1 La mort encéphalique : actualités et controverses. Approche

Transcription

1 La mort encéphalique : actualités et controverses. Approche
La mort encéphalique : actualités et controverses. Approche comparative en Europe
David Rodríguez-Arias
Résumé
La mort encéphalique (ou mort cérébrale) peut être définie comme la perte des fonctions du
cerveau. L'assimilation légale de la mort cérébrale à la mort a fait l'objet de nombreuses
controverses dans la littérature bioéthique depuis 40 ans. Dans ce travail, j'explore la notion de mort
cérébrale, son origine historique et la situation actuelle des controverses sur ce sujet. Premièrement,
j'essaye de clarifier le concept de mort cérébrale et de me placer à l'origine de ce concept,
soulignant l'importance de la mort cérébrale dans la médecine actuelle. Deuxièmement, je montre
quelques particularités des régulations internationales sur la déclaration de la mort et le prélèvement
d'organe. Cela servira à comprendre comment le diagnostic de la mort n'est pas une pratique
universellement homologuée. Finalement, me basant sur quelques études empiriques qui ont été
menées sur ce sujet, je montre comment la mort cérébrale continue à poser des problèmes de
compréhension parmi les citoyens et même parmi les professionnels de santé susceptibles de
prendre en charge ce type de patients.
Mots-clé: mort encéphalique, prélèvement d'organes, bioéthique, approche internationale, approche
historique, approche empirique.
Concept et origine de la mort cérébrale
On définit la mort cérébrale comme étant la perte des fonctions du cerveau. Dans la plupart des pays
développés, cette condition est légalement équivalente à la mort. L'idée de « mort cérébrale » est
née vers la fin des années soixante, suite au progrès des techniques de réanimation cardiopulmonaire. En effet, si des respirateurs automatiques n'avaient pas été appliqués aux patients dont
le cerveau avait été sévèrement endommagé par un traumatisme ou un accident cérébral, cette
notion n'aurait jamais vu le jour. Il peut paraître étrange qu'un progrès technique ait conduit à la
révision des critères classiques du diagnostic de la mort humaine. Comment cela a-t-il été possible ?
On considérait traditionnellement que les seules fonctions responsables de la vie humaine étaient la
circulation et la respiration, car l'interruption de l'une entraînait irrémédiablement celle de l'autre.
La perte de n'importe laquelle de ces fonctions était irréversible et signifiait la mort de l'individu.
De plus, avant que les mesures de réanimation ne soient mises en place, les personnes souffrant
d’un dommage cérébral sévère perdaient automatiquement leurs fonctions cardio-respiratoires. Pour
cette raison, le fonctionnement du cœur et des poumons semblait être nécessairement lié au
fonctionnement du cerveau. Mais les méthodes de réanimation ont ensuite prouvé le contraire. La
réanimation cardiaque, d'un côté, démontrait que l'arrêt du cœur était parfois réversible. La
ventilation mécanique, de l'autre, permettait de maintenir artificiellement la fonction respiratoire
chez des patients dont le cerveau était détruit. L'une des conséquences de l'utilisation de ces
techniques fut l'apparition de patients irréversiblement inconscients dont l'organisme continuait
malgré tout à fonctionner (grâce au maintien de la respiration assistée).
Au début de 1959, Wertheimer, Jouvet et Descortes décrivirent pour la première fois cet état
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
1
nouveau sous le nom de « mort du système nerveux »1. La même année, deux neurologues français,
Mollaret et Goulon, décrivaient 23 cas de ce qu'ils appelèrent coma dépassé, défini par eux de la
manière suivante :
Le coma dans lequel se surajoute à l'abolition totale des fonctions de la vie de relation, non
des perturbations, mais une abolition également totale des fonctions de la vie végétative2.
Bien qu'ils aient pris conscience du problème de tracer les frontières ultimes de la vie, ces auteurs
assimilaient néanmoins l'état de coma dépassé à une forme de survie. Ils estimaient par ailleurs que
les cas de patients aux fonctions organiques préservées mais irréversiblement inconscients étaient
« une rançon de la maîtrise acquise en matière de réanimation neuro-respiratoire » :
Une rançon, parce que la survie dans le coma dépassé, impose des efforts croissants aux
équipes de réanimation et prolonge un spectacle de plus en plus douloureux aux yeux des
familles. 3
Les auteurs se sont également demandés s'il ne fallait pas laisser mourir ces patients, mais rejetèrent
cette possibilité. Vers la fin des années 60, en effet, la limitation de l'effort thérapeutique, encore
assimilée à une euthanasie, n'était pas une pratique courante. C'est probablement la raison pour
laquelle Mollaret et Goulon reconnaissaient que l'un d'entre eux « n'avait encore pu, ni voulu,
consentir le geste du pollice verso » (geste fatal) 4.
En 1967, un Comité Ad-Hoc sur la Mort Cérébrale fut mis en place à Harvard. Il était présidé par
Henry Beecher et constitué par dix cliniciens, un historien, un avocat et un théologien. Les réunions
de ce comité donnèrent lieu à un rapport, publié un an plus tard5, que l'on considère comme étant à
l'origine de la transformation de la pratique médicale de la fin de vie et des transplantations
d'organes dans la quasi totalité des pays techniquement développés6. Le rapport disait la chose
suivante :
Notre objectif est de considérer les patients dans cet état [le coma dépassé] comme des
personnes mortes7.
