde. Vittorio Pozzo s'impose comme un entraîneur de génie
avec ce deuxième trophée mondial.