Tous métis - Véronique Tadjo
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Tous métis - Véronique Tadjo
Véronique LIVRES Née à Paris, l’écrivaine et illustratrice franco-ivoirienne vit à Johannesburg. Avant une escale à Lausanne, elle nous parle de ses derniers livres sur son père et sur l’icône Nelson Mandela. TADJO Tous métis EUGÈNE ÉBODÉ L a dernière fois que nous sommes entretenus, c’était à Londres où Véronique Tadjo résidait avant son envol pour l’Afrique du Sud. Puis, durant la dernière Coupe du monde de football, organisée par un pays qu’elle trouve à la fois fascinant et inquiétant, nous avions échangé nos impressions par courriels et promis de nous retrouver au bout du fil. Notre globe-trotter nourrissait des craintes quant à la facture que les Sud-Africains auraient à payer une fois rangés les exaspérants vuvuzelas et remisés les ballons de football aux étranges trajectoires... Véronique Tadjo voyage beaucoup et se confie peu. Les lecteurs romands auront la chance de la rencontrer vendredi 15 octobre prochain. Dans le cadre du XIIIe Sommet de la francophonie, la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne organise une exposition, «Encres noires», et une table ronde intitulée «Questions de genre… Romans d’Afrique noire ‘au féminin’», qui réunira Véronique Tadjo et ses consœurs sénégalaises Ken Bugul et Salla Dieng. LA FASCINATION À KORHOGO Discrète, la professeure de littérature à l’université de Witwatersrand, à Johannesburg, aime surtout explorer les livres. «Réfère-toi au texte!», recommande-t-elle en substance à ses étudiants. Il leur faut démythifier l’accès à l’histoire, au style, pour ne viser que l’univers particulier de chaque écrivain. Que dire de ses propres livres? Elle fabrique ses romans, poèmes et albums illustrés avec une jubilation retenue. Sa langue, à la fois directe et de velours, se veut chirurgicale et par conséquent économe de mots. Née à Paris, Véronique Tadjo a vécu une enfance heureuse à Abidjan entre un père haut-fonctionnaire puis ministre de la fonction publique et une mère artiste-peintre. Le premier lui a transmis le goût de la lecture, tandis que sa mère n’avait qu’un leitmotiv: «Fais comme tu le sens, quand tu le sens.» Son ministre de père était fier de sa femme artiste mais distant avec ses œuvres. «Elles m’ont pourtant initiée et ouverte à l’art africain, note la romancière. Pas d’une manière conventionnelle ou professorale, mais tactile. Mère était la portraitiste de la famille. J’ai rassemblé et répertorié son travail. Tout est à Abidjan.» LE PÈRE ET LA POLYGAMIE La cité lacustre qui l’émerveillait hier, avec ses majestueux acacias, ses bougainvilliers et ses hibiscus aux senteurs enivrantes, l’angoisse aujourd’hui. Elle a été bercée par les rites et le mode de vie matriarcal des Akan, l’ethnie de son père. Cependant, c’est un fascinant voyage au nord du pays, à Korhogo, qui a marqué Tadjo: la découverte de la culture Sénoufo, sa sobriété, le style vestimentaire des hommes et des femmes en boubou et évoluant dans une atmosphère sahélienne empreinte de solennité. C’était bien avant la partition du pays entre le sud et le nord, bien avant le face à face explosif entre chrétiens et musulmans en Côte-d’Ivoire. «Nous étions prévenus, après la tragédie du Rwanda, mais nous n’avons pas cru en l’imminence de la menace», déplore celle qui est aussi l’auteure d’un récit poignant sur le Pays des milles collines: L’Ombre d’Imana. Voyages jusqu’au bout du Rwanda (2000). Dans Loin de mon père, son dernier roman paru au printemps, Véronique Tadjo revient sur la guerre civile dans son pays. Son héroïne, Nina, retourne en Côte d’Ivoire, une nation fissurée où «il est devenu impossible de rester neutre». La guerre et la mort sont donc au rendez-vous. Les souvenirs affluent sur place, ceux des premiers émois amoureux et ceux, nombreux, de la vie du père qu’il a pris soin de consigner dans un carnet. Elle découvre aussi un secret bien conservé: la polygamie du défunt. «Le corps est une machine à mépriser», tranche l’inconsolable Gabrielle, la grande sœur de la narratrice. Sur ce point, résume l’auteure, la fiction et le réel s’entremêlent pour aboutir à l’autofiction. «Elle m’a invitée à transcender la réalité et à traiter la polygamie davantage comme une tradition pervertie.» 24 • LeMag rendez-vous culturel du Courrier du samedi 9 octobre 2010 Pour Véronique Tadjo, les conflits expulsent les citoyens du champ commun à labourer: la sympathie réciproque. DR Toute personne, souligne-t-elle en revenant sur l’enterrement de son père, constitue un réseau social. «Après la disparition d’un homme, c’est son réseau qui est à réorganiser pour éviter l’éclatement de la famille, pour éloigner le spectre de la guerre.» L’AMOUR DES LÉGENDES Ces jours-ci, Véronique Tadjo publie Nelson Mandela: «Non à l’apartheid». Est-ce la suite de sa méditation autour des figures de légende, entreprise en 2005 avec La Reine Pokou. Concerto pour un sacrifice? Son Nelson va au contact des lecteurs pour maintenir en éveil la conscience du danger. C’est surtout pour la jeunesse que Tadjo s’est plongée dans la lecture du parcours du mythe vivant Mandela. De la fuite de son Transkei natal en 1941 à la présidence sud-africaine cinquante-trois ans plus tard, la romancière fait vibrer la voix d’une icône. Après avoir fait siens les enseignements du Mahatma Gandhi, Nelson Rolihlahla Mandela mit aussi en application ce proverbe xhosa pour terrasser l’apartheid: «Si une bête sauvage t’attaque, sache que tu ne peux pas l’arrêter les mains nues.» Les légendes et les mythes sont les trésors immatériels de Tadjo. Et la métisse franco-ivoirienne d’assurer: «Je les aime, car ils font partie de mon double héritage. Ils métissent en permanence le réel. Mais le métissage, surtout biologique, n’est pas à idéali- ser, car il contient aussi douleurs et frustrations…» Et l’écrivaine de déplorer les impatiences qui engendrent tant d’incompréhensions et qui peuvent vite basculer dans l’irrationnel. «Pourtant, conclut-elle, nous sommes issus de mélanges que nous ignorons ou voulons réduire. Nous sommes tous métis!» Tous les livres cités sont publiés par Actes Sud. Ve 15 octobre à 18h, table ronde avec Véronique Tadjo, «Questions de genre… Romans d’Afrique noire ‘au féminin’», salle du Sénat du Palais de Rumine, Place de la Riponne, Lausanne. A 19h, vernissage de l’expo «Encres noires », à voir jusqu’au 14 novembre. www.unil.ch/bcu