Les auteurs de ce rapport reconnaissaient que l'assimilation du coma dépassé à la mort répondait à
deux objectifs : d'un côté, permettre de débrancher le respirateur automatique des patients
irréversiblement inconscients; de l'autre, faciliter les transplantations d'organes.
Le Comité recommandait que la mort d'un patient puisse être déclarée en présence des symptômes
1
Cité par ESCALANTE, J. "La definición de la muerte" in J. Gafo. Trasplante de órganos: problemas técnicos, éticos y
legales. Madrid, Universidad Pontificia de Comillas, 1996: 53-74.
2
MOLLARET, P. et GOULON, M. (1959). "Le coma dépassé" Rev Neurol (Paris) 101: 3-15., 4).
3
Ibid., 4: c'est nous qui soulignons.
4
Pollice verso est le fameux geste avec le poing fermé et le pouce pointé vers le bas qu'employait initialement le public
du Colisée de Rome pour demander la mort d'un gladiateur.
5
AD HOC COMMITTEE OF THE HARVARD MEDICAL SCHOOL TO EXAMINE THE DEFINITION OF BRAIN DEATH
(1968). "A definition of irreversible coma. Report of the Ad Hoc Committee of the Harvard Medical School to Examine
the Definition of Brain Death" Jama 205(6): 337-40.
6
La répercussion du Comité Ad Hoc de Harvard sur la mort cérébrale a éclipsé un autre document signé à l'occasion de
la 22ème assemblée de l'Asociation Médicale Mondiale : la Déclaration de Sydney sur la déclaration de décès. A ce
sujet, voir MACHADO, C., KOREIN, J., FERRER, Y., et al. (2007). "The Declaration of Sydney on human death" J Med
Ethics 33(12): 699-703.
7
AD HOC COMMITTEE OF THE HARVARD MEDICAL SCHOOL TO EXAMINE THE DEFINITION OF BRAIN DEATH (1968). "A
definition of irreversible coma. Report of the Ad Hoc Committee of the Harvard Medical School to Examine the
Definition of Brain Death" Jama 205(6): 337-40.
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
2
suivants :
-
-
Absence de réceptivité et de réponses
Absence de mouvements respiratoires
Électroencéphalogramme plat (auquel on accordait seulement une valeur de confirmation)8.
Selon le Comité, la nécessité de cette nouvelle définition se justifiait pour deux raisons :
1. [...] le cœur du patient continue à battre mais son cerveau est irréversiblement détruit. Cela
représente une charge très importante pour les patients, [...] pour leurs familles, pour les hôpitaux, et
pour ceux qui ont besoin des lits occupés par ces patients dans le coma.
2. Les critères obsolètes de définition de la mort peuvent susciter des controverses à l'heure d'obtenir
des organes à greffer.
Tel qu'indiqué dans le rapport, la finalité première du Comité sur la Mort Cérébrale de Harvard était
de soulager les hôpitaux et la société en général du poids que représentaient le grand nombre de
patients hospitalisés dont le coma pouvait se prolonger indéfiniment ; des personnes dont le cœur
pouvait continuer de battre mais dont le cerveau était irréversiblement détruit. Comme l'avaient
prévu Mollaret et Goulon, le progrès des techniques de réanimation avait permis la conservation de
vies humaines dans des circonstances qui, pour beaucoup, étaient insupportables. Les ressources
sanitaires qu'il fallait déployer pour maintenir ces vies étaient colossales, tout en sachant que la
récupération de ces patients était impossible. Tandis que le nombre de cas ne cessait d'augmenter,
d'autres patients, gravement malades mais avec un pronostic plus favorable, avaient besoin de lits
d'hôpitaux pour survivre et récupérer leur qualité de vie.
L'autre objectif du Comité était d'optimiser les conditions du prélèvement des organes à transplanter
et, en même temps, éviter des controverses à l'heure d'obtenir les greffons. Pour qu'une opération de
transplantation réussisse et pour limiter les rejets, la non-détérioration de l'organe à greffer est un
facteur important. Le prélèvement d'un organe après que le cœur ait cessé de battre peut occasionner
au greffon des dommages qui augmentent la probabilité d'un rejet du receveur. En revanche, lorsque
le prélèvement s'effectue avant l'arrêt de la ventilation assistée et pendant que le cœur continue de
battre, les organes, toujours irrigués au moment de l'extraction, se trouvent dans des conditions
optimales pour la greffe.
Les personnes en état de coma irréversible ont pu apparaître aux membres du Comité Ad-Hoc de
Harvard comme une banque d'organes en parfaites conditions pouvant servir à sauver des vies
encore viables (conscientes, autonomes et avec une certaine qualité). Dans ce but, le Comité
proposait d'élargir les critères de la mort afin que les patients en coma dépassé puissent être classés
dans la catégorie des personnes décédées. Le coma dépassé allait ainsi devenir la « mort cérébrale »,
dont le diagnostic repose sur un arrêt irréversible du fonctionnement du cerveau dans son ensemble.
A partir de cet instant, le fait de se trouver dans un tel état signifiait la mort de l'individu, avec tout
ce que cela implique. Cette « reclassification » du statut des patients en coma dépassé rendait
publiquement légitimes deux pratiques qui à l'époque étaient encore rares mais sont aujourd'hui
monnaie courante : en premier lieu, la limitation thérapeutique et le tri (ou le classement par ordre
de priorité des patients à traiter) ; en second lieu, le prélèvement d'organes à transplanter. Grâce à la
redéfinition des critères de la mort, les médecins ne pouvaient plus être accusés d'homicide en
pratiquant de tels actes.
