Participer à la politique : l`affaire de tous - Croire
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Participer à la politique : l`affaire de tous - Croire
FICHE DE LECTURE Participer à la politique : l’affaire de tous L e 25 septembre 1991, suite à une longue réflexion sur les réalités politiques de l’époque, la Commission sociale de l’épiscopat français a publié le document « Politique : affaire de tous ». Le document décrit la nouvelle situation en France et dans le monde à l’époque (voir « Perspectives » ci-dessous) et présente des objectifs socio-politiques appropriés. Nous proposons ici le chapitre qui traite de la participation de tous les Français à la politique. RÉSUMÉ L es communautés chrétiennes, sensibles à l’importance de la vie politique, doivent aider des hommes et des femmes à s’y engager activement. Cela implique une formation qui permette aux jeunes de faire leur apprentissage de citoyens. Consciente des difficultés de cet engagement, l’Église tient en haute estime l’activité des hommes politiques. Ces difficultés pèsent de manière particulière sur les élus municipaux, et surtout sur les maires qui doivent faire face à des situations très complexes. Le rôle que jouent les media dans la politique est capital. En effet, la manière de présenter les informations exerce une grande influence sur l’opinion publique. Compte tenu de l’importance de la vie politique dans la société, l’Église la reconnaît comme un des lieux où l’homme peut vivre sa vocation. C PERSPECTIVES e texte, à la différence du document adopté par les évêques en 1972 dans une période d’extrême politisation, s’adresse à des Français qui vivent un temps de désillusion et de reflux des grandes idéologies. Les évêques réfléchissent donc sur le malaise provoqué par cette crise et rappellent aux Français leur rôle de citoyens et de chrétiens dans ce monde nouveau. « Politique : affaire de tous » est un pont, en quelque sorte, entre le document fondamental de 1972 et la déclaration « Réhabiliter la politique » de 1999 (voir plus loin, p. 35-41). Pour le texte intégral de ce document, voir DC 1991, n° 2039, p. 1041-1050. Ce texte a été publié aussi dans Documents épiscopats, n° 14, octobre 1991. 32 • Questions actuelles (…) Les hommes politiques ont leur rôle dans la conduite de la « chose publique », mais non eux seuls. Ceux et celles qui, dans l’Église, ont des responsabilités pastorales se doivent de rendre les chrétiens plus attentifs aux tâches de la solidarité. L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont en effet liés, et « l’enseignement et la diffusion de la doctrine sociale de l’Église appartiennent à sa mission d’évangélisation » (15). Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir le cœur et l’esprit à travers cet enseignement. Mouvements et paroisses ont à concourir à la formation d’hommes et de femmes qui pourront s’engager dans la vie politique avec compétence et esprit de service. Être actif dans les paroisses, les mouvements, peut être un apprentissage pour l’exercice désintéressé de responsabilités dans la cité. L’Église doit continuer à apporter cette contribution au bien commun. Les éducateurs ont également une double tâche : – ouvrir les yeux de leurs élèves sur la société, avec ses besoins, ses institutions, son action sur elle-même ; – avoir le souci, en concertation avec les autres personnels, de mettre élèves ou étudiants dans des situations où ils puissent exercer des responsabilités de service, commencer leur apprentissage de citoyens. Ce n’est pas une tache facile dans une société qui valorise la réussite individuelle plus que l’esprit d’équipe et le développement de chacun selon ses capacités. Beaucoup cependant s’efforcent déjà de la réaliser. Les mouvements de jeunesse, par leur pédagogie, éveillent aux dimensions collectives de l’existence humaine. Ils offrent à leurs membres des possibilités d’exercer, de façon gratuite, des responsabilités adaptées à leur âge. Ils peuvent ainsi contribuer à former des (15) Jean-Paul Il, Centesimus annus, 5. hommes et des femmes qui, un jour, s’engageront dans la vie politique avec désintéressement et non pour faire carrière. La tâche des hommes politiques, nous l’avons déjà souligné, n’est pas