sur l`enseignement d`Eckhart Tolle Un regard

Transcription

sur l`enseignement d`Eckhart Tolle Un regard
Un regard
sur l’enseignement
d’Eckhart Tolle
par
Jean-Luc Champougny
Eckhart Tolle est un instructeur spirituel
dont l’enseignement a touché des millions de
personnes depuis la fin des années 1990 : par
ses livres à succès, ses conférences, ses retraites,
et, depuis quelques années, via Internet.
C’est spontanément qu’à l’âge de vingt-neuf ans,
ayant touché le fond de la dépression, de l’anxiété
et de la peur, il connaît ce qu’il appelle une
« transformation intérieure », l’accès à un état de
paix et de félicité profondes, qui a perduré depuis.
Après une période où, dit-il, il se contente de
« regarder le monde passer », on sollicite de sa
part des conseils spirituels.
On trouvera ici les éléments essentiels de son
enseignement, qui, s’il n’est rattaché à aucun
courant religieux, fait référence aux écoles de
la non-dualité issues de différentes traditions,
dont il sait reformuler et actualiser les enseignements à partir de sa propre expérience.
Pour le bonheur personnel de chacun, et pour
celui du monde, il propose d’entrer dans un
processus de transformation – en transcendant
notre état de conscience fondé sur l’ego, et en sortant de nos souffrances émotionnelles passées –,
pour revenir dans l’instant.
6 pages extraites de la revue Sources n°21
www.terre-du-ciel.org
L
a grande scène est vide. Juste un bouquet de
fleurs sur une petite table, une chaise et un micro.
Après une brève introduction de l’organisateur, trois
mille personnes attendent. Arrive d’un pas lent un
petit homme voûté. Plus vraiment jeune mais pas si
vieux que ça. Il s’installe tranquillement sur la chaise,
puis regarde son vaste auditoire. Silence. Rien ne se
passe, mais déjà on peut sentir un changement d’atmosphère dans la salle. Les esprits s’apaisent, les pensées ralentissent et une énergie discrète mais puissante
semble s’élever parmi les présents. L’homme regarde
le micro et cherche doucement à le rapprocher : « Si
le micro se rapproche suffisamment, peut-être que les
mots voudront bien sortir. » Rires et retour au silence.
Puis, en effet, les mots sortent enfin, à un rythme lent
ponctué de pauses régulières, et pendant une heure et
demie, trois mille personnes vont recevoir et amplifier un état de présence incroyable, ils vont rire de leur
ego, envisager avec tendresse leur souffrance, et
même sourire de la mort. À l’issue de la conférence,
applaudissements, le petit homme salue une fois en
joignant les mains et repart comme s’il ne s’était rien
passé. Laissant sans un autre regard la salle immobile
et la chaise vide.
Jean-Luc Champougny
Ingénieur et intervenant en entreprise, passionné par les arts
énergétiques, il enseigne le qi gong, le tai chi et la méditation. Son approche s’ancre dans un parcours de transformation intérieure alliant arts martiaux, gestalt, psychologie
jungienne et spiritualité, avec comme fil directeur l’enseignement d’Eckhart Tolle qu’il suit depuis treize ans.
« Le monde changera de l’intérieur. » Tel est le
sous-titre du site web d’Eckhart Tolle, auteur devenu
en 2011 « la personne la plus influente spirituellement
au monde », selon les classements dont raffolent certains magazines anglo-saxons.
Au-delà de ces effets « top 100 », force est de
constater l’étonnant succès de cet auteur et conférencier hors religions et traditions spirituelles qui a réussi
à toucher, en cinq livres dont deux essentiels – Le
Pouvoir du moment présent, paru en 1997, et Nouvelle Terre, paru en 2005 –, huit millions de lecteurs
rien qu’aux États-Unis. Trente-cinq millions de personnes assistèrent en 2008 à ses « webinars » (séminaires en direct sur Internet), organisés avec
l’animatrice de télévision américaine Oprah Winfrey.