8
Ibid.
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
3
Malgré le succès du critère de mort cérébrale proposé par le Comité de Harvard, introduit dans la
législation de la plupart des pays du monde, les interprétations de ce critère ont varié sensiblement
d'un pays à l'autre. Nous allons voir et commenter quelques exemples particulièrement intéressants
de ces différentes législations.
Régulations internationales sur la déclaration de la mort et le prélèvement d'organes
Espagne
La législation espagnole sur la transplantation d'organes date de 1979. Le critère cardio-respiratoire
n'y est pas mentionné comme une condition sous laquelle le prélèvement pourrait être considéré
comme acceptable. Il y est simplement signalé que “le prélèvement d'organes ou d'autres pièces
anatomiques de personnes décédées peut se faire après une vérification de la mort”9, sans référence
aucune aux critères neurologiques de la mort. Un pas de plus est franchi dans le Décret Royal
426/1980, du 22 février, qui développe la loi 30/1979 du 27 octobre sur le prélèvement et la greffe
d'organes, dans la mesure où ce texte restreint le prélèvement aux cas de mort cérébrale.
Les organes en vue de transplantation doivent être viables et peuvent être prélevés sur le
corps d'une personne décédée après vérification de la mort cérébrale, basée sur la
constatation et la conjonction, pendant au moins trente minutes, et la persistance six heures
après le début du coma, des signes suivants : Un. Absence de réponse cérébrale, avec perte
de conscience totale. Deux. Absence de respiration spontanée. Trois. Absence de réflexes
céphaliques, avec hypotonie musculaire et mydriase. Quatre. Encéphalogramme « plat »,
démontrant une inactivité bioélectrique cérébrale. (Art. 10)
L'omission de la mort cardio-respiratoire dans ce texte n'a jamais impliqué une obligation de
vérifier la perte des fonctions cérébrales chez les patients ne disposant pas de ventilation assistée : le
critère traditionnel de la mort – cardio-respiratoire – demeurait le critère par défaut. Il était
simplement exclu de prélever les organes des cadavres dont la mort n'avait pas été déclarée suivant
un critère neurologique. A vrai dire, le critère cardio-respiratoire n'a été introduit dans la législation
sur les transplantations que 19 ans plus tard.
En 1986, la Société Espagnole de Neurophysiologie Clinique définissait la mort de la manière
suivante : « Un sujet en état de mort cérébrale est celui chez lequel s'est produit une interruption
irréversible de toutes les fonctions des hémisphères cérébraux et du tronc de l'encéphale, mais dont
le fonctionnement du système cardio-vasculaire et respiratoire est maintenu à l'aide de moyens
artificiels (...). La mort de l'encéphale est équivalente à la mort de l'individu comme un tout »10.
Le Préambule du Décret Royal 2070/1999, du 30 décembre, régulant les activités d'obtention et
d'utilisation clinique d'organes humains ainsi que la coordination territoriale en matière de dons et
de greffes d'organes et tissus11, reconnaît l'omission que nous avons mentionnée et affirme la
9
Ley 30/1979 de 27 de octubre, sobre extracción y trasplante de órganos. Article cinquième. Paragraphe Un.
Sociedad Española de Fisioneurología Clínica, Diagnóstico neurofisiológico de muerte cerebral, Sanes,
Madrid, 1986, p. 11
11
Le Décret Royal 2070/1999 fait référence aux Critères de la Mort du “Dictamen de Candanchú” de la Société
Espagnole de Neurologie, en 1993, d'après lesquels: “la mort peut être le résultat secondaire de processus qui
conduisent premièrement à une destruction totale et irréversible des fonctions encéphaliques – mort encéphalique –
10
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
4
nécessité d'« actualiser » les critères de la mort en vue d'apporter une couverture légale à tous les
protocoles de don d'organes en asystolie qui, pendant des années, s'étaient effectués en marge de la
loi :
Les progrès scientifico-techniques des dernières années [...] concernant le diagnostic de la
mort encéphalique, la préservation d'organes et la pratique des greffes, rendent nécessaire
l'actualisation des dispositions réglementaires de base qui régulent ces questions, recueillies,
fondamentalement, dans le Décret Royal 426/1980, du 22 février, qui développe la loi
30/1979 du 27 octobre sur le prélèvement et la greffe d'organes. [...] Cependant, le Décret
Royal 426/1980 réglemente uniquement l'obtention d'organes viables en vue d'une greffe
dans le cas des décès en situation de mort cérébrale. La réalité actuelle détermine la viabilité
des organes obtenus par décès en situation d'arrêt cardiaque, à condition que les procédures
de préservation d'organes chez la personne décédée puissent être mises en place. [...] En ce
sens, une proposition (à valeur non législative) approuvée le 17 juin 1997, demande au
Gouvernement de procéder à la révision et, le cas échéant, à l'actualisation de
l’encadrement des greffes. Ceci concerne en particulier les aspects relatifs aux critères de
mort cérébrale et de dons en asystolie. 12
Le second paragraphe de l'article 10 reconnaît le double standard pour le diagnostic de la mort :
La mort de l'individu pourra être certifiée après la confirmation de l'arrêt irréversible des
fonctions cardio-respiratoire ou de l'arrêt irréversible des fonctions encéphaliques.