aisée. On ne peut, cependant, nier son importance et sa nécessité. C’est pourquoi « l’Église tient en grande considération et estime, l’activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assurent les charges pour le service de tous » (16). Par leur comportement, les hommes politiques facilitent ou découragent la participation des citoyens. Notre société de communication et de médiatisation est à la fois bénéfique et contraignante. Bénéfique : même si des silences demeurent, ce que font, décident les hommes politiques est rapidement connu ; cette proximité instantanée facilite l’information des citoyens et est favorable à leur participation. Contraignante : les hommes politiques sont soumis à la logique de l’image, à l’urgence de l’instant. À l’instar de produits de consommation qui doivent toujours se renouveler, afficher une différence, rebondir avec un nouveau slogan publicitaire, les hommes politiques sont enserrés dans une logique de communication. Répondre dans l’instant aux attentes suppu- tées d’après des sondages, anticiper le jeu des annonces et des réponses dans la caisse de résonance politico-mediatique, tenir compte de l’impact électoral d’une mesure : ces contraintes n’orientent pas spontanément vers le bien commun, dont la recherche exige durée, convictions personnelles en même temps que négociation. N’est-il pas finalement difficile pour des hommes politiques de rester libres, fidèles à des convictions humaines profondes dans cette mise en scène médiatique de la politique ? Les élus municipaux et particulièrement les maires connaissent dans certaines communes des situations de tension aiguë. Ils ont, à leur niveau, à jouer un rôle essentiel, qu’aucune autre instance ne pourrait sans doute totalement assumer. Quand, par exemple, des populations, de jeunes notamment, se sentent marginalisées, souffrent de non-reconnaissance sociale, parce que sans travail, sans revenu assuré, sans groupe stable de référence, le fait qu’un représentant légitime de la communauté politique écoute leur parole et en tienne compte, peut ouvrir la voie d’un dialogue et d’une intégration. (16) Concile Vatican II, Gaudium et spes, 75, 1. QU’EST-CE « L’ACTION CITOYENNE » ? Dans un éditorial intitulé « Chrétiens et politique », Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essones, a donné des repères pour une réflexion sur « l’action citoyenne » : (…) Comme toute action, l’action citoyenne peut être réfléchie à trois niveaux : – Celui des grands principes (la justice pour tous, la recherche de la paix…) – Celui des adaptations particulières. (…) Il n’est pas difficile de parler des grands principes. Il est difficile de trouver les médiations propres à les mettre en œuvre. – Celui des vocations personnelles (certains peuvent être doués pour animer une commune, d’autres pour s’engager dans une association, d’autres encore ne peuvent pas faire davantage qu’offrir leur sourire). Mon action citoyenne sera morale si, à la fois, elle respecte les grands principes, elle sait trouver les moyens de les appliquer concrètement et si elle correspond à ma vocation personnelle. Crier les grands principes – ou simplement s’en réclamer – est quelquefois nécessaire, mais souvent inutile, voire dangereux, quand ceux qui sont en responsabilité ne savent pas comment les appliquer sur le terrain et se réclament simplement d’eux pour obtenir des voix. Ceci d’ailleurs peut être un moindre mal car quelquefois, la pression sociale, au nom des grands principes, les incite à agir de manière inconsidérée : la soi-disant défense des droits de l’homme en Somalie a coûté des milliers de morts. La « bonne volonté » ne suffit pas, la politique est un art d’exécution et le niveau le plus difficile est celui de trouver les adaptations particulières qui permettent de mettre en œuvre réellement les grands principes. C’est, à mon sens, ce travail qui est une des responsabilités majeures des chrétiens. Pour le texte intégral de cet édito, voir Info’91 (Bulletin du diocèse d’Evry-CorbeilEssones), n° 354, 14 octobre 2000, p. 2. Janvier-Février 2001 • 33 L’information doit permettre la primauté de l’essentiel sur le sensationnel, la primauté du débat politique sur les querelles politiciennes. (•) Voir « Fiche