Traduit maintenant en trente-trois langues, Eckhart
Tolle se retrouve donc, comme il le dit lui-même avec
un certain étonnement, à l’épicentre d’un phénomène
d’amplitude planétaire qu’il décrit très simplement
comme l’avènement d’une nouvelle conscience. L’humanité arrive à un palier d’évolution majeur qui verra,
d’après lui, soit son extinction soit son fleurissement
spirituel, selon sa capacité à réaliser ou pas le saut
quantique qui lui est maintenant demandé face à tous
les défis qu’elle a elle-même générés.
« Éveillé sauvage », comme on nomme parfois ces
êtres qui se sont radicalement transformés en dehors
de tout enseignement formel, Eckhart Tolle a vu, phénomène très rare, son ego (et nous verrons plus loin de
quoi il s’agit) s’effondrer en une seule nuit, à l’âge de
vingt-neuf ans, lors d’une crise d’angoisse extrême.
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UN REGARD SUR L’ENSEIGNEMENT D’ECKHART TOLLE
Pour se réveiller, le lendemain, dans un autre monde.
Un monde de paix, de beauté et de grâce qu’il n’a plus
quitté depuis.
De cette expérience profondément intime, il faudra
de nombreuses années avant qu’un enseignement
n’émerge, stimulé essentiellement par les questions
d’un nombre croissant de personnes attirées par cet
être « qui a quelque chose que nous n’avons pas ».
Bien que nourri ultérieurement par de nombreuses
lectures de textes religieux et spirituels, l’enseignement d’Eckhart Tolle est donc fondamentalement basé
sur l’expérience et sur une inspiration dépouillée de
tout cadre traditionnel. Les mots « Dieu » ou
« amour » sont, par exemple, fort peu utilisés parce
que trop connotés par des centaines voire des milliers
d’années d’abus et de détournement de leur signification véritable.
Eckhart Tolle évoque très régulièrement la prudence avec laquelle il faut comprendre et utiliser tout
concept spirituel, qui n’est au final qu’un panneau indicateur pointant vers une réalité qu’il ne peut pas
contenir. Cette réalité ultime, cette présence, l’Être, la
conscience, le non-manifesté, quelle que soit la façon
dont on l’appelle, ne peut être décrite et comprise par
le mental. Elle ne peut qu’être vécue. Le concept n’est
donc qu’un moyen temporaire d’approcher cette expérience. Il doit être dépassé, comme toute technique
ou pratique, aussi belle et efficace soit-elle, doit un
jour être transcendée. Comme l’expérience spirituelle
elle-même qui doit être lâchée pour ne pas devenir
une entrave, quelque chose que l’on cherche à reproduire, LE moyen qu’on remettra toujours entre nous et
la simplicité de l’Être : « Même l’expérience de l’Être
n’est pas l’Être. »
Dans ses conférences, Eckhart Tolle invite donc
toujours à lâcher les mots et à écouter le silence entre
les mots. Là est le véritable enseignement, là est perceptible l’énergie de la présence.
Voici donc quelques panneaux indicateurs chers à
Eckhart Tolle.
La conscience qui se prenait pour un objet
« Cette nuit, le ciel est dégagé, regarde cette
beauté !
– Ouah, toutes ces étoiles, c’est superbe !
– Et tu as vu entre ?
– Euh… entre quoi ?
– Entre les étoiles ! N’est-ce pas extraordinaire ?
– ?...
– Le vide, c’est incroyable, ce vide, la vastitude de
l’espace infini : c’est l’étendue de ta conscience, c’est
toi ! C’est nous !
–…»
La conscience ordinaire ne voit que les objets.
Eckhart Tolle l’appelle la « conscience-objet ». Ces
formes peuvent être extérieures : les objets physiques, les situations ; ou intérieures : sensations,
émotions, pensées. Ces objets encombrent la
conscience qui s’y limite, l’alourdissent, la saturent.
Mais elle ne voit que cela. Et quand elle s’interroge
– qui suis-je ? –, elle ne peut choisir que dans ce
qu’elle perçoit : je deviens ce que je possède, mon
métier, ma place dans la société, mon rôle dans la famille, mes croyances, mes opinions, mes idées, mes
émotions. L’ensemble s’organise en général en une
histoire qui raconte qui je suis, comment je me suis
construit et quelle est ma place dans le monde. Et le
monde ? C’est une autre histoire !