Dans l'Annexe I du Décret13 sont spécifiées les conditions du diagnostic de la mort encéphalique
aussi bien que de la mort cardio-respiratoire. Il convient de remarquer, en premier lieu, le niveau de
détail qu'apporte la loi quant aux preuves nécessaires au diagnostic de la mort. On peut également
noter que le texte supprime la nécessité de réaliser des tests instrumentaux de confirmation, c'est-àdire ceux où l'on utilise du matériel technique pour poser le diagnostic (électroencéphalographie,
doppler, angiographie, potentiels évoqués), les tests cliniques étant jugés suffisants (exploration
neurologique incluant l'absence des réflexes du tronc cérébral et test d'apnée). On retiendra aussi,
finalement, que la législation espagnole, lorsqu'elle fait référence au diagnostic de la mort cardiorespiratoire, et contrairement à la législation française, n'exige pas de vérifier l'absence de fonctions
neurologiques persistantes. Cela est particulièrement frappant et préoccupant dans la mesure où il
est déjà arrivé que, dans des protocoles de don en asystolie, des patients déclarés morts selon le
critère cardio-respiratoire aient montré des signes de conscience au moment où on allait prélever
leurs organes.
Royaume Uni
L'Angleterre constitue une exception au niveau international concernant les critères requis pour
déclarer la mort. Au lieu d'exiger l'arrêt irréversible des fonctions de tout l'encéphale, la perte des
12
13
ou à des processus qui conduisent à un arrêt cardio-respiratoire”.
Le rapport “Donación y Trasplante España 2007” de l'Organización Nacional de Trasplantes apporte des données
sur le don en asystolieen Espagne depuis 1994.
http://www.ont.es/Estadistica?id_nodo=19&accion=0&&keyword=&auditoria=F (28/09/2008) En 1995 et 1996 il y
a eu 35 cas de dons en asystolie, 43 en 1997, 36 en 1998 et 32 en 1999. Source ONT: www.ont.es (18/11/06). (V.
RODRÍGUEZ-ARIAS, D. "Luces y sombras del modelo español" en. M.T. López de la Vieja y C. Velayos. Educación
en Bioética: Donación y trasplante de órganos. Bioethical Education: Organ procurement and transplantation.
Salamanca, Aquilafuente. Ediciones Universidad de Salamanca, 2008a: 181-220: 191).
http://donacion.organos.ua.es/leyes/nueva_ley/anexo1.htm (28/09/08).
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
5
fonctions du tronc cérébral y est considérée comme suffisante (lower brain death). Ce critère
permet de confirmer la mort à partir de tests cliniques indiquant l'incapacité de respirer
spontanément et l'absence de conscience, sans qu'il soit nécessaire d'effectuer des tests
instrumentaux, tels que le doppler, l'angiographie ou l'électroencéphalographie. Les partisans du
critère de lower brain death, moins exigeant que ceux employés dans la plupart des autres pays,
s'appuient sur l'idée que la perte d'activité du tronc cérébral entraîne celle du reste du corps. Ils
signalent, d'un côté, que les tests complémentaires susceptibles de montrer une activité corticale ne
sont pas significatifs étant donné, en particulier, les cas de faux négatifs produits par
l'électroencéphalographie. Ils signalent aussi, d'un autre côté, le rôle fondamental que joue le
système réticulaire activateur situé dans le tronc cérébral pour l'activation de la conscience
(“arousal” pour les Anglo-Saxons).14 .
Le critère de mort tronco-encéphalique a été introduit par le Department of Health and Medical
Royal Colleges en 197615. Il est considéré inacceptable dans beaucoup d'autres pays où la mort
cérébrale implique la perte totale du fonctionnement du cerveau dans son ensemble. Les critiques
formulées à l'encontre du critère de brain-stem death on signalé la possibilité de ne pas identifier
correctement certains cas de patients locked-in, chez qui les dommages du tronc cérébral (qui n'est
pas entièrement détruit) ne s'accompagnent pas de la perte totale des fonctions corticales. Ce
scénario conduirait à la terrible éventualité de considérer comme mort un individu doté de
perceptions conscientes. Il n'est pas surprenant, dès lors, que certains au Royaume Uni aient suggéré
qu'il serait opportun d'anesthésier les donneurs potentiels après avoir été déclarés morts, au cas où16.
En réalité, les tests requis au Royaume Uni pour confirmer la mort excluent partiellement ce risque
dans la mesure où ils doivent apporter une preuve clinique de la perte de conscience. Malgré tout, la
conscience est une question sujette à débats et à propos de laquelle notre ignorance est presque aussi
vaste que nos connaissances, de sorte que certains restent sceptiques quant à la possibilité d'en
vérifier l'absence sur la seule foi des tests cliniques.
France
Le premier texte légal français à se prononcer sur la déclaration de décès date de 194717. C'est un
décret qui a été sévèrement critiqué parce qu'il permettait d'effectuer des autopsies et des extractions
d'organes à des fins scientifiques ou thérapeutiques sans le consentement familial. Le texte ne
mentionne aucun critère de détermination de la mort. Il se contente d'exiger que deux médecins du
centre signent le certificat de décès en précisant l'heure et la date de celui-ci.