de lecture » p. 7. (••) Voir encadré p. 42. Quant aux responsables des médias, ils savent que la communication, désormais planétaire, est plus qu’une fonction. Elle est une dimension de la réalité. Ce qui est dit et communiqué tend, pour beaucoup, à devenir le réel. Ils détiennent un grand pouvoir et par suite une grande responsabilité. En ont-ils tous suffisamment conscience ? Prennent-ils les moyens de vivre leur travail comme un service ? Ont-ils le souci de promouvoir au maximum la connaissance des problèmes et des situations, la vérité du dialogue ? L’information contribue à façonner le visage de la politique. Elle doit permettre la primauté de l’essentiel sur le sensationnel, la primauté du débat politique sur les querelles politiciennes. Le droit et le devoir de participer à la vie politique ne sont pas réservés à quelques catégories. Reprenant l’enseignement du Concile Vatican II (L’Église dans le monde de ce temps, « La vie de la communauté politique », 73-76), (•) et du Synode des évêques de 1987, Jean-Paul II affirme : « Tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique ; cette participation peut prendre une grande diversité et complémentarité de formes, de niveaux, de tâches et de responsabilités. Les accusations d’arrivisme, d’idolâtrie du pouvoir, d’égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l’opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme, ni l’absentéisme des chrétiens pour la chose publique » (17). (••) Face aux difficultés actuelles de la vie politique, la réponse chrétienne ne peut être : « Je ne fais pas de politique ». D’ailleurs, « ne 34 • Questions actuelles pas faire de politique », n’est-ce pas en fait accepter la politique de ceux qui en font, ou encore faire de la politique sans le dire ? Des décisions de syndicats, d’employeurs, de financiers, mais aussi de consommateurs et de contribuables s’inscrivent dans une certaine visée politique, même si elle n’est pas reconnue comme telle. Chacun est appelé à devenir plus conscient de l’importance de la politique, et à mieux savoir si, par ce qu’il tait ou ne tait pas, il contribue ou non à l’orienter vers le bien commun (18). Certes, il n’est pas demandé à tout un chacun d’entrer dans un parti ou d’œuvrer comme élu local ou national. Il y faut des compétences et pas seulement de la bonne volonté. Pourquoi, cependant, ceux qui ont le souci du bien commun et ne veulent pas s’en tenir à une dénonciation verbale au nom de l’éthique n’emprunteraient-ils pas cette voie, sans naïveté, avec courage ? C’est le lieu d’un service souvent irremplaçable. La politique est un des lieux où l’homme vit sa vocation. En œuvrant pour la reconnaissance mutuelle des hommes, pour la justice et pour la paix, il entre dans le dessein que Dieu a pour ce monde. Voilà pourquoi nous encourageons les chrétiens, en coopération avec tous ceux qui ont semblable objectif, à participer à la vie politique pour faire reculer l’injustice et la violence et bâtir un avenir plus ■ humain pour tous. (17) Jean-Paul II, « Les fidèles laïcs », 42. (18) « Il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes et de proférer des dénonciations prophétiques : ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective. Il est trop facile de rejeter sur les autres la responsabilité des injustices, si on ne perçoit pas en même temps comment on y participe soi-même et comment la conversion personnelle est d’abord nécessaire. Cette humilité fondamentale enlèvera à l’action toute raideur et tout sectarisme ; elle évitera aussi le découragement en face d’une tâche qui apparaît démesurée. L’espérance du chrétien lui vient d’abord de ce qu’il sait que le Seigneur est à l’œuvre avec nous dans le monde, continuant dans son Corps qui est l’Église – et par elle dans l’humanité entière – la Rédemption qui est accomplie sur la Croix et qui a éclaté en victoire au matin de la Résurrection. Elle vient aussi de ce qu’il sait que d’autres hommes sont à l’œuvre pour entreprendre des actions convergentes de justice et de paix ; car, sous une apparrente indifférence, il y a au cœur de chaque homme, une volonté de vie fraternelle et une soif de justice et de paix, qu’il s’agit d’épanouir. » Paul VI, Octogesima adveniens, 48.