Tout ceci est enveloppé dans un sac, plutôt fin et
fragile, marqué « Moi : … (prénom, nom en majuscules) et le monde selon Moi ».
Avec ce paquet en main, et surtout en tête, je trie
sans cesse ce qui vient à moi : ça je prends, ça non.
Tout devient l’objet d’une évaluation : bon pour moi
(mon histoire de moi) ? Neutre ? Dangereux ?
Comme dans le film Terminator, où le robot voit apparaître en permanence sur son champ de vision les
résultats d’analyse de la situation : « niveau de menace 1 : bonjour » ; « niveau de menace 9 : je tire ! ».
Maintenir l’illusion de Moi-objet
Le programme correspondant s’appelle « EGO ».
Objectif : réaffirmer, protéger et développer l’identité
construite mentalement par la conscience-objet. En
bref : garder la tête dans le sac.
Pour cette mission, l’ego a plusieurs outils : la mémoire, le mental, ses projections sur le futur et les
émotions négatives refoulées.
La mémoire, juste ou fausse, permet l’utilisation du
passé pour justifier ma réaction au présent : « C’est
normal que je réagisse comme ça vu ce qui m’est arrivé avant et qui je suis. Et ça ne m’étonne pas, de
toute façon, c’est toujours pareil », etc. Cette stratégie est fort efficace. À employer les mêmes méthodes,
on obtient les mêmes résultats : « Je te l’avais bien
dit ! »
Le mental est bien sûr l’outil privilégié de l’ego : il
peut comparer, jauger, juger, séparer, sélectionner,
ignorer, maquiller, distordre, amplifier… un vrai bonheur ! Qui plus est, il oriente une bonne partie de
l’énergie vitale et, cerise sur le gâteau, le corps le croit.
L’ego n’est qu’un programme. Et quelque part, il le
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UN REGARD SUR L’ENSEIGNEMENT D’ECKHART TOLLE
sait. Il sait qu’il n’existe que parce que la conscience
se croit objet. Comme toute forme, il contient une
sorte d’intention d’exister séparément. Il doit donc
tout faire pour maintenir cette illusion d’être particulier, séparé, seul, différent, spécial. Et pour cela, tout
est bon à prendre, du meilleur – « Yes, j’ai réussi, je
suis le meilleur ! » – au pire – « Je suis un raté ! ».
L’essentiel est que j’aie une image de moi-même.
Je résiste donc j’existe
Pour maintenir cette image séparée, rien de mieux
qu’un bon ennemi. Si je ne sais pas vraiment qui je
suis, au moins je sais qui je ne suis pas. Se créer des
ennemis de tout poil est donc un des passe-temps favoris de l’ego. L’adversaire le plus aisé de tous est…
l’instant présent : « Ah non ! Tout mais pas ça ! Mais
qu’est-ce que je fais là ! Pas lui, pas elle, pas là, pas
maintenant, pas comme ça » ; et même : « Pas moi !
D’ailleurs, parfois, je me hais ! Pas vous ? »
La vie devient une succession de problèmes… qui
me définissent. Que seraient certaines personnes sans
leurs problèmes ? Très souvent, le plus gros problème
de ma vie : c’est moi. « Je suis trop ça, beaucoup trop,
et pas assez ceci, vraiment pas assez. Ah, si j’étais différent, tout irait mieux. Si je rencontrais la bonne personne… Mais, j’y travaille et, plus tard, un jour, je
serai heureux ! »
Avec le temps…
Nous arrivons donc à une autre création de l’ego :
le futur. L’ego a besoin du temps pour exister. On
parle ici du « temps psychologique », c’est-à-dire du
passé réactivé et du futur projeté par le mental, par opposition au « temps-horloge », qui est la simple gestion pratique de la chronologie des événements. D’un
point de vue expérientiel, si l’on parle d’un « temps
conscience », seul l’instant présent existe. Il est le seul
moment que je ne pourrai jamais vivre réellement. La
porte d’accès à autre chose ne peut qu’être là.