Le texte suivant est la Circulaire Jeannenay (du nom du Ministre de la Santé de l'époque), datée du
24 avril 1968. On peut y lire que le critère implicite du décret de 1947 était cardio-respiratoire. Il
s'agit d'un texte crucial pour l'introduction de la mort cérébrale en France, car il critique le caractère
erroné du critère cardio-respiratoire tout en le complétant par un critère neurologique :
Or, ce critère [Le critère d'arrêt circulatoire] apparaît ajourd'hui doublement infidèle. D'une
part, il est insuffisant puisque les moyens actuels de réanimation, tel que le massage
14
Machado, C. (1999). "Consciousness as a definition of death: its appeal and complexity." Clin Electroencephalogr
30(4): 156-64.
15
Conference of Medical Royal Colleges and their Faculties in the UK. Diagnosis of brain death. BMJ 1976; 2:1187-8
16
Ce débat est toujours d’actualité : voir Joss Bray: A conscious decision? Response to Hamm and Tizzard: Presumed
consent for organ donation. BMJ 2008; 336: 230
17
Décret du 20 Octobre 1947, J.O du 23 Octobre 1947 p. 10482
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
6
cardiaque, permettent de ramener à la vie des malades dont le coeur était arrêté. D'autre part,
chez certains malades, la survie de certains organes, notamment l'ensemble coeur-poumon,
peut être maintenue par des dispositifs artificiels bien que d'autres organes essentiels à la vie
soient déjà morts de façon irréversible, le système nerveux par exemple.18
C'est un texte fondamental pour l'histoire de la mort cérébrale, car il est antérieur au rapport du
Comité Ad-Hoc de Harvard, lequel est généralement considéré comme l'organisme qui, pour la
première fois, a introduit l'idée de mort cérébrale. Un oubli de cette importance de la part des
historiens s'explique par le fait que les débats de bioéthique sur cette question se sont déroulés
principalement aux États-Unis. Il est également remarquable que la Circulaire Jeannenay conçoive
la mort cérébrale comme un critère complémentaire de la mort cardio-respiratoire : “Si les anciens
procédés précités restent valables pour la majorité des constats de décès, ils peuvent ne plus être
applicables à certains des cas qui viennent d'être rappelés. Pour ces cas-là, le recours à de nouveaux
critères de la mort est indispensable”. Selon la circulaire, le certificat de décès des personnes
soumises à une réanimation prolongée devait être établi, après que deux médecins aient été
consultés, éventuellement secondés par un spécialiste en encéphalographie, sur la base du
« caractère destructeur et irrémédiable des altérations du système nerveux central dans son
ensemble ». Pour établir ce diagnostic, le critère incluait la nécessité de vérifier l'absence de
respiration spontanée, l'abolition de tout réflexe, l'hypotonie et la mydriase, ainsi que la disparition
de tout signal électro-encéphalographique, aussi bien spontané que provoqué par un stimulus
quelconque. La circulaire exigeait, de plus, que les médecins participant au prélèvement ou à la
greffe d'organes ne puissent en aucun cas signer le certificat de décès.
En 1976, sous le ministère de Simone Veil, entra en vigueur la loi n° 76-1181, connue sous le nom
de loi Caillavet19, qui introduisait la modalité du consentement présumé pour le don d'organes. Un
an plus tard, une circulaire20 précisait les procédures permettant d'exprimer son refus du don
d'organes, avec la création d'un registre des refus que les équipes chargées du prélèvement doivent
consulter avant de réaliser une extraction. En ce qui concerne les critères pour déterminer la mort et
être donneur d'organes, cette loi et ses décrets d'application se basaient sur la circulaire déjà citée du
24 avril 1968. Les exigences de la loi pour déclarer un décès demeurent les mêmes jusqu'en 1996,
lorsque paraît le décret d'application de la loi dite de Bioéthique. Ce décret21 apporte une nouveauté
importante, puisqu'il spécifie les tests nécessaires, aussi bien pour le diagnostic de la mort cardiaque
que de celui de la mort cérébrale. Il est encore à l'heure actuelle la référence en matière de
diagnostic de la mort en France. Il n'est pas utile ici de décrire en détail les tests requis par ce décret
pour déclarer un décès suivant chacun des critères. Nous nous contenterons d'en mentionner les
deux caractéristiques les plus significatives par rapport à la législation espagnole.
Pour ce qui est de la mort cardio-respiratoire, la loi française exige non seulement une absence de
pouls et de mouvements respiratoires mais également une absence totale de conscience et d'activité
motrice spontanée, ainsi que l'abolition de tous les réflexes du tronc cérébral. Les deux premières
exigences indiquent que, en France, l'arrêt cardio-respiratoire est assimilé à la mort en vertu de la
mort cérébrale. Ce point est extrêmement important parce qu'il suppose que la mort cardiorespiratoire est l'expression du même phénomène que la mort cérébrale. D'un autre côté, et ceci est
18
Circulaire JEANNENAY, 24 Avril 1968, Le concours médical du 29 VI- 1968- 90-26.
Loi Caillavet n°76-1181, du 22 Décembre 1976, J.O du 23 Décembre 1976, p. 7365.
20
Circulaire concernant le décret n°78-501 pris pour l’application de la loi n°76-1181 du 22 Décembre 1976 relative aux
prélèvements d’organes.
21
Décret n°96-1041 relatif au constat de la mort préalable au prélèvement d’organe,de tissus et de cellules à des fins
thérapeutiques ou scientifiques, du 2 Décembre 1996, J.O du 4 Décembre 1996.
