Eux présidents», les scénarios de 2017 : Justus Lipsius

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Eux présidents», les scénarios de 2017 : Justus Lipsius
«Eux présidents», les scénarios de
2017 : Justus Lipsius (épisode 2/2)
Élue présidente de la République, Marine Le Pen s’envole pour Bruxelles
afin d’assister à son premier Conseil européen.
«Eux présidents»: jusqu’au 26 août, Philippulus imagine ce que pourraient
être les 100 premiers jours des uns et des autres. Chacun a droit à deux
épisodes pour convaincre, ou non…
Ce Conseil européen fut homérique et il faudrait noircir des centaines de
pages pour tenter de résumer les discussions véhémentes qui eurent lieu à
Bruxelles sous les toits du bâtiment Justus Lipsius, cadre habituel des
réunions des chefs d’État et de gouvernement de l’Union. À côté, le célèbre
sommet de février 1988, qui vit Jacques Chirac prononcer cette forte phrase à
propos de Margaret Thatcher: «Qu’est-ce qu’elle veut encore cette ménagère,
mes couilles sur un plateau ?», passerait presque pour un modèle de
courtoisie et de bienséance.
De nombreux dirigeants des 27 (le Royaume-Uni avait fini par larguer les
amarres deux mois plus tôt, à son bénéfice) refusèrent de serrer la main de
Marine Le Pen lorsqu’elle entra dans la salle du Conseil, et principalement
Angela Merkel, qui au moment où la chef de l’État arriva à sa hauteur,
s’engagea opportunément dans une conversation passionnée avec le premier
ministre maltais. À l’extérieur, tout ce que l’Europe compte
d’altermondialistes chevelus et bruyants manifestait en brûlant le drapeau
français, sous l’œil de 28.000 policiers surarmés venus de tout le royaume de
Belgique. À l’ouverture de la séance, le président de la Commission JeanClaude Juncker se crut obligé d’esquisser une grimace en cédant la parole à
Marine Le Pen. Le discours de la nouvelle chef de l’État dura une heure et
tout y passa. La faillite politique de l’Europe, son ultralibéralisme, ses
frontières poreuses, ses travailleurs détachés, ses millions de réfugiés
«attirés chez nous par quelqu’un de nuisible dont je tairai le nom mais qui
est assise à cette table et se reconnaîtra », ses djihadistes «qui attendent
le bon moment pour nous assassiner tout en touchant tranquillement nos
minimas sociaux ». On s’en doute, l’atmosphère était étouffante et il fallut
l’inattendue force de persuasion du premier ministre letton pour qu’Angela
Merkel ne quitte pas la séance.
À la fin de sa démonstration, Marine Le Pen sortit un petit papier que lui
avait griffonné son père avant son départ. Et elle lut: «Mesdames et
messieurs, Justus Lipsius, né en 1547 dans le duché de Brabant, donc pas loin
d’ici, promut un stoïcisme chrétien qui peut se résumer de la façon suivante,
et pardonnez-moi de citer Wikipedia, et pardonnez-moi aussi d’être un peu
moyen-âgeuse !: “La rationalisation de l’État et de ses organes exécutifs, un
gouvernement autoritaire du prince, l’éducation des citoyens à la discipline,
et une militarisation importante de la société”. Bref, Justus Lipsius, à qui
vous avez donné le nom de ce bâtiment, c’est moi ! Et ce n’est pas vous ! Si,
depuis tant d’années, vous n’aviez pas été si médiocres, je ne serais pas là
aujourd’hui pour vous le dire !»
«Justus Lipsius, à qui vous avez donné le nom de ce bâtiment, c’est
moi !»
Dans sa maison du parc de Montretout, à Saint-Cloud, où il regardait la scène
sur BFM-TV, Jean-Marie Le Pen fit face à l’un de ses miroirs et se murmura à
lui-même: «Jean-Marie, tu es trop fort !»
On se doute que les réponses faites à Marine Le Pen par Angela Merkel, Matteo
Renzi ou encore Jean-Claude Juncker furent cinglantes. Le regard noir, la
chancelière choisit de n’évoquer que l’aspect économique du programme de
Marine Le Pen, ignorante de l’attaque frontale de la présidente française à
propos de sa politique «d’immigration massivo-djihadiste».
Angela Merkel concentra son propos sur les conséquences pour la France d’une
sortie de l’euro. Sans jamais regarder dans les yeux Marine Le Pen, elle
prononça un long discours dont il ne faut retenir que cette phrase: «La
France hors de l’euro, et donc hors de l’Union, ce sera la fin de l’Europe,
ce dont vous vous moquez bien. Soit ! Mais la France hors de l’euro et de
l’Europe, ce sera aussi la fin de la France. Vous serez étranglés par votre
dette abyssale, vous dévaluerez chaque semaine, de sorte que nous rachèterons
tout chez vous à bas coût et que vous n’aurez pas d’autre choix que de vous
laissez racheter car vous serez ruinés ! Vos plus grandes entreprises, vos
fleurons ! Tout ça ne vaudra plus rien ! Renault, PSA, rachetés par
Volkswagen ! Orange par Deutsche Telekom ! La SNCF par la Deutsche Bahn ! Si
vous souhaitez voyager dans des trains allemands, libres à vous ! Et tutti
quanti !», ajouta-t-elle en se tournant vers Matteo Renzi. Lequel ajouta: «Si
ça se trouve, peut-être même que votre jambon de Bayonne deviendra du
prosciutto de Parma ! E possibile !»