« L’éveil ne peut être que maintenant. »
Grâce au temps psychologique, l’ego peut se projeter tous les films possibles, toutes les histoires de
moi possibles en un incessant flux de pensées qui
hypnotise la conscience et la détourne de la réalité
de l’instant. Ce flux mental s’accompagne d’un malaise quasi permanent et souvent inconscient. Je
m’agite, une peur rôde. Car mon histoire et mon
identité sont toujours menacées par la réalité que je
cherche à ignorer. Le « toujours plus » égotique est
une tentative de sécuriser et de renforcer mon sens
de moi-même limité. Chercher à avoir raison, me
plaindre, me venger, attaquer, et bien d’autres atti-
tudes, sont des mécanismes de croissance et d’autoréparation de l’ego en recherche permanente d’un
hypothétique accomplissement.
Les mutineries émotionnelles
Eckhart Tolle appelle « corps de souffrance » l’agglomérat énergétique des émotions toxiques et des
souffrances passées refoulées. Dans sa dimension collective, il active l’héritage de souffrance humaine que
reçoit chaque nouvel arrivant sur cette planète dans
son « kit de démarrage ». Dans sa dimension individuelle, il concentre les rejets émotionnels multiples
que l’ego a refusé de vivre pleinement, car jugés en
dehors du cadre de son programme d’identité.
Quand le mental dit « Attention danger ! », le
corps le croit et mobilise ses ressources pour affronter la situation : il se tend, se concentre, engage
l’énergie de vie en une émotion adéquate aux informations. Sauf que le plus souvent ce ne sont que des
histoires. Sans pouvoir s’exprimer, refoulée, l’énergie ainsi potentialisée s’engramme dans le corps et
devient inconsciente.
Cette énergie est active, elle a pris son autonomie
dans l’ombre. C’est un passager clandestin, tapi dans
un coin de la cale du navire, qui va se réveiller régulièrement pour se ravitailler en énergie, car lui aussi
est une forme qui cherche à subsister. Quand il a faim,
son but est de prendre les commandes du navire, c’està-dire de prendre possession des pensées et au final
de la conscience. Je deviens alors le corps de souffrance et ma conscience captive le nourrit de toute son
attention. Un événement anodin, une simple parole,
déclenchent une émotion et une réaction totalement
disproportionnées et le corps de souffrance se prend
du bon temps. L’idéal, c’est de réveiller le corps de
souffrance d’une autre personne au passage. Très facile avec les gens qu’on connaît bien ! Et voilà nos
deux passagers clandestins qui se tirent une petite bordée entre amis et réactivent les souffrances passées.
Quand ils sont repus, ils se rendorment, et je me réveille en réalisant, consterné, le fruit de mon inconscience. Je peux le justifier ou m’en culpabiliser, peu
importe, j’ai de quoi alimenter mon identité mentale
et mon histoire.
Il y a donc une synergie entre le corps de souffrance
et l’ego : l’émotion négative déclenche des pensées
négatives, qui, à leur tour, stimulent l’émotion, ou, inversement, les pensées réveillent l’émotion qui stimule les pensées. Qu’elle soit ouvertement violente
ou insidieuse, cette association est toxique pour son
hôte, son entourage et, au final, pour la planète.
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UN REGARD SUR L’ENSEIGNEMENT D’ECKHART TOLLE
Y a-t-il un (vrai) pilote à bord ?
Notre éducation occidentale nous a fort peu préparé à gérer le pilotage auto-ego-matique et les mutineries émotionnelles. La pression culturelle
environnante, comme un gros ego collectif, cherche
à nous ramener sans cesse à notre moi-objet en stimulant le flux des pensées et en cultivant une peur
sourde qu’elle anesthésie immédiatement par moult
divertissements. De quoi tourner encore longtemps
dans l’illusion de la conscience-objet.