19
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
7
peut-être encore plus important – du moins pour les protocoles de don en asystolie – la loi exige
qu'il y ait une perte de conscience totale, condition que la législation espagnole, comme nous
l'avons indiqué, ne mentionne pas. Mais ce ne sont pas les seules caractéristiques qui font que la
législation française soit plus conservatrice et plus exigeante que l'espagnole à l'heure de déterminer
la mort et convertir un patient en donneur potentiel. Le décret n° 96-1041 de 1996 prévoit une
batterie de tests pour objectiver la mort cérébrale qui s'avèrent plus exigeants que ceux en vigueur
de l'autre côté des Pyrénées. En effet, il faut en France deux électroencéphalogrammes plats réalisés
à quatre heures d'intervalle, ou alors une angiographie, démontrant l'absence de flux sanguin dans le
cerveau.
Malgré que depuis 1996 les déclarations de décès puissent se faire aussi bien sur la base de la mort
cérébrale que de la mort cardio-respiratoire, le 2 août 2005 apparaissait en France un nouveau
décret stipulant la possibilité de prélèvements d'organes à cœur arrêté :
Art. R. 1232-4-1. – Les prélèvements d'organes sur une personne décédée ne peuvent être effectués
que si celle-ci est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique.
“Toutefois, les prélèvements des organes figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de
la santé, pris sur proposition de l’agence de la biomédecine, peuvent être pratiqués sur une
personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant22.
Japon, New Jersey et diversité culturelle
Le Japon est le seul pays du monde dont la législation tolère une forme de pluralisme quant à la
détermination de la mort humaine. En effet, les patients en état de mort cérébrale n'y sont pas
considérés comme morts, à moins qu'eux-mêmes n'en aient exprimé la volonté, et seulement si la
famille ne s'y oppose pas23.
La loi de l'Etat du New Jersey reconnaît le critère de mort de tout le cerveau (mort encéphalique)
mais autorise l'objection de conscience des individus ne souhaitant pas que le critère s'applique dans
leur propre cas. Lorsque cela se produit, le patient est considéré comme étant vivant jusqu'à l'arrêt
irréversible de la fonction cardiaque.
Certaines minorités culturelles refusent d'admettre le critère de mort cérébrale : les juifs orthodoxes,
certains bouddhistes, les indiens d'Amérique, et quelques chrétiens fondamentalistes24. Jusqu'à quel
point ces groupes ont-ils droit au respect de leurs croyances concernant la mort ? Dans la plupart
des pays du monde, y compris dans ceux où le pluralisme constitue une valeur, cette question n'a
jamais fait l'objet d'un débat social. Le droit à l'objection de conscience est reconnu pour les
décisions qui dépendent de valeurs morales, mais pas pour les questions que l'on considère comme
purement factuelles. Si la détermination de la mort humaine est une question strictement biologique
22
Décret nº 2005-949 du 2 août 2005 relatif aux conditions de prélèvement des organes, des tissus, et des cellules et
modifiant le livre II de la première partie du code de la santé publique (Dispositions réglementaires). Journal
Officiel de la République Française, 6 août 2005 : 12898.
23
On en saurait trop recommander l'ouvrage que l'anthropologue M. Lock a publié à ce sujet: LOCK, M. Twice Dead.
Organ transplants and the reinvention of death. London, University of California Press, 2002.
24
CAMPBELL, C.S. "Foundamentals of life and death: christian fundamentalism and medical science" en. S.J. Youngner,
R. Arnold y R. Schapiro. The definition of death: contemporary controversies. Baltimore, The Johns Hopkins
University Press, 1999: 194-209.
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
8
(ce qui suppose que la mort est un fait biologique) alors le pluralisme n'est pas justifié. En revanche,
si la détermination de la mort humaine était une question de valeurs, ou une question d'ordre
philosophique, théologique ou politique, alors le pluralisme pourrait se justifier, ainsi qu'un certain
degré d'autonomie individuelle quant aux choix des critères applicables dans chaque cas. Comme
dit Veatch :
Le bon sens stipule qu'un tel pouvoir de discrétion n'a aucune raison d'être. Après tout, être mort semble être
une question objective dont la détermination appartient à la bonne science (ou peut-être à la bonne
métaphysique) et pas aux préférences individuelles25
Actualité: Connaissance et acceptation des critères de la mort dans la population générale et
chez les professionnels
Une enquête réalisée en France sur plus de mille personnes formulait les deux questions suivantes26 :
QUESTION 1: “Selon vous, la mort cérébrale est-elle l'arrêt définitif du cerveau ?”
RÉPONSES:
a) Oui
b) Non
c) Ne sais pas
La réponse correcte est “oui”.
QUESTION 2: “Un patient en mort cérébrale…”
RÉPONSES:
a) ... se trouve dans un état de coma entre la vie et la mort.
b) ... est mort.
Les auteurs considèrent qu'il s'agit d'une question d'opinion, de sorte qu'aucune des deux réponses n'est plus correcte que l'autre.
L'étude a montré, en premier lieu, que 42% de la population française ignore la signification de
l'expression « mort cérébrale » (ils répondent ''non'' ou ''ne sais pas'' à la question 1). Elle a
également montré, en second lieu, que les 58% qui savent ce que signifie la mort cérébrale se
composent de 33% (de la population totale) qui considèrent que cet état implique la mort, et de 25%
(c'est-à-dire un français sur quatre) qui croit que cet état n'implique pas la mort. Les auteurs de
l'étude concluent ainsi :
Il ne fait aucun doute que la mort cérébrale se définit cliniquement comme l'arrêt irréversible de la fonction
cérébrale. Mais à cette définition clinique s'ajoute une proposition normative, officialisée par décret, selon
laquelle la mort cérébrale équivaut à la mort. Cependant, l'opinion des français est loin d'être unanime vis-à-vis
de cette équivalence27.
