Introduction
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Introduction
18 Deuxième piste : le « message », la satire • Explicitez ce que Voltaire veut faire comprendre au lecteur. • Analysez d’abord le personnage du Huron : quelles sont ses qualités ? • Analysez ensuite les autres personnages, présents ou seulement mentionnés : quels défauts présentent-ils ? Quelle image de la cour révèle le passage ? Quelle image de la politique cet épisode donne-t-il ? • Quelle conception de l’homme Voltaire donne-t-il ? Pour réussir le commentaire : voir guide méthodologique. Le conte philosophique : voir lexique des notions. Le théâtre « JE VIS HIER UNE CHOSE ASSEZ SINGULIÈRE » • COMMENTAIRE • SUJET La poésie 18_FRA070631_02C.fm Page 159 Jeudi, 26. juillet 2007 3:47 15 © Hatier 2007 159 C O R R I G É Le roman Dans L’Ingénu, une de ses dernières œuvres, Voltaire délaisse le genre du conte philosophique exotique et situe celui-ci dans la France de Louis XIV : le héros, issu d’une vieille famille bretonne, a été élevé à la mort de ses parents par des Indiens du Canada où ses parents avaient émigré. De cette éducation il a gardé une vraie simplicité d’esprit et de cœur ; il a donc bien du mal à comprendre la bizarrerie et la complexité des usages et des mœurs qu’il découvre à son retour en France. Voltaire joue ici des caractéristiques bien particulières du conte philosophique que, de Zadig à Candide, en passant pas Micromégas, il a su porter à sa perfection. À la différence du jeune Candide, dont le jugement et la vision du monde ont été déformés par la « métaphysico-théologo-cosmolonigologie » de son précepteur Pangloss, l’Ingénu est un cœur et un esprit libres de tout préjugé et le regard qu’il porte sur notre société est d’autant plus décapant… L’action se passe pour l’essentiel en Bretagne mais se déplace aussi à Paris lorsque le héros vient y rechercher une dispense pour épouser sa marraine, Mademoiselle de Saint-Yves qu’il aime tendrement et recevoir, du moins le croit-il, une juste récompense pour ses exploits contre les Anglais. Dans le chapitre IX, l’Ingénu arrive au palais de Versailles ; il y découvre un monde dont les usages singuliers mettent à rude épreuve son bon sens et sa simplicité naturelle. Le passage se conforme aux pratiques du conte philosophique, et met son récit, alerte et vif, au service d’une satire implicite de l’administration du Roi-Soleil. L’autobiographie Introduction Les réécritures Attention ! Les indications en couleur ne sont qu’une aide à la lecture et ne doivent pas figurer dans votre rédaction. Convaincre… C O R R I G É 18_FRA070631_02C.fm Page 160 Jeudi, 26. juillet 2007 3:47 15 « JE VIS HIER UNE CHOSE ASSEZ SINGULIÈRE » • COMMENTAIRE • SUJET 18 I. Les ingrédients du conte philosophique : un récit sommaire mais pittoresque 1. Le pittoresque et la vivacité • Une mise en place pittoresque : un documentaire sur la vie quotidienne Voltaire ne perd pas de temps pour mettre en place le décor de la nouvelle aventure de son héros. Le lieu – Versailles – est connu des lecteurs et n’a plus rien d’exotique, il suffit donc de l’esquisser ; le conteur se contente de le nommer, sans s’attarder sur des détails pittoresques : on passe de « la cour des cuisines » à l’aile de l’administration royale dans le palais de Versailles, sans même franchir la porte d’un bureau : le Huron fait seulement « antichambre ». Quelques accessoires complètent cette mise en scène, comme le « pot de chambre » dans lequel arrive l’Ingénu et les « chaises » à porteurs, stationnées en attendant leur utilisateur. • Des personnages schématisés Les personnages ne sont pas davantage précisés : c’est le groupe des « porteurs de chaise », « canaille » arrogante envers les nouveaux venus et prête à faire le coup de poing et le « gentilhomme breton » dont on ne sait rien, sinon sa fonction de « garde du corps ». On l’entend, mais on ne le voit pas : aucun détail sur son uniforme ou son physique. Cependant, en mentionnant le nom du ministre « Monsieur de Louvois » et les échelons de son administration, « premier commis de la guerre » et « commis » de commis, Voltaire crée un arrière-plan réaliste – et même historique – et ces personnages authentiques communiquent un peu de leur réalité aux personnages fictifs qui s’agitent devant ce décor sommaire. 