Eckhart Tolle considère cependant qu’un programme de réveil s’enclenche un jour pour chacun
d’entre nous. Et c’est le cas maintenant pour l’humanité à l’échelle planétaire. La conscience spacieuse,
avant de s’endormir et de se croire objet, aurait inclus
dans l’ego un mécanisme d’autodestruction, comme
on programme la sonnerie du réveil avant d’aller se
coucher. Pour beaucoup d’entre nous, ce son désagréable qui traverse le rêve de notre réalité se manifeste sous forme de souffrance. Cela devient
intolérable, le malaise est grandissant, comme un sentiment confus qu’il manque quelque chose de fondamental dans nos vies. L’humanité s’agite et se cabre
dans son sommeil. Alors qu’une nouvelle conscience
tente d’émerger, une conscience « consciente d’ellemême » dans sa dimension infinie, la vieille histoire
de l’humanité, le moi-objet, limité, tente désespérément de survivre. L’ancienne conscience se rigidifie et
accroît la souffrance, accélérant ainsi malgré elle le
processus.
Que faire de cette souffrance ? L’accepter, la vivre,
la libérer. Comme dans de nombreux enseignements,
la base de la transformation est l’acceptation totale de
ce qui est devant moi et en moi. Car la résistance à
l’instant est le fondement de l’ego. Plus de demi-mesure : j’embrasse les limitations parfois terribles de
ma situation. C’est, bien sûr, la symbolique du Christ
sur la croix.
Accepter ? Facile à dire ! Mais ma colère est bien
là, je ne vais pas la nier encore une fois ! Oui, elle
existe aussi, elle fait partie de l’instant, alors je l’accepte aussi. Cela ne veut pas dire que je la laisse agir
et reprendre les commandes, mais je lui reconnais le
droit d’exister en tant qu’émotion. Je lui laisse une
place. Je suis donc plus grand qu’elle. Je suis l’espace
entre les étoiles. Toute forme pleinement acceptée intérieurement n’est plus subie. Elle devient comme un
point d’appui pour la conscience, qui révèle ainsi sa
vastitude. Alors, la souffrance peut se transformer. Car
toute forme, qu’elle soit physique, émotionnelle ou
mentale, est destinée à mourir. Et si cette forme qui
me hante depuis si longtemps ne souhaite finalement
qu’une chose : vivre un instant et mourir.
La souffrance devient alors le carburant de la
conscience. L’impermanence devient mon alliée et la
mort mon amie.
Et si le pilote, c’était l’espace ?
Rappeler et muscler le pilote
Les quelques pratiques recommandées par Eckhart
Tolle pour accompagner la transmutation de la souffrance consistent essentiellement à faire émerger la
conscience de sa dimension « objet » pour lui faire reconnaître sa nature spacieuse. Il s’agit donc de ne pas
lutter contre pensées, ego, émotions et autres corps de
souffrance, mais de leur retirer l’énergie de la
conscience prisonnière. Parmi ces « portes d’accès »
à la présence, on peut citer les suivantes.
Observer le penseur – Approche classique qui
consiste à ne ni saisir ni repousser les pensées. Tout
simplement observées, celles-ci naissent, traversent et
se dissolvent dans l’espace « vide » de la conscience.
Elles perdent peu à peu de leur force. Elles s’espacent,
s’étiolent et finissent par disparaître. Reste alors l’attention pure, consciente d’elle-même. Bien sûr, le
mental va parfois être fortement tenté de se dire :
« Tiens, je ne pense plus. » Et puis : « Ah, zut, j’ai
pensé ! » Et c’est reparti. On ramène alors doucement
son attention sur le flux qui ré-émerge et on l’observe
sans jugement. Nous connaissons plus qu’on ne l’imagine des moments de non-pensées. Simplement, le
mental ne les remarque même pas, car il est orienté
« objet » et sa mémoire ne les enregistre pas.
Contempler la nature – La nature ne pense pas,
elle est. Et elle peut nous enseigner cette simplicité de
l’Être. Toute sa beauté s’est construite selon une intelligence naturelle qui rayonne subtilement de chaque
être animé ou inanimé. En me laissant toucher par la
présence secrète qui habite le naturel, je réveille cette
intelligence en moi. Ce qui voit la beauté est le beau
en moi. Je finis par ressentir une connexion profonde
entre l’arbre que je contemple et moi-même. Nous
sommes vivants de la même vie. La séparation s’efface. Je peux même sentir dans cette reconnaissance
que l’arbre « se réjouit ». Dans cette connexion, je lui
apporte ma conscience humaine. Je le révèle à luimême. Je deviens « la lumière du monde », comme
disait Jésus.