Une étude similaire réalisée aux États-Unis a donné lieu des résultats tout aussi surprenants. La
situation d'un patient en état végétatif (légalement vivant) y était présentée à plus de deux mille
25
VEATCH, R.M. "The conscience clause: how much individual choice in defining death can our society tolerate?" en.
S.J. Youngner, R. Arnold y R. Schapiro. The definition of death: contemporary controversies. Baltimore, The Johns
Hopkins University Press, 1999: 137-160: 139.
26
Ibid.
27
Ibid : 814.
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
9
personnes de l'État de Ohio qui devaient se prononcer sur son statut vital. L'enquête a montré qu'un
tiers de la population estime (contrairement à la loi) que le patient est mort, et que l'immense
majorité d'entre eux (95%) serait prête à donner ses organes. Beaucoup plus étonnant est le fait que
parmi les deux tiers restants de la population, qui estiment (en accord avec la loi) que le patient est
bel et bien vivant, un sur trois serait malgré tout disposé à donner les organes de ce patient28.
Plus récemment, nous avons effectué une recherche29 sur cette question visant à examiner la
connaissance et l'opinion des professionnels de santé espagnols, français et étasuniens concernant
les critères de détermination de la mort humaine. Cette étude a notamment montré les choses
suivantes :
1. Une partie des professionnels persiste à croire qu’un donneur en état de mort cérébrale ne
meurt qu’après prélèvement de son cœur. ; d’autres considèrent qu’un donneur en asystolie
n’est pas mort. Le double standard qui sert à diagnostiquer légalement la mort ne correspond
pas à un concept unitaire de celle-ci. N’ayant établi aucune priorité entre les deux critères de
détermination de la mort, le double standard génère une confusion et produit un doute
chaque fois que l’un des deux critères n’est pas accompagné de l’autre. Ceci a une incidence
particulière dans le contexte du prélèvement d’organes : les patients en mort cérébrale
conservent des battements cardiaques, et les donneurs en asystolie peuvent conserver
pendant un certain temps quelques-unes de leurs fonctions cérébrales.
2. Parmi les professionnels interrogés, nombreux sont ceux qui semblent partager une vision
gradualiste de la mort. D’un point de vue biologique, la mort survient de façon graduelle et
non pas abruptement. Ceci explique que toutes les tentatives s’efforçant de démontrer le
moment exact de la mort, en invoquant des faits biologiques, ont échoué. Il n’existe pas
d’instant identifiable au cours duquel l’individu passe de l’état de vie à celui de mort : ce
moment est une convention sujette à des décisions qui, si elles ne sont pas nécessairement
arbitraires, sont contingentes.
3. Plus de la moitié des professionnels fournissent des réponses incohérentes lorsqu’ils
attribuent un statut vital à deux patients atteints d’un trouble neurologique sévère : l’un en
mort cérébrale et l’autre en état végétatif permanent. Les professionnels qui s’occupent de
patients en mort cérébrale manifestent une certaine confusion quant à la signification de la
mort ou appliquent de façon incohérente leur propre concept sur la mort. Il n’existe pas de
consensus qui permette de savoir si, et surtout pourquoi, le diagnostic de la mort cérébrale
indique la mort d’un patient. Les différentes tentatives pour justifier l'idée que la mort
cérébrale équivaut à la mort posent des problèmes de cohérence, tant lorsqu'elles s’appuient
sur des arguments biologiques que lorsqu'elles reposent sur des arguments philosophiques.
La définition de mort cérébrale est hautement contre-intuitive, même pour nombre de ceux
qui sont habitués à déclarer la mort et à effectuer des prélèvements d’organes. La
représentation de la mort parmi les professionnels de la santé, tout comme pour le reste de la
population, est très variable. Certains pensent que les patients en mort cérébrale ne sont pas
véritablement morts tandis que d’autres pensent que la définition devrait intégrer les patients
28
SIMINOFF, L.A., BURANT, C. y YOUNGNER, S.J. (2004). "Death and organ procurement: public beliefs and attitudes"
Soc Sci Med 59(11): 2325-34.
29
INCONFUSE: Investigation sur le Concept de Mort employé par les Professionnels en France, USA et Espagne.
Agence de la Biomédecine. Recherche et Greffes. 2002.
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
10
en état végétatif.
4. Environ quatre professionnels sur dix acceptent, dans certains cas, un pluralisme quant à la
définition de la mort, et montrent que le fait de déterminer le moment où une personne est
encore vivante ou morte ne dépend pas seulement de faits objectifs mais aussi de jugements
de valeur. La mort est une construction sociale qui a un pied dans la biologie et l’autre dans
la culture.
5. L’assimilation de la mort cérébrale à la mort n’est pas le résultat d’une « découverte »
scientifique mais le produit d’une définition persuasive ayant pour but de résoudre un
ensemble de problèmes sociaux. Comme telle, elle est essentiellement instable et peut faire
l’objet de modifications chaque fois que des intérêts d’ordre pratique le réclament.
6. Parmi les professionnels interrogés, une minorité considère qu'il est moralement acceptable
de prélever des organes sur des patients qu’ils considèrent vivants.
