Assemblages, l`hypothèse d`un stade impressionniste du

Transcription

Assemblages, l`hypothèse d`un stade impressionniste du
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Assemblages,
l’hypothèse d’un stade
impressionniste
du design graphique
g.u.i.
1841, mise au point du brevet du tube de peinture souple et d’une pince de fermeture du tube de plomb, par l’artiste John Goffe Rand. La réduction du prix de fabrication des peintures « transportables » les rend accessibles aux jeunes peintres. Auparavant, on utilise des vessies de porc séchées, des seringues en verre et en métal,
difficiles à l’emploi et au coût élevé. Windsor & Newton, en Angleterre, poursuit les
recherches technique pour la peinture en extérieur depuis leurs débuts en 1835. Le
«Moist Water Colour pan» est commercialisé en 1840 : création de la seringue en
verre. En 1842, un an seulement après le dépôt de brevet de J.G.Rand, le « collapsible
tube ». L’entreprise semble revendiquer l’utilisation de leurs peinture par JMW Turner
en 1844 pour la célèbre toile Rain, Steam & Speed: The Great Western Railway. En
1859, la Maison Lefranc, en France, améliore le principe du bouchon à pas de vis,
rendant la pratique de la peinture de plein air (voir par exemple l’école de Barbizon)
plus accessible et plus aisé, permettant alors l’essor de l’impressionnisme dans les
décennies suivantes. 1840, Talbot invente le calotype permettant la reproduction et
la diffusion d’images multiples. Durant les années 40 et 50, poursuite de la simplification de la prise de vue et de la sensibilité des surfaces.
L’île de Croissy = Île de Chatou = Île des Impressionnistes = Île Fleurie = Île Saint
Martin = cinq noms pour un morceau de terre. C’est là, en 1869, que Monet et Renoir
peignent Bain à la Grenouillère et La Grenouillère. Beaucoup de solvant, très mat,
pas de vernis. Ce n’est pas de la peinture à conserver, pas pour l’éternité. Une technique de l’éphémère. La fabrication d’images vraiment ancrée dans l’instant.
En travaillant sur ce livre et sur l’exposition de Degré 48 au cneai=, forcément, tout
ça revient. L’île des Impressionnistes, l’histoire d’une épiphanie. On peut à ce moment-là fantasmer que le projet Degré 48 proposerait l’hypothèse d’un stade impressionniste du design graphique. Un moment où les techniques éditoriales permettraient de poser autrement le temps dans l’image pour la saisir dans sa séquence. Il
ne s’agit pas que de la fabrication de l’image. Ce sont des assemblages — de contenus divers : photos, dessins, textes, mots et lettres — de techniques et technologies,
de captation, d’enregistrement, de composition, de communication, d’impression.
Il y a dans ces pages, dans ces manifestes, du dessin vectoriel, de la découpe, de
l’échange de sms, de la mise en réseau, du scan de livre, de la copie de document
numérique, de l’envoi par wifi, de l’envoi par téléphone, de la capture d’écran, du
transfert de fichier sous la porte, de la composition avec du papier, avec une souris, avec du code, contrôlée, aléatoire, automatique, de l’impression jet d’encre, de
l’impression offset, du ton direct et des feutres, de l’encre de chine et du toner, des
papiers qui circulent et du torrent…
À l’origine, la demande était simple, imprimer les manifestes commandés aux
artistes. C’est devenu un enjeu de documentation. Mais une documentation toute
subjective, pleine des sujets en présence. Pleine du public, des performers et des
rapporteurs-éditeurs. En cela, nous tentons de fabriquer des représentations visuelles de ces moments de performance. Pour fabriquer des représentations au rythme
de la performance. Pour en saisir les temps.
Alors nous éclatons les sources. Chacun est un rapporteur. Le travail est celui de
l’assemblage, de la sélection et de la composition. Pas de captation de vidéo, pas de
documentaire. C’est pour maintenant, pas pour toujours. Nous utilisons divers outils,
nous n’en inventons pas, nous assemblons.
Il y a une première couche. C’est un agglomérat. Ce sont les résidus d’un vrac violent
formé par les manifestes historiques, de leurs formes de diffusion par la vue ; textes
et images, imprimées ou numériques. Ce sont par exemple: Manifeste du Futurisme
– 1909, Manifeste Dada – 1918, Manifeste De Stijl – 1918, Manifeste du surréalisme,
1924, Base de la peinture concrète – 1930, Manifeste contre rien pour l’exposition
internationale de rien – 1960, Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme – 1960,
Manifeste Fluxus – 1961, First Things First – 1964, Manifeste du hacker – 1986, the
Riot Grrrl Manifesto – 1991, Repair Manifesto – 2004, Neen Manifesto – 2006, Free
Font Manifesto – 2006, Manifeste du Musée de la danse – 2009, Incomplete Manifesto for Change – 2011... Tous rediffusés, dédoublés, multipliés sur le net. Nous en
prenons la trace, nous accumulons leur structure visuelle, les grilles dont elles sont
faites, les tracés et blocs qui les composent. Nous jouons de la juxtaposition éclectique, passée au filtre de la trame et de la couleur. C’est une première impression,
toujours la même.
Puis il y a une seconde couche, une seconde impression. C’est un texte. C’est manifeste. Il est composé des signes hétéroclites trouvés, des lettres glanées que nous
confrontons. Nous les rassemblons en une typographie, c’est le 48 Doux. Une typographie multiforme, on tape un « D », on tape un « E » et là, le « D » change. Les
confrontations mélangent les signes, troublent la frappe. Puis de leurs empilements
violents, jusqu’à retrouver un corps dur, un corps commun, un squelette direct et
bancal, nous assemblons le 48 Dur. Deux typographies, la première faite de juxtapositions, la seconde de superpositions.
Enfin il y a une troisième couche. C’est elle qui marque la manifestation, qui prend
note du temps public, de ce qui se passe, de ce qui s’énonce, dans la durée de la
performance. C’est elle qui ferait entrevoir ce stade impressionniste. Une couche qui
se transforme sans cesse, à chaque impression, toutes les 15 secondes, au rythme
des outils. Chaque fois un dispositif technique se teste et s’invente, à plusieurs, à
beaucoup.
Les pages précédentes déroulent une sélection des séries imprimées.
Les pages suivantes présentent les 10 dispositifs, outils d’édition, conçus pour chaque
soirée.
L’exposition au cneai= de novembre 2014 à avril 2015 a permis de confronter directement les documents sources, les impressions obtenues et les dispositifs qui les ont
générés.