Devant sa glace de Montretout, Jean-Marie Le Pen se renfrogna. Il réfléchit
trente secondes à haute voix, puis se trouva un lointain point commun avec
Jacques Chirac: «Cette Fridoline veut mes couilles sur un plateau… Et ce
Rital qui en rajoute ! Revoilà les forces de l’Axe ! Il faut peut-être
composer, et tant pis si ce bolchevique de Philippot fait sa petite crise de
nerfs.» Une heure plus tard, et tandis que l’avion de Marine Le Pen
s’envolait pour Paris, le patron historique du Front national téléphona à sa
fille.
«Marine? Tu as été excellente. Voir le visage contrarié de cette grosse
Allemande m’a enchanté ! Cela dit, j’ai réfléchi… Je pense que pour la sortie
de l’euro, il faut, disons, réfléchir. Temporiser, quoi. Et tant pis si ça
déplaît à ton Philippot !», ajouta-t-il en brisant entre ses mains le stylo
qu’il avait utilisé pour rédiger la partie du discours de sa fille consacré à
Justus Lipsius.
«C’est vrai que sur l’euro, la Teutonne a été bonne»
Au même moment, Marion Maréchal Le Pen envoyait un sms à sa tante: «Tu as été
formidable! Mais c’est vrai que sur l’euro, la Teutonne a été bonne. Peutêtre faudrait-il temporiser un peu, histoire de ne pas effrayer les gens sur
la cata annoncée en cas de retour au franc. Ici, en Paca, tous mes électeurs
tremblent pour leurs économies. Les retraités ! Les petits patrons ! Tous me
disent même qu’ils auraient dû voter Sarko ! Bref, il faut dire que sur
l’euro on prend le temps de voir ! Le référendum qu’on a promis, on le décale
de quelques mois, puis on l’enterre. Je sais que ça ne plaira pas à ton
Florian, mais en même temps, on s’en fiche un peu non? Biz. Marion.»
Lequel Florian Philippot, dès le lendemain, fut convoqué dans le bureau de la
nouvelle présidente de la République. Il y entra l’air enjoué et en sortit la
mine singulièrement contrariée. Ce qui se conçoit si l’on sait ce que lui
annonça Marine Le Pen. «Florian, voilà. Grâce à toi, notamment, j’ai gagné.
J’ai eu tout l’électorat qui a quitté le PS et le PC depuis Maastricht, soit
quelques millions d’électeurs. Et je t’en remercie. Mais vois-tu, voici venu
le moment de la clarification. Je ne peux pas plaire à tout le monde. Les
ouvriers et les petits patrons, les syndicalistes et les libéraux, les
catholiques et les athées, les Français de souche et ceux qui le sont moins,
les hétéros et les homos, enfin bref, tu vois ce que je veux dire…. Et à ma
longue liste, j’ajouterai ceci: je n’ai pas envie que les Français voyagent
dans des trains allemands… On ne va pas quitter l’euro de sitôt.»
«Tu veux dire qu’après notre victoire aux législatives tu me vires?»,
répondit, blafard, le premier ministre.
«Oui.»
« Au fait, tu as le nom de ton futur premier ministre ? »
Florian Philippot rentra à Matignon avec sur son visage tant de pâleur que,
si les vitres de son véhicule n’avaient pas été fumées, nul doute que les
passants, le regardant, auraient appelé immédiatement le Samu. Quelques
minutes plus tard, la présidente de la République recevait son père dans son
bureau de l’Élysée.
Jean-Marie Le Pen cala sa canne sur l’un des fauteuils puis s’assit. «Ma
fille, je suis fier de toi !», lança-t-il. «Inutile d’épiloguer sur les
sentiments très négatifs que j’ai toujours éprouvés pour ce monsieur que tu
as nommé premier ministre mais que tu vas heureusement sortir du jeu. Tu
sais, la guerre totale à l’islamisme, le Redressement moral, l’Ordre, la
Justice, l’École, c’est déjà pas mal. On ne va pas ajouter la sortie de
l’euro !», poursuivit le fondateur du Front national qui, souriant soudain,
glissa à sa fille. «Au fait, tu as le nom de ton futur premier ministre?»
Marine Le Pen était aux anges. «Papa, tu le sais bien ! D’ailleurs, je vais
l’appeler !»
Jean-Marie Le Pen s’esclaffa et interrompit sa fille, qui commençait à
pianoter sur son téléphone portable le numéro de sa nièce. «Marine, inutile !
Marion est là !» Et, avec sa canne, il frappa trois coups sur le plancher du
bureau présidentiel. Une porte s’ouvrit et, rayonnante, la petite-fille de
Jean-Marie Le Pen apparut. Il s’inclina tel un mousquetaire et déclama: «Mme
le président, je vous présente votre premier ministre. Comme vous le savez,
la famille, il n’y a que ça de vrai ! Justus Lipsius a sûrement dû écrire des
choses intelligentes à ce sujet !»
Source :© Le Figaro Premium – «Eux présidents», les scénarios de 2017 :
Justus Lipsius (épisode 2/2)

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