Focaliser l’attention sur les perceptions sensorielles – Tout occupé par le flux mental et émotionnel,
je ne perçois pleinement mon corps et ses sensations
que lors de rares moments suffisamment intenses pour
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capter mon attenhaiter entendre ce
tion, comme par
silence.
exemple la douNotre civilisaleur
physique,
tion est sans doute
l’exercice phyla plus bruyante de
sique ou l’excitatoutes celles que la
tion sexuelle. D’où
terre a connues. Ce
d’ailleurs l’addicbruit est le simple
tion de certaines
reflet de notre état
personnes pour ces
intérieur, comme
situations. Sans attoutes les pollutendre ces motions. En invitant le
ments particuliers,
silence en moi, je
je peux régulièreguéris la terre.
ment simplement
Toutes ces portes
être présent à mes
mènent au même
sensations : sentir
endroit et activent
la texture de la En invitant le silence en moi, je guéris la terre.
finalement
le
table sous ma
même verrou : remain, goûter réellement un fruit, observer le mur devenir dans l’instant, interrompre gentiment l’histoire,
vant moi. Quel que soit mon environnement, l’instant
couper le lien pensées-émotions pour ne vivre que ce
s’anime alors d’une vie insoupçonnée. Il se passe touqui est, agréable ou désagréable, sans jugement. Ceci
jours quelque chose. Le moment révèle sa plénitude
n’empêche pas d’agir. Bien au contraire. Si une acdans un contact direct et ouvert. Cette plénitude est la
tion est requise, elle émerge d’une intelligence bien
« mienne ».
plus vaste que celle du moi restreint. Elle est véritable
Ressentir l’énergie vitale – Nous sommes paraction, elle est création et non réaction. Et si c’est un
courus de flux incessants d’énergie, qui nous donnent
« non » qui se dresse, c’est un non « de qualité ». Il
vie. Je peux prolonger l’exploration sensorielle par
n’est pas violent, il est puissant.
une visite « intérieure » du corps. Si, par exemple, je
Chacun des mécanismes inconscients décrits aura
ferme les yeux et je porte mon attention sur ma main.
sa propre inertie et demandera pour la plupart d’entre
Comment sais-je qu’elle est là ? Dans cette position ?
nous un « certain temps » et de nombreux allers-rePuis-je ressentir la vie qui l’anime ? Sous quelle
tours de la conscience-objet à la conscience spacieuse
forme ? Une vibration ? Un courant ? Une chaleur ?
pour se dissoudre.
Puis-je étendre cette perception progressivement à
Mais comme le précise Eckhart Tolle : « Il ne s’agit
l’ensemble du corps ? Puis-je ressentir l’unité de cette
pas d’être présent jusqu’à la fin de vos jours, c’est trop
vitalité ? La vie en moi au-delà de la forme ?
lourd. Non : seulement maintenant !
L’énergie – le chi, le ki, le prana, le souffle… – est
… Et maintenant.
un pont entre la forme et le sans-forme, entre la ma… Et maintenant.
tière et la conscience. Je peux remonter ce pont et ac… Et maintenant.
céder à la source unique au-delà de toute séparation.
…»
Ce faisant, je relie consciemment les deux dimensions
et j’accroîs le flux de vitalité. Je ne perds jamais rien,
au contraire, à part mon identité égotique, à ouvrir
mon espace intérieur.
Écouter le silence – Le silence et l’espace sont inPour aller plus loin :
dispensables à l’existence de ce qui les remplit. Ils
Eckhart Tolle est l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels, aux éditions Ariane :
sont toujours là, derrière ou autour. Derrière tout bruit,
- Le Pouvoir du moment présent, 2000
si je fais vraiment attention, je peux percevoir le si- Nouvelle Terre, 2005
lence. Et pour ce faire, je dois stopper le flux des pen- Unité avec toute vie, 2009.
Jean-Luc Champougny a co-fondé l’association Spirales, à Reims.
sées, car seul le silence intérieur peut percevoir le
www.spirales.info/lassociation
silence extérieur. Ça se fait tout seul, je n’ai qu’à [email protected]
–6–