2. Des allures de conte Le conte ne perd pas ses droits, mais ses éléments traditionnels se font discrets et le merveilleux prend des allures quotidiennes… Dans sa quête d’une audience avec un des responsables de l’administration, le héros, l’Ingénu, fait face à des opposants – de simples domestiques arrogants – et non à des créatures magiques ; et l’adjuvant prend la forme d’un « gentilhomme breton » qui va le guider dans le labyrinthe administratif. La progression du récit lui-même prend la forme d’une initiation avec ses tentatives répétées de rendez-vous, toujours avortées, bien que les interlocuteurs recherchés soient de moins en moins importants : après le roi, c’est le ministre, puis son « premier commis » et enfin le « commis » du commis… © Hatier 2007 160 C O R R I G É 4. Un certain humour Malgré tout, la présence du narrateur – et de Voltaire – se fait sentir à travers l’humour qui traverse tout l’extrait : l’« itinéraire » en cascade descendante – du « roi » à « monseigneur Louvois » à « monsieur Alexandre, premier commis » au « premier commis » du commis – qui marque la chute progressive de l’Ingénu dans l’échelle sociale, crée un comique de répétition – du « mécanique plaqué sur du vivant », dirait Bergson – ; et le lecteur a le plaisir d’anticiper sur la suite de cette gradation décroissante. L’arithmétique que supposent les remarques du « garde du corps » – « c’est comme si vous parliez au ministre », puis « c’est comme si vous parliez à monsieur Alexandre lui-même » –, outre le comique de répétition qu’elles introduisent et qui tourne à l’absurde, est bien étrange : en somme un « numéro 2 » égale un « numéro un ». Et, si l’on remonte l’échelle, on en conclura, avec ce raisonnement mathématique, que le « premier commis » du commis égale le « roi » ! Il y a là une certaine impertinence ! Enfin, Voltaire ne peut se départir de son ironie habituelle, légère certes, mais malicieuse, lorsqu’il suggère que « l’affaire avec une dame de la cour » est plutôt polissonne… © Hatier 2007 161 C O R R I G É Le théâtre Voltaire, narrateur et conteur, nous donne l’impression de rester à l’extérieur de son récit et de ses personnages, comme s’il enregistrait objectivement, en simple témoin, ce qui se passe, ce qui se dit. C’est pourtant lui qui manipule ses personnages, simples figurants comme les domestiques, à peine plus précis pour le « garde du corps », et guère plus épais pour le protagoniste. On retrouve son goût pour les allusions polissonnes et un peu « salées » : on se doute bien en effet du type d’entretien auquel s’occupe le « commis » avec une « dame de la cour » qui cherche sûrement quelque faveur en échange de ses faveurs… Convaincre… 3. Un récit sommaire Le roman D’entrée de jeu, le rythme est vif et le nouveau chapitre débute sur les chapeaux de roue… du « pot de chambre ». Voltaire multiplie les verbes d’action au présent de narration et juxtapose des phrases courtes, vives et simples. Il alterne les moments d’action comme le début de rixe entre le Huron et les domestiques, les temps de dialogue où le Huron est initié aux « usages de la cour », interrompus par les déplacements d’un bureau à l’autre ou les attentes dans l’« antichambre » des commis. L’autobiographie 18 Les réécritures « JE VIS HIER UNE CHOSE ASSEZ SINGULIÈRE » • COMMENTAIRE • SUJET La poésie 18_FRA070631_02C.fm Page 161 Jeudi, 26. juillet 2007 3:47 15 18_FRA070631_02C.fm Page 162 Jeudi, 26. juillet 2007 3:47 15 « JE VIS HIER UNE CHOSE ASSEZ SINGULIÈRE » • COMMENTAIRE • SUJET 18 II. Le regard naïf de l’étranger au service de la satire 1. Un étranger exemplaire En faisant agir l’Ingénu face à ces personnages, Voltaire semble nous donner un modèle de la conduite à tenir dans la vie et dans les rapports sociaux, et le personnage qui se dessine ici en fait un être « selon le cœur de Voltaire ». • La simplicité de l’Ingénu L’Ingénu mérite son nom. Ce qui le caractérise, c’est la simplicité de sa conduite, de ses réactions, de ses jugements, de ses propos, de ses préoccupations. C’est un homme sans détour, d’une seule pièce dans sa vaillance, dans ses engagements – amoureux, amicaux, ou inamicaux. • Retenue et tempérance Lorsque les valets se moquent de sa naïveté parce qu’il demande à « voir le roi », il réagit immédiatement et se met à les battre. Il n’hésite pas un instant, cette attitude s’impose à lui, quelles qu’en puissent être les conséquences, comme le traduit l’enchaînement de phrases juxtaposées, sans liens logiques explicites, qui évoque cette escalade de la violence : « Les porteurs […] la scène allait être sanglante. » Sa colère s’apaise aussi vite qu’elle est venue et il donne sans réserve sa confiance au « gentilhomme breton » : il s’adresse à lui avec naturel, sans remerciements exagérés, expose en peu de mots ce qui lui paraît essentiel, décrit sans euphémisme ou périphrases ses relations directes avec les Anglais (« j’ai tué des Anglais »). Il ne cherche pas à expliciter les liens logiques entre ses différents énoncés parce qu’ils sont pour lui évidents : « j’ai tué des Anglais, [cela mérite récompense et] je viens [donc en] parler au roi ». • Naturel et tonique L’Ingénu vit dans l’instant et attend des réponses immédiates à ses préoccupations et aux problèmes qu’il rencontre : aux explications du « garde » qui lui expose, dans une longue phrase, les échelons et les circuits compliqués qu’il faut suivre pour communiquer avec l’administration, l’Ingénu répond par une phrase énergique, qui commence par une interjection décidée « eh, bien ! », et une demande bien directe, à l’impératif : « menezmoi […] ». 