Conclusions
L'analyse qui précède et les données empiriques que nous venons de voir tendent à montrer que des
doutes subsistent quand à savoir si le critère de mort cérébrale est équivalent ou pas à la mort
biologique de l'individu. L'idée de mort cérébrale suscite toujours des interrogations du fait de son
caractère contre-intuitif dans la pratique. Il peut en effet sembler paradoxal qu'une personne
déclarée morte continue de respirer, que son cœur continue de battre, que son corps reste chaud, et
que ses organes puissent maintenir en vie d'autres personnes. Ce paradoxe a suscité beaucoup de
contradictions dans les discours sur la mort cérébrale formulés par les journalistes30, le public en
général31, les professionnels de santé qui se trouvent au chevet de ces patients32, et même de la part
des bioéthiciens spécialistes de cette question33. Des affirmations du type: « le patient est resté en
mort cérébrale pendant plusieurs semaines avant qu'on le laisse mourir » ou « une femme en mort
cérébrale est maintenue en vie dans l'espoir qu'elle ait un bébé », ou encore « les patients en mort
cérébrale ont une qualité de vie déplorable », sont de pures et simples contradictions, du moins dans
la mesure où le langage courant oppose la vie et de la mort comme des phénomènes mutuellement
exclusifs. E. Bonete propose l'explication suivante de ces inconsistances de langage :
30
SINGER, P. Repensar la vida y la muerte. El derrumbe de nuestra ética tradicional. Barcelona, Paidós, 1997b : 44-46
HERPIN, N. y PATERSON, F. "Le don d'organes et la perception de la mort par les Français: les systémistes et les
intégralistes" en. R. Carvais y M. Sasportes. La greffe humaine. Paris, PUF, 2000: 789-814; SIMINOFF, L.A., BURANT,
C. y YOUNGNER, S.J. (2004). "Death and organ procurement: public beliefs and attitudes" Soc Sci Med 59(11): 232534.
32
YOUNGNER, S.J., LANDEFELD, C.S., COULTON, C.J., et al. (1989). "'Brain death' and organ retrieval. A cross-sectional
survey of knowledge and concepts among health professionals" Jama 261(15): 2205-10. Notre étude INCONFUSE a
montré des résultats similaires : v. tableaux 1, 4.1, 5.1 y 5.2, de la section opinions.
33
Alan Shewmon signale les cas de plusieurs spécialistes incontestés de la mort cérébrale, y compris le Dr. Plum, qui
ont affirmé que la mort cérébrale est équivalente à la mort et qui, simultanément, ont laissé entendre que c'est une
façon d'être vivant. SHEWMON, A.D. (2007). Response to the Council's White paper, "Controversies in the
Determination of Death" Friday, November 9, 2007, Session 5
http://www.bioethics.gov/transcripts/nov07/session5.html
31
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
11
C'est peut-être parce qu'il est encore difficile d'abandonner des modes de pensée traditionnels sur la vie et la
mort, ou parce que chacun peut constater que les personnes diagnostiquées en « mort cérébrale » ont
l'apparence physique de personnes endormies, vivantes (respiration, pouls, chaleur corporelle...) ; c'est ce qui
empêche n'importe quel observateur – y compris le personnel sanitaire – d'accepter en toute sérénité que ces
personnes sont réellement mortes34.
De plus, la mort cérébrale, ou plutôt l'assimilation de cette condition à la mort, est fortement remise
en question à cause de la faiblesse théorique des bases sur lesquelles elle s'appuie. Les différentes
tentatives pour justifier l'assimilation de la mort cérébrale à la mort ont échoué, car elles n'ont pas
réussi à démontrer la cohérence de ce critère avec une définition biologique de la mort. Les patients
en mort cérébrale gardent une activité et des fonctions organiques fondamentales, et peuvent
conserver pendant des mois, voire des années, un fonctionnement intégré de l'organisme35.
Quarante ans après le rapport du Comité Ad-Hoc de Harvard sur la mort cérébrale, le débat reste
ouvert. L'opinion de toutes les personnes impliquées, y compris celle de la société, devrait être prise
en compte dans ce débat36.
34
BONETE, E. "Muerte "encefálica": Implicaciones éticas" in J. García Gómez-Heras y C. Velayos. Bioética.
Perspectivas emergentes y problemas nuevos. Madrid, Tecnos, 2005: 221-254: 236
35
SHEWMON D.A. (1998). "Chronic "brain death": meta-analysis and conceptual consequences" Neurology 51(6):
1538-45.
36
Je voudrais remercier Alberto Molina et Nathalie Duchange pour leur aide substantielle à la traduction et révision de
ce travail. Je voudrais remercier également Sandrine Bérol, qui a réalisé une recherche exhaustive de la littérature
juridique française sur la mort encéphalique dont cet article a bénéficié.
David Rodríguez-Arias, Février 2009 ©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du
Site Internet, l’année, et l’adresse www.ethique.inserm.fr
12

Documents pareils

A propos de la “mort cérébrale”

A propos de la “mort cérébrale” respirateur. Ces phénomènes devraient, au moins théoriquement, aller à l’encontre de la validité du diagnostic neurologique, puisque la perte de l’intégration corporelle que suppose la mort de l’or...

Plus en détail

Dialogues avec la mort

Dialogues avec la mort Dans la pratique, la mort est donc assimilée à la mort cérébrale. Néanmoins, il ne peut y avoir deux types de mort. De sorte que sa définition la plus généralement admise à l'heure actuelle s'énonc...

Plus en détail