2. La simplicité au service de la satire • Le regard de l’autre révélateur Par un effet de contraste avec cette attitude naturelle et saine, Voltaire nous fait mesurer les travers des grands. Il s’agit une fois encore d’un des procédés favoris des contes philosophiques où le regard neuf porté par un © Hatier 2007 162 C O R R I G É • Quelle politique, sinon la guerre ? Les seules activités politiques dont il est question (en toile de fond) se résument à la guerre de rivalité coloniale entre la France et l’Angleterre, guerre qui s’est révélée un échec et qu’on devine meurtrière : si l’on éconduit en haut lieu l’Ingénu, on sait le trouver pour en faire de la chair à canon. Par deux fois, il rappelle ses hauts faits guerriers, dont il s’enorgueillit, mais dont personne ne tient compte : « j’ai tué des Anglais », dit-il, et il rappelle qu’il s’est battu « en Basse-Bretagne contre des Anglais ». Ces rappels discrets préparent la critique de l’ingratitude de la monarchie envers ses serviteurs, d’autant plus méritants que leur histoire personnelle – comme celle de l’Ingénu – ne leur faisait pas un devoir de s’exposer pour la France ! • Quelques défauts humains Au-delà de la satire politique, se révèle ici le regard de Voltaire sur les hommes en général. Voltaire renvoie dos à dos « les porteurs » et « l’amiral anglais », aux deux bouts de l’échelle sociale qui, avec arrogance, se croient supérieurs à l’Ingénu dont le lecteur connaît la valeur. Le mépris pour l’autre, celui qui est différent, est intolérance ; or on sait quelle haine Voltaire vouait à cette attitude qu’il a parfois du mal à traiter, comme ici, avec une aimable ironie. Voltaire dessine aussi un monde où la violence est prête à éclater à la moindre rixe : ne cherchant pas à comprendre pourquoi l’Ingénu les « battit », les « porteurs » « voulurent le lui rendre » et la paix – qui évite que cela ne tourne à la « scène sanglante » – n’est pas le fruit d’une discussion posée entre gens raisonnables, mais d’un pur hasard, que souligne l’expression « s’il n’eût passé un garde »… © Hatier 2007 163 C O R R I G É Le théâtre Convaincre… • Des usages de la cour et de l’administration royale inaccessible La simplicité de l’Ingénu – « tout étonné » – fait apparaître la complexité, l’inefficacité et l’arbitraire de l’administration royale : Voltaire, implicitement, critique cette organisation bureaucratique où, comble de l’absurde, il est « plus difficile de parler à un ministre qu’au roi lui-même », la vérité étant qu’il n’est pas possible de parler au roi… Quelle différence avec ce que Candide a admiré dans l’Eldorado : le roi y est facilement accessible à ses sujets, qu’il écoute avec simplicité. On retrouve là une des aspirations des Encyclopédistes : le pouvoir royal doit se réformer et se rapprocher de ses sujets. Le roman extra-terrestre (dans Micromégas, par exemple), un étranger, un individu « candide » ou « ingénu » fait apparaître les imperfections ou les tares de notre société auxquelles l’habitude finit par nous rendre insensibles. L’autobiographie 18 Les réécritures « JE VIS HIER UNE CHOSE ASSEZ SINGULIÈRE » • COMMENTAIRE • SUJET La poésie 18_FRA070631_02C.fm Page 163 Jeudi, 26. juillet 2007 3:47 15 18_FRA070631_02C.fm Page 164 Jeudi, 26. juillet 2007 3:47 15 « JE VIS HIER UNE CHOSE ASSEZ SINGULIÈRE » • COMMENTAIRE • SUJET 18 Conclusion Dans cet épisode de L’Ingénu, Voltaire ne se comporte pas en moraliste pour condamner, comme La Fontaine ou La Bruyère avant lui, les mensonges et les faux-semblants des courtisans, « peuple caméléon, peuple singe du maître » (« Les obsèques de la Lionne », Fables, La Fontaine). Il l’a fait dans d’autres contes où, sous le couvert de l’exotisme oriental, il peint l’hypocrisie et l’opportunisme de ce monde qu’il connaissait bien pour avoir fréquenté Versailles et d’autres cours européennes. À travers cet épisode et les mésaventures de l’Ingénu, c’est plutôt le dysfonctionnement de l’État et d’une administration bureaucratique qu’il met en cause… et l’on peut se demander si ses critiques ne seraient pas encore d’actualité aujourd’hui, y compris dans nos démocraties, proches ou plus lointaines. © Hatier 2007 